Étiquette : 2014


  • Luigi Cannillo | [L’horizon prépare de nouveaux réveils]



    Scipione 2
    Scipione (Gino Bonichi), Piazza Navona, studio, 1930
    Collection privée
    Source







    [L’ORRIZONTE PREPARA NUOVI RISVEGLI]


    XVI


    L’orizzonte prepara
    nuovi risvegli ancora privilegio
    cullarli nel silenzio
    nuovi scenari alla contemplazione
    Gli occhi restituiscono
    loro malgrado la visione al mondo,
    ne leggono il rovescio
    Senza parole potrò finalmente
    illuminare il nome in volo
    issato in tutto il suo clamore
    prima di ricondurlo al coro e alla quiete
    Sarà lo sguardo a richiamare
    a cenni paesaggi da terrazze
    ma tu che adesso non rispondi
    davanti a quella tela piangi o fuggi?



    Luigi Cannillo, Cieli di Roma, LietoColle, collana Aretusa, 2006, pagina 26.






    Cieli di Roma








    [L’HORIZON PRÉPARE DE NOUVEAUX RÉVEILS]


    XVI


    L’horizon prépare
    de nouveaux réveils privilège encore
    à bercer dans le silence
    de nouveaux décors pour la contemplation
    Les yeux restituent
    malgré eux au monde la vision,
    ils en lisent l’envers
    sans paroles je pourrai enfin
    illuminer le nom en vol
    hissé dans toute sa clameur
    avant de le reconduire au chœur et au calme
    Ce sera le regard qui appellera
    par des signes des paysages sur des terrasses
    mais toi qui maintenant ne réponds pas
    devant cette toile pleures-tu ou t’enfuis-tu ?



    Luigi Cannillo, Ciels de Rome (extraits) in « 7 poètes italiens d’aujourd’hui », Inuits dans la jungle, numéro 5, 2014, page 40. Traduction de Jean Portante.






    Inuits 5





    LUIGI CANNILLO


    Luigi Cannillo
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LietoColle)
    une lecture (en italien) de Cieli di Roma par Maria Grazia Calandrone (recension publiée dans la revue Poesia – settembre 07)






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  • Christian Garcin | Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest

    par Angèle Paoli

    Christian Garcin, À Budapest,
    éditions circa 1924, 2007, rééd. 2014.

    Christian Garcin, L’Étrange Sérénité des fonds marins,
    éditions circa 1924, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli


    LECTURES VAGABONDES, DU MEXIQUE A BUDAPEST



    Il arrive parfois que, par la voie des airs, me parviennent miraculeusement des petits bijoux de livres. Ainsi de ces livres jumeaux À Budapest (2007, rééd. 2014) et L’Étrange Sérénité des fonds marins (2014), reçus juste avant les fêtes de Noël. Jumeaux parce qu’ils sont tous deux pareillement façonnés, de même format (11 x 11 cm), de même facture — couverture à double rabat et bande pliée de la Collection « accordéon », composés en Baskerville et imprimés en deux tons sur Rivoli blanc par les presses de Dereume en Belgique — et qu’ils sont l’œuvre d’un même auteur. Tous deux appartiennent à une même maison d’édition — Circa 1924, fondée en 2003 par Geneviève Voegelé et Jean-Charles Wolfarth — et comportent des « images pictorialistes » en noir et blanc. On pourrait imaginer que s’arrêtent là les similitudes (j’ai oublié les pochettes plastifiées à rabat !), que l’on peut toutefois élargir au plaisir infini que procure la lecture de l’un et de l’autre de ces mini-ouvrages de bibliophilie. Publiés à sept années d’intervalle, les deux textes se rejoignent dans la belle écriture de Christian Garcin (à l’occasion d’une réédition du premier ouvrage).

    Lequel de ces deux livrets vais-je ouvrir en premier ? Vais-je céder à l’appel du regard tendre (légèrement interrogateur) du portrait de l’élégante qui figure sur la première de couverture d’À Budapest ? Ou bien à l’appel du voyage à l’autre bout du monde que suggère le paysage maritime — avec embarcation à voile — de L’Étrange Sérénité des fonds marins ? Je déplie/déploie l’un et l’autre livre, en alternance. Je m’arrête sur les photos de rues ensevelies sous la neige promenades le long du fleuve (Le Danube) silhouettes emmitouflées lumières de la ville tramways et parapluies solitudes dans les rues sombres et désertes. Les noms des photographes figurent sur le deuxième rabat : Rudolf Balogh, Kàroly Escher, Dénes Rónai. Je n’en connais aucun, même si je sais qu’ils sont mondialement connus et que leurs photos sont archivées au Musée Hongrois de la Photographie de Budapest. J’aime l’atmosphère qui se dégage de ces décors aux lumières glacées. Pourtant, je ne peux m’empêcher de déplier l’autre livret, tout aussi mystérieux. Le titre me séduit. La photo de couverture également. Où situer ce paysage de montagnes aux courbes douces se jetant dans la mer ? Une mer d’huile. La lecture des ouvrages de Christian Garcin m’a accoutumée à sillonner le monde qu’il ouvre pour nous, ses fidèles lecteurs. En y regardant de plus près, je m’aperçois que les hommes qui sont à bord du voilier portent des sombreros. Peut-être l’histoire à laquelle l’auteur nous convie se déroule-t-elle au Mexique ? Cette hypothèse est aussitôt confirmée par d’autres photos — « images pictorialistes » de cathédrales et d’haciendas — du photographe allemand-mexicain Hugo Brehme. Des noms surgissent. Golfe du Mexique. Arthur Cravan. Mina Loy. L’histoire est une histoire d’amour dont j’ai gardé la mémoire (tous les ouvrages de Mina Loy, du moins ceux édités en français, sont dans ma bibliothèque).

    « C’est l’histoire de deux poètes, un colosse aux yeux tristes et une frêle jeune fille, qui cherchent une cathédrale rose. » C’est dans l’une d’entre elles qu’ils se marient. Mais au départ, il y a un décor ébréché, marqué de signes annonciateurs de désastres : « une chambre sans fenêtre », « un lit qui grince », des « montants rouillés », un « mur jaune », « l’émail fendillé » d’un lavabo. Rien n’échappe à Mina, de ces détails ordinaires qui diffractent leurs signes « même sous le ciel noir piqué d’étoiles »… Je dis Mina parce que le texte me semble passer par son regard. Et, derrière son regard, par ses émotions. Par sa sensualité. Il y a pourtant un narrateur extérieur qui suit le couple dans ses déplacements, dans ses gestes ou absences de gestes, ses suspens, ses étreintes aussi ; comme le ferait une caméra cachée silencieuse. Qui s’arrêterait sur les murs. Et sur les couleurs. Rose pour le « flot » « frémissant des paupières baissées », pour la cathédrale inondée de lumière. Jaune pour le mur de la chambre, pour le « ciel délavé », pour le chien « efflanqué » qui dort « le museau dans la poussière ». Le rose, c’est la couleur de Mina. Pour ce qui est du jaune, il draine avec lui toute une série de signes avant-coureurs du drame. Les croûtes sur le corps du chien, les « mouches grasses et bleues », « la purulence de ses plaies » et peut-être « le bruit moisi du jour ». Et le bleu, le bleu bourdonnant des mouches, est-ce le même que « ce bleu presque solide » qui saisit Mina au cœur de son cauchemar aquatique, « dans l’étrange sérénité des fonds marins » ?

    En quelques pages, à partir de quelques détails minutieusement choisis, qui balisent le texte par leur récurrence têtue, Christian Garcin dresse le décor dans lequel s’inscrit pour toujours l’histoire de Mina Loy. Une place écrasée de chaleur ; une atmosphère pesante. Vaguement écœurante. C’est là qu’évolue Mina, toute de sensualité fébrile, de légèreté et de fraîcheur. Le temps de s’offrir à l’homme qu’elle aime, le temps de sentir la vie s’agiter dans son ventre. Le temps d’imaginer qu’elle va bientôt retrouver son colosse « aux yeux tristes et clairs ». Rêves de femme qui avaient pris corps dans la cathédrale rose, avant que celle-ci ne se fendille pour livrer passage à la solitude et à la douleur.

    De la faille laissée béante par la disparition d’Arthur Cravan naîtront les poèmes de Mina Loy. De ce moment choisi de la vie de Mina Loy et d’Arthur Cravan naît le très beau récit de Christian Garcin.

    À Budapest ramène le lecteur dans un tout autre univers. Nous voici en Europe et en plein hiver. Dans le froid glacial de la cité hongroise, Christian Garcin met en place un récit décalé. Un récit hors-temps, à contre-courant. Qui réveille des souvenirs anciens de lectures liées à la littérature d’Europe Centrale. Des paysages, davantage que des souvenirs.

    L’histoire qui nous est contée là est celle d’une résurrection. L’occasion pour l’auteur de confronter avec humour présent et passé ; et de permettre à l’héroïne de cette fable à coloration fantastique d’exercer son esprit critique en dénonçant les travers de ceux qui, momentanément, se trouvent être ses contemporains. Et à ses interlocuteurs du présent de la considérer avec curiosité. De quel côté se situe Das Unheimliche (« L’inquiétante étrangeté  ») ?

    C’est à Budapest, « au début du mois de février », que Mme Esterhàzy se manifesta, de manière particulièrement remarquable, d’autres phénomènes du même genre s’étant déjà produits cette année-là sans retenir outre mesure l’attention. C’est que Mme Esterhàzy possèdait au plus haut degré les qualités de la conversation. Du passé, cette dame distinguée a conservé intacts tous les codes. Langage, us de salons, exigences d’esprit. Talents qui lui valaient jadis la reconnaissance de ses pairs. « Chacun de son vivant louait la qualité de son esprit et la pertinence de ses idées. » Or, son retour parmi les vivants la déçoit. Mme Esterhàzy ne peut s’empêcher de reprocher à ses interlocuteurs leur manque de curiosité et le peu d’intérêt que la plupart d’entre eux lui témoignent. Il lui faut se contenter de quelques plaisanteries sur son accoutrement vestimentaire. À sa soif inextinguible pour tout ce qui concerne les questions de société, de progrès, de religion, d’humanisme répondent l’indifférence la superficialité le désintérêt de ses interlocuteurs pour les choses de l’esprit. De manière générale, pour toute forme de réflexion. On pourrait résumer toutes ces insuffisances et déficiences en un seul terme : médiocrité. De quoi vous dégoûter de vous éterniser. Combien de temps son retour parmi les hommes a-t-il duré ? Il est difficile de le dire. Toujours est-il que, soudain prise d’un malaise, la dame, après s’être livrée à d’ultimes considérations sur le train des choses — « Il était décidément impossible de vivre en un siècle pareil » —, préfère regagner sa tombe et disparaître à nouveau.

    Sous le charme mystérieux de la fable, Christian Garcin se livre avec beaucoup d’humour et de finesse à la critique d’une société victime de sa désinformation et de son inculture. Une société qui s’est défaite de la profondeur qui était la sienne jadis. Comment ne pas reconnaître dans cette peinture la société qui est la nôtre ?

    « Chacun ne lui répondait qu’évasivement, préférant commenter la météo du jour, le dernier bilan de santé du Président ou les résultats sportifs de la veille, plutôt que de s’embarquer dans de fumeuses discussions auxquelles manquait, pour le moins, un socle de connaissances communes. »

    Et comment ne pas reconnaître dans certains traits de comportement ou de caractère des traits qui nous sont propres ? À Budapest rend compte du regard que l’auteur porte sur certains de ses contemporains. Un regard lucide, incisif et sans concession. Il n’est rien en littérature comme la fable qui permette d’établir une distanciation entre le monde et les sujets qui l’habitent. À chacun de tirer par-devers soi les analyses qui s’imposent.

    Très différents dans l’esprit et dans la lettre, ces deux récits se lisent très volontiers dans la continuité l’un de l’autre. Tous deux sont parfaitement aboutis. Dans une écriture en tous points remarquable.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Garcin, Budapest






    Garcin sérénité





    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    La Piste mongole (lecture d’AP)
    Selon Vincent (note de lecture d’AP)
    22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades » (extrait de Selon Vincent)



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions circa 1924
    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin
    → (sur Terres de femmes)
    Mina Loy | L’amour est des corps (+ une notice bio-bibliographique sur Mina Loy)






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  • Luis Mizón | [Derrière la garde-robe]



    Philippe Hélénon
    Philippe Hélénon, « Tout est écrit dans le corps »








    [DERRIÈRE LA GARDE-ROBE]


    I


    Derrière la garde-robe il y a une ville
    à tiroirs
    où personne n’habite
    draps oreillers couvertures
    dessus dessous
    trousseau d’un fantôme
    enfermé dans l’armoire
    nappes et serviettes en abondance
    brodées d’initiales énigmatiques
    d’étonnants objets théâtraux

    tout est écrit par le corps
    sans que la main droite sache
    ce que fait la main gauche
    le linge immaculé raconte
    des histoires cryptées

    près de la flamme
    les taches deviennent visibles
    on voit la trace de la machinerie
    les effets spéciaux

    la scène sombre du balcon
    les aveux des amoureux
    les hésitations des comédiens
    les soupirs des jeunes poètes
    les traces de l’amour et de la haine

    l’oubli n’a rien effacé

    je respire dans les draps
    un parfum de falaise
    je vois les vagues se briser
    dans les criques et les anses muettes

    je caresse en toute liberté
    la peau sensuelle de l’oubli
    ses secrets dégagent
    une odeur de mousse
    grotte
    lumière et vide

    les mystères des genoux
    le coin de la chambre où le soleil
    cache ses bijoux

    le soleil

    je respire la nudité de l’oubli

    son odeur monte à mes narines
    et
    il
    m’est
    délectable

    le linge danse à la fenêtre
    l’armoire danse avec le vent

    j’écrase sur le mur
    le minuscule corps du délit
    où se cache le temps



    Luis Mizón, Corps du délit où se cache le temps, Éditions Æncrages & Co, Collection « voix de chants », 2014, s.f. Dessins de Philippe Hélénon.






    Luis Mizon, Corps du délit où se cache le temps.jpg 2





    LUIS  MIZÓN


    Luis Mizón
    Source



    ■ Luis Mizón
    sur Terres de femmes

    L’exil
    La Maison du souffle
    Un troupeau de vaguelettes



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Luis Mizón
    → (sur le site de France Culture)
    Luis Mizón dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 23 novembre 2014)
    → (sur le site des éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Corps du délit où se cache le temps de Luis Mizón
    → (sur Images de la poésie)
    une lecture de Corps du délit où se cache le temps, par Laurent Albarracin





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  • Barry Wallenstein, Tony’s blues   

    par Chantal Dupuy-Dunier

    Barry Wallenstein, Tony’s blues,
    édition numérique bilingue,
    Recours au poème éditeurs, 2014.
    Recueil traduit de l’anglais (États-Unis)
    par Marilyne Bertoncini.



    Lecture de Chantal Dupuy-Dunier.



    L’ENVERS DES CONTES DE FÉES



    J’ai eu la chance de rencontrer Barry Wallenstein en résidence d’auteur au couvent de Saorge, dans l’arrière-pays niçois. J’ai aussi eu celle de l’écouter dire Tony’s blues, accompagné de jazz, sur le CD qu’il a réalisé. Marilyne Bertoncini venait travailler avec lui dans le jardin à la traduction qu’elle nous livre à présent.

    Tony’s blues nous propose une écriture très moderne, à laquelle un cadre urbain sert de décor. Je parlerais volontiers de poème-BD, feuilleton, film américain avec un rythme de blues pour la bande-son. Une ville où Tony fume des joints, descend des verres, se livre à quelques trafics, fréquente des mecs un peu louches, drague, va au bordel, tente de se démarquer en se teignant les cheveux en rouge. Une banlieue où se battent des gosses, où des gars se font poignarder.

    « T’es un bon gros salaud de ta mère, Tony » constitue le premier vers du recueil. Le ton est donné. Mais qui est Tony ? Un petit garçon dont le père travaillait aux abattoirs, liens du sang réels :

    « Il saignait les bœufs

    mais assommait les veaux.

    Ça changeait le goût de la viande

    et tout petit alors, j’apprenais ça. »

    Comme son père, il porte un couteau, héritage phallique.

    « Qu’est-ce qui m’appartenait en effet

    sinon ma place sur ces épaules ? »

    Un SDF au sens où nous sommes tous symboliquement SDF puisque notre domicile réel sera celui dans lequel nous demeurerons le plus longtemps : la mort.

    « Dans une minute t’auras peut-être le visage gelé,

    ou froid, Tony, froid. »

    « On court tous vers le même but,

    piqués par la même mouche. »

    Un orphelin s’adressant à sa mère, « sous le couvercle » depuis cinq ans. Un cinglé qui se donne un coup de marteau sur la tête :

    « Pourquoi a-t-il fait ça ?

    Il dit que le sort s’acharnait sur lui

    et qu’il l’a abattu. »

    Tony me semble rassembler en lui tous les possibles marginaux de la condition humaine. Être poète en fait évidemment partie. Tony s’adresse aussi à son créateur (dieu-géniteur aux mains couvertes de sang) :

    « Quelqu’un d’autre dans ma voix

    — C’est effrayant pire qu’avaler une arête de travers et s’étrangler —

    Qui est dans les coulisses ? »

    Blues devant une vie qui n’est pas un long fleuve tranquille, et quand le rêve se pointe :

    « Pendant des années, il avait différé le rêve,

    et le rêve arriva… »

    On pourrait croire à la survenue d’une existence heureuse, eh bien non, il s’agit d’un rêve dans lequel, à l’inverse des contes de fées, rien de ce que demande Tony ne lui est accordé. Il faudra faire avec, ou plutôt sans.

    L’ouvrage est illustré par quatre photographies de la voûte céleste vue entre les branches d’arbres, les sommets de gratte-ciel, ou les filins d’un pont suspendu. Un air de Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov, la scène dans laquelle le soldat Boris meurt en voyant le ciel tournoyer entre les cimes des bouleaux.

    Marilyne Bertoncini a fait œuvre de traductrice, mais aussi de poète, pour nous restituer l’ambiance et le rythme d’une création surprenante au ton singulier.



    Chantal Dupuy-Dunier
    D.R. Chantal Dupuy-Dunier
    pour Terres de femmes








    TonysBlues






    BARRY WALLENSTEIN


    Barry Wallenstein
    Source



    ■ Barry Wallenstein
    sur Terres de femmes

    Blues again (poème extrait de Drastic Dislocations)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Barry Wallenstein
    → (sur le site de Recours au poème éditeurs)
    la fiche de l’éditeur sur Tony’s blues de Barry Wallenstein



    ■ Chantal Dupuy-Dunier
    sur Terres de femmes

    25 octobre | Chantal Dupuy-Dunier, Éphéméride
    Amiens (extrait de Des villes parfois…)
    7 novembre | Chantal Dupuy-Dunier, Éphéméride
    Mille grues de papier (note de lecture d’AP)
    [Au milieu du dessin bleu] (poèmes extraits de Mille grues de papier)






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  • Juan Gelman | Vers le sud



    HACIA EL SUR



    te amo señora/como el sur/
    una mañana sube de tus pechos/
    toco tus pechos y toco una mañana del sur/
    una mañana como dos fragancias

    de la fragancia de una nace la otra/
    o sea tus pechos como dos alegrías/
    de una alegría vuelven los compañeros muertos
    en el sur
    establecen su dura claridad/

    de la otra vuelven al sur/vivos por/
    la alegría que sube de vos/
    la mañana que das como almitas volando/
    almando el aire con vos/

    te amo porque sos mi casa y los compañeros
    pueden venir/
    sostienen el cielo del sur/
    abren los brazos para soltar el sur/
    de un lado les caen furias/del otro/

    trepan sus niños/abren la ventana/
    para que entren los caballos del mundo/
    el caballo encendido de sur/
    el caballo del deleite de vos/

    la tibieza de vos/mujer que existís/
    para que exista el amor en algún lado/
    los compañeros brillan en las ventanas del sur/
    sur que brilla como tu corazón/

    gira como astros/como compañeros/
    no hacés más que subir/
    cuando alzás las manos al cielo/
    le das salud o luz como tu vientre/

    tu vientre escribe cartas al sol/
    en las paredes de la sombra escribe/
    escribe para un hombre que se arranca los
    huesos/
    escribe la palabra libertad/



    Juan Gelman, Hacia el sur (y otros poemas), Espasa Calpe, Buenos Aires, 1985.







    VERS LE SUD



    je t’aime/dame/comme le sud/
    un matin monte de tes seins/
    je touche tes seins et je touche un matin du sud/
    un matin comme un double parfum/

    du parfum de l’un se lève l’autre/
    ou bien tes seins comme double allégresse/
    de l’une reviennent les compagnons morts dans le sud/
    ils établissent leur dure clarté/

    de l’autre ils reviennent au sud/vivants de
    l’allégresse qui monte de toi/
    le matin que tu donnes comme de douces âmes volant/
    faisant âme l’air avec toi/

    je t’aime car tu es ma maison et les compagnons
    peuvent venir/
    ils soutiennent le ciel du sud/
    ils ouvrent les bras pour lâcher le sud/
    d’un côté leur tombent des furies/de l’autre

    grimpent leurs enfants/ils ouvrent la fenêtre
    pour qu’entrent les chevaux du monde/
    le cheval enflammé de sud/
    le cheval du délice de toi/

    la tiédeur de toi/femme qui existes
    pour que l’amour existe quelque part/
    les compagnons brillent aux fenêtres du sud/
    de ce sud qui brille comme ton cœur/

    tourne comme des astres/ou compagnons/
    tu ne fais que monter/
    quand tu lèves les mains au ciel
    tu lui donnes santé ou lumière comme ton ventre/

    ton ventre écrit des lettres au soleil/
    sur les murs de l’ombre il écrit/
    il écrit pour un homme qui s’arrache les os/
    il écrit liberté/



    Juan Gelman, Vers le sud et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2014, pp. 213-214. Présenté et traduit de l’espagnol par Jacques Ancet. Postface de Julio Cortázar.







    Juan Gelman, Vers le sud et autres poèmes






    JUAN GELMAN


    Juan Gelman
    Source




    ■ Juan Gelman
    sur Terres de femmes

    Arte poética
    comentario XI (hadewijch)
    comentario XXXIII (san juan de la cruz)
    el ángel de la tarde



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    d’autres poèmes de Juan Gelman extraits de Vers le sud et autres poèmes
    un site (en espagnol) entièrement dédié à Juan Gelman
    → (sur lemonde.fr)
    « Juan Gelman (1930-2014) : la vie de combat, de tendresse et de deuil d’un poète argentin », par Florence Noiville
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Juan Gelman : une parole pour l’indicible
    → (sur le site de France Culture)
    Hommage à Juan Gelman (Ça rime à quoi, par Sophie Nauleau, émission du 19 janvier 2014)
    → (sur perfil.com)
    une photo-galerie de Juan Gelman
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    rencontre avec Juan Gelman, Jacques Ancet et Jean Portante [15 juin 2012] (archive sonore)






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  • Geneviève Vidal | Loger Lumière



    LOGER LUMIÈRE



    Visages
    en mal de douceur

    se voudraient logis de lumière

    mais    poumons désaccordés
    disjonction des preuves

    Battement des volets
    fondent les oiseaux noirs

    ombres agrandies de leur tumulte

    Apatride ton nom    Lumière

    allant par ciels arbres vagues

    fuseau d’oiseaux blancs

    Parfois t’envahit une pourriture

    Quel signe guérira nos plaies

    Tes brisures touchent à l’intime

    Mise à nu des chairs

    Pourquoi tant d’ennemis
    affairés à te cacher

    Périclite la confiance

    Gémir      à l’unisson d’un soleil malade

    Soif que rien n’étanche hormis ta clarté

    Pertes que seul ton soleil restaure

    Tenir
    dans les tempêtes

    Patiente à te faire croître     Lumière
    arbre en majesté

    désir d’air
    vidé de son sang noir

    Crescendo
    tes yeux m’enveloppent d’un feu ample et doux
    m’emportent
    de par les sept mondes

    Decrescendo
    revenir à l’obscur au froid au fermé

    armée de lueurs



    Geneviève Vidal, « 4. Apatride ton nom », Vêtue de vent suivi de Nuit balinaise, Jacques André Éditeur, collection POÉSIE XXI, 2014, pp. 48-49.







    Geneviève Vidal, Vêtue de vent.jpg 2





    GENEVIÈVE VIDAL



    ■ Geneviève Vidal
    sur Terres de femmes

    Exil
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Vie donner/nommer



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Geneviève Vidal
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Geneviève Vidal






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  • Antonio Moresco, La Petite Lumière

    par Angèle Paoli

    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman,
    Éditions Verdier,
    Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014.
    Traduit de l’italien par Laurent Lombard.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Moresco







    DE LA SURVIVANCE DES LUCIOLES



    Que s’est-il donc passé dans la vie de cet homme pour qu’il décide de disparaître ? Aucun lecteur de La Petite Lumière n’en saura rien. Même si Antonio Moresco, l’auteur de ce mystérieux récit, sème au fil des pages quelques indices. Sans doute la cruauté inextinguible du monde — celle-là même qui se voit, se vit au cœur de la nature et qui livre combats sous les yeux du narrateur — a-t-elle poussé cet homme à se retirer loin de tous.

    « Où je peux bien aller pour ne plus voir ce carnage, cette irréparable et aveugle torsion qu’on a appelée vie ? »

    Ainsi s’interroge cet étrange personnage qui ne livrera rien de sa vie, dont le lecteur ne saura ni le nom ni l’âge ni la fonction, qui ignorera tout de son passé. Tout ce que chacun saura, c’est ce qu’il confie dès l’incipit :

    « Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant. »

    L’homme a trouvé refuge — depuis quand ? — dans une petite maison perdue au milieu des bois. Là, dans cet environnement d’arbres et de pierres sèches, le solitaire a tout loisir, dès qu’il s’est acquitté des tâches quotidiennes, d’observer le monde qu’il habite désormais. Autour de lui, des ruelles des ruines un petit cimetière avec ses lumignons. Des morts sans noms, oubliés depuis longtemps, dont la présence est aussi singulière que l’est l’absence de vivants. Au-dessus de lui, le ciel et les étoiles, les hautes futaies qui livrent bataille avec l’infini. Présences permanentes à ses côtés, les deux infinis se côtoient : l’infiniment grand, avec ses frondaisons inhospitalières qui s’étendent à perte de vue, ses vallonnements et ses ravins, ses pentes qui découpent le paysage ; l’infiniment petit, avec ses bruissements d’insectes ses pépiements d’oiseaux invisibles dans la feuillée, avec les luttes minuscules que se livrent les bêtes qui gîtent dans les sous-bois. Mais ce qui frappe d’emblée dans le regard que l’homme solitaire porte sur les choses, c’est, parallèlement à la complexité des enchevêtrements de la nature, face à l’immensité cosmique, la miniaturisation des choses. Une miniaturisation qui est donnée dès le titre du roman : La Petite Lumière [La lucina]. L’on retrouve cette miniaturisation sous la plume de l’auteur dans sa Lettre à l’éditeur. Parlant de cette histoire, il la présente comme « une petite boite noire » ; « une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos » ; « une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion » de son prochain roman. « Une petite créature siamoise » qui s’est détachée « de l’autre corps plus grand » pour laisser à ce « court récit » son indépendance et sa liberté de vivre. Ainsi cette façon de parler de son œuvre s’inscrit-elle au cœur de la langue d’Antonio Moresco.

    Tout au long du récit, mais en particulier dans les premières pages, l’adjectif « petit(e) » sert de dénominateur commun à toute une série d’objets :

    « petit [escalier / cimetière / lit / bruits / troncs / potagers / hameau / papillons…] »

    « petite [maison / chambre / route / place /église / clairière… ] »

    Et bien sûr, « lumière ». « La petite lumière ». Elle est là, dès l’incipit, qui revient soir après soir, toujours à la même heure. Obsédante, têtue, elle interpelle l’homme qui scrute l’obscurité :

    « “Qu’est-ce que ça peut bien être, cette petite lumière ? Qui peut bien l’allumer ?”, je me demande tout en marchant dans les rues empierrées de ce petit hameau où personne n’est resté. »

    Sans doute cette miniaturisation — qui favorise la disparition et, par contraste, rend plus inquiétante la nature — prépare-t-elle le narrateur à la rencontre qui va se produire quelques pages plus loin. En effet, intrigué par la présence — en ce lieu qu’aucune vie humaine ne hante —, de cette « petite lumière », le « je » va entreprendre une série d’approches. Identifier le lieu où la lucina apparaît, soir après soir ; interroger villageois et farfelu égaré hors du monde pour tenter de mettre un nom sur ces apparitions régulières ; partir en reconnaissance. Or, ce que le narrateur découvre, c’est, exactement sur l’autre versant, sur la crête opposée à la sienne, l’existence d’un « petit garçon ». Un petit bonhomme en culottes courtes, qui vit seul dans sa « petite maison ». Et qui, comme lui, accomplit les tâches quotidiennes, les mêmes rituels familiers. Lessives repas vaisselles astiquage repassage. Le tout sans se plaindre sans rechigner. Avec une méticulosité et un savoir-faire d’un autre temps. Qui est-il ? D’où vient-il ? Où sont ses parents ? Pourquoi est-il tout seul ? Autant d’interrogations qui taraudent l’homme. En même temps que le lecteur. Au fil des rencontres, le « je » hasarde des questions. Peu bavard, tout occupé à ses activités, le petit garçon — avec « sa petite dent cassée », « sa petite tête rasée », « ses petites mains », ses « petits vêtements » —, ne répond que parcimonieusement. Et succinctement. Désarçonné, le narrateur en vient à douter de la nature de l’enfant :

    « “Est-ce que c’est vraiment une créature de ce monde-ci ?”, je me disais. »

    Un enfant hors temps qui dit des autres enfants — ceux qui fréquentent l’école de jour — « ce sont les vivants ».

    Tandis que le dialogue se noue petit à petit entre le lilliputien et le géant, que chacun apprivoise l’autre par sa présence affectueuse et discrète, le mystère grandit de cet enfant en culottes courtes, sortant de l’école du soir, portant cartable sur le dos et faisant ses devoirs sous la lampe. Et le lecteur de s’interroger : l’enfant est-il le double de l’homme ? Son écho fidèle ? Un extraterrestre comme lui puisque tous deux vivent exilés à l’écart de leurs semblables. Tout, dans la narration, le laisse à penser. Peut-être même cet enfant est-il celui que le narrateur fut jadis et qu’il retrouve dans le dédoublement insolite qui naît au cœur de sa solitude. Tous deux, en marge de la vie, évoluent aux confins de la mort. Lequel de l’enfant ou de l’homme sera pour l’autre la luciole qui le sauvera ?

    Tout au long du cheminement qui le conduit vers l’enfant, le narrateur ne cesse d’invectiver le monde qui l’entoure. Depuis les crapauds et les « guêpes hargneuses » jusqu’aux étoiles, en passant par toutes les formes de la matière, minérale, végétale, organique, cosmique. Il ne cesse d’interroger la nature. Sans espoir de réponse.

    « Mais elles ne répondent pas » / « Mais ils ne répondent pas ».

    Seules les hirondelles répondent :

    « Oui, oui, on est folles ! elles me répondent, ces bestioles survoltées, sans arrêter de frôler le sol de la ruelle et le fil de l’eau, comme des flèches, en trissant… »

    Parfois l’interrogation se poursuit au-delà du dialogue avec les présences immédiates, dans la volonté de percer le secret de la complexité-gigogne de l’univers.

    « Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? »

    « Comment savoir si la lumière n’est pas elle aussi à l’intérieur d’une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c’est une lumière qu’on ne peut pas voir ? »…

    Autant de questions qui s’emboîtent les unes dans les autres comme autant de maillons, avec leur lot de mystères, closes chacune sur une absence de réponse. Ainsi le narrateur poursuit-il son dialogue inépuisable. Sans doute pour tenter de comprendre le pourquoi de son existence et celui de sa place dans un univers dont le sens lui échappe.

    « Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre soleil, se trouve à une distance de quatre années-lumière. Le Grand Nuage de Magellan, la galaxie la plus proche de notre galaxie, se trouve à cent soixante-cinq mille années-lumière de notre système solaire. Et moi, là, assis sur cette chaise en fer qui s’enfonce de plus en plus dans le sol, dans cet endroit hors du monde, à la même distance de tout et de l’espace et du temps et de ma vie et de ma mort… »

    À défaut de trouver une réponse dans les astres et le cosmos, peut-être le narrateur trouvera-t-il un peu de clarté dans les « milliers de lucioles »… « qui pullulent au milieu du feuillage épais et noir, avec leurs myriades de petites lumières qui s’allument et qui s’éteignent par intermittence » pour faire naître avec elles un « monde enchanté ». Elles qui ont résisté de toute la force contenue dans leur « petit corps » et que la grêle n’a pas anéanties. Leur survivance au cœur même des cataclysmes qui secouent leur monde peut-elle être considérée comme un signe d’espoir ? Celui, par exemple, d’une amitié aux formes inattendues, contours auxquels seules les « âmes errantes » que sont ces insectes luminescents sont susceptibles de donner naissance.

    Profondément onirique, ce court récit n’en est pas moins un très grand roman. Un texte magnifique, poétique et prenant, le premier de cet auteur italien à être traduit en français. Une belle découverte. À partager à l’infini.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Antonio Moresco, La Petite Lumière







    LETTERA ALL’EDITORE



    Caro Antonio,


    Ti mando questo breve romanzo, che ho scritto alcuni mesi fa su un quaderno. Non mi va di anticipartene qui, in poche righe, la storia, perchè non mi è facile parlarne, perchè preferisco che tu la scopra da solo pagina dopo pagina, e per non toglierti la sorpresa.

    E’ una storia scaturita da una zona molto profonda della mia vita, è come una piccola scatola nera. Parlandoti di questa cosa che mi urgeva dentro e che stavo per cominciare a scrivere, una sera ti ho detto che sarebbe stata per me, in un certo senso, testamentaria, che se fossi crepato il giorno dopo averla scritta sarebbe stata il mio testamento. Non perchè la consideri più significativa e importante di libri come Gli esordi o Canti del caos, ma proprio per la sua particolare natura intima e segreta.

    Anche questa, come Gli incendiati, è stata un’irruzione incalcolata e improvvisa. Come il primo è un piccolo meteorite che si è staccato da Canti del caos, così questa è una piccola luna che si è staccata dalla massa ancore in fusione del mio nuovo romanzo, che si intitolerà Gli Increati.

    La lucina è nata da uno spunto di poche righe, solo una piccola scena annotata negli appunti che ho buttato giù per anni in vista degli Increati. Credevo che questa scena avrebbe trovato posto là dentro, che vi avrebbe occupato al massimo mezza paginetta. Invece ha evidentemente lavorato in segreto dentro di me. Così, a un certo punto, ha preteso una sua vita autonoma. E allora è cresciuta come una piccola creatura siamese, fino al momento in cui ho dovuto staccarla dall’altro corpo più grande su cui si era inizialmente annidata.

    Ecco, questa è la storia del piccolo libro che adesso hai tra le mani.
    Antonio Moresco



    Antonio Moresco, La lucina, Arnoldo Mondadori Editore, Collana Libellule, 2013, pp. 5-6.





    Antonio Moresco, La lucina







    LETTRE À L’ÉDITEUR



    Cher Antonio,


    Je t’envoie ce court roman, que j’ai écrit il y a quelques mois sur un cahier. Je n’ai pas envie d’en éventer ici l’histoire, en quelques lignes, parce qu’il n’est pas facile pour moi d’en parler, parce que je préfère que tu la découvres tout seul, page après page, et ne pas te gâcher la surprise.

    C’est une histoire qui surgit d’une zone profonde de ma vie, c’est comme une petite boite noire. En te parlant de cette chose qui urgeait en moi et que j’étais sur le point de commencer à écrire, un soir je t’ai dit qu’elle serait pour moi, d’une certaine façon, testamentaire, que si je crevais au lendemain de l’avoir écrite, elle serait mon testament. Non pas que je considère qu’elle soit plus significative et plus importante que mes autres livres, tels que Les Débuts ou Chants du chaos, mais justement à cause de sa nature intime, particulière et secrète.

    Cette histoire aussi, tout comme Les Incendiés, a été une irruption spontanée et soudaine. Tout comme ce livre est une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos, cette histoire est une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion de mon prochain roman, qui aura pour titre Les Incréés.

    L’idée de départ de La Petite Lumière tient en quelques lignes, juste une petite scène au milieu de notes griffonnées pendant des années en vue des Incréés. Je croyais que cette scène trouverait sa place dans ce projet, qu’elle y occuperait tout au plus une demi-page. Or, de toute évidence, elle a travaillé secrètement en moi. Et, à un certain moment, elle a voulu vivre sa propre vie. Alors elle a grandi comme une petite créature siamoise, jusqu’au moment où j’ai dû la détacher de l’autre corps plus grand dans lequel elle s’était initialement lovée.

    Voilà donc l’histoire de ce petit livre que tu as entre les mains.
    Antonio Moresco      



    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014, pp. 7-8. Traduit de l’italien par Laurent Lombard.



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  • Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre]



    Anne-Calas-NYC-drap-sér-1-2
    Ph. © Anne Calas | isabelle sauvage
    Source








    [PAR TRANSPARENCE D’UNE VITRE]



    par transparence
    d’une vitre

    à l’autre en travers
    de ses nuits

    (si le jour cède)

    : femme au miroir
    dans la baignoire

    noyée de pluie

    la jambe bue
    repliée sur

    le drap défait

    l’épaule au creux
    de l’oreiller

    le sein caché
    (puis découvert)

    le regard qui
    chavire de cette

    liesse intime

    (la nuit n’y
    est pour rien

    (un miroir)
    suspendu

    au mur
    (du fond)

    comme un sigle
    (une sangle)

    son dos pris
    (dans le cadre)

    : du reflet :

    un regard
    suffirait

    : un portrait

    sur la toile
    cirée dans l’angle

    un vase vide
    (à distance)

    : une carafe
    au bord

                 du lit



    Yves di Manno (texte) | Anne Calas (photographies), « la série monotype », in Une, traversée, Éditions Isabelle Sauvage, Collection Ligatures, 29410 Plounéour-Ménez, 2014, pp. 48-49-50.






    Une-traversée





    ■ Yves di Manno
    sur Terres de femmes


    après Privas… Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture » (article republié dans Terre ni ciel)
    féal (poème extrait de Champs)
    Objets d’Amérique (note de lecture d’AP)
    [pour rejoindre en lisière de la page] (extrait de Terre sienne)
    Terre ni ciel (note de lecture d’AP)




    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des Éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Une, traversée






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  • François Cheng | [Suivre le poisson, suivre l’oiseau]




    Kim







    [SUIVRE LE POISSON, SUIVRE L’OISEAU]



    Suivre le poisson, suivre l’oiseau.
    Si tu envies leur erre, suis-les
    Jusqu’au bout. Suivre leur vol, suivre
    Leur nage, jusqu’à devenir
    Rien. Rien que le bleu d’où un jour
    A surgi l’ardente métamorphose,

    Le Désir même de nage, de vol.



    François Cheng, Quand les âmes se font chant, Cantos toscans [Éditions Unes, 1999], Éditions Bayard, 2014, page 81. Œuvres peintes de Kim En Joong.




    FRANÇOIS CHENG


    Cheng
    Source




    ■ François Cheng
    sur Terres de femmes


    L’appel de la mer
    [Consens à la brisure] (extrait d’Enfin le royaume)
    Longtemps à longer cette eau sans âge
    [Oui, nous suivrons le sentier]
    Rose d’indigo
    Tango toscan




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Académie française)
    une bio-bibliographie de François Cheng






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  • Barbara Lecompte, Marquise au portrait   

    par Joëlle Gardes

    Barbara Lecompte, Marquise au portrait,
    Arléa, 2014.



    Lecture de Joëlle Gardes.



    DOCERE, MOVERE, PLACERE



    Voilà un petit livre qui obéit au triple impératif de la rhétorique : docere, movere, placere. Il nous en apprend beaucoup en effet sur le pastel, sa vogue au XVIIIe siècle, et sur le plus célèbre des pastellistes de l’époque, Maurice Quentin de La Tour, mais il sait aussi nous émouvoir à l’évocation des tourments de l’artiste, à travers un style dont la délicatesse et la subtilité n’exclut pas la précision. En réalité, le fil rouge de ce livre écrit à la première personne —  c’est le portraitiste qui parle — entrelace l’histoire de La Tour à celle de Madame de Pompadour, la marquise dont le portrait fut exposé au Salon de 1755. Et le portrait qui est ici tracé est à la fois celui que nous pouvons voir au musée du Louvre, mais surtout, un portrait intérieur, La Tour étant un peintre d’âme autant que de corps : «  un portrait n’est pas que formes et couleurs. L’indicible doit affleurer. » Ce n’est pas seulement la Marquise qui est ainsi saisie et restituée sur la toile, mais d’autres personnages, grands de l’époque, au premier rang desquels le roi lui-même, ou le maréchal de Saxe (« le visage de Saxe, c’est une écriture droite et virile, racée, élégante et décidée »), écrivains, comme Rousseau ou Voltaire (« Mon papier renâcle à rendre compte de son étrange séduction »)… Les autoportraits, au jabot, à la toque, témoignent de l’interrogation de l’artiste sur son art et sur lui-même.

    Les chapitres successifs évoquent ces portraits dont la liste figure à la fin du livre, ils le font avec une précision parfois technique (l’auteur est historienne d’art) mais jamais lassante, bien au contraire. Nous apprenons ainsi que le portrait de la marquise, étant donné sa taille, peu commune pour un pastel, est fait de plusieurs morceaux, marouflés sur une toile, dont il importait évidemment de masquer l’assemblage. Mais c’est toujours vers la marquise que revient le portraitiste (ainsi que sur sa compagne tant aimée, la cantatrice Marie Fel, qui prend la plume à la fin pour décrire la triste fin de l’artiste peu à peu sombré dans la démence). Son portrait ne coûta pas moins de cinq années de travail, de doutes, d’inquiétudes, au pastelliste. Comment autrement capter et fixer l’essence même d’un être ?

    Entre l’artiste et son modèle, c’est presque une relation amoureuse qui s’est nouée : « La marquise de Pompadour s’est donnée à moi », dit l’artiste. De fait, le contact avec le pastel est un contact sensuel : « en écrasant les dernières touches de pastel, il m’a semblé caresser une peau à la chaleur diffuse ». Mais la marquise est secrète, et de nombreuses séances sont nécessaires pour « déplier patiemment son âme, comme on défroisse un papier afin d’en déchiffrer les lignes cabossées. » En proie à une surveillance et une médisance permanentes (« son cœur s’abîme à l’écho des méchancetés »), meurtrie par la vie (la distance établie par le roi, la mort de sa fille Alexandrine), elle cache ses fêlures sous son sourire mais ce sont elles que l’artiste veut capter. Lorsque le deuil fait succéder la pâleur aux couleurs du visage, La Tour les retrouve sous ses doigts.

    Ce n’est pas seulement le portrait de la marquise par La Tour, mais le livre tout entier qui est un hommage, moins à sa beauté, hélas flétrie avant l’heure, qu’à la « finesse » de son esprit. « C’est une femme incomparable », dit le pastelliste et avec lui l’auteur, une femme légère et éclairée, comme l’était le siècle auquel elle appartenait, amie des artistes et des écrivains, et des philosophes. Sur son portrait, ne voit-on pas, et sur sa demande, quelques livres, comme la Henriade, L’Esprit des lois ou le volume IV de l’Encyclopédie, pourtant mis à l’index.

    Hommage à l’art, également, capable d’arracher à l’Histoire souvent mensongère, la vérité profonde des âmes, comme en témoignent les portraits de La Tour.

    On l’aura compris, Marquise au portrait est un livre délicat et profond, à l’image même du pastel et de la marquise de Pompadour.



    Joëlle Gardes
    D.R. Joëlle Gardes
    pour Terres de femmes







    Barbara Lecompte, Marquise au portrait





    BARBARA LECOMPTE


    Barbara Lecompte
    Source

    Barbara Lecompte est conférencière nationale en histoire de l’Art. Marquise au portrait est son troisième roman.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Barbara Lecompte présente son ouvrage Marquise au portrait



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    Méditations de lieux (note de lecture)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture + extrait]
    Jardins de toute sorte (extrait de Sous le lichen du temps)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse | 20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital






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