Étiquette : 2015


  • Roland Ladrière | Nuit du monde | L’indécise



    NUIT DU MONDE



    Un feuillage ténébreux s’insinue sur le balcon de la nuit du monde. Une amante protège de sa paume la flamme qui éclaire son visage. Et il me semble que c’est elle que j’ai tant attendue, «Une femme qui se laisse regarder sans sourire, ou sans rougir, parce qu’elle a compris que la beauté est quelque chose de grave. »1




    1. M. Yourcenar, Sixtine






    L’INDÉCISE



    J’ai rêvé ceci : un bateau fend les eaux noires. La nuit est épaisse alentour, nulle lumière ne filtre du ciel. Aucun son ne provient de nulle part, pas même le glissement de l’écume sur l’étrave et la coque. Mais il est illuminé à la proue de mille feux, et passe…

    J’ai refait ce rêve peu après : le même bateau glisse dans l’obscur. Sur le pont, l’un près de l’autre : un garçon et une jeune fille aux longs yeux pleins de larmes. Elle dit d’une voix claire : « Comment saurais-je si je t’aime puisque je n’ai jamais aimé ? » Et le bateau passe, comme une torche dans un puits.



    Roland Ladrière, La Ville reflétée in Inconnaissance éblouie suivi de La Ville reflétée, Revue Nunc | Éditions de Corlevour, 2015, pp. 85-87.






    Ladrière




    ROLAND LADRIÈRE


    Roland Ladrière - photo
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Roland Ladrière (+ deux poèmes)
    → (sur le site des éditions de Corlevour)
    une fiche sur Inconnaissance éblouie de Roland Ladrière






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  • 6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb

    Éphéméride culturelle à rebours




    MICHEL DEGUY, PROSE DU SUAIRE



    Le 6 novembre 2014 meurt à Paris le poète soufi Abdelwahab Meddeb. Né à Tunis en 1946, Abdelwahab Meddeb a été une figure majeure de la pensée franco-tunisienne. Passionné de littérature française, cet islamologue, également romancier, dramaturge, homme de radio et universitaire, a contribué par son travail éditorial – il dirigeait les éditions Sindbad — à faire connaitre les maîtres du soufisme ainsi que nombre de poètes et grands écrivains contemporains de langue arabe. Parmi lesquels figurent Naguib Mahfouz et Adonis.

    Abdelwahab Meddeb 2
    Source

    Au lendemain de la mort d’Abdelwahab Meddeb, le poète Michel Deguy a rendu hommage à son ami franco-tunisien, auteur de Portrait du poète en soufi, en lisant Prose du suaire à l’Institut du Monde Arabe. La particularité de cette prose, hymne liturgique composé en l’honneur du défunt, est qu’elle a été traduite, selon le désir de Michel Deguy, en vingt langues. Dont le latin. Le recueil publié par Alain Gorius pour les éditions Al Manar constitue donc un « tour de Babel en vingt poèmes de ce monde ». Une « Œuvre ouverte », selon les mots de Michel Deguy, fidèle à la pensée du poète soufi. À quoi vient s’ajouter la calligraphie. Tour du monde babélien selon Rachid Koraïchi pour la première de couverture ainsi que pour les différentes calligraphies de l’intérieur de l’ouvrage, chacune des langues bénéficiant de sa typographie propre (accents, signes, cédilles, pictogrammes…). Un parcours séduisant pour l’œil et pour la langue.

    Poème en sept strophes (de 4, 5, 6 ou 3 vers) sur la mort, Prose du suaire dialogue pour nous avec le défunt. J’ai choisi de présenter ici les strophes 4 et 5 du poème, en respectant l’ordre des langues retenues pour ce recueil. Sont toutefois ici absents (pour des raisons pratiques de mise en ligne dans cet espace) les textes de : Mohammed Bennis (arabe) ; JIN Jia et XU Min (chinois) ; Veltsos Georgos (grec) ; Moses Emmanuel (hébreu) ; Anand Beena (hindi) ; Nishiyama Yuji( japon) ; Royaï Yadollah (persan) ; Holter Julia (russe) ; Doan cam Thi (vietnamien).




    Pour Abdelwahab Meddeb




    [1.]Prose du suaire



    « D’où que tu sois » tu es ici
    Tu parles tes poèmes dans la nuit de nos jours
    Un nous peut te jurer une fidélité

    Maintenant le voile puis le suaire de nos pages
    Appliqués sur ta vie
    Ta vie passible de la transcendance qui la configurait
    Relèvent mes traces de cette transe
    Qui la transfigura



    Michel Deguy






    [3.] Prosa des leichentuchs



    ,,Wo du auch bist » du bist hier
    Du sprichst deine Gedichte in die Nacht unserer Tage
    Ein Wir kann dir eine Treue schwören

    Jetzt der Schleier dann das Leichentuch
    Unserer auf dein Leben angewandten Seiten
    Dein Leben offen der Transzendenz die ihm Gestalt gab
    Heben die Spuren dieser großen Angst hervor
    Die es verklärte



    Dans l’allemand de Joachim Sartorius






    [4.] Prose of the shroud



    « Wherever you are» you are here
    You speak our poems in the night of our day
    A we can swear you fidelity

    Now the veil and then the shroud of our pages
    Applied to your life
    Your life liable with the transcendence that configured it
    Roll up the traces of this trance
    That transfigured it



    Dans l’anglais de Richard Rand






    [6.] Prosa del sudario



    « De donde seas » aquí estás
    Hablas tus poemas en la noche de nuestros días
    Un nosotros puede jurarte una fidelidad

    Ahora el velo después el sudario de nuestras páginas
    Plagados sobre tu vida
    Tu vida pasible de la transcendencia que la configuraba
    Relevam las huellas de este trance
    Que la transfiguró



    Dans l’espagnol de Jean-Paul Iommi-Amunategui






    [10.]Szöveg szemfedőre



    ,,Bárhol is légy », de itt vagy
    Közös napjaink éjjelébe mondva verset
    Közös — és ez a hűség záloga

    A lapok leplek, aztán szemfedők
    Létedet lefedők
    A létet, amely a túlnant fordította
    Az ittbe át, keresztül—
    Lépve rajta



    Dans le hongrois de Kristian Toth






    [11.]Prosa del sudario



    « Da dovunque tu sia » tu sei qui
    Tu parli le tue poesie nella notte dei giorni nostri
    Un noi ti può giurare una fedeltà

    Adesso il velo poi il sudario delle nostre pagine
    Applicati sulla tua vita
    La tua vita passabile della transcendenza che la configurava
    Rilevamo le tracce di questa trance
    Che la transfigurò



    Dans l’italien de Martin Rueff






    [14.] Prosa del sudário



    « De onde você estiver » você está aqui
    Você diz seus poemas na noite de nossos dias
    Um nós pode jurar—lhe uma fidelidade

    Agora o véu o sudário de nossas páginas
    Estendidos sobre sua vida
    Sua vida oferecida à transcendência que a configurava
    Relevam os trços deste transe
    Que a transfigurou



    Dans le portugais de Marcos Siscar






    [15.] Proză al giulgiu



    « De oriunde-ai fi » tu eşti aici
    Poemele ţi le rosteşti în noaptea zilelor noastre
    Un noi poate să-ţţjure credinţă

    Mai întâi vălul apoi giulgiul paginilor noastre
    Pe viaţa ta pasibilă de transcendenţa ce o configura
    Marcată e de urmele acelei transe
    Care-o transfigura



    Dans le roumain de Sorin Marculescu






    [17.] Mrtvaški prt v prozi



    »Od koderkoli si «, si tukaj,
    v noči naših dnevov nam govoriš svoje pesmi
    In naš mi ti lahko obljubi večno zvestobo

    Tančica zdaj, zatem mrtvaški prt popisanih strani,
    ki smo jih nanesli na tvoje življenje,
    tvoje življenje, zavezano lastni presežnosti, ki ga je razmestila,
    izrišejo sledi zanosa,
    ki je to življenje zaneslo v drugo obliko



    Dans le slovène de Barbara Pogacni






    [18.] Kefenin nesri



    « Nereden olursan ol » buradasin
    Günlerimizin gecesinde şiirlerinle konuşuyorsun
    Sana biz diyerek bağliliğimizi gösterebiliriz ancak

    Şimdi yüz örtüsü ve sayfalarumizin kefeni
    Yaşamina uyarlanmiş senin
    Aşkinlik gerektiren yaşamini biçimlendiren
    Onu cezbenin izleriyle güzelleştiren



    Nedim Gürsel’in Türkçesiyle
    Dans le turc de Nedim Gürsel






    [20]. Prorsa sindon



    Hic ades undecumque sis
    Carmina canis per dies nocturnos nobis
    Quidam nos te recordaturus iuret fidelis

    Nunc in his paginis ut linteo denique sidone
    Applicatis uitae tuae
    Vitae passurae studium transcendi eoque configuratae
    Legimus eius exsultationis uestigia
    Qua transfigurata est uita



    Dans le latin de Bénédicte Gorrillot



    Michel Deguy , Prose du suaire, un poème en vingt langues pour Abdelwahab Meddeb, Al Manar, 2015.






    Prose-du-suaire001





    MICHEL DEGUY


    Deguy
    Source



    ■ Michel Deguy
    sur Terres de femmes

    Cap sur l’agora des biens
    De l’attachement
    ô folle déclaration d’amour
    Pour la poésie aujourd’hui
    Quand il n’y aurait…





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  • Gabrielle Althen, Soleil patient

    par Isabelle Lévesque

    Gabrielle Althen, Soleil patient,
    Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015.



    Lecture d’Isabelle Lévesque




    La pierre résiste au vent impérieux,
    mais cède au pied patient.

    Albert Camus
    1



    Quelle initiale pour le premier poème ? Le « mot », matière et magie, « [p]our attirer la foudre » ? Quelque chose à rompre par l’éclat, le gris sur ce socle de parole où manque quelque chose qui n’est pas nommé mais que « L’épée », titre d’un des premiers poèmes, pourra peut-être fendre de son tranchant salvateur ? « [D]ans le temps sans paroles », il faut pénétrer, (en) découdre, trouer, faire briller sa lame et, d’estoc ou de taille, traverser le gris.

    Tout commence sous le signe des épines, « [t]e voilà écorché ». Par cette écorchure passe la lumière et le mouvement sera déclenché par l’impératif « danse » répété quatre fois, cerclé ou auréolé de ce que ce verbe engendre : le poème.

    Le livre est constitué de trois parties, le sens apparemment paradoxal de la première, « Trouver manque », est expliqué par l’auteur en fin de volume (« En guise d’argument »). « [U]ne expression de ma mère », nous confie-t-elle, Bretonne allée en Algérie loin du ciel changeant du pays : elle instaure le manque comme fruit d’une action ou plutôt aboutissement d’un processus qui n’est pas vain. Trouveur, celui qui cherche en la langue une source que le poème accomplit. L’emploi de l’impératif régulier confirme la démarche volontaire d’un sujet, de « [l’]enfant pesant comme un caillou / Sur le chiffon des choses / Et ce n’est que le vent sur la ville sans toits / Son cri à l’unisson / Et le mot qui grandit sur ce morcellement ». Émiettement qui grandit, fragments multipliés pour le « mot du monde », cela « s’écrit lentement ». Les poèmes courts et longs alternent, comme le vers (majoritaire) et la prose :

    « Des perles manquent au chapelet de la parole ».

    Ce qui se passe, en suite logique, « [e]t le gris va au gris sans laisser de sillage », placé sous le signe du morcellement et du manque, il diffracte le temps, les mots en appellent d’autres, « forêt verte » et « vertèbres », l’arbre devenu personne humaine, tandis que les « épines » de la mer côtoient « [u]n liseron béant ». L’homme, lié à l’espace infini, s’accroche aux parois, fines écorces, marquées par l’effroi, le temps réduit au silence « des vieux châteaux de craie ». Manquent le commencement, l’augure pur et sa portée libre inclinée vers la promesse mais « [l]e moment se referme », les courtes proses envisagent le constat démis, l’impossible accru :

    « L’incroyable t’aura touché la main, puis il est reparti, sans laisser de restes. »

    Constat, langue d’éviction alternant le temps d’une projection caduque, futur antérieur, et celui du passé : fermeture de la faille où passait la lumière.

    Si les « phrases noires » « ne donnent pas d’ombre », l’espoir (espérance ?) subsiste là où « irradient des feuilles mortes », liées à la mémoire oubliée de ce qui fut un. Glissement d’un mouvement vers une sensation : vol des brindilles puis leur bruit, comme si la perméabilité du monde autorisait les transferts (les suscitait). Au milieu, « je », instance d’écriture mais aussi personne au monde qui voit ses défaillances, son tremblement. L’analogie fonctionne comme révélateur et laisse une présence immanente. Toutefois « [l]e sens gît à terre / Mais il ne se voit pas », comment le dévoiler ? La mémoire offre un accès mais « [o]n croit l’histoire tombée / Fond de puits ou bien vide prolixe ? » Où trouver quand cherche encore Ulysse, aidé par les étoiles (ont-elles manqué ?) ? Le nom fait-il foi dans la quête et le retour vers le lieu ? Le chemin n’est-il pas sa propre réponse quand Personne écarte l’assaut d’une possible vengeance ?

    La craie à la trace effaçable apparaît dans des contextes différents : auprès des corps nus avant le baiser, elle éloigne, comme un bâton de pluie, la durée cruciale et la discorde. En perpétuelle osmose ou conversation, l’abstrait et le concret se rencontrent sur le socle du questionnement : « l’absolu rit depuis sa robe nue », des siècles de langue ou de faits glorieux traversent le poème pour fixer en ce « soleil patient » les repères évanouis mais incontournables de la mémoire. La musique les éveille comme la fable, ou le « mot » du poète repris du premier poème. Les compléments du nom assoient l’alliance entre l’invisible, ou l’idéal, ou l’abstrait, et les parties du corps ou les objets, « la main du poème ».

    Le titre de la seconde partie, « Falloir », est un infinitif, celui de la nécessité absolue, de la volonté surtout qui fait agir et entreprendre pour fermer ou traverser la faille. Ce verbe, doublet de « faillir » est issu du latin populaire « fallire » qui signifie « faire défaut ». Le manque y est inscrit.

    Des vers courts présentent une suite d’actions au passé récent des constats, sans autre complément que l’essentiel et minimal :

    « Tu as bu ton café

    Tu as fermé le gaz

    Rangé ta chambre

    Et rassemblé tes feuilles ».

    Départ sans fin, solitude et la vieillesse mesurée au corps abîmé :

    « Les épaves rouillent ainsi devant l’oubli ».

    Le vent garant traverse les poèmes, peut-être assure-t-il la pérégrination constante du cœur ou du geste salvateur et fécond qui fait du gris une durée limitée. Parenthèses nombreuses (ou tirets), commentaires ou l’écho affirmé d’une voix consciente de ses actes, prosopopées successives, le « je » se déplace :

    « Je ne suis pas à ma place dans l’abri de mon cœur ».

    Le verbe « falloir » en son subjonctif, « qu’il y faille », répété, fait entendre le nom commun de l’interstice ou de la fragilité avouée, grise et persistante. Vie florale (la rose) ou le bleu pour percer cette brume indécise, en italique :

    « Le jour qui se déplace n’attend personne
    Et fait rouler dans le soir ses éponges d’air bleu ».


    Incantation, le poème prend appui sur des mots redits : assise, affermir la voix avant de poursuivre. Rien n’est sûr (gris seul), la note rejouée favorise le vol, le vent portant sa mélopée dans « la déperdition des rues ». C’est peut-être la possibilité de lier le monde aux hommes, le lien naturel perdu se lit à travers ce refrain, parfois des anaphores (« Volonté » en tête de vers), qui établit une continuité :

    « Étourdis, étourdis que nous sommes ! »

    comme se répondent les mots aux sonorités différentes mais dont le sens, proche, faisant référence à un même domaine (la cassure, les tessons…), assure dans le tissu du texte la présence d’un fil sémantique formant écho lui aussi, ici le tranchant, déjà présent au début du texte. La douceur possible est démentie par la nécessité de la coupure établie tel un passage nécessaire vers vivre et écrire, « interstice », « porte précaire » : « Et bleu sur brun », le temps de l’apparition.

    « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » 2, affirmait René Char. Or ce qui vient ici mérite la plus grande patience. Il interrogeait aussi : « Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? » 3 Les « trous dans les nuages », l’« épiphanie de l’interstice » permettent d’envisager l’envers du gris. Il faut le vouloir, longuement. Il faut beaucoup de patience. « À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes » 4, annonçait Arthur Rimbaud. À l’« homme-roi » des villes, ce roi pauvre au « corps éclairant », mais « précaire », le poète demande : « Comment, comment vous reconnaître ? »

    Il est établi que le soleil est né voici plus de quatre milliards et demi d’années, il lui resterait encore plus de temps avant de s’éteindre. Et, parmi toutes les étoiles que nous regardons, beaucoup sont éteintes : obstination de cette lumière. Dans l’avant-propos à sa Belle Mendiante, Gabrielle Althen expliquait ce qu’elle doit à René Char pour son apprentissage de la patience : « Ainsi le patron me fut-il définitivement légué de la patience devant l’œuvre à prononcer et du rassemblement d’énergie nécessaire à la parole à naître. » 5


    Troisième partie, « Le troisième jour », « un peu de vocation lui tenait encore aux doigts », « [l]e ciel pour fleur qui se peut couper ». Vient le temps de conciliation, de résurrection :

    « Ah ! Qu’il faille aimer le jour parce qu’il est le jour ! »

    Entendue autrement, la « faille » au subjonctif de l’accomplissement désiré, miraculeux et évident propose une lecture apaisée du chemin parcouru. Signes de semence, temps d’une résolution des contraires :

    « Tu es ma consternation et ma consolation

    Tu es ma colère et mon rire ».

    On pense au titre actif de la première partie, « Trouver manque », la rose et le bleu fossoyeurs du gris reconnu, la floraison s’annonce. L’impératif relaie le mode précédent, « [m]ontre-moi », ordonne trois fois le narrateur en ses forces retrouvées et certaines, « [u]ne fois le gris devenu l’autre versant du bleu » 6.

    Un poème, « Köchel 467 », propose en exemple le Concerto pour piano n° 21 de Mozart, dont Gabrielle Althen aime la « distance tendre » 7. Le mouvement lent (andante) de cette œuvre laisse percer l’angoisse, dans un climat de mélancolie :

    « Un pas plus loin nous savons bien que c’est le drame

    Avec le sol qui craque au-dessus de la mort

    Et moi qui comprends si peu comment va la lumière

    En tremblant je m’en vais avec elle jusqu’au dernier accord

    Qui déjà m’avait tout pardonné ».

    Mais avec Mozart, « tout finit dans l’allégresse », remarque Gabrielle Althen, et le troisième mouvement du concerto est un allegro vivace assai. René Char, dans un poème assez sombre de 1978, déplorait « l’entrain de l’obéissance » auquel « la plupart des hommes sont voués », mais il concluait : « Nous n’avons cessé d’assister à cela. Charme bizarre : sans renoncer à l’espoir ! »8

    Espérance, vertu « la plus difficile »9, selon Charles Péguy. Elle est à l’œuvre ici.

    Temps des mots exaucé pour l’écrivain silencieux qui tente enfin de « recomposer tous ces morceaux », hors le gris, passé. Voici le bleu :

    « Les veines de Dieu courent sur la mer

    Des mots s’écrivent que l’eau noue et délace

    L’esquif tente sa grâce

    – Un bleu pensant posé sur la peau nue ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Albert Camus / René Char / Henriette Grindat, La Postérité du soleil, Gallimard, 2009
    2. René Char, Fureur et Mystère, Éditions Gallimard, 1962
    3. La Postérité du soleil, op. cit.
    4. Arthur Rimbaud, Une saison en enfer – « Adieu »
    5. Gabrielle Althen, La Belle Mendiante suivi de Lettres à Gabrielle Althen de René Char, Éditions L’Oreille du Loup, 2009
    6. On lira une autre version de ce dernier poème de Soleil patient dans l’anthologie poétique Terres de femmes de Terres de femmes
    7. Gabrielle Althen parle de Mozart dans l’émission : Au singulier – France Culture – 26/06/2015.
    8. René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Éditions Gallimard, 1979
    9. Charles Péguy, Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, 1911






    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Soleil patient
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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  • Catherine Weinzaepflen, Avec Ingeborg

    par Angèle Paoli

    Catherine Weinzaepflen, Avec Ingeborg,
    éditions Des femmes-Antoinette Fouque, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli




    RENDRE LE MONDE À SON AMPLEUR



    Duo de femmes. Cheminement de l’une vers l’autre. De l’une aux côtés de l’autre. Avec pour traits d’union privilégiés la langue allemande et l’écriture. Mais bien au-delà encore. « D’où vient cette émotion dès qu’il s’agit de Bachmann ? » Ainsi s’interroge Catherine Weinzaepflen. « Ingeborg ma sœur ».

    D’une naissance à l’autre, vingt années séparent les deux femmes. Ingeborg Bachmann et Catherine Weinzaepflen. Vingt années suffisent pourtant à les rapprocher. La plus jeune, en effet, se sent en très grande affinité de pensée et de cœur avec son aînée. C’est sans doute le lien invisible de parenté qu’elle retrouve sur une photo de famille (sa mère et sa sœur jumelle) qui nourrit en Catherine Weinzaepflen ce sentiment émouvant de sororité. « Ingeborg en sœur d’écriture pourrait être une réponse aux jumelles. »

    On n’écrit jamais seul(e). « On écrit avec les autres », confie Catherine Weinzaepflen dans un entretien donné en 2013 à Liliane Giraudon sur Poezibao. Dans ce dernier ouvrage, Avec Ingeborg, ouvrage inclassable puisque d’un genre hybride où alternent prose et poésie, Catherine Weinzaepflen écrit « AVEC Ingeborg ». Elle est accompagnée de sa présence ; elle vit avec ses œuvres, dont elle interroge sens et forme, jusque dans le choix de l’alternance prose/poésie ; elle voyage en sa compagnie dans l’espace et dans le temps. Après s’être libérée des inhibitions et des obstacles qui l’oppressaient, après s’être nourrie en profondeur de l’histoire d’Ingeborg Bachmann, la Strasbourgeoise se lance dans l’écriture de ce texte. Avec Ingeborg. Imprégnée de l’œuvre poétique de l’Autrichienne, Catherine Weinzaepflen s’attache à traduire en français nombre de ses poèmes. Fidèle en cela à la pensée de Bachmann pour qui le travail de/sur la langue est toujours recherche d’une « autre langue capable d’exprimer la conscience et l’expérience de la porosité du même à l’autre, à tout autre, homme, arbre, animal »* ; et, mêlant sa propre voix à celle d’Ingeborg, elle s’autorise un jour à écrire à sa suite, en écho avec elle, en symbiose avec elle. Jusque dans les engagements politiques qui lui font dénoncer les « violences d’État ». « Toutes les violences sont issues de ceux qui nous gouvernent », écrit Catherine Weinzaepflen. En amont et comme en écho, cette réflexion d’Ingeborg Bachmann concernant la catastrophe naturelle survenue à Salerno en octobre 1954 en raison de pluies diluviennes : « La sombre coïncidence d’un jour de fête et d’un jour funeste soulève un problème qui est aussi politique : celui de la colonisation interne et externe de l’Italie. Le Mezzogiorno est demeuré jusqu’à aujourd’hui le point névralgique du pays… »**

    Ainsi, leur histoire se croise-t-elle à travers une sensibilité proche. Cette histoire est celle d’une rencontre à travers une langue commune, l’allemand, porteuse du même poids (ambivalences et contradictions). Fardeau dont il faudra, pour la poète autrichienne, se défaire de la pesanteur afin que puisse advenir une langue autre. Langue longtemps marquée, pour Catherine Weinzaepflen, du sceau de l’interdit :

    « En 2006 je parlais anglais à Berlin, l’allemand coincé au fond de ma gorge. Idem en 2007. En 2010 je parle allemand à Berlin. »

    Une fois franchies et dépassées les barrières, Catherine Weinzaepflen se met sur les « traces » d’Ingeborg Bachmann. Elle remonte le temps. Le sien et celui d’Ingeborg. Jusqu’aux « années de jeunesse », « véritable capital », selon les mots d’Ingeborg, et jusqu’aux terres de l’enfance qui se rejoignent, annonciatrices de désordres à venir :

    « en Europe la terre est noire

    imprégnée des cendres

    de ceux qui y furent exterminés

    en Afrique la terre est rouge

    et la langue dévoyée

    en hurlements coloniaux… ».

    Poèmes et proses sont émaillés de références à l’œuvre d’Ingeborg Bachmann. Citations extraites de journaux et traduites par Catherine Weinzaepflen ; extraits de lettre ; expressions tirées de Trois sentiers vers le lac (traduction de Hélène Belletto, Le Sorbier, 1982) ; allusion à Malina, unique roman de Bachmann qui est aussi « le livre que j’aurais voulu écrire », aveu de la poète strasbourgeoise ; les vers empruntés aux poèmes figurant pour la plupart dans l’anthologie poétique Toute personne qui tombe a des ailes (poèmes 1942-1967), dans une traduction de Françoise Rétif, édition récemment publiée dans la collection Poésie/Gallimard. Souvent, le texte d’Ingeborg Bachmann sert de point d’appui ou d’accroche au poème de Catherine Weinzaepflen. Souvent Catherine Weinzaepflen complète les vers de son aînée en fonction de sa propre interprétation. Ainsi du poème « « je » parle d’autres langues » :

    « entre les squelettes de glace je cherchais mon chemin,

    arrivai chez moi, m’entourai de lierre

    bras et jambes » […] ***

    « aujourd’hui

    « il faut passer d’une lumière

    à l’autre, d’un pays

    à l’autre sous l’arc-en-ciel »

    d’un pays à l’autre

    de langues variées ».

    Dates et noms permettent de suivre les événements marquants de la vie d’Ingeborg. Mais Catherine Weinzaepflen fait des choix. Elle va à ce qui lui parle. Elle prélève les vers qui lui importent. Elle évite ainsi l’écueil du récit biographique qui n’est pas son propos. Elle voyage à travers une œuvre et entraîne le lecteur à sa suite. Elle l’invite dans le même temps à mêler les lectures. Choix de poèmes de Paul Celan « réunis par l’auteur », dans la traduction de Jean-Pierre Lefebvre (éditions Gallimard, 1998). Ou encore les Lettres à Felician, ouvrage publié en 2006 par Actes Sud (traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat). L’écriture de Catherine Weinzaepflen éveille la curiosité. Elle est incitation à lire ou à relire les poèmes qui lui ont inspiré ses propres textes. En cela aussi, semble-t-il, CW est proche d’Ingeborg Bachmann pour qui la poésie est ouverture vers l’autre. Toujours davantage.

    Ainsi, le texte intitulé « Vienne », qui s’ouvre sur la jeunesse de la Strasbourgeoise, mêle-t-il des détails biographiques de la vie d’Ingeborg :

    « J’ai seize ans. Je suis blonde, en robe, sur la photo… Nous sommes en janvier, la neige blanchit les toits de la capitale autrichienne. Ingeborg Bachmann est en résidence d’écrivain à Berlin. En agonie subventionnée (c’est elle qui dit cela). Elle a quitté Vienne depuis dix ans. Je suis sur ses traces. »

    1962. Catherine Weinzaepflen a seize ans. Cette année-là, au mois de juin, Ingeborg Bachmann se rend à New York. Et, tandis qu’elle fait la rencontre d’Hannah Arendt, Max Frisch poursuit seul sa vie dans leur appartement romain. Six mois plus tard, la rupture d’Ingeborg avec l’auteur de Stiller vaudra à la poète un séjour à l’hôpital de Zurich :

    « Dépression, tentative de suicide. Plus tard c’est le voyage en Égypte, pays « où le rire m’est revenu », dira Bachmann. Elle aime le désert. »

    Et Catherine Weinzaepflen de poursuivre et d’interroger dans « Désert » :

    « Comment est-il possible (ici les livres en témoignent) que deux êtres qui se rencontrent sur tant de points communs puissent, lorsque leur histoire d’amour s’achève, se haïr avec une telle férocité ? ».

    Longtemps avant Max Frisch, il y eut Paul Celan.

    « Le 16 mai 1948, Ingeborg Bachmann rencontre Paul Celan. Elle a vingt-deux ans, elle est éblouie par lui. Elle aime sa voix, son visage triste, sa démarche »… Elle « aime les poèmes de Celan. Elle sait que cet homme lui prend tout, elle veut tout lui donner. » Paul Celan quitte l’Autriche pour Paris. De cette séparation naît leur correspondance dont témoigne ce texte de Catherine Weinzaepflen, « entre Vienne et Paris » :

    « nos lettres dans la faillite constante

    celles que je ne t’envoie pas

    celles auxquelles tu ne réponds pas

    celles qu’il faut lire entre les lignes

    celles dans lesquelles le mensonge

    comme un virus

    nous infecte… ».

    Dans le texte en prose « de l’impossible », Catherine Weinzaepflen conclut de cette manière étrange :

    « Tous deux effrayés par leur rencontre amoureuse y renoncent — elle, avec l’apparent courage de la sincérité, lui, sans rien dire. Des modalités d’échec qui portent les stigmates du féminin et du masculin. »

    Deux vers du poème « en vérité » d’Ingeborg Bachmann permettent à Catherine Weinzaepflen de faire la jonction avec le poème « Corona » de Paul Celan. C’est l’occasion pour la poète strasbourgeoise de s’interroger sur le mot « corona » et de procéder — sur Google — à une recherche sur les différentes occurrences et définitions de ce mot d’origine latine. Recherche qui la conduit au poème éponyme de Paul Celan mais qui ne nous apporte toutefois aucun éclaircissement sur le lien qui existe très probablement entre ce poème, issu de Pavot et mémoire (1952), et Ingeborg Bachmann qui en est sans doute l’inspiratrice :

     « Mon œil descend vers le sexe de l’aimée :

    nous nous regardons,

    nous nous disons de l’obscur,

    nous nous aimons comme pavot et mémoire

    nous dormons comme un vin dans les coquillages,

    comme la mer dans le rai de sang jailli de la lune. »

    et le poème Wahrlich (« en vérité ») :

    « Celui à qui un mot n’a jamais fait perdre sa langue,

    […]

    il n’y a rien à faire pour l’aider. »****

    Cependant cette recherche aboutit à un élargissement historique :

    « Corona se dit Kronstadt en allemand

    1921 répression à Kronstadt

    c’est Trotski qui menait l’Armée rouge

    je l’apprends aujourd’hui

    en cherchant sur Google

    le sens du mot Corona ».

    La rencontre avec Paul Celan est décisive pour Ingeborg. Le dialogue poétique entre les deux poètes, bien que recelant des points majeurs de divergences, s’avère extrêmement fécond. Pour l’un comme pour l’autre. La nouvelle de la mort de Celan, « un jour de mai 1970 », met Ingeborg au bord du gouffre.

    « Ingeborg s’arrête enfin et s’assoit le dos contre un arbre. Le ciel, au-delà du feuillage, est d’un bleu insolent. Comment pourrait-elle continuer alors que celui qu’elle aimait plus que quiconque s’est jeté dans la Seine ? L’idée de son corps attaqué par le fleuve noircit ciel, pelouses et arbres. Elle en perd connaissance, tombe d’épuisement sur l’une des pelouses de la Villa.

    Plus tard, à la nuit tombée, petits pas d’infirme jusqu’à la station de taxis piazza di Spagna. Elle a 44 ans, il lui reste trois ans à vivre. »

    Tout imprégnée de l’histoire d’Ingeborg Bachmann, Catherine Weinzaepflen poursuit sa route. Elle voyage. Berlin à nouveau. Elle déambule dans cette ville qu’elle aime « passionnément ». Elle croise d’étranges créatures de la nuit, des femmes au « dos osseux tatoué d’un I’m yours en lettres gothiques. » Et la poète d’ajouter : « C’est dans les bars qu’Ingeborg a dû les rencontrer. Les aimer avec cet appétit de l’autre qui était le sien. »

    Cet appétit de l’autre, Catherine Weinzaepflen semble l’éprouver aussi. Elle cherche désespérément à le vivre dans un monde livré à un individualisme forcené. Ainsi la poète fustige-t-elle le « moi je » qui règne en maître :

    « En 1959, Ingeborg revendiquait

    un « je sans garantie »

    en 2011 en France

    chacun pour soi. »

    La poète strasbourgeoise englobe dans sa réflexion les horreurs perpétrées par notre siècle. En témoignent les derniers textes de l’ouvrage qui évoquent les tragédies d’aujourd’hui et leur lot de parias.

    « …les maisons calcinées hurlant au ciel

    et je m’installe avec les parias » *****

    Reliant le présent au passé, Catherine Weinzaepflen implore la poète autrichienne :

    « Ingeborg ma sœur

    écoute rugir les parias

    les pauvres en guenilles

    couverts de la poussière du désert

    pieds nus

    te souviens-tu d’eux ? »

    « Le voyage est fini », écrit Ingeborg dans « Le monde est vaste et nombreux sont les chemins ». Le voyage de Catherine Weinzaepflen prend fin à Berlin. Le livre se ferme sur l’énigme d’une « histoire d’amour ratée », dont témoigne, à travers le filtre des lectures, la correspondance entre Ingeborg Bachmann et Paul Celan. Lecture qui persiste à graver son mystère pénétrant dans la solitude pensive de Catherine Weinzaepflen :

    « je suis échouée

    sur les rives du lac

    sans compréhension ».

    Au-delà de l’incompréhensible demeure l’infini tissage des textes, des lectures et des rencontres qu’ils engendrent. De cet entrecroisement de voix qui se cherchent et se répondent d’une langue l’autre naît « l’ampleur du monde ».

    « Derrière le monde il y aura un arbre,

    aux feuilles de nuages

    et à la cime d’azur […]

    Derrière le monde il y aura un arbre,

    à sa cime un fruit

    dans une peau en or.

    […]****** ».

    À chacun de découvrir ce qui se cache « derrière le monde ». Pour Catherine Weinzaepflen, une part de la révélation passe par Ingeborg Bachmann. Elle trouve dans la fréquentation assidue de la poète autrichienne une personnalité à la hauteur de ses aspirations ; une complicité d’âme qui pousse à l’engagement et ouvre la voie au partage. Lui revient en mémoire un souvenir ancien de voyage et de femmes nomades, robes à petites fleurs ornées de lourdes broderies achetées, puis jetées.

    « [C]omment ai-je pu ? » s’interroge-t-elle.

    Puis vient la promesse que la poète se fait à elle-même :

    « je ne jetterai plus

    (voilà, c’est écrit)

    d’œuvre d’art ».

    Ainsi, à la suite d’Ingeborg Bachmann, Catherine Weinzaepflen s’attache-t-elle à lire le monde. Afin de le rendre à son ampleur.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ________
    * Françoise Rétif, « Introduction », Toute personne qui tombe a des ailes, Poésie/Gallimard, 2015, page 26.
    ** Ingeborg Bachmann, Quel che ho visto e udito a Roma, Quodlibet, 2002, page 34. Préface de Giorgio Agamben. Traduction inédite d’Angèle Paoli.
    *** Ingeborg Bachmann, « Curriculum Vitae », Invocation de la Grande Ourse (1956), Toute personne qui tombe a des ailes, op. cit., page 287. Traduction de Françoise Rétif.
    **** « En vérité » (Wahrlich), in Toute personne qui tombe a des ailes, op. cit., page 427.
    ***** Extrait de « Abschied » in Ich Weiß keine bessere Welt, Piper verlag (Allemagne), page 85. Traduction de Catherine Weinzaepflen.
    ****** Extrait de « Le monde est vaste et nombreux sont les chemins… », Die Welt it weit und die…, in Toute personne qui tombe a des ailes, op. cit., page 117.







    Catherine Weinzaepflen, Avec Ingeborg




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine WEINZAEPFLEN
    Ph. © Vincent Olivier




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    Celle-là (lecture d’AP)
    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    Le Rrawrr des corbeaux (lecture d’AP)
    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi (+ un extrait du roman Orpiment de Catherine Weinzaepflen)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)





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  • John Ashbery | To Redouté



    TO REDOUTÉ



    To true roses uplifted on the bilious tide of evening
    And morning-glories dotting the crescent day
    The oval shape responds:
    My first is a haunting face
    In the hanging-down hair.
    My second is water:
    I am a sieve.

    My only new thing:
    The penalty of light forever
    Over the heads of those who were there
    And back into the night, the cough of finishing petal.

    Once approved the magenta must continue
    But the bark island sees
    Into the light:
    It grieves for what it gives:
    Tears that streak the dusty firmament.



    John Ashbery, The Tennis Court Oath [1957], Wesleyan University Press, Middletown, Connecticut, 1962.






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    À REDOUTÉ



    Aux vraies roses soulevées par la marée bileuse du soir
    Aux volubilis qui pointillent le jour croissant
    La forme ovale répond :
    Mon premier, un visage, vous hante
    Entre les cheveux qui pendent.
    Mon second est l’eau :
    Je suis un crible.

    Ma seule chose neuve :
    Le châtiment d’une éternelle lumière
    Sur les têtes de ceux qui étaient là
    Et de retour dans la nuit, la toux du pétale finissant.

    Une fois approuvé le magenta doit continuer
    Mais l’île d’écorce scrute
    La lumière :
    Elle souffre de ce qu’elle offre :
    Des larmes qui éraflent le firmament poussiéreux.



    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume, Éditions Corti, Série américaine, 2015, page 20. Traduit par Olivier Brossard.







    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume





    JOHN  ASHBERY


    Ashbery350
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Guernica)
    Houses at Night : Erica Wright interviews John Ashbery (February 8, 2008)
    → (sur le site des éditions Corti)
    la fiche de l’éditeur sur Le Serment du Jeu de Paume





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  • Françoise Ascal | [tu aurais voulu l’oublier]



    [TU AURAIS VOULU L’OUBLIER]



    Tu aurais voulu l’oublier
    ou ne jamais l’entendre
    mais tu tendais l’oreille stationnais près de la margelle guettais malgré l’interdit

    tu guettes encore

    tu ne veux pas manquer le moindre de ses murmures mélopées sanglots litanies bercements tout cela qui vacille dans l’ombre de jour comme de nuit tout cela qui coule et roule dans sa voix secrète sa voix d’eau souterraine sa voix cachée retirée du monde mutique volontaire campée dans un refus de forêt noire non pas de pacte avec la lumière pas d’étreinte avec le bleu du ciel toujours elle veillera le malheur

    elle n’entend pas les vivants qui l’appellent elle a quitté leur table depuis longtemps elle est avec eux les morts ses morts pour eux seuls sa langue se délie elle leur parle les rassure ils sont nombreux ne vieillissent pas à celui en tenue de soldat elle confie qu’elle ne tardera pas à cet autre elle chant une comptine

    tu cherches les morts tu te demandes si toi aussi tu as des morts partout dans la maison tu les cherches les siens les tiens tu crois les apercevoir entre les cloisons ajourées de la grange les surprendre dans le craquement du plancher il leur arrive de te frôler quand tu t’attardes dans les friches un soir de lune tu les devines terrés au fond du puits

    est-ce que les morts parlent
    tu lances tes mots dans l’énigme la peur te répond
    la peur trace des cercles au centre tu perds ton nom

    tu aurais aimé l’oublier
    ou ne jamais l’entendre
    mais tu guettes encore

    tu ne l’entends plus

    elle est devenue ton ombre



    Françoise Ascal, Des voix dans l’obscur, Éditions Æncrages & Co, Collection Ecri(peind)re, 2015, s.f. Dessins de Gérard Titus-Carmel.







    Ascal desvoixdanslobscur





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    le site des éditions Æncrages & Co





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  • Hannah Arendt | Hermann Broch



    H.B. [HERMANN BROCH]



    Überleben
    Wie aber lebt man mit den Toten? Sag,
    wo ist der Laut, der ihren Umgang schwichtet,
    wie die Gebärde, wenn durch sie gerichtet,
    wir wünschen, dass die Nähe selbst sich uns versagt.

    Wer Weiss die Klage, die sie uns entfernt
    und zieht den Schleier vor das leere Blicken?
    Was hilft, dass wir uns in ihr Fort-sein schicken,
    und dreht das Fühlen um, das Überleben lernt.






    H.B. [HERMANN BROCH]



    Survivre
    Mais comment vit-on avec les morts ? Dis,
    où est la voix qui apaise leur présence,
    comme le geste, quand il est guidé par eux,
    nous souhaitons que leur voisinage même nous soit refusé.

    Qui sait la plainte qui de nous les éloigne
    et tire le voile devant les regards vides ?
    À quoi sert de nous résigner à leur absence,
    et le retournement de nos sens qui apprennent à survivre.*



    Hannah Arendt, Heureux celui qui n’a pas de patrie, Poèmes de pensée, Payot, 2015, pp. 76-77. Traduit de l’allemand par François Mathieu. Édition établie, annotée et présentée par Karin Biro.




    _________________________________________
    * Variante du dernier vers, ajout manuscrit : « Le retournement de nos sens est bien comme le poignard que l’on retourne dans le cœur ». (Das Fühlen ist doch wie der Dolch, den man im Herzen umdreht. »)






    Arendt heureux





    HANNAH ARENDT


    Portait_de_hannah_arendt
    Source



    ■ Hannah Arendt
    sur Terres de femmes

    14 octobre 1906 | Naissance de Hannah Arendt
    4 décembre 1975 | Mort de Hannah Arendt (extrait de Dans les pas de Hannah Arendt de Laure Adler, et extraits du Journal de pensée de Hannah Arendt)
    Journal de pensée (poème de décembre 1952)
    Ne suis que l’une de ces choses (extrait du Journal de pensée)
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    un autre extrait du Journal de pensée de Hannah Arendt


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans L’Encyclopédie de l’Agora)
    le Dossier Hannah Arendt





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  • Geoffrey Squires | [L’obscurité nous a mis à la dérive encore]



    [DARKNESS HAS SET US ADRIFT AGAIN]



    Darkness has set us adrift again
    without our knowing it we have become
    children of the early morning tide
    while we lay and dreamed, the night
    slipped us our moorings

    we have been offered immortality
    but we prefer to take our chance
    out of homesickness perhaps
    or out of pride, or fear
    of another Troy

    yesterday I thought I saw again
    behind me on the horizon smoke
    from the burning city and a vision of
    my son praying, washing his hands
    in the grey surf






    [L’OBSCURITÉ NOUS A MIS À LA DÉRIVE ENCORE]



    L’obscurité nous a mis à la dérive encore
    sans que nous le sachions nous étions devenus
    enfants de la marée matinale
    alors que nous étions couchés et rêvions, la nuit
    a largué nos amarres

    on nous a offert l’immortalité
    mais nous préférons tenter notre chance
    par mal du pays peut-être
    ou par fierté, ou par peur
    d’une nouvelle Troie

    hier j’ai cru voir à nouveau
    derrière moi dans l’horizon la fumée
    d’une cité en flammes et la vision de
    mon fils priant, lavant ses mains
    dans les vagues grises



    Geoffrey Squires, Pierres noyées, édition bilingue, Éditions Unes, Nice, 2015, pp. 78-79. Traduit de l’anglais (Irlande) par François Heusbourg. Vignette de couverture de Robert Groborne.






    Pierres-noyees





    GEOFFREY SQUIRES


    Geoffrey Squires
    Source



    ■ Geoffrey Squires
    sur Terres de femmes

    Sans titre (extrait)
    [The sound changes as it moves] (extrait de Paysages et silences)





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  • Stéphan Causse, À deux pas dans le silence

    par Angèle Paoli

    Stéphan Causse, À deux pas dans le silence,
    éditions du Petit Pois, Collection Correspondances,
    Béziers, 2015. Peintures de Bernard Jouanne.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS UN REGARD À CONTRE-JOUR



    Toujours les très beaux livres m’impressionnent, m’imposent un regard à distance, plein de respect. Ainsi du dernier recueil de Stéphan Causse, À deux pas dans le silence, aux poèmes accompagnés de peintures de Bernard Jouanne. Entrer alors en poésie sur la pointe des pieds et des mots, avec modestie et réserve, dans les empreintes du dialogue entrepris entre peintre et poète. Un dialogue feutré, tout en demi-teintes, publié aux éditions du Petit Pois, dans la collection Correspondances.

    Le recueil se compose de deux volets : « à l’abri des regards » et « le temps qu’il faut ». Seule la seconde section comporte les peintures de Bernard Jouanne, dix-sept en tout, spécialement réalisées par l’artiste pour accompagner les poèmes de Stéphan Causse. Cependant l’univers poétique de Stéphan Causse semble augurer la venue des toiles – « liturgie rougissante », « archipels naufragés », « nuits lie de vin »… À quoi répondent plus avant, en résonance avec l’univers pictural de Bernard Jouanne, « une terre entre les nuages », « notre mémoire de sable », « un brasier de lune ». Un suspens où vient se nouer l’attente.

    Dans la première section, le poète inscrit les paysages de ses poèmes dans un espace onirique où prédominent fenêtre, embrasures, passages, cils. Qui cardent lumières et couleurs, gestes et souvenirs, histoires. Tout semble filtré, « passé au tamis » et comme retenu dans le « presque » ; dans un entre-deux, « l’entre-deux du monde », qui jouxte « l’à peu près // du temps ». Jusqu’à la rencontre, retardée dans une attente. Suspens.


    « tes yeux         
    rafraîchissent les lueurs
    au confluent des méridiens
    si jamais
    une rencontre »


    Présente de manière indirecte, dès le poème d’ouverture, la lumière donne naissance à la matière, paysages mentaux qui se cherchent dans le désir d’une presque complétude :


    « de la lumière         
    monte la matière
    continents sans patrie
    résonances du devenir
    qu’étirent les mortaises avides
    qu’une presque clarté
    retient »


    Peu à peu, sous « la buée des nuages », au creux des rêves ou dans le tissé d’une « magie furtive », affleure une femme :


    « nocturne d’elle         
    tu la déshabilles
    au clair
    de la couleur »


    Quelque part, se noue aussi, dans les interstices laissés vacants, l’image de deux amants séparés par une cicatrice. Le travail du poète, qui joue sur les sons, allitérations en [s], glissements subtils de syllabes, proximité des homophonies, dit toute la sensibilité de l’oreille à la musique des mots. C’est là, dans la sinuosité dessinée par les mots et les sons, que se fraie le passage vers le sens.

    Toutefois, chez le poète comme chez le peintre, l’entrevoir semble prédominer sur le voir. Ainsi, au détour d’un poème, des paysages marins surgissent-ils. Qui laissent apparaître, dans le roulement des [R] ou dans le frisson des [f], des rives incertaines aux figures de naufrages et de phares. Rien n’est moins sûr, dans ces vers souvent brefs, que les rivages auxquels nous abordons. Dans la violence des contraires — « ferveur » / « effroi » ; « houle fauve » / « tourment » —, les formes se dérobent, repliées sur leur silence :


    « l’écrin entrevu            
    restera sans dire »


    Mais toujours se glisse d’un poème à l’autre une voix qui passe, murmurée et discrète, sans que s’impose le moindre visage. Voix sans nom qui égrène ses actes de présence en un semi-silence, écriture de l’effacement.

    Il faut attendre le dernier poème de la première section pour que s’affirme un « je », dans l’affluence des allitérations en [v] : « ma vie au vitrail ». S’ouvre alors « le temps qu’il faut », partie du recueil rythmé par les très belles peintures de Bernard Jouanne.

    Un « je » se précise dans le paysage, qui sinue entre « causse » et « aven », entre « vent » et « pierraille », entre verts pâles et mauves, gris cendrés, bruns rose et lavande, mais aussi dans le surgissement de tons fauves ocres et orangés, strates qui s’agencent par bandes et vagues, trouées de craie affleurements des sables, striures et éclisses, soleils fervents émergeant « entre les parois », pour dire « la préhistoire du pays » :


    « ici          
    chaque mot fait événement
    la terre et le ciel se frottent
    comme l’espace et le temps
    s’ouvrant sous nos pas »


    et, pour le poète, affirmer sa volonté de présence en ces lieux :


    « je suis les mots échappés        
    de toutes les manières
    je suis le soleil et son ombre
    un retour à la rêverie
    pour ne pas oublier
    d’être là »


    Quelque chose dans le cheminement du poète se vit dans la lenteur. Lenteur à percer à l’orée des mondes. « La vie au vitrail » tamise la lumière filtre le temps et les émotions. Elle se vit dans le retrait et la presque retenue dans ces paysages de la discrétion. Tout ce qui se dit et se perçoit se tient à la marge, inscrit en des lointains d’où affleure la blessure. Lenteur, alors, du « temps qu’il faut » aux cicatrices pour se refermer ; « aux brumes ébréchées » pour s’éloigner et ainsi laisser « aux matières amoureuses / portées par le vent / marin la force d’advenir ». Et aux mots le temps de trouver leur place « là où tout commence / et finit ». « Mon visage dans l’ombre / de tes cuisses ». Dans un regard, à contre-jour.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    StephanCausse







    STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    [Les lieux où je vous emmène] (extrait d’À deux pas dans le silence)
    [Petite mer] (extrait de Boire le temps)
    Cévenne Séranne
    [mes lèvres balbutient] (extrait de Caresser la mer)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions du Petit Pois)
    la fiche de l’éditeur sur À deux pas dans le silence





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  • Françoise Oriot | Combat à recommencer



    COMBAT À RECOMMENCER



    Pierre dans la douceur
    déchirant le voile frêle de l’eau tendre
    Raide d’ignorance et de souffrance
    j’ai déchiré déchiré

    Entêtement de cette pierre que l’eau perdait
    Brutalité des mots et des cris
    pour que la pierre s’émiette
    et qu’enfin l’eau la prenne

    Force des mots et des cris
    pour oublier la pierre
    et la tendresse déchirée
    Puissance des mots qui finissent
    par justifier la pierre
    leur source
    Force assoiffée des mots qui consolent des cris
    La pierre devient socle
    pour que jamais ne revienne la souffrance
    de l’eau frêle et du voile tendre.



    Françoise Oriot, « IV. Perdue choisie », À un jour de la source, Éditions de L’Amourier, Fonds Poésie, Collection dirigée par Alain Freixe,  2015, page 93.






    Françoise Oriot, A un jour de la source





    FRANÇOISE  ORIOT


    Françoise Oriot NB
    Source



    ■ Françoise Oriot
    sur Terres de femmes

    À un jour de la source (lecture de Michel Diaz)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions de L’Amourier)
    la fiche de l’éditeur sur À un jour de la source
    → (sur le site des éditions de L’Amourier)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Oriot





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