Étiquette : 2015


  • Anne Seidel | Hygiene der angst II, III, IV



    Anne-seidel-chlebnikov-weint-poetenladen-rahmen







    HYGIENE DER ANGST II


    hier: schoenheit ist am ernsthaftesten : grundlos.
    weißgefliest-aengstlich schweben kristalle ins meer hinaus,
    umspuelen reglose glaswaende die flocken

    hier: schoenheit ist am ernsthaftesten : grundlos,
    die weiße angst zu verhaengen, schneiend-schwarz
    erzittert und zerfaellt die erwartung der tiere



    HYGIÈNE DE LA PEUR II

    ici : la beauté est la plus sérieuse : sans raison.
    peureusement carrelés de blanc des cristaux flottent vers le large,
    les flocons baignent des parois de verre immobiles

    ici : la beauté est la plus sérieuse : sans raison,
    pour masquer la peur blanche, noires neigeuses
    tremblent et se décomposent les attentes des animaux






    HYGIENE DER ANGST III

    eingaenge, solovki, tiefschwarzes licht, signal der stadt.
    opalisierend, solovki, gesichter, laute endlosigkeiten,
    wenn alles einfiel, solovki, vielleicht, zuletzt zuckte es

    keine ausgaenge, solovki, tiefschwarzes licht, signal der stadt,
    augopal, solovki, gesichter, wenn nach lauter endlosigkeiten alles
    einfiel, solovki, vielleicht aug in auge



    HYGIÈNE DE LA PEUR III

    entrées, solovki, lumière d’un noir profond, signal de la ville.
    opalisant, solovki, visages, infinités à forte résonance,
    quand tout s’effondra, solovki, peut-être, pour finir cela tressaillit

    pas de sorties, solovki, lumière d’un noir profond, signal de la ville,
    opale de l’œil, solovki, visages, quand à force d’infinités tout
    s’effondra, solovki, peut-être les yeux dans les yeux






    HYGIENE DER ANGST IV

    schwarze spitzen, weiß linien, russland, so hilflos zieht
    stille ein, die namen getraenkt, ende der waelder,
    es fehlte immer eine hand, versunken im pelz

    schwarze spitzen, weiße linien, da warst du, so hilflos zog
    stille in dich ein, in namen und waelder,ferne,
    es fehlte immer eine hand, versunken im schnee, solovki



    HYGIÈNE DE LA PEUR IV

    pointes noires, lignes blanches, russie, désemparé s’installe
    le silence, les noms abreuvés, fin des forêts,
    il manquait toujours une main, engloutie dans la fourrure

    pointes noires, lignes blanches, tu étais là, désemparé s’installait
    le silence en toi, dans les noms et les forêts, lointains,
    il manquait toujours une main, engloutie dans la neige, solovki




    Anne Seidel, Khlebnikov pleure [Chlebnikov weint, Poetenladen, Leipzig, 2015], II, III, IV, éditions Unes, 2020, pp. 36-41. Traduit de l’allemand par Laurent Cassagnau.






    Anne Seidel  Khlebnikov pleure 2




    ANNE SEIDEL


    Anne Seidel Denim
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Unes)
    la page de l’éditeur sur Khlebnikov pleure
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    une lecture de Khlebnikov pleure par Emmanuelle Rodrigues





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Nikolaï Zabolotski | Poète


    Поэт [1953]




    Черен бор за этим старым домом,
    Перед домом — поле да овсы.
    В нежном небе серебристым комом
    Облако невиданной красы.
    По бокам туманно-лиловато,
    Посредине грозно и светло,—
    Медленно плывущее куда-то
    Раненого лебедя крыло.
    А внизу на стареньком балконе —
    Юноша с седою головой,
    Как портрет в старинном медальоне
    Из цветов ромашки полевой.
    Щурит он глаза свои косые,
    Подмосковным солнышком согрет,—
    Выкованный грозами России
    Собеседник сердца и поэт.
    А леса, как ночь, стоят за домом,
    А овсы, как бешеные, прут…
    То, что было раньше незнакомым,
    Близким сердцу делается тут.







    POÈTE [1953]




    Derrière la maison vieille, une futaie noire.
    En face, un champ d’avoine.
    Pelote d’argent dans le ciel tendre,
    Un nuage d’une beauté extraordinaire.
    Voguant lentement à la dérive,
    De bruine et de lilas sur les côtés,
    D’aveuglante blancheur au milieu –
    L’aile d’un cygne blessé.
    En dessous, dans la véranda,
    Un adolescent aux cheveux gris :
    Un portrait dans un médaillon ancien
    Auréolé de fleurs de camomille.
    Sous le soleil de la campagne moscovite
    Il cligne ses yeux bridés,
    Interlocuteur du cœur et poète
    Forgé par les orages de Russie.
    Et s’agitent, forcenées, les avoines,
    Et se dresse, haute nuit, la forêt riveraine…
    Ce qui fut jusque-là inconnu
    Passe dans l’intimité du cœur.




    Nikolaï Zabolotski [Николай Заболоцкий], Le Loup toqué, anthologie poétique 1926-1958, éditions La rumeur libre, Collection La Bibliothèque, 2015, page 154. Traduit du russe par Jean-Baptiste Para.



    _______________________________
    * Poème écrit après une rencontre avec Boris Pasternak dans sa datcha de Peredelkino. (N.d.T.)





    Nikolaï Zabolotski  Le Loup toqué



    NIKOLAÏ ZABOLOTSKI


    Nikolaï Zabolotski
    Source




    ■ Nikolaï Zabolotski
    sur Terres de femmes


    L’adieu aux amis [1952] (poème extrait de La Fille laide et autres poèmes, 1955)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Encyclopædia Universalis)
    une notice bio-bibliographique sur Nikolaï Zabolotski, par Claude Kastler
    → (sur En attendant Nadeau)
    Zabolotski : un oubli réparé, par Christian Mouze
    → (sur Œuvres ouvertes)
    Nikolaï Zabolotski | Testament
    → (sur La Cause Littéraire)
    Nikolaï Zabolotski (1903-1958), Le Loup toqué (chronique de Matthieu Gosztola)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Hélène Révay | [J’ai ce matin dans la tête…]


    [J’AI CE MATIN DANS LA TÊTE…]




    J’ai ce matin dans la tête
    des festins inavoués,
    des heures tranquilles passées
    sous le soleil du midi
    à flâner et à rêver tout bas
    à la clarté des choses qui naissent
    avec le plus de certitude dans l’imagination.

    J’ai ce matin dans la tête des fêtes
    qui ne trouvent jamais l’aube,
    des offrandes à donner et à recevoir.

    Ce n’est pas que le temps me manque.

    J’ai l’intuition ferme
    que nous guidons notre temps,
    que nous le tordons à notre avantage,
    que nous ne nous calculons que
    par rapport à notre tâche.

    J’ai ce matin dans la tête
    un flux incessant à l’oreille
    et le son des cloches matinales
    pour guider mon éveil.




    Hélène Révay, J’emprunte la route qui rend fou l’horizon [Recours au poème éditeurs, 2015], éditions Unicité, Collection Le Vrai Lieu dirigée par Laurence Bouvet, 91530 Saint-Chéron, 2020, pp. 24-25.





    Helene Révay  J'emprunte la route qui rend fou l'horizon 3




    HÉLÈNE RÉVAY


    Helene Revay2
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une notice biographique sur Hélène Révay
    → (sur le site des éditions Unicité)
    la fiche de l’éditeur sur J’emprunte la route qui rend fou l’horizon





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    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • 6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 6 juin 1951 naît à Milan le poète Milo De Angelis.





    Milo portrait 1
    Source







    La voix du poète milanais Milo De Angelis est l’une des plus originales et des plus personnelles de la poésie italienne d’aujourd’hui. Marquée par une tension extrême, cette voix est une voix du souffle. Une voix pour qui l’inquiétude de l’expérience intime est en consonance à la fois discrète et forte avec tout ce qui relève de la tragédie humaine. La douleur sous-jacente – traversée par les ombres des êtres aimés et entée à une profonde déchirure existentielle – est le plus souvent évoquée avec une tendresse qui déconcerte et bouleverse.

    Tout ce qui jalonne la vie de Milo De Angelis – ses amours, ses amis, ses compagnons de lycée, ses activités sportives (le foot), son travail d’enseignant à la prison de haute sécurité Opera,… se déroule sur une toile de fond omniprésente, celle de sa ville natale. Milan.

    La langue de Milo De Angelis est une langue puissante et sans artifice, une langue aux images aussi singulières que mystérieuses qui, face à “l’obscur” qui nous menace, affirme la nécessité d’une présence à l’autre. La voix de Milo De Angelis est une voix poétique hors temps, et cependant profondément ancrée dans notre temps. Tout entière traversée par un lyrisme dont l’élan, unique, touche au plus vrai.

    Parmi les publications les plus importantes figurent les œuvres suivantes :

    Somiglianze (Guanda, 1976)

    Millimetri (Einaudi, 1983)

    Terra del viso (Mondadori, 1985)

    Distante un padre (Mondadori, 1989)

    Biografia sommaria (Mondadori, 1999)

    Tema dell’addio (Mondadori, 2005) | Thème de l’adieu (éditions Nous, 2010)

    Quell’andarsene nel buio dei cortili (Mondadori, 2010)

    Incontri e agguati (Mondadori, 2015) | Rencontres et guet-apens (Cheyne éditeur, 2019)

    Linea intera, linea spezzata (Mondadori, 2021).

    Les entretiens de Milo De Angelis sont rassemblés dans La parola data. Interviste 2008-2016, comportant un DVD réalisé par Viviana Nicodemo (Mimesis, 2017).





    Milo montage 2
    MILO DE ANGELIS


    Milo VivianaSource




    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    [A volte, sull’orlo della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par AP ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions NOUS, 2010)



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant quinze de ses poèmes
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Eavan Boland | Quarantaine



    QUARANTINE



    In the worst hour of the worst season
    of the worst year of a whole people
    a man set out from the workhouse with his wife.
    He was walking – they were both walking – north.

    She was sick with famine fever and could not keep up.
    He lifted her and put her on his back.
    He walked like that west and west and north.
    Until at nightfall under freezing stars they arrived.

    In the morning they were both found dead.
    Of cold. Of hunger. Of the toxins of a whole history.
    But her feet were held against his breastbone.
    The last heat of his flesh was his last gift to her.

    Let no love poem ever come to this threshold.
    There is no place here for the inexact
    praise of the easy graces and sensuality of the body.
    There is only time for this merciless inventory:

    Their death together in the winter of 1847.
    Also what they suffered. How they lived.
    And what there is between a man and a woman.
    And in which darkness it can best be proved.




    Eavan Boland, New Collected Poems, Carcanet Press Ltd, 2005.





    Eavan Boland  New Collected Poems







    QUARANTAINE



    À la pire heure de la pire saison
    de la pire année de tout un peuple
    un homme quitta l’asile des pauvres en compagnie de sa femme.
    Il se mit à marcher, ils marchèrent ensemble, vers le Nord.

    Mais la famine la rendait si fiévreuse qu’elle ne put le suivre.
    Alors il la souleva, la porta sur son dos.
    Il marcha ainsi vers l’ouest, l’ouest encore, enfin le nord.
    Jusqu’à ce qu’à la tombée de la nuit, ils fissent halte sous le firmament gelé.

    Au matin, on les retrouva morts tous les deux.
    De froid. De faim. Victimes de toutes les toxines de l’histoire.
    Mais elle avait les pieds serrés contre sa poitrine à lui
    Qui lui avait offert la chaleur de son corps en ultime cadeau.

    Ce seuil, ce n’est pas à un poème d’amour de le franchir.
    Pas de place ici pour l’éloge imparfait
    des grâces faciles et de la sensualité du corps.
    Seulement le temps de faire l’inventaire impitoyable qui suit :

    Leur mort, à tous deux, pendant l’hiver 1847.
    Leur degré de souffrance. Leur vie.
    Le lien qui peut unir un homme à une femme.
    Et les heures sombres où l’on en donne la plus belle preuve.




    Eavan Boland, Une femme sans pays [Against Love Poetry, W.W. Norton, 2001], édition bilingue, Le Castor Astral, Collection « Les passeurs d’Inuits » dirigée par Jacques Darras, Martine De Clercq et Jean Portante, 2015, pp. 124-125. Traduit de l’anglais (Irlande) par Martine De Clercq.





    Eavan Boland montage




    EAVAN  BOLAND (1944-2020)


    Eavan Boland
    © Linda A. Cicero/Stanford News Service
    Source





    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du New York Times)
    Eavan Boland, ‘Disruptive’ Irish Poet, Is Dead at 75
    → (sur YouTube)
    Poet Eavan Boland Reads “Quarantine”
    → (sur le site du Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Une femme sans pays





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Guy Chaty | Le dédoublement


    LE DÉDOUBLEMENT



    La première fois que je me suis trouvé face à une classe, j’ai été pétrifié d’angoisse, incapable de prononcer un mot. J’étais figé, et je savais que j’étais figé. Le temps s’écoulait, impitoyable.

    Peu à peu, j’ai pu agir devant les élèves. Au début, j’en étais surpris : je me dédoublais, je me voyais en train de parler, de bouger, et je m’en étonnais. Quoi, c’était moi ce jeune homme qui commandait à cette assemblée d’enfants !

    Plus tard, professeur, j’ai perdu peu à peu cette impression de dédoublement que j’éprouvais dans mes débuts de « seul en scène » et je le regrettais presque :

    Curieux. Je ne me vois plus parler.

    Dans ma classe, ce matin, j’ai essayé de me dédoubler afin de me trouver ridicule. Je ne me suis pas trouvé ridicule, je ne suis même pas sorti de moi. Je faisais corps avec mon personnage. J’étais lui. Je vieillis.

    Je trouvais très normal de parler à cet instant et dire ce que je disais. Cela ne m’étonnait pas. Je me détache de ce que je voulais être. Je n’y crois plus. Je m’accepte.

    Mais aussi je faisais de la provocation et de la surenchère, du défi : je jouais à me montrer que je ne m’étonnais pas. J’insistais. Cela m’intéressait et m’étonnait : je regardais celui qui n’était pas étonné et cela m’amusait de le voir ainsi.

    Comme comédien, quand j’entre sur scène, je suis tellement horrifié par les regards des spectateurs avides et convergents vers moi que je me dis ; que fais-tu là ? Pourquoi te mettre dans une situation pareille, tu n’étais pas contraint !

    Pourtant il faut commencer… je me pousse à parler, à jouer… et c’est parti.

    Je me vois dans l’action, à côté de moi, et me mets à jouir du plaisir que je donne au spectateur, plaisir qui devient mien. Alors je me confonds avec moi-même pour en profiter pleinement, je ne fais plus qu’un, un heureux !



    Guy Chaty, J’avais quelque chose d’urgent à me dire, éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2015, pp. 33-35.






    Guy Chaty  J'avais quelque chose d'urgent à me dire



    GUY CHATY  (1934-2020)


    Guy Chaty 2





    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Guy Chaty
    le site personnel de Guy Chaty





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Rose Ausländer | Janvier




    JANVIER



    Janvier
    Le nouvel an

    Dans mon cœur
    Tombe la neige

    Sur ta joue
    Fleurissent des roses

    Le cheval de bois de notre enfance
    Est une luge
    Sur le chemin glacé
    Menant en Sibérie
    Où poussent des bonhommes de neige
    Enfantés par l’esprit de l’hiver

    Retournons
    Avec l’esprit de l’hiver
    Dans le nouvel an




    Rose Ausländer, Pays maternel [Mutterland, 1978], éditions Héros-Limite, Genève, 2015, page 32. Traduction de l’allemand par Edmond Verroul.






    Rose Ausländer  Pays maternel





    ROSE AUSLÄNDER


    Rose Ausländer
    Source




    ■ Rose Ausländer
    sur Terres de femmes

    Après le Carnaval
    Augenblickslicht (extrait de Kreisen/Cercles)
    L’île derive (Je compte les étoiles de mes mots/Ich zähl die Sterne meiner Worte)
    Während ich Atem hole (extrait de Blinder Sommer/Été Aveugle)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    la page consacrée à Rose Ausländer
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits (en allemand) par Rose Ausländer
    → (sur le site des éditions éditions Héros-Limite)
    la fiche de l’éditeur sur Pays maternel de Rose Ausländer






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Gabriella Musetti | Décentrements

    « Poésie d’un jour

    traduite de l’italien par Angèle Paoli



    SPOSTAMENTI



    I


    Sperimentiamo ogni giorno
    come siamo al mondo
    tentando strade
    che non arrivano
    nei luoghi cercati
    ma non è inutile il percorso
    se schiude l’attimo incompiuto
    se germina dalle prove
    il tempo che trasforma



    […]



    III


    restando sui limiti
    si arriva
    a dare spazio dentro
    l’isolamento
    non sembra perdita
    semmai ricerca
    slancio di frammento



    IV


    se dentro la materia
    si coglie – breve –
    il battito del tempo
    là dove palpita
    nel ritmo del cuore
    nasce la vita




    Gabriella Musetti, « Passaggi ibridrati » in La manutenzione dei sentimenti, Samuele Editore, Collana Scilla, 2015, pp. 52-54-55. Prefazione di Rossella Tempesta.






    Gabriella Musetti  La manutenzione dei sentimenti







    DÉCENTREMENTS



    I


    chaque jour nous expérimentons
    notre mode d’être au monde
    nous aventurant sur des routes
    qui ne conduisent pas
    aux lieux que nous cherchons
    mais le parcours n’est pas vain
    s’il ouvre sur l’instant inachevé
    si des épreuves germe
    le temps qui nous transforme



    […]



    III


    en restant sur le bord
    on parvient
    à donner de l’espace au dedans
    de l’isolement
    ce qui semble une perte
    est plutôt une recherche
    un élan de fragment



    IV


    si au sein de la matière
    on cueille – promptement –
    le battement du temps
    là où il palpite
    au rythme du cœur
    la vie émerge



    Traduction inédite d’Angèle Paoli





    GABRIELLA MUSETTI


    Gabriella Musetti
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poesia de Luigia Sorrentino)
    une page (en italien) sur Gabriella Musetti
    → (sur le site de Laura Ricci)
    Dall’obliquo scorrere del tempo alla manutenzione dei sentimenti. Laura Ricci sulla poesia di Gabriella Musetti





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 9 mai 1978 | Mort d’Aldo Moro in Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien

    Éphéméride à rebours



    Le 9 mai 1978 meurt à Rome l’homme d’État italien Aldo Moro. Ancien président du conseil national de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro est enlevé en mars 1978 par les Brigades rouges. Séquestré dans les environs de Rome, il meurt assassiné quelques semaines plus tard. Le 8 mai 2018, Libération titre à la « une » du journal : « Quarante ans après, l’assassinat d’Aldo Moro hante encore les consciences ».





    MATHIEU RIBOULET, ENTRE LES DEUX IL N’Y A RIEN (extrait)



    Dans cette chronologie réelle que je découpe comme une fiction, la fin de mon séjour en Italie a coïncidé peu ou prou avec la mort d’Aldo Moro, et je n’ai pas ressenti avec la même acuité que Massimo et ses amis l’aspect inexorable du processus de cette captivité et de son achèvement tragique, comme j’eusse pu le faire si, hypothèse d’école, Action directe, dont l’heure n’avait pas encore tout à fait sonné, avait enlevé et tué Mendès-France, dont l’heure était passée… Ce qui arrive au pays, aux hommes du pays, qui passe par la langue du pays, s’inscrit au corps plus sûrement et plus directement que ce qui doit transiter par l’analyse, la traduction, le sentiment d’étrangeté ; ça s’inscrit aussi, mais autrement, plus lentement. À l’exception des Brigades rouges, tout le monde voulait qu’Aldo Moro meure. Ça sonne comme une énormité, mais c’est irréfutable. Et ça ne dédouane pas les Brigades rouges, car évidemment si elles ne l’avaient pas enlevé personne n’aurait été conduit à préférer sa mort à sa libération. Voilà les mâchoires du piège, les données du problème, les parois de l’entonnoir, comme on voudra. Ça je l’ai su sur le moment, là-bas à Rome, grâce à Massimo, à tous les gens dans la ville qui, malgré les diversions confuses, l’amplification de la paranoïa par les médias, la désinformation généralisée via l’intervention supposée d’à peu près tous les services de renseignements du monde, népalais inclus, continuaient à réfléchir et à produire des analyses collectives acérées mais à peu près inaudibles. Je suis heureux d’avoir pu les entendre, même si, d’une certaine manière, ça rendait les choses encore pires que si elles m’étaient arrivées filtrées par la presse, à Paris, où l’on ignorait tout, ou presque, des enjeux italiens.

    Chacun savait qu’il n’y avait probablement pas un homme de quelque importance dans la hiérarchie de la Démocratie chrétienne qui ne dût quelque chose à Moro, et la signature imminente, mais reportée, du compromis historique avec le PC faisait des dirigeants de ce dernier mêmement des obligés de Moro. Tout ce beau monde campa d’emblée sur des positions très fermes : on ne négocie pas avec les terroristes, air connu. Négocier, en effet, c’est reconnaître à l’autre une légitimité, c’est donc, en l’occurrence, entamer un dialogue de nature politique entre des forces qui s’affrontent et se reconnaissent mutuellement comme opposées. Moro, en fin tacticien, avance dans ses lettres aux divers responsables de son parti et du gouvernement l’argument que rien n’oppose à une telle négociation, qui tournerait autour d’un échange de prisonniers (les principaux fondateurs des Brigades rouges étaient incarcérées), que l’histoire fourmille d’exemples d’États ayant procédé à de telles tractations, voire à des paiements de rançon, sans pour autant déchoir, que l’Italie, honnêtement, n’en est pas à un petit arrangement près ; que la ligne du refus, en revanche, débouche immanquablement sur la mort de l’otage ; et qu’il ne peut concevoir que ses amis politiques envisagent une telle issue, sinon sereinement, du moins sérieusement. On sait désormais qu’au même moment, au cours des entretiens quotidiens qu’il a avec ses ravisseurs, Moro tergiverse finement mais finit par dire des choses de la plus haute importance concernant le fonctionnement et les dérives de l’exercice du pouvoir par la Démocratie chrétienne ; évidemment il le fait à sa manière, dans une langue aussi sophistiquée que ses raisonnements politiques subtils et infinis, une langue « aussi incompréhensible que le latin » comme l’a écrit Pasolini, une langue que les Brigades rouges ne comprennent pas parce qu’ils ne la parlent pas. C’est, au sens le plus strict du terme, ce qu’on appelle un dialogue de sourds. L’État, de son côté, refuse tout dialogue mais tergiverse aussi, cherche à gagner du temps, cherche surtout à localiser Moro, qui est à peu de chose près sous son nez, à sept kilomètres sept cents du Palazzo Quirinale, où loge le Président de la République, Giovanni Leone, sept kilomètres deux cents du Palazzo Chigi, où siège le président du Conseil, Giulio Andreotti, six kilomètres cinq cents de la piazza del Gesù, où niche la basse-cour démocrate-chrétienne, à peine sept kilomètres de Saint-Pierre où règne qui l’on sait. On a infiniment glosé sur l’implacable exécution de l’enlèvement proprement dit, via Fani, le 16 mars, qui coûta la vie aux cinq hommes de l’escorte de Moro, sur l’organisation aussi implacable qui permit aux membres du commando des Brigades rouges de garder leur prisonnier en pleine ville, d’expédier une partie de ses lettres à leurs destinataires et à la presse et même de passer des coups de téléphone à la femme de Moro et à quelques autres interlocuteurs, de continuer à circuler dans la ville et dans le pays, prouesse inouïe que n’aurait pu réaliser qu’un groupe infiniment entraîné et bénéficiant de soutiens logistiques innombrables, d’où l’inévitable intervention des services secrets, qu’ils soient kirghizes ou burkinabés. On s’est moins étendu sur la passoire géante dont le ministère de l’Intérieur coiffa Rome, mais passons. Les faits sont là et un homme va mourir assassiné de onze balles dans la peau dans le coffre d’une 4L parce qu’aucun de ses alliés ne souhaite le voir sortir vivant et livrer le détail de leurs infamies respectives et parce que les hommes qui l’ont enlevé sont incapables de s’extraire de la logique qu’ils ont eux-mêmes mise en place et de comprendre que le cadavre qu’ils vont bientôt déposer via Caetani est un cadeau qu’ils font à ceux-là qu’ils combattent et qu’ils signent, ce faisant, leur propre arrêt de mort politique, quels que soient les avatars qui fleuriront encore le long de cette impasse. Cet échec, certains d’entre eux en ont fait depuis l’analyse implacable, ce qu’on ne peut guère dire de leurs adversaires d’hier…




    […]




    Bref, Moro est mort, le monde entier en a parlé mais c’est l’arbre qui cache la forêt, dans les sous-bois rôdent les poseurs de bombes, ceux qui ont ouvert le bal en 1969 à Milan et l’ont périodiquement relancé ensuite, ceux qui ne dorment jamais vraiment, piazza della Loggia à Brescia le 28 mai 1974, huit morts et cent trois blessés, la gare de Bologne le 2 août 1980, quatre-vingt-cinq morts et deux cents blessés… Les stratèges de la tension forment des réseaux dormants, il suffit d’un jappement pour qu’ils sortent des rêves, voient que les chiens errants se sont multipliés à force de baiser à même les terrains vagues, les niches ou les chenils qu’on leur a préparés, et qu’il va bien falloir les repousser du pied, leur casser quelques cotes, leur écraser la tête dans le sable mouillé, attendre que l’air marin évacue leurs odeurs, la trace de leurs pattes, l’écho des gémissements.

    Quelque chose manque toujours, un élément d’explication, un supplément d’amour, de sexe, de désir, de nudité, de raison, un lieu où reposer l’âme qui a erré, longuement, lentement, sur ces terrains de joie, d’action et de pensée, où reposer aussi le corps qui l’a portée et qui a découvert, dans le creux d’un buisson, où se tenait le monde, et les gestes à faire pour marcher dans son axe. Un lieu de temps et de conscience où poser la colère, un lieu d’épaules nues, de feuillages au front.

    J’ai passé une dernière nuit avec Massimo, l’horizon de cette nuit c’était l’amour, c’était garder le plus longtemps possible en moi son corps ligneux, mais ni lui ni moi ne nous bercions d’illusions : après le massacre de Stammheim et le bain de sang italien, l’horizon de l’Europe c’était la mort. Il fallait en finir avec la politique. Épuisés et distraits nous avons consenti, quoi qu’on dise, quelque temps qu’on y ait mis, je ne vous accuse de rien, à en finir avec la politique pour ajourner la mort.



    Mathieu Riboulet, « III – La mort à l’horizon du monde, 1978 », Entre les deux il n’y a rien, Éditions Verdier, 2015, pp. 128-129-130-135-136.






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    MATHIEU RIBOULET


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    ■ Mathieu Riboulet
    sur Terres de femmes

    Septembre 1972 | Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    [Le sexe ça n’est pas séparé du monde] (extrait d’Entre les deux il n’y a rien)
    L’Amant des morts (lecture d’AP)
    Passé le pont (extrait de Nous campons sur les rives)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Mathieu Riboulet, Entre les deux, il n’y a rien (émission Les Bonnes feuilles | 14-15 du 24 août 2015 : Mathieu Riboulet présente et lit les premières pages de son récit Entre les deux il n’y a rien)
    → (sur Terres de femmes)
    29 septembre 1571 | Naissance de Caravage (+ un extrait des Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet)



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  • Mathieu Riboulet | [Le sexe ça n’est pas séparé du monde]



    [LE SEXE ÇA N’EST PAS SÉPARÉ DU MONDE]



    Un mot encore de Martin, du continent Martin à qui je dois tant, à qui je dois tout, en premier lieu, on l’aura compris, d’avoir appris à lire en moi, à lire mon corps en lisant le sien. Parce que si, quand l’homme de Billancourt s’est présenté à moi, j’ignorais tout de tout, à l’arrivée d’Antonio j’avais, grâce à Martin, fourbi quelques-unes de ces armes dont l’utilité ne s’est, à l’heure où j’écris, toujours pas démentie. Martin m’a dit voilà comment ça marche et j’ai dit à Martin voilà comment ça marche, ensemble on a marché dans l’aventure du corps, notre seule possession. L’ivresse de la découverte nous jetait l’un dans l’autre quasiment tous les jours du printemps 75. La fois où nous avons franchi le pas suivant : Martin étendu sur le dos au bord du lit, moi à genoux par terre, ses jambes reposant doucement sur mes épaules, sa queue dans ma bouche en une adéquation parfaite, au point que parfois nous suspendions tout mouvement, concentrés, lui dans ma bouche, moi l’absorbant, dans une certitude irréversible de toucher là sans nous payer de mots l’essence du monde, sa fonction essentielle, d’être au monde en un mot, et le plaisir ouvrant nos corps, repoussant leurs limites, le plaisir étendant le monde à l’infini dans lequel nous loger, le plaisir étendant nos corps à l’infini dans lesquels accueillir la terre qui nous portait, Martin m’a dit, Prends-moi, j’étais dans l’ignorance du sens que revêtaient ces deux mots accolés mais sûrement pas de la chose qu’ils recouvraient, il a quitté ma bouche et ses jambes mes épaules, qu’il a ramenées à lui, effectuant la jonction de ses genoux avec son torse, je me suis relevé, j’ai accédé à sa demande, et son corps s’est ouvert, le monde s’est engouffré dedans à ma suite, et Martin éclaté sur le lit, souriant, mon regard dans le sien, Ne me laisse pas tout seul dans une joie pareille… Sans doute est-ce le lendemain, ou encore le soir même, que j’ai pu le rejoindre dans le démembrement auquel convie le corps quand on l’ouvre doucement à la poussée de l’autre s’introduisant en nous. Martin au fond de moi, élégant, attentif, Et si je vais trop vite dis-moi de ralentir, Non Martin continue, entre nous deux il n’y a plus que la valeur des peaux, je veux bien que le monde entre, m’ouvre, me grandisse, s’il doit me dévaster il me dévastera ; nous avons touché là de bien grandes merveilles. Et de fait il nous a dévastés, il a même privé Martin de ses beautés, le monde n’est pas tendre pour les chiens qu’il élève, on se demande pourquoi il nous garde quand même plutôt que nous noyer dès qu’on ouvre les yeux. Cinq ans, il nous a concédé cinq ans, et ensuite quelques miettes, puis il a changé d’axe et nous, donc, d’horizon, troquant la mort d’État contre la mort antique, la mort d’avant l’État, la mort d’épidémie, la mort qui trie les chiens.



    Mathieu Riboulet, « II, Le sexe ça n’est pas séparé du monde. 1977 », Entre les deux il n’y a rien, Éditions Verdier, 2015, pp. 94-95-96.






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    ■ Mathieu Riboulet
    sur Terres de femmes

    Septembre 1972 | Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    9 mai 1978 | Mort d’Aldo Moro in Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    L’Amant des morts (lecture d’AP)
    Passé le pont (extrait de Nous campons sur les rives)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Mathieu Riboulet, Entre les deux, il n’y a rien (émission Les Bonnes feuilles | 14-15 du 24 août 2015 : Mathieu Riboulet présente et lit les premières pages de son récit Entre les deux il n’y a rien)



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