Étiquette : 2016


  • Anja Kampmann | Eis


    EIS




    tu apprends à chercher le souvenir
    et les temps dans la glace en particules et couches
    ces langues comme si jamais elles n’avaient
    désappris l’entre-soi dans leurs maisons bleues
    elles capturent le premier matin
    la clarté soudaine une mèche
    de sommeil ce qu’elle reliait
    avant que la neige vienne et revienne
    quand tout voyageait vers l’intérieur puis
    des bulles de temps une proximité qui
    se retranche mais de l’oubli
    personne ne sait rien tu peux
    encore voir où la glace s’arrêtait.




    Anja Kampmann, Échantillons de pierre et de lumière, in revue Europe, revue littéraire et mensuelle, n° 1099-1100, novembre-décembre 2020, page 305. Traduit de l’allemand par Camille Logoz.





    Anja Kampmann montage







    GLACE




    wir lernen das erinnern und die zeiten
    zu suchen im eis partikel und schichten
    diese sprachen als hätten sie das zueinander
    nie verlernt in ihren blauen häusern
    halten sie den ersten morgen fest
    die plötzliche helle eine strähne
    aus schlaf was sie verband
    bevor der schnee kam wieder & wieder
    wie alles ins innere reiste und dann
    luftblasen aus zeit eine nähe die sich
    tief einschließt doch über das vergessen
    weiß niemand bescheid du kannst
    noch sehen wo das eis einmal war.




    Anja Kampmann, Proben von Stein und Licht, « III eis », Carl Hanser Verlag, München, 2016, seite 55.





    Anja Kampmann book 3



    ANJA KAMPMANN


    Anja  Kampmann portrait  NB
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    le site (en allemand) d’Anja Kampmann




    ■ Voir encore ▼

    le site de la revue Europe





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  • Anise Koltz | Automne


    AUTOMNE




    En route avec les oiseaux
    pour suivre le cirque du soleil
    où la lumière mugit
    en sautant de sa cage

    en route avec les jongleurs
    les saltimbanques
    et les géants de l’ombre

    en route avec le vent
    crieur du cirque
    et cornac qui offre ses tresses d’or
    et suspend des lampions
    aux arbres

    en route
    avant que les dernières affiches
    programmes
    et billet d’entrées
    ne soient piétinés
    dans les rues




    Anise Koltz, Le Cirque du soleil, éditions Seghers, Collection Autour du monde, 1966, in Somnambule du jour, poèmes choisis, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 18.







    Koltz somnambule



    ANISE KOLTZ


    Anise Koltz
    Source




    ■ Anise Koltz
    sur Terres de femmes


    L’Ailleurs des mots
    Béni soit le serpent
    Les soleils se multiplient (poème extrait du Cri de l’épervier)
    [Dans mes poèmes] (poèmes extraits d’Un monde de pierres)
    [Gémeau] (poème extrait de Soleils chauves)
    Je me transforme (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Je suis l’impossible du possible] (poème extrait de Pressée de vivre)
    Ouverte (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Qu’ai-je emprunté à la chair maternelle ?] (poème extrait de Galaxies intérieures)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alain Borne | Regardez mes mains vides



    Coubine
    Dessin d’Othon Coubine (1883-1969)
    in Alain Borne, Regardez mes mains vides, 1945.







    REGARDEZ MES MAINS VIDES



    Regardez mes mains vides
    avec le vide j’ai fait des mains
    et des crimes sous ces mains
    et de la peine sous ces crimes
    et de la joie dans cette peine.

    Regardez mes yeux vides
    avec le vide j’ai fait des yeux
    que j’ai fermés dans des visages
    sourires et larmes tous les jeux
    dans la piste de ce cirque.

    Avec le vide j’ai parlé
    plusieurs dans ma voix
    et le silence parmi tous.

    Peine à peine je meurs
    je descends sous mes jours visiter les racines
    que le monde s’enroule alliance à mon doigt
    ne coupez pas ma main châtieurs d’innocence
    dans le noir elle parle au murmure du sang.




    Alain Borne, Regardez mes mains vides, Les Bibliophiles alésiens, Presses des Ateliers Henri Peladan, Uzès (Gard), 10 octobre 1945, in Seuils, suivi de Regardez mes mains vides, Op. 10, Treize, Voix d’Encre, 2016, s.f.





    Alain Borne Seuils




    ALAIN BORNE


    Alain Borne portrait
    Source




    ■ Alain Borne
    sur Terres de femmes


    L’eau seule est nue (poème extrait de Terre de l’été)




    ■ Voir aussi ▼


    le site Alain Borne
    → (sur le site de la revue Les Hommes sans Épaules)
    une notice sur Alain Borne, par Christophe Dauphin







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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Pic | La neige


    XI LA NEIGE



    Réveillez-vous ! Tout est blanc !
    Les ruches sont pleines de neige.
    Nulle trace, tout est possible encore
    la dictature du temps
    de l’histoire
    rompue comme les rails des chemins de fer.
    Plus rien ne passe et tout se tait.
    Réveillez-vous ! Un folio attend
    votre réveil éblouissant.
    Pour vous seul sans limite
    le blanc sans fin à couvrir.
    Réveillez-vous ! le jour point comme un stylet.




    Muriel Pic, Élégies documentaires, éditions Macula, Collection « Opus incertum » dirigée par Jean-Christophe Bailly, 2016, page 44.






    Muriel Pic





    MURIEL  PIC


    Muriel Pic NB
    Ph. © éditions Macula
    Source





    ■ Muriel Pic
    sur Terres de femmes


    Élégies documentaires (lecture de Gérard Cartier)
    Janvier 2001 | Muriel Pic, Affranchissements




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Macula)
    la fiche de l’éditeur sur Élégies documentaires
    → (sur CCP, Cahier critique de poésie)
    une lecture d’Élégies documentaires, par Jérôme Duwa
    → (sur le site de France Culture)
    Muriel Pic, décrire ou hanter
    → (sur Diacritik)
    Les montages documentaires de Muriel Pic : En regardant le sang des bêtes, par Laurent Demanze
    → (sur etudiants.ch)
    Muriel Pic: Lire est un acte critique, un acte civique (Fragments d’entretien avec Muriel Pic)
    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Muriel Pic






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Le Quéau & Emmanuel Merle | [Sous une demi-lune déconcertante…] | Pierres noires



    Danielle Berthet
    Peinture de Danielle Berthet
    in Pierre Le Quéau & Emmanuel Merle, Lapidaire,
    éditions Sang d’Encre, 2016, page 23.








    [SOUS UNE DEMI-LUNE DÉCONCERTANTE…]



    Sous une demi-lune déconcertante
    et l’ombre d’un noyer
    la vallée dans la lactance épaisse d’une brume

    Mon pied inquiet dans l’herbe adhère un moment
    à quelque présence visqueuse sous-marine
    jusqu’à la pierre de la voie, polie et chaude encore
    accueillante

    comme une île dans l’océan






    PIERRES NOIRES



    Des pierres si noires qu’elles sont des trous dans
    l’espace. Des charbons anthracite, miraculeux
    comme des caillots, des sanglots de la terre.

    Se pencher sur elles, c’est voir scintiller la surface
    d’une eau brisée, sentir la puissance barbare d’une
    vague mortelle.

    Mais vouloir toucher pleinement cette eau épaisse
    et luisante et poser ses mains dessus jusqu’à
    l’illusion tactile qu’on pourrait la pétrir assez pour
    qu’elle ait la forme de notre inconscient.

    Je lève les mains vers mon visage, des mains gantées
    du blanc le plus pur.





    Pierre Le Quéau & Emmanuel Merle, Lapidaire, éditions Sang d’Encre, Collection Opuscules, 84340 Beaumont-du-Ventoux, 2016, pp. 40-41. Peintures de Danielle Berthet.





    Pierre Le Quéau Emmanuel Merle  Lapidaire





    EMMANUEL MERLE


    Vignette Emmanuel Merle




    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes

    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    PIERRE LE QUÉAU

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la BnF)
    une notice bio-bibliographique sur Pierre Le Quéau





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux

    par Angèle Paoli

    Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016),
    La rumeur libre éditions, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli




    L’ÉCRIVAIN-CHEVREUIL




    Lecture de lente haleine, depuis tant de jours. Cherchant amers et balises, je trace mon sillon entre les pages du dernier ouvrage de Joël Vernet. Lentes les heures qui jalonnent mon vagabondage, d’année en année, de mois en mois, au fil des pages de Carnets du lent chemin. Presque quarante ans d’une écriture régulière (avec de rares ellipses), le plus souvent au jour le jour, composent cette somme de vie. De 1978 à 2016. L’écrivain a vingt-quatre ans dans l’incipit du livre, soixante-deux dans l’excipit. Mais comment refermer un tel livre ? Et comment entreprendre une autre lecture après la traversée de pages aussi incandescentes que celles des Carnets ? Images fugaces de campagnes, fermes et foins, noms de pays lointains, titres d’ouvrages, pensées diffuses in mentem persistent encore. Qui infusent dans les veines et poursuivent leur cours. Suis-je ce « lecteur-papillon » que le poète aspire à croiser sur ses traces ? Je ne sais. Pourtant je suis convaincue que de tels lecteurs existent. Silencieux et effacés. À l’image du poète.

    Les images fourmillent, à livre fermé. Visions de la mère pelotonnée dans ses châles et dans sa dignité silencieuse. Veuve depuis de si nombreuses années.

    « Ma mère, avec tant d’autres, n’attend plus rien, blottie dans un fauteuil qui ne sait pas qu’il reçoit une reine. »

    Image de la maison abandonnée, qui a emporté dans les brumes « l’enfance morte ». Mais qui garde secrète « la chambre d’écriture ouverte sur le monde ». Image du tilleul, emblème de la maison natale. Entre ces extrêmes se déroule « l’épopée des événements courants » qui accompagne la vie du poète. La mort accidentelle du père, alors que Joël Vernet n’est qu’un enfant. Celle d’un frère et d’une sœur. D’amis et de poètes. De connaissances ayant animé l’enfance paysanne. La disparition, plus récente, de la mère aimée. Vient aussi la naissance des enfants. Celle de L., la dernière, qu’il regarde grandir avec beaucoup de tendresse. Et qui le suit parfois dans ses escapades buissonnières. Innombrables les pérégrinations le long des routes et des sentiers de la Margeride natale, les errances dans les faubourgs des villes, les voyages à l’autre bout du monde. À la recherche de ? Du monde et de lui-même, de lui-même en accord avec le monde. De « l’Unité perdue ». Car la vie a basculé en 1965, à l’annonce brutale de la mort du père. Le père. Une perte tragique, déterminante pour l’enfant. « Ce jour-là, il sut qu’il n’aurait plus jamais vraiment de maison, qu’il irait ici ou là, contraint par les événements » (4 mars 2011). Un foudroiement que cette mort. Une fêlure béante. Une plongée dans l’exil intérieur. Le Père, la Mère, tendres figures tutélaires du poète. Toujours présentes à ses côtés, par-delà la séparation ultime.

    Plus tard, de manière insidieuse, la vie a de nouveau basculé dans le monde actuel. Le monde que nous connaissons, tel qu’il est devenu et tel qu’il promet d’être ou de devenir, ouvert sur le culte de l’argent-roi, sur le pouvoir absolu et aveugle des gouvernants de nos pays. Le consumérisme, la mondialisation et la barbarie font horreur au poète. Qui en appelle à l’insurrection. Étranger se sent-il. Depuis les origines. En marge d’une société qu’il voue aux gémonies. Et davantage encore depuis qu’une frénésie compulsive s’est emparée de l’humanité, la conduisant droit au désastre.

    Que faire lorsque l’on s’est exilé en soi-même, sinon retourner à l’essentiel ? Renouer avec le ciel et les nuages. Avec « la beauté primitive du monde ». Avec le bestiaire amical et paisible qui anime le jardin. Merles noirs, mésanges et rouges-gorges. Sauterelles et lézards. Escargots et lucioles. Et toujours revenir vers la maison natale qui l’attend, lui le vagabond, le nomade, le gitan ; la maison immobile, inchangée, chargée de présences et de souvenirs. Gardée par la mère qui jamais ne sait quand son fils va revenir. « Tu n’as jamais été là pour tes jours d’anniversaire, toujours à l’étranger, loin de nous », lui dit-elle lorsqu’il surgit à l’improviste.

    Et, qui va de pair avec l’errance du poète, l’écriture. Nourrie de ces autres vagabondages que sont les lectures. Une écriture vitale, qui tient le poète au corps et au cœur. Fidèle à son être, consubstantielle à son existence. Écriture de la vie, dégagée de toute mainmise, de toute superficialité, de toute ambition personnelle, de tout calcul, de toute richesse. De toute recherche. Écriture du regard, du fragile et du minuscule. Écriture tissée de silence et de solitude. Plus de cinq cents pages d’une écriture vivante pour dire ce qui happe ce qui taraude ce qui révolte ce qui hante jusqu’à l’angoisse et jusqu’au désespoir. Pour dire aussi les joies modestes qui soignent et qui apaisent.

    « Ces carnets sont un havre de paix où j’accoste après les tempêtes, les tourments », confie le poète à la date du 5 juin 1996.

    Et le poète de confier, le 27 mars 2011, à la mort d’un « être cher » :

    « J’ai écrit pour que la nuit ne soit pas toujours la nuit. »

    Les Carnets du lent chemin sont une somme de notes — bribes brindilles et fragments —, construite patiemment pour dire l’écriture telle que le poète la vit au quotidien, où qu’il aille et où qu’il se trouve. « Écrire, lire, marcher, écrire, lire, marcher » (18 décembre 1988). C’est là la seule réitération que supporte le poète. Elle relève de son choix et de sa liberté. Elle est le seul travail qui le concerne vraiment, au plus près, qui le construise dans la durée.

    « Petit bonhomme, tu avais mis en train un défi de Géant : celui d’écrire. Mais pourquoi écrire ? Pourquoi ne pas avoir confié ta vie à un autre métier, à une autre occupation exemplaire : boulanger, menuisier, médecin ? Tu ne voulais que les mots, leur sommation irrecevable. Cet amour des mots, tu en as la conviction aujourd’hui, t’est venu en gardant les bêtes, les troupeaux. Tu avais là sous les yeux la nature admirable : prairies, forêts, ruisseaux. Comment faire chanter cela dans un tout petit cœur ? Tu t’es saisi alors de l’outil le plus proche de toi : le langage et tu as essayé de jouer de cette musique, à la façon des musiciens de jazz. Tout à l’improvisation. Es-tu un écrivain sauvage ? » (22 janvier 2010).

    Écrire, oui. Mais quel type de livre est-ce là ? « Une sorte de journal du regard », écrit le poète le 1er mars 1997. Ce même regard qui avait donné son titre à une précédente publication, parue en 2009 aux éditions La Part commune : Le Regard du cœur ouvert, Carnets (1978-2002).

    Le volume actuel, Carnets du lent chemin, est sous-titré Copeaux. Ce mot revient à plusieurs reprises sous la plume du poète. Qui caractérise tantôt la nature de ces bribes qui obsèdent — pensées et aphorismes que le poète affectionne ; interrogations multiples (pourquoi écrire ? et pour qui ? écrire est-il agir ?) et citations, retours en arrière nombreux et redites ; tantôt le projet ou la quête du poète, tantôt l’écriture elle-même :

    « Je reprends les pages. Elles sont une part de moi, arrachées à mon corps. Détachées, déchirées. Je me reconstitue en les relisant. Je rassemble les copeaux épars… » (14 janvier 1994).

    Et plus loin :

    « Cette soudaine pensée dans le soir : des pages tombant comme des copeaux. » (16 octobre 1995)

    Ou encore :

    « Une écriture qui serait des copeaux de merveilles. » (4 janvier 1997)

    Ou bien cette phrase, soulignée au fil courant de ma lecture, et qui me fait sourire :

    « Les copeaux du petit crayon tombent dans l’herbe » (13 septembre 2009) avec son écho, du 18 mars 2015 : « le petit tumulus de copeaux sur la table – vestige du crayon à papier. »

    Et celle-ci surtout, qui aiguille la lecture, dans le préambule écrit par le poète lui-même :

    « Ce que vous lirez serait donc, au lieu d’un journal du passé, du présent, plutôt les copeaux d’un avenir toujours à réinventer. »

    Un autre mot affleure sans cesse, qui accompagne les errances. L’adjectif « lent ». Ou le substantif « lenteur ». Lenteur du rapace dans son envol. Lenteur de l’écriture. Correspondances :

    « Ce matin dans la brume, le rapace familier sur le fil. Au bruit du volet s’ouvrant, l’oiseau s’envole d’un lourd et lent battement d’ailes. J’aime cette lenteur du geste, comme dans l’écriture lorsque s’effacent les heures de la journée, qu’on atteint le soir sans vraiment s’en rendre compte. On lève la tête et « c’est déjà la nuit au-dehors ». Expérience alors d’être vraiment au monde, une fois le travail accompli, qui n’est qu’une aventure dans l’inconnu. » (25 octobre 2009)

    Qui dit lenteur (exaspérants sont les « bolides » qui traversent la ville à grand fracas) dit aussi « détour ». Lenteur de la marche, détours de l’écriture. Vagabondages de la pensée. Conjugués ensemble, vagabondage et lenteur permettent la juxtaposition, dans une même note, d’images et de voix d’époques distinctes ; de lieux étrangers les uns aux autres. L’ensemble constituant une sorte de collage naturel où se côtoient des visages et des êtres, des gestes aussi, que seul le poète peut assembler. Par l’écriture. Ainsi en est-il, par exemple, dans cette note du 1er mai 2011 :

    « Le regard perdu de ma mère, de la Vieille-Femme-Universelle.
    L’enfant, attentif au café, balaya les pellicules sur le col de la chemise noire de son père.
    Les bruits de la cascade, autrefois, dans le Sud du Burkina-Faso. Les poussins si jaunes piaillant devant la case, la jeune fille dont la mère peignait les cheveux en de longues tresses.
    Me rendant à l’épicerie du village chercher le pain ou autres courses, passant dans la ruelle inondée de soleil, la merveilleuse glycine me fait fête, répandant son odeur entêtante, enivrante, me rappelant que ce monde est beau, fût-il tapissé de barbarie. »

    Le regard du poète attentif se pose successivement sur les menus événements du jour. Des non-événements pour une « épopée » du quotidien.

    Ainsi serpentent les chemins qui mènent de Saugues à Gao ou à Vladivostok ; du Portugal à la Laponie, de Tachkent à Vénissieux, de la Creuse à Abidjan, puis, du Nord au Sud, et d’Ouest en Est, le long des rivières et des fleuves, jusqu’aux abords de la Mer Blanche et des îles Solovki. La pensée voyage d’une année à l’autre, évolue par vagues successives, depuis les aphorismes qui abondent dans les premiers carnets aux grands textes lyriques qui caractérisent davantage les carnets les plus récents. Elle charrie au passage nombre d’auteurs et de poètes de tous pays, de toutes nations. De l’italo-argentin Antonio Porchia à Pier Paolo Pasolini ; de Christian Gabriel/le Guez Ricord à Giono ; de Fernando Pessoa à Alexandre Blok ou à Marina Tsvetaieva ; de Vassili Grossman à Varlam Chalamov ou à Anna Akhmatova. De Blaise Pascal à Christian Dotremont ou à François Augiéras. De Vélimir Khlebnikov à Rimbaud ou à Tomas Transtömer… Pour ne citer que quelques noms parmi les innombrables écrivains et poètes affectionnés, dont les silhouettes surgissent au hasard des voyages, des lectures et des affinités électives. Car les poètes sont « frères de silence, invisibles dans ce monde » de Joël Vernet. Et la poésie omniprésente sous sa plume de poète, lequel joue volontiers de l’antagonisme roman/poésie. À l’avantage de la poésie que le poète tient en haute estime, et qui lui est indispensable. Ainsi écrit-il au cours du mois d’août 2015 :

    « Avec les mots de la langue commune, tu inventes un autre alphabet : voilà la poésie, symphonie de la réalité vivante. Pas de poésie abstraite, universitaire, mais toute incarnée, sauvage, indomptable, comme les bouleaux de la steppe russe. »

    Sauvage, indomptable la vraie poésie, comme l’est le nomade Joël Vernet, sempiternel insoumis qui n’obéit qu’à sa seule émotion. Engagement singulier. À l’exact opposé de l’actuelle doxa poétique, prônant distanciation et froideur. Les Carnets du lent chemin sont une véritable « défense et illustration » de l’émotion et de la sensation. Un refus absolu de « la littérature coup de sabre » au profit d’un lyrisme revendiqué et assumé :

    « L’émotion dompte les mots. Émotion sois vivante en moi pour toujours, et non pas seulement lorsque je contemple ce monde, mais en permanence, jusque dans le sommeil, jusque dans les rêves. Émotion, sois mon bâton de pèlerin ! » (19 septembre 2012).

    Tous les détours recherchés et mis en pratique par le poète sont ce qui donne ses assises à son projet d’écriture : « Projet d’écriture sur le pays natal. Récit après de lents détours » (21 juillet 2000).

    La personnalité profonde du poète semble façonnée par le détour ; les mouvements de la pensée s’accordent aux mouvements du monde ; les détours géographiques annonçant ou engendrant les détours de l’écriture :

    « Peut-être as-tu eu tort, au temps de tes lents détours à travers le monde, de n’avoir pas nommé, décrit les lieux où tu séjournais, habitais, plus que tu ne passais. Ainsi, cette chambre, dans un village du Sud de l’Albanie : Himara. »

    Et, un peu plus loin, le même jour : « L’écriture qui vise le détour et, par le détour, l’essentiel. Sainte lenteur » (12 février 2010).

    Et à l’enfant qui l’interroge et qui lui dit : « Qu’as-tu fait de ta vie ? », le poète répond : « J’ai accompli beaucoup de détours pour apprendre à admirer la lumière qu’il y a en ce moment sur ta joue. Détours, voyages et sommeil, paresse dans la lecture. L’écrivain est un mort ébloui de lumière » (26 octobre 2010).

    Magnifiques Carnets du lent chemin. À lire et à relire. À reprendre et à méditer. Une gageure que de restituer une vision totalisante de ces drôles de journaux, métissage d’intime et d’universel. Il y aurait tant à dire encore. Juste s’en remettre au plaisir du texte. Intense et passionnant. Exalté et beau. Et retenir, disséminée entre les pages, l’image du chevreuil (ou du renne), qui culmine dans un échange émouvant du poète avec sa Mère :

    « Miracle, présence d’un café au bord de la petite place, avec sa minuscule terrasse, ombragée par une treille. Joie de nous asseoir là tous deux dans la paix du soir qui descend paisiblement sur les collines, les villages et les prés, d’être vivants dans ce si beau silence d’une fin d’été, de ne parler qu’à peine, à voix basse […] Elle sourit en portant le verre à ses lèvres. » L’écriture est vraiment ton chemin. Rien que pour avoir été conduits ici, tous deux, ton choix de vivre ainsi fut le meilleur. »
    Hier dans le pré devenu une jungle, en contrebas de la maison, trois chevreuils broutaient, l’œil, le corps cependant aux aguets, sursautant au moindre bruit.
    N’es-tu pas l’écrivain-chevreuil ? » (20 novembre 2010). Vagabond et craintif, mais libre. Libre de son chant, libre de son écriture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Joel Vernet  Carnets du lent chemin





    JOËL VERNET


    Joel Vernet
    Source




    ■ Joël Vernet
    sur Terres de femmes


    Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
    L’oubli est une tache dans le ciel (lecture d’AP)
    Les petites routes (extrait de L’oubli est une tache dans le ciel)
    [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su] (extrait de Mon père se promène dans les yeux de ma mère)
    30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    Joël Vernet /marcher vers un ciel de pierre
    → (sur Le Nouveau Recueil) Joël Vernet, ou l’esthétique de la trace, par Sylvie Besson (
    fichier Word)





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  • Louise Dupré | [Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ?]




    [COMMENT ÉCRIRE DEPUIS LE CŒUR QUI SOUFFRE ANIMAL ?]


    Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ? Tu reviens à la rudesse des langues velues, tu voudrais parler chien ou chat, savoir ce qu’on ressent quand une femme ferme la cage qui nous conduira à notre éternité, tu voudrais savoir si, le dernier matin, la brise prend l’odeur des feuillages ou des cendres. Tu voudrais décomposer la détresse en nanosecondes, l’avaler, la fixer dans tes os, qu’elle accueille l’ombre du poème comme une deuxième chance, un tremblement apeuré en toi, une âme indigne dont tu apprendrais à t’approcher sans mépris. Tu pourrais alors écrire je, comme si ce pronom se creusait enfin, devenait caverne, pierre poreuse qu’il suffirait de caresser de la paume pour que surgisse de l’oubli la forme des fossiles.




    […]




    [TON TERRITOIRE S’EST CONSTRUIT MALGRÉ TOI]


    Ton territoire s’est construit malgré toi sur une plaie à ciel ouvert, il inquiète les jours et leurs ailes, les nuits et leurs ailes, c’est sans repos où tu habites, un guet permanent. Tu voudrais délivrer du mal tous les oiseaux, tu attaches des clochettes au cou des chats, et tu te promènes la tête dans la grisaille des nuages en rêvant que ton geste ridicule puisse empêcher la ville de sombrer. Tu ne sauveras que quelques passereaux, mais tu agis, tu oses agir avec l’espoir d’alléger un rien la détresse, puisque la détresse risque de t’emporter. Juste un geste, et ce mot tout droit sorti d’un autre siècle, charité, que tu récupères en cherchant une posture pour vivre adossée à l’abîme.




    [ADOSSÉE À L’ABÎME]


    Adossée à l’abîme, tu apprends à squatter un peu d’air pour ta survie, ça pénètre dans ton ventre avec la poussière du sol, ça te fait pierres au foie, pierres aux reins, tu apprends à parler minéral, comme si tu voulais apprivoiser les fossiles déposés en toi, reliques des morts trop morts pour renaître au printemps. Tu portes un temps qui n’a plus souvenir des semailles ni des herbes affolées par le vent, te voilà revenue aux balbutiements d’un monde sans leçons à donner, sans terres à défendre. Tu aurais beau posséder toute la science de ton siècle, connaître des centaines de langues, aucune ne pourrait te soulager. Tu es un deuil qui se casse sans cesse contre la faille des continents, une humiliation quotidienne. Tu es là, preuve parfaite que Dieu ne sait pas exister.




    Louise Dupré, La Main hantée [éditions du Noroît, Montréal, 2016], éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2018, pp. 36, 70, 71.






    Louise Dupré  La Main hantée






    LOUISE DUPRÉ

    Louise Dupré NB2
    Source




    ■ Louise Dupré
    sur Terres de femmes

    Jusqu’à la fin (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique sur Louise Dupré
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur La Main hantée





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Éric Sautou, La vie éternelle, I




    LA VIE ÉTERNELLE, I




    Choses de l’oubli.
    La rime (avec le vent).
    L’autre nom (de votre solitude).
    L’immense nuit même s’y apaise.
    Jusqu’à de plus sombres degrés.
    Seule et inchangée à la vigie du phare.
    Ma tête, mon bocal, mon oursin.
    Fracas de l’étrave (falaise de craie).
    Une huître (fermée).




    Verre en pyrex (asparagus).
    Là, puis là, puis là encore ou bien là.
    Cognée aux vitres en vol.




    Petite fleur seulette de Walser.
    Tombée de son mouchoir (ou restée seule dans la main).
    Une fois l’écrin réouvert, cueillir, et n’offrir, à personne.




    L’échelle dans l’herbe (la pomme dans l’arbre).
    Traîneau (ou baldaquin de fée).
    En sa tour (dévastée).
    Enfant comme hier.




    Tombe la neige (que même regardent les étourneaux transis).
    Où mourir de tant de neige (parmi les herbes et les fleurs).
    Cœur vibrant du lapereau.
    Cœur humide du bouvreuil.
    Se défaire (et se défait).
    Au cœur de neige disparaît.



    Éric Sautou, « La vie éternelle », I, in Une infinie précaution, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2016, pp. 37-41.






    Eric Sautou  Une infinie précaution





    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    À son défunt (lecture d’AP)
    Beaupré (lecture d’AP)
    [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)
    La Véranda (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur le site des éditions Unes)
    la fiche de l’éditeur sur La Véranda
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Georg Trakl | Hohenburg [traduction de Guillevic]





    HOHENBURG






    Es ist niemand im Haus. Herbst in Zimmern;
    Mondeshelle Sonate
    Und das Erwachen am Saum des dämmernden Walds.

    Immer denkst du das weiße Antlitz des Menschen
    Ferne dem Getümmel der Zeit;
    Über ein Träumendes neigt sich gerne grünes Gezweig,

    Kreuz und Abend;
    Umfängt den Tönenden mit purpurnen Armen sein Stern,
    Der zu unbewohnten Fenstern hinaufsteigt.

    Also zittert im Dunkel der Fremdling,
    Da er leise die Lider über ein Menschliches aufhebt,
    Das ferne ist; die Silberstimme des Windes im Hausflur.







    HOHENBURG





    Il n’y a personne dans la maison. Automne dans les chambres.
    Sonate en clair de lune.
    Et l’éveil à l’orée de la forêt crépusculaire.

    Toujours tu vois le visage blanc de l’homme
    Loin des tumultes du temps ;
    Sur ce qui rêve s’incline volontiers la ramure verte.

    Croix et soir ;
    Celui qui résonne est pris par les bras pourpres de son étoile
    Qui monte vers des fenêtres inhabitées.

    Ainsi tremble l’étranger dans la pénombre
    Quand doucement il lève ses paupières sur de l’humain
    Au loin ; voix argentine du vent dans le vestibule.




    Georg Trakl, Vingt poèmes traduits et présentés par Guillevic, éditions Obsidiane, 2016, pp. 40-41.






    Georg Trakl  Vingt poèmes




    GEORG  TRAKL


    Trakl01
    Knudd Odde
    Trakl (efter Dea), 2003
    Acrylique et huile sur papier,
    138 x 116 cm
    Source





    ■ Georg Trakl
    sur Terres de femmes

    3 février 1887 | Naissance de Georg Trakl
    [La rosée du printemps]




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue temporel)
    « Une quête hallucinée de l’Absolu : regard sur la poésie de Trakl », par Jack Delavenne (26 septembre 2011)





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  • Ida Vitale [Prix Cervantes 2018] | Nieve




    NIEVE



    Minimos puntos – aguanieve,
    cristales – blancos bajan.
    Este harapiento mundo
    pone per un momento
    suave decoro de algodones
    en su fábula fea.

    Deslumbra una escama de liquen
    verdegris en lo blanco.
    Deslumbra una rama sin hojas,
    una hoja sin rama.
    Hacer bello le otro
    es gloria de la nieve.

    La alegría dello perro sabe
    juegos que el hombre olvida
    y natural usa la fiesta
    nueva que se le da.
    Callan altros los pájaros
    como el hombre suspensos.





    NEIGE



    D’infimes points – grésil,
    cristaux – blancs descendent.
    Ce monde en haillons
    met pour un moment
    un doux décor de cotons
    sur sa vilaine fable.

    Miroite une écaille de lichen
    vert-gris dans le blanc.
    Miroite une branche sans feuilles,
    Une feuille sans branche.
    Donner la beauté ailleurs
    est gloire de la neige.

    La joie du chien connaît
    des jeux que l’homme oublie
    et simplement il fait usage de la fête
    nouvelle qu’on lui offre.
    Les hauts oiseaux se taisent
    en suspens comme l’homme.



    Ida Vitale [Prix Reina Sofía 2015, Prix Cervantes 2018], Pauvre règne [Parvo Reina, 1984] in anthologie Ni plus ni moins, édition bilingue, Éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2016, pp. 90-91. Traduction de l’espagnol (Uruguay) par Silvia Baron Supervielle. Ouvrage publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine.






    Ida Vitale, Ni plus ni moins




    _________________________________
    NOTE DE L’ÉDITEUR : « Après avoir traduit la poésie d’Alvaro Mutis puis celle de César Vallejo, François Maspero avait entrepris de traduire Ida Vitale. La mort l’a surpris au cœur de ce travail. Silvia Baron Supervielle a pris le relais. Elle a choisi et traduit la plupart des poèmes qui composent cette anthologie. »




    IDA VITALE


    Ida Vitale
    Source




    ■ Ida Vitale
    sur Terres de femmes

    La palabra infinito (extrait de Procura de lo imposible)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur El País,‎ 15 novembre 2018)
    Ida Vitale, premio Cervantes 2018
    → (sur le site du magazine Le Point‎)
    Ida Vitale, l’alchimiste des lettres uruguayennes
    → (sur A media voz)
    une notice bio-bibliographique sur Ida Vitale (+ plusieurs poèmes)
    → (sur le site des Cahiers Max Jacob‎)
    une recension de Ni plus ni moins d’Ida Vitale, par Ingrid Tempel [PDF]





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