Étiquette : 2016


  • Stéphane Sangral, Circonvolutions

    par Muriel Stuckel

    Stéphane Sangral, Circonvolutions
    (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes),

    Collection Incises dirigée par Agnès Rauby,
    éditions Galilée, 2016. Préface de Thierry Roger.



    Lecture de Muriel Stuckel



    Mise en question du sens
    « faire nœuds et boucles pour affronter le vacillement
    métaphysique du sens »
    Ph., G.AdC







    CIRCONVOLUTIONS OU LE POÈME-VERTIGE DE LA DÉCONSTELLATION




    « l’unique Nombre qui ne peut pas être un autre »

    Mallarmé





    Publié par les éditions Galilée en avril 2016 et présenté par Thierry Roger dont l’« Anti-préface » s’intitulant « La différance cérébrale » met en exergue deux citations emblématiques de Derrida et de Mallarmé, le dernier livre de Stéphane Sangral, Circonvolutions (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes), exerce sur le lecteur de poésie une force sidérante.

    Vertige spéculaire, voltige typographique, le verbe poétique délie peu à peu ses boucles les plus subreptices pour élaborer une esthétique de la variation autour d’une douleur originelle. Le poème-tombeau esquisse une architecture musicale à peine perceptible, celle du deuil, de la pudeur, de la nécessité intime, mais toujours avec le souci d’une « conscience réflexive » : « Et je l’écris, et je m’écris, et cette boucle / s’écrit, et m’écrit, et ce livre réflexif / la serre […] » (p. 125).

    Une double dynamique ne cesse de se tisser entre l’exigence d’édifier l’œuvre et la tentation de l’effacer, mouvement contradictoire qui semble se résoudre en inscrivant au cœur du livre l’effondrement et sa substance paradoxale « pleine de vide » où vacuité ontologique et plénitude poétique cherchent intensément à faire nœuds et boucles pour affronter le vacillement métaphysique du sens.

    Quand le poète formule l’injonction d’« [é]plucher les édifices et boire / leur pulpe de Néant… » (p. 56), il propose un jeu de variation pour filer la métaphore architecturale et l’enrichir d’un jeu de substitution saisissant entre les deux instruments incisifs que représentent le couteau et la plume. La gestuelle de « [p]lanter / une plume […] dans l’Edifice du Tout » s’accomplit selon un principe d’orchestration numérique annoncé dès le sous-titre et finement décliné au fil des pages, pour faire écho à l’année de naissance du frère défunt (1970), dédicataire de l’œuvre et seul allocutaire réel de cette voix lyrique confinée dans sa solitude de « survivant » (p. 128). En effet, dans le déroulement du poème vertical à déceler dans l’unique texte du « Chapitre 3 » qui se situe au cœur d’un dispositif structurel propre à mimer l’effondrement psychique, le seul « Tu » du livre n’est plus tu. Il se dit, il s’écrit pour se dresser en signe d’« émergence-résurgence » et pour se dé-« crypter » sous le signe de la dislocation syntaxique et de la déconstellation linguistique : « Tu – / viens de mourir- / et je cherche,- / pour y vivre,- / survivre, de solides architectures… » (p. 81).

    Ravivant la « plume solitaire éperdue / sauf » de Mallarmé dans « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », celle de Stéphane Sangral « plante » ses mots sur la page. Proche de l’effet sentencieux, il énonce clairement que « [s]eule la déconstruction véritablement / construit » (p. 65), ce qui l’amène à exhiber le motif majeur du secret tout en avouant se jouer de la dialectique entre la dissimulation et la révélation qui lui est consubstantielle : « Ce texte est un secret ne se révélant que / pour se dissimuler dans la révélation » (p. 61). Aspirant à déconsteller et à disséminer son patronyme, le poète instaure des effets d’échos tant sonores que visuels entre le substantif « sang » et la préposition privative « sans » (p. 61), ou entre le verbe « je sens » et le substantif « sens » (p. 113) : « je / sens qu’émergera par là la tombe du sens… ». Sisyphe du trait d’esprit, il « pousse » le nom propre jusqu’au calembour « Sang… râle » avant que ne se détache la circonvolution clausulaire : « Signe / encrypté d’impossible à la fin nous fait signe » (p. 63). Cette recherche de remotivation cratylienne du signe onomastique primordial et familial, insistant sur les liens de sang qui l’unissent pour toujours à son frère « ab/sent », peut sans doute se déchiffrer comme une tentative d’édifier le sens en le défiant constamment.

    S’effectue sous nos yeux en effet la mise en question du sens, comme face à la reprise incantatoire de l’adverbe « peut-être » qui se déploie avec toute une variation typographique à même de créer un effet d’étourdissement et de disjonction en « peut être » (p. 104). La ponctuation suspensive semble vouloir susciter le rythme dilatoire d’une révélation possible, comme dans nombre de pages du livre. S’opposent le Rien et le Tout, mais aussi le choix de pages vides, d’une intense blancheur abyssale, à peine reliées par des points de suspension comme pour coudre un véritable linceul textuel, et la recherche d’une plénitude architecturale saturant l’espace paginal, parfois avec le souci d’une verticalité symbolique pour dire l’élan imaginatif et le gouffre de « l’horreur » (p. 81), parfois à la limite de la lisibilité avec une typographie délibérément minuscule (pp. 141 à 146). Entre ces deux postulations esthétiques, le poète s’interroge. Dans l’entrelacs de l’édification et de l’effacement de l’œuvre où se risque « un suicide relatif » (p. 73), la question cruciale jaillit : « Comment être au-delà du non-sens trop violent d(u Non-)Être, comment être un poème ? ».

    Serait-ce par une poétique de la « circonvolution » insistante et vibratoire ? L’alliance de l’enroulement lexical et du déroulement phrastique ne manque pas de favoriser l’instillation d’une « musique muette » qui diffuse au bord de l’abîme la « puissance de deux symboles », le dix « logique » et le sept « sensible » (p. 46) pour « pousser… passer du signe au symbole » (p. 63) et tracer ainsi le cheminement heuristique menant à une affirmation troublante, « Et j’écris au bord du (au bord de) n’être pas… » (p. 103), avant le paradoxe suprême qui scelle sur la page l’inscription de l’effacement : « Ceci est un poème absent… » (p. 106).

    « Creuser » la présence de l’absence, telle est la substance originelle, profonde, ontologique de cette poésie dont les boucles verbales esquissent un pas-de-deux vertigineux en ce poème-labyrinthe où, déconstellée, la lyre du « deuil incommensurable » (p. 129) vibre pour murmurer :

    « qu’un sens mort : ce poème… »
    (p. 89).




    Muriel Stuckel
    D.R. Texte Muriel Stuckel
    pour Terres de femmes







    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    STÉPHANE  SANGRAL


    Stéphane Sangral
    Ph. © Vincent Macher
    Source





    ■ Stéphane Sangral
    sur Terres de femmes

    [De mes phrases le sens tombe] (extrait de Circonvolutions)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Stéphane Sangral
    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Circonvolutions
    → (sur Sitaudis)
    une lecture de Circonvolutions par Christian Désagulier
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Circonvolutions par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur Autre-monde)
    une lecture de Circonvolutions par Marie-Josée Desvignes



    ■ Autres notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom





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  • Valérie Canat de Chizy | [Je me tiens à une rampe, pour ne pas tomber]




    Canat 2
    « Je me tiens à une rampe, pour ne pas tomber. »
    Ph., G.AdC








    [JE ME TIENS A UNE RAMPE, POUR NE PAS TOMBER]




    Je me tiens à une rampe, pour ne pas tomber. Dans le couloir, derrière la porte d’entrée, des ombres rôdent. Heureusement, le chat s’arc-boute contre la masse obscure. La lumière du foyer irradie, forme une enveloppe de protection.



    Des rails devant la porte, une voie se scinde en deux. Je m’aplatis et passe sous la fente. Je monte dans un wagon à découvert, empli de sable. Le paysage défile. Déjà, je suis ailleurs.



    Parfois, il faut si peu pour que tout se fissure et que l’on perde pied.



    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime), Éditions Henry, Collection La Main aux Poètes, 2016, pp. 31-32-33.






    Valerie Canat de Chizy




    VALÉRIE CANAT DE CHIZY


    Valérie Canat de Chizy





    ■ Valérie Canat de Chizy
    sur Terres de femmes

    [Poésie quand le vert…] (poème extrait de Caché dévoilé)
    Je murmure au lilas (que j’aime)[lecture d’Isabelle Lévesque]
    [La clôture est autour] (poème extrait de Talisman)
    [L’écriture s’étiole] (extrait de Pieuvre)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une lecture de Je murmure au lilas (que j’aime) de Valérie Canat de Chizy, par Marilyne Bertoncini
    le blog de Valérie Canat de Chizy
    → (sur Ce Qui Reste)
    extraits des Pavots sortent en éventails
    (+ une notice bio-bibliographique)

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Valérie Canat de Chizy





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  • Olivier Bastide | S’asseoir, debout, marcher




    Exploration minutieuse des recoins
    « Cela passe par l’exploration minutieuse des recoins »
    Ph., G.AdC







    S’ASSEOIR, DEBOUT, MARCHER



    Cela fait un certain temps déjà que bruissent autour de moi mondes et contredanses. Je le sais quand mon front s’alourdit, quand s’affirme avant toute autre chose le sentiment de chute. Je me repère alors aux yeux de cette femme, qui valse seul et qui, tour après tour, semble dicter ma conduite de son regard direct.
    Elle n’existe pas ! Elle n’existe pas ! Je dois frotter fort mon front de mes mains ; je dois circonscrire ce petit mal avant de trébucher les pieds gourds de peur.
    Cela passe par l’exploration minutieuse des recoins, le soin apporté au remue-ménage. Quelle est cette question qui se pose sans cesse, revient, s’oublie, revient, s’oublie mais laisse son souffle déposé un peu partout ?



    Olivier Bastide, « Néanmoins funèbre » in La Figure et l’Élan, Éditions Alcyone, Collection Surya, 2016, page 15.






    Olivier Bastide, La Figure et l’Élan






    OLIVIER BASTIDE


    Olivier Bastide
    Ph. angèlepaoli



    ■ Olivier Bastide
    sur Terres de femmes

    BestiAire



    ■ Voir aussi ▼

    Dépositions (le site d’Olivier Bastide)
    → (sur le site des éditions Alcyone)
    la page de l’éditeur sur La Figure et l’Élan





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  • Christiane Veschambre, Basse langue

    par Angèle Paoli

    Christiane Veschambre, Basse langue,
    éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel,
    29410 Le Plounéour-Ménez, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Berlin_Fotor
    « la disposition subjective secrète » (Gilles Deleuze)
    Ph., G.AdC








    ATTEINDRE LA « LIBRE BASSE LANGUE »




    Basse langue ? Titre énigmatique, singulier. Existerait-il donc une « basse langue » comme il existe des basses eaux, des basses saisons, des basses terres ? À lire le dernier ouvrage de Christiane Veschambre, il semblerait bien que oui. Basse langue. Un lien secret court en effet entre les pages du dernier ouvrage de la poète, qui réunit des écrivains aussi différents qu’Erri De Luca, Robert Walser, Emily Dickinson et Gilles Deleuze. Auxquels il faut rajouter Joseph Léo Mankiewicz, dans les pages qui font allusion à The Ghost of Mrs Muir, film inspiré au cinéaste par le roman de l’écrivain britannique R. A. Dick. De son vrai nom Josephine Aimée Campbell Leslie.

    Rien en apparence qui permette de juxtaposer ces différentes langues avec un titre au singulier, si ce n’est cette « basse langue » qui persiste à bruire entre les blocs distincts façonnés par chacune des langues. Un rien qui assure cependant la continuité de l’interrogation ainsi que l’unité et la profondeur de la réflexion. Le leitmotiv de la « basse langue » s’en revient en effet comme le ferait un boomerang, boumeran, — ainsi Erri De Luca nomme-t-il l’objet que l’enfant de treize ans reçut un jour en cadeau —, d’un auteur à l’autre, entre les pages de Basse langue.

    À l’origine, il y a la rencontre avec une langue. La langue particulière personnelle des quatre écrivains susmentionnés. Une langue qui engendre un surgissement violent. Un séisme. Une tempête. Une secousse qui s’accompagne de frissons ; de tremblements. Cela survient avec la langue qui « étrange ». Cet « ébranlement ». Quelque chose se produit à la lecture, qui bouleverse et qui poursuit son travail de taupe, en silence et en profondeur.

    « Quelque chose, entre les blocs a continué de gronder. Je l’appelle la basse langue. C’est tout ce que je sais. »

    Ainsi s’exprime la poète dans l’incipit de son livre. Qui confie quelques pages plus loin :

    « Dans la chambre à Naples, disloquée par le tremblement de terre de ma lecture, l’envol et le cri ne m’apaisent pas, ne me rendent pas à une tranquille perception — me font savoir que par basse langue, ma langue de taupe, si elle m’advenait, c’est à une puissance inconnue de ma vie divisée que je serais soumise. »

    C’est ainsi que, tout en lisant Montedidio et tout en écrivant, Christiane Veschambre sent surgir en elle, sous sa plume, des poussées de langue étrangère, la langue d’Erri De Luca. À travers la voix d’Erri De Luca, la poète de Basse langue sent frémir dans ses fibres une langue archaïque vers laquelle elle tend l’oreille. Écrire, dès lors, n’est autre que se saisir de « la voix de celle qui n’en avait pas. »

    Écrivant sur la « basse langue », Christiane Veschambre intercale des textes en italiques. Récits sur sa propre enfance, sur le père, sur le rire du père et de la mère, sur l’apprentissage des langues qui mettent l’enfant à distance de ses parents — « la crainte de l’enfant que l’on ne comprend plus » —, sur la mort du père. Et cette découverte, à partir d’une vieille photo, de l’existence d’une « enfant-ma-mère » qui ne « ressemble pas » et que la narratrice ne reconnaît pas. La poète découvre ainsi l’écart qui existe entre la promesse et la réalité. Elle tente de rabouter les morceaux qui nourrissent sa stupéfaction. Les tenir ensemble sous ses yeux. C’est ce à quoi elle s’attache. Rabouter deux éléments du puzzle. « La personne-que-je-connais à l’enfant surgie ». « L’étrangéité » de la mère. Relier la vieille femme martyrisée à l’enfant brûlant de désir de vie. Tentative que seule l’écriture rend tangible. Le « frisson géologique » qui parcourt la narratrice à ce moment même est de même nature que celui qu’elle éprouve au moment de la mort du père. Plus loin, dans le premier volet du texte intitulé « Triptyque de la chambre secrète », Christiane Veschambre évoque son avortement : « On a brisé une certaine chaîne du malheur qui nous a engendrée. »

    Après le chemin creux du Nid-de-Chiens (la glaise bretonne de sa mère), Christiane Veschambre emprunte en Auvergne les sentes de Chez Sagoueix. Tout en marchant à travers la campagne, la pensée de l’écrivain s’évade. Du côté de Robert Walser. Et « marchant, je deviens celle qui va écrire ce livre. » Robert Walser marchait vite. Il marchait beaucoup, mais jamais ailleurs qu’en Suisse. Dans « les limites assignées » par sa modeste existence. Par crainte de se mettre à « parler de Walser », par crainte de « s’appesantir » sur « les ruisseaux de ses petites proses qui jamais ne forment rivière », Christiane Veschambre se tourne vers Thierry Trani, auteur lui aussi de petites proses. Sans fin en soi. Dont elle cite quelques extraits. Entre les « grottes insoupçonnées » de Thierry Trani et « l’ombre crépusculaire » de Robert Walser, un lien étroit se tisse qui conduit vers « ces pays qui existent pour nous dès avant la naissance. » Les petites proses de Thierry Trani ont été rassemblées — après sa mort — sous le titre de Ultra-petita dans la revue Petite par les soins de Christiane Veschambre et de Florence Pazzottu.

    D’autres parentés relient les deux écrivains, le Suisse et le Marseillais. La modestie. L’effacement. Modestie ? Effacement ? Christiane Veschambre rend hommage à ces deux figures qui ont modelé sa vie. Elle évoque l’un des lieux modestes de son enfance, un « petit immeuble encastré dans des constructions plus modernes », un « pauvre lieu » privé de confort, mais qu’elle continue d’aimer « tel quel ».

    Cette même modestie conduit la poète sur les traces d’Emily Dickinson. De l’« hôtesse minuscule », Christiane Veschambre évoque la langue « évidée de tout superflu ». Ce « peu de mots », ce « goutte à goutte ». « Tout racontage tu ». Il n’est pas impossible d’ailleurs que Christiane Veschambre ait emprunté à Emily Dickinson, qui se décrivait comme « petite », le titre de sa revue Petite. Avec Emily Dickinson, le « je » s’efface pour laisser place, dans une énumération anaphorique d’actions, à un « on » indéfini.

    « On s’est retrouvée à les lire »…

    « On s’est retrouvée à arranger les circonstances »…

    « On s’était mise à faire confiance. »

    « On s’était mise à recueillir le goutte-à-goutte d’une langue qu’on tâtait pour vérifier son évidence »…

    De même que Robert Walser se contentait de « limites assignées », de même Emily Dickinson se satisfait des limites du jardin paternel. C’est là qu’elle se construit, dans cet univers clos, « pour s’assurer une enceinte terrestre ». « Le jardin, la maison, la chambre : enceinte de confinement pour un noyau soumis à l’Expansion ».

    Entre Christiane Veschambre et Emily Dickinson court la même impossibilité à obtenir du Père la connaissance de ce que chacune est. Partant, venant du père, nulle re-connaissance possible, nul accomplissement possible. Écrire des livres devient dès lors écrire pour mériter le regard du Père majuscule. « Pour s’établir à l’abri de son regard ». Mais « donner corps à la basse langue » n’est pas chose toujours possible. Il arrive que le travail de taupe échoue et que la basse langue se refuse. De cet échec naît le sentiment d’impuissance et d’extrême solitude des « jours de peine ». La poète fait appel à l’animal qui en elle parfois la rejoint. Elle lui parle :

    « Je dis : bête poignante, donne-moi la langue qui étrange, la langue qui m’étrange, qui m’étrangle les mots lisses dans la gorge, donne-moi la basse langue. La basse langue, c’est mon pays, une langue sans mémoire, une lande où pousseraient en même terre un vif esprit et les mottes de la taupe excavatrice ».

    C’est sur ce gué qui passe de la langue à la lande que surgit la réflexion sur Gilles Deleuze, dont la pensée suscite une émotion intense, un bouleversement qui secoue et propulse Christiane Veschambre hors des limites auxquelles elle se pensait assignée. Elle lit Deleuze, elle l’écoute. Elle se sait sous l’emprise de la « contagion ». Dans la forme et dans la force d’une pensée qui confère à l’impossible sa réalité. Ainsi en est-il aussi du livre que Mrs Muir se doit d’écrire sous la dictée du fantôme qui la visite. Langue étrange étrangère qui descend jusqu’à la « langue triviale » du corps, « langue basse » que lui impose le capitaine Gregg et qui prend corps en elle. Le marin n’incarne-t-il pas « la disposition subjective secrète » — selon l’expression de Gilles Deleuze, de Mrs Muir ? Et le livre qu’elle mènera jusqu’au bout, totalement opposé à « son moi visible, social, psychologique » la libère, en quelque sorte, de l’aliénation qui était la sienne. « Il y a une aliénation dont on ne se libère que par la rencontre dans l’obscurité de son étranger. » C’est ce qui survient à Mrs Muir, mais aussi à Christiane Veschambre, grâce aux rencontres que l’émergence en elle de la « basse langue » lui a permises. Atteindre la « libre basse langue » est-il toujours de l’ordre du possible ? Repousser les résistances, voire les faire reculer, est une épreuve pour qui veut écrire. Pour Christiane Veschambre demeure à jamais la camera obscura, celle dont elle ne se décidera pas à livrer les secrets.

    La « basse langue » de Christiane Veschambre met au jour tout un réseau de réflexions sur les relations complices qu’entretient un écrivain avec ses lectures. Nourriture foisonnante que cette « œuvre de surgissement » qui irrigue en profondeur une écriture. Et la pousse jusqu’en ses tout derniers retranchements.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Christiane Veschambre, Basse langue






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre 2
    Ph. Olivier Roller
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    Écrire Un caractère (lecture d’AP)
    [Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’Écrire Un caractère)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)
    Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Basse langue







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  • Stéphane Sangral | [De mes phrases le sens tombe]




    [DE MES PHRASES LE SENS TOMBE]



    De mes phrases le sens tombe, tombe dans les
    phrases que je n’ai pas écrites, tombe aussi
    dans un désespoir vague,

    et

    du désespoir les
    vagues submergent tout, et cette phrase aussi
    qui tombe dans un sens tombant dans un non-sens,
    et aussi toutes les phrases que jamais je
    n’écrirai immergé(es) dans ce « jamais »,




    et




    je
    sens qu’émergera      par      là      la tombe du sens…




    … mon équilibre est en équilibre sur la
    ligne de crête de mon déséquilibre,

    et
    mon déséquilibre est en équilibre sur
    la ligne de crête de cet équilibre,

    et
    le sens de ces mots, en déséquilibre sur
    le sens de ces mots, tombe et meurt très loin de là…




    J’écris pour compenser mon incapacité
    à lire le réel…



    Stéphane Sangral, « de 5 à + ∞ Cercle vicieux du Tout » in Circonvolutions (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes), éditions Galilée, Collection Incises dirigée par Agnès Rauby, 2016, pp. 113-114-115. Préface de Thierry Roger.






    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    STÉPHANE  SANGRAL


    Stéphane Sangral
    Ph. © Vincent Macher
    Source





    ■ Stéphane Sangral
    sur Terres de femmes

    Circonvolutions (lecture de Muriel Stuckel)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Stéphane Sangral
    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Circonvolutions
    → (sur Sitaudis)
    une lecture de Circonvolutions par Christian Désagulier





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  • Bengt Emil Johnson | (Resans gång)(Au fil du voyage)




    Jecrois que quelque chose de très ancien se glisse hors de ses pensées
    « Je crois que quelque chose de très ancien se glisse
    hors de ses pensées »
    Ph., G.AdC









    (RESANS GÅNG)


    I


    Hon försöker erinra sig ette besök hon gjort, men besöks under tiden själv av omgivning som ställer henne emellan. Hennes välvilja blir en del av atmosfären och kommer — uttunnad — med andra till del. Jag tror att något mycket tidigt nästlar sig ut I hennes tankar, men jag vägrar att snegla i det hon skriver. Det känns som om hon visar mig samma respect. Nu arbetar vi båda lugnt. När vi råkar göra en kortare tankepaus tittar vi exakt samtidigt åt samma håll. Det måste vara samma landskap som drar förbi; men det var och en av oss ser skall vara förborgat.






    (AU FIL DU VOYAGE)


    I


    Elle cherche à se souvenir d’une visite qu’elle a faite, mais pendant ce temps elle est elle-même visitée par ce qui l’environne et l’interpose. Sa bonne volonté devient part de l’atmosphère et vient — éclaircie — à s’y inclure davantage. Je crois que quelque chose de très ancien se glisse hors de ses pensées, mais je me refuse à lorgner sur ce qu’elle écrit. Il semble qu’elle me montre pareil respect. Nous travaillons tous deux en silence. Quand il nous arrive de faire une courte pause, nous regardons en même temps dans la même direction. Ce doit être le même paysage qui défile devant nous, mais ce que chacun de nous voit reste secret.



    Bengt Emil Johnson, La Fête des mots [Ordens fest, Bonniers Förlag, Stockholm, 1986], Éditions Lanskine, Collection « Ailleurs est aujourd’hui », 2016, pp. 36-37. Traduit du suédois par Julien Lapeyre de Cabanes.






    Bengt Emil Johnson, La Fête des mots





    BENGT EMIL JOHNSON


    Bengt Emil Johnson
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net )
    Bengt Emil Johnson | Souvenir d’hiver (poèmes traduits par Julien Lapeyre de Cabanes + une notice biographique)
    → (sur remue.net )
    Bengt Emil Johnson | Extrait 2 (poèmes traduits par Julien Lapeyre de Cabanes)
    → (sur le site des éditions LansKine )
    la fiche de l’éditeur sur La Fête des mots





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  • Marie Ginet | [Être de quelque part. Ou juste en venir]




    [ÊTRE DE QUELQUE PART. OU JUSTE EN VENIR]




    Être de quelque part. Ou juste en venir. Quand tout a tellement changé. L’odeur du pays minier qui s’attarde dans la mémoire, dissoute et comme amputée. L’industrieuse effilochée qui lance des cailloux dans l’eau, des bulletins de vote impensables. Une corde au cou du passé. Un chiffon rouge oublié par les arrière-petits enfants de la Silésie.

    Qui se souvient que l’aimé-e parlait une langue inconnue ? Que les peaux sales se ressemblaient. Que le mot peuple était possible.

    Notre idéal a fait plouf. On n’a plus grand-chose à se dire. Un écran qui bave au café ? Des zones commerciales horizon ?

    Le vert phosphorescent entre lumière et pluie. Nous suivons des prairies d’herbe haute et de sève. Les naseaux d’un poulain se dressent à notre approche.

    Je rêve alexandrins pour consoler le monde, pour caresser les flancs du soir qui va venir, pour clarifier le verbe à défaut de la vie.



    Marie Ginet, Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes, Éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2016, pp. 38-39.






    Marie Ginet, Dans le ventre de l'Ange et autres cachettes





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source




    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    Invasion de nuages (+ notice bio-bibliographique)
    Une scie contre les barreaux (extrait de Pulsation)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Plus vaste que nous





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  • Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va

    par Isabelle Lévesque

    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va,
    Éditions Folle Avoine, 2016.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Parce que tout est devant,
    dans le nouveau paysage.

    J-F. M.



    Le titre ouvre une brèche. Le possible y entre, celui figuré par la périphrase 1 qui laisse imaginer ce qu’elle désigne – et qu’on ignore, « inventé vrai ». Quelque chose retenu, un geste, un mot, rien qui reste cependant, une simple pause. Un effondrement entrevu ?

    Jean-François Mathé, par ce participe passé passif, n’indique pas l’origine de ce qui suspend le mouvement. Nous entrons dans le livre par cette énigme : arrêt et poursuite simultanés, paradoxalement. L’épigraphe d’Aragon 2 cependant introduit le temps comme horizon de cette énigme, l’instant qui porte une couleur et change aussitôt. Chez Jean-François Mathé, la dissonance est d’ordre sémantique : on s’attend à rencontrer des associations, or ce qui est habituellement uni semble dissocié. Entre le chemin et les « souliers », on ne sait qui porte les pas. Qui va ?

    « Chaque nuit devant ma porte

    revient se coucher le même chemin.

    Chaque matin il attend

    que mes souliers lents

    avec eux l’emmènent.

    Et derrière moi,

    pour me remercier,

    je sais qu’à mon ombre

    il apprend la danse

    et le cloche-pied. »

    Bifurcation métonymique et transfert de propriétés, le chemin vivant apprend à celui qui l’emprunte une marche divergente, « la danse » légère qui affranchit et le difficile et joueur « cloche-pied ». La route nous appelle ! comme le chantent certains marcheurs. Mais comment faire quand « la porte s’absente » ? Jean-François Mathé est un poète qui marche 3 comme Philippe Jaccottet, Pierre Chappuis et d’autres. Le chemin est pensé, rêvé, imaginé. Il devient manne intérieure, puis poème. Mais c’est aussi le chemin de la vie. « Danse » de la jeunesse, « cloche-pied » de l’enfance.

    On pourrait parler de « celle qui vient à pas légers » 4 (autre périphrase). Jean-François Mathé évoque ce qui demeure, malgré le vent qui pousse toujours dans le même sens, qui emporte, et ces ombres qui gagnent jusqu’à nos ombres intérieures. Elles sont diverses et multiples. Certaines répètent ce qui eut lieu ou en sont l’écho :

    « L’ombre du chat passait.

    Mais le chat était mort hier. »

    Poésie où rien n’est joué car tout se joue en avançant, en écrivant un chemin de patience identique et inédit « [c]haque matin ». Ce qui est requis : l’espace humble et quotidien, lieu de vie où « n’entrera qu’un doigt de lumière », comme s’il fallait en goûtant le jour une présence infime dans un geste simple pour qui attendra « le sang ou le soir, / la blessure ou la paix ». Les sons en allitérations unissent des mots opposés, précisés par un autre groupe nominal en chiasme, de l’un à l’autre s’opère un simple glissement qui doit être accepté malgré la secousse qu’il génère car il est le sens de la vie. Ce qui est attendu : une surprise, même légère, un récit déjoué par le simple accueil de ce qui entre alors que la pâleur, redondante, figure la page vierge encore du moindre :

    « toute une journée à pousser

    du regard la vitre vers

    le bleu du ciel. »

    Vers amoindri, ses syllabes se réduisent alors que l’essentiel, minime et nécessaire, est approché. Par touches successives, le poème ne le cerne pas, il l’effleure et rien n’est oublié de ce qui peut périr :

    « quelqu’un s’approchera du cœur

    pour réclamer un dénouement. »

    Les termes empruntés au récit, nombreux, semblent établir une trame. Écrire pour « se souvenir / du monde qui disparaît ». Douceur d’épisodes contés, l’histoire est composée comme une mosaïque où regarder le dessin de la vie dans ses fragments que la lumière caresse, parfois. Or ce récit lacunaire reste dans l’ombre, celle invoquée par les détails allusifs d’une perte :

    « Tes cils cloués

    au léger cercueil du regard. »

    Du tutoiement au vouvoiement et l’espace laissé au lecteur pour imaginer qu’il s’agit d’une crainte posée sur les mots, dont la faillite n’est pas totale, « retenue » par une voix qui la chante comme un songe, comme une image persistante et pourtant fragile.

    Battements du cœur, cadence des vers, le temps compte les flocons comme des instants successifs et nous ramène « au même chemin ». La nuit s’avance :

    « ses craquements de gel

    et d’étoiles font déjà

    plus de bruit que mes songes. »

    Ombre et lune, appel de nuit dans la ronde, les derniers poèmes font entendre le nom « nuit » et ses variantes infinies en rappels homophoniques : luit, unique, lune, finir, retenir…


    Pierre Reverdy nous montrait « Le vent retenu par la main » 5, sans doute la main qui écrit. Il constatait dans un autre poème : « Tu restes là / Tu regardes ce qui s’en va / Quelqu’un chante et tu ne comprends pas / La voix vient de plus haut / L’homme vient de plus loin / Tu voudrais respirer à peine / Et l’autre aspirerait le ciel tout d’une haleine » 6.

    Pour Jean-François Mathé, poète marcheur et chanteur 7, le souffle de la voix, de la respiration et du vent est le premier mystère et déjà le poème comme une ombre du souffle :

    « Des mots, je n’ai peut-être aimé

    que le souffle qui vient aux lèvres

    juste avant de les prononcer

    et juste avant d’y renoncer,

    pour que le poème, muet, rêve

    d’y rester rêvé. »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ________________________________________
    1. « Périphrase que toute parole », écrit Pierre Chappuis. In La Rumeur de toutes choses (Éditions José Corti, 2007, page 16).
    2. « Le temps parfois s’exprime comme un peintre / Il change la couleur ou si vous préférez / Il change de couleur comme un homme pâlit ».
    3. Rappelons ce titre d’un important recueil de Jean-François Mathé : Chemin qui me suit précédé de Poèmes choisis 1987-2007 (Éditions Rougerie, 2011).
    4. Jacques Réda, Celle qui vient à pas légers (Éditions Fata Morgana, 1985 ; nouvelle édition augmentée, 1999).
    5. Pierre Reverdy, « La vitre au cœur », p. 158 – Sources du vent in Œuvres complètes, tome II (Éditions Flammarion, 2010).
    6. Pierre Reverdy, « La jetée », p. 189 – Les Ardoises du toit in Œuvres complètes, tome I (Éditions Flammarion, 2010).
    7. Pour entendre (et voir) Jean-François Mathé parler de ses poèmes, de la poésie, et pour entendre l’une de ses chansons : https://www.youtube.com/watch?v=N0Zu7VjWqRo.







    Mathe-3






    JEAN-FRANCOIS MATHÉ


    JF-Mathe
    Source




    ■ Jean-François Mathé
    sur Terres de femmes

    [J’aurais voulu dire | et je n’ai pas dit] (extrait de Prendre et perdre)
    Prendre et perdre (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    [Il aurait mieux valu] (extrait de Retenu par ce qui s’en va)
    [Ce qui a le moins pesé] (extrait de La Vie atteinte)
    [Je me défais des songes] (extrait du Temps par moments)
    [Le paysage né de la dernière pluie] (extrait de La Vie atteinte)
    Vu, vécu, approuvé. (lecture d’AP)
    [J’ai demandé à l’horizon] (extrait de Vu, vécu, approuvé.)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    deux autres poèmes extraits de Retenu par ce qui s’en va de Jean-François Mathé
    → (sur Images de la poésie)
    une lecture de Retenu par ce qui s’en va de Jean-François Mathé par Laurent Albarracin
    → (sur Recours au poème)
    une notice bio-bibliographique (+ un choix de poèmes)
    → (sur le site de la revue Ce Qui Reste)
    plusieurs poèmes de Jean-François Mathé
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean-François Mathé
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Jean-François Mathé
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Jean-François Mathé




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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  • Estelle Fenzy | [Toi les yeux moi la voix]





    [TOI LES YEUX MOI LA VOIX]




    Toi les yeux moi la voix

    à nous deux presque
    un visage




    Viens

    Dévorons-nous corps et crus

    Avant que l’amour ne recule
    et lèche

    sa parole imprononçable
    dans l’écuelle de la mémoire



    Je suis cet animal blotti
    dans tes odeurs fidèles

    humain à s’y ouvrir
    visage ventre et veines

    histoire vraie de l’amour
    sensible et discordante

    l’entaille et la couture

    Écrire et caresser – oui
    de la même main




    Estelle Fenzy, L’Entaille et la Couture, Collection La main aux poètes, Éditions Henry, 2016, pp. 30-31-32.






    Fenzy Estelle _ L'Entaille et la Couture




    ESTELLE   FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za (poème extrait de Gueule noire)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    [Rêve silex] [extrait de Chut (le monstre dort)]
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Sans (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la revue Décharge)
    une lecture de L’Entaille et la Couture, par Claude Vercey
    → (sur Ce qui reste)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur la revue en ligne Possibles, nouvelle série n° 3, décembre 2015)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur Terre à ciel)
    cinq poèmes d’Estelle Fenzy
    → (sur la revue en ligne Festival permanent des mots)
    deux poèmes d’Estelle Fenzy





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  • Erri De Luca, Le plus et le moins

    par Martine Konorski

    Erri De Luca, Le plus et le moins
    [Il più e il meno, Feltrinelli, 2015],
    éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2016.
    Traduit de l’italien par Danièle Valin.



    Lecture de Martine Konorski


    Erri De Luca 3
    Image, G.AdC






    Lire Le plus et le moins laisse le goût délicieux d’un bain de mer au grand large, lorsqu’on se sent bercé par l’immense, au loin, et pourtant au plus près de soi. Le goût de sel finement déposé sur les lèvres, le grain d’une croûte de sel plus épaisse sur la peau, les cheveux mouillés qui se collent puis sèchent au vent… Un vent de liberté, « l’expérience de la liberté comme d’un désert », qui souffle sur ce magnifique livre d’Erri De Luca, quintessence de l’ensemble de ses livres, que l’on se réjouit de lire et de relire.

    Le plus et le moins : 37 textes, fragments inclassables, dans une écriture poétique hors du commun, qui nous font voyager dans un temps et dans un espace, guidés par la géographie des souvenirs de l’auteur, de l’enfance à l’âge adulte : des moments de sa vie à Naples, Ischia, Turin, Paris, les Dolomites. Un voyage sincère et tendre au pays de la fraternité humaine et du partage. Un voyage au pays de la liberté et de la vérité. Un voyage dans le silence habité de l’âme du poète, lorsque l’auteur, dans l’arc tendu de la beauté de son écriture pudiquement évocatrice, sensuelle et sans grandiloquence ni ornementation, nous transporte parmi les éléments de la nature et des saisons, « là où la poussière était l’âme du monde ».

    Instantanés de la vie de l’auteur, les textes qui composent ce livre éclairent son œuvre d’une lumière solaire qui vient de l’intérieur, tant ce qu’il décrit émane directement des émotions et des sensations qui le traversent profondément.

    On y retrouve les thèmes de prédilection qui animent Erri De Luca et nourrissent son écriture :

    – les luttes politiques et sociales des « années de cuivre », comme il dénomme les années 1970, qui « conduisaient le courant électrique des luttes sociales […] une vraie énergie électrique de transformation »,

    – le temps de l’intérêt collectif opposé au temps de l’intérêt individuel d’aujourd’hui « où l’on est évalué en fonction du pouvoir d’achat », symbole de notre monde désespérant et vide, qui sombre dans la barbarie et où il est vital de rester insoumis, de se révolter pour être vivant et porter « la parole contraire » pour tenter de mettre fin aux injustices, aux tyrannies, aux guerres, aux racismes…

    – mais aussi le deuil des parents qui prend le goût du silence, « un silence comme les deux lèvres d’une blessure ouverte » et qui provoque aussi « l’exil alimentaire », puisque depuis la mort de sa mère, l’auteur a renoncé à son plat préféré : les aubergines à la parmesane ; une manière si humaine de vivre une telle séparation, puisque pour l’auteur « le deuil se vit plus à table qu’au cimetière ».

    Et puis, l’on trouve aussi les souvenirs d’enfance, ceux du « fils égaré » : « je ne suis pas un père, je suis resté un fils, une branche sèche », qui a quitté sa Naples natale sans retour, qui tourne dans sa bouche toute la journée les pages de la Bible comme un « noyau d’olive », qui découvre les amours adolescentes avec le premier baiser : « je sais depuis que le baiser est le sommet atteint, la parfaite ligne d’arrivée » et les étreintes qui empêchent de dormir et transforment en « poissons qui ne ferment pas les yeux ».

    L’escalade aussi occupe une place importante dans l’œuvre et la vie de l’auteur-alpiniste : « je pratique l’escalade et je sais qu’un sommet atteint exauce un désir autant qu’il l’épuise »…

    Au fil des pages, cette écriture vibrante secoue le corps comme des percussions. Séisme intérieur provoqué par la beauté de textes à l’amplitude évocatrice maximale, à travers une parole minimale, juste et dense. Pas un mot de trop, mais une parole resserrée, traversée par la sensibilité et par l’émotion d’un homme devenu écrivain, par le traumatisme d’une humiliation scolaire, une accusation de tricherie pour sa première rédaction, alors que pour lui « ce fut un précipice d’écriture » qui lui permit de découvrir alors combien l’écriture peut déranger les corps constitués et participer à un acte de résistance. Depuis lors, l’écriture, comme un cadeau, est sa plus fidèle compagne.

    Une écriture vitale, une écriture de vie et d’espoir inscrite dans le corps et dans la peau : « j’avais besoin de pages à tenir en main comme un verre et de m’y plonger la tête la première jusqu’au terminus ».

    Le plus et le moins est un livre essentiel, d’un auteur essentiel qui, à rebours de la fureur des médiocrates de l’analyse et du commentaire, nous offre, avec humilité et profondeur, une parole authentique.

    Donc, un livre à mettre entre toutes les mains… de celles et ceux qui s’interrogent sur notre monde et sur ce que c’est qu’être humain.



    Martine Konorski
    D.R. Texte Martine Konorski
    pour Terres de femmes







    Erri De Luca, Le plus et le moins,




    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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