Étiquette : 2016


  • Hélène Vidal | [Tout voyageur charrie cet ensoleillement]


    [TOUT VOYAGEUR CHARRIE CET ENSOLEILLEMENT]



    Tout voyageur charrie
    cet ensoleillement
    ce mélange
    de grève
    de lagons
    le cal sur les paumes
    sur la rétine
    la migration
    ce tabac
    sur la voix
    qui transmet les prières





    L’homme seul
    qui traverse les paysages
    souffle la ferveur
    le froid aussi
    muet à nos questions
    il marche
    vers ce qui semble le mystère





    Marcher
    épuiser l’obsession qui dévore




    Hélène Vidal, Olivine, Éditions Alcyone, Collection Surya, 2016, pp. 11-12-13.






    Hélène Vidal, Olivine





    HÈLÈNE VIDAL


    Hélène Vidal
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Alcyone)
    la page de l’éditeur sur Olivine d’Hélène Vidal





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  • Ivor Gurney | Hospital Pictures n° 1 – The Aberdonian


    HOSPITAL PICTURES N°1 – THE ABERDONIAN



    A soldier looked at me with blue-hawk eyes,
    With kindly glances sorrow had made wise
    And till all I’d ever read in books
    Melted to ashes in his burning looks.
    And poets I’d despise and craft of pen
    If, while he told his coloured wander-tales
    Of Glasgow, Ypres, sea mist, spouting whales,
    (Alive past words or power of writing men)
    My heart had not exulted in his brave
    Air of the wild woodland and sea-wave.
    Or if, with each new sentence from his tongue
    My high-triumphing spirit had not sung
    As in some April when the world was young.


    1919, War’s Embers







    PORTRAIT D’HÔPITAL N°1 — L’HOMME D’ABERDEEN



    De ses yeux bleus de faucon, un soldat m’a lancé
    De doux regards assagis par la peine :
    Et tout ce que j’ai lu dans les livres
    S’est consumé dans ses regards ardents.
    J’aurais honni les poètes et leur plume,
    Si, quand il disait ses voyages multicolores
    De Glasgow et d’Ypres, la mer brumeuse, les baleines écumantes
    (Encore plus vivants que ceux des poètes)
    Mon cœur ne s’était pas réjoui à son air
    Brave, venu des forêts sauvages et des vagues,
    Ou si, à chaque parole nouvelle,
    Mon âme triomphante n’avait pas chanté,
    Comme en un avril où la terre était encore jeune.



    Ivor Gurney, Ne retiens que cela (poèmes de guerre) [War’s Embers, London, Sidgwick and Jackson, 1919], Alidades, collection ‘bilingues’, 74500 Évian-les-Bains, 2016, pp. 24-25. Poèmes choisis, présentés et traduits de l’anglais par Sarah Montin.






    Ivor Gurney





    IVOR GURNEY


    Ivor Gurney.jpg Portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Alidades)
    une notice bio-bibliographique de Sarah Montin (en français) sur Ivor Gurney (+ deux autres poèmes)
    → (sur litteraturebritanniquedelagrandeguerre.fr)
    une page sur Ivor Gurney [PDF]





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  • Marie-Ange Sebasti | [On voudrait partager sans parole]




    Cailloux bordure
    Ph., G.AdC







    [ON VOUDRAIT PARTAGER SANS PAROLE]




    On voudrait partager sans parole

    quelques cailloux
    quelques talus

    un rêve à l’endroit
    un rêve à l’envers

    la lumière vorace
    la lumière déçue





    Plus tard, bien plus tard
    nous conviendrons de descendre
    dans les mines d’or, de rubis
    de lapis lazuli

    nous rendrons la terre moins désinvolte
    plus précieuse





    De l’autre côté du fleuve

    il abandonne aux rives
    ses bagages de mots

    Comment y accéder
    Avant l’inondation ?





    On l’a perdu de vue

    On cherchera l’empreinte
    de sa silhouette

    on épiera
    le froissement de son passage





    Il s’est encore posté
    au bord de l’univers

    Par où passer pour le rejoindre ?

    Je ne peux trouver trace
    de ses sentiers

    sur ma carte routière





    Mais voudrait-il qu’on le rejoigne ?
    Sa solitude est intouchable




    Marie-Ange Sebasti, La Connivence du marchand de couleurs, Jacques André Éditeur, Collection Poésie XXI n° 36, 2016, pp. 46-47-48-49-50-51.






    Marie-Ange Sebasti, La Connivence du marchand de couleurs, Éditions Jacques André, Collection Poésie XXI n° 36, 2016.







    MARIE-ANGE SEBASTI


    Sebasti
    Image, G.AdC




    ■ Marie-Ange Sebasti
    sur Terres de femmes

    une fiche bio-bibliographique [BIO-BIBLIO] sur Marie-Ange Sebasti
    → une petite anthologie poétique de
    Marie-Ange Sebasti
    Rue natale (extrait de La Caravane de l’orage)
    Cette parcelle inépuisable (note de lecture d’AP)
    Demain (extrait de Marges arides)
    → « 
    Notre héritage n’est pas forteresse »
    Parlemente (extrait de La Porte des lagunes)
    Plage d’encre (extrait de Haute plage)
    Quand les îles pouffent de rire (extrait de Presque une île)
    [Un chemin de silence a gonflé ton chargement de mots] (extrait de Cette parcelle inépuisable)
    Une petite vieille en noir (extrait de Paroles pour une île)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ils étaient partis
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Marie-Ange Sebasti (+ un extrait de Paroles pour une île et de Corse, dans le chalut des jours)
    → (avec Monique Pietri)
    Bastia à fleur d’eau
    → (avec Monique Pietri)
    Villes éphémères (note de lecture d’AP)
    → (avec Monique Pietri)
    Garder infatigablement les yeux ouverts (extrait de Villes éphémères)





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  • Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti (textes choisis)

    « Poésies d’un jour

    choisies par Silvia Guzzi



    DANZERANNO GLI INSETTI, VI
    (extrait)





    Quando nulla ti è dovuto e non sai come
    conosci il cerchio nero che ti assedia chiedi
    quale strano progetto ha preso i tuoi occhi
    per riempirli di colore giallo ocra e rosso


    senti il passo della libella lo sfregare delle antenne
    la resa in volo desiderio del maschio sul filo d’erba
    e l’aria che sposta la curva il segmento che unisce
    trovarsi dal nulla negli occhi del nostro calvo inverno.



    *



    Ascolta padre gli occhi negli occhi del padre
    non puoi sbagliare le parole verranno semplici
    i piedi bianchi e nudi leggeri alla tua bocca
    con petali parola bianchi che usciranno
    dalla tua bocca padre, si poseranno sui miei occhi
    rosso stanco, sporcali di giallo ocra e il verde
    della libella sul filo d’erba si guarda nell’acqua
    gioca nei cerchi scolorano i tuoi occhi.



    *



    Sento il tempo e la testa nel ritmo il tamburo
    i colpi nel muro e il fosso l’ora in cui mi arruolo

    non ho nastrini sulla divisa sia chiaro

    una linea di gambe e braccia senza radici per stare
    avvolti le foglie del calvo inverno cerchiamo

    (sotto la coltre di terra, stesi)



    Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti, Marco Saya Edizioni, Collana Poesiaoggi, N. 32, Milano, 2016, pp. 40-41-42. Prefazione di Mario Fresa.






    Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti









    Quand rien ne t’est dû et tu ne sais comment
    tu connais le cercle noir qui te hante tu demandes
    quel étrange projet a pris tes yeux
    pour les emplir de couleur jaune ocre et rouge


    tu sens le souffle de la libelle le frottement des antennes
    la chute en vol désir du mâle sur le fil d’herbe
    et l’air qui déplace la courbe le segment qui unit
    passer de rien aux yeux de notre hiver chauve



    *



    Écoute père les yeux dans les yeux du père
    tu ne peux ployer les mots viendront simples
    les pieds blancs et nus légers à ta bouche
    avec des pétales       mot       blancs qui sortiront
    de ta bouche père, ils se poseront sur mes yeux
    rouge fatigué, salis-les de jaune ocre et le vert
    de la libelle sur le fil d’herbe se regarde dans l’eau
    joue dans les cercles tes yeux décolorent.



    *



    Je sens le temps et la tête dans le rythme le tambour
    les coups dans le mur et la fosse l’heure où je m’enrôle

    je n’ai pas de ruban sur l’uniforme je l’affirme

    une ligne de jambes et de bras sans racines pour rester
    enveloppés les feuilles de l’hiver chauve nous cherchons

    (sous la chape de terre, étendus)



    Traduit de l’italien par Silvia Guzzi







    SONIA  LAMBERTINI


    PhotoSonia Lambertini@Pier Francesco De Iulio
    Ph. ©Pier Francesco De Iulio




    Née à Terracina (Latium) en décembre 1967, Sonia Lambertini vit à Ferrare. Elle est licenciée en Sciences de l’Éducation. Ses poèmes ont paru à de nombreuses reprises dans des anthologies, revues, blogs et sites littéraires en ligne. Certains poèmes ont été publiés dans la revue La Clessidra (n. 1, 2015) et d’autres textes dans la revue Illustrati (Logos Edizioni), dans la rubrique « Poemata », dans le catalogue d’art Chi non si maschera? ( dir. Associazione Liberi Incisori, Bologne, 2014), et dans le catalogue Menzogna de l’artiste Raffaele Fiorella (Pietre Vive Editore, 2015).



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Sonia Lambertini
    → (sur Traductions.it, le site de Silvia Guzzi) d’autres poèmes de Sonia Lambertini traduits en français par Silvia Guzzi :
    (Sul ramo del ciliegio) (Il maledetto vizio ) (Provvisoria io ) (Certi giorni) (Ho perso il filo che ho nascosto in tasca)
    → (sur Terre à ciel)
    cinq poèmes extraits de Danzeranno gli insetti (traduits par Silvia Guzzi) suivis d’une note de lecture par Giacomo Cerrai
    → (sur Traductions.it)
    « Un hiver chauve », note critique de Giulio Maffii autour de trois poèmes inédits de Sonia Lambertini
    → (sur Poesiaoggi)
    une recension (en italien) de Danzeranno gli insetti par Elio Grasso





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  • Sabine Huynh, Kvar lo

    par Angèle Paoli

    Sabine Huynh, Kvar lo,
    Éditions Æncrages & Co,
    Collection Ecri(peind)re, 2016.
    Encres de Caroline François-Rubino.
    Postface de Philippe Rahmy.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS LE CREUSET DES LANGUES, « TA LANGUE »




    Kvar lo : l’énigme d’un titre tout entière contenue dans deux mots. Sabine Huynh a choisi l’hébreu pour conduire sa traversée poétique de la langue. Depuis la langue originelle niée par la mère jusqu’à la langue-fille nouvellement nouée, la langue chemine, qui fait advenir une nouvelle origine. De la mort symbolique à la naissance, c’est l’histoire d’une vie qui se dit ici dans l’univers babélien de la poète.

    « Déjà plus ». « Kvar lo » en hébreu. Le titre s’appuie sur la double entité de ce qui a été et de ce qui déjà n’est plus. Il creuse en négatif l’idée d’une présence tout aussitôt suivie d’une disparition, et sans doute s’exprime-t-il en filigrane un regret. Quelque chose a eu lieu qui s’est dissous, qui s’est évanoui, laissant place à une désagrégation, à une faille insondable. À une mort. La négation « déjà plus » fait écho à la négation « Ce n’est plus » du poète Paul Celan cité en exergue. L’autre exergue, emprunté à Franz Kafka, permet d’établir un lien entre Kvar lo et Babel. « Nous creusons la fosse de Babel ».

    Une première encre de Caroline François-Rubino traverse la page à la verticale, transition entre la page d’épigraphes et l’amorce du poème. Un trait d’un noir épais qui s’étire et dont l’éclaboussure fait place à une barrière de claies éclatées. À angle droit quelques lignes horizontales esquissées. Je lis cette encre de haut en bas. Comme une marque délibérément pesante qui imprime sa présence en belle page sur le vergé blanc ivoire.

    Au commencement de Kvar lo se vit/se dit une éclipse. Le point de départ est un lieu dont le passé a été occulté. « Aucune mélopée », aucune lallation sous-jacentes. Il ne reste du paysage oral que « fantasmes de foyer/linguistique ». En ce lieu noyé de pluies s’inscrit le meurtre symbolique d’une enfant dont la mère a rejeté l’existence. Ce qu’il reste de lien entre elles ? Ce « « ma » : distance dure/le vide vous relie/comme une cicatrice ».

    Le reste suit, triste configuration d’une vie évanouie. Pas de mère aimante, pas de langue de cœur, pas de mémoire, pas de mots pour dire. Qu’advient-il dès lors pour celle qui, à peine née, est déjà niée ? Que faire du temps révolu ? Ce temps est là, sournoisement enfoui, qui revient avec violence, fait tanguer l’édifice incertain, ébranle la coque d’une nef sans amarre qui part à vau-l’eau. Que faire de soi dans ce mouvement perpétuel de survie illusoire qui étourdit jusqu’au vertige ? Le présent s’interpose pour dire la difficulté à être de ce corps dévasté par le non-amour. Steppe désolée, désert d’une existence livrée à l’indécence nue de l’absence.

    Nombre de poèmes — tous aussi beaux et tous d’une grande richesse expressive — disent l’absence l’abandon le rejet la fragilité le mensonge la blessure la faille. Et l’état de celle qui, enfant, subit l’expérience de la négation est celui d’une « clochette fendue » ; d’une « orpheline », errante absolue, privée de grâce, privée de mots,

    « bouche raide

    sans mots

    close et maudite

    en mal d’amour

    laide, que le sourire a fui. »

    Les assonances en [ɛ] émaillent les vers — raide laide lait tais mère — qui, au-delà de l’impossible sourire, simulent la grimace et disent l’insondable déplaisir.

    Pourtant, sur les ruines de l’enfance confisquée, il faut construire, il faut se construire toute. Sur deux mots : « Kvar lo ». Les deux pierres maîtresses sur lesquelles poser les fondations prennent appui sur la langue hébraïque. « Kvar lo ». « Déjà plus ».

    Celle qui prend la parole à travers le « tu » — je nié présent dans le mot « rage » — cherche sa voix dans les langues autres que sa langue d’origine — « Tu apprends le chinois / pour expulser la langue-mère » — ; elle cherche ses mots coloration forme sens sons dans d’autres langues que la sienne, cherche une langue d’accueil où aller, où prendre corps et où grandir ; sa quête ne réside nullement dans l’assimilation d’un maillage de mots creux qui emplirait le vide béant laissé par l’absence de la mère, langue maternelle morte inane muette. La poète en appelle à une langue où naître à soi-même, et en laquelle demeurer. La mémoire offensée cherche à comprendre, qui revient sur un temps qui échappe et dont il ne reste que ruines anathèmes furies guerres dévastations. Et langue anéantie, vouée à un silence éternel :

    « langue introuvable

    tu(e)

    te tais »

    Mâchoire « lézardée », l’enfance mutilée a engendré la mutité. Langue avalée, langue figée, dans l’incapacité de mettre en branle les rouages du langage, de faire s’agglutiner entre eux sons et mots. La voix se brise avant même que puisse naître la parole. Dès lors, la poète cherche secours dans le kaléidoscope et la multiplicité étonnante des langues, elle se barde se ceinture sans toutefois trouver de langue qui réponde à son attente existentielle. Condamnée à l’errance entre aphonie et polyphonie, telle est l’existence de la poète.

    Est-ce cela vivre, cette recherche qui pousse à tâtonner en aveugle à travers langues murs érigés tout autour qu’il faut repousser pour pouvoir accéder à l’air libre ? N’est-ce pas plutôt tenter de survivre à sa « propre Shoah » ? Dans cette quête infiniment douloureuse seule secourt vraiment, telle une bouée, l’élection de langues d’adoption, ces « sœurs de deuil infini ». Ainsi, tandis que la langue-mère du désamour se vit comme une « greffe ratée », émergent dans leurs torsions les langues apprises, déclinaison de « langues tourmentées », chacune dotée de sa spécificité propre, de ses exigences ou de ses capacités de don :

    « La française, te plier

    à sa cadence pour survivre

    — peser en perdant pied

    mentir en jurant

    promettre sans savoir —

    l’anglaise, s’échapper

    sans surveillance, chanter

    avec l’espagnole, jouer

    avec l’italienne, oser

    séduire en suédois… »

    Entre mémoire disloquée — « alephs amnésiques » —, langage désarticulé, pesanteur du vide et langue-muscle qui tâtonne sur l’avant-dire qui précède le dit, ce « presque dire » qui ne peut qu’imparfaitement dire et seulement dans la déchirure de l’écartèlement, surviennent les poèmes où se lisent en toile de fond le spectacle de la guerre et ses talus « hagards ». C’est sur ce décor morcelé d’enfer que s’enracine la poésie de Sabine Huynh, dans toute la richesse de sa palette babélienne, dans la multiplicité des notations et des images qui caractérisent les poèmes de Kvar lo. Tandis qu’en page de droite (en belle page comme on dit), la page réservée aux encres de Caroline François-Rubino, une masse de noir impose sa forme, boule ou nuage, crantée sur ses bords d’éclats, puis fuse, tronc vertical, vers le bas de page.

    Un après est-il possible au creux de la déchirure qui nourrit en son sein maléfique l’impossible conciliabule du babil ? « Langue barbelée », vie mutilée. Une langue pourtant émerge parmi toutes celles que la poète fréquente de longue date. L’hébreu, langue d’accueil pour dire le manque la perte la dispersion, essaime ses vocables. Des mots inconnus se glissent, qui irriguent le poème de leur souffle mystérieux, de leurs consonances nouvelles : « milmoulime » « gvanime » « ga-agouïne ». Et bien sûr cet « horaille » éraillé pour désigner « mes parents ». L’émergence de ces vocables chargés de sens fait de l’hébreu la langue de proximité qui invite à poser pied à prendre appui à donner vie. C’est aussi la langue hybride de l’enfant, la fille de la poète ; celle qui a fait d’elle une mère. À travers cette langue-fille, la mère peut à son tour advenir. L’enfant offre à sa mère sa parole originelle. Langue des jeux des promesses « des sfataïmes de fable », de la tendresse. Langue colorée et ludique, vive foisonnante imprévisible, de la douceur et de la joie. Une vie advient alors qui se noue autour des mots de l’enfant, arbre de vie.

    « Ta fille est

    la parole

    originelle

    doucement

    tu en viens

    en lui parlant. »

    « Ta langue », écrit Sabine Huynh à la fin du recueil. De ces lointains intérieurs qui, dans le creuset, ont laissé fermenter les mots advient une renaissance féconde. Avec elle s’élabore une poésie très personnelle qui touche au plus profond de l’indicible et de l’inouï. Kvar lo, une très belle langue de poète.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angelepaoli







    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel

    par Emmanuel Merle

    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel ,
    éditions  Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen »,
    volume 228, 2016.



    Lecture d’Emmanuel Merle


    « TU ES LANGUE EN CE PAYSAGE »




    Au commencement, la nuit et le silence.

    Et l’autre soi-même qu’on ne saurait comprendre clairement.

    Au commencement de l’existence, l’absence de repères : la nuit en plein jour, la nuit à l’intérieur de soi. On dirait que les visions qu’on s’autorise sont à l’extérieur, derrière une vitre-écran, inaccessibles, et tout autant en soi, dans l’esprit et dans le corps, internes et comme vivant leur propre vie :

    « Tes yeux sont les tessons d’une fenêtre d’hiver

    que le givre recouvre tu grattes pour y voir au dehors la glace

    fondue »

    Où est l’emplacement de la vie, se demande celle qui

    « (sait) dormir alors

    qu’on ne sait plus déjà

    qu’un rêve a englouti le jour. »

    La folie rôde dans le même espace mental que l’espérance. Enfermée en soi, enfermée dans le monde incompréhensible encore, la « narratrice », naissant peut-être, mais déjà dépositaire d’une mémoire de l’humain, se heurte à l’immédiate présence du réel lorsqu’il est encore indifférencié, encore Un. Et pourtant la blessure est là, de toute éternité, semble-t-il, la blessure qu’il faut ravauder d’une manière ou d’une autre : se faire arbre et « comme l’arbre [n’avoir] qu’une parole de feuille » ou « à sa bouche [avoir] peut-être la lune », ou bien « penser enfin OISEAU ».

    Car il y a une blessure déjà, et une menace encore. Quelque chose peut surgir à chaque instant, dans la ville, sur le chemin, « un monstre s’est tapi dans la chrysalide », qui est déjà venu, qui peut venir encore. Le Minotaure, la « tête de cerf », s’agite à la lisière du regard et

    « il ne restera du jeu d’hier

    rien, sauf

    quelques osselets

    l’ivoire dur du ciel »

    La voix est rauque qui crisse dans les vers, comme d’avoir trop crié.

    Comment vivre pleinement avec le manque initial ? Qu’est-ce qui va « rempli[r] les marges », alors même que « les pages sont vides » ? L’ensemble du recueil est une interrogation sur le pouvoir du langage, une tension permanente entre l’impossibilité de la parole et le pouvoir incroyable des mots. Ça commence par la mise à distance de soi, par l’apostrophe récurrente à la « petite fille », qui à la fois appelle celle qu’on n’est plus, qu’on regrette de ne plus être, qu’on redoute d’être à nouveau, et à la fois confirme qu’une part de soi est restée cette enfant. Et même que c’est certainement cette part qui autorise l’écriture de l’adulte :

    « Petite fille

    quand les feuilles se seront détachées

    absorbées par la terre

    les arbres dormiront nus debout

    (c’est ce qu’elle dit

    mais ce n’est déjà plus sa bouche qui parle) »







    Holdban Guidu
    Ph., G.AdC






    Les mots peuvent-ils dire l’immédiat de la sensation, l’évidence d’un regard, le souvenir palpable d’un être ? Vieille question, vieille tension. « Plutôt qu’un poème, c’est toi que je veux écrire ». Faut-il s’abreuver de mots, remplir des pages de cahiers avec des listes qui diraient tout, ou tenteraient de le faire, juste pour le foule rassurante des choses, juste pour la sonorité des mots rares, des mots que la science naturelle pose sur les êtres simples des fleurs et des arbres ? Cette profusion soudaine est-elle suffisante ? Les mots peuvent-ils être des « mains jetées au ciel », des « flèches » pour percer le mystère de la présence au monde, dont on sent bien qu’elle est la seule voie de guérison et la seule adhésion ?

    Ne faut-il pas se heurter au silence, l’accepter, lui qui « sourd des origines », et, par la plénitude qu’il installe dans la nature, accéder à un autre degré du langage, à la poésie, puisqu’aussi bien c’est de ce silence que « survient la parole » ?

    « À la fin l’horizon entaille claire

    sera la pointe d’un mot

    qui sans cesse recule »

    Le langage se dérobe toujours lorsqu’il veut se faire parole, et c’est uniquement dans une tentative réitérée sans cesse que se trouve la poésie. C’est au niveau de la gorge que sont liés définitivement corps et esprit, c’est à cet endroit comme un nœud que se rejoignent inextricablement le désir d’absolu et le constat de notre finitude :

    « Si je mâche mes mots, longtemps, infiniment

    c’est pour qu’ils soient de l’eau

    c’est pour qu’ils soient liquides, qu’ils soient rendus au bleu

    c’est pour que tu y plonges

    et pour que tu m’y retrouves »

    Mais au lieu de rester dans la tentation (pourtant présente) de la dissolution dans le grand Tout, de la disparition de soi, qui serait une forme d’acceptation de la solitude et de rejet du sens, au lieu d’un éparpillement mystique de soi dont on sent bien qu’il est presque souhaité, la personne qui écrit là ne peut pas nier sa simple humanité, ce qui en constitue la part la plus haute, et finalement la plus nécessaire pour qui veut savoir ce qui se passe « après » : d’où viennent ces « poèmes d’après », d’où naissent-ils ? Et où vont-ils ? La seule réponse possible, foncièrement humaine, c’est qu’ils sont adressés à l’autre, et que d’une certaine manière ils viennent de lui.

    Cécile A. Holdban ne convoque pas d’autres poètes pour s’en revendiquer : elle les nomme et elle cite leurs paroles, elle les remercie de bien vouloir lui faire une place parmi eux, à hauteur d’humanité. Sandor Weöres, Kathleen Raine, Janet Frame, Sylvia Plath, Pierre-Albert Jourdan sont d’abord ces humains qui ont dit la difficulté d’être et la gloire de vivre. Ce sont donc bien ces voix multiples qui empêchent la dissolution de soi, qui font que, penchés au bord du vide, nous pouvons nous retourner vers ceux qui, comme nous, cherchent un sens. Et nul doute que La Route de sel (deuxième partie du recueil), loin d’une vallée de larmes, soit cette voie/voix possible pour donner aux autres les paroles qui « murmure[nt]/ et [qui] porte[nt] sur une branche sacrée / la feuille qui [nous] guérira ».

    « Révélés,

    les domaines silencieux

    survolés en silence

    les tilleuls et les herbes.

    Les doigts dans la terre

    l’enfant jardine

    ressuscitant l’aïeul

    au dévers de ses mains »

    Un dernier secret : c’est une poésie entièrement tournée vers la vie. « Tourbillon est roi », écrivait Aristophane, et c’est le déplacement, le pas suivant l’autre, l’élévation rapide, le déplacement du vent que les mots de Cécile A. Holdban répercutent comme les échos d’un mouvement ininterrompu, à l’image de la vie qui va :

    « la grâce d’un geste pèse autant sur la terre que la grâce des âmes ».

    « Par la grâce du geste, elle dévêt la pesanteur. »

    Et enfin, parce que la vie est brève, et parce que nous ne devenons jamais ce que nous sommes, mais que, simplement, nous sommes ce que nous devenons :

    « Jour vif, où le corps ne pèse que le poids du mouvement. »



    Emmanuel Merle
    D.R. Texte Emmanuel Merle (avril 2016)
    pour Terres de femmes







    Cecile A Holdban






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecileaholdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    Toucher terre (lecture d’AP)
    Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le sel) Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → (sur le site des éditions Arfuyen) la page de l’éditeur sur Poèmes d’après suivi de La Route de sel, de Cécile A. Holdban
    → (sur le site des éditions Arfuyen) une fiche bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban



    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes

    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]





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  • Jeanine Baude & David Hébert, Ouessant

    par Angèle Paoli

    Jeanine Baude & David Hébert, Ouessant,
    Éditions des Vanneaux,
    Collection Carnets nomades, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Phare de Kéréon
    Source






    « DANS LE PERPÉTUEL MOUVEMENT D’UNE EXISTENCE ET D’UNE ÉCRITURE »



    Enez Euza. L’île lointaine. L’île extrême. Phares et vents, courants marins puissants tempêtes et naufrages, écueils et légendes. L’île « la plus élevée » de la mer d’Iroise charrie avec son nom — Ouessant — des houles insoumises des navires échoués des épaves des batailles engagées contre les éléments déchaînés. Mémoire d’Ouessant. Mémoire lointaine. Toujours vive.

    Ouessant, « l’île baguée de ses cinq phares », est l’île que Jeanine Baude a élue parmi toutes. La posséder est impensable. Être possédé par elle s’inscrit dans le possible. « […] Possède-t-on jamais une terre aimée ? Elle nous emporte et nous prend dans sa magie, sa plénitude, son isolement qui la rendent si singulière. Elle nous façonne de ses doigts de fée. »

    Jeanine Baude consacre à l’île aimée un petit livre. Ouessant. Qu’elle dédie aux Ouessantins et aux gardiens de phares. Édité en 2016 aux Éditions des Vanneaux, accompagné des dessins-esquisses de David Hébert, Ouessant rejoint la collection des Carnets nomades. Ce petit opus, elle le livre tout entier (ou presque) à l’écriture lyrique d’une passionnée. La poète a beau vouloir tenir à distance cette forme d’expression — « Basta du lyrisme », écrit-elle —, sa nature profonde la déborde, qui fait de son écriture ouessantine un hommage vibrant et magnifique. Tout de tensions de volutes d’enroulements de jets d’écume de parfums de rocaille de houle de marches insatiables de lumière océane et de bleu arrimé aux cinq phares et/ou sémaphores qui ceinturent l’île. Le Créac’h, le Stiff, Kéréon, la Jument, Nividic. Et, à vrai dire, l’insulaire que je suis s’interroge. Pourquoi vouloir gommer atténuer nuancer toujours ce qui nous porte vers, qui nous dépasse, qui nous pousse au-delà de ce qui submerge ? Pourquoi ne pas vouloir vouloir prendre en compte « ce qui parle à notre place. Ce que nous ne pouvons éviter. Ce que nous cherchons dans un faisceau de réalités, la luminescence de cette roche qui non pas écrase mais traverse le regard jusqu’aux tréfonds, dans le silence du corps, celui des chairs, des vaisseaux. » ? Et la poète de poursuivre par cette interrogation d’un lyrisme existentiel à la fois juste et nécessaire : « Comment poursuivre, sinon par nos pas incertains, notre faiblesse à tenir debout face aux vents contraires ? Dans la raréfaction des présages, en allumant la torche des yeux, irradiant les nerfs pour comprendre, ajuster la limaille de nos os à cette marche du présent. »

    Jeanine Baude a élu Ouessant par passion. Pour y vivre au plus près au plus profond au plus intime son attachement viscéral à elle. Elle est l’Uxisama de Pythéas. Ce grand navigateur phocéen qui, en son temps, hanta les mers du Nord. D’origine marseillaise, la poète s’y rend, comme tant d’autres amoureux des solitudes, pour larguer les amarres « au propre et au figuré ». Pour renaître. Et pour renaître, il faut se défaire. Laisser derrière soi ses us et coutumes, les pensées ordinaires, les gestes coutumiers, ses attachements et conforts. Il faut s’engager. Quitter la terre ferme, larguer « le roulis de la ville, sa torpeur, sa cadence inhumaine ». Et de là, une fois embarqué, s’en remettre à l’appel du large, celui-là même qui rince à grande eau et recentre les identités malmenées par la frénésie de ces temps. Ici, sur le navire qui vient de quitter Le Conquet et se prépare à affronter le courant du Fromveur, l’esprit porté par le roulis rôde autour des naufrages d’antan. En longeant Molène, impossible de ne pas avoir en mémoire la catastrophe du Drummond Castle survenue en juin 1896. La poète retrace la tragique histoire des passagers dont les corps flottèrent des jours durant autour de Molène :

    « Le Fromveur fut jonché de corps à la dérive, flottant au milieu d’un amoncellement de débris : objets précieux, vaisselles, vêtements, planches et matériaux divers auxquels, peut-être, s’accrocher. Les pêcheurs molènais furent les premiers à découvrir le drame », dont rendit compte « le célèbre hebdomadaire français L’Illustration. »

    Il faut attendre de retrouver la terre ferme, pour que vienne le temps du poème. Il apparaît dès que la poète reprend pied dans sa maison du Prat et que se met en place la fusion du dedans et du dehors ; que s’ajuste la partition de leur chant jumeau. À ancrer ses pas dans le sol mouvant d’Ouessant, la passante renoue avec la sfuggita qui habite ses entrailles. Curieusement, la sfuggita retrouve intactes les effluves d’Italie. Venise inscrite au creux des muscles et de l’esprit refait surface, qui requiert la poète « par sa luxuriante beauté mais aussi par ce passage de la vie à la mort qui se frotte aux pierres des soubassements rongées par le sel ». Surgissent aussi les souvenirs de pages vénitiennes — celles de « l’ami Jean Clausel » — évoquant « l’enterrement d’Igor Stravinsky », la tombe de Diaghilev, le cimetière San Michele… le Requiem de Scarlatti… L’écriture se fait ainsi l’écho d’un vécu plus ancien. Les réminiscences de lectures se joignent aux souvenirs personnels de voyages et de rencontres, façonnant avec l’histoire de l’île ce curieux « carnet de voyage » qui « se déplie, s’ouvre et se ferme en suivant les vents forts de noroît ou de suet, la marée, son flux et son reflux ». Accord parfait du poïein avec la mouvance du paysage. « Dans le perpétuel mouvement d’une existence et d’une écriture. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Baude-ouessant 2




    JEANINE BAUDE


    Jeanine Baude
    Source



    ■ Jeanine Baude
    sur Terres de femmes

    Aveux simples & Soudain (lecture de Michel Ménaché)
    C’est affaire de corps
    [Dans la démesure des torrents]
    Oui (lecture d’Angèle Paoli)
    Ô, solitude, l’île (extrait de Oui)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Jeanine Baude





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  • Romain Fustier | [la sensation de flotter sur la lagune]




    [LA SENSATION DE FLOTTER SUR LA LAGUNE]





    la sensation de flotter sur la lagune /
    elle est plus vive par ici
    où tout autour baigne dans l’eau /
    les paysages & moments qu’on partage

    avec les salins / les pinèdes & garrigues
    qui défilent jusqu’à la mer / étendue

    tachetée de chalets que la digue protège

    des marées que tu te figures / équinoxes
    d’antan où les vagues la nuit
    poussaient encore au-delà des rizières /
    renversant le soleil à ras de terre /

    les toits rouge feu / les maisons brûlées
    par le dernier été dont les murs

    ondoient sous la mer dans tes yeux



    Romain Fustier, Bois de peu de poids, été-automne, partie 1, éditions LansKine, 2016, page 31.






    Romain Fustier,Bois de peu de poids,.png 2





    Romain Fustier
    Source



    ■ Romain Fustier
    sur Terres de femmes


    [chambre d’hôte]
    [elle est elle] (extrait de Bois de peu de poids hiver-printemps partie 2)
    [un petit air de printemps] (extrait de Jusqu’à très loin)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Bois de peu de poids été – automne de Romain Fustier
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Romain Fustier
    → (sur le site de la revue & des éditions Contre-allées)
    une notice bio-bibliographique sur Romain Fustier
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Romain Fustier



    ■ Voir encore ▼

    → (sur le site de la revue Sarrazine)
    le sommaire du n° 15





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  • Cécile A. Holdban | [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent]




    [IL N’EST PAS D’AUTRE LIEU QUE CELUI DE L’ABSENT]




    Il n’est pas d’autre lieu
    que celui de l’absent

    d’autre mot que celui d’une épine sous l’écorce
    d’autre chair que celle née d’un renoncement
    d’autre temps que celui déserté par les os

    nulle ombre ne connaît son nom
    nulle merveille n’est incorruptible
    ce qu’a formé le ciel, le ciel l’a dissout
    ce qui vient à la source devra gagner la mer

    ni commencement
    ni milieu
    ni fin

    il n’est pas d’autre lieu
    que celui de l’absent.



    Cécile A. Holdban, La Route de sel in Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel, éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen », volume 228, 2016, page 127. Prix international de poésie francophone Yvan-Goll.



    _____________________________________
    NOTE d’AP : en novembre 2016 a paru dans la revue Europe ma recension de cet ouvrage (Revue Europe, novembre-décembre 2016 n° 1051-1052, pp. 345-346).






    Cecile A Holdban






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecileaholdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    Toucher terre (lecture d’AP)
    Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le sel) Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → (sur le site des éditions Arfuyen) la page de l’éditeur sur Poèmes d’après suivi de La Route de sel, de Cécile A. Holdban
    → (sur le site des éditions Arfuyen) une fiche bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban





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  • 15 avril 1945 | Libération du camp de Bergen-Belsen

    (lecture de Je rêve que je vis ? de Ceija Stojka)

    Éphéméride culturelle à rebours





    La notice de cette éphéméride a été conçue à partir de la lecture de Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen de Ceija Stojka, Éditions Isabelle Sauvage, Collection chaos, 2016. Traduit de l’allemand par Sabine Macher. Avant-propos de Karin Berger.







    Ceija Stojka, les Tombes de Bergen-Belsen
    Ceija Stojka, Les Tombes de Bergen-Belsen
    Encre sur papier, 22 x 29,5 cm, 2004
    Source







    Le 15 avril 1945, les tanks britanniques libèrent le camp de Bergen-Belsen. Ce jour-là, alors que la jeune Ceija se balade comme à son ordinaire parmi les morts qui gisent en tas dans la gadoue et forment montagne, un paquet venu d’en haut tombe devant elle. « C’est quelque chose emballé dans du papier blanc. Un blanc comme ça, ça n’existe qu’en porcelaine, qu’en pure porcelaine. Et je vois, à l’intérieur c’est rouge » (op. cit. supra, pp. 56-57), s’exclame la petite Ceija… Elle qui ne se nourrit depuis quatre mois que de boulettes de laine arrachées aux cadavres, de feuilles d’arbres et de terre, n’en croit pas ses yeux. Ce qui vient de tomber devant elle parmi les cadavres auprès desquels elle se terre et se couche pour dormir, c’est un cadeau du ciel et c’est un soldat anglais qui le lui envoie. Pourtant l’enfant prend peur. Elle se met à hurler, réclamant sa maman. « Je suis ton libérateur », lui dit l’Anglais. (op. cit. id., page 58).

    Comment être sûre que ce qu’il dit est vrai ? S’approchant de l’enfant, il lui noue un drapeau déchiré autour de la taille et remplit de victuailles le sac ainsi improvisé. « Et maintenant tu vas voir ta mère et tu lui dis que vous êtes libres ! » (op. cit. ibid., page 59).

    Ce récit est celui de Ceija Stojka, rescapée des camps de la mort. Des quatre mois passés en compagnie de sa mère — et de quelques autres Roms de sa famille — au camp de Bergen-Belsen, la narratrice a gardé une mémoire vive. L’enfant de onze ans qu’elle a été a emmagasiné jusqu’au moindre détail ce qui fut sa vie de prisonnière au milieu des cadavres qui s’amoncelaient autour d’elle et que nul ne se préoccupait d’ensevelir. Elle a gardé intact jusqu’au souvenir des paroles échangées avec les siens. Bien des années plus tard, elle restitue oralement le passé comme s’il était toujours présent, avec la même force, la même vitalité, la même authenticité qu’au temps de son enfance. Et parfois même, avec la même juvénile fantaisie. Elle le fait revivre par ses mots, par la liberté de ton qui est la sienne, grâce à ce talent de conteuse hérité de ses ancêtres tsiganes. En 2004, en effet, Ceija Stojka, « écrivain, peintre et musicienne », fait don de ses souvenirs à Karin Berger qui les a recueillis au cours de plusieurs entretiens. La cinéaste les a couchés tels quels sur le papier. Tout ce matériau, Ceija Stojka le confie à son auditrice, sans rien changer de la perception qu’elle a gardée de ce passé, sans déguisement ni mensonge :

    « Les beaux moments que j’ai vécus, ils sont là, mais ma connaissance va bien plus loin, je vois devant moi le déluge, la misère, je vois courir les enfants et les SS qui les poursuivent. Je vois surtout les veilles femmes qui hurlent. Ça ne m’a jamais lâchée. Jamais. Ça ne s’est jamais arrêté. » (op. cit. ibid., page 109).

    Il arrive pourtant que la parole bute. Que l’expérience vécue dans les différents camps de la mort où la jeune Romni a séjourné, se heurte à l’indicible. À l’incommunicable.

    « La vraie vérité, la peur et la misère, ce qu’ils ont vraiment fait avec nous, je ne peux pas te le raconter. Je ne peux pas te le transmettre. » (op. cit. ibid., page 110).

    Et Ceija d’ajouter cette remarque étonnante, qui revient à plusieurs reprises dans sa bouche :

    « Et pourtant on ne leur en voulait pas. “Que Dieu leur pardonne leurs péchés !” c’est ce que disait toujours la maman. On avait quand même des sentiments pour eux, parce que ce sont des êtres humains créés par Dieu. Mais eux, ils n’avaient aucun sentiment, les êtres humains, ils les brûlaient vifs et les gazaient. Ils n’avaient pas idée de jusqu’où ils s’emportaient. En réalité, ils me font de la peine ! » (op. cit. ibid., page 110).

    Il en est de même des sentiments qui habitent les déportés pendant les trois ou quatre mois d’errance qui suivent leur libération. L’indicible l’emporte, qu’aucun mot ne peut traduire :

    « On allait d’une route départementale à l’autre, avec des chants, avec des rires, avec des pleurs, avec la peur. Plein de sentiments mêlés qu’on ne peut décrire. » (op. cit. ibid., page 85).

    Quant à la Libération, elle reste un moment incompréhensible, proche de l’inconcevable, tant l’horreur est grande, que les libérateurs découvrent ; tant le contraste est grand entre les vivants et ceux qui gisent à leurs pieds, dans la fange immonde des excréments et de la misère extrême.

    « Non, on ne peut pas le raconter. Il faut que tu imagines, la Libération et en même temps, tous ces cadavres éventrés… » (op. cit. ibid., pp. 60-61).

    Le désarroi est tel que la mère a du mal à y croire. Libres ? Quel sens donner à ce mot et à la réalité nouvelle qu’il recouvre ? Comment vivre libres avec ces images de peur qui collent à la peau ? Comment renouer avec la vie avec tous ces morts qui hantent la mémoire ? Autant de questions avec lesquelles il va falloir apprendre à vivre. Mais Ceija ne désespère jamais. Son témoignage en est la preuve.

    Ainsi, tout au long de l’entretien qu’elle mène avec Karin Berger, Ceija Stojka fait-elle revivre par sa parole lucide claire et directe, l’épopée de la Libération de milliers de prisonniers, toutes races et religions confondues ; l’errance de ces convois humains livrés aux routes, à la recherche de nourriture, la vie précaire, les morts qui jalonnent le retour en Autriche ou ailleurs ; les retrouvailles inespérées avec les survivants, frères sœurs parents dispersés dans d’autres camps où la majeure partie d’entre eux a péri ; les bonheurs simples vécus dans le partage. Mais aussi la difficulté à se réinsérer dans la vie normale, lorsqu’on appartient au peuple maléfique des Roms. Vivre désormais avec la suspicion et le mépris des Gagjé (les non-Roms) et le numéro de déporté à jamais incrusté dans la peau :

    « Elles viennent d’où celles-là ? Tu peux laver et frotter autant que tu veux, ça ne sert à rien, tu es une Romni, tu es un Rom, ça te restera toujours et c’est bien aussi comme ça. Mais personne ne te dit : “Dieu soit loué, vous avez survécu ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment c’est possible qu’on vous ait déportés ? C’était quoi la raison ?” » (op. cit. ibid., page 96).

    Longtemps après son retour à la vie normale, Ceija Stojka revient sur les lieux de la tragédie humaine qu’elle a traversée. Elle retrouve l’arbre qui lui a permis de se nourrir et de demeurer en vie.

    « Quand je l’ai revu après cinquante-cinq ans, il était comme une très vieille femme. Probablement j’aurais la même tête quand je m’en irai de cette terre-ci. Toute grise. » (op. cit. supra, page 75).

    Ceija Stojka, âgée de soixante-sept ans, est en effet revenue au camp de Bergen-Belsen en l’an 2000. Cette nuit-là, qui a suivi sa visite à l’arbre nourricier, Ceija a fait un rêve :

    « J’ai rêvé que je parlais avec les morts. Ils étaient tous réjouis : “on t’a attendue si longtemps ! C’est bien que tu sois venue ! Tu étais toujours parmi nous !” Et moi je leur dis : “Vous êtes tous de Bergen-Belsen ?” “Oui, mais nous devons rester ici pour toujours !” Puis d’autres tombes s’ouvraient aussi : “Regarde, nous aussi, on est là”, ils criaient, et : “Nous, tu ne nous connais pas encore ! ” Et tout à coup, les gens sortent avec de la terre et forment le tronc d’un oiseau. » (op. cit. ibid., pp. 75-76).

    La métamorphose se poursuit et Ceija de confier à son auditrice :

    « Toujours, quand je vais à Bergen-Belsen, c’est comme une fête ! Les morts volent dans un bruissement d’ailes. Ils sortent, ils remuent, je les sens, ils chantent, et le ciel est rempli d’oiseaux. C’est seulement leur corps qui gît là. Ils sont sortis de leur corps parce qu’on leur a pris la vie violemment. Et nous, nous sommes les porteurs, nous les portons avec notre vie. » (op. cit. ibid., pp. 76-77).

    Sublime moment de parole que ces mots confiés à Karin Berger pour transmettre l’espoir. Plus forts que la mort.



    Angèle Paoli






    Ceija Stojka, peinture, 2011
    « Elle retrouve l’arbre qui lui a permis de se nourrir
    et de demeurer en vie. »

    Ceija Stojka, Sans titre, 2011
    Source







    Ceija Stojka






    CEIJA STOJKA


    Ceija Stojka 3
    Source



    Née en Styrie le 23 mai 1933, « fille de marchands de chevaux rom, les Lovara-Roma », Ceija Stojka est décédée le 28 janvier 2013 dans un hôpital de Vienne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, toute sa famille fut déportée dans plusieurs camps de concentration, dont celui de Bergen-Belsen. Rescapée avec sa mère et quatre frères et sœurs, Ceija Stojka a publié plusieurs ouvrages. Wir leben im Verborgenen – Erinnerungen einer Rom-Zigeunerin, publié en 1988 (« Nous vivons cachés – Souvenirs d’une Rom-Tsigane »), a attiré l’attention sur le sort des Roms sous le nazisme. En 1992, elle publie Reisende auf dieser Welt (« Voyageuse de ce monde »). Elle reçoit plusieurs distinctions dont le prix Bruno-Kreisky. Publié en 2005 (Picus Verlag, Vienne), Träume ich, dass ich lebe ? Befreit aus Bergen-Belsen / Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen (Éditions Isabelle Sauvage, 2016) est son premier livre traduit en français.




    ■ Ceija Stojka
    sur Terres de femmes

    Avril 1947 | Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen de Ceija Stojka





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