Étiquette : 2015


  • Philippe Agard | [Câpre]



    Câpre
    Source






    [CÂPRE]



    Câpre
    Bibelot fragile
    Âpre assurément
    Où le velours prit la mer
    Tactile gemme
    Et du criquet le deuil
    Ni minéral ni animal ni végétal
    Modeste pièce
    Pour un musée de bocaux, gracile
    Flexueuse
    Côtes oblongues
    Amphore en bouche de saveurs défuntes



    Philippe Agard, Plomb des grives, Champ Vallon recueil, 2015, page 31.





    PLOMB DES GRIVES





    PHILIPPE  AGARD


    Philippe Agard
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la page de l’éditeur sur Plomb des grives




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  • Gabrielle Althen, La Cavalière indemne

    par Angèle Paoli

    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne,
    Al Manar | Alain Gorius, 2015.
    Dessins de Philippe Hélénon.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Nous faisons de même avec nos palissades. Sans cesse nous rebâtissons nos murailles.
    « Nous faisons de même avec nos palissades.
    Sans cesse nous rebâtissons nos murailles. »
    [The Matter of Time: sculptures by Richard Serra,
    Guggenheim Museum Bilbao]
    Source







    UNE TRAVERSÉE D’AMANDE NOIRE



    Lumière amande beauté. Mais encore montagne azur âme. Ces mots, et tant d’autres, nous sont donnés pour traverser à gué La Cavalière indemne, dernier ouvrage de Gabrielle Althen. Qui est-elle, cette mystérieuse, qui annonce sa présence singulière dès le titre ? Singulière et belle. Singulière parce que déroutante. Inattendue. Belle parce que la beauté est au cœur du recueil, une beauté presque inaccessible, comme peut l’être l’azur auquel la poète aspire (la voix appartient le plus souvent à un narrateur masculin), beauté sans cesse ravalée au rang de « la tourbe de chez nous », liée à la douleur qui est aussi le lot des hommes. Là où passe « la cavalière indemne », l’orant demeure. Et « suintent partout les violettes fatiguées du remords ». L’immobilité comme une déchirure héritée de l’enfance. Une douleur inguérissable. Il faut attendre de remonter jusqu’à la prière au titre éponyme du recueil La Cavalière indemne, dans la toute fin de l’ouvrage, pour se saisir avec exactitude de la teneur métaphorique de cette image.

    « Je vois la vie passer comme une cavalière indemne sur le chemin, et je ne suis pas assez vif pour aller vers elle et l’aimer. »

    Quelques lignes plus bas, la même phrase est reprise, légèrement modifiée :

    « Comme une cavalière étrangère et indemne, la vie ne cesse de passer et je reste. »

    De cette comparaison insolite naît le chemin qui s’ouvre devant nous. Entre poèmes en prose et poèmes. Avec comme compagnon de route, ce « je » narrateur qui affirme sa difficulté à aller au-devant de cette « étrangère » et à l’aimer. Tout entier tendu entre la nécessité impérieuse de « réapprendre la vie sauve, la violente, l’alarmante vie sauve » et la mort, le narrateur poursuit sa route âpre, laissant tomber ses « pauvres choses basses, avec le ciel cachant ses gestes doux et le lin de la distance qui blanchit le présent. » Le lecteur fait de même, qui a conscience que « la route est brusque entre la mort avide et la lumière. » Aussi est-il attentif à suivre les jalons qui composent l’ensemble de l’ouvrage. Contre-terreur / Sed libera nos a malo / Sans preuves / Le corps indélébile. Un cheminement de funambule qui se vit sur le seuil, entre la double aspiration de l’amour et de la mort.

    « Seuil, seuil, la lumière ! Seuil, la ténèbre ! Je m’en fis un tremplin pour ne jamais faiblir. Seuil, la hache bleue du ciel, seuil, l’or jamais controuvé de l’instant ! Seuil, — qui sait ? — la promesse, la peur et le commencement… »

    Face au vide sidéral qui est au cœur de l’expérience humaine, chacun s’affronte comme il peut à « la vague brute », victime de son propre enfermement, du repli sur soi et de l’incapacité à regarder au-delà. Tel est le triste constat du narrateur.

    « Mais le cœur fatigué soupire et, dédaigneux de la navette qui le faisait tinter dans l’entre-deux des choses, il se mure : tête-à-tête de chacun et de son vain souci. »

    Comment, dès lors que l’absence de Dieu a ouvert sous nos pieds un abyme, regarder sans ciller cette « fleur sans charpente » qu’est la vie ? Comment demeurer indemne sur la rive où s’agitent les contraires ― lumière/ténèbre ― sinon en prenant garde de donner prise davantage à la « vulnérabilité sanguinolente » qui guette ? Le pèlerin, dans la démarche solitaire qui l’attache à soulever tous les voiles, a découvert les vérités qui s’opposent et déposé ses faiblesses. Pour lui, l’apocalypse a déjà eu lieu, qui se vit dans l’acceptation de sa pauvreté. Pour qui a soif d’absolu, l’expérience du dénuement et du renoncement est expérience vivifiante.

    Ainsi de cet aveu de la « pauvreté noire » originelle qui court dans le second texte de « Contre-terreur » jusqu’à son aboutissement :

    « La pauvreté noire revint parce que je n’avais rien… » / « Le poing noir se montra de la plus usée des pauvretés, sans un clapotis d’âme »… / « Voici venir une pauvreté de saison nue où l’âme se tiendra comme un poing muet en même temps que connu… / Petite sœur prête à pleurer, proche de moi, qui es moi, aimons, aimons la pauvreté quand elle irrigue ».

    Contre la terreur éprouvée face à la vie et au « vide inguérissable » qu’elle ouvre, l’avènement de l’écriture. Le temps du vitrail peut advenir, comme le suggère la peinture de Philippe Hélénon ― peinture en forme de tesselles de verre translucide serties de noir ― dans la page qui précède les poèmes de « Sed libera nos a malo ». Neuf très beaux poèmes, proches, par l’esprit, de la prière (Confiteor) et du psaume (Psaume 129). Des poèmes pour faire reculer la terreur, pour détourner l’absurdité des choses, pour tenter d’agrandir le monde au-delà de soi-même. Des poèmes pour contrecarrer la peur et « réapprendre la vie sauve ». Ainsi le suggèrent ces quelques vers :

    « Le ciel vide de chimères

    Est pourtant bien trop grand

    Pour un lieu si petit

    Marie-toi, étranger

    Étranger, marie-toi ! »

    Mais aussi des poèmes pour dire la beauté espérée du monde :

    « Le regard tout là-bas danserait

    Où la neige est lumière ignorante du gel »

    ou encore le désir de mots autres que ceux du poète pour nommer ce monde :

    « Les poètes ont des mots pour la beauté

    Je voulais d’autres mots

    Pour le monde qui ce soir accomplit son office de calme… »

    Pour ouvrir à l’amande son chemin de rigueur ; rigueur envers soi-même rigueur envers autrui. Ou pour permettre au monde une extension bienfaisante. Ainsi du poème intitulé « Le dialogue flexible », où se dit la proximité-rencontre, chère aux surréalistes, de la fenêtre et de l’enfant :

    « Face à face énervé de la fenêtre et d’une solitude

    Un enfant à côté pris dans cette solitude

    La fenêtre comme une femme fait glisser

    Sa main dans ses cheveux

    Avec un bras parti là-bas où traîne une lueur […]

    […] L’enfant le regard et la fenêtre sont roses de ce monde

    ― Roses profondes ―

    Lorsque la vie est sauve

    Entre un babil de bébé et le silence »

    Mais la terreur est toujours là. Tenace. Irréversible. Le sentiment de la perte demeure et, avec lui, celui du renoncement, de la défaillance, de l’insuffisance. Et au-delà, de l’incapacité de l’homme à aimer.

    « Le crépuscule arrive j’ai failli

    J’ai failli

    Ayant fini mon jour hélas

    Et non l’œuvre due pourtant à ce jour

    Le paysage vire sur tons de roses veules

    Autour d’un cœur

    Pas assez cœur

    Comme chaque cœur » (Confiteor)

    C’est pourtant au vif même de ces faiblesses que surgit la question essentielle. Celle qui repousse un instant l’idée du néant et le met en doute : « Y aurait-il pour rien tant de musique ? ».

    Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans « Ateliers de Braque ». Dans le dernier poème de cette section, le narrateur-poète s’absorbe dans la contemplation des oiseaux du peintre qui habitent « un halo d’espace blanc / Tout frissonnant de foi prémonitoire… » Une foi qui « déplace les images » et conduit la poète à l’évidence :

    « Tous ces oiseaux coulaient de source. »

    Plus sûrement la réponse se trouve sans doute dans l’« Art Poétique » sur lequel se clôt La Cavalière indemne.

    « Sans preuves ». Avec l’écriture comme ligne d’horizon, le narrateur-poète poursuit sa quête de l’inaccessible. « Je voulais voir le palais de cristal que je nomme le monde. Les vitres en sont de toutes les couleurs, mais je cherchais l’odeur qui, selon toute probabilité, est aussi le signe de mon Dieu. »

    Sans preuves cependant que ce qu’il avance soit clairement défini ou vérifiable ; que ses méditations épousent l’exact contour de la pensée. Une question, surtout, obsède. La parole. L’immense parlure de notre temps a-t-elle remplacé la parole poétique ? C’est ce qu’énonce le narrateur-poète.

    « Entre une fumée de cigarette et son refus de sourire, le poète, qui la croyait de verre, prit le temps de transformer la cage du monde en un gigantesque parloir. »

    Serions-nous prisonniers de nos subterfuges de nos masques de nos fuites de notre déraison ? De l’immense cacophonie dont les poètes se seraient rendus responsables ? Peut-être, face à cette profusion incontrôlable, est-ce le silence qu’il faut choisir ? C’est ce vers quoi tend ici le poète.

    Ainsi, en dépit de toutes les hésitations et de toutes les blessures que la vie inflige, le choix est-il conclu, la décision prise. Courageuse, exemplaire. Évidente :

    « Je voyagerai avec les idées, parmi elles, contre elles, et me frayerai, entre leurs menaces, un chemin qui, dans un sens ira jusqu’au silence et dans l’autre, jusqu’à un visage autrefois vu de près, où pourra continuer de se jouer, entre deux comédies, ma grâce. »

    Assoiffé d’azur et de cristal, le poète cherche des ponts. Passerelles et arches, bras et doigts, sutures ; et peut-être mots, susceptibles de recréer les liens entre l’ailleurs et l’ici-bas. Des mots pour rendre à la montagne toute sa force de temple et sa lumière. Et à l’homme sa modeste jubilation originelle. « L’homme humblement prenait le pouls du monde cependant que se rapprochait de lui une échancrure de la montagne. » Il en était ainsi jadis où « les doigts crépus de nos vergers tressaient des arches naines à l’allégresse ».

    La poésie de Gabrielle Althen s’appuie sur une rhétorique recherchée, maîtrisée avec art. La métaphore, le zeugma, les enchâssements et les inclusions, les personnifications audacieuses, les constructions syntaxiques complexes, le passage entre concret et abstrait, les correspondances verticales, les répétitions et leur musique — « Musique et mots ! Musique des mots ! Retour du temps ! Retour du même ! » — sont pour la poète des outils dont il est impensable de faire l’économie. Autant de figures ouvragées qui permettent au narrateur de La Cavalière indemne d’apprivoiser les limites de ses questionnements, de dompter ses propres proies, de les transcender par l’écriture :

    « Une pierre dans l’azur fut ma moisson de pensée pâle. Ce fut aussi un angle et la tendresse. Je ne savais toujours pas quel chemin allait de l’un à l’autre, ni si ce beau dessin pouvait se parcourir dans les deux sens comme l’échelle de Jacob. »

    Cependant, et paradoxalement, le rêve de beauté alimente la peur. Il ouvre sur le vertige abyssal de ce que nous nous refusons de reconnaître et de nommer.

    « L’abîme commence là-haut et nous le savons tous, puisque nous avons peur et que nous colmatons les fenêtres qui donneraient sur le cristal. »

    De sorte que la peur se cultive, se dorlote et que le narrateur-poète en appelle à elle ; à sa présence intime consolatrice et touchante :

    « Ô ma peur, ma petite compagne, précise et jeune sous le vent, reste avec moi dans l’air tendre. Tu me rappelles que je vis et mon visage cabossé d’émotions contraires connaît déjà la rectitude vampirique des corvées de lumière. »

    Ainsi engendrons-nous nos propres monstres parce qu’inconsciemment nous chérissons nos souffrances et que nous nous nourrissons d’elles :

    « Bien malgré nous pourtant, nous nourrissons de tout petits dragons, afin d’aimer plus sûrement le feu chaque jour. »

    Nous faisons de même avec nos palissades. Sans cesse nous rebâtissons nos murailles. Nous habitons au centre même de la vie sans même en avoir conscience ni même avoir conscience de ce qu’elle est.

    « La vie est là. La vie est toujours là, et nous rebâtissons nos palissades, sans bien savoir que nous habitons le cercle de son œil », constate le narrateur-poète dans « L’œil », texte d’ouverture du « Corps indélébile ». De sorte que la mort suit à notre insu « son imperceptible méthode ». Même au plus haut degré de la beauté ― la beauté culmine avec le « Divin Mozart », dans cet « Art Poétique » final où coexistent les contraires ― la mort applique pour nous ― qui nous sommes cru un instant bénis ― sa terrible « morsure ». Cependant, même avec la mort à nos côtés, « d’inexplicables perles volaient sous le nuage, une fontaine heureuse nous comblait. » Il fut ainsi donné à chacun de connaître la jubilation.

    Portée par une réflexion dense et un style exigeant, l’écriture de Gabrielle Althen est une écriture de haut lyrisme et de spiritualité. Habitée par le souffle, elle est éblouissement. De cette traversée d’« amande noire », le lecteur ne peut sortir indemne. Quelque chose le touche de cette « crise de vide », qu’il reconnaît comme sienne et partage. Que faire alors face à « la mort nue comme une offrande sur du verre » ? Se raccrocher peut-être à cette phrase émouvante de simplicité énigmatique : « Les petites routes empourprées avaient cessé d’être fuyardes ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Le temps bleu) une recension de La Cavalière indemne par Roselyne Fritel
    → (sur Recours au poème) une recension de La Cavalière indemne par Sabine Huynh
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde






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  • Pier Paolo Pasolini | [Ma io parlo… del mondo]



    Les premières marques d’une vieillesse féroce
    Source






    [MA IO PARLO… DEL MONDO]



    Ma io parlo… del mondo ― e dovrei,
    invece ― parlare dell’Italia, e anzi,
    di una Italia, di quella di cui sei,

    con me, destinatario dei miei versi, figlio:
    fisica storia in cui ti circostanzi.
    L’ho chiamato « innocente », il mondo, io,

    io, in quanto cieco, figlio martoriato.
    Ma se guardo intorno questi avanzi
    d’una storia che da secoli ha dato

    soltanto servi… questa Apparizione
    in cui la realtà non ha altro indizio
    che la sua brutale ripetizione…

    che scena… espressionistica! Penso a un giudizio
    subìto senza senso… le toghe… le tristi autorità del Sud…
    dietro i visi dei giudici ― in cui il vizio

    è un vizio di dolore, che denuda
    ambienti miserandi ― non si leggeva che impotenza
    a uscire da un’oscura realtà di parentele, da una cruda

    moralità, da una provinciale inesperienza…
    Quelle fronti da Teatro dell’Arte,
    quei poveri occhi di obbedienti onagri

    intestarditi, quelle orecchie basse,
    quelle parole che per mascherare
    il vuoto si gonfiavano a recitare una parte

    di paterna minaccia, di indignazione floreale!
    Ah, io non so odiare: e so quindi che non posso
    descriverli con la ferocia necessaria

    alla poesia. Dirò solo con pietà di quella faccia
    di calabrese, con le forme del bambino
    e del teschio, che parlava dialettale

    con gli umili, scolastico coi grandi.
    Che ascoltava attento, umano,
    e intanto, negli ineffati e nefandi

    fori interiori, covava il suo piano
    di timido che il timore fa spietato.
    Ai lati, altre due faccie ben riconoscibili,

    faccie che per strada, in un bar affollato,
    sono le faccie deboli, poco sane,
    di precoci invecchiati, di malati

    di fegato: di borghesi il cui pane
    certo non sa di sale, non ignobili, no,
    non prive affatto di sembianze umane

    nel pungente nero degli occhi, nel pallore
    delle fronti martoriate dalla prima
    feroce anzianità… Un quarto inviato del Signore

    ― certo ammogliato, certo protetto da un giro
    di rispettabili colleghi nella sua città
    di provincia ― rappreso in un sospiro

    di malato nei visceri o nel cuore ―
    se ne stava in un banco isolato: come sta
    chi si prepara a un premeditato disamore.

    E davanti a questi, il campione: colui che ha
    venduto l’anima al diavolo, in carne e ossa.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La realtà in Poesie in forma di rosa, Garzanti Editore, 1964, 1976.






    [MAIS JE PARLE… DU MONDE]



    Mais je parle… du monde — et je devrais
    plutôt — parler de l’Italie, et même
    d’une certaine Italie, de celle dont tu es,

    avec moi, destinataire de mes vers, le fils :
    histoire physique dans laquelle tu te circonscris.
    Je t’ai appelé « innocent », le monde, moi,

    Moi, en tant qu’aveugle, fils martyrisé.
    Mais si je regarde autour ces restes
    d’une histoire qui depuis des siècles n’a donné

    que des esclaves… cette Apparition
    où la réalité n’a pas d’autre indice
    que sa brutale répétition…

    quelle scène expressionniste ! Je pense à un jugement
    subi, privé de sens… les toges… les tristes autorités du Sud…
    derrière les visages des juges — dont le vice

    est un vice de douleur, qui dénude
    des milieux misérables — ne se lisait qu’impuissance
    à sortir d’une obscure réalité de parentés, d’une crue

    moralité, d’une provinciale inexpérience…
    Ces fronts de Commedia dell’Arte,
    ces pauvres yeux d’onagres obéissants

    entêtés, ces oreilles basses,
    ces mots qui pour masquer
    le vide s’enflaient pour jouer un rôle

    de menace paternelle, d’indignation Art nouveau !
    Ah, je ne sais pas haïr : et je sais donc que je ne peux pas
    les décrire avec la férocité nécessaire

    à la poésie. Je parlerai seulement avec pitié de ce visage
    de Calabrais, avec les formes de l’enfant
    et de la tête de mort, qui parlait en dialecte

    avec les humbles, dans un style scolaire avec les grands.
    Qui écoutait avec attention et humanité,
    et en même temps, dans les fors intérieurs

    tacites et indicibles, couvait son plan
    de timoré que la peur rend impitoyable.
    À ses côtés, deux autres visages bien reconnaissables,

    visages qui dans la rue, dans un bar plein de monde,
    sont les visages faibles, malsains,
    de vieux avant l’heure, de malades

    du foie : de bourgeois dont le pain
    n’a certes pas le goût de sel, pas ignobles, non,
    pas entièrement privés d’un semblant d’humanité,

    dans le noir transperçant des yeux, dans la pâleur
    des fronts martyrisés par les premières
    marques d’une vieillesse féroce… Un quatrième envoyé du Seigneur

    — évidemment marié, évidemment protégé par une clique
    de collègues respectables dans sa ville
    de province — figé dans un soupir

    de malade de digestion et de cœur —
    se tenait isolé sur un banc : comme quelqu’un
    qui se prépare à un désamour prémédité.

    Et devant eux, le champion : celui qui a
    vendu son âme au diable, en chair et en os.

    […]



    Pier Paolo Pasolini, La réalité (extrait) in Poésie en forme de rose, édition bilingue, Rivages poche | Petite Bibliothèque, 2015, pp. 124-125-126-127-128-129. Traduit de l’italien, annoté et préfacé par René de Ceccatty.





    Pier Paolo rose 2






    PIER  PAOLO  PASOLINI


    Pasolini
    Source



    ■ Pier Paolo Pasolini
    sur Terres de femmes

    5 mars 1922 | Naissance de Pier Paolo Pasolini
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)
    2 novembre 1975 | Mort de Pier Paolo Pasolini
    Al principe
    A na fruta (+ bio-bibliographie)
    El cuòr su l’aqua
    Le chant des cloches
    Pier Paolo, le poète assassiné
    La Rage (extraits)



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  • Isabelle Lévesque, Nous le temps l’oubli

    par Angèle Paoli

    Isabelle Lévesque, Nous le temps l’oubli,
    Éditions L’herbe qui tremble, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Ce défaut de paraître… (1)
    Ph., G.AdC







    UN VACILLEMENT ENTRE RENAISSANCE ET RE-CRÉATION




    Le poème. Quelque chose sourd sur la page. Une exclamation jetée au centre, livrée à sa propre soudaineté. Étonnement. Davantage encore. Sidération. « Ah ! » Est-ce plaisir ou souffrance ? L’arbre survient à son tour. Son sang lié aux mots qui adviennent. Et prennent corps.


    « Ah !       

    Tout à coup
    des mots nouveaux.


    Sidère


    à rompre
    le sang
    de l’arbre. »



    Ainsi s’ouvre le dernier recueil d’Isabelle Lévesque. Nous le temps l’oubli. Sur une sidération. Qui prend le lecteur dans l’étau serré de ses mots. Passée la première sidérante surprise survient en nous le questionnement. Le poème parvient-il à nouer le « nous » à l’oubli et au temps ? Ou au contraire cherche-t-il à dénouer ? Singulier, disloqué à force de désossement, le poème retient en lui-même son énigme. Il garde, au cœur de la page, dans la tension des mots qui s’affrontent, le mystère de son surgissement. Seuls les mots. Posés là. Sans lien apparent. Liaison brisée. Le liant grammatical s’abstient. « Mots courts alignés. » Phrases nominales. Verbes absents. Le point, comme hache qui tombe. Couperet. Les mots sont impuissants à retrouver à relier à recréer ce qui fut. Ici, dans ce recueil où se cherche la trinité du « nous », de l’oubli et du temps, ce qui renoue raccommode répare, ce sont les peintures de Christian Gardair. Cinq peintures colorées (six avec celle de la première de couverture), vibratiles, aériennes ; traversées de folioles de follicules d’envols de signes qui soudent les poèmes à l’image, confèrent à l’ouvrage sa respiration ; lui octroient une légèreté. Entre les pages, le « nous » qui jadis faisait corps est détruit. Réduit à son démembrement. « Je » et « tu », obstinément séparés. Les mots qui prennent place sont ceux de la rupture ; du désarroi de la défaite. Le « je » obéit à l’arme du vainqueur :

    « Il raye. Il rit. Il supprime. Je laisse à sac,

    Je replie.

    Corps sans chair. Sensations

    armées d’absence.

    Au pied, le reliquat. »

    Le temps et l’oubli peuvent-ils remédier à la condamnation ? Du naguère affleure tout un tissé d’images. Une perfection tout entière enclose dans le murmure d’un blason, forme et frémissement. Un amour scellé dans le fusionnement, dans l’invention d’un monde qui renoue avec la création.

    « Nous fûmes Adam et Ève. »


    « Tu t’approchais

    Les mois : blason fut fait

    de nos dix doigts.

    Lent   le fruit   le seuil.

    Tu fis forêt du murmure,

    une feuille un son.


    Tout fut

    frisson. »

    Il y a désormais un présent qui se vit dans l’oubli des saisons. La braise ardente de l’été, ce « bouton d’or », a fait place au manque. Imprévisible, le vide s’installe ; puis, tour à tour, la violence, le repli et le renoncement.

    « À fibre d’os,

    tu squamanbules et je forcepse.


    À quoi bon ? »


    Le poème disloqué s’écrit dans la négation. Seuls les mots posés sans lien. Liaison brisée.


    « Ne.        


    Seul au bord hagard.

    Toi.


    Avant la vie. »



    Écorce / écorche / mettre à vif. Le poème cherche sa voix pour dire la perte, lambeaux à rassembler pour affronter ce « deux » dissous disparu séparé écalé. « Perdue, la traîne des nuages. »

    Au-delà des meurtrissures survient pourtant la volonté de guérir de la plaie qui saigne. De « recommencer » ; de « diriger la faille vers la lumière » ; nécessité survient de renaître.

    « Quel silence traverser

    pour renaître ? »

    ou, plus loin, cette affirmation :

    « Or je veux.

    (Naître.) »

    Le poème « intente » / « invente ». Déplace les termes par dérivation. Les bouscule les tire hors de leur forme habituelle :

    « Où naître ?

    Je tentacule, tu monstres court. »

    Un « je » affronte les mots à coudre à rassembler pour que quelque chose perdure de cet amour perdu. Quelque chose qui garderait trace de ce qui fut, qui laisserait son empreinte et résisterait encore à l’effondrement.

    « J’avais l’or.

    Vue perdue, miracle, tu.

    La nuit n’avait plus. Or

    le jour revenu de tout.

    Blason, passé se garde.

    Temps te tient.

    Présent l’oubli. »

    Perfection du poème enclos dans le cercle des mots et des sons. Tenu au plus près, au plus serré. Tissé à cœur, dans les mailles des contradictions essentielles. Présent / passé ; oublier / garder ; perdre / retenir / avoir / ne plus avoir… De ce qui fut, il reste l’image ronde de la perfection amoureuse : « Blason, passé se garde. »

    Le désir, parfois, se dit de ne pas renoncer à ce qui fut :


    « C’était sera. »


    D’autres fois, au contraire, fuse le vent de la révolte. Physique. Le poème se rebiffe, hésite refuse se nie s’affole dans le rien, négation de lui-même. Tâtonnent / ânonnent les mots dans le déplacement heurté de la syntaxe. Éclats du verbe. Explosion. Implosion. Violence. Ainsi, de ce poème, exemplaire pour dire le chevauchement des contraires jusqu’à dislocation déconstruction :


    « Rien.

    Plus ou moins.

    Bruit de sable. En bouche, graines,

    les mots sinuent. Chuchoté chahute

    Le dire. Je bégaie. Bredouille

    rien. Colporte à cloche-lèvre des

    Murmures. Rien. Plus ou moins. Des

    Rancunes culbutées, phrases courtes

    in-ex. J’orthographie. Je sais. Mais

    le poème ?

    Disgrâce et syntaxe. Éclate !

    Des morts, peut-être. Vieux mots. C’était.

    Je tue (rituel). Sans

    gravité. Mort-né. Cloporte et ciel. Couvert de

    cailloux. Sourciers. Risque écarte

    Le poème. Je sature. Sons (implosifs).

    Rien. Plus ou moins. »


    Le poème se joue de nous. Ruse de ses ambiguïtés et amphibologies. « Plus prise. » Davantage prise ou plus jamais prise ? Quelle « prise » ? Le nom ou le participe ? Lectures plurielles. À chaque lecteur son emprise du poème.

    Le « seul tenant » n’est plus. Le « je », le « tu » prennent distance avec le « nous » fusionnel. Il arrive que le lecteur perde le fil et s’interroge. À qui appartiennent les gestes ? Sont-ils les siens (ceux du « je ») ou ceux de l’autre (ceux du « tu ») ? Coudre les poèmes ensemble ; en reconstituer les échos. Nouer rassure.

    « Oh !

    ce défaut de paraître… »

    « Oh !

    ce désordre de disparaître ! »

    Le tissé du recueil s’assemble peut-être entre ces deux poèmes. Où se lient les deux versants de l’amour. « Tu murmures ma bouche », lit-on dans le premier. « Tu recommences, / dépouillant les armes : blanc sera / ce que fut l’aube », énonce le second.

    « Du chaos naît le poème », écrit Isabelle Lévesque. Un écho, sans doute, à l’exergue tiré de Aa, Journal d’un poème, de Caroline Sagot Duvauroux :

    « avec l’allégresse cependant et l’audace qui est la

    grâce des herbes

    au bord des précipices. »

    Mots choisis pour dire au plus près le vacillement de ce dernier recueil :


    « Nous le temps l’oubli       


    (vacillant). »



    Et rejoindre ainsi en final l’aveu de renaissance. Entre amour et re-création :


    « Nus sous le ciel défaillant.      
    Ce livre,

    nous. »




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Isabelle Levesque






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source



    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (extrait de Nous le temps l’oubli)
    C’est tout c’est blanc
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    Le Fil de givre (lecture d’AP)
    Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Voltige ! (note de lecture d’AP)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    une recension de Nous le temps l’oubli par Sabine Huynh
    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la page de l’éditeur sur Nous le temps l’oubli
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Isabelle Lévesque, de la terre à la lumière, par Pierre Kobel
    le site de la revue Diérèse et des éditions Les Deux-Siciles
    → (sur Recours au poème)
    une notice bio-bibliographique sur Isabelle Lévesque




    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre

    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Gabrielle Althen | L’isole



    L’ISOLE



    Le ciel sans offre jette son mur de maison nue devant ton front. En contrebas s’agitent des nœuds d’oiseaux labiles et la charité des hommes qui glisse sur leurs mains d’échange. Le paysage que tu as tant aimé s’est déversé ailleurs où s’achève le pain et les paroles à saisir au vol sur la sinuosité vive des lèvres.

    Et toi, pauvre de toi, qui te sens si souvent fils d’une maison vide, et qui t’es tu, jusqu’à ce que l’absence de messages d’un ciel lavé de ses figures ne délimite plus le temps, tu ne sais si tu pourras longtemps habiter plus haut parce que ton âme, que tu voulais retenir, à demeurer trop silencieuse s’est gonflée de son bruit naturel et de tonnerre, et que nous nous plaignons de supporter très mal ce rapt d’ententes et d’horizons.




    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne, Al Manar | Alain Gorius, 2015, page 49. Dessins de Philippe Hélénon.






    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne



    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Sans titre
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Le temps bleu) une recension de La Cavalière indemne par Roselyne Fritel
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde




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  • Estelle Fenzy | [Rêve silex]



    Rêve silex
    Source






    [RÊVE SILEX]



    Rêve silex

    corps ciment
    dégrisé durement

    Nuit de fantômes

    plaquée au sol
    face contre terre






    Écorce craquelée

    on déleste
    on émonde

    Au carrefour de l’existence
    même le regard

    nu




    Estelle Fenzy, Chut (le monstre dort), La Part Commune, 35000 Rennes, 2015, pp. 16-17. Photo de couverture Rémy Fenzy.






    Estelle Fenzy, Chut (le monstre dort)






    ESTELLE   FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za (poème extrait de Gueule noire)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits de Chut (le monstre dort)
    → (sur Ce qui reste)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur Paradis bancal | Brigitte Giraud)
    d’autres extraits de Chut (le monstre dort)
    → (sur remue.net)
    Estelle Fenzy Soual | La mort est un banc d’autoroute
    → (sur le site des éditions La Part Commune)
    la page de l’éditeur sur Chut (le monstre dort)
    → (sur La Cause Littéraire)
    une lecture de Chut (le monstre dort) par Sanda Voïca



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Corse_3 Angèle Paoli | Vuràghjine

    (extrait des Feuillets de la Minotaure)




    Vura
    Aquatinte numérique, G.AdC







    VURÀGHJINE
    (extrait des Feuillets de la Minotaure)



    Vague la vague vague vagit vuràghjine jusqu’au vertige divagante vague lunules mirages vaguement bus dans la lumière diffractée à travers cils et miroir elle nage ingénue et sa rage sillage tue jusqu’au ravage vertige les nuages vaguement vus à travers cils et ciels plissés rivages ourlés filent fugaces images tracent ta vie dans les plis de la vague vaguement lasse une immortelle pâle gît au cœur de la page plage vierge qui signe les délices du temps délivré de l’absence vague éclisse qui lisse son treillis inlassable d’algues sens délivré de la vague fugace vaguement qui fuse sa liesse diffuse évide sa nasse môle délesté des corps grappes jadis arrimés à sa masse nonchalante elle nage visage écalé par la fraîcheur de l’air bras et cuisses dos et ventre caressés par la tiédeur de l’eau vertige du corps séparé sirène verdoyante dans l’écreigne de sable et museau affûté par les lames des algues de sel ciel renversé par la vague vagissante vuràghjine vorace jusqu’au vertige tu divagues dans l’âpreté des couleurs et des lignes nues vaguement livrées au vol d’un épervier qui trace sa vague invisible entre ciel et mer terre et silence abrupt à l’aplomb de la plage galets lourds et algues douces qui hébergent ton corps abandonné au silence de la vague divaguante jusqu’au vertige vaguement bu à travers cils perlés d’eau lumière diffractée sur le blanc de la roche éclats de l’été englouti tu rêves tu nages sur l’horizon désert livré à la mouvance indolente infinie de la vague qui vagit jusqu’au vertige délice. Vuràghjine.


    Angèle Paoli, Les Feuillets de la Minotaure, récit-poèmes, Éditions de Corlevour, 2015, page 82.







    Couv.jpg






    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions de Corlevour)
    la page de l’éditeur sur Les Feuillets de la Minotaure




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  • Michaël Glück | Titus aux miroirs



    TITUS AUX MIROIRS
    Ph., G.AdC







    TITUS AUX MIROIRS



    J’ai
    je vous ai
    j’ai aimé vous aimer


    je crois


    sans doute vous
    aimé-je encore

    je


    voudrais vous dire que
    en votre présence
    je suis
    je me sens
    je me suis

    interdit


    entre dire

    entre deux miroirs

    dire

    ce qu’il faut taire


    suis-je                                                             Titus
    suis-je                                                             qui règne
    ai-je sur moi-même                                        empire


    je ne parlerai qu’au passé décomposé
    je ne vous parle pas
    je n’ai rien à vous dire

    il me faut vous pousser dans l’orient du silence
    vous n’êtes déjà plus qui fûtes

    au bord de mes lèvres



    Michaël Glück, « Troisième mouvement : les ombres », in exil/exit bérénice, Éditions Lanskine, 2015, pp. 46-47.






    MICHAËL GLÜCK


    Michaël Glück
    Source



    ■ Michaël Glück
    sur Terres de femmes

    « cette chose-là, ma mère… »
    L’Enceinte (note de lecture d’AP)
    Matières du temps (extrait de D’après nature)
    [nous sommes venus d’un ciel à l’envers] (extrait d’Un livre des morts)
    Passion Canavesio | Passion-Judas (note de lecture d’AP)
    [toujours avoir à se justifier devant la norme] (extrait de Tournant le dos à)
    Tournant le dos à (note de lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Michaël Glück – portrait d’un poète (Portrait réalisé par Sonia Viel. Propos recueillis par Thierry Renard. Production Espace Pandora. Festival Voix de la Méditerranée de Lodève, juillet 2011)



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  • Claude Ber | In memoriam



    IN MEMORIAM
    Ad plures ire
    (extrait)



    Je te souviens pourtant au nid des corps à souvenir
    champ de maïs au traversant des plaines
    bruissant de vent
    sa coulée de couleuvre entre les épis

    fuyant le temps au dormant des fenêtres
    ce lit des blés couchés c’est ta tombe le tertre
    où ils s’arasent
    le cœur commun que nous a fait l’amour

    bat encore là je ne sais où
    son édifice immatériel perdu dans un bout de Beauce
    moissonné en bord de route droite

    dans l’odeur de foin grillé
    le bleu simple d’un ciel mince
    son clapet d’éternité refermé sur nous à nos mesures


    Au balancier des saisons (chaque septembre le remugle des feuilles fanées) tu suivais vivre, demain, encore ou bientôt
    les nuages sans terre visible à leur dessus
    la glissière des yeux curieux
    le plaisir que tu avais des gens, des choses
    Tu aimais aussi le courage et la clarté. Tout cela écarquillé par la mort. Sans équité. Sans justice. Le temps venu de moins que ton ombre dans sa paix.


    La folie a mangé la moitié de ma vie et l’entier de la tienne, riveraine de biais pendue aux pampilles de l’esprit comme dans le parfum poivré des immortelles la chair blanche des eucalyptus est sous l’écorce

    ce qui en réchappe s’agite désordonné et dérisoire
    dénué de sensation de soi-même
    une roue tourne silencieuse à la moue d’un capot
    puis plus rien à ce rien donné absolument

    ne reste de la nuit que ta rencontre, yeux vides, avec une telle tristesse d’être en mort que j’ai serré tes côtes creuses contre moi pour te consoler, berçant tes
    os
    et l’avenir offert comme un verre de vin je l’ai bu, trinquant au plus grand nombre que j’irai rejoignant, fuyant ma vie fuyante, que je croyais posée sur mon épaule voletant à mon cou l’apprivoisée, quand un fouet de soie a claqué une joue d’esclave à ma face et une voix de hache m’a finie au merlin telles les bêtes à l’abattoir autrefois, tandis que, soulagée de tout, dans le léger d’une vie soufflée comme un cheveu, j’ai ramené à mon visage le tien et tous ceux que j’ai aimés pour qu’ils m’emportent avec la joie que j’ai eue d’eux



    Claude Ber, “In memoriam, Ad plures ire,” in Épître Langue Louve, fragments 6, Éditions de l’Amandier, Poésie, Collection Accents graves Accents aigus, 2015, pp. 60-61-62.







    Claude Ber, Epitre, Langue Louve




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Place de la Sorbonne)
    une lecture d’Épître Langue Louve par Joëlle Gardes



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  • Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits

    par Angèle Paoli

    Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits,
    Recours au poème éditeurs, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    « SUR LA COURBE DU MONDE »



    De jolis nuages volatils et légers ponctuent Labyrinthe des nuits. On peut feuilleter le livre de nuage en nuage comme un enfant sauterait à cloche-pied sur un gué ponctuant un ruisseau. Nuages promesses d’une lecture vagabonde aérienne subtile ? Peut-être.

    À sauter de page en page sans s’attarder à la lecture, on est frappé par la diversité des formes que prennent les poèmes dans l’espace, tantôt très brefs, tantôt constitués de strophes de trois ou de quatre vers. Tantôt déployés sur une pleine page. C’est dans ces irrégularités — baroques  ? — que Maryline Bertoncini construit sa propre régularité dans l’inventivité poétique qui est la sienne. Des mots immédiatement visibles/lisibles reviennent, comme autant de points perceptibles ourlés dans la trame du poème. Lilas / Leyla / Lavande / Lave / Lacets / Inlassable / Lacis / Flamme… « Là ». La tonalité musicale du recueil serait-elle en « la » ?

    Parfois, des inserts en italien (et en italiques) se glissent entre les mailles, qui apportent à la broderie du poème un motif nouveau, musique douce à l’oreille, vol de guêpes dans la première lumière, « ronzio che precede la prima ora del mattino ».

    Dès la lecture de « Nuit de Lilas », un univers d’« outre-monde » s’ouvre. Lié à la nuit d’avant l’aube, au silence suspendu qui la caractérise, à peine interrompu par le chant flûté d’un oiseau. Quelque chose de léger s’anime, d’incertain, un cillement ténu, pris dans l’entre-deux des formes. Ainsi de la couleur qui domine, cette couleur lilas, qui draine avec elle ses variantes d’ivresses violines — mauve lie-de-vin lavande — dans un poème ciselé avec art. Les pierres précieuses — quartz obsidienne améthyste — mêlent leurs veines aux entrelacs des plantes, efflorescences et parfums. Inscrit sous le signe d’Orphée, le poème d’ouverture frissonne de ses allitérations en « f ». C’est dans cet univers onirique de pierres et d’acanthes, mélange d’ivresse lumineuse et de nuit, que survient, « nageur inconscient », celui qui « aborde aux grèves du silence ».

    Le lilas lie-de-vin, corolles cruciformes, prépare l’arrivée de Leyla. Un « je » regarde et voit. Leyla à la fontaine, est-ce rêve vision apparition biblique ? Leyla dans ses voiles – voile perse — survient au verger dans un poème aux accents du « Mai » de Guillaume Apollinaire, allure régulière où alternent alexandrins et hexasyllabes :

    « À travers le verger bondissant

    Dans les voiles légers des nuages de mai. »

    Évanescente Leyla qui réapparaît plus loin, en d’autres vers, lacis et lianes du lilas. « Nuit-Femme dans le jour vert », amante de Majnûn. Violine couleur de la Passion, l’écriture solaire de Maryline Bertoncini est aussi écriture secrète, qui résiste au dévoilement et à la révélation. Langue légère en même temps que recherchée, qui inscrit Leyla-au-lilas dans un univers de couleurs orientales tout autant que méridionales, arabesques et azulejos, chant de cigales et de fifres, ifs lierre et comptines de l’enfance, rouge sang de la grenade que vient interrompre le vert des feuillages. Des images affleurent qui évoquent patios et jardins aux « jaseuses fontaines ». Des toiles d’Henri Matisse semblent s’y superposer, mélanges de lumières de couleurs où exultent, dans un entrelacs de lianes, le midi et l’orient. Un amour secret s’ébauche qui tend sa toile d’un poème à l’autre.

    Dolce      sorella

    nella mia lingua

    segreta

    Soudain, dans le poème qui met le « Là » en relief, le monde bascule dans un univers autre. Celui des jardins ouvriers du Nord, terres d’abandon aux lisières des villes. Tout un paysage de cabanes à outils terrains vagues carrés potagers grilles et parcelles s’organise, empli de promesses d’ailleurs de rires et de jeux. Paysage des origines d’une même légèreté, d’une même luminosité.

    Leyla revient. « Tambour des pâtres », la mémoire. Et les vers de Nerval affleurent sous ma plume :

    « C’est encor la première ;

    Et c’est toujours la Seule, ― ou c’est le seul moment »…

    Elle revient, Leyla, associée à la nuit dans un poème de haut lyrisme. Un sonnet irrégulier, rythmé par le roulement du « Et » d’appui, anaphorique :

    « Et tu es le tambour

    Et le pâtre

    Et le monde

    Et ma douleur qui chante

    O Leyla »…

    Leyla est-elle « l’inlassable noueuse », qui tisse, dans le balbutiement des labiales, les « merveilles du jardin perdu » ?

    Les années passent. Leyla s’efface pour laisser place à l’absence. D’autres images prennent corps dans l’éclat vibrant du vitrail. Survient le Roi-Cerf, joyaux des couleurs sertis de plomb, blasons de formes entrelacs de figures mythiques flammes et chasses, feux. Le rêve se nourrit de ses propres images. Voratrices, elles sont images puisées à la source d’un « labyrinthe de pensées », d’où surgit une langue subtile. Par deux fois la poète « s’abreuve à ce fleuve où » ses « pensées se mirent ». S’offrant en pâture aux années, à leur « meute » insatiable, elle se voue tout entière à ses « Ménades intimes ». Pourtant, si la douleur christique du cerf l’habite et la saisit, l’assomption n’est pas loin. Qui se résout dans l’apothéose mystérieuse des constellations. Sous l’onirisme incantatoire des étoiles :

    « Altaïr Antarès Enif Eli Sadalmelek

    ton gréement dans le vent stellaire scintille au rythme des

    constellations

    et ta blanche carène est une nébuleuse

    qui m’entraîne en son erre. »

    Imprégné du symbolisme « fin-de-siècle », le recueil Labyrinthe des nuits est un ouvrage d’art, où pépitent « émaux et camées » des grandes voix poétiques du passé ― Nerval, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Laforgue… Mais la voix que fait entendre Maryline Bertoncini dans ce recueil est une voix singulière, sensible à tous les effluves de vie ; à toutes les veinules odoriférantes et colorées qui irriguent une vie ; comme aux menus accents des moindres cruautés. Même si les mots ne peuvent atteindre les cendres des morts ; même si le poème se clôt sur une impossibilité, les souvenirs poursuivent leur ronde. « Clameurs désaccordées »… « sur la courbe du monde ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Labyrinthe des nuits






    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes

    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    plusieurs pages sur Marilyne Bertoncini
    Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini





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