Étiquette : 2016


  • Danielle Risse | Sur la Place aux Foins



    Vissotsky !
    « Le vent porte la voix de Vyssotski »
    Nikolaï Egorovitch Dronnikov, Portrait de Vyssotsky
    Source







    [SUR LA PLACE AUX FOINS]



    Sur la Place aux Foins
    Une ombre vivante

    Traîne son âme écorchée
    Au plus près de l’horizon.

    La lune plonge
    Dans les eaux de la Neva,
    Chute infinie là où nul ne l’attendra plus.

    Jour d’été
    Une brise légère s’enroule
    Autour de l’ineffable.

    Saint-Pétersbourg s’agite et console.

    Le vent porte la voix de Vyssotski

    Au plus loin de l’arc-en-ciel.
    Requiem pour un poète chanteur,
    La nue efface les tourments

    D’une guitare orpheline.

    À l’heure solitaire
    Où le clair-obscur courtise
    L’avenue pressée de lumière,
    Un homme marche, le temps collé à sa peau.

    La ville abreuvée de roman
    S’insinue dans l’esprit de Fiodor.

    Une silhouette orpheline

    Faussement ensorceleuse
    Traverse l’espace glacé

    D’une nouvelle insomnie,
    À la recherche de l’unique chemin.

    Une nue frôle son épaule,
    L’horizon s’incline,
    On entend le bruit du vent
    Et court le pavé

    Usé par les semelles du temps.

    Le jour s’affaiblit,

    Suspendu aux nuages

    Le papier, la plume
    Des mots baignés de brume
    Et la main

    Qui écrit.



    Danielle Risse, Si près des étoiles Saint-Pétersbourg, Éditions de L’Aire, 1800 Vevey [CH], 2016, pp. 48-49.






    Danielle Risse, Si près des étoiles Saint-Pétersbourg






    DANIELLE RISSE


    Danielle Risse2




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions de L’Aire)
    la page de l’éditeur sur Si près des étoiles Saint-Pétersbourg de Danielle Risse
    → (sur le Cultur@ctif Suisse)
    une notice bio-bibliographique sur Danielle Risse






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  • Frédéric Tison | [Est-ce là moi cette tête détachée… ?]



    [EST-CE LÀ MOI CETTE TÊTE DÉTACHÉE… ?]



    Est-ce là moi cette tête détachée qui chante sur les eaux, avec du sang dans les cheveux, parmi ces branches liquides, ces fleurs, tout ce dont je me souviens ? Est-ce là le bref amant d’une femme ensevelie, d’un fils du vent ? Est-ce là encore l’enchanteur des animaux et des bois ?

    Cette ombre où rôde un visage porte-t-elle encore un nom, et serait-ce le mien ? J’entends et je vois des silhouettes qui murmurent sur la rive, et des chandelles qui rêvent vacillantes dans les arbres : là sont les spectres qui me rejoignent — ici s’élèvent des chants, et deux parmi les plus beaux noms du monde, Eurydice ! Eurydice ! Calaïs ! Calaïs ! résonnent à l’unisson entre mes lèvres.



    Frédéric Tison, « Cahier II, Sylvestres », XXI in Le Dieu des portes, Librairie-Galerie Racine, Collection Les Hommes sans Épaules, 2016, page 59. Prix Aliénor 2016.






    Frédéric Tison, Le Dieu des portes





    FRÉDÉRIC TISON


    FTison





    ■ Frédéric Tison
    sur Terres de femmes

    Le Dieu des portes (lecture d’AP)
    [Eaux grèges] (extrait d’Aphélie)



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Frédéric Tison
    → (sur Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Frédéric Tison (+ un entretien de Jean de Rancé avec Frédéric Tison)
    → (sur le site de la revue Possibles)
    deux autres extraits du Dieu des portes de Frédéric Tison (+ une recension par Pierre Perrin)






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean-Pierre Chambon, Zélia

    par Isabelle Lévesque

    Jean-Pierre Chambon, Zélia,
    Éditions Al Manar, Collection Récits & Nouvelles, 2016.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Pour avancer
    alors il me faut, comme si je ne voyais pas, toucher ma voix,
    lui chercher une porte ou de l’herbe. Lui faire dire ce que je cherche.
    Maintenant. Ainsi ce n’est pas l’ombre que je recueille mais l’herbe.

    Thierry Metz,
    Terre, Opales/Pleine Page, 1997.




    Après Trois rois1, Jean-Pierre Chambon ajoute une pièce importante à notre connaissance du monde de Pessinus inventé (au sens ancien de trouvé) par Marc Pessin2. Nous avions rencontré la reine Zélia dans un précédent volume (Des lecteurs, Harpo &, 2016), nous la retrouvons dans ce récit éponyme (Zélia, Éditions Al Manar, 2016). Elle est reine dans une civilisation perdue dont il ne reste que quelques traces : les lettres usées d’un nom qui, prononcé, revient en force avec cortège, effluves… Et tout ce qui fut réapparaît.

    La couverture du livre porte le sceau de la reine dessiné (reproduit ?) par Marc Pessin (ou peut-être par Carm Nissep). Les inscriptions en pessinois intriguent le lecteur. Si l’on admet que les quatre caractères placés sous le profil correspondent au nom de ZÉLIA, on peut en déduire que le mot de gauche est REINE. Quant à celui de droite, il pourrait bien être le nom du pays, PESSINUS, mais cela impliquerait que le N puisse avoir deux signes, ou que le graveur ait fait une faute d’orthographe. Nous savons que cette langue pessinoise est très complexe, puisque sa graphie comporte des lettres et des idéogrammes, comme pour le texte gravé sur la pierre de Rosette. La quatrième de couverture du livre Des lecteurs, qui vient de paraître aux éditions Harpo &, est entièrement et copieusement rédigée en pessinois. Les lecteurs paléographes ou cryptographes pourront tenter de la décrypter.





    Pessinois 6
    Signes pessinois
    (Quatrième de couverture de Des lecteurs, Harpo &, 2016)






    Jean-Pierre Chambon sait raconter les histoires, tout part d’un sujet inversé qui déjà nous surprend ou nous perd :

    « Souvent s’amenuise, et parfois se ramifie, la trace du sentier qui pénètre dans la profondeur des marais. »

    Ainsi naît et se développe la légende, ainsi s’établit la longue liste de signes (pistes) qui mènent au mystère jamais tout à fait révélé du pays pessinois. Jean-Pierre Chambon observe le monde qu’il crée d’un œil d’entomologiste et de poète. Tout est noté, répertorié, du vol de moucherons dans un rai de lumière à leur dispersion « en palpitations d’ailes affolées » au moindre bruit. Pour les bâtisses, le narrateur nous entraîne, tel un archéologue, dans un réseau d’hypothèses – labyrinthe, dirait peut-être Jean-Pierre Chambon qui les goûte, notant à propos « d’une ancienne construction » connue sous le nom d’« oratoire de Notre-Dame-des-Ombres » qu’« aucun légat n’a jamais consacré le lieu ni confirmé le nom ». Une autre hypothèse fait remonter la bâtisse à l’époque de la reine Zélia qui entre dans le récit en même temps que sont évoquées, près de ce lieu légendaire, les « feuilles parlantes », rapportées un soir par l’éclaireur qui remarque alors que sur leur limbe des boursouflures, des signes en réalité, se répètent, « dessins » parlant une langue inconnue.

    Lire Zélia, c’est suivre son parcours sans fin puisque cette reine refuse la vie sédentaire. C’est aussi se délecter d’une profusion de mots qui s’ajoutant, se précisant les uns les autres, construisent une civilisation à laquelle s’attache le lecteur. De cette civilisation, on nous dit que des traces nous sont parvenues par miracle. Vestiges rescapés des décombres, monde sauvé de l’oubli, on le découvre, comme une cité engloutie, dans la ferveur. Avec l’auteur, nous sommes comme Joseph Conrad cherchant la ville d’Ys et la princesse Dahut en Bretagne du côté de l’Ile-Grande, ou comme le capitaine Morhange3 qui découvre en plein Sahara l’Atlantide et la reine Antinéa (d’aucuns avancent qu’il s’agissait de Tin-Hinan, la mythique reine des Touaregs).

    Dans le livre de Jean-Pierre Chambon, nous suivons le destin des personnages, incarnés certes, mais aussi suscités par des vocations variées auxquelles ils se consacrent. La plupart ne sont pas nommés, mais désignés par leur fonction. C’est l’un des fragments, « La bibliothèque itinérante », qui a fait l’objet de la publication séparée sous le titre Des lecteurs ou, plus complètement, Des lecteurs de la bibliothèque itinérante de la Reine Zélia. C’est dire l’importance de ce chapitre dont l’éditeur Harpo & a fait une édition qui donne de l’espace et des étoiles rouges aux mots bleus. Nous sommes ces lecteurs, chacun s’y reconnaîtra (peut-être) : le philosophe, le cordonnier, le marmiton, le maître cuisinier, le panégyriste, la dame de compagnie, la géomancienne, l’herboriste, la coiffeuse et d’autres, dont les trois rois et la déesse Issabisbissa. On y rencontre aussi la devineresse Assia, qui porte le même nom que la dédicataire du livre.

    Un monde mythique se déploie. Des indices précis nous sont révélés : les champs de « feuilles parlantes », à « l’écriture naturelle », sont « carrés » et « mesur[ent] approximativement une trentaine d’enjambées de cheval au galop ». Telle est la mesure, précise et poétique, des côtés. C’est 3 fois 10 (10+3, c’est 13, comme le nombre de fragments). Le nombre 3 est particulièrement important dans ce livre, comme cela arrive souvent dans les contes et autres textes sacrés. Les rois sont trois, comme les chasseurs et d’autres personnages. Nous apprendrons ainsi que « les listes du thesaurus […] formaient une somme hermétique, un labyrinthe indéchiffrable, un buissonnement d’énigmes »  ; ou encore que les signes développent « leurs arabesques, dentelles et fioritures ». Tout va par trois, mais Zélia est seule.


    Les détails construisent une représentation précise d’un univers inconnu qui nous devient familier, presque immédiatement. Les couleurs, les matières, la longueur, la hauteur, autant de détails pour que surgissent, réels, les espaces traversés par la reine nomade.

    En ce monde, on prête aux herbes une volonté de parler, et même de raconter, animisme régnant que la magie, elle est sous-jacente, attise. Cet univers de patience où l’on recopie chaque signe pour le déchiffrer fait du lecteur un explorateur.

    Langue belle de subjonctifs imparfaits retrouvés, de tournures soutenues intégrées au texte comme on introduit la secrète grammaire en péril dans une phrase. Tout cela porte le lecteur en sphère de contes, comme une langue à laquelle on intègre peu à peu des signes oubliés. Le mouvement est le même, celui qui mène Zélia, constamment, vers de nouveaux horizons et le lecteur du livre vers cet îlot que le poète invente. La silhouette évanescente de Zélia peut apparaître dans un rêve du scribe comme au détour d’une page, elle détermine les avancées du récit. Or le voyage peut être immobile : les phases de description, onirique portée, nous éloignent d’un chemin tracé pour suivre une pente à l’issue incertaine.

    Il semble bien que Zélia garde des signes que le poète assemble et révèle, un réseau de correspondances lie les personnages les uns aux autres comme il dénoue les fils d’un secret qui demeure. Le scribe parvient à déchiffrer une partie des signes inscrits sur les herbes, chacune porte l’emblème de Zélia :

    « Le texte évoquait l’histoire d’une reine partie au moment où allait lui être révélé le secret qu’elle avait désiré connaître. »

    Or sans cesse Zélia voyage et s’éloigne du scribe resté au campement pour se consacrer aux « feuilles parlantes ».

    Le lecteur se déplace dans le livre au fil des sections, chacune titrée, tout semble consigné comme dans les livres de la « bibliothèque itinérante » sur des registres, pour garder mémoire. Zélia peut voyager en son royaume comme en ses livres, miroir intime de sa passion pour ce qui la transporte et l’éloigne ou la rapproche, lors de ses pérégrinations, de son propre reflet. Sont évoqués, dans leur diversité, quelques-uns des titres savoureux des livres qui constituent la bibliothèque royale : Discours sur le chevauchement des temps (philosophie), Le Grand Livre des choses exquises (cuisine) ou le Traité d’anatomie des spectres, fantômes et autres ectoplasmes. Un titre encore : Les Mille Vertus du Disque de Chambon (titre qui figure dans la liste des ouvrages, à la fin de Des lecteurs)… Bien des livres à retrouver. Jorge Luis Borges, l’un des inspirateurs de Marc Pessin, affirmait dans sa « Bibliothèque de Babel » : « Je le répète : il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. » 4

    Si l’un des personnages d’une nouvelle de Jean-Pierre Chambon5 collectionne les ombres, Zélia, elle, accumule les chaussures. Ce détail, déjà mentionné dans Trois Rois, devient un élément précis qui la caractérise : reine nomade, coquette, soucieuse de beauté, elle ne néglige rien et redoute toujours d’abîmer ses précieuses paires, conservées dans des « coffrets » comme les parures. Pour paraître, pour franchir les lieues infinies de sa quête, les oiseaux (corbeaux, vanneaux, pics-verts, hérons, perdrix, merles, grives, rossignols, loriots, alouettes, hirondelles, étourneaux) se joignent en une « longue traîne folâtre dans le sillage du véhicule royal », on les disperse en disposant de « grands épouvantails accoutrés de haillons bariolés et parsemés de grelots ». La nuit, ce sont les vers luisants qui produisent leur « luminescence », créant des effets. Nous verrons aussi « ce chemin éclairé par les minuscules lumignons des lucioles », ces insectes aimés des poètes. La couleur du récit pourrait être l’argenté. Zélia voyage la nuit à la lumière de la lune et des étoiles. La lumière de la lune se reflète sur l’eau et tout ce qui brille. Ce ne sont qu’éclats, lueurs, reflets, scintillements… Précisons que le calendrier, lui-même, est lunaire.

    En ce monde, l’instant et l’éternité se jouxtent, Zélia se vêt au soir d’une robe somptueuse « confectionnée d’empiècements tissés de fils d’or ou d’argent » ou bien d’« une robe éphémère » faite avec « des feuilles et des fleurs tressées, des lianes tricotées ou des pellicules d’écorces qu’on avait patiemment assouplies […] » : le merveilleux vit dans le dénuement de la nature comme dans les pierres et métaux précieux (autant).

    Zélia aime le ralentissement de la vie à la tombée des premiers flocons, l’égarement lorsque le paysage change, le repli qu’elle impose (la reine alors inventorie ses trésors : robes et bijoux dont elle pare, pour les regarder, les « mannequins de glace » façonnés par les sculpteurs à sa ressemblance, ils semblent s’animer, comme si l’âme de la reine s’incarnait en eux à la lueur des bougies.

    Ses richesses font parfois penser à celles du Grand Khan Khoubilaï telles que rapportées par Marco Polo. Nous savons qu’il possédait cinq mille éléphants, mais ne savons pas combien de chevaux. Sans doute plus que Zélia qui en avait quarante-neuf qu’elle était seule à monter. Mais elle en possède deux qui auraient rendu envieux le Grand Khan : deux chevaux fantômes qui galopent avec les autres. Ce sont des chevaux de mots, chevaux de poème, comme les quarante-neuf autres.

    La reine, dans son voyage perpétuel, réveille dans ses pas des croyances qui prennent vie, figures de son destin, de sa beauté et de son obstination à poursuivre. Sa caravane éternelle croise le vent, la neige, le soleil pour dispenser autour d’elle la fibre magique dont elle-même est constituée. Ainsi en est-il de sa précieuse petite poupée qui reçoit toutes ses confidences et prend ses marques de douleur pour alléger sa souffrance. « Quand elle se faisait mal, le stigmate du choc apparaissait sur le petit corps, sa souffrance s’en trouvait alors en partie soulagée. » Comme les jardiniers de Jacques Abeille cultivent les statues6, le vieux jardinier de Zélia surveille de près la croissance des plantes à poupées, celles qui semblent anodines par leurs feuilles et fleurs, mais dont les racines-tubercules sont des poupées (ce qui peut nous faire penser aux mandragores). Il faut savoir lire les herbes, se montrer patient et délicat pour découvrir et faire venir au jour ces dons de la nature.


    La ville que cherche et trouve Zélia s’appelle Alpomaria. Ne s’agirait-il pas de l’antique cité romaine nommée Pomaria7 par les Romains, la ville des vergers ? Nous l’appelons maintenant Tlemcen, ville berbère d’Algérie située au pied du djebel Terni, la Perle du Maghreb que l’on peut atteindre, comme la reine, en franchissant de hautes montagnes de l’Atlas. Le poète et romancier Mohammed Dib a souvent évoqué cette ville aux nombreux porches, piliers et arcades, qui sont souvent de branches et de frondaisons pour Zélia. Le poète de Tlemcen nous montre « au fond, à travers cette lande, se réservant tout l’espace, trois koubbas avec leurs portes cintrées ouvertes sur rien, sur le ciel et dont vous savez peu de chose si ce n’est que chacune couvre la sépulture, disparue, d’une princesse oubliée »8. Il nous parle aussi des « princesses aux noms perdus » 9. Jean-Pierre Chambon nous révèle peut-être le nom et des fragments de l’histoire de l’une de ces princesses dont il s’est fait le scribe. Mais Alpomaria, avec son canal, nous ramène à l’esprit également la ville merveilleuse de « L’invitation au voyage » de Baudelaire. Ses rues vides bordées de colonnes et de statues peuvent aussi faire penser à certaines toiles de Giorgio De Chirico ou de Paul Delvaux.


    Au terme du récit, nous retrouvons la figure du scribe10, figure principale de l’œuvre, avec celle de la mythique Zélia. Le scribe, c’est le poète, celui qui s’efforce de tracer sur la page pour effacer l’oubli ce que « le vent fredonn[e] dans une langue ignorée ». « Confusément, quelque chose v[eut] être dit et tout, jusqu’au silence de la nuit, ret[ient] un message. » Nous voyons ici le poète en action. Dans ses Feuilles d’herbe, Walt Whitman écrivait : « Je crois qu’une feuille d’herbe est à la mesure des étoiles » 11. Ce scribe appartient à la famille des poètes de la terre et du vent, comme Thierry Metz qui interrogeait : « Que fait cet arbre au milieu du livre / loin des noces / en pleine terre / de dialectes ? / Parmi tant d’abeilles, on dirait qu’avec la reine il est venu mourir. Ou s’élancer. » 12 Dans la bibliothèque nomade de Zélia, nous avons pu apercevoir la « poétesse Luluth Trista », à l’inspiration inépuisable à l’image d’une écriture poétique rêvée, auteur des Chants de la multiplicité des mondes. Son prénom évoque à la fois Lilith, la première femme insoumise, l’égale d’Adam, et le luth, instrument favori des poètes. Son nom, qui peut rappeler les Tristia d’Ovide ou de Mandelstam, chants de l’exil, nous indique la tonalité de son chant.

    Le scribe, lui, nous raconte que « tout […] lui parlait, le vent, le frisson qu’il propageait à la surface de l’étang, le moustique et l’oiseau, et même la pierre froide qui ne disait rien. »

    Le « scribe mélancolique » est gardien de mémoire, il veille et nous ouvre, peut-être, au mystère de cette civilisation comme un chœur, il est celui qui délivre les mots (ou tente de le faire). L’épopée de Zélia, entre réalité et mythe, nous a offert le temps de la lecture la délectation souriante d’un univers onirique et promis à la transmission.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________________
    1. Jean-Pierre Chambon, Trois rois, Éditions Harpo &, 2009.
    2. Pour en savoir plus sur cette civilisation : https://marc-pessin.com/
    3. Pierre Benoit, L’Atlantide, Éditions Albin Michel, 1919.
    4. Jorge Luis Borges, Fictions, traduction de P. Verdevoye et Ibarra, Gallimard, 1957, Folio, page 99.
    5. Jean-Pierre Chambon, Une collection particulière (extrait), Revue Le Visage vert n°26, novembre 2015.
    6. Jacques Abeille, Les Jardins statuaires (1982), Attila, 2010.
    7. L’auteur aurait fait précéder le nom du castrum romain de l’article « al ». Ceci n’est bien sûr qu’une hypothèse.
    8. Mohammed Dib, Tlemcen ou les lieux de l’écriture, photographies de Mohammed Dib (1946) et de Philippe Bordas (1993), Éditions Revue Noire, 1994, page 109.
    9. Ibid., page 117.
    10. Mohammed Dib raconte comment, enfant, il s’installait dans le patio de la maison familiale pour écrire « dans la posture du scribe » (ibid., page 48). Et on a pu appeler « scribe de l’Égypte » Champollion, le déchiffreur notamment de la pierre de Rosette et des hiéroglyphes égyptiens, qui a ainsi permis de raconter une grande partie de l’histoire de l’Égypte ancienne, en particulier celle de la toujours mystérieuse reine Néfertiti.
    11.Walt Whitman, « C’est moi que je célèbre » (1885) in Feuilles d’herbe, traduction de Jacques Darras, Grasset / Les Cahiers Rouges, 1989, page 66.
    12. Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine Page, 1997, page 79.







    Jean-Pierre Chambon, Zélia





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Fleurs dans la fleur]
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    Des lecteurs (extrait)
    Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    [civilisation pessinoise] L’Alpe 34 : Peuple en voie de distinction, par Jean-Pierre Chambon




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Julien Simon | 1932 — Entre Odessa et Marseille



    1932 — ENTRE ODESSA ET MARSEILLE.



    ILS,
    lancent tout au long du voyage des petits cailloux
    blancs,
    De petits cailloux ramassés là-bas en Bessarabie.
    Regardent longtemps l’horizon, la mer puis la nuit.

    Plof.
    Après une lente descente, les petits cailloux blancs
    se déposent sur les fonds marins : sables, vasières,
    abysses. Quelques-uns sont gobés par des poissons et
    d’autres disparaissent, granulats de mémoire sous
    la couche de boue ou de limon.
    Là-bas au loin, les attend un train puis un autre train.
    Et le vent souffle.




    Julien Simon, Inventaire, un souffle, Éditions Isabelle Sauvage, Collection Chaos, 2016, page 11.







    Julien Simon, Inventaire, un souffle






    JULIEN SIMON


    Julien Simon




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Inventaire, un souffle de Julien Simon






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  • Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest

    par Angèle Paoli

    Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest ,
    Éditions des Lisières, Collection Coléoptère,
    26110 Nyons, novembre 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Baronnies
    Le pays existe. Je l’ai rencontré. Il prend la forme et l’envergure que lui
    donne l’écrivain. Il se situe à la lisière. Entre Drôme Provençale et
    Hautes-Alpes. C’est le terroir des Baronnies, avec ses hauts plateaux,
    ses vallées profondes que l’ombre habite comme les vents qui s’engouffrent
    dans les cavités des gorges, dans les failles et les grottes.
    D.R. Ph. Régine Santelli, juillet 2016








    « JE TOURNE MON REGARD VERS DEHORS »



    Elles sont sept. Sept nouvelles rassemblées sous le titre Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Sept récits, écrits et rassemblés ici par Alain Nouvel sous un intitulé de prière-profane, liée/livrée aux quatre points cardinaux. Un credo qui court tout au long du recueil et qui oriente l’orant :

    « “Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest” ; finalement le signe de la croix permet de bien se situer par rapport à la seule transcendance à laquelle je crois, ces astres d’où nous sommes nés. » (« Au col du Perty »).

    La maison du magicien-conteur qu’est Alain Nouvel se fait l’écho silencieux de ce credo en harmonie avec le « passage des vents, des nuages, du temps. » Comme les récits qu’elle nourrit de son esprit, elle est habitée par l’ombre qui est à elle seule « un pays, l’hiver, avec ses frontières, ses liserés et ses lisières. » Elle donne son nom à l’une des nouvelles. Danse l’ombre est bercée par les grands silences des montagnes qui la protègent. Montagne de Lure/La Baume Noire/la Nible/le Ventoux. La maison de l’auteur, un poète à la prose admirable, ravit. On se prend à rêver de s’y blottir, on s’y pelotonne, on s’y laisse bercer pour savourer, dans une demi-veille, le mystère du recueil. Le poète y vit seul. Seul avec ses songes, avec ses fantômes et ses feuillets qui s’amoncellent, ses livres, ses contes et le silence. « Un grand silence musical, transparent ». Un silence peuplé cependant de voix, vibrant de notes inouïes. Un silence qui pétrit son homme ; comme les mains pétrissent les mots ou le pain.

    « Quand je pétris le pain, les mots, toujours, vont et viennent. […] Aussi, je n’arrête jamais de pétrir ni d’écrire, c’est le même métier. » (« L’orgue et le pain »).

    Le pain, les mots la neige sont de la même essence. Pétrissables.

    « Le matin, j’ai pris un peu de neige entre mes doigts, l’ai malaxée, j’ai pensé à la farine que je pétrissais et qui résistait, tiède, à ma poussée, tandis que la neige, elle, ne résiste pas. »

    Au silence est aussi liée la musique. L’une est l’envers de l’autre. Tous deux indissociables. Pour le conteur mélomane, l’orgue joue une partition singulière. Comme celle, inédite, dont Tournelâme Fraîchardie, maître de chapelle de Rosans, est l’inventeur. Une « non-musique » semblable à « une eau de source », délivrée par un instrument muni de « deux mains expertes » qui vont se saisir de l’organiste :

    « quand l’orgue se déchaîne, je me sens vibré jusqu’à l’os, sculpté par ces deux mains des aigus et des graves. Chaque dimanche, la farine et l’eau de ma vie sont pétries par un chant nouveau. Il n’y a pas de mots pour ça. Je reste muet. Je me sens exulter et crier sous la foudre sonore de l’orgue comme un pain qui se cuit. »

    Étrange comparaison filée qui se tisse autour de l’orgue, établit des points de rencontre permanents entre divers registres qui constituent l’essence même de la prose poétique d’Alain Nouvel. Un peu plus loin, dans le même récit, on retrouve au sommet de la Nible la même exaltation :

    « Quand je franchis la porte, que je m’allonge sur le sommier de bois et que je me couvre de la tête aux pieds, j’entends longuement le vent chanter, parler, prier, et c’est comme un autre orgue qui me fait vibrer, un orgue nocturne et céleste, un orgue stellaire, le grand orgue de l’univers. »

    D’autres orgues encore peuplent les récits d’Alain Nouvel. Celui, liquide, de la roue à aubes qui jouxte sa maison.

    « Ma maison est liquide, presque, construite en galets oblongs, tout en rondeur, tout en longueur, sans aucun angle, épousant les courbes de la rive. Ma maison appelle la caresse. »

    La roue à aubes, elle, fournit au narrateur de la nouvelle — « L’orgue de la Sorgue » — une infinité de sons qui varient avec les saisons et le débit de l’eau. De quoi inventer de petits instruments comme ce « hurle-loup » qui imite « les plaintes d’une meute » ou bien cet « orgue-à-bouche-rossignol », taillé dans les branches, « sureaux et frênes creux ». Et si le narrateur tire de cet « instrument éphémère et fragile » une musique qui le bouleverse, c’est qu’elle lui révèle ce que nous sommes.

    « C’est qu’elle est comme nous dans le temps, éphémère, et que sa danse et ses trébuchements sont l’image terrible et sublimée des nôtres. Chaque son produit l’est maintenant, pour la première fois et à jamais, et puis ne sera plus. »

    La voix d’Alain Nouvel guide le lecteur. Elle le conduit en des lieux reculés mais aussi dans des rythmes et sinuosités que la langue d’aujourd’hui n’explore plus guère. On y goûte la saveur oubliée des grands textes d’Henri Bosco et de Jean Giono, paysages palimpsestes peut-être dont la lumière affleure sous les pages. On suit le marcheur infatigable sur les sentes des montagnes à la rencontre des nuages et du ciel ; à la rencontre parfois d’un chevrier ou de quelque bergère. À la rencontre de lui-même et de ces autres, ombres multiples, inattendues que l’on porte en soi. Double féminin ou ombre d’un frère défunt dès avant la naissance.

    « Une inconnue me visite dans mes rêves chaque nuit, et même… pendant mes insomnies. […] Cette inconnue, j’ai peu à peu découvert que c’était… la femme que je ne suis pas. Celle que je suis au contraire, mais par intermittence et de façon secrète… Cela fait tout de même étrange de se découvrir femme et d’observer celle qu’on aurait pu être, qu’on aurait été si… »

    Quant au frère défunt, s’il se permet de se manifester au vivant, c’est que celui-ci a « choisi de vivre avec l’ombre, avec les ombres. » Il lui parle et se confie :

    « Tu resterais plein sud, dans la lumière, je ne pourrais pas t’approcher ni t’apparaître, tu n’envisagerais même pas que je puisse avoir un visage. Mais tu es là, dans ta maison au nord, dans sa pénombre si parlante et il me semble que c’est cela, cette lumière incertaine, qui permet à mon ombre de danser avec toi. Je voulais te remercier de cela. »

    Le récit frôle parfois le fantastique. Le Horla de Maupassant rôde, « bien plus humain, bien plus tendre, bien plus animal que les Horla-robots que nous promet la science… J’ai toujours eu de la tendresse pour ce Horla. C’est qu’il est un être vivant, lui aussi, qu’il peut mourir et que le feu peut le détruire. Décidément, je suis bien trop humain pour n’être qu’un théoricien. » [« À la lumière de Baume Noire (Monologue d’un théoricien) »].

    Chaque nouvelle est différente de la précédente mais, ainsi rassemblées, ces nouvelles offrent une voix qui résonne de sa musique singulière. On y croise des personnages excentriques et mystérieux de la même envergure que le Casagrande de L’Iris de Suse, l’ultime roman de Giono. Des personnages imprévisibles, comme le géant Giovanni Strozza rencontré dans une hôtellerie abandonnée. Le décor et les personnages de cette dernière nouvelle — « La neige avant qu’elle tombe à Rémuzat » — semblent appartenir à un autre monde et l’on ne parvient plus à distinguer s’ils existent vraiment ou bien s’ils émanent des songes de l’auteur.

    On baigne dans une atmosphère sauvage, en parfaite symbiose avec la nature et le cosmos. Une force tellurique traverse, qui évoquerait celle lointaine mais toujours sensible d’une Philis de la Charce retranchée en son château-éperon, en surplomb de l’Oule (absente du récit, je m’attendais pourtant à la voir surgir au détour d’une phrase).

    « Je décidai donc d’aller vers le nord et de remonter la vallée de l’Oule, vers La Motte Chalançon. J’allais me mettre en route à pied, dans le froid coupant du petit matin d’hiver […] Ce n’était plus un chemin d’aujourd’hui, son asphalte noir bien lissé, non, c’était une route empierrée, blanche, poussiéreuse et sentant la terre. Je l’avais décidé ainsi, j’irai dans un autrefois. J’allais m’enfoncer dans un pays qui n’existait pas. »

    Le pays existe. Je l’ai rencontré. Il prend la forme et l’envergure que lui donne l’écrivain. Il se situe à la lisière. Entre Drôme Provençale et Hautes-Alpes. C’est le terroir des Baronnies, avec ses hauts plateaux, ses vallées profondes que l’ombre habite comme les vents qui s’engouffrent dans les cavités des gorges, dans les failles et les grottes. Mais la vraie maison d’Alain Nouvel est l’écriture, une écriture elle aussi à la croisée des chemins :

    « Je comprenais que ma maison c’était d’errer de mot en mot, tantôt dans une fiction finie et achevée, avec tout le confort, tout bien tracé, balisé, repeint de neuf, une forme complète, tantôt dans ces trames incertaines et fuyantes, filandreuses, pleines de trous , des haillons de pensée, des ruine en construction qui ne protégeaient pas des courants d’air. Il me fallait les deux, et surtout, me trouver devant le vide d’une route, qui s’ouvrait vers je ne sais qui, je ne sais quoi, un autre monde… »

    « Je tourne mon regard vers dehors ».

    Au dehors, une lumière dorée joue encore pour quelque temps dans le squelette de ma treille. Il fera bientôt nuit. Je referme mon livre. Mais je sais qu’il m’accompagnera dans cette traversée d’hiver.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Alain Nouvel,







    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.




    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes


    Anton (lecture d’AP)
    [Tu bois, aux sources de la foudre] (extrait de Pas de rampe à la nuit ?)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la revue Possibles)
    une recension d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Pierre Perrin
    le site des éditions des Lisières
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Georges Guillain





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  • Christophe Manon | [Longue fut l’attente]



    Lumiere bis
    « l’oubli rassemble | ses forces pour vaincre | la lumière »
    Ph., G.AdC








    LONGUE FUT L’ATTENTE en ces temps
    de détresse il y avait tant de haine en nous qu’on aurait pu la

    nommer
    amour de nouveau
    nous cherchons une vérité à hauteur d’homme une
    pensée dangereuse et transformatrice du réel il nous faut
    tout inventer jusqu’aux atomes trouver
    un nouvel imaginaire des formes éblouissantes ajouter
    des pays des mers différentes les changements de soleil des danses

    des chants de la musique des coups et
    frappés de stupeur contempler
    les paysages rêveurs dans les yeux des rescapés le ciel fatigué les

    arbres tuméfiés les roches bondissantes regarder
    ce qu’on ne voit pas avec nos yeux aveugles quand
    secrètement l’oubli rassemble
    ses forces pour vaincre
    la lumière.



    Christophe Manon, Au nord du futur, Éditions Nous, Collection disparate, 2016, page 28.






    Christophe Manon, Au nord du futur





    CHRISTOPHE MANON


    Christophe Manon




    ■ Christophe Manon
    sur Terres de femmes

    Au nord du futur (lecture d’AP)
    [Que reste-t-il des] (extrait de Jours redoutables)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous)
    la page de l’éditeur sur Au nord du futur






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  • Jean-Pierre Chambon | L’invention de l’écriture



    L’INVENTION DE L’ÉCRITURE
    (Incipit)





    Souvent s’amenuise, et parfois se ramifie la trace du sentier qui pénètre dans la profondeur des marais. Une odeur de moisissure et de macération émane de l’eau morte, dont la présence se résume longtemps à un scintillement intermittent. À hauteur de temps vrombissent les libellules, fléchettes chatoyantes en suspens dans le mouvement de leur trajectoire. Un réseau de moucherons colonise un rayon de lumière. La moindre approche déclenche des palpitations d’ailes affolées dans les touffes de joncs impénétrables. La branche d’un aulne grince, le frissonnement d’un souffle parcourt les feuilles, les roseaux. Par endroits, le sol craquelé semble avoir été gratté, mais dans la plaie il n’y a qu’un peu de sable humide. Ailleurs, rampent des rhizomes entrelacés où l’on se prend les pieds. Près du bord, saupoudrée de duvet blanc, l’eau a pris la couleur de la rouille. Le sentier dont on a cru suivre le fil aboutit à une série de planches délavées formant un précaire pont flottant, qui s’interrompt quelquefois en plongeoir au milieu d’une mare aux grenouilles.

    De l’autre côté, quelques prés à tourbières où on laisse vaquer des troupeaux précèdent des landes humides, fumantes. S’avançant au-devant des broussailles et des bois obscurs tassés au pied des falaises, une ligne de bouleaux semble faire signe à qui s’est aventuré jusqu’ici. À quelques pas, un amoncellement de pierres moussues, aux formes oblongues pour la plupart, constitue les vestiges d’une ancienne construction qu’une tradition paysanne désigne comme l’oratoire de Notre-Dame- des-Ombres. Mais aucun légat n’a jamais consacré le lieu ni confirmé le nom. Il est plus probable, du moins le croit-on, que cet amas de pierres gagné par les ronces et les orties remonte à l’époque d’une reine nommée Zélia. Simple abri voûté ou monument érigé à une gloire qu’il a échoué à perpétuer, personne n’a tenté de reconstituer l’édifice pour en déterminer la fonction. Du reste, l’entreprise aurait été vouée à l’échec car certaines pierres, dont on a aisément établi la provenance, ont été il y a fort longtemps prélevées à l’ensemble et remployés dans les murs des plus vieilles bâtisses de la contrée.

    Si l’hypothèse d’une construction pâtit d’un sérieux défaut de fondement, il est parfaitement imaginable que nombre de ces pierres — leur forme autorise à le penser — aient servi de reposoirs sur lesquels on étendait les végétaux singuliers récoltés dans les parages. Car, selon toute vraisemblance, le lieu correspondait bien, du moins tel qu’il est décrit par l’une d’elles, à l’endroit où croissaient les « feuilles parlantes », dont l’herbier-bibliothèque qui est parvenu jusqu’à nous et dont par on ne sait quel miracle conserve d’innombrables spécimens.



    Jean-Pierre Chambon, « L’invention de l’écriture » in Zélia, Al Manar, Collection Récits & Nouvelles, 2016, pp. 9-10. Couverture de Marc Pessin.






    Jean-Pierre Chambon, Zélia





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Des lecteurs (extrait)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Fleurs dans la fleur]
    Noir de mouches (extrait)
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)






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  • Gérard Chaliand | [Les rennes blancs courent]



    [LES RENNES BLANCS COURENT]




    Les rennes blancs courent au bord de la mer boréale
    et je pêche la baleine et le phoque.
    L’étoile polaire est au sommet de ma tente.
    Mes oiseaux sauvages emportent leurs cris blessés.
    Mes chasses n’ont plus que des veines mortes
    et mes couteaux se brisent au fil du temps.
    J’ai la mort au bord du regard
    sur ta tombe, un soleil et une lune contre les ténèbres.
    Ma carène glisse dans le jour gris.



    Gérard Chaliand, Feu nomade, 4 [Chambelland, 1972], in Feu nomade et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 70. Préface de Claude Bugelin, Postface d’André Velter.






    Gérard Chaliand, Feu nomade







    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Cause littéraire)
    entretien avec Gérard Chaliand : « La poésie nomade »
    → (sur le site de la revue Possibles de Pierre Perrin)
    une recension de Feu nomade (12 novembre 2016)





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  • Anne Calas, Honneur aux serrures

    par Angèle Paoli

    Anne Calas, Honneur aux serrures,
    Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait,
    29410 Plounéour-Ménez, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « JE DÉBORDE À LA MARGE »



    Honneur aux serrures. Quel titre ! L’association est inattendue. Et si le lecteur pense trouver ici tout l’attirail du parfait serrurier, il sera vite déconcerté. Association de malfaiteurs, alors ? Non, bien sûr. Car il s’agit de poésie. La maîtresse d’œuvre de ce recueil est Anne Calas, dont les précédents ouvrages m’ont déjà sensibilisée à l’originalité de l’écriture. Avec ce dernier opus qui met les serrures à l’honneur, la poète, qui est aussi comédienne chanteuse jardinière, mécanicienne à ses heures (garagiste ?) et surtout grande amoureuse, poursuit son entreprise d’ouverture d’« espaces poétiques ». Et pour permettre au champ des possibles d’avoir lieu, il faut faire sauter les serrures. Les serrures antérieures. Celles du passé de la langue du langage de l’écriture. Et du sexe. Il y faut un optimisme lumineux, une confiance exubérante dans l’amour qu’elle porte à celui à qui elle dédie son livre (à Yves). « J’écrirai toujours pour toi », écrit-elle. Rien n’arrête Anne Calas. Rien n’arrête son élan son bonheur à dire et à nommer. Son bonheur est plénitude.

    Le déverrouillage se fait en deux temps (au moins) :

    « en hiver, au printemps, honneur aux cylindres ! »

    « à l’été, honneur aux serrures ! »

    Huilées par le sperme de l’amant, les serrures sautent :

    « Le grand foutroir et dans ma bouche le mur absorbe le soleil d’hiver. Une éponge de miel, un liquide marié de meringue sur le pont aux serrures. Yeux noirs de l’enfant Océan chérubin-charbon. Il est midi. »

    ou encore, côté femme :

    « si je pouvais l’être enfoui et chaque jour

    cet éblouissement de framboise écrasée

    cette sidération adolescente à la bouche charnue

    tendre douce

    qui sait con      tente       [tout] »

    On le comprend aisément, cet Honneur aux serrures est un long chant d’amour. Qui offre toutes les palettes du sentiment amoureux et en renouvelle l’énergie : fantaisies, exigences, tendresses, jeux sont conviés sans réserve… Même si le chant d’amour se construit « au milieu d’un grand vide »

    « parce qu’un beau jour un amour

    arrive ».

    Le chant s’ouvre sur des retrouvailles après un temps d’absence et s’enfle d’aveu en aveu avec des poèmes qui montent en puissance au cours des trois sections. La dernière étant, à mon sens, la plus exaltante. Et l’on passe de l’indécence candide et comique d’une scène réjouissante :

    « […] tu ris

    de me regarder

    danser sur le lit       pisser debout

    devant toi

    dans la lumière du matin »

    à la douceur extrême de la caresse

    « […] extravagante perception

    de l’amour, main pleine

    d’un duvet de cygne »

    pour s’affirmer dans la revendication :

    « Je revendique le droit d’aimer. Sans défense à la grille. Sans fruits déjà noués. »

    L’amour se décline à chaque instant, jusque dans cet aveu bouleversant :

    « Ce n’est pas grave si le temps passe, ce n’est pas grave.

    Je t’aime dans mes ruines. »

    Ainsi Anne Calas ose. Elle dit, suggère parfois plus qu’elle ne dit, avec des images fruitées, colorées, savoureuses, les suavités du sexe rendu à sa jeunesse adolescente. Joueuse, aussi. Elle joue avec les associations inattendues d’objets d’idées d’actions. Parfois jusqu’à l’incongruité mystérieuse dont seule la poète détient les clés :

    « Sous la cloche de verre une râpe, scories de temps, anneau de Saturne comme pleurerait le papier. »

    Dans le même poème, on trouve aussi cette sidération devant sa propre création :

    « L’illusion et la vérité, splendeur des mots sur la page et leurs bouleversements stellaires. »

    Le territoire qu’explore Anne Calas est riche — rivière / fleuve / lacs / terre / maison / « rideaux fleuris » / allées plantées d’arbres / jardin avec fleurs / mer… — qui se découvre dans la plénitude des saisons et dans la variété des plaisirs qui s’y déclinent. Gourmandises et saveurs, « brassée de pêches blanches », mais aussi petits bonheurs du jour qui se vivent dans le partage et dans la simplicité de la présence. Jusque dans le suspens des gestes :

    « tu es là, dans la cuisine, assis depuis longtemps,

    tu m’attends ».

    Dans les différentes sections du recueil (trois en tout), on trouve de quoi danser et rire, de quoi jouer et de quoi ravir l’amant :

    « et je te vois :

    sidéré devant ce gris-gris revenu du néant

    un soutien-gorge suspendu au lustre de l’entrée

    un feu de plein été… »

    En dehors de l’amant, on croise tout ce qui constitue le territoire intérieur de la poète. Tout ce qui a modelé ses goûts son caractère sa personnalité. Chanteurs et chansons, Alain Bashung et Bob Dylan, spectacles de jongleries (Rosie Rose), auteurs affectionnés. Henry Miller ; Samuel Beckett — Cap au pire ; mais aussi des poètes comme Mathieu Bénézet et Dominique Fourcade… Et d’autres encore, dont la présence se manifeste par des citations en italiques. Ainsi de ces deux vers :

    « mâchouillement obscur entre les ventres des bateaux amarrés », empruntés à La Naissance du jour de Colette.

    La toute première section de la première partie du recueil — « ceci est » — offre à elle seule un échantillonnage intéressant de ces paysages, y compris dans la forme du poème. Ainsi de ce poème qui commence comme un inventaire et se poursuit sur des équivalences inattendues alliant nature et mécanique, marquées par le signe = :

    « trois étoiles orangées

    un coussin        moelleux

    deux étincelles

    dans le carburateur =

    une maison un chemin collimateur à douze tilleuls

    six marronniers détonateurs ».

    Deux pages plus loin, la poète poursuit son jeu des associations où s’unissent les contraires :

    « les pavés débordent

    de pollens

    = territoires en pointillés ».

    Il arrive que la poète utilise les crochets. Elle y range quelques mots. Sans doute pour ménager un ralentissement, ou même une pause dans le rythme effréné qui est le sien. Cela prend parfois la tonalité d’un aparté. D’une confidence qui vient adoucir le contexte. Qui met l’accent sur l’intime :

    «[…] je m’allonge

    dos vibrant comme

    un champ électrique

    ouvrant sur [ma petite chambre]

    je t’espère — anatomie

    pont suspendu     mon amour »

    ou au contraire une insistance : « [je veux dire ça] » qui vient appuyer une métaphore culottée.

    « la maison flotte dans un printemps que l’été serre de près marque

    à la culotte [je veux dire ça] ».

    Je ne peux m’empêcher de sourire à ce « ça » qui me renvoie inévitablement au « ça » de Nathalie Sarraute. Je ris de la transformation qu’Anne Calas lui fait subir. Je ris aussi de la volonté attendrissante et têtue que manifeste la poète pour donner à sa « culotte » une présence dans le poème sans l’ajuster pour autant à un contexte travaillé. J’aime cette liberté de ton si particulière et tout compte fait, assez peu courante, qu’a Anne Calas dans son écriture.

    Il y a beaucoup à dire encore, tant est riche la foisonnante inventivité de la poète. Jusqu’où cette énergie débordante ? Lorsque dans le poème 15 de « absolutely sweet Mary », la poète écrit :

    « J’apporte enfin une chaise pour m’asseoir. »

    le lecteur est tout étonné de cet aveu inhabituel sous la plume d’Anne Calas.

    Ainsi lire ce dernier ouvrage et les poèmes qui le composent, c’est se laisser prendre dans le tourbillon de la vitalité de la poète, dans son énergie vitale, dans sa soif inextinguible de l’amour. C’est partager un moment de vie qui entraîne dans sa verve créatrice. Car, outre cette vitalité insatiable, Anne Calas a un talent fou. Et cet Honneur aux serrures est une promesse de plaisir pour qui accepte de pousser la porte. Un plaisir qui va croissant au fur et à mesure que l’on progresse dans l’aventure qu’elle nous livre. Sans retenue, avec la prise de risque que cela comporte.

    Entrer dans les « paysages/intérieurs » d’Anne Calas, c’est faire le choix du multiple. Il y a bien sûr des lieux de prédilection parmi lesquels la maison au pied du Ventoux, ses « effarements d’ailes », ses « persiennes angéliques », ses « sauges bleues » et ses « accélérations verticales ». Mais il y aussi des écarts qui se vivent au-delà des cartes, hors lignes :

    « je déborde à la marge »

    écrit Anne Calas. Des écarts comme je les aime, ceux que je retrouve dans le tout petit poème suivant :

    « silence

    tout se défait

    il tiède encore immaculé

    presque personne ici ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Anne Calas, Honneur aux serrures







    ANNE CALAS


    Vignette anne calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Anne Calas





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  • Lydia Padellec | « Île muette », II



    ÎLE MUETTE, II (extrait)




    Elle se balance dans la brume comme un hochet d’enfant ou comme dans son rocking-chair une vieille tricotant maille après maille ses souvenirs pour mieux les retenir. Elle se balance dans le silence d’un bateau fantôme. Tangue comme une bouteille à la mer. Sans message à l’intérieur. Sans mot ni secret. L’île. L’île en moi est muette.




    L’île en moi — caillou granuleux coincé dans la gorge — grandit et ne connaît pas son nom. Les mots s’y cachent comme dans la grotte de Platon. Je n’entends qu’un écho lointain de leur soupir.




    L’île creuse en moi, étiole ma chair — je fixe l’horizon à perte de souffle.



    Lydia Padellec, « Île muette », II, Mélancolie des embruns, Al Manar, Collection Poésie, 2016, pp. 21-22-23. Aquarelles de Catherine Sourdillon.






    Lydia Padellec, Mélancolie des embruns



    LYDIA PADELLEC


    Lydia Padellec portrait
    Source




    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes


    [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] [extraits] (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
    Dans la nuit profonde du jour (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)
    Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    [Ma chambre, c’est mon sanctuaire] (extrait de Mémoires d’une enfant dérangée)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La mère [autre extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique (+ des extraits)
    → (sur La Pierre et le Sel)
    un entretien avec Lydia Padellec





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