Étiquette : 2016


  • Lionel Jung-Allégret | [Derrière la porte ouverte]




    Derrière la porte
    Ph., G.AdC






    [DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE]




    Derrière la porte ouverte


    il y a le vent qui mugit
    et des bouches affamées
    dans le ventre nu des bêtes.


    Il y a des cris d’oiseaux
    des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
    et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
    à l’horizon


    des torses sans vie
    que traverse la lumière froide.






    Il y a le cri du silence
    qui porte le souffle du temps


    et des corps vivants
    qui brûlent dans une musique immense


    et dans la torche des corps
    d’autres corps
    qui ne verront jamais le jour.






    Derrière la porte ouverte
    il y a une infinité de portes qui battent.


    Il y a la nuit



    et le souffle inquiet des hommes
    comme une falaise qui se lève
    dans un jour sans lumière.



    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016, pp. 38-39-40. Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret





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  • Nimrod, Sur les berges du Chari

    par Angèle Paoli

    Nimrod, Sur les berges du Chari
    district nord de la beauté,

    Éditions Bruno Doucey,
    Collection « L’autre langue », 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DES NOCES POÉTIQUES AVEC LE CHARI



    « Sur les berges du Chari », le ciel occupe tout l’espace. C’est lui qui assure la jonction entre la terre et l’eau. L’eau du ciel et celle du fleuve souvent se confondent pour composer un paysage d’une totale uniformité. Cette trilogie « ciel-fleuve-espace » a façonné en profondeur et à jamais le poète Nimrod. Ici, Sur les berges du Chari, l’espace du poème est espace temporel pour dire cet accord parfait, ce mirage commun partagé pour confier au poète ce qui le fonde :

    « Le grand fleuve sous octobre se raconte ».

    C’est sur ce vers que se clôt Sur les berges du Chari, district nord de la beauté, recueil récemment publié par les éditions Bruno Doucey.

    Si le fleuve est au centre, présent dès le titre de l’ouvrage, le ciel est encadrement. Avec le poème d’ouverture « Au ciel », le poète se place en situation, en prise avec ses propres limites et contradictions. En prise également avec sa propre quête :

    « je cherchais à dire

    la course vers l’avenir

    lorsque le banian s’élève

    à la verticale de l’azur. »

    Dès ce premier poème un paysage s’offre, un monde tout entier contenu en trois mots : « ciel », « cité solaire », « banian ».

    Avec le poème final, Nimrod s’en remet à l’attente :

    « J’attends leur accord de tétrarque ».

    Que s’est-il passé entre ces deux extrêmes ? L’accord qui permet au poète-berger-pêcheur de rejoindre sa trilogie existentielle s’est-il manifesté dans les interstices de la poésie ? Il se peut, même si le poète continue de s’inscrire dans l’attente.

    Sur les berges du Chari, district nord de la beauté regroupe plusieurs sections (5 en tout) où alternent poèmes brefs, parfois proches du haïku, et poèmes de formes plus classiques (odes, sonnets). Quelle que soit la forme que prennent ces poèmes sur la page, tous ont un lien étroit avec le fleuve, dans le fusionnement que le Chari invente et noue avec le ciel. Et avec la terre qu’il baigne de ses eaux patientes :

    « La terre liquide

    m’emporte vers le rivage

    Il me donne à voir

    L’infini dans sa rondeur

    Ce n’est pas la terre c’est la presqu’île

    Tel un mot bien ouvragé… »

    (in « Le Bac », 4)

    Avec les poèmes de la première section se fait le passage du singulier — « ciel » — au pluriel — « ciels ». Composition en trois volets, « Ciels errants » se présente d’abord comme une succession de poèmes brefs, sans titre. En dehors de toute cartographie, autre que celle qui se lirait « à hauteur de ciel » et figerait l’espace dans l’exiguïté de ses limites. Ces poèmes s’inscrivent dans une immensité sans frontière où se lit la jonction ciel-nuages-vent-océan. Dans une seule et même tonalité qui réduit tout « à une ligne ». Rien en effet qui fasse « ride » ou « biffure » ; dans cet univers qui « court vers une inertie parfaite », le poète a ancré ses désirs ainsi que ses rêves de royaume naturel et de possession. Légèreté modestie et humour :

    « J’aurais un royaume tout

    à moi en bois flottés. Une

    rivière de diamants en

    désespoir de cause ».

    Il faut attendre la fin du voyage, la fin du recueil et le poème du « Bac » (2, dans la section éponyme du recueil) pour que se dessine une géographie plus précise et plus étendue :

    « Le Chari confirme la

    géographie du Congo

    apprise hier à l’école

    S’y fait entendre l’écho du Zambèze

    Et le bac maître des liaisons liquides

    flotte sur ses rondins comme pour arrêter

    les lumières du soir et comme pour favoriser l’aube… »

    Dans l’intervalle se décline toute la poésie que drainent les eaux du Chari. Enfances, parents, guerres, exil/exode. Avec les cinq poèmes du « Grand troupeau » (in « Ciels errants ») surviennent les vents et les orages, et cette fraîcheur promesse de l’eau à laquelle aspire le poète. Car le poète ne craint rien tant que la force annihilante du soleil. Il fuit la fournaise, appréhende la « surchauffe » et « l’aridité ». « Je n’aime pas la poussière, j’en viens/Recommandez-moi à l’azur », confie-t-il dans « Envol » (in « Les superbes »). L’été est sa saison honnie. Pourtant, au cœur de ces jours de feu, se tient la mère, figure tutélaire de la verticalité. Elle est « stèle », sobre fidèle solide. Silencieuse et solitaire. D’une grande dignité. Semblable au banian qui « s’élève à la verticale de l’azur ». Celle qui veille dans l’attente et que peuplent les « orphelines pensées » du poète est-elle la même que « la mère solitude » ? Cela est probable car les deux figures se ressemblent. Le poète, qui rend un hommage émouvant à sa mère, lui confie son amour filial indestructible et intemporel. Un amour qui le lie au passé et continue de vivre au présent :

    « J’ai aimé ma mère j’ai embrassé son destin

    Comme un fils comme un mendiant […] Je l’aime

    Comme un exilé saisi par la douleur d’espérer. »

    Plus lyriques plus exaltés plus élégiaques aussi, les poèmes de « Ciels errants » sont d’une facture toute différente de ceux qui précèdent. Une ode en six sizains, dédiée à une femme (à Denise Moran, i.m.) — est-ce la mère ? —, ouvre cette section où se lisent en filigrane (et par hypallage) les errances du poète.

    « J’expose mon cœur à un champ orphelin » écrit-il ; ou encore « Je chante pour alléger ma petite existence » ; et plus loin : « Je pleure ma mère abandonnée ». L’histoire familiale et les chagrins qui l’ont façonnée sont évoqués ici avec grande pudeur. Mais ils affleurent à travers le blues qui s’exprime et rejoint le bleu du ciel, sa couleur « d’eau infinie ».

    Le poète revisite le passé de l’enfance. Il évoque son goût de la liberté et de l’errance. Il fait renaître en lui, dans les distiques d’un long poème (III), les images qu’il cultivait de lui-même :

    « Jadis je courais dans ces plaines

    Tel un mage arpentant un pays mystérieux »…

    « Ainsi allais-je en ces périphéries de ma ville natale

    Juste au-dessus de Dembé pour m’emplir d’espace… »

    Devenu voyageur de l’immobile, globe-trotter d’un espace infini ramené aux proportions familiales de la « maison maternelle », sa pensée s’évade, envol vers des temps révolus des lieux où l’image du père pasteur vient peut-être se greffer en surimpression du chant. Ainsi de ce passage anaphorique construit sur la répétition, en début de vers, de l’affirmation : « J’aimais ».

    « J’aimais le rêve sur la colline

    J’aimais la voix qui proclamait :

    “ Voici trois tentes : une pour Élie

    Une pour Moïse, une pour toi ˮ».

    Le poète consacre aux « superbes » une galerie de portraits. Annoncés dans le chant précédent

    Les superbes

    Les superbes

    Les suuuupeeeerbes — (pasteurs bergers griots ? incarnations de la figure paternelle ?), « [l]es superbes » occupent la seconde section du recueil. Parmi eux « [l]e suffisant », « le contrôleur SNCF », les paysannes, « [l]’éléphant » en qui le poète éprouve « [l]’écho d’une parole commune » ; et lui-même, « le pauvre de ce canton », dans le poème intitulé « Ma véranda » :

    « J’écris un poème

    Sur l’or qui court

    Dans l’herbe jusqu’au

    Pied du grand tilleul. »

    Ces portraits culminent avec le magnifique poème « Les Éthiopiennes  », somptueux éloge des « Filles de la reine de Saba », où se dit le rêve d’une alliance retrouvée. Alliance qui passe aussi par la réconciliation du poète avec lui-même. Dans la ville de Jérusalem qu’il arpente, contemplant « le dôme de la mosquée d’al-Aqsa », il écrit :

    « Je contemple la face orientale de mon âme ».

    Face aux pierres fondatrices des trois religions, face à tout ce calcaire dans lequel se grave son bonheur, le poète exulte, empli de reconnaissance envers ses « chères Éthiopiennes ». Son chant monte vertical et puissant dans le calcaire de la Ville sainte pour résonner sur la blancheur de la page comme un chant de pure essence biblique :

    « Couleur poivre, beauté noire sur le sol biblique, je porterai tout à l’heure au Mur des Lamentations mes vœux pour vous,

    J’exprimerai dans le silence de mon cœur, entouré des rabbins, des hassidim, des pieux de toutes conditions,

    Votre prière

    […]

    Baisez-moi, Éthiopiennes, baisez-moi au pied du mur ! Que je m’en aille avec ce goût de pain d’épices

    Sur la langue, sur le cerveau, sur le cœur sur le visage, comme l’alliance scellée jadis par Moïse. »

    Un amour puissant et fiévreux habite le regard que Nimrod porte sur le monde qui l’entoure.

    « La face orientale » de l’âme du poète — son attirance pour « une sultane beauté », son goût pour les « soieries orientales » — vibre dans la section « Tam-Tam », « tam-tam au cœur ». Avec « Tam-Tam », le poète explore une mise en espace qui associe les disjonctions. Il joue avec la page, la typographie, l’agencement des mots, allant jusqu’à composer des formes de calligrammes. Ainsi du poème « New York », vertige gratte-ciel qui épouse la silhouette d’une grue sur le ciel de Manhattan. La langue éclatée scande le rythme syncopé du tam-tam. Les poèmes brefs et saccadés sont construits sur les répétitions et sur les glissements d’un mot à son homologue proche (« pendue » / « pentues » ; « danse » / « transe ». Ainsi le poète voyage-t-il dans ses souvenirs à la recherche d’un syncrétisme qui lui permette de combiner sereinement une incessante combinaison de l’Occident et de l’Orient avec l’Afrique. Mais la réalité historique est plus complexe qu’il n’y paraît. Et si Occident et Orient combinent leurs présences, elles le font aussi à travers heurts et conflits qui les opposent l’un à l’autre. Ainsi en est-il dans les poèmes de « [l]’enragement ». Le poème « Ils frappent ils tuent » a été écrit en « hommage aux étudiants Tchadiens réprimés les 8 et 9 mars 2015 à N’Djaména. » Dans « La honte noire », le poète évoque les causes perdues souvent construites sur des mensonges :

    « C’est toujours sur la Seine, et c’est toujours sur les bords de l’eau qu’on prostitue les grandes causes. » Le poète dénonce les luttes et les guerres qui avilissent et qui tuent. Il n’est pas tendre envers la France qui ne joue pas le beau rôle dans ces massacres :

    « Oublions cette honte qui teinte Paris de la cendre de nos restes. C’est la misère française. »

    Pour renouer avec les eaux du fleuve, et avec tout ce qu’elles drainent de mémoire, il faut (Pour commencer) s’en retourner vers « [l]e Bac ». C’est sur ce très bel ensemble de poèmes que s’achève le recueil. Une fois franchis les quatre premiers poèmes, le lecteur est confronté à une alternance de petits paragraphes en prose poétique (page de gauche) et de poèmes en drapeau regroupés en tercets (page de droite). On y retrouve la lumière le soleil l’espace le manguier le saule les bois flottés, « la terre qui renoue avec l’eau, le ciel, la verdure telle une phrase-Dieu ». Tout le mystère de la poésie de Nimrod, ses énigmes visuelles et auditives, ce fusionnement intense — ciel et eau — dont le mage-poète a le secret.

    « L’épervier jette sa moisson d’étoiles à pleines mains. Les poissons y accrochent leurs écailles. »

    Rien de plus beau ni de plus précieux que ce moment poétique où le poète scelle ses noces avec l’univers qu’il recrée à la volée. À la manière dont son père jetait jadis ses filets dans les eaux du Chari.

    « J’aimerais me couler en moi-même. Je me déborderais à droite, je me déborderais à gauche puis à la surface des eaux, ses éclats d’horizon ses écailles de prince des poissons. Voilà je préside à leur envolée, je préside au ciel qui sied à leur baignade. »

    Chaque fois que le poète retrouve le fleuve, c’est la figure du père, grand pêcheur devant l’Éternel, qui revient en lui.

    Et ces poèmes haïkus — une constellation de vers — pour dire dans la concision le mélange de bonheur et de souffrance.

    « Une graine

    invente

    le sol

    Arbre

    j’attends l’enfant

    aux yeux de rosée

    un grain de lumière

    détaxe

    la ténèbre »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod, Chari 2





    NIMROD


    Nimrod 2






    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Sur les berges du Chari, district nord de la beauté
    → (sur le site de la revue Secousse, 10)
    d’autres extraits de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté [PDF]
    → (sur e-littérature.net)
    une fiche bio-bibliographique et de nombreux articles d’Alice Granger sur les ouvrages de Nimrod
    → (sur Recours au poème)
    une page sur Nimrod (+ plusieurs poèmes)
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Sabine Huynh | [Au fond de ta gorge]




    [AU FOND DE TA GORGE]



    Au fond de ta gorge
    parfois des murs
    se veulent horizon
    avant le voyage
    car les hommes frappés
    d’amnésie croient
    pouvoir dompter les vents

    Ce qui s’éloigne défile
    traversé comme une lance
    éperonne les certitudes
    comme un corps chute
    dans un silence mat

    silence de fuite absolue



    Sur les routes
    ce qui faisait sens n’est plus
    (ce que tu as appris)
    que la pluie qui bat
    et s’évapore
    sur tes paupières

    Aux bifurcations, pendue
    au coin des lèvres, l’hésitation
    fait perler le sang
    ta langue fourche
    et bégaye tes pas



    Se réveiller quand même
    avec la vision sonore
    d’une demeure sans
    chagrin, sans tache
    indélébile, une demeure
    qui aurait à peine vécu
    où on aurait à peine su
    babiller

    se réveiller



    Sabine Huynh, Kvar lo, Æncrages and Co, Collection Ecri (peind)re, 2016, s.f. Encres de Caroline François-Rubino. Postface de Philippe Rahmy.







    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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  • Federico García Lorca | Croix




    CROIX



    Nord

    Les étoiles froides
    sur les chemins. Il y a
    celui qui va et celui qui vient
    par des forêts de fumée.
    Le bétail soupire
    sous l’aurore perpétuelle.
    Au coup
    de la hache
    vallées et forêts ont
    un frisson de citerne !
    Au coup
    de la hache !



    Sud

    Sud,

    mirage,

    reflet.

    C’est égal de dire

    étoile ou orange,

    canal ou ciel.

    Oh ! la flèche,

    la flèche !

    Le sud

    c’est ça :

    une flèche d’or,

    sans but ! sur le vent !



    Est

    Échelle d’arôme
    qui descend
    au sud
    (par degrés successifs).



    Ouest

    Échelle de lune

    qui monte

    au nord

    (chromatique).



    Federico García Lorca, Suites, 1920-1928, in Polisseur d’étoiles, œuvre poétique complète, traduite de l’espagnol par Danièle Faugeras, éditions érès, Collection PO&PSY in extenso, 2016, pp. 276-277. Encres d’Anne Jaillette. *



    ____________________________
    * ouvrage à paraître le 12 mai 2016.






    Polisseur d'étoiles





    FEDERICO GARCÍA LORCA


    Lorca_par_aguijarro
    Source



    ■ Federico García Lorca
    sur Terres de femmes

    La nonne gitane



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    la page de l’éditeur sur Polisseur d’étoiles





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  • Sabine Huynh, Kvar lo

    par Isabelle Lévesque

    Sabine Huynh, Kvar lo,
    Éditions Æncrages & Co,
    Collection Ecri(peind)re, 2016.
    Encres de Caroline François-Rubino.
    Postface de Philippe Rahmy.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    […] dans ta tête
    des talismans rescapés
    de l’enfance crevassée
    écho de voix abîmées

    S.H.



    Sur ce qui n’est plus, fonder. Trouver les mots qui garderont ravage et destin brisé. Kvar lo : en hébreu, le titre du dernier livre de Sabine Huynh, traductrice de cette langue, poète de ce qu’elle rassemble pour libérer son identité singulière, légèreté d’oiseau colibri, élaborée au fil des livres en une mue douloureuse et féconde. Sabine Huynh précise en fin de livre que ce titre pourrait se traduire par déjà plus.

    Le recul, l’avancée, le trouble des frontières traversées, et tout ce qui tombe dans le fleuve d’oubli. L’épigraphe de Paul Celan commence par « Ce n’est plus » et semble attendre le nom à venir. L’identité et la langue sont en question. Et la deuxième épigraphe, celle de Kafka (« Nous creusons la fosse de Babel ») prolonge cette question vers celle de la diversité des langues. Ainsi sont réunis deux auteurs de langue maternelle allemande.

    Paul Celan qui n’a jamais voulu quitter sa langue maternelle, celle des bourreaux nazis, pour écrire créa à partir d’elle une sorte de « contre-langue » à la syntaxe éclatée, au vocabulaire comportant des néologismes venus parfois de l’hébreu. Il avait acquis la nationalité française, celle du pays où il avait choisi de vivre et dont il parlait couramment la langue. Celan pouvait écrire en français ou en hébreu, mais il a mené son combat contre et dans sa langue maternelle.


    L’auteur de Kvar lo, pour initier ce long poème, utilise donc un mot hébreu, inconnu de beaucoup de ses lecteurs français, qui peut se doter des sens que le livre lui offrira : gage de poème, offrande sémantique fondée sur ce qui a disparu, paradoxe venu occuper le territoire incertain d’une langue perdue.

    Particulièrement frappante en ce début de livre, la multiplicité des prépositions « sur », « en » : quête d’assise, ce sur quoi fonder la langue alors que sont martelées les négations totales qui entérinent un processus de perte. Voilà le poète, sur le seuil d’une langue à inventer :

    « pour tenir droite

    illusion en équilibre

    sur ce rien

    échangé

    entre elle

    et toi »

    Apprendre, entreprendre un mouvement fécond qui, « voyage sans ancre », écartera le temps du désastre pour un « verbe », « à la source/des secousses ».

    Deuxième personne prégnante, « toi / tu » en tête, adresse en dédoublement pour initier l’élan, le suivre sans hésiter — sans regarder derrière, sans regarder la mère, ou sur le bord l’engloutissement, « sur le point de / basculer ». L’espace, blanc, devient matière du vide, autour tout un monde disparaît. Rudes traversées, guerres, massacres :

    « Toujours les guerres ont coupé

    des parents        des langues »

    Ce blanc entre les deux groupes nominaux semble établir une équivalence et le sens propre du nom « langue » double l’acte de mutilation de significations symboliques : langue coupée de sa source (d’émission) ou bien réfutée comme outil pour communiquer et joindre les êtres, au point d’incarner « cette séparation lancinante ». Jusqu’au bégaiement signifiant, le vers peut se clore sur des syllabes répétées — entretuées :

    « langue introuvable

    tu(e)

    te tais »

    Au vertige d’une identité niée, le préfixe invite à se pencher sur la négation de nouveau qu’il faut accepter pour bâtir sur ce « kvar lo ». Pour cela, le terreau des sons répétés : « phonèmes » criés en pur « anathème », la violence à naître est figurée dans la langue de secousses portées par le poème et procède d’une volonté de rassembler un trésor dispersé, pas encore des mots, des sons :

    « Certains jours tout est tel

    que tu n’es rien

    ton cœur se jette

    contre les larmes » 1

    Ces sonorités, protections, bris du silence, bâtiront « des murs à l’odeur de mots », une verticalité rassurante (?), que les encres de Caroline François-Rubino d’encre restituent, des « signaux de fumée ». Entre pierres érigées et lettres qui se dressent, noir, les traits larges tiennent. Pour chaque encre, un sème : le trait tiré, élevé sur la page, grandit, prend corps, avec le poème (stèles liant pierre et texte, parade contre le temps qu’il faut patiemment cerner de peu).

    L’histoire personnelle et celle du pays, la guerre (personnelle et intérieure par extension), peuvent couper de la langue maternelle et donc de la mère. Sabine Huynh a évoqué dans Les Colibris à reculons 2 le Viêt Nam, sa naissance dans une ville qui avait changé de nom après sa naissance (Saïgon devenue Ho-Chi-Minh-Ville), et puis l’exil précipité.

    On sait que le nouveau-né, dans ses vocalisations, prononce les phonèmes de la plupart des langues (babil de Babel), mais qu’à partir du sixième mois son babil retient principalement ceux de sa mère. La poète devenue mère peut observer cette construction linguistique chez sa fille. Mais justement, quelle langue maternelle pour cette enfant dont la mère a refusé sa propre langue « maternelle » et dont le combat ne peut cesser ?

    Le corps est présent dans cette lutte, par la bouche muette encore ou par le cœur lancé « contre les lames » : toute force jetée dans la bataille d’inventer pour « toi l’orpheline », se dit-elle, avec le « mot amour ». Lettres italiques pour ce dernier, seule fondation qui puisse tenir alors que les parenthèses portent (dénombrent) les fragilités nombreuses :

    « (et l’air est vieux)

    (parler est un geste

    une caresse à embrasser) »

    Nombreuses phases, à passer chaque étape (le « babil ») qui mènera vers la langue, la nostalgie pour creuser et retourner « jusqu’à la cassure ». Or la langue jamais ne se dénoue de « salive » et « langage inarticulé », les sons que la voix livre « friables » devront surmonter « le secret / d’une telle désertion ». Entre « tu » et la langue, une confusion : « le temps t’a évidée », une profusion propice à traduire l’effort pour naître à soi, au poème.

    Traverser la mémoire, les manquements d’une mère (langue trouée), « une pensée culbutée gît ». Les chutes sont nombreuses, le terreau retourné révèle de macabres restes engloutis qui ne deviendront rien. Un tri s’impose pour le poète archéologue de sa mémoire et de sa vie. Mère souvent surgie pour accroître l’inanité, mer (mère) qu’il faut traverser comme un champ de bataille constellé de corps mort-nés. « Langue de lait », dents dévorantes de celle qui a manqué d’aimer, le blanc régurgité par celle à qui manque, « tourne blanche / tourne folle ».

    Une voie n’a pas été tracée depuis le passé, une voix s’est éteinte et demeure si peu qu’il faut pour se l’approprier retourner chaque son. Demeurer sans voix : impossible, le cri poussé sera l’augure de la langue enfin conquise, celle de saccade (haute lutte), envers de « vestes carrées », « robes raides » taillées par la mère – à couturer les lèvres, pas un son ne sortait. Alors « couture » et « déchirure », en vis-à-vis, ce « presque dire » 3 ou ce bord terrible et nécessaire où l’on ne s’établit pas.

    On s’y penche, on tremble, on voudrait y proférer sur des « ruines » (mot seul sur un vers tenant tant bien que mal). La scansion, « ce qui reste », anaphorique, murmurée dresse un rempart de trois mots, Kvar lo. L’interdiction initiale, maternelle et sans appel, « tes mots portent / malheur », est bravée par le poème, réponse intangible, foi encore pour demeurer signe, langue de destin brisé que l’on réinvente par « un magnolia en fleurs / un accident de lumière », un miracle :

    « dedans le caché

    déhanche la vie »

    Toujours les phonèmes concaténés qui frétillent et signifient que bat encore un « foyer linguistique ». Syntaxe modifiée d’un verbe intransitif recevant un complément d’objet, à contre-courant de la grammaire, le sens trébuche pour se relever :

    « ta langue fourche

    et bégaye tes pas »

    Le manque, constitutif de ce processus, comme fondement intangible, sème dans la langue l’hébreu « ga-agouïme », écho dissonant de qui s’enfante, à coup de fourche (langue fourchue prenant les sons pour les mots), en soi – ventre nommément et ses « faces aphones ». L’hymne et l’amour pour que soit la langue, invoquée, suscitée. « [M]embre fantôme », la répéter ancre enfin sa disparition. Place à la résurrection, au devenir ! Elle peut s’épanouir en « doigts aimants » car elle est acte. Le déterminant possessif de première personne impossible, « ma », s’inscrit désormais « comme une cicatrice ». Entre les deux, l’union des italiques, l’espace penché de la traversée, « distance dure ».

    « [D]e là », écrit la narratrice poète, de cette valeur temporelle et spatiale de l’adverbe, elle tire cette langue entre « si peu » et « leur sillage s’élargit » car paradoxalement le manque enfante, l’« exilée » puise en elle et ses drames le dit du poème. « [S]oif », puis « faim », synthétisées en « – absolue nécessité » alors qu’enfin des poèmes en forme de stèles gardent en leur surface le grave projet de durer.

    Le poète qui, après le Viêt Nam, a vécu dans plusieurs pays (France, Angleterre, États-Unis, Canada…) et maintenant Israël, garde le temple d’une Babel restituée. Le pluriel des « langues » 4 a dépassé le singulier menacé, le poème enfin révélé apporte cette preuve radicale, essentielle et légère d’une forme de syncrétisme sans foi, « les mots debout », « [d]’aphone à polyphone ». Sur la page, les mots ne se tordent plus, ils « roulent / leur houle autour de ton cœur », ce foyer de résurrection (de résistance). L’encre élève sa stèle dans une correspondance active entre le texte et le dessin non figuratif et parlant, la dernière encre ne conserve du mouvement que l’élévation, l’ascension langagière figurée comme un accomplissement fragile. Elle absorbe la douleur : s’en nourrit pour rejoindre la formulation. « [L]angue-fille / hybride » devenue « ta langue » :

    « poésie haletante

    bringuebalante

    – puisque tu respires »

    La langue du poème est donc un français dans lequel viennent des mots hébreux. Leur traduction est précisée en fin de livre mais ils peuvent se comprendre, ou au moins s’interpréter, dans le contexte et par leur musique. Parfois le terme hébreu est à l’origine du mot français et ces deux langues se rejoignent formant une langue double, « hybride » qui « fourche » :

    « Il n’y a pas

    de miracle, pas

    de conclusion, pourquoi

    ne pas t’unir à cette langue

    to-hou-va-vo-hou, tohu-bohu

    sans forme début ni fin

    flot incessant en toi

    qui te lave, te réveille »

    C’est le « maëlstrom » 5 de la vie, des mots qui voyagent, des langues qui parfois se mélangent et s’accueillent. On pense à l’adage italien : « Traduttore, traditore ». Celle qui pense en plusieurs langues peut-elle rester en une seule, contrainte à se traduire elle-même, au risque de se trahir (« à défaut / tu te trahis ») ?

    « Tu te traduis

    en hébreu – tout en gvanime

    nuances – le labeur

    étoffe ta maigreur

    dépareille tes panime

    ou visages »

    Ainsi le poète crée la langue du poème au vocabulaire mélangé, parfois disloqué, à la syntaxe personnelle qui connaît les brisures et les failles et que le silence habite, loin de la langue maternelle.


    Mais quel est le nom de cette langue qui est celle de sa fille ? Elle semble passer de la fille à la mère, elles la partagent et elle les unit. Reste à inventer le nom de cette contre-langue maternelle :

    « Ta fille est

    la parole

    originelle

    doucement

    tu en viens

    en lui parlant »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ________________________________
    1. C’est nous qui soulignons et utilisons des caractères gras.
    2. Les Colibris à reculons, Éditions Voix d’encre, 2013.
    3. Presque dire est le nom du site internet de Sabine Huynh : https://www.sabinehuynh.com/
    4. Langues apprises : français, anglais, espagnol, italien, suédois, chinois, yiddish, hébreu (« langue de nomade »). Le vietnamien : « égaré mort », « sa langue », celle de la mère.
    5. Mot aux quatre orthographes : maëlstrom, maelstrom, malstrom et maelstroëm (chez Victor Hugo). Mot voyageur venu des Pays-Bas par la Norvège.






    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’AP)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Christine Guinard | De l’autre côté




    DE L’AUTRE CÔTÉ




    Tu ne peux pas y toucher, tu passes par effraction timide, l’assemblage figé mélancolique du miroir se brise en mille morceaux, du voile déchiré, du ciel qui s’évase.



    Tu accèdes à l’autre côté ; la roche à perte de vue, la roche rouge et brune des cratères disséminés sur tout le périmètre de l’île. La terre râpeuse qui dessine graduellement le chemin à travers les buttes, les rochers, au gré du vent. La brise est vive par moments, tout droit issue du levant.
    Suivant les signaux semés sur la sente, à l’aveugle, tu parcours l’air de rien la distance qui te sépare du monde organique, du matériau brut venu de la terre même. Le sol épais te maintient fermement accroché aux origines du paysage, te soutient, et c’est ainsi que tu accèdes progressivement à l’ouverture immédiate, sans détour, de l’horizon aux quatre vents.

    Embarqué par la pureté de l’air, par l’apparence laiteuse, lestée même de l’atmosphère, tu évolues toujours sur le terrain propice, celui qui te contraint, qui, te gardant relié à la matière, te propulse innocemment dans l’ampleur autrefois inquiétante de l’espace ; te retient en quelque sorte et ainsi, guide ton envol.

    Aujourd’hui cet univers, incarné au paysage volcanique de l’île, emportera jusqu’aux étoiles ton souffle qui s’apaise et s’amplifie. Le vent chaud, le sable, la friabilité accidentée du sol de lave brune, la lumière ici, la lumière qui contient enfin les sensations diverses initiées par le chemin, le feu, le vert tendre des buissons d’olives, l’air doux qui balaie par intermittences l’amas de brumes indécises qui voilait l’horizon, l’évidence t’ouvrent la voie.



    Christine Guinard, « I. Voguer » in Si je pars comme un feu, l’Arbre à paroles, Collection Résidences dirigée par Pierre-Yves Soucy, B-4540 Amay, 2016, pp. 21-22.






    Christine Guinard, Si je pars comme un feu





    CHRISTINE GUINARD


    Christine-Guinard
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bliographique sur Christine Guinard (+ 5 poèmes choisis)
    → (sur le site de la Maison de la Poésie de Namur)
    une notice sur Christine Guinard (+ plusieurs poèmes choisis)
    → (sur le site de la Maison de la Poésie d’Amay)
    la fiche de l’éditeur sur Si je pars comme un feu de Christine Guinard
    → (sur Lieu improbable)
    une lecture de Si je pars comme un feu de Christine Guinard, par Marie-Hélène Archambeaud





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  • Michaël Glück | [nous sommes venus d’un ciel à l’envers]




    [NOUS SOMMES VENUS D’UN CIEL À L’ENVERS]



    nous sommes venus
    d’un ciel à l’envers
    nous étions poissons
    corbeaux nous serons

    tu tombes du ciel
    sang noir de l’ivresse
    cendrier
    oiseau de suie
    cendrier
    oiseau de pluie

    écailles de tortues
    os calcinés
    tu tombes du ciel
    tu es encrier






    plumes noires
    squelettes blancs
    de Flora la belle romaine
    plumes noires
    de pendus en pendus
    grappes maudites

    et semences de mandragore



    Michaël Glück, Un livre des morts, Atelier de Villemorge, 2016, pp. 14-15. Linogravures de Jacky Essirard.






    Michaël Glück, Un livre des morts 2





    MICHAËL GLÜCK


    Gluck Portrait
    Source




    ■ Michaël Glück
    sur Terres de femmes


    « cette chose-là, ma mère… »
    Choral des Septantes, 6 (extrait de Ciel déchiré, après la pluie)
    [commence une phrase] (extrait de …Commence une phrase)
    …Commence une phrase (lecture d’AP)
    L’Enceinte (lecture d’AP)
    Matières du temps (extrait de D’après nature)
    [le ciel emporte le reflet des îles](extrait d’Errances célestes)
    [où de vivants piliers] (extrait de Poser la voix dans les mains)
    Passion Canavesio | Passion-Judas (lecture d’AP)
    [Certains matins les mots] (extrait de Tenir debout dans le grand silence)
    [toujours avoir à se justifier devant la norme] (extrait de Tournant le dos à)
    Tournant le dos à (lecture d’AP)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une bio-bibliographie de Michaël Glück





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  • Estelle Fenzy, Rouge vive

    par Isabelle Lévesque

    Estelle Fenzy, Rouge vive,
    éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016.
    Dessins de Karine Rougier.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Depuis des millénaires
    mon histoire se raconte

    E. F.



    Quelques vers d’une chanson de Nick Cave, « Where the Wild Roses Grow », tirée de son album Murder Ballads, en épigraphe. Ballade sombre et inquiétante à la mélodie entêtante qu’il chante en duo avec Kylie Minogue. Lui et elle alternent pour les couplets – refrain à l’unisson des deux voix. Le chanteur australien a puisé son inspiration dans le fonds des chansons traditionnelles irlandaises. « Banks of the Roses », aux nombreux avatars, est parfois chanson d’amour exaucé, parfois récit d’un crime. Rouge vive reprend le même dispositif, en faisant alterner deux voix, et nous retrouvons aussi cet endroit secret, les rives où poussent les roses sauvages. Mais, comme dans les gwerz bretonnes qui racontent des faits-divers à deux voix, ici aucun refrain n’unit les deux voix.

    Elles se distinguent typographiquement : caractères romains, verticaux et robustes, pour lui ; italiques, aux caractères plus souples, inclinés, pour elle. Le lieu ressemble à celui de la chanson : paysage gris, sombre, dans la forêt traversée par une rivière : « C’est une vaste terre / de fougères et de pins // une forêt de profondeurs / arasée de ténèbres ». Lui apparemment vit seul avec sa mère, sa « vieille » aux « yeux baissés / sur sa vie de lambeaux ». Il est d’ici, son enfance toujours en lui. Il incarne ce pays, ces arbres, ces pierres et cette eau. Elle est venue seule avec sa mère. Son « promis est mort à la guerre » alors qu’elle était « encore fille ». Leurs vies connaissent les « fêlures », « griffures », « écorchures », les « érosions », « failles » et « lézardes », et puis les rides. Elle est « mendiante à l’amour / prête à la courbure ». Il est « la faim la soif », cet « homme silence » a « un appétit d’ogre » (mais Chut !). Leurs solitudes s’aimantent, il ne peut que lui apprendre ce qu’elle veut apprendre et lui faire découvrir cet endroit merveilleux (périlleux) où poussent les roses sauvages.

    Alors tout se colore : « Éclosion d’incarnat », « fleur sanglante », « bouquet grenat », « ombres écarlates », « rosiers carmins », « cicatrice pourpre », et le rouge des lèvres.

    Pour ce « Rouge » du titre, quel genre ? Identique au féminin et au masculin, ce terme peut-il porter l’identité, devenir nom propre désignant quelqu’un qui saigne ou vit enfin de sa couleur sang ? Couleur du Petit Chaperon qui traverse la forêt et rencontre le loup ? Ou loup rouge rencontrant cette petite vive comme l’eau 1 ?

    Place à l’équivalence ambiguë entre le sang et la vie qui convoque dans le texte le polyptote (vive, vivante, vivre…). Eau « vive » de la rivière, espoir de vie et d’amour.

    Lui porte sa « solitude » comme « un manteau » le jour, une « caresse » la nuit. Semblable au jeune Rimbaud qui « sentai[t] des gouttes / De rosée à [s]on front, comme un vin de vigueur », il « taille / des draps de veille et / de vigueur » dans les lianes de la rivière : virile vigueur sur ses rives. L’eau paraît « douce », et les roses « sauvages ». À son propos on pourrait dire qu’il porte son enfance, comme Rimbaud encore : « L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses, / Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer. 2 » Sur cette rive se trouve l’homme du poème, mais il attend l’accomplissement.

    Dans ce paysage « de fougères et de pins », cette « forêt de profondeurs », les pierres portent des « rides » comme « sur le front d’une vieille ». Lui est seul, rejeté de tous.

    « Je suis né dans ce village

    à l’engrais des tempêtes

    la forge des orages

    Qui était cette femme

    au visage froissé dans ma poche

    Je ne m’en souviens plus »

    Photographie dans la poche, figure trompeuse et frustrante du désir. Il cherche « la paix et la beauté », trouve « les rosiers sauvages ».

    La ponctuation ne saurait interrompre le flux de cette remémoration (ou de cette invention). Nous parcourons une terre de légendes. Tout y converge en cette forêt, « une rivière sinue », peuple le sommeil attachant le rêveur à son souffle onirique. Les dessins noir et blanc de Karine Rougier exacerbent l’animation du paysage : une main, un arbre — les deux — jaillissent d’une terre de racines et de larmes. Mi-chemin, interstices, les poèmes courts (cinq ou six vers le plus souvent) déploient les pans d’un rêve et d’une mémoire. Une histoire fragmentée s’inscrit, aux images fondatrices, voilà un monde qui n’est plus que par ses résurgences fantastiques, nouées à la forêt, espace de landes propice aux hésitations de temps et d’images. La métaphore n’y est pas perçue comme une figure de style, on l’entend littéralement car déjà nous sommes éloignés des sentiers de raison ou réalité : « Mon cœur tissu fragile / se déchire », dit-elle, et toujours une trace, perceptible, reste dans le creuset du poème. Le voile va bientôt se déchirer, la « robe de vent si légère », la vie, le cœur, en un seul « tissu ». Un son (cri), un lambeau (coton), les sens communiquent et créent le réel. Comme Perceval songeant devant les trois gouttes de sang de l’oie blanche sur la neige, rouge et blanc, « semblance » d’ailleurs. Le bel oiseau blanc blessé par un faucon, la belle Blanchefleur loin de lui. Ici :

    « Le sang

    sur la neige a gelé

    Éclosion d’incarnat »

    Sont réveillés les angles des mots. L’adjectif « incarnat » vient de l’italien incarnato, on y lit « incarner », c’est la couleur de la chair, le prix de vivre dont le sang n’est pas perdu. Ici, on tremble, grelotte et vibre comme, sur les cordes d’une lyre, une dernière note ne meurt pas. Nous savons ce qui berce la mémoire : un chant, le souvenir d’une « fleur sanglante » (coquelicot ou rose ?) sur le champ d’une bataille perdue, l’aimée est sans voix. Or la porosité caractérise cette écriture qui d’un poème à l’autre expire la peine.

    Songer à Victor Hugo : se pencher sur la tombe éclose. Pèlerinage ancien voué au rouge sacrifice (la vie), le titre retentit toujours, il vibre en chacun des poèmes que la terre couvre.

    « Vie enfuie bouche close

    ventre désert cœur d’attente »

    Mais la rencontre a lieu : « Il portait dans ses bras /des gerbes de griffures », le héros du conte. Première apparition à l’orée de la forêt, « [j]’ai vu un homme / j’ai vu la vie ». De celui-là seul, l’amour a décidé laissant échapper les paroles de l’arbre devenues matière de la langue de la promise, langue végétale et secrète tranchée net. « [B]ouquet grenat », le rouge libre, entre deux voix. Il et elle devaient se rencontrer et s’unir. Deux soifs à étancher, deux creux à combler.


    Dans le conte de Charles Perrault, Peau d’Âne, qui ne veut rester ni seule ni fille, met sa robe « couleur de Soleil », « celle où le feu du soleil éclatait », pour séduire le prince. Ici, elle met sa « robe de vent », et il la voit de loin avec sa « robe / de feu ».

    Mystère, révélation vont suivre. Le sang va couler. Quelle semence ou quel sang a fait pousser les « roses sauvages » sur cette rive ? Pascal Quignard nous a montré que « le sexe est lié à l’effroi »3 dans les Métamorphoses. « Voir en face est interdit. Voir le soleil, c’est brûler ses yeux. Voir le feu, c’est se consumer. 4 »


    Rouge rose vive… Ronsard nous a dit ce que vivent les roses.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. « Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive », chantait Guy Béart dans ce film sur scénario de Jean Giono : L’Eau vive. La jeune fille qui a perdu son père s’appelle Hortense, elle ressemble à la Durance. Peut-on cueillir des roses sauvages sur les rives de la Durance ?
    2. Arthur Rimbaud, « Les chercheuses de poux », Poésies (1870-1871).
    3. Pascal Quignard, Le Sexe et l’Effroi, éditions Gallimard, 1994 ; collection Folio, 1996, p. 84.
    4. op. cit. supra, p. 115.







    Estelle Fenzy Rouge.jpg 2




    ESTELLE   FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés



    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za (poème extrait de Gueule noire)
    [Rêve silex] [poème extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce qui reste)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur la revue en ligne Possibles, nouvelle série n° 3, décembre 2015)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur La Cause Littéraire)
    une recension de Rouge vive par Pierre Perrin
    → (sur Terre à ciel)
    cinq poèmes d’Estelle Fenzy
    → (sur la revue en ligne Festival permanent des mots)
    deux poèmes d’Estelle Fenzy
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur sur Rouge vive




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Kouam Tawa | Ici Elle parle | Ici Elle chante




    Ici Elle parle (et sa parole est chant) :



    J’aurais aimé être une muse. Celle à qui l’on pense, celle dont on rêve, celle que l’on désire.

    J’aurais aimé être une muse. Celle qui donne courage, celle qui donne force, celle qui donne fierté.

    J’aurais aimé être une muse. Celle qu’on chante le jour, celle qu’on chante la nuit, celle qu’on chante partout.

    J’aurais aimé être une muse. Edith de Kotto Bass, Adj de Black So Man, Olivia de Sam Mbendé.

    J’aurais aimé être une muse. Sophia de Dina Bell, Aïcha de Khaled, Amida de JB Mpiana.

    J’aurais aimé être une muse. Cécile de Pasto, Adjatou de Pépé Kallé, Pamela de Tchico Tchicaya.

    Et bien d’autres encore, et bien d’autres encore…

    Je suis celle qu’on n’a jamais aimée pour ce qu’elle est, mais pour
    ce qu’on aurait aimé qu’elle soit.







    Ici Elle chante (et son chant est parole) :



    Comme une source elle s’est donnée. Aux nobles et aux roturiers, aux notables et aux serviteurs, aux nantis et aux pauvres. Gracieusement. Comme une source elle s’est donnée et comme les lamantins les grands et les petits l’ont bue. Chacun son jour. Chacun son tour. Avidement.

    Comme un soleil elle était dans le quartier. Brillant pour tous pareillement. Qui avait bu de sa lumière en était fier et cette fierté rejaillissait dans ses gestes, sur son chemin, dans sa maison, sur son travail. Pour beaucoup elle était la nouvelle source du bonheur, la source secrète.

    Étendue dans sa bière d’acajou elle dort, et ne coulera plus pour personne, et ne brillera plus pour personne. Triste est le quartier, tristes sont les buveurs. Jour sans soleil. Nuit sans lune. Et pleurent les nobles et les roturiers, les notables et les serviteurs, les nantis et les pauvres.

    La tristesse est dans les yeux, une tristesse non feinte. On pleure la source qui a tari en se disant que si elle est morte de ce que la rumeur soupçonne, il ne faudra pas beaucoup de temps pour que sa nuit entraîne celle du village. On pleure, on pleure, on pleure. On pleure vraiment la généreuse.



    Kouam Tawa, Elle(s), LansKine, Collection « Ailleurs est aujourd’hui », 2016, pp. 29-30.







    Elles







    KOUAM TAWA


    Kouam-tawa
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur africultures)
    une notice biographique sur Kouam Tawa
    → (sur Lumière d’août)
    une notice bio-bibliographique sur Kouam Tawa
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la page de l’éditeur sur Elle(s)





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  • John Taylor | [Vallée cachée sous le glacier]




    CFRubino-02
    Caroline François-Rubino, Boire à la source de John Taylor
    Source









    [VALLÉE CACHÉE SOUS LE GLACIER]




    Vallée cachée sous le glacier ; ruissellement de l’eau : doigts d’une main ;
    l’alpage est d’un vert fertile.
    Plus haut, un aigle s’envole d’une fissure qui est comme un passage secret.



    Entre deux prés de fauche, le chemin creux sur lequel nous avons souvent rencontré, à l’heure où le soleil se couche, le sculpteur sur bois. Face au soleil qui se couche.



    Rouge-queue se posant au pied de la croix du village.



    Un nuage comme une herse dans le ciel ; le lendemain soir,
    à nouveau un nuage-herse ; puis la pluie sans arrêt pendant des jours.



    Des gentianes d’un bleu profond au bord du chemin si haut que la végétation prenait fin et que nous entrions de plus en plus dans la pierraille. Les vitraux de Chartres.





    John Taylor, Boire à la source | Drink from the Source, Éditions Voix d’Encre, 2016, s.f. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Daviet. Aquarelles de Caroline François-Rubino. Préface de Sabine Huynh.







    Boire à la source






    JOHN TAYLOR


    Johntaylor
    Source




    ■ John Taylor
    sur Terres de femmes

    [Sometimes the island] (poème extrait de Portholes | Hublots)
    [all your life long] (poème extrait du Dernier Cerisier | The Last Cherry Tree)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Boire à la source
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur John Taylor
    → (sur Mediapart)
    Littérature : le sens de la gravité de John Taylor, par Stéphane Vallet
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Boire à la source par Jean-Paul Gavard-Perret
    le site de Caroline François-Rubino
    le site de Sabine Huynh





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