Étiquette : 2015


  • Hélène Dassavray | [Un jour est devenue plus douce la montée]




    Confluent
    « Un jour elle est devenue confluent
    de ses propres chemins »

    Ph., G.AdC







    [UN JOUR EST DEVENUE PLUS DOUCE LA MONTÉE]



    Un jour est devenue plus douce
    la montée
    et la perte
    noyée dans son intime regard
    elle a repris son souffle
    ainsi qu’un autre

    on ne connaît jamais la distance exacte
    entre soi et la rive
    ni à quel moment la vie vous échoue
    sur les plages
    de votre mer intérieure

    Un jour est devenue plus douce
    la suite
    et la suivante
    dansée dans le creux des reins
    au rythme du monde
    ainsi qu’un autre

    Un jour elle est devenue confluent
    de ses propres chemins



    Hélène Dassavray, On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive, éditions la Boucherie littéraire, Collection Sur le billot dirigée par Antoine Gallardo, 2015, pp. 32-33.






    Helene Dassavray, On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive






    HÉLÈNE  DASSAVRAY


    Helene Dassavray 2
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Hélène Dassavray
    Journal aléatoire, le blog d’humeur d’Hélène Dassavray
    → (sur Ce Qui Reste)
    une page sur Hélène Dassavray
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Hélène Dassavray





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  • Luce Guilbaud | [mon père m’offre des animaux | ma mère rame]




    [MON PÈRE M’OFFRE DES ANIMAUX]





    mon père m’offre des animaux
    singes     perroquet     tortue
    d’autres sont à manger
    mais je n’ai plus d’appétit
    une famille entre mon père et moi
    sur l’autre rive de l’océan
    pleure     pleure     ma mère
    si loin les bras me tombent




    ma mère rame
    dans une grande lessiveuse
    le soir elle écoute les grenouilles
    elle chante avec
    ne croit plus aux princes charmants
    c’est ma mère au bois dormant
    dans son tablier les enfants qui restent





    mon père m’emmène dans la forêt
    où les grands morphos bleus
    construisent des chapelles
    pour la prière des bêtes sauvages
    et les lépreux abandonnés
    hosanna ! au plus haut des cieux
    ricanent les papillons



    Luce Guilbaud, Vent de leur nom, Éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2015, pp. 34-35-36.






    Luce Guilbaud, Vent de leur nom





    LUCE GUILBAUD


    Luce guilbaud





    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes


    [L’ombre amoureuse] (extrait de Débordé pourpre)
    Demain l’instant du large (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
    [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    Mère ou l’autre (note de lecture d’AP)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (note de lecture d’AP)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le corps penche




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guilbaud
    → (sur le site de la Maison des écrivains)
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud
    → (sur YouTube)
    Rencontre avec Luce Guilbaud, peintre et poète de Saint-Benoist-sur-Mer







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  • Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte

    par Isabelle Lévesque

    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ce que nous ne trouverons jamais reste ouvert : quelque chose le souffle et le cache. Nous entrons dans le livre de Lionel Jung-Allégret par les encres sombres de Jean-Gilles Badaire : une ligne s’incline, courbe l’espace d’une douceur de brindilles, dessinant un chemin, le bruissement du vent dans les feuilles, mimétique du titre, une promesse qui s’accomplira peut-être.

    Des trois épigraphes, je retiendrai le verbe « hanter » de Christian Doumet, assurément l’un des fils de Derrière la porte ouverte dédié aux ascendants, père mère, venus établir dans le texte une trace familiale en devenir.

    Dans le livre alternent deux voix. La première, celle du « je », est imprimée en caractères romains pour des poèmes numérotés de 1.1 à 1.5. Chaque texte, à l’exception du dernier, commence par « Derrière la porte ». La seconde voix répond à la première, ce « tu » auquel elle s’adresse, elle est imprimée en italiques. Elle commente et décrit les dires, les pensées et les actions de la première instance. Ces poèmes sont eux-mêmes numérotés de 2.1 à 2.4. Dans la mise en musique réalisée par Grégoire Lorieux 1, c’est l’auteur qui dit le poème 1.1 et une actrice le 2.1. Puis les deux voix interviennent de façon plus complexe, parfois en écho, en arrière-plan. La voix italique et la romaine semblent constituer des voix intérieures.

    Le vers liminaire, détaché, « Derrière la porte ouverte », donne son titre au livre, immédiatement assimilé à l’adjectif « étrange ». Paradoxale, la trace, polysémique peut-être, elle est source d’une émotion tour à tour douloureuse ou féconde. Indicible, on l’éprouve dans le chant anaphorique des intensifs :


    « tout est si étendu

    si infime

    tout est si étrange. »


    Par homophonie, on entend l’écho de la conjonction hypothétique dans cet adverbe intensif.

    Étonnante attaque du titre déjouant l’attente : « derrière la porte fermée » ? Non, elle est ouverte. Cet espace qui s’ouvre, « infime » et « étendu », est celui des paradoxes. Nous lirons plus loin :

    « Derrière la porte ouverte

    il y a une infinité de portes qui battent »


    ou encore :


    « Ne croyez pas que des portes s’ouvrent

    ou que des portes se ferment »


    Autre paradoxe. La porte ouverte et la porte fermée sont une. Deux espaces-temps coexistent, comme la physique quantique, mentionnée en première épigraphe2, le laisse supposer.

    Est-ce la « porte logique » 3 de l’ordinateur quantique ? Ou la porte de l’Enfer que franchit Dante ? Ou celle découverte par Alice, si petite qu’elle ne peut y passer, alors qu’elle voit derrière elle un merveilleux jardin ? Pays des Merveilles, apparemment, mais pour l’atteindre, il faut changer d’état.

    Giordano Bruno, dans un dialogue entre Albertino et Filoteo, qui est son porte-parole, écrit : « Débarrasse-nous des moteurs extrinsèques ainsi que des bornes de ces cieux. Ouvre-nous la porte par laquelle nous voyons combien notre astre ne diffère en rien de tous les autres. […] Fais-nous clairement comprendre que le mouvement de tous ces mondes procède de l’impulsion de l’âme intérieure, afin qu’illuminés par une telle contemplation nous puissions progresser à pas plus sûrs dans la connaissance de la nature. » 4 Giordano Bruno enseignait ici que la Terre tourne autour du Soleil, que les étoiles sont centres d’autres mondes, que l’univers donc s’avère infini. La porte qu’il ouvre est celle de la connaissance, celle de l’univers, de l’espace et du temps. (L’ouverture de cette porte le conduira au bûcher en 1 600.)

    Quand elle est ouverte, la porte permet le passage d’un espace à un autre. Derrière la porte ouverte du livre de Lionel Jung-Allégret, nous pénétrons dans la chambre d’hôpital ou bien l’espace mortuaire où gît la mère, puis dans le four aux « portes d’acier » réservé à la crémation. C’est aussi une porte derrière laquelle se trouve un savoir inaccessible.

    Que reste-t-il de si fragile et pénétrant qui disparaît « comme si l’on ne savait pas / que nous ne verrions rien » ? L’intensif et la condition, inatteignable, se joignent, situant le livre d’emblée sous le signe de l’insoluble.

    C’est donc dans un double mouvement d’amoindrissement et d’extension par la pensée qu’officie le poète de Derrière la porte ouverte.

    L’altérité pourrait-elle enfreindre la fatalité ? « Peut-être arriveraient un autre feu / ou la cendre d’une autre chair ». Les premières pages semblent vouloir puiser dans la répétition de syntagmes identiques une source, le participe présent portant la durée rédemptrice envisagée dans son processus, lent, récurrent. Marqué par l’effort ou l’inanité ? Seuls changent les compléments du nom (« naissant d’un reste d’algues », « d’un reste de soleil ») comme autant de possibles envisagés mais qui risquent de ne pas aboutir (à la vie), les interrogations en témoignent qui se multiplient en « [p]romesses jamais offertes ».

    Pour les mères, le chant, le sanglot « dans les matins blanchis », l’adresse « ô mère », alors qu’elles ouvrent le monde « derrière la porte » ou dans l’horizon qui porte déjà la blessure de la mort annoncée car, « derrière la porte ouverte », maintes blessures, recluses, vont apparaître dans le jour. Vestiges de douleurs passées comme celles, présentes et terribles, que porte la vie en ces énumérations introduites par « il y a », formulation d’un présent éternel qui ne peut que s’ouvrir en laissant paraître la souffrance. Les accumulations accentuent l’effet de prolifération sans fin des douleurs engendrées par la vie, la conjonction « et » ne les clôt pas. Le « je » que le poète avance est personnel et universel, témoin, auquel se confronte ce « tu » invoqué, mère ou l’autre qui souffre, perméable et exposé sans fin. Des parallèles s’établissent : les lignes de l’électrocardiogramme et « quelques lents calques de falaise », comme si la douleur humaine et le monde se reflétaient en un écho sans fin.

    Les encres de Jean-Gilles Badaire portent les traces de cette douleur : branches devenues de longues lignes courbes autour d’un espace ouvert sur des avancées et des reculs, ombres tacites dans la figuration du cri que le livre répète.

    Comment ce cri pourrait-il entrer dans la musique ? Vibre-t-elle encore lorsque le corps ralenti qui se meurt peut-être recule ? La porte ouverte laisse-t-elle les sons nous atteindre alors ? Le poète voyant depuis un point éloigné de la terre, dans une projection cosmique, entend une « mesure précise », « le chant de l’invisible » :


    « Je vois ce qui est dur

    dans l’oscillation des ondes »


    Quelque chose résiste, « ellipses d’abord », qui fera naître « un instant d’eau / dans l’éternité » car le temps se répare en devenant éternel et des échos prophétiques nourrissent les vers, « cendre bleue » sidérale et féconde.

    Guillaume Apollinaire percevait dans le fleuve « [d]es éternels regards l’onde si lasse » et écrivait : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente ». Lionel Jung-Allégret nous décrit « [u]n monde plus lent que la vie. // Et les mots qui l’accompagnent / sont lents aussi. » L’autre voix parlera de « l’obscénité de l’espérance » face au vide entrevu. Espérance vaine comme celle de ce paysan de Kafka5 qui reste assis pendant des années à côté de la porte ouverte qu’il voudrait pourtant franchir. C’est la loi du temps, si difficile à penser.


    « Des mots amputés

    fracturés par ce qu’ils ne savent nommer

    des mots pour les lieux trop brefs

    des mots dont la couleur insaisissable

    crève les yeux

    et d’un langage obscur voile l’obscurité de la mort. »


    Une porte est ouverte sur des espaces et des temps autres, la référence aux expériences et aux spéculations de la physique quantique est manifeste. Seuls des mots blessés et défaillants peuvent les esquisser dans l’incertitude et l’indécision.


    En deux millions d’années pour l’humanité, combien de mères disparues, donnant la mort avec la vie, combien d’enfants les attendant sur le seuil ?


    « Ô mères aux corps abrupts de soleil

    aux corps de sols et de tombeaux ».


    Et si l’on envisage encore plus loin la formation de la terre, il y a 4,45 milliards d’années :


    « Je vois la matière profonde des limons

    jaillir du néant

    et de sa mesure précise. »


    « Je » et « tu » distinctement se lient pour entendre le ciel et la Terre, dans une arche que la musique crée. Mère perdue, retrouvée en ce chant, à « [l]’embrasure ». Le bleu alors traverse et perce, la fin du livre nous l’offre comme une main tendue sur le vide où résonnent quelques notes :


    « J’entends des murmures

    derrière les cordes du silence. »


    On peut lire le lexique emprunté à la musique comme dissocié du contexte monolithe de la perception visuelle, corde également tendue vers l’autre perdu que l’on peut atteindre : le futur ouvert, porté par un arbre, le vent entre soi et « [u]n corps dans la terre » qui s’ouvre à l’inconcevable musique de l’éternité.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. L’Autre Côté du ciel (2014), pour quatuor vocal et électronique, de Grégoire Lorieux — sur un poème de Lionel Jung-Allégret lu par l’auteur et par Martine Erhel. Création en septembre 2014, Église des Billettes, Paris — avec l’Ensemble Regards, dir. Julien Beneteau. On peut entendre l’œuvre sur le site du compositeur :
    https://gregoirelorieux.net/gregoire_lorieux_compositeur/Works/bydate/2014-1.html
    2. « Les physiciens ont utilisé deux modèles pour théoriser le monde, l’onde et le corpuscule. Mais il a fallu renoncer aux images traditionnelles : les constituants ultimes de l’univers ne sont pas réductibles aux métaphores classiques. » Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Métaphysique quantique, Éditions La Découverte, 2011.
    3. Métaphysique quantique, id. page 96.
    4. Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les mondes (1584), Éditions Berg International, 1987. Traduction de Bertrand Lebergeois.
    5. Kafka, Le Procès, ch. IX, « À la cathédrale », page 453, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Éditions Gallimard, 1976. Traduction d’Alexandre Vialatte.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Thomas Chapelon | [Le vent]




    [LE VENT]





    Le vent

    L’extrême obligeance


    Du vent

    Orienté

    Du soleil plat

    Sur le plateau

    Résistant                     forme millénaire


    D’usure lente


    J’écris            les feuilles






    Se dégagent de la tenue


    De la table,


    Écrire appuyé contre le vent


    Feuilles décrivant

    Je ne sais


    Les bourrasques


    La température intérieure


    Le froid

    Des nuages absents


    Clarté dormante.




    Thomas Chapelon, Désertion des capitales, Éditions L’arachnoïde, 2015, pp. 98-99.







    Thomas Chapelon, Désertion des capitales






    THOMAS CHAPELON


    Thomas Chapelon
    Source




    ■ Thomas Chapelon
    sur Terres de femmes

    [Je roulais vite très vite] (extrait d’Anarchie des octaves )
    [Tournis de pensées] (extrait des Immeubles de verre)



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions L’arachnoïde





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  • Mathias Lair, Ainsi soit je

    par Brigitte Gyr

    Mathias Lair, Ainsi soit je,
    Éditions La rumeur libre,
    Collection Poésie, 2015.



    Lecture de Brigitte Gyr



    MATER LA LANGUE




    Les cinq parties du livre qui portent chacune un titre, peuvent se lire comme une partition musicale à cinq mouvements, genre sonate, en mineur, si ce n’est que le nombre des mouvements dépasse celui convenu pour la forme sonate. L’auteur réussit ici le pari de la traversée d’un monde qui serait simultanément celle d’un corps et de ses avatars depuis la naissance, celle du monde qui l’entoure, largement végétal et animal, qui nourrit le narrateur de son enfance à aujourd’hui, un monde où comme dans la langue empruntée pour vivre et écrire, il puise les forces qui lui permettent de survivre. D’abord. Puis de vivre.

    Cette exploration de la langue, qui n’exclut pas lalangue de Lacan, habite le premier mouvement, le seul dans lequel l’auteur use de la forme prose et qui porte ce titre étrange « homonculus »; un titre qui détonne par rapport aux suivants moins savants. Ce titre latin, diminutif en français (« homoncule » signifiant « petit homme »), utilisé dans le domaine des sciences (homme artificiel), dans l’alchimie, dans la religion, emprunté par des auteurs de fiction, possède des occurrences riches mais ambivalentes (petit humain pas tout à fait humain, implanté, emprunté à…) ; titre latin garant de sérieux, mais porteur de son propre bémol — ce diminutif appelant à l’ironie.

    D’emblée cette première partie nous transporte dans le sujet voulu par Mathias Lair : ce qu’est — singulièrement pour l’auteur — être et écrire. « Au fond, dit l’auteur, on écrit de ne pas posséder la langue qui donne identité — à distinguer du bavardage romanesque ». Le cœur du sujet est posé. Advenir par l’écriture, c’est ce que fait sans doute chaque écrivain, sauf que chez Lair, c’est une nécessité presque littérale. Advenir à partir d’un manque qui, dit-il, ici et là, lui est propre, même s’il cite Bernard Noël pour qui « s’inventer un nom est le but du travail d’écriture ».

    Comme si penser ce manque, dont il a tant souffert durant sa jeunesse, était sa dette à lui. D’où cette obstination à séparer la langue du bavardage romanesque. Le retour à « lalangue » chère à Lacan, comme il nous le dit explicitement, n’est pas un choix littéraire. Il n’y a d’ailleurs pas de choix littéraires proprement dits chez cet auteur, étroitement lié à la psychanalyse, parce que la « littérature » ou ce qu’on entend par là, ne l’intéresse pas. Même s’il faut se méfier de ses propres assertions, et ne jamais oublier, quand on le lit, cette ironie grinçante contenue dans les mots, les phrases qu’il écrit ; une ironie qui constitue son identité d’écrivain — qu’il nous parle du manque ou du trop-plein :

    « maintenant, on a la passion du large, on vogue au grand amour. Au grand tout ».

    Ce serait un tort d’oublier de prendre au sérieux l’écrivain Mathias Lair jusque dans ses provocations les plus extrêmes, des provocations qui ne sont peut-être que les rejetons de ce manque conceptualisé, porté à la conscience, sans doute de manière extrêmement précoce. Il est des géniteurs qui font grandir les enfants plus vite que d’autres. Trop intelligent pour être dupe de lui-même, Mathias Lair n’ignore rien de la relativité de cela même qu’il avance.

    « Ce qu’on avait subi, on l’a refait, de soi-même : cette enceinte où ne pas être. À nouveau enfermé, on a perdu la clef… / On passe alors en mode survie. On est sans », pas totalement désemparé, puisqu’il y a la consolation de l’arbre : « un petit chêne que j’ai cueilli dans la forêt et planté là, sur mon balcon. »

    Dans les quatre mouvements qui suivent apparaissent des phrases courtes, haletantes. Certains passages, si l’on ne s’attache qu’aux mots pourraient figurer dans la catégorie prose, mais il est manifeste qu’ici, pour Lair, les mots se veulent autre chose, entrechocs des concepts, des registres, philosophiques ou terre à terre. La liberté de la langue est à l’œuvre, pour produire une poésie non poétique, surtout pas poétique pourrait dire l’auteur.

    Le deuxième mouvement Hors stase dont le hors du titre marque l’arrachement à l’immobile, comme nous le dit la suite du poème, tout en métaphore filée entre l’eau et le corps

    voilà que ça                    revient

    du haut bord                  ravagé

    une lame                         submerge là

    en pleines côtes              le vide

    lames, mer dévastées, où le ravage — ravagé — fait insistance marquant l’impossibilité de se remettre de ce vide, ce néant incarné par le elle maternel.

    Une géographie très intéressante de la répétition parcourt ces textes, comme cet étrange poème où

    la souffrance elle

    m’aime

    semble marquer le coup contre cet autre elle incarnation de la mère, et où c’est le cœur qui cette fois-ci fait insistance jusqu’à l’opposition au cœur de l’élan avec le

    jouir                au plein

    cœur               du vide

    …la souffrance aboutissant ici à établir mon empire deuxième degré bien sûr mais pas que… parce que l’indicible souffrance des premières années réclame des compensations dont un empire n’est pas la moindre. Au-delà de l’apparente spontanéité, de la volonté affirmée et réaffirmée par l’auteur de ne pas faire d’image ni de beau, rien n’est laissé au hasard. Une attention très particulière est portée à la manière dont les mots se présentent dans Ainsi soit je : une disposition « fractale » comme ont pu le dire certains critiques, pendant de celle en pente déboulante d’Inzeste, que l’on retrouve dans certaines colonnes du recueil qui nous occupe — pas toutes — la symétrie (on a presque envie de parler de « symétrisme ») n’est pas l’affaire de Lair qui refuse, en tout cas dans ce livre, toute contrainte extérieure, ne se fiant qu’à ses contraintes propres :

    Cette passion

    de vérité                        pourquoi

    l’enserrer                      au filet

    d’une langue                 qui

    n’en peut                       mais

    Le délitement, ensuite, se poursuit, même les mots ne tiennent plus

    il faut

    se dés

    humaniser

    La traversée, lucide, du malheur initial, des difficultés de vivre, s’éprouve tant à l’échelle personnelle qu’à l’échelle du monde. Mais on n’y perçoit aucune exagération, ni catastrophisme. Une certaine mélodie du bonheur parcourt même par endroits le corps du narrateur qui est dès le début partie prenante de cette aventure.

    ta cage                             se lève

    se soulève

    […]

    tu n’avais en rien

    prévu ça                          te surprend sur

    la piste d’envol               les côtes

    en préparation               il y a de l’oiseau

    en toi

    Et puis, il y a la jouissance qui sauve de la détresse absolue

    Être                        ce lieu

    aveugle                  du passage

    d’une sève              en soi

    célébrer                 cet essor

    dont on ne sait rien

    Dans le mouvement suivant : Enfance, ce sont encore les images de la petite enfance, exploitées sous d’autres formes dans des livres précédents, qui reviennent avec violence. La folle ambivalence du ratage familial initial est pointée, avec la figure de la mère, morte d’amour (à l’amour) et la haine qui plane, conséquence de désamours successifs. Un ratage dont l’enfant Mathias était investi

    fils d’une malade j’étais

    portais le mal                  je m’y

    suis conforté

    […]

    me reste

    ce penchant                glisser

    en bas ne pas             tomber

    se fondre                    en terre

    s’y confondre             en

    jouissance                  blanche

    définitive                   grande mort

    Les mots mêmes sont porteurs de cette ambivalence, comme ce haimante qui rappelle celle existant entre haïr et aimer :

    rien contre                   ça la mère

    haimante                 comme

    une vague                engloutit

    et roule et dissout              comme

    Ça pourrait parler de l’obscène, en fait ça parle de l’obscène, ça crie à partir de l’obscène, vécu ou fantasmé, ce qui est pareil. Une traversée du vide depuis l’inassumable d’une mère non vivante, porteuse d’un universel désir de mort, à son propre égard et sans doute à celui de ce fils petit cochon dont elle serait la mère truie. Il ne faut pas compter sur Mathias Lair pour épargner ni s’épargner. Il nous décrit une souffrance à vif dissimulée sous lalangue (compensée ici ou là par des images apaisées de la Terre), une confrontation avec l’immonde ressenti d’autant plus fort par le narrateur, qu’en l’absence d’un élément d’équilibre, il subsiste et est perçu dans sa nudité, créant en celui qui l’a subi — et dont l’écriture en est totalement imprégnée — ce vide constitutionnel qui fait d’un arbre le consolateur face à la mère et de la jouissance tout à la fois une sauvegarde et une perte abyssale.

    L’arrachement se lit à chaque ligne, et quand il écrit qu’il y a de l’oiseau en lui ou que le chêne est sa consolation, on comprend que ce qui a empêché l’effondrement, c’est l’autre expérience, l’expérience primitive (ou première). Elle a empêché l’effondrement mais non la douleur portée « en Cage » à l’intérieur du livre. Traversée du corps et de ses aléas, la traversée du vide n’est pas ici une partie de plaisir. La passion de Mathias Lair pour la vérité, sa vérité, n’est pas facile à porter. À un certain stade tout devient douleur, une madone et l’enfant, aussi belle soit-elle (plus elle est belle pire c’est) devient rappel du vide porté par le corps et par l’esprit singulier qui sont le sien.

    Ce livre va loin, mais en le lisant, le relisant, on voit, on sent, combien il est essentiel à l’auteur d’abord bien sûr, pour qui — comme le dit Bernard Noël, cité précédemment, mais qu’il est important de rappeler ici — « s’inventer un nom… est le but de l’écriture », mais aussi essentiel au lecteur, tout lecteur attentif aux mécanismes à vif sous le discours et la vie de ceux qui discourent.

    Ce livre est pleinement abouti, peut-être le plus abouti de ceux que je connais de Mathias Lair, parce que sans fioriture aucune, sans complaisance aucune — ce qui n’exclut pas les jeux de langue, chansons, jeux de mots parfois, les transcriptions lacaniennes, toujours à point nommé.

    Son souci de précision est aussi celui d’être au plus cru des choses, décorticage à cœur de la jouissance cannibale, ses dents de sauvagesse, la proximité des peaux, puisque « c’est fait en dedans ». La mère qui est décrite : « c’était elle l’homme de nous deux ».

    Le 4e mouvement, intitulé À Corps perdu, explore plus précisément la naissance — prémisse de catastrophe, pourrait-on penser, si l’on ne savait pas par ailleurs que la catastrophe était déjà programmée bien avant, quand le grand-père du narrateur donnait des coups de pied au ventre de sa fille à peine enceinte, et sans doute avant encore…

    Mathias Lair n’a pas son pareil pour tirer le fil d’une histoire qui convoque, même si ce n’est pas explicite, des mémoires ancestrales (explorées dans Aïeux de misère, Éditions Henry, 2013)

    mon corps

    est la grotte sanglante où

    je respire            à cœur

    battant

    Pourtant dans ce noir programmé puis subi, l’auteur (qui s’avoue volontiers mécréant, dubitatif quant à la religion mais authentiquement assoiffé de philosophie, de pensée) reconnaît avoir été traversé d’une force salvatrice et obscure qui s’élève et l’élève, un naja planqué au niveau du sacrum, issu du tantrisme. Passage important dans la vie de l’auteur qu’il ne s’agit pas de manquer :

    je retrouve la kundalini

    une énergie vint

    de l’obscur d’avant         naissance

    se logea au corps […]

    attend de se dérouler pour

    s’élever car         elle cherche

    le vertical.

    Une kundalini qui vient ici, par un mouvement inverse, contrer le trauma comme chute biblique. Certes, pour l’auteur rescapé, tout subsiste, au fond, de l’initial (enfant je m’anéantissais souvent), mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas lutter, comme nous l’apprend cette exclamation triomphale à la fin du poème :

    la sensation               de l’énergie je l’ai

    elle se suffit               la sensation

    Bien sûr, une fois passé ce moment de réconciliation avec soi-même, la violence qui parcourt le livre reprend son droit dans le cinquième mouvement, bien nommé, Vif & Cri. Une violence que n’ont pas épuisée les allées et venues des mouvements précédents, une violence imperturbable qui attaque la chair, d’abord :

    Pas vue pas

    sue comme chair hachée

    muette d’une autre

    et déplore une fois de plus le ratage subi de peu, avec cette trouvaille poignante

    encore la marque en creux du

    retiré            la douleur si

    proche d’un bonheur

    arraché

    Lalangue, ici, s’emballe de plus belle, contaminée par cette douleur, mais Lair refuse de s’y plier :

    je ne veux

    pas retourner à

    lalangue des —

    […]

    ne           pas

    marcher               l’amble

    domestiqué          écrire

    comme je parlerais

    si je parlais

    Malgré la force et la grande crudité des images négatives, de fait ni le poème, ni son auteur ne se laissent abattre. Petit miracle du tantrisme éprouvé dans la chair de ce dernier, la kundalini ? Quand on referme Ainsi soit je, on ne peut s’empêcher d’admirer le tour de force de celui qui l’a conçu et écrit. Car s’il est difficile en effet de mieux dire le définitif du dégât de l’enfance qui piaffe, dans l’écrivain désormais mûr, le psy à qui on ne la refait pas, on est obligé de constater qu’on a participé à une expérience humaine et littéraire sans concession où le dernier mot est malgré tout laissé à la résistance — mater la langue — et à une certaine forme de tendresse qui n’a pas besoin du mielleux des mots. Et chacun sait qu’il n’est pas tant de livres que ça qui nous procurent pareilles sensations, matière à réflexion.



    Brigitte Gyr
    D.R. Texte Brigitte Gyr
    pour Terres de femmes







    Ainsi-soit-jeBackG1
    MATHIAS LAIR


    Mathias Lair
    Source



    ■ Mathias Lair
    sur Terres de femmes

    La Chambre morte (lecture de Brigitte Gyr)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Libr-critique)
    une lecture d’Ainsi soit je par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site de Mathias Lair)
    une lecture d’Ainsi soit je par Chantal Danjou (Revue Europe n°1043, mars 2016)
    → (sur le site de la SGDL)
    une fiche bio-bibliographique sur Mathias Lair
    le site de Mathias Lair
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Mathias Lair





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  • Richard Rognet | [Le lierre]


    [LE LIERRE]




    Le lierre — puis l’église et ce qui tourne
    en nous, la vie patiente, les histoires
    anciennes, chats bottés, bois dormants,
    ombres retranchées dans les tremblements

    du soir — et les massifs de fleurs qui
    tentent de résister sous les crocs
    de la pluie, ces chants qui s’élèvent dans
    la mémoire et repoussent l’oubli, ces

    chants, éclaireurs de nos songes,
    paroles premières, mots d’amour
    sous l’usure de nos paupières, mots

    recueillis sur la feuille précocement
    brunie qui tombe du tilleul et laisse
    comme une trace dans l’air étonné.



    Richard Rognet, Élégies pour le temps de vivre, éditions Gallimard, 2012, in Élégies pour le temps de vivre, suivi de Dans les méandres des saisons, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2015, page 72. Préface de Béatrice Marchal.






    A46747






    RICHARD ROGNET


    Richard rognet




    ■ Richard Rognet
    sur Terres de femmes

    [Depuis ce matin, une tourterelle] (extrait de Lutteur sans triomphe)
    Un peu d’ombre sera la réponse (lecture de Sylvie Besson)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet
    → (sur le site écriVosges)
    une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet
    → (sur Mediapart)
    une page sur Richard Rognet (par Bernard Demandre), dont plusieurs poèmes
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Richard Rognet, poète vosgien (par Jean Gédéon)
    → (sur écriVosges)
    une fiche biobibliographique sur Richard Rognet (+ sept poèmes inédits)
    → (sur Patrimages)
    une page sur Richard Rognet (par Patricia Laranco)





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  • Monchoachi | Mâle/Fimelle (extrait)


    MÂLE/FIMELLE





    Mâle, qui vlé di : doèt’ gros-bourreau (index),
    Fimelle : bouche longée, (moue)

    peau propre et luisante,

    soin dènier-point apportée à la peau

    propre et luisante,
    Robe fibres rouges

    tressées brins pousse sagoutier,

    boucles z’oreilles et jambières
    Et toutes les façons du monde de jouer

    avec la bouche et les lèvres,
    Qui vlé di :

    mâle, plein, du’

    fimelle, vide insondable ;
    Mâle, raide, còriace

    la fimelle l’accueille

    bienveillante et douce,
    Un en deux, deux en un, ioune dans laute

    rond dans rond l’amarante plongé en fond

    tention pocaution lapeau longnon !
    Mâle dans une paire, fimelle dans une autre paire

    vice versa,
    La rouge ou la noire, c’est parti, lévez lãmain désappiyez :
    Soleil mâle, lune fimelle : la boule rouge !

    étoiles fimelle, lune mâle : la boule noire !

    mâle le potorik pièd-bois douboutt gros-nègue

    dans la savane,
    Fimelle l’herbe qui ondoie sous l’harmattan

    se couche sous les bourrasques de l’orage,

    reine chanterelle de tous les wharf zhèbe

    zhèbe calalou, zhèbe couresse, zhèbe djinen
    Mâle la droite, fimelle la gauche
    Mâle branches droite alternant fimelle branches gauche

    forment ligne en chevrons

    figure du grand serpent qui anime le monde ;
    Mâle le feu qui ravage, fimelle l’eau de la terre
    Mâle l’eau-semence de l’animal mâle,
    Fimelle l’eau semence de la belle,
    Mâle le ciel du sommet

    dispense lumière et ondée,
    Fimelle la terre qui s’ouvre à la semence,
    Mâle l’oiseau qui se perd dans l’éther, l’esprit de la brousse,
    Fimelle le coquillage nacré, le poulpe,

    rai de lumière

    dans les cavernes de la mer
    Mâle « la fureur sacrée », l’esprit vengeur qui le premier

    posa son pied sur la boue

    et assécha la terre,
    Le masque à long nez, la pierre dressée,
    L’enfant qui à sa naissance respira la fumée d’un feu ensorcelé

    ou était-ce l’absorption d’eau salée

    ou l’avait-on peint en blanc avec le soufre ;
    Fimelle « le sourire des initiés »

    oiseau de paradis dans les cheveux

    voix de flûte

    tranquille-chantant,

    vêtements esplendissants

    offerts aux yeux ravis des mères,
    Le tourbillon du grand arbre cosmique

    dispensateur de vie
    L’antilope qui a tourné autour de la Montagne

    sept jours

    avant épouser le forgeron,
    La mare aux sept eaux en quelle repose la Montagne,
    […]



    Monchoachi, « Le Réel/Le Jeu », XV, in Partition noire et bleue (Lémistè 2), Obsidiane, 2015, pp. 51-52.






    Monchoachi 2








    MONCHOACHI


    Monchoachi2
    Ph. © Phil Journé
    Source




    ■ Monchoachi
    sur Terres de femmes

    Le mage [extrait de Lémistè (1. Liber América)]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur île en île)
    une fiche bio-bibliographique sur Monchoachi





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  • Mimoza Ahmeti | [Je ne sais que faire de l’univers]


    [JE NE SAIS QUE FAIRE DE L’UNIVERS]





    Mimoza Ahmeti, L'Aéroport du coeurJe ne sais que faire
    de l’univers, où la Terre,
    ce jouet mien
    n’est plus adapté
    à mon âge.
    Depuis des années
    je joue avec,
    il a mangé les ossements
    de mes grands-pères
    et c’est cette impression,
    peut-être, qui me rend
    le jardin du rêve,
    et me donne
    assez de mélancolie
    pour me sentir humaine.
    Vous savez,
    un préjugé suffit
    à engendrer la vie,
    mais un seul obstacle
    et l’intrigue se trame,
    puis l’incident,
    sa multiplication crée
    l’histoire,
    et s’engendrent
    les frontières, langues
    et nations
    qui entretiennent des guerres.





    Et moi je perds ma faculté
    de communiquer,
    le plaisir de simplement
    rayonner avec le commun
    des humains…



    Mimoza Ahmeti, L’Aéroport du cœur, poème choisi et traduit de l’albanais par Élisabeth Chabuel, Éditions imprévues, Collection « Accordéons », 2015, pp. 2-3.






    MIMOZA AHMETI


    Mimozaahmeti
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Imprévues)
    une page sur L’Aéroport du cœur de Mimoza Ahmeti
    → (sur transcript)
    une page sur Mimoza Ahmeti
    → (sur wikipedia.fr)
    une notice sur Mimoza Ahmeti





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  • Maria Desmée | [No way to sleep this night]




    [NO WAY TO SLEEP THIS NIGHT]



    No way to sleep this night
    un cœur bat dans la ville
    une ville bat dans le cœur
    une lumière qui ne s’éteint plus
    les      paupières    sont     devenues
    transparentes
    je vois à travers
    du fond du cœur à l’infini

    Une absence ne se défait pas
    elle s’enracine dans l’écorce
    et délave les couleurs
    la main se vide
    geste sans trajectoire
    elle caresse le vide

    La nuit pour poser les mots justes
    sur le bord des fenêtres
    les retrouver    au matin     restitués



    Maria Desmée, De l’autre côté de l’océan, Paris, New York, Cleveland, Éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2015, pp. 24-25. Préface de Vénus Khoury-Ghata.






    Maria Desmée





    MARIA  DESMÉE

    Maria Desmée
    Source




    ■ Maria Desmée
    sur Terres de femmes

    À l’infini (extrait de De quelle nuit)
    [La forme que prend le mot] (extrait de Diagonale du désir)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions soc & foc)
    une notice bio-bibliographique sur Maria Desmée





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  • Sylvie Marot, Lisianthus

    par Angèle Paoli

    Sylvie Marot, Lisianthus,
    les éditions de la Crypte,
    Collection Les Voix de la Crypte,
    2015.



    Lecture d’Angèle Paoli


    UNE MÉMOIRE FRACTIONNÉE



    Lisianthus est énigme. Énigme à quatre feuilles. Le mystère du mot, étoilé sur la page par une illustration de Sylvie Marot, est partiellement dévoilé sur le rabat de la quatrième de couverture du livre. À première vue, Lisianthus est invitation au voyage. De traversées désertiques épousant le lit des rivières du Texas du Nebraska du Nevada ou du Colorado en migrations lointaines, « lisianthus » a acquis ses lettres de noblesse loin de ses contrées d’origine. Le Japon fit en effet de cette fleur sauvage la charmante de tous nos bouquets. Campanule du Texas, également appelée « gentiane des prairies », « lisianthus » doit son nom au lissé de ses pétales, à leur délicatesse et douceur. « Son bouquet rappelle le souvenir ou la promesse du tendre baiser », peut-on lire sur le même rabat.

    Ce jour-là pourtant, il n’y avait pas de lisianthus à l’étal du fleuriste. C’est ce que révèle l’un des derniers fragments du recueil de Sylvie Marot qui porte le nom de cette fleur mythique : Lisianthus. Un « fragment » gourmandise dans lequel l’absence de festons violets est compensée par la caresse douce des doigts sur la robe d’une amande que la main de la narratrice cherche à dénuder. Douceur tendresse, plaisir délicieusement érotique de ce moment de pure jouissance des sens. Vue goût et toucher sont à la fête. D’un fragment l’autre, la douceur persiste sur cette page et se prolonge dans la rêverie de la jeune femme, « alors que tout lui semble si rude autour d’elle. » C’est que Lisianthus s’inscrit davantage dans le tourment du désamour et de la perte que dans la « lumière sélène » des nuits amoureuses. La jeune amante éperdue du désir de retrouver ce qui était son bien le plus cher n’en finit pas de chercher ce qui n’est plus. « Son amour a disparu dans un endroit éloigné des mots », confie-t-elle. Dès lors prend forme la complainte qui s’annonce comme un journal. Un journal évanescent qui s’ouvre un mercredi de juillet, se poursuit jusqu’au vendredi et cède la place aux jours suivants, délesté de ses accroches temporelles. Les fragments se poursuivent de page en page, interrompus par un blanc qui sépare un moment d’un autre.

    Séparation ? C’est ce à quoi il va falloir se résoudre. La narratrice n’annonce-t-elle pas dès le premier fragment la nécessité imminente de la résection ? « Réséquer ». « Ce dernier mot tombait à point nommé ». Couper enlever retrancher… Retrancher qui à qui de qui ?

    « Seras-tu la première à trancher ? » La question était venue de lui. Et « la réponse était non. »

    Dès l’amorce de ce récit poétique, l’idée d’une fragilité extrême affleure. En même temps que l’image floue d’une jeune femme en perdition. Celle d’une vie qui ne tient qu’à un fil et qui cherche une issue du côté de la mort. Noyade écartèlement sommeil hypnotique vie somnambulique autolyse lente…

    La narratrice au bord du gouffre « attend que quelqu’un veuille bien la suicider ». L’écriture prend racine dans cette réalité nouvelle qui est torture insoutenable, souffrance qui ne laisse nul répit ni au corps ni à l’âme. Ce qui sauve la narratrice, c’est le talent qui alimente l’écriture et rend à la jeune femme la force dont elle a été privée. « Feu notre amour ? Notre amour feu ? » interroge-t-elle dans l’une de ces jolies formulations-trouvailles dont Sylvie Marot a le secret.

    Composition par fragments — le terme inscrit en sous-titre renvoie à l’état physiologique et mental de la narratrice —, Lisianthus procède par glissements subtils. Ainsi de « feu » à rouge, dans une déclinaison de matières, un kaléidoscope de nuances précieuses qui ajuste les couleurs aux sentiments qui déchirent la narratrice, embrasement puis naufrage. Survient le noir associé aux rondeurs du monde animal forces de vie qui renvoient à l’enfer. Plus loin, le blanc fait son apparition dans une énumération alphabétique qui englobe toute la palette chromatique, depuis l’« albâtre » jusqu’au « blanc de zinc ». Il y a aussi cette jolie kyrielle de couleurs alternées que l’on imagine zébrage régulier et rythme : « Une ligne verte. Une ligne brune. Une ligne verte. Une ligne brune. Une ligne jaune. Une ligne noire. Une ligne jaune. Une ligne noire. » Lallation. La poète désespérée se berce dans le jeu des répétitions.

    Elle cherche le moyen de se raccrocher à une vie devenue impasse, privée de lendemains de projets de lieux où aller et où être. Ce moyen, elle le trouve dans la beauté. Ainsi s’attache-t-elle à inventorier tout ce qu’elle aime. Ce qu’elle appelle les « belles choses ». Sensible à la beauté artiste de la nature, elle l’est aussi à certains portraits — peinture et photos — ; mais aussi aux coloris, fruits et fleurs, vêtements :

    « une robe vintage entièrement brodée de petites billes noir de jais, un manteau d’un créateur italien en laine légère noir de fusain, des renoncules violettes. Elle avait trouvé toutes ces choses jolies et elle avait acheté toutes ces jolies choses. Au moment du choix, au moment des essayages, elle s’était demandé s’il allait aimer la couleur, la matière, le tombé. Par égarement, elle s’était demandé s’il allait l’aimer. » (p. 44)

    Outre l’« art subtil des explosions colorées », ce qui fascine l’amoureuse, ce sont les mots rares et la cohorte des racines latines qui les accompagne. Le vocabulaire précieux, les termes recherchés abondent. Pas seulement dans le domaine de la botanique ou des couleurs. Mais aussi dans le champ des matières organiques et scientifiques. Glochides / anéchoïque/ scotome / scaphoïde / dysgueusie / halitueuse / homichlophobe… Autant de mots savants qui éclaboussent la page, saisissent le regard, retiennent l’attention. Sylvie Marot jongle en experte. Les mots glissent rebondissent roulent sous sa langue avec la même sensualité que les quartiers de clémentines dont elle savoure la pulpe. Cette sensualité gustative, l’amoureuse la déplie aussi dans sa mémoire. Le souvenir encore tiède de la peau de l’être aimé, de son odeur de sa saveur intime la hante. « Il lui a ôté le pain de la main. Ses paumes sont aussi vides que sa mémoire gustative est pleine. »

    Autre particularité de cette singulière coloriste qu’est la poète, son goût pour les hybridations. Dans le jeu du portrait — si j’étais un animal —, elle choisit l’okapi, mi-girafe mi-zèbre. « Elle serait un zébroïde : un croisement entre un zèbre et une jument. Elle serait zhorse. » Mais Sylvie Marot est sans doute cela, un « bijou » d’origine hybride, une poète inclassable. Qui aime le jeu sensuel avec les mots, avec les êtres et choses qui l’entourent. Sa fantaisie déconcertante la rend fortement attachante. En dépit du désarroi profond qui la traverse et qui l’anime, elle est drôle et imprévisible :

    « Elle dévisse doucement. Elle touchera bien le fond. Assise, elle se laisse glisser. Le sol la réceptionne sans bruit […] Elle ne peut rester indéfiniment ainsi. Elle reprendra bien prise. Elle reprendra son assise. Elle mettra ses pieds sur sa chaise et elle touchera le plafond en tendant bien les bras quitte à se laisser pousser les ongles ».

    Au bord du vacillement, de la disparition lente, de la déhiscence et de l’aporie, la pâle amoureuse est poète équilibriste mais aussi lychnomancienne. Car elle s’y entend en art divinatoire. Pas n’importe lequel. Elle se plaît à déchiffrer les signes à travers les flammes d’une bougie. Elle sait distinguer les bons des mauvais présages. Elle cherche sans cesse dans les lumières « le visage solarisé de l’être aimé. » En vain. Elle persiste dans sa souffrance, dans cette impossibilité qui est la sienne à susciter en celui qu’elle aime l’éblouissement qu’elle recherche. Elle s’entête jusqu’à laisser glisser en elle le sommeil ou jusqu’à se laisser glisser en lui. La tentation est grande de se changer en éternelle pleureuse et de sombrer dans une lénitive langueur. Mais elle se ressaisit. Il est temps, écrit-elle, « de polir ses peines hermétiques… » et de sourire.

    Ces écrits fragmentaires sont peut-être le fruit d’« une mémoire fractionnée ». Mais la talentueuse Sylvie Marot s’y entend pour recoller avec art les morceaux disjoints. Dans le même temps qu’elle « parfile ses émotions », elle rassemble ce qui a été réséqué pour faire de Lisianthus un premier recueil très prometteur. Un bouquet d’étincelles où se mêlent continûment surprise et plaisir.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Sylvie Marot, Lisianthus, Editions de la crypte, 2015







    SYLVIE MAROT


    Sylvie_Marot__2015
    Source



    ■ Sylvie Marot
    sur Terres de femmes

    Fragments (extraits de Lisianthus)



    ■ Voir aussi ▼

    (sur le site des éditions de La Crypte)
    la fiche de l’éditeur sur Lisianthus
    (sur Recours au Poème)
    une note de lecture de Marie-Josée Desvignes sur Lisianthus
    (sur lelitteraire.com)
    une note de lecture de Jean-Paul Gavard-Perret sur Lisianthus
    (sur lelitteraire.com)
    un entretien de Sylvie Marot avec Jean-Paul Gavard-Perret (1er jan­vier 2016)
    (sur Lire le Japon)
    une note de lecture sur Lisianthus





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