Étiquette : 2015


  • Cécile Guivarch, Renée, en elle

    par Angèle Paoli

    Cécile Guivarch, Renée, en elle,
    Editions Henry, Collection La Vie, comme elle va, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    DE L’AÏEULE À LA DESCENDANTE, UNE LEÇON D’AMOUR



    Longtemps Renée, en elle a résonné sous mes paupières. Telle une mémoire oubliée. Une part de moi-même, lointaine et étrangère, mais cependant sensible, vivante ― écho ténu d’un vécu ancestral davantage livresque qu’issu d’une expérience réelle. C’est du titre du livre, sans doute, qu’émane cette présence mystérieuse ; des sonorités du titre. De ses allitérations en « n » autour de l’alternance du [e] fermé et du [Ɛ] ouvert ; sans doute en raison aussi de ce [r] inaugural qui roule, amorti par un [ə] muet, puis s’élance, après la virgule, ailé. Ouverture, envol, élan ? Pourtant, dès l’incipit de Renée, en elle, recueil en prose que Cécile Guivarch dédie à ses aïeules, et à Renée en particulier, s’impose la présence de la mort, avec pour prémices, son lot de souffrances de malheurs de larmes et de sang. C’est peut-être en raison de cette présence itérative de la mort, de son omniprésence, que la lectrice que je suis a longtemps résisté à rendre compte de sa lecture, non pour se protéger de la prégnance de la mort mais pour laisser vibrer encore les sonorités incantatoires du titre. Dont la magie continue de m’habiter. Renée, en elle.

    Renée, c’est cette aïeule lointaine dont « elle », la narratrice, s’est emparée de l’histoire. Pour s’en imprégner l’assimiler la faire sienne. L’incorporer. « En elle ». Une histoire qu’il a fallu aller chercher très loin, jusque dans les registres d’état-civil que plus personne ne consulte. Il a fallu remonter le temps pour retrouver Renée, l’aïeule, effacée de longue date de la mémoire familiale. Renée, depuis tout ce temps (1816-1817, c’est encore l’aurore du dix-neuvième siècle) oubliée parmi tant de souvenirs jaunis dont plus personne n’a cure. Sinon « elle », la narratrice d’aujourd’hui.

    « Je ne sais pas vraiment bien pourquoi je descends ainsi jusqu’à ces aïeux. Ni pourquoi je sors des malles en carton, des vieux registres qu’on ne regarde plus. Ce serait comme creuser, forer, en extraire les racines », confie Cécile Guivarch. Forer, creuser, extraire. C’est ce à quoi elle s’est attelée. Patiemment, avec ténacité. Pour cela, elle a mis à contribution les « généalogistes du Finistère ». Des archives mises à sa disposition, la narratrice a exhumé l’histoire de Renée. Il lui a fallu retrouver les pièces manquantes, les ajointer et combler les non-dits, les absences, les blancs. Mais l’histoire d’une vie ne se livre pas sans résistances. Peu à peu, pareille à une archéologue, la descendante a assemblé les tesselles. Fait surgir de la poussière la vie de Renée, son enfance paysanne, son amour pour Jean. Les noces bretonnes et les naissances, suivies de douloureux décès. Avec la mort de sa fille, la tragédie menace. Renée et Jean n’en réchapperont pas. Devenus orphelins, les enfants en bas-âge sont recueillis par la famille. Mais entre-temps, avant que le couple ne sombre, il y a les couleurs de Renée. Autres que le noir des deuils ou le blanc des linceuls. Ce blanc auquel Renée n’aura pas droit, livrée à la fosse commune. Les couleurs sont celles d’un bonheur éphémère, que dominent le bleu des yeux de la jeune Bretonne, les lapis-lazuli et la lumière ; peu à peu remplacés par un bleu délavé par les larmes, par le rouge du sang. Cependant, l’histoire est venue. « Quand j’ai eu l’âge de sa mort », confie Cécile Guivarch en parlant de Renée.

    « Ce qu’il y a avec Renée, c’est qu’elle me vient tout en morceaux, tessons de mosaïques. Je les assemble et tente de les harmoniser. Je m’évertue à donner à Renée de vraies couleurs. » Ainsi se recompose, « pièce par pièce », le tableau d’une existence. Ancrée dans une région précise, dans des mœurs rurales rudes et dures, dans une époque marquée par les famines, les grands froids et les sècheresses ; par la faim qui torture et qui décime. Par la misère qui guette et par la maladie qui s’en mêle. Au centre de cette histoire, liée au travail de la terre et aux récoltes, se tient Renée. Le portrait se précise, se parachève. Naissance, amour, tragédie et mort. Avec beaucoup de tendresse et une infinie patience, Cécile Guivarch se met en quête de l’ancêtre. Mais aussi à son écoute. Elle accueille Renée en elle, la reçoit, fait remonter à la surface ses plaintes ses cris ses maux. Elle est habitée par elle. Hantée par les images qu’elle suscite en elle ; par ses gémissements ses pleurs son souffle. La voix de Renée s’insinue se livre jusque dans les fibres profondes de la narratrice. Jusqu’à la faire hurler. Jusqu’à la faire se tordre de douleur et vomir. Comment se résoudre à supporter les injustices dont l’aïeule a été victime ? La narratrice vit au rythme de Renée, va de pair, traverse avec elle les affres des accouchements successifs ; partage ses chagrins ses hantises sa terreur que la mort ne lui ravisse une fois encore un autre enfant. Car si l’époque se résout à voir disparaître les nouveau-nés, Renée, elle, ne s’y résout pas. Dans le déroulé du temps, vie et mort sont liés ; le sang des naissances et celui des disparitions sont de même essence et partagent le même liant. Quant à la terreur de perdre un enfant, elle se transmet de génération en génération. La pensée obsédante de la mort réduit les mots au silence. Elle frappe parole et pensée d’interdit.

    En se mettant à la recherche de Renée, puis à son écoute, Cécile Guivarch a libéré l’aïeule de la chape de silence qui pesait sur elle. En libérant sa parole, en lui rendant sa voix, elle lui a rendu son souffle. Par l’écriture — une écriture sobre, soucieuse de coller au plus près au réel, et comme soudée à lui —, elle lui a accordé une seconde vie, étroitement liée à la reconnaissance. Ensemble, par le dialogue profondément humain qui les a unies l’une à l’autre, elles ont vécu une bouleversante leçon d’amour. Désormais, apaisée, l’aïeule peut rejoindre le monde des morts et reposer sans souffrance. La descendante, libérée de l’angoisse qu’elle portait en elle, peut désormais poursuivre son chemin. Dans la pleine lumière.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Renée, en elle



    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    Cent ans au printemps (lecture de Philippe Leuckx)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    [J’ai marché sur les morts]
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]



    ■ Voir aussi ▼

    J’écriture(s)[le blog de Cécile Guivarch]
    → (sur le site des éditions Henry)
    la fiche de l’éditeur sur Renée, en elle
    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui



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  • Thomas Kling | [Poeta en nueva york]



    Poeta en nueva york A
    Diptyque photographique, G.AdC






    [POETA EN NUEVA YORK]



    poeta en nueva york. was zu satellitnphotos, halb-
    inselgesprächn, blickn fürht, vornübergebeugtn ins
    ocular, zu checklistn, nacknstarre. zu nahaufnahmen
    von nahaufnahmen. poeta en nueva york. haarrisse,
    schlagschattn,wind. zugige strassnzüge, unterrumpelt
    von mondriaens subwayfahrplan, palermos widmung.
    stadtzunge nahaufnahme, verschwiegn. so strömt AUGN-
    ROST / BLICKKORROSION / WEGROSTNDE IN ALLER
    EILE AUGN /
    so strömt in nicht zu dünnem doppel-
    strahl so strömt an irgnd ecke unablässig wasser pfla-
    tschndhell aus dem hydrant; im insel-, halb im insel-
    wind, is dasn haufn klunker nur, zu füssn: hippokrene?







    Poeta en nueva york  B
    Diptyque photographique, G.AdC






    poeta en nueva york. regards dirigés vers des photos
    satellites, entretiens péninsulaires, courbés sur l’oculaire.
    vers des check-lists, la nuque raide, de plan rapproché
    en plan rapproché. poeta en nueva york. fissures étroites,
    ombres portées, vent, fronts de rues soufflés qu’ébranle
    le métro, les lignes de mondrian, la dédicace de palermo.
    plan rapproché langue citadine assourdie. ainsi s’écoule ROUILLE
    OCULAIRE / CORROSION DU REGARD / RONGÉ PAR LA ROUILLE
    EN UN CLIN D’ŒIL /
    ainsi s’écoule dans un double flux plutôt
    dense ainsi s’écoule de toute part sans cesse l’eau jaillie
    de la borne d’incendie ; dans le vent insulaire, presque
    insulaire, juste un tas de cailloux aux pieds : hippocrène ?




    Thomas Kling, “Manhattan Espace Buccal” [Manhattan Mundraum, 1996], in Manhattan Espace Buccal, Éditions Unes, 2015, pp. 24-25. Traduit de l’allemand par Aurélien Galateau. Vignette de couverture de Philippe Cognée.






    Thomas Kling, Manhattan Espace Buccal.jpg 2






    THOMAS KLING


    Kling-Thomas04_s
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site BLDD)
    une page sur Manhattan Espace Buccal de Thomas Kling
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits par Thomas Kling




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  • Francesca Y. Caroutch | Lisière de l’aube



    LISIÈRE DE L’AUBE



    Le silence coupe en deux la chambre
    vide comme le plein
    où nous nous aimons

    Vieux sage asiatique
    le chat qui feint de dormir
    contemple la scie qui mord
    dans une planche

    Transparence des objets
    après une averse
    Le génie du lieu surgit
    çà et là sur le lac
    Portique ensorcelé des saisons
    Béance spatiale de la rose
    ouvrant un chemin de métaphores

    Un ange s’égare un instant
    dans une taverne
    illuminée de chaux
    où rôde la mort sans anecdote



    Francesca Y. Caroutch, L’Or des étoiles, Éditions du Cygne, Collection « Poésie francophone », 2015, page 47. Préface de Salah Stétié.






    Francesca Y. Caroutch






    FRANCESCA  Y.  CAROUTCH


    Francesca Y. Caroutch 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel de Francesca Yvonne Caroutch
    → (sur le site des Éditions du Cygne)
    une page sur Francesca Yvonne Caroutch
    → (sur Salon littéraire)
    une lecture de L’Or des étoiles par Jean-Paul Gavard-Perret




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  • Claude Ber, Épître Langue Louve

    par Angèle Paoli

    Claude Ber, Épître Langue Louve,
    Éditions de l’Amandier, Amandier Poésie,
    Collection Accents graves | Accents aigus, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    ET QU’ENFIN « S’APAISENT LOUPS ET LIONS… »



    Épître Langue Louve. Trois mots qui surprennent, qui enserrent dans leur mouvement de spirale et qui happent, emportent dans un tourbillon de maelström. Promesse de volubilité ensauvagée au cœur de la langue. Mais, avec elle, dans le tournoiement qu’elle génère, promesse de bien au-delà encore. Muscle polyglotte endiablé, la langue se refuse à lâcher prise. Elle se joue des limites. Elle les rudoie, elle les repousse hors de leur gangue.

    Construit autour de trois vocables, le dernier recueil poétique de Claude Ber — Épître Langue Louve — travaille la langue au corps et au cœur. Colorée, vivace, bruissante, énigmatique, passionnée, infatigable, polymorphe, rebelle, révoltée, la langue de la poète est langue ardente. Elle interroge sans relâche. Sonde malaxe triture. Inlassablement. Et bouscule provoque. Infatigable langue de louve.

    Dix fragments composent cette étonnante traversée épistolaire. Dix « lettres » numérotés de 1 à 10, pour se laisser rejoindre par elle, se laisser porter emporter par son mouvement de vague. Charnue charnelle, la langue chancelle charrie voluptueuse des mots passeuse de violences à peine contenues livrée à des convulsions orageuses ; cependant rappelée à l’ordre par les en-têtes qui la guident la contiennent dans leur régularité récurrente. L’épître est là en effet pour rameuter en son giron littéraire les formes, calmer les emportements, permettre aux questionnements – incessants — de prendre place dans la page. Avec, pour boussoles et pour balises textuelles, non pas une adresse mais un titre et une citation l’un à l’autre encordés, accordés :

    « Épître langue louve fragments 5

    De main méditante

    On prétend que la parole voit ou nul ne l’entend

    Edmond Jabès »

    Et, plus loin, comme un rappel, dans les mêmes fragments 5 :

    « je t’e-maile de main méditante     ce qu’on pense est trop complexe pour servir à vivre, ce qu’on sent plus souvent un obstacle qu’un secours
    même à pas plombés de scaphandre
    ça dérape toujours           dans le désossement ».

    Dans un déferlement qui s’invente dans le roulis toujours recommencé, la langue godille parfois d’un fragment à l’autre qui cherche passage et qui franchit l’espace de la page. Ainsi du final de ces mêmes fragments :

    « néanmoins j’aime cette heure où la peau se
    souvient
    ni noir ni lumière             et ce passage
    — paume ouverte entre chien et loup sur le sans raison de ce qui cherche — il se franchit »

    Et du commencement des fragments suivants :

    « comme un texte      ou un temple » (in Épître langue louve fragments 6, In memoriam, Ad plures ire)

    Et le poème de livrer momentanément passage — « paume ouverte » — à d’autres formes éphémères, en proie au même « désossement » :

    « renoncules lotiers lupins saponaires du square dans le multiple de leur nom et celui
    un
    du lavis bleu au ciel coupé des vitres

    dans le désassuré des apparences
    l’instant à son suspens de vide »,

    lesquelles formes cèdent cependant place et voix à une lettre d’amour, bouleversante de beauté :

    « je te souviens pourtant au nid des corps à souvenir
    champ de maïs au traversant des plaines
    bruissant de vent
    sa coulée de couleuvre entre les épis […]

    tandis que, soulagée de tout, dans le léger d’une vie soufflée comme un cheveu, j’ai ramené à mon visage le tien et tous ceux que j’ai aimés pour qu’ils m’emportent avec la joie que j’ai eue d’eux ».

    « [A]u traversant des plaines »… Il apparaît parfois, au détour de la page, que la poète affectionne les substantivations par dérivation impropre. Qui donnent au phrasé de Claude Ber son parlare cantando si particulier. Sa coloration charnelle intime et personnelle.

    Au cœur de l’épître, la langue couve ses mots jusqu’au déferlement suivant, qui la fait exister dans cet « illimité de la connaissance » (qui, pourtant, « ne rejoint pas l’infini »). Louve sauvage rebelle in-domesticable, la langue poursuit son flux vers la diversité (« Ad plures ire »), s’adapte à tous les bruits s’accole aux variations qu’ils engendrent. Les mots s’allient les uns aux autres, créant leur chaîne ininterrompue de vocables. Ainsi se mêle leur essence, sans disjonction :

    « Dans la voix le cri des pipistrelles, le roucoulement des colombes, le piaillement des pies, le chuintement des chouettes, les trilles du rossignol et craintivement, allant au nénuphar la grenouille coassant quoi

    quoi demeure de ce bruitage ? De

    l’armada des mots ? des douilles de cette

    migration sonore ? dit-elle,

    une épine dans la glotte, un

    épis de maïs, le

    pis gonflé d’une bazadaise ruminant le

    foin de son nom ? Qu’attend-on de

    l’amour sa roucoulade ou

    son arête ?

    Dans l’air courbé le vol de

    nos voix et son cercle d’étamines, pistil de vent sur la cible du cœur. »

    Langues qui, dans leur emmêlement mystérieux, dans leurs limites à dire, dans leur ajointement les unes aux autres, parlent de l’homme et de son pourquoi au monde, épîtres dans lesquelles dialoguent les pronoms sans que les voix qui s’y répondent laissent transparaître quoi que ce soit de leur identité propre, mais se complètent et se précisent :

    « La lumière n’est-elle que l’envers de la nuit ? demande-t-elle. Un caillot de l’immensité ?
    Je dis l’immensité n’est pas l’éternité. […]

    Elle dit : ce n’est pas ce que j’appelle nuit cette durée entre les doigts qui la déchirent. Dans le monde la nuit dit-elle mais peut-être je me trompe…
    ainsi sont les mots : dépeceurs de dépouille
    et la nuit dont elle parle est cadavre de nuit. Une insignifiance grise. Une trahison de la nuit
    dans la bouche qui prononce en elle sa nuit. »

    Ou au contraire dialogues se perdant en énigmes, vaticinations sans prophètes suites de mots sans fin que rapprochent dans la même proximité des sonorités avoisinantes, allitérations et assonances :

    « Elle demande : Qu’est-ce que tu racontes ? Je caresse sa joue du regard, allant le dit à son attente inventive, au clinamen du visage, nos voix couchées en nous
    avec l’envie de vivre comme un mot sur la langue
    à déglutir les multiples de l’univers
    pour un repos repu et consumé… »

    Ailleurs, dans Épître langue louve fragments 3, « Miserere », le dialogue se noue autour de la dénonciation de l’horreur, à partir de la citation de Borges :

    « l’Histoire, cette éternelle répétition et ce beau nom de l’horreur ».

    Suit une énumération de mots ayant pour commun dénominateur un même préfixe :

    « dans

    l’inex (orable / tricable / piable / cusable)

    l’inac (compli / cessible / ceptable)

    au jour le jour du pépiement des écrans

    avec les é (tripés / tranglés / cartelés / corchés/

    ventrés / têtés / viscérés)

    leur morcelé entre les langues

    dans le dés (assemblé / arrimé / espéré)

    le définitif de l’étripaille

    et la douceur des peaux… »

    Ainsi la langue bruit-elle dans un continuum de voix qui se croisent et croisent dans leur mouvement de cyclone que rien ne retient ni n’arrête le « bruitage » animalier qui peuple l’éther le monde la page. Une langue qui vibre et vit, invente son foisonnement pour défier le rien qui obsède — « et pas d’autres mystère à explorer que / celui des paupières qui se ferment » — ; une langue qui se joue de la cruauté qui nargue, à la vie à la mort — « l’abattoir n’est pas plus loin que le sommet. Ils se rejoignent dans l’union trismégiste des contraires » — ; langue de louve qui se love s’enroule dans l’envol des mots, élan ascendant descendant qui se faufile dans le plain-chant du poème pour puiser à la lumière nourricière l’énergie vitale qui le fait exister.

    « Un besoin de lumière.
    Même bougies ou lumignons. Leur ombre soyeuse. Presque de bête. De petit félin nocturne au poil doux. »

    Besoin de lumière jusque dans les interstices de la pensée pour tenter de débusquer le mystère de la vie au cœur de l’univers, sa raison d’être. S’il est possible. Comment être là, rivé à soi-même et aux autres dans l’absence de sens ?

    Il arrive un moment où « l’agitation de la langue » et son trop-plein se noient dans l’exagération envahissante, dans la surabondance. Le tourbillon des mots déborde en un tournis « hors d’atteinte » de « listage » :

    « en vrac des visages / des vélos / des intonations / des intentions / des réverbères / des émotions / des points de vue / des opinions / des feux rouges / des proportions / des déductions / des conditions / des sensations / des solitudes… »

    Il faut alors renoncer. Renoncer à dire la totalité du monde, sa folie exaspérée, son innombrable insoutenable, la multiplicité insaisissable des contraires qui l’agitent, leur infinie variété / variation ; renoncer à vouloir que se résorbent et s’annihilent les absurdités inconciliables incompatibles les violences obscènes l’incompréhensible l’impuissance la résignation et l’indifférence ; renoncer à vouloir que se joignent en une alliance pacifiée l’infiniment petit et l’infiniment grand…

    « Quant à joindre ces bris et bouts de bouts de tout l’un à l’autre, lombrics et comètes / le souci de garer la voiture et l’épouvante de la terre étoile morte / ce qui flotte de noyé et son laisser sombrer / l’éclair et son fracas de blanc alors même que l’orage le quitte dans un embrun de bruits
    et cetera und so weiter and so on
    je renonce

    je n’ai qu’une langue et dix doigts d’incertitude pour la disproportion et pas plus pour l’exister sans lassitude… »

    La sagesse ne voudrait-elle pas que nous apprenions à nous satisfaire de l’infime et à nous contenter, comme le suggère Basho, d’un « petit lopin » sans aller plus loin que le geste répété du ratissage :

    « notre séjour en ce monde

    à ratisser un petit lopin… »

    ou peut-être, au meilleur de « certains soirs », ne s’attarder que sur les gestes qui convoquent la tendresse :

    — « certains soirs je tombe dans ton ombre, toi dans la mienne et nous nous
    absentons avec délice de nous-mêmes… »

    Alors, peut-être, Orphée pourra-t-il s’avancer jusqu’au jusant de la langue dans le bruissant des mots afin qu’advienne une fois encore la magie du poème. Et qu’enfin « s’apaisent loups et lions, langues léchant à sa main le son de la parole ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claude Ber, Epitre, Langue Louve




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Place de la Sorbonne)
    une lecture d’Épître Langue Louve par Joëlle Gardes



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  • 19 mai 2007 | Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre »

    Éphéméride culturelle à rebours


    La-Lucarne-des-ecrivains1
    Source






    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, ARMEL EN CHEMISE



    La chemise les accueille
    avec, façon épaulettes
    symétrique, un motif, vers le haut

    les passants : passé le seuil
    voici, Armel, des assiettes
    en carton à remplir, des gâteaux

    des boissons. Fin comme feuille
    le motif frappe, qui prête
    à la lecture, avec froids et chauds.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, JEUNE FEMME CHERCHANT DES LIVRES EN ANGLAIS



    La voix qui tremble, ce très vrai, très
    pour dire quoi, lentement — que portent
    les émotions, routes à travers

    des livres, que la lumière plaît
    de cette après-midi, que transporte
    nous trouble, le frisson, étrangère

    blonde : tes cheveux rieurs, tes traits
    d’ailleurs ici, nous forment cohorte
    que, frémissements, tu considères.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ TOUJOURS, ROBERT



    Se fait, un endroit, dédié au livre
    peu à peu. La soirée se remplit
    par écoutes

    de ce fait. L’endroit, va, nous enivre
    feuillet à feuillet. Nous font des plis
    comme routes

    ce fait, l’endroit, qu’il fait bon y vivre —
    qu’ainsi, le passé, dans l’aujourd’hui
    s’ouvre, soute.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, « LA LUCARNE DES ÉCRIVAINS », PHILIPPE



    De lectures des journaux
    non pas pour information
    mais quelque musclée formule

    dont se doter, en appeau
    le sentiment de scansion
    porter, porter tant lunule

    comme cadeau, sur le dos :
    un instrument, ses leçons
    de musique, somnambule.





    Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre », (…) sur la ligne, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves / accents aigus, 2015, pp. 136-137-138-139.





    Surlaligne





    CHRISTOPHE LAMIOT ÉNOS


    Lamiot-enos-christophe
    Ph. © Olivier Roller
    Source




    ■ Christophe Lamiot Enos
    sur Terres de femmes

    The Sun Brings (lecture de Sabine Huynh)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site des éditions de l’Amandier)
    une fiche sur (…) sur la ligne de Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    un entretien de Christophe Lamiot Énos avec Emmanuel Laugier





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  • Sabine Péglion | [Tu sais il n’est de lieu]



    Petit bantou tu sèmeras la mangrove se dénouera
    Source





    [TU SAIS IL N’EST DE LIEU]




    Tu sais il n’est de lieu
    que celui que l’on sème
    au-delà de la porte


    Rien ne s’accroche aux murs
    Rien ne survit à l’enclos


    Seule la voix haut levée
    que le vent emporte


    Dernier matin l’aube sombre
    s’éclaircit sur Yaoundé


    Derrière les éclairs
    s’ouvre une porte


    Je te donne du temps
    Je te donne du temps


    Petit bantou tu sèmeras
    la mangrove se dénouera


    Petit bantou sous le soleil
    de tes moissons
    sous le soleil de ton rire
    Petit bantou on poursuivra




    Sabine Péglion, Écrire à Yaoundé, Temps totems tambours, Éditions Vincent Rougier, Collection « Plis Urgents » n° 36, 2015, pp. 28-29. Gravures et monotypes de l’auteur.





    Sabine Péglion, Ecrire à Yaoundé





    SABINE PÉGLION


    Sabine Peglion




    ■ Sabine Péglion
    sur Terres de femmes

    Naxos (extrait de Ces mots si clairsemés)
    [La glace dans les verres] (extrait de Derrière la vitre)
    [L’eau s’écarte] (extrait de Faire un trou à la nuit)
    [Ombre noire] (extrait du Nid)
    Prendre le temps (extrait de Traversée nomade)
    Que sais-tu
    Sabine Péglion | Jacques Bret, Australie, notes croisées (note de lecture de Cécile Oumhani)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Malhabile



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Vincent Rougier)
    une page sur Écrire à Yaoundé



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  • Dominique Sampiero, Chante-perce

    par Marie-Hélène Prouteau

    Dominique Sampiero, Chante-perce,
    Éditions Apogée, 2015.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau



    ARDEUR DU POÈME



    Le recueil de Dominique Sampiero (Chante-perce, éditions Apogée) est le fruit d’une résidence d’écrivain dans le Coglais, près de Fougères. Terre de poésie s’il en est, puisque Saint-Brice-en-Coglès est devenu premier « village en poésie » du Printemps des poètes. Avec ce titre, Dominique Sampiero prend à pleines mains l’outil utilisé en Bretagne par les ouvriers du granit pour creuser la pierre. Et le geste métaphorique du poète qui creuse lui aussi, mais dans un autre matériau, s’inscrit dans ce réseau d’images :

    « Nommer autrement et creuser sont une tentative pour faire vivre cet héritage et dessinent dans ce livre les deux veines d’une ardeur au poème ».

    Le « génie du lieu » a joué à plein sur cet enfant de l’Avesnois élevé sous un ciel bas, non loin des puits miniers et des hauts fourneaux. Dominique Sampiero est sensible à la puissance des lieux du bocage breton : les fougères, les eaux et les pierres qu’il nomme des « dormeuses ». Celui qui vit à double hauteur, celle de ces terres du Nord dont les hommes travaillent les soutes noires, celle des nuages où il ne cesse de rêver depuis l’enfance, entre ici en résonance avec « cette terre de sel et de cidre » :

    « pays de pierre entre les murs d’une patience cherchant à frôler les sources accroupies dans le creux de l’instant et que les mains reconnaissent, en écartant la bruyère des carrières ouvertes ».

    Le poète sait le pouvoir de la nomination poétique : il y a d’abord la musique des noms propres, Saint-Marc-le-Blanc, Saint-Hilaire, Coglès, Tiercent. Et aussi la longue liste qu’il égrène des prénoms de granitiers. Ou le sous-titre à l’image suggestive, « Haleine du pain ».

    La parole poétique, ici, fait monde : elle a ce pouvoir magique de susciter la vie dure, douloureuse, de ces « petites gens ». Poésie évocatoire au sens premier du terme, qui évoque, rappelle les esprits des disparus grâce au regard émerveillant du poète. Ce qui frappe chez Dominique Sampiero, c’est cette « ardeur » de l’écriture poétique ― le mot revient à plusieurs reprises.

    Le recueil se divise en six moments où alternent prose et poèmes, illustrés par six gravures épurées de Maya Mémin. Le premier moment, long poème en prose, s’attache aux légendes et aux traces qu’elles laissent dans nos vies :

    « Les légendes sont vraies. Aussi vivantes que nos rêves. Elles nous tiennent debout comme des arbres, nos racines puisant dans l’humus d’une mémoire qui se souvient de nous. »

    Comment mieux dire que l’imaginaire, cette fabrique de mystère et d’inconnu, est vital, qu’il prenne la forme du rêve, de l’art, de la poésie en particulier ? Pour le poète, « les légendes sont notre humanité sensible, un héritage de pure haleine, de premier mot et de premier soupir ». Voilà la nécessaire respiration qui nous ouvre à un autre monde, de liberté, de créativité, d’altérité. Il y a là une superbe méditation sur les légendes. L’approche de celles-ci est aux antipodes d’une vision folklorisée. Elle met à nu l’universel de ces récits mythiques qui est la part langagière de l’homme.

    Suit le second moment du recueil, une réflexion sur le travail d’écriture du livre en train de se faire. Le poète est celui qui est traversé par les formes :

    « Écrire commence quand tu effaces les mots en trop, puis ton corps, ton visage et ce qui continue de se manifester n’est pas toi, même si tu dis je, tu ne sais pas d’où ça monte, ni qui est celui qui trace les signes entre tes paumes ouvertes ».

    Le mouvement de l’écriture, chez lui, est mouvement d’allègement venu de l’entre-deux de la conscience. Écrire, une haute exigence qui rappelle l’escalade avec pitons et crochets et où l’on progresse au-dessus du vide. Il y a de l’inaccessible dans cette expérience de « la neige du papier ». Expérience toute en tensions et questionnements. Car écrire « souffre d’entendre les blessures se briser les ailes contre la mort […] installe un doute pire que vivre ».

    Commence le moment du recueil intitulé « Comme une pierre dans la main ». Le poète met en parallèle le travail des mots et celui des pierres, et la reprise de ces quatre vers, tout simples, plus loin dans le texte, fait l’effet de paroles de chanson qui reviennent :

    « C’est ici

    C’est dans ce pays

    Que m’est venue l’envie

    De poser les mots comme des pierres ».

    Dans ce jeu de miroirs entre ces deux labeurs, le poète saisit au vol la beauté de ces gestes d’hommes, peu bavards, dont il se sent proche. Bel hommage à cet autre ouvrage, celui qui s’attache aux pierres, « ces dormeuses [qui] envoûtent la légèreté de nos corps dans la traversée des prairies ».

    Le moment suivant, « Tendresse du châtaignier », s’attache à la légende particulière de la dame blanche. Elle est figure de légende, irréelle, dans ses voiles de brume, entre mystère et rêve. Corps de toujours, venu d’un très vieux temps. Mais elle fait aussi partie de la mythologie personnelle du poète : il y voit la femme, « l’anima » chère à Jung, dont la lecture lui est familière. Archétype de l’inconscient collectif qui représente l’aspect féminin en chaque homme. C’est dire si le souci de l’universel est bien présent ici.

    Vient ensuite la lettre-poème à Xavier Grall. Un ami poète, Yvon Le Men, lui a donné l’œuvre de celui-ci dans l’édition Rougerie à la couverture caractéristique. Avec l’allusion à la « maigreur de prince » plane soudain la haute silhouette du poète breton. Cette adresse-hommage, le plus souvent en distiques, prend l’allure d’une chanson de geste :

    « Je viens d’un pays qui n’est plus un pays

    Xavier ».

    Ce vers reviendra avec des variantes par la suite. Ainsi va se dérouler, par-delà la mort, un échange en amitié entre les « pays » respectifs, « aber et varech » de l’un et « flaques et fougères » de l’autre. Entre le « Je » du poète et le « Tu » de Xavier :

    « Donne-moi la force

    De dire […]

    De dire d’écrire comme toi ».

    Dominique Sampiero n’invente pas, il laisse remonter un détail, et voici que renaît la culture ouvrière qui est la sienne. Il lui suffit d’un trait, des « frottements [de] sempiternelles serpillères » des grands-mères, des « baisers au goût de houblon », des « corons classés à l’Unesco », pour faire vivre les lieux, les gestes, les luttes et les fêtes. La voix singulière de Dominique Sampiero est dans l’attention tendre, et coriace à la fois, qu’il porte aux êtres et aux choses. Son regard transfigure le quotidien et nous oblige à changer de point de vue :

    « On a tellement « mouru »

    Dans les coulées d’acier

    Tellement « mouru »

    Dans les galeries qui s’effondraient […]

    Tellement bu pour oublier

    Tellement prié en votant communiste

    Que tout aujourd’hui

    Nous semble triste et fade »

    Le sixième et dernier moment est un « Petit traité des hautes herbes en Coglais ». On retrouve à nouveau le rythme d’un long poème en prose, étonnant texte houle, comme l’herbe qui le suscite :

    « L’empreinte des corps laissée dans l’herbe est le visage de Dieu quand il s’oublie. Dieu n’existe pas dit l’herbe mais je suis son rire. »

    Poser le regard au ras des hautes herbes, c’est pour lui toucher à l’os des choses. Par moments, ces accordailles avec les hautes herbes atteignent au sentiment océanique de la vie.

    Une thématique traverse les six moments du recueil, comme d’autres textes antérieurs de Dominique Sampiero. Il s’agit de la mort qu’il évoque sous divers aspects. Mort des ouvriers dans les accidents de la mine, lien entre mort et légendes, présence des tombes, et, surtout, la mort du poète lui-même qui revient tel un troublant leitmotiv :

    « Ah quand je mourrai

    Enterrez-moi sous un pommier

    Dans un cercueil de bois le plus tendre

    Avec mes flaques mon ciel en aubier ».

    Avec ce Chante-perce, le poète polit le granit des mots qui donne sa saveur forte et fulgurante d’humanité à ce recueil. Son originalité est de promener son regard en altitude, à hauteur de nuages, sans renier la terre. Tendre et ardent, le cœur du poète vibre pour le présent. Engagé dans sa praxis rebelle de « buveur de ciel »*.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes





    _____________________________
    * Dominique Sampiero, Carnet d’un buveur de ciel, Lettres vives, 2007.






    Chante-perce 5





    DOMINIQUE SAMPIERO


    Dominique Sampiero
    Source



    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes

    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    Où vont les robes la nuit (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Nos lèvres et leurs baisers (extrait de La vie est chaude)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Dominique Sampiero
    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Dominique Sampiero
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    « La fièvre lyrique de Dominique Sampiero », par Jean-Michel Maulpoix



    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même



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  • Sylvie Fabre G. | [Plus forte que la forêt]



    COLLAGE DIPTYQUE -  Loup, y es-tu  -
    Collage-diptyque, G.AdC






    [PLUS FORTE QUE LA FORÊT]




    Plus forte que la forêt au Désert,
    Anna Livia en sa lancinante mélopée
    se fraie un passage dans l’énigme
    de l’invisible : Loup, y es-tu ?
    Sa demande pressante monte au faîte,
    rythme de grands rais les sapins mais,
    dessous, les mousses et les fougères
    étouffent les mots dans la répétition.
    Ils semblent s’éloigner pour mieux revenir :
    Loup, y es-tu ? M’entends-tu ?
    L’œil glaneur par aguets, la parole émotive
    court le risque de l’incarnation, trouve
    framboises comme alliées de secours
    et la voix rouge de sa dévoration
    l’hardie enfant étourdiment triomphe :
    Loup y est pas, il nous mangera pas !


    Quelle mère-grand démentirait son chaperon ?




    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres, L’Escampette Éditions, 2015, page 52.






    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres






    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes

    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    La demande profonde
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.




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  • Cédric Le Penven, Bouche-suie




    Vasarely
    Victor Vasarely, Zeta III, 1965,
    Tempera sur carton, 33 x 31 cm
    Source







    BOUCHE-SUIE
    (extrait)




    Après le mot chique, je voudrais le mot sommeil, le mot limpide, le mot flouve. Une nouvelle peau de mots qui sache tomber comme robe d’été, et disparaître lentement avec les bêtes nocturnes. Les serpents invisibles. La tête de Méduse qui roule au fond de l’Aveyron.




    Je prends une boule de glaise dans ma paume. La morsure du froid engourdit la mécanique complexe de mes muscles, et je veux savoir si je suis plus que cela : un agrégat d’atomes.




    Ma bouche-suie fait blocus. Elle réclame la retraite à trente ans, et j’ai seulement balbutié quelques poèmes. Juste le temps d’attiser l’amour, de vider le sac. Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine / Et mon mal est délicieux.

    Cédric Le Penven, Bouche-suie, Éditions Unes, 2015, pp. 32-33-34.







    Bouchesuie







    CÉDRIC LE PENVEN


    Cedric Le Penven
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Cédric Le Penven



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  • Jacques Moulin, Journal de Campagne

    par Angèle Paoli

    Jacques Moulin, Journal de Campagne,
    Æncrages & Co, Collection voix de chants, 2015.
    Dessins de  Benoît  Delescluse.



    Lecture d’Angèle Paoli



    JUSQU’À L’ABRIL D’AVRIL



    Journal de Campagne. Tel est le titre que Jacques Moulin a choisi pour son dernier recueil poétique. Je pense aussitôt à « campagne » d’Italie / d’Égypte / de Russie… Mais non, ce n’est pas cela. Il ne s’agit pas ici d’un énième récit rescapé de la vareuse de quelque grognard de l’armée napoléonienne. L’on pourrait aussi s’attendre, avec le terme « Journal », à une réflexion de diariste (comme le curé de Bernanos), écrite à partir d’un lieu donné et dûment daté. Ce n’est pas non plus tout à fait le cas. Pourtant la campagne existe bel et bien. Celle d’Alsace. Avec le village d’Uffholtz, dans le Haut-Rhin. Et son Abri Guerre, point de départ de l’écriture. Mais en place des dates, le poète en résidence dans son « Abri-mémoire » a choisi les mots. Des mots en rapport avec le thème proposé au résident. La « fortification ». Ces mots font figure d’entrées. Ouvertures vers un espace autre. L’espace du poème. Des poèmes pour se fortifier.

    « Fortifiez-vous c’est comme

    Un chant pour soi une romance un peu d’histoire

    Des retrouvailles dans l’inconnu ».

    À la fin du recueil, un petit lexique reprécise le sens exact de chacun des termes ― quatorze en tout ―, dans le contexte où ils sont employés. Celui de la Grande Guerre. 1914-1918. La terre d’Uffholtz est une terre de frontière avec tranchées, casemates, réduits, remparts. Et, partout, des brèches des fossés des abris. La découverte de cet univers se fait cependant sans heurt, en quatre temps. Et non sans plaisir, côté lecteur, ni sans curiosité. Cheminement / Approches / Meurtrières / Épaulements. Et la progression, par étapes ; ponctuée par les quatre dessins de Benoît Delescluse. Pour dire l’ombre et la lumière, pour dire leur trouée dans les feuillages. Ainsi découvre-t-on, en progressant dans ce curieux ouvrage, que le terme « cheminement » renvoie aux « travaux d’approche pour progresser à l’abri vers l’ennemi ». Dans le même temps, « approches » — au pluriel — désigne les « tranchées pour s’approcher d’une place sans s’exposer ».

    Mais toujours « [l]e poème tient debout sans rempart ». Quant à l’abri, cet Abri Guerre que l’on rejoint au cours de l’avancée, c’est

    « [t]out un chemin de voyelles pour toucher la fissure

    Agripper la paix ».

    On l’aura compris, le poème s’écrit pour résister à. Partant, pour donner vie à. La source les saisons la vigne les vergers. La poésie. Et « le poème prend ». Jusqu’à la paix :

    « Le pré en taupes cloque la terre

    Le rossignol gîte en muraille

    Tout reprend paix devant l’abri ».

    Le lexique du recueil s’approprie la coloration des abris chargés d’oubli et de mémoire :

    « Un abri fortifié souterrain

    Abri pour la mémoire

    Mémoire forte mémoire des fonds

    La mémoire oublieuse sans abri ».

    Et le poète joue, détourne, glisse, creuse, explore l’univers des tranchées, retourne la terre et les mots, les malaxe, de la bouche et des yeux, de l’oreille et des dents :

    « Trachée réduite suffoquer

    Pharynx perdu tu dis plus rien

    Poète casqué vers cadencés ».

    Et, dans le poème suivant, sur la page en vis-à-vis :

    « Tranchée guérite à terre

    Toit à cochons caponnière

    Cou tordu sabots crottés

    Fiente aux ergots

    Creuser toujours ».

    L’univers de l’abri abolit la notion habituelle d’espace, toutes directions confondues. S’abriter alors, nécessite de jongler avec les quatre coins du réduit, pentes talus boyaux :

    « S’abriter sous dedans derrière à l’intérieur

    Au fond paroi par-dessus

    Éviter l’avant se mettre en crypte

    Cultiver ses arrières à couvert

    Consolider son terme prendre asile ».

    L’arrivée à Uffholtz donne naissance à un très beau texte en prose qui résonne comme un rappel des paysages vosgiens, vignes et Ballons, chemins de terre avec « le vent des consonnes dedans les branches », les échos entre les voyelles [u] et [o], entre « ligne de crête » et « ligne de front ». Vient l’emménagement dans l’abri, et la phrase s’adapte au décor dans lequel elle naît : elle se mêle à la terre, suit les courbes et les entailles, murs et collines ; forge et sculpte :

    « La phrase galope la plaine le vers se pose en glaise

    Rencontre la tranchée comme un mot qui cisaille

    Une étendue de pages

    Zigzague un peu ».

    Un monde d’entre-deux se dessine, fait de claies et d’interstices, de palissades et d’ajours, de rideaux de trouées de haies, couloirs de traverse du « vent coulis ». Qui conduisent jusqu’à « l’abril* d’avril » qui scande son refrain :

    « Abri sous printemps

    La fleur sous abri »

    « Être à l’abri jusqu’à l’avril

    La fleur sous abri ».

    Ailleurs, dans F.O.R.T.I.F.I.C.A.T.I.O.N., le poète se livre à tout un travail de creusement et d’approches du mot. Sens et sons. Mot hérissé de fortins avec son « i » central, à la fois « pivot » et « point de rupture ». Un « i » lui-même évocateur d’images sonores et d’assonances aigües :

    « Un i comme on en voit dans la craie prêt à crisser fragile tendresse et calvaire des calcaires pour déliter sa forme et mourir poreux au pied du caillou dur écroulé lui aussi par la vertu du faible. Fort garde-toi de tes i qui ouvrent brèche dans le pli de la ligne. »

    Quant au final de ce beau texte de prose, il prend appui sur la finale du mot pour ouvrir sur un autre espace :

    « On entend la finale du mot comme un éboulement progressif jusqu’aux glacis. Oublieuse nasale qui s’ouvre à d’autres gestes. La vie voyage. L’écho des chutes s’entend longtemps. »

    Ainsi, de fortifications en redoutes, de redoutes en plongées, parvient-on au rondel en trois strophes et en alexandrin ― construit sur deux rimes et comportant un refrain :

    « On court sur la colline on traverse les forts

    On tombe sur des mots qu’on peut envisager

    L’alexandrin revient pour chacun les nommer

    Canon bastion redoute archère et contrefort ».

    Comment ne pas se laisser envoûter par le plaisir jubilatoire de cette belle jonglerie de la langue et des mots ?

    « Le rondel bat la brèche et se joue des rebords

    Sur le chemin de ronde au plus près des fossés

    Il cueille l’hellébore à l’euphorbe associée

    Prend son temps de berme et aux pierres jette un sort

    Il court sur la colline pour un herbier des forts ».

    Et comment ne pas sourire et s’interroger, se regarder en visière dans « For intérieur », texte plein d’humour :

    « On mijote un donjon. D’aucuns le posent encore comme une truffe à l’angle du jardin palissé. Fortin ou fortelet avec l’armée de nains-céramique pour monter aux créneaux. »

    Avec « Meurtrières », la poésie se durcit. La tranchée crache ses os et les quatre poèmes, dont HWK (1-2-3), disent les « Poilus dépecés », les chairs fragmentées, les gisants décapités.

    La traversée de Journal de Campagne se clôt sur une section où dominent l’amitié et le partage. À l’arrière, dans l’abri de la « gorge », le poète fête la vigne avec les vignerons de toujours. Avec les marcheurs du jour, le poème se met « en campagne »

    « Les mots dans le dos

    Sur le sentier en file indienne ».

    Au soir, sur la plate-forme de la « banquette », on se retrouve pour « bistroter ». « Abri café », « Pour faire tribu », « Stammtisch ici ». « Pour prendre mots relus ensemble ».

    Poème en campagne jusqu’à «&nbsp[l]’abril d’avril ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    _____________________________
    * Abril, chez Saint-François de Sales (1567-1622)






    Journal de Campagne







    JACQUES MOULIN


    Jacques-Moulin
    Source




    ■ Jacques Moulin
    sur Terres de femmes


    Écrire à vue (lecture d’AP)
    [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue)
    D 27 et D 28 (extrait de L’Épine blanche)
    L’Épine blanche (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Portique (lecture d’AP)
    Portique 2 (extrait de Portique)
    [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux)
    Un galet dans la bouche (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Journal de Campagne





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