Étiquette : 2016


  • Esther Tellermann [Un écho     un roman]



    [UN ÉCHO     UN ROMAN]




    Un écho   un
    roman que trace
    la roue embruns
    d’une lune
    partage des étangs
    et des chaumes.
    Vous aurez été le

    cœur de ce qui

    n’a pas cru
    je lavais votre

    bouche
    vous inquiétais
    d’océans et
    de rumeurs.




    Puis j’écrivis
    une lettre comme
    un livre
    qui s’ouvre
    comme un centre
    s’épuise et

    meurt    comme
    sources        se noient
    je défaisais les
    chapitres et

    les deuils
    forêts hantaient
    les infinis
    qui poussent
    dans les silences
    je brûlais
    sous votre nom

    des cendres.



    Esther Tellermann, Éternité à coudre, Éditions Unes, 2016, s.f.






    Esther Tellermann, éternité à coudre





    ESTHER TELLERMANN


    Esther tellermann





    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes


    Éternité à coudre (lecture d’AP)
    Carnets à bruire
    Corps rassemblé (lecture d’AP)
    [Pour elle il voulut] (extrait de Corps rassemblé)
    [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    [Jours firent de toi ma teinture]
    [Onde] (poème extrait du recueil Voix à rayures)
    Première version du monde (lecture d’AP)
    Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
    Voix à rayures




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau Recueil)
    L’indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net)
    François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poème)
    une lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP





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  • Joël Bastard | [Assis à côté, à la proue d’un navire]



    Kerouac-by-origa
    « Sur la route, nous écrivons tous en regardant devant »
    Jack Kerouac by Origa
    pen & ink + pantone, 15 × 15, 2008.
    Source








    [ASSIS À CÔTÉ, À LA PROUE D’UN NAVIRE…]




    Assis à côté, à la proue d’un navire figé dans le noir, j’écris, comme de loin, sur une table de cuisine encombrée de vaisselle et de papiers froissés. J’aime voir l’encrier lourd de tous les possibles et que je sollicite avec humilité. Du moins j’essaie.



    Il avance, son regard de côté. Immobile, il écrit de côté. Sur une table encombrée de farine, de verres vides, de moutarde et de pommes de terre. Là-dedans les outils de sa présence. Des feuilles griffonnées s’étalent sur sa droite. Vers la fenêtre fermée qui donne sur les toits d’autres feuilles griffonnées de présences fugitives.



    L’homme aux seins nus écrit de côté, dans une cuisine en Bretagne, sur une table encombrée de papiers et de tasses, d’une poivrière, d’une pomme ; ce sera la première fois de sa vie qu’il utilisera la beauté indécise d’un point-virgule avec le désir d’un titre de livre aussi long que son contenu. Un eucalyptus tremble par-delà la fenêtre dans un jardin, et des corneilles claquent leurs ailes sur les ardoises glissantes. Elles aiment aussi la bâche verte qui gonfle sur la prison où se croisent sans cesse des charpentiers courbés sur une scie qui brille.



    J’écoute ma voix qui répète ce que je viens d’écrire. Celui qui écoute s’étonne de celui qui vient d’écrire et s’attendrit d’une certaine solitude. Il demande à l’autre de ne pas le laisser seul. Continuons donc d’écrire.



    J’ai si peu de choses à donner. Un morceau de fer dans l’allée d’un parc. Une tâche de rouille sur un portail cadenassé. Une jetée qui plonge comme un chemin en forêt. Un vol d’étourneaux qui rabat le ciel entier dans la fourrure d’un arbre. Si peu de choses à donner. La gaieté d’un homme qui vient de perdre un ami. Si peu de choses à donner. L’espérance d’une femme. La neige qui tombe en ce moment dans tous nos jardins et l’eau inéluctable.



    J’écris vite, sans regarder en arrière les feuilles qui s’accumulent sur la table de la cuisine. J’écris en descendant la feuille, comme tout le monde. En réalité, lorsque nous écrivons, l’écriture est devant ! C’est ce qu’avait bien compris Jack Kerouac en tapant à la machine Sur la route, sur un unique rouleau de papier qui se déroulait, sur le sol, au-devant de son bureau. Sur la route, nous écrivons tous en regardant devant.



    Aussi cette peur de perdre le plus important d’aujourd’hui. Tant d’efforts pour ne pas perdre aujourd’hui.



    Joël Bastard, Une cuisine en Bretagne, Éditions LansKine, 2016, pp. 31-32.






    Une cuisine en Bretagne






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes

    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Bakofé
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)
    Le visage de Mah



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le blog de Joël Bastard
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la page de l’éditeur sur Une cuisine en Bretagne
    → (sur YouTube)
    une lecture musicale d’Une cuisine en Bretagne par Joël Bastard





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  • Rae Armantrout | Saved



    SAVED




    That job.    The tabulator
    empty figures
    you enjoyed the rhythm of.

    In heaven already?



    ‘Nothing

    to speak of’
    you said.
    But I was driven.



    I read aloud

    Old Lao-Tze’s quiet field
    his empty rivers.

    Making speech a raft



    Rae Armantrout, Extremities, The Figures, Berkeley, CA, 1978.






    Rae Armantrout, Extremities









    SAUVÉS




    Ce travail.    Tabulation
    figures vides
    dont tu aimais le rythme.

    Déjà au paradis ?



    « Rien

    à dire »
    as-tu dit.
    Mais j’étais déterminée.



    Je lisais à voix haute

    Champ calme du vieux Lao Tseu
    ses fleuves vides.

    Faire de la parole un radeau



    Rae Armantrout, Extrémités, suivi de L’Invention de la faim, éditions Corti, Série américaine, 2016, page 41. Traduit par Martin Richet.






    Rae Armantrout, Extremites






    RAE  ARMANTROUT


    Rae Armantrout 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Corti)
    la page de l’éditeur sur Extrémités de Rae Armantrout
    → (sur Poetry Foundation)
    une page sur Rae Armantrout
    → (sur le site de Editions Eclipse)
    le texte intégral (en anglais [américain]) d’Extremities de Rae Armantrout




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  • Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants

    par Angèle Paoli

    Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants,
    Éditions Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno,
    2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « JE NE CESSERAI D’ÉCLORE QUE POUR CESSER DE VIVRE » (COLETTE)



    Qu’est-ce que vous racontez là ?

    — Un conte.

    — Ce n’est donc pas une histoire vraie.

    — Pourquoi ?

    — Ce n’est pas vraiment arrivé.

    — Mais si.

    — Alors Le Petit Chaperon rouge ?

    — C’est une histoire vraie.

    — Comment le savez-vous ?

    — C’était moi. J’ai eu très peur.

    Ce moment de dialogue aurait pu figurer sous la plume de Marguerite Duras. Ou dans le dernier ouvrage d’Ariane Dreyfus. Le Dernier Livre des enfants. On pourrait, par exemple, le retrouver dans la bouche de Victor et de Luna. Et pourtant non. Il est emprunté à Guillevic, cité par la poète dans son précédent opus anthologique, Moi aussi, paru en 2015 aux éditions LD (Les Découvreurs) mais aussi dans Une Lampe allumée si souvent dans l’ombre, publié en 2012 chez Corti. C’est dire s’il y a chez Ariane Dreyfus continuité d’inspiration d’un recueil à l’autre. Une continuité qui passe par une harmonie constante entre livres et enfants ; laquelle est portée par une voix reconnaissable entre toutes, une musique singulière qui puise au plus profond de notre terreau commun que façonnent les contes anciens et notre Histoire.

    Ariane Dreyfus aime les histoires. Elle aime aussi les enfants. Elle aime les chats. Les enfants et leurs aventures, les chats et leur présence solitaire. Elle aime l’amour. Elle aime raconter. Elle aime les mots. Elle aime les livres. Ceux qui ont marqué son enfance, ceux sur lesquels elle travaille, en classe, avec ses élèves. Ceux des autres. Ils peuplent et habitent les siens. Elle ne s’en cache pas. Au contraire, elle les cite, elle les invite à sa table d’écriture. Et elle est aussi une grande cinéphile. Tout cela, qui est présent dans l’ensemble de ses recueils, l’est aussi dans Le Dernier Livre des enfants, qui tisse avec les œuvres de référence un réseau serré d’allusions et de correspondances. Tout cela fait sens et constitue l’œuvre d’Ariane Dreyfus. De 1993 à aujourd’hui.

    La poète aime écrire.

    « Des éclats sauvés de moi sont jetés

    En écriture

    Chaque mot roule contre le corps d’un autre

    Le ciel, aussi, entre deux branches ouvertes… »

    Elle aime par-dessus tout la poésie qui est « action visant à nous rendre à nous-mêmes un peu plus habitables ».

    La particularité de son dernier recueil est qu’il s’ouvre sur un aphorisme : « J’écris parce que je vais disparaître ». Tout au long de l’ouvrage, la poète va décliner ce vers selon des variantes multiples venues de voix multiples, poète et enfants :

    « La nuit je pense à demain pour ne pas mourir. Rayane » […]

    « On se réveille tous les jours à tous les instants pour ne pas mourir. Patrick Dubost » […]

    « Toute phrase contient un verbe pour ne pas mourir. Je ne suis jamais loin de la personne que j’aime pour ne pas mourir, dit Loïc. » […]

    « Aujourd’hui est un jour parfait pour ne pas mourir. Patrick Dubost » […]

    « Poésie : un bracelet pour ne pas disparaître. Ian »

    D’autres voix encore émaillent le recueil : celles de Marie, de Hugo, de Maxime, de Laura, d’Hortense, de Marin, de Sonia. Ian et Sonia, à nouveau. Celles aussi d’autres poètes, cités en exergue. Colette, János Pilinsky, Frank Venaille. Voici d’ailleurs un extrait de la citation proposée par Ariane Dreyfus :

    « Les poèmes sont comme des frères orphelins qui appellent leur père dans la nuit… »

    Ces variations sont autant de cailloux semés à travers les poèmes pour affronter la solitude et traverser la mort à cloche-pied. Il suffit de les suivre d’une section à l’autre (il y en a cinq au total) pour trouver un chemin de lecture et qu’agisse le vertige d’une « émotion [qui] ne dit pas “je” » (Gilles Deleuze) :

    « Ce sont des lumières que je vous raconte, de simples lumières. »

    Ariane Dreyfus écrit. Afin que « la mort ne voie rien ». Elle écrit des poèmes qui racontent des histoires. Des histoires d’hier et d’aujourd’hui, inspirées par des films ou par des romans. Ainsi de l’épopée maritime d’Emily, pleine de périls et de rebondissements, qui se déroule en onze épisodes et en pleine mer. Avec elle, tous les enfants qui occupent les devants de la scène d’Un cyclone de la Jamaïque (un roman de Richard Hughes, 1929 ; adapté au cinéma par Alexander Mackendrick, 1965).

    « Chacun pousse un cri qui entre

    Dans le cri d’un autre et devient un royaume. »

    Et même si les pirates sont là

    « Assis pour recoudre les voiles », Emily, elle, continue de faire comme si de rien n’était :

    « Elle fait danser sa langue

    l’air de rien

    Pour faire jouer l’enfermée vivante

    Qui ferait toc toc toc… »

    Et Ariane de conclure, philosophe :

    « Même sans être engloutis par l’océan on sera engloutis. »

    Il y a aussi, inspirés par Danse avec les loups de Kevin Costner (1990), les poèmes-aventure d’une jeune Indienne sauvée par le « fils du chef » et cette conclusion énigmatique d’Ariane Dreyfus dans « L’un d’eux » :

    « Et moi, en écrivant, je ne quitte personne

    Par où je passe »

    Et plus loin, dans « 17 ans tous les deux », ce très beau vers qui relie entre eux temps, espace et méditation :

    « Chaque instant est un creux où il aime réfléchir. »

    D’autres personnages peuplent la poésie d’Ariane Dreyfus. Dans le poème « Sans regrets » — et son décasyllabe nervalien « avec des bords que le soleil rosit » —, ce sont les adolescents Victor et Luna du film d’Alix Delaporte, Le Dernier Coup de marteau (2014). Dans « La Campagne », poème inspiré par Pauline et François (Renaud Fély, 2010), le deuil de Pauline est introduit par ces vers d’ouverture à l’autre et d’apaisement :

    « Ouvre la maison, entre

    La lumière du jour

    Découvre qu’on ne pleure pas

    Sur la neige intérieure

    Les murs nus la laissent entrer

    Dedans, les choses ont cette façon de nous attendre

    De ne pas juger d’une douleur ».

    Il n’est nullement possible d’ajouter quoi que ce soit sans risquer d’abîmer ce qui est perfection.

    Le poème d’ouverture du recueil, tout en étant très différent par le sujet traité et par l’époque dans laquelle il s’inscrit, donne cependant le ton, qui est celui d’Ariane Dreyfus, à la fois sérieux et ludique. Sérieux et débordant d’une fraîcheur malicieuse d’enfant.

    Intitulé « Sans rien déranger du monde », ce poème a été écrit à partir d’une présentation faite par Ludovic Degroote au Musée des Beaux-Arts de Lille. Autour du Festin d’Hérode. L’œuvre présentée étant un bas-relief en marbre du sculpteur italien Donatello (XVe siècle). Ce long poème évoque Salomé dansant, mais il met aussi l’accent sur un enfant endormi au bas du grand escalier derrière lequel se déroule la scène. L’enfant, las de contempler la danseuse et ses ondulations ophidiennes et marines, s’est endormi :

    « Ses bras sont repliés, il y presse sa joue et son ventre

    Salomé danse encore, elle passe sous le grand escalier,

    mais l’enfant qui s’y est posé pour dormir

    Sur sa joue sans rien déranger du monde

    Fait un geste plus vrai… »

    Poursuivant son cheminement, la poète s’interroge sur le devenir de l’œuvre qui laisse entrevoir une fissure en haut de l’escalier, preuve que le bas-relief est en train de se détériorer. Mais la fente ainsi ménagée permet à un oiseau de passer. L’escalier prend soudain toute sa grandeur, toute sa force, toute sa luminosité. Et la poète de conclure, à la fois malicieuse et remplie d’une impatience enfantine :

    « Si j’étais là, toutes les marches

    Je les monterais pour aller voir

    Et même y poser mon menton

    Ce qu’il y a dans le beau trou d’oiseau

    Son écorchure

    L’air déjà refroidit mon visage

    Je veux regarder dehors ! »

    Le Dernier Livre des enfants se clôt sur une partie dite « Annexe » qui reprend « Un chantier de poème » déjà présenté dans Poezibao. « Un poème contre l’excision ». Un poème qui dit le combat mené par Ariane Dreyfus. « Le chantier » retrace les épisodes de création et de réflexion, les strates des brouillons et des différentes versions du poème. On assiste au travail de l’écriture et aux états successifs du poème. On retrouve le poème dans sa version définitive dans la seconde section du recueil. À partir d’une infime douleur passagère — « une brûlure me passe entre les cuisses » —, Ariane Dreyfus imagine ce que peut être la douleur infligée aux jeunes filles que l’on soumet à l’acte barbare et cruel qu’est l’excision. Intitulé « Un soir d’été », le poème, tout en contrastes, retrace en quelques vers une scène d’excision. La poète conclut son évocation par ces vers où s’expriment sa volonté et l’affirmation de son combat pour sauvegarder son intégrité de femme et pour préserver sa liberté :

    « J’ouvre encore l’armoire

    Pas pour regarder dedans

    Mais pour ne plus bouger

    Ou bouger

    Puisque c’est comme je veux,

    Même nue, c’est comme je veux ».

    Le Dernier Livre des enfants recèle bien d’autres surprises. Ainsi cet hommage au poète Pierre Garnier dans la section intitulée Poèmes pour que l’air passe.

    Par-delà tout ce que l’on peut vivre en lisant Le Dernier Livre des enfants, il y a la poésie d’Ariane Dreyfus, qui surgit comme une eau pure dans le labyrinthe des histoires. Le recueil regorge de pépites qui étonnent ; qui ravissent et sidèrent. Ainsi ces vers cueillis au hasard en feuilletant l’ouvrage :

    « On ne rentre pas dans la mort on y disparait »

    ou

    « Le ruban noir s’envole,

    il remue au-dessus du visage

    Ses courbes aiment le vide généreux du ciel »

    ou bien :

    « C’est beau un visage

    Quand la tristesse n’arrive pas à se poser »

    ou encore :

    « Suis-je consciente d’être un papillon quelque part ? »

    Papillon, mouette, chat enlové au creux des courbes, Ariane Dreyfus est tout cela à la fois. Mouvante émouvante, elle bouge avec les mots, elle fait bouger les mots pour nous, elle bouge avec ceux qu’elle aime. Elle aime la vie, elle aime l’autre qu’elle côtoie et qu’elle regarde avec tendresse.

    À Colette — sa passion pour Colette — (cf. « Le cri chanté » in La Lampe allumée si souvent dans l’ombre) qui écrit dans Le Blé en herbe :

    « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre »

    Ariane Dreyfus répond en un écho qui souligne la parfaite enharmonie avec la grande romancière :

    « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre ».

    Gageons qu’il y aura bien d’autres livres après Le Dernier Livre des enfants. Parce que l’écriture est une nécessité et qu’elle « peut faire de la vie quelque chose de vertigineux, l’air de rien », écrit Ariane Dreyfus dans La Lampe allumée si souvent dans l’ombre. Le vertige, ici, celui que suscite l’écriture de la poète, est de l’ordre de la beauté et de l’énigme. Non pas une beauté figée et hiératique, mais une beauté mouvante, qui respire et qui se meut, dans sa complexité, au-delà des apparences.

    « La beauté, je la laisse s’écarter

    Est beau ce qui respire. Est belle.

    À partir de l’évidence, c’est compliqué un reflet :

    Un surcroît d’existence, mais la même,

    Une solitude qui commence à la racine. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ariane Dreyfus.jpg 2






    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)






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  • Jacques Lèbre | Le vent



    LE VENT





    Que cherchait-il, le vent
    que j’entendais fouiller dans les arbres
    (comme une main fouille sous une robe ?)
    un soir dans la nuit du parc fermé
    où virevoltaient les feuilles de novembre ?
    pas les oiseaux rentrés dans leur nid,
    ni ce quelconque outil de jardinier
    abandonné sous la lueur d’un réverbère.
    Peut-être une conversation ? De simples paroles
    échangées dans l’après-midi sur un banc,
    auraient-elles pu articuler son souffle
    issu du mouvement d’un océan
    qui là-bas déglutit tous les silences ?



    Jacques Lèbre, « Le Vent » in L’Immensité du ciel, La Nouvelle Escampette éditions, Collection Poésie, 2016, page 30.






    Jacques Lèbre, L'Immensité du ciel 1






    JACQUES  LÈBRE


    Jacques-Lebre
    Source



    ■ Jacques Lèbre
    sur Terres de femmes

    [Juste avant que nous repartions] (extrait de Sous les frissons de l’air)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Jacques Lèbre
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture de L’Immensité du ciel, par Georges Guillain




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  • Alain Guillard, Quête du nom

    par Gérard Cartier

    Alain Guillard, Quête du nom,
    L’Amourier, Fonds Poésie,
    Collection dirigée par Alain Freixe,
    2016.



    Lecture de Gérard Cartier


    SATURNIENNES




    Si Alain Guillard n’est pas tout à fait un inconnu (il écrit depuis longtemps, a été publié par de petits éditeurs méritants et on a pu le lire dans diverses revues), Quête du nom est sans doute son œuvre la plus ambitieuse. Un bel exergue, emprunté à Ottavio Paz, explicite son projet : « La poésie n’est pas la vérité : elle est résurrection des présences ». Ceux qu’il s’est donné pour tâche de sauver de l’oubli, évoqués en un ressassement obsessionnel à quoi le livre doit beaucoup de sa force, ce sont ses parents, tous deux morts inapaisés et qui le hantent par delà les années. Un livre de la mort et de l’impossible résurrection, dédié « à toutes et à tous, à personne ».

    Le livre s’ouvre brutalement sur celui qui en est la figure centrale : « Aujourd’hui, le père a lâché la porte sur le vide ». Sa présence sombre, désolée, incomprise, se profile presque à chaque page. De sa condition d’ouvrier dans l’automobile, puis d’homme à rien faire, Alain Guillard ne nous montre rien. Les scènes où son père apparaît, terriblement insistantes, celles qui ont frappé l’enfant qu’il fut (« J’aimerais tant qu’il y en eût d’autres »), le montrent en proie à l’ivresse et à la solitude, « le visage décalqué sur les vitres des bars avoisinants », y cherchant un semblant d’épanouissement dans des rêves inconsistants, « châtelain d’Espagne sur le fleuve du zinc ». Et l’image de ce père condamné à une vie précaire, qui se refusait à son fils, que celui-ci se désolait de ne pouvoir aider, le poursuit jusque dans l’âge, comme ces spectres non consolés par les rites qui viennent tourmenter les vivants.

    Tu bois à ton comptoir

    Dehors bouffées grises glacées d’automne, fumées automobiles,

    haleines témoignant d’un séjour, pattes de mouche d’un amour

    Ce qui ne rit plus pour toi/ Ce qui

    Ta silhouette effondrée lentement

    La carcasse qui résiste/ Digne

    Mince comme un serment

    Au-dessus du cercueil cerisier se dépiaute

    (la peau autour des yeux des ongles et même des lèvres)

    C’est ainsi : La lumière nous quitte peu à peu ou d’un coup.

    Ou c’est nous qui quittons la lumière pour rejoindre la terre où étouffer

    nos faims nos peines et nos faims

    Quel appétit monstrueux il faut pour vivre !

    La mélancolie des paysages de la banlieue parisienne, quelque part entre La Défense et La Garenne-Colombes, un univers d’immeubles gris, de murs de brique, d’usines désaffectées aux toits de tôle, redouble le sentiment de déréliction qui naît de l’évocation de l’homme – mais, au-delà d’une certaine détermination sociale (un poème est sous-titré « conscience de classe »), on comprend que ce qui l’a perdu, c’est son propre démon. Alain Guillard dresse ici, dans le chagrin et le ressentiment (« Pardonner n’est pas oublier »), un étrange tombeau à ce père absent, divorcé de la vie, qui éteignait le désir et la pensée dans un « vin âpre et pourpre, de moindre qualité » ; et, tout effondré que celui-ci ait été, sans l’accepter ni le comprendre vraiment, il parvient à nous le faire éprouver de l’intérieur, avec une voix qui fait parfois penser à Mathieu Bénézet :

    L’homme s’était retiré – laissant l’ivraie envahir – âme blessée léchant

    ses plaies dans l’oubli des cafés  –  criant alors  –  sa parole divaguant

    négligée.

    Sa mère aurait pu offrir un recours et une consolation rétrospective à l’adulte qui titube sous le poids du passé. Il n’en est rien. Tôt divorcée, mal remariée, astreinte pour subsister à d’ingrates tâches de ménage, son souvenir est lui aussi miné par l’amertume, manifestée en quelques images récurrentes : ses cheveux gris, son visage voilé par la fumée des gauloises, une fenêtre sur la ville, les larmes. Elle, sa faiblesse était un effondrement du sentiment de soi qu’Alain Guillard définit magnifiquement : « terrible blessure à soi-même qu’on a laissé s’infecter », qui nourrissait une haine persistante des autres (l’ancien époux, la société) et d’elle-même, et dont, malgré l’amour qu’il lui portait, l’enfant (« son sanglot était tocsin dans mon corps d’enfant ») puis l’adolescent ont été profondément blessés. Ressentiment accru par un nouveau drame : «  …le suicide de mon frère résonna comme verdict de mort envers elle ». Le seul souvenir heureux qui vienne rédimer ces années est celui d’une grand-mère qui accueillait l’enfant les jours de garde du père, que l’auteur dépeint avec tendresse – et on lui sait gré de ce soupirail dans la cave du malheur.

    On ne guérit pas des blessures des premiers âges (« Il faudrait enfermer l’enfance à triple tour et oublier la clé »). L’enfant a intériorisé les tensions familiales au point d’avoir été contaminé par la haine qui s’échangeait autour de lui. L’âge a pu l’amoindrir, la changer en rancœur, non l’effacer : l’ombre portée de ces années de pauvreté, d’humiliations et de déchirements couvre encore l’homme à distance – fatalité du malheur qui l’a jeté un moment sur des traces honnies (« C’était pour moi le début des années d’alcool »).

    Alain Guillard nous donne là un livre grave, sombre, empreint d’un sentiment qu’on pourrait dire saturnien tant il semble sans remède, qu’on sent profondément vrai, dénué d’ostentation, une souffrance ancienne qu’il prend et reprend pour tenter de lui donner forme dans la langue, sans parvenir à l’épuiser – comme ceux qui grattent sans fin la plaie qui les irrite. C’est évidemment, pour l’auteur, son ouvrage le plus important, l’un de ces livres intimes qu’on porte longtemps avant de s’y risquer et qu’on ne mène pas à bien sans une grande dépense – l’écriture s’échelonne sur une dizaine d’années.

    Comme le veut son ambition, il déploie toutes les formes possibles : vers (le plus souvent très libres), poèmes émiettés, aphorismes, brefs récits en prose, notations de journal. Ce qui le distingue surtout, c’est un usage abondant de l’italique (et, plus occasionnellement, du gras) pour souligner certains mots ; et, parfois, de brusques interruptions de la phrase, comme si la langue était impuissante à comprendre, et même à recréer le passé – ou bien par pudeur : « Onze ans déjà qu’elle. » Avec, parmi ces « moments mêlés », souvenirs sans date, images veuves, bribes de conversations, de belles trouvailles de langue : « Mince comme un serment ». Un livre prenant.



    Gérard Cartier
    D.R. Gérard Cartier
    pour Terres de femmes







    Alain Guillard, Quête du nom





    ALAIN  GUILLARD


    Alain Guillard





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Alain Guillard
    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    la fiche de l’éditeur sur Quête du nom d’Alain Guillard
    → (sur le site de Michel Diaz)
    une recension de Quête du nom




    ■ Autres lectures de Gérard Cartier
    sur Terres de femmes


    Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante
    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II
    Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux
    Emmanuel Moses, Ivresse
    Muriel Pic, Élégies documentaires



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  • Simone Molina | [tu n’es ni savant ni prophète]



    [TU N’ES NI SAVANT NI PROPHÈTE]





    tu n’es ni savant         ni prophète
    tu vas ta vie
    portée par le vent de la plaine

    tu vas

    l’embrasure des roches est un refuge
    sous la dent         le goût du sel

    le coton des images sous la paupière

    tu imagines
    l’oiseau de Magritte         sur les saisons
    elles avancent dans le pas du temps

    qu’écouteras-tu
    la fleur minuscule qui pourpre la couronne d’épine
    la lumière nimbant l’olivier
    les parures de verre d’un mât

    au-delà des ruines
    l’embrasement tardif des eaux
    après que l’averse a grossi la rivière
    après que le pont a lutté

    te rassembler sous le vent sera ton pari



    Simone Molina, Voile blanche sur fond d’écran, éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2016, page 13.






    Simone Molina, Voile blanche sur fond d'écran






    SIMONE  MOLINA


    Simone Molina
    Source




    ■ Simone Molina
    sur Terres de femmes




    L’Indien au-delà des miroirs (lecture de Cécile Oumhani)
    [étrange vision dans une nuit sans lune] (extrait de L’Indien au-delà des miroirs)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Simone Molina
    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la page de l’éditeur sur Voile blanche sur fond d’écran





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  • Paul de Brancion | [Il y a cette pluie]



    [IL Y A CETTE PLUIE]





    Il y a cette pluie

    dans les arbres

    au loin derrière les vitres

    couché au milieu de la nuit

    choc des gouttes

    contre la terrasse

    son sec de l’eau

    découvrant l’inanité destructrice

    attendre l’écroulement
    des parapets avec                    anxiété

    non

    sans indifférence
    la forêt du passé

    comme un souverain déchu

    frappe derrière les émaux

    de la lampe nocturne



    Paul de Brancion, Concessions chinoises, Éditions LansKine, Collection l’Instantané, 2016, page 62. Photographies de l’auteur.






    Concessions chinoises 3






    PAUL DE BRANCION


    Paul de Brancion
    Source



    ■ Paul de Brancion
    sur Terres de femmes


    Ma Mor est morte (lecture d’Evelyne Morin)
    Ma Mor est morte (lecture d’AP)
    Sur un bateau léger | Nant’a u ligeru battellu (extrait du Marcheur de l’oubli)
    Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Tristesse du soir] (extrait de Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre)
    Cheval aquacole (extrait de Rupture d’équilibre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site de Paul de Brancion
    → (sur YouTube)
    Paul de Brancion lisant des extraits de Concessions chinoises





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  • Anne Calas | [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui]



    [NI PRINCESSE, NI D’HIER NI D’AUJOURD’HUI]





    Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui ni se
    sentir, mais dans le vent une petite fellation
    blowing blowing. Une mèche sur le front,
    rectifier ta cravate, aplatir ton col, pincer ta
    veste. Un brin de fil blanc scrute les petites
    oreilles compliquées, paupières, narines.
    Contre la fatigue, l’éclat souvent doux de tes
    prunelles bleues, plage dactylographiée en
    trois langues regardant sur toi comme un
    gardien de musée. Et si j’étais un palace,
    viendrais-tu me visiter ? Je n’entends rien, la
    nuit est nue.



    Anne Calas, “blowing, blowing”, 11, in Honneur aux serrures, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2016, page 122.






    Anne Calas, Honneur aux serrures







    ANNE CALAS


    Vignette anne calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Anne Calas
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Anne Calas





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  • 21 novembre 1870 | Jacques Brémond, Lettre perdue

    Éphéméride culturelle à rebours



    21 novembre 1870



    Très mince très fine missive expédiée de Paris vers Londres par la voie des airs… En pleine guerre franco-prussienne. En 1870. De Paris assiégé par les armées teutoniques. Lettre mince fine légère de cinq ou sept grammes sur une seule page de papier pelure. Obligatoire vu le moyen d’acheminement imposé par les événements, Avant l’aviation ! Avant la poste aérienne ! Paris assiégé et les montgolfières devinrent postales pour quelques milliers de lettres. L’astuce des hommes ! La compagnie des Aérostiers de Nadar et ses amis se chargèrent à merveille de cette mission. Presque tous les ballons accompagnés ou non arrivèrent à passer par-dessus les lignes ennemies et à se poser en un quelconque coin de France. Parfois un peu plus loin, en Belgique, en Finlande. Les missives alors distribuées naturellement par la Poste. Quelques-uns de ces ballons furent attaqués et descendus par les armées allemandes, d’autres se perdirent en mer. Comme celui qui transporta la lettre d’Adèle, la mère, à Claude, la fille, expédiée de Paris le 24 novembre 1870, bureau de poste Place de la Madeleine, adressée à Mademoiselle Claude, chez une amie, Madame Goupil résidant alors au Royaume-Uni. Arrivée le 12 décembre de la même année après un séjour dans les eaux glacées de la Mer du Nord, aérostat dénommé Ville d’Orléans. Tous baptisés pour marquer l’intégrité du territoire sous les bombes assaillantes. Du séjour en eaux noires et nordiques, peu de traces, simplement la disparition du timbre-poste dans le coin supérieur droit. L’employé parisien avait pourtant bien apposé le cachet de port payé PD en rouge, petit cadre rectangulaire. La lettre n’est taxée qu’à son arrivée en terre anglaise. L’administration sans doute avertie agit avec une mansuétude bien rare à cette époque. Malgré les aléas de ce transport houleux et périlleux, la Demoiselle Claude obtient des bonnes nouvelles de sa famille restée en France occupée. Ses parents lui écrivirent tous les jours par le même moyen aérien. Ils sont bien à plaindre, ils attendent « le grand coup qui les délivrera » lui écrit sa « vieille petite mère Adèle » qui lui recommande d’être « tranquille et bien raisonnable » et lui dit le bien-être de ses oncle et tante… etc… etc. Léger babillage même en temps de guerre ! Il faut bien passer le temps quand on est prisonnier des prussiens ! Petite bourgeoisie qui sait lire et écrire, qui poste son courrier vers la fille protégée mise à l’abri à Londres, peut-être…



    Jacques Brémond, Lettres perdues, Courriers accidentés, Rougier V. éd., Collection Plis urgents, n° 41, complément de la revue ficelle, 2016, pp. 7-8-9.






    Jacques Brémond, Lettres perdues





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Vincent Rougier)
    la fiche de l’éditeur sur Lettres perdues de Jacques Brémond
    → (sur le site de la revue Traversées)
    une note de lecture de Xavier Bordes sur Lettres perdues de Jacques Brémond
    → (sur lelitteraire.com)
    une note de lecture de Jean-Paul Gavard-Perret sur Lettres perdues de Jacques Brémond





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