Étiquette : 2016


  • Lætitia Godefroy Colombot | [À l’ombre d’un pin japonais]



    [À L’OMBRE D’UN PIN JAPONAIS]





    À l’ombre d’un pin japonais
    jour timide
    soleil distrait
    une estampe en mouvement

    souffle léger du vent
    sol humide
    la veille la pluie a lavé la lumière
    la roche s’effrite sous mes pas

    le buis devenu rouge
    nappe la cime aux arbres nus
    les cades blanchissent
    dans le ravin en crue

    je suis, j’épie
    assise sur une pierre




    Je contemple la montagne
    oisiveté nourrissante
    regarder pousser une plante
    labeur du fainéant





    Lætitia Gaudefroy Colombot, Gardienne en terre sauvage, Éditions des Lisières, Collection Aphyllante, 26110 Sainte-Jalle, 2016, pp. 48-49.







    Gardienne en terre sauvage






    LÆTITIA GAUDEFROY COLOMBOT


    Laetitia
    Ph. D.R.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions des Lisières)
    la page de l’éditeur sur Gardienne en terre sauvage de Lætitia Gaudefroy Colombot





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  • Yves Namur, Les Lèvres et la Soif

    par Marie-Hélène Prouteau

    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif,
    Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 2016.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Yves Namur est un poète et éditeur belge de langue française. Son œuvre riche d’une quarantaine de titres a été couronnée par plusieurs prix prestigieux, dont, pour n’en citer qu’un, le prix Mallarmé.

    Ce recueil, Les Lèvres et la Soif, paru aux Éditions Lettres Vives, porte en sous-titre « Élégies ». Voilà qui pose la voix d’Yves Namur, de manière quelque peu nouvelle. Le poète du questionnement intérieur rajoute ici une corde à sa lyre et chante l’amour heureux sur fond de monde qui ne l’est pas. Car il s’agit bien ici de chant et de musique, les distiques et tercets élégiaques en sont une des marques.

    Plus encore, la structure musicale du recueil s’ordonne en deux parties bien marquées. Il y a le geste tendre du poète pour la femme aimée dans la première, auquel correspond celui de la femme dans la seconde : ce baiser donné et reçu et qui ne sera jamais nommé. Autour d’un simple mouvement, plus deviné qu’entrevu, une composition en miroir et variations, éminemment dynamique. La forme musicale enlace une guirlande de répétitions, réitérations posées puis reprises avec des variantes. Ainsi, le motif central de l’oiseau apparu dès le premier vers du recueil, « un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres », se voit repris plus loin, transformé, associé ici aux motifs de la soif et du poème :

    « un oiseau s’est penché sur tes lèvres,

    sur la fontaine de soif, sur un désir de pommes

    et de poèmes »

    Ce sont ces reprises qui enchantent. Telle encore l’apparition de la femme aimée qui ponctue le recueil, « et toi belle espérée de la maison » devenant « et toi, douce espérée du temps ».

    Quant au questionnement sur la création du poème en train de s’écrire, il traverse tout le recueil. Work in progress. Qu’est-ce qu’écrire un poème ? Et singulièrement un poème d’amour ? Est-ce, comme l’écrit Yves Namur, retrouver « le commencement des choses » ? Nous entendons la pensée vive prendre corps, en contrepoint de l’expérience amoureuse. Très souvent, l’italique la souligne, tel un arrêt spéculaire du poème sur lui-même :

    « un poème

    peut-il sortir du souffle de l’amour »

    Yves Namur a su composer une imagerie personnelle qui se déploie en un fin réseau : l’oiseau, l’abeille sur le fruit, la montagne blanche, le nuage et les hauteurs, la fenêtre, la fontaine sans eau — qui dessine en pointillé le motif de la soif, autre visage du désir. Le poète ne se départit pas de la simplicité qui lui est familière :

    « mène-moi dans le geste de l’air

    dans le nuage bleu de poussières et d’oiseaux »

    Et, lorsque le poème en éveil s’aventure au dehors, il célèbre la nature, à sa façon, toute en économie de mots et humilité poétique :

    « avec la rosée du temps

    avec la rose dansante dans l’herbe »

    Ce recueil renvoie aux poètes de prédilection d’Yves Namur. Philippe Jaccottet, Roberto Juarroz, Paul Celan sont là. L’exergue de la seconde partie nous renvoie à la lumière héraclitéenne qui en infuse chaque page. Comme à la conception de l’amour mystique de Rumi. Le poète persan qui voit en l’amour un principe de l’univers y est cité. La femme aimée, pour Yves Namur, est celle qui est « venue dans le cœur fatigué qui était le mien », jamais nommée, même dans la dédicace. Je et Tu, nous n’en saurons pas plus. Le parti-pris de la retenue n’exclut pas certaines images plus brillantes, celle de la femme comparée à une merveille, trouvée chez ce poète du XIIIe siècle.

    Pour dire ce geste amoureux du baiser, il suffit au poète de quelques mots, « bouche, lèvres, souffle », juste évoqués par métonymie. On est frappé par cette écriture oblique. À la matérialité physique d’un corps présent, quoiqu’à peine effleuré, touché, une image est substituée qui dépayse, déréalise, déporte le motif et sublime l’érotisme. C’est ainsi que l’oiseau-baiser devient « l’haleine d’un songe ou un charbon de neige ». La réalité vacille et bascule en un jeu de métamorphoses. Pointe le motif du charbon, de la brûlure d’amour qui sera repris plus loin, par glissement de sens, en cette image empruntée à Philippe Jaccottet, « comme si c’était du charbon ardent sur la bouche ».

    Le poète persiste à le dire, il chante la voix de la femme :

    « une voix remplie de poèmes,

    de pierres noires et de roses volantes dans les airs »

    Les « roses volantes » côtoyant des « pierres noires », voilà qui renouvelle le topos affadi de la rose. Le langage poétique existe à neuf. Sans emphase, à la mesure de l’émotion qui la fait naître. C’est que le bonheur amoureux ouvre la pente de la rêverie — les mots « rêve » et « songe » font retour dans plusieurs distiques. De nombreuses associations, telle celle du baiser, de l’oiseau et du ciel nous ouvrent un vaste monde analogique. Un imaginaire surréel dont « le ciel constellé de roses » nous emmène dans quelque tableau de Chagall. Ou de Magritte, avec « L’Oiseau du ciel », silhouette d’oiseau emplie de nuages qui traverse un ciel.

    « qui de l’oiseau ou du poème fut le premier dans les nuages,

    le premier à percer la muraille d’air et la muraille

    du vide »

    N’est jamais oubliée la part de la nuit, celle des douleurs quotidiennes entrevues par le poète, « larmes, solitudes, décombres » ; celle aussi de l’empathie absolue avec « l’homme fuyant le pays des cendres/et du triste ». Celan, nommé et cité dans un vers de La Rose de personne, Celan, toujours présent au cœur d’Yves Namur. Comment ne pas penser à La Tristesse du figuier ? Voilà qui relie le poète captif de son geste d’amant heureux à l’aventure tragique de l’humanité qu’il ne cesse de discerner autour de lui.

    Il est vrai que ce baiser à la femme aimée ouvre un horizon au-delà de lui-même. L’ombre tutélaire de Rilke y incite. Le poète de Prague est d’abord présent dans le sous-titre du recueil qui pointe en filigrane ses Élégies de Duino. De sa familiarité avec Rilke, Yves Namur retient le chant du monde, celui qui se donne à portée de main, dans « l’Ouvert », flux primitif de vie avec lequel l’homme, parfois, arrive à fusionner. Yves Namur nous invite à cette saisie authentique qui réponde à la « soif infinie d’être » qui le tient de recueil en recueil. Nous voici, à sa suite dans une de ses plus belles pages, « au bord de l’immense question ».

    Dans cet amour pour la femme, c’est ainsi autre chose qui est accordé : la capacité à sortir de soi, à aller vers « le cœur de ces hommes/qui ont marché avec les amours perdues/les prières et les pierres pesantes ». L’amour se fait le passeur qui met le poète de plain-pied avec les expériences humaines d’humbles compagnons. Lumineuse leçon qui clôt tout le recueil sur ce point d’orgue :

    « aimer encore

    et encore »

    Il faut entendre cette musique de la réitération, autour du verbe aimer, sans doute le plus banal, rehaussé par cette respiration de l’adverbe. On relève la tête du recueil. Quelque chose d’ample, d’universel, quoique ténu et humble, affleure.

    C’est la poésie qui chante, la poésie qui confère sa hauteur à la voix magnifique du poète.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif





    YVES NAMUR


    YVES NAMUR (1)
    Source




    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes


    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    Dis-moi quelque chose, « Le Printemps »
    [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres] (extrait des Lèvres et la Soif)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension des Lèvres et la Soif par Pierre Kobel
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Namur




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même



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  • Sabine Péglion | [L’eau s’écarte]



    Fleurs de pierre
    « Descends à présent
    vers la mer
    relever les filets du jour »
    Ph., G.AdC







    [L’EAU S’ÉCARTE]





    L’eau s’écarte    où ta main
    accepte    d’un silence
    mouvant    la fluidité
    habité d’écailles

    Éclairs saisis entre
    les mailles d’un filet
    à la dérive du temps

    Se glisser parmi ces cavités
    peuplées d’aiguilles noires
    fleurs de pierre
    dont nul cadran
    ne gardera la trace

    À peine quelques
    Griffures    sur ta peau
    attestent ton passage

    Cierges aux icônes
    délaissées
    à la cire fondue
    les cyprès lancent vers le ciel
    une prière

    Près du puits
    où l’olivier s’enracine
    dispose sur les marches
    le pain
    la jarre d’huile
    l’empreinte d’un désir

    Descends à présent
    vers la mer
    relever les filets du jour




    Sabine Péglion, « D’une rive à l’autre » in Faire un trou à la nuit, éditions La tête à l’envers, 2016, pp. 46-47. Gravures de Sabine Péglion.






    Sabine Péglion, Faire un trou à la nuit






    SABINE  PÉGLION


    Sabine Peglion




    ■ Sabine Péglion
    sur Terres de femmes

    Naxos (extrait de Ces mots si clairsemés)
    [La glace dans les verres] (extrait de Derrière la vitre)
    [Ombre noire] (extrait du Nid)
    Prendre le temps (extrait de Traversée nomade)
    Que sais-tu
    [Tu sais il n’est de lieu] (extrait d’Écrire à Yaoundé)
    Sabine Péglion | Jacques Bret, Australie, notes croisées (note de lecture de Cécile Oumhani)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Malhabile





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  • Vénus Khoury-Ghata | [Les pluies ont dilué le pays]




    [LES PLUIES ONT DILUÉ LE PAYS]





    Les pluies ont dilué le pays
    il y a une autre terre sous la terre
    une autre mer sous la mer disent celles qui balaient     l’océan
    des trésors dignes d’un palais de sultan
    escarpin de concubine noyée
    trône d’empereur qui incendia sa ville
    vaisselle de mandarin chinois
    bâton de maréchal
    collier de chien
    la Méditerranée rend ce qu’on lui prête
    les balayeuses font reluire les cuivres et le sémaphore     d’Alexandrie avec le même mélange de cendre et        de citron



    Vénus Khoury-Ghata, « Les Mères et la Méditerranée », Le Livre des suppliques, Mercure de France éd., 2015, in Les mots étaient des loups, Poèmes choisis, Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 267. Préface de Pierre Brunel.






    Vénus Khoury-Ghata, Les mots étaient des loups





    VÉNUS KHOURY-GHATA


    KHOURY-GHATA-VENUS
    Source



    ■ Vénus Khoury-Ghata
    sur Terres de femmes

    [Bras tendus vers le haut]
    C’était novembre (autre poème extrait d’Où vont les arbres ?)
    Compter les poteaux (poème extrait des Obscurcis)
    Ils sont deux figuiers (poème extrait de Quelle est la nuit parmi les nuits)
    Le caillou dans la main (poème extrait de Quelle est la nuit parmi les nuits)
    31 août 1941 | Vénus Khoury-Ghata, Marina Tsvétaïeva, mourir à Elabouga
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Les cheveux rouges de la mère
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de
    Vénus Khoury-Ghata (+ un poème extrait de Quelle est la nuit parmi les nuits)





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  • #in_memoriam #covid_19 Marcel Moreau | [Corps écrivant et éprouvant]




    [CORPS ÉCRIVANT ET ÉPROUVANT]





    CORPS écrivant et éprouvant à tout instant à quel point les mots qui lui viennent sont des acteurs vivants et spontanés d’un événement en quelque sorte théâtral, les didascalies et les praticables en moins, de telle sorte que le lecteur croit lire un roman qui s’adresse à son esprit alors que c’est un drame historique dont sa chair est l’un des protagonistes, quoi qu’il fasse.

    CORPS qui, au fur et à mesure qu’il écrit et s’écrit, semble se prêter en continu, jour et nuit, aux allées et venues d’une troupe de forains pirandelliens et insomniaques en quête de l’auteur d’un ouvrage pourtant bien là, puisque de lui dépend que les saltimbanques cessent d’être des comédiens irrésolus pour devenir des tragédiens belligérants, chtch chtch chtch

    CORPS VERBAL et CORPS PULSIONNEL d’un seul tenant, ce qui a l’heur de tenir en haleine le CORPS BIOLOGIQUE, en proie à une effervescence de vicissitudes de tous ordres, les mêmes qui en général se retrouvent dans le théâtre antique lorsqu’il est signé par Euripide et Sophocle, ou plus près de nous, Racine et Beckett, ou Tennessee Williams, ou encore quand il est voulu cruel par Artaud.

    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, quand c’est le corps qui les écrit, de se changer tour à tour, mais sans désemparer, en pitres ou en flibustiers, en dépenaillés de la syntaxe ou costumés de grammaire passementée, en vengeurs ou en munificents, en conservateurs de la substance indépassable, tantôt mystique, tantôt forcenée d’un moyen âge de toutes les folies, les bâtisseuses comme les pestiférées, et redécouvrant ainsi leur modernité, une modernité ennemie des derniers cris de l’obscénité universelle se réclamant de leur prétendue nouveauté pour s’autoproclamer avant-garde chtch chtch





    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, dans le corps qui écrit ce livre et d’autres, de se changer en « héros » ou en « anti-héros » d’une pièce injouable ailleurs que dans les profondeurs de sa vie organique, même lorsqu’ils se transportent dans d’autres corps, traversés de mots qui n’étaient peut-être jusqu’ici que les figurants d’un spectacle improbable les privant de l’espoir de tenir, un jour, un premier rôle et d’occuper ainsi le devant de la scène, au moins une fois n’étant pas coutume chtch chtch

    CORPS d’un homme et VENTRE de la femme qu’il aime dont les mots qu’ils se disent avant, pendant et après l’Acte sont des êtres vivants et pensants, passibles des mêmes jalousies et des mêmes trahisons auxquelles n’échappent guère les passions humaines, et procédant des ressorts secrets de leur insatiété de nature. MOTS hardis, même les expectatifs ; éperdus, même les songeurs, mais parfois également si candides qu’ils pourraient récrire Othello à la lumière d’une Desdémone au seul nom de laquelle pâliraient toutes les sonorités du monde, au point que nul Yago ne songerait à en médire, et nul Maure considérable à s’en croire cocufié.

    MOTS imprévisibles, où il suffit parfois que l’un d’entre eux, même bancal, oublié de la poésie combattante (par exemple pultacé), reçoive de la vie organique quelques impulsions fameuses, frappées au coin de ses mouvements en sens divers — notamment les gastro-intestinaux — impulsions qu’il lui retournera aussitôt en prises de parole, humides de bonheur, trop peu toutefois, pour qu’il s’ensuive dans le langage scientifique affecté à la définition des éléments constitutifs du corps et de leurs attributs, un début de doute quant à la réalité de la fonction qu’est censée leur faire tenir l’étymologie convenue.

    MOTS, en cas de logorrhée, tel un hourvari de sonorités inactuelles tournant en orbite autour de la planète Furetière, et c’est ainsi que le corps écrivant se surprend à parler le latin au moment où il croit s’adresser à un borborygme.

    MUSIQUE DES MOTS n’en pouvant plus de la tendance générale de la logomachie au pouvoir à infliger à l’oreille du plus grand nombre les bruits assourdissants de ses prothèses tautologiques.

    MUSIQUE DES MOTS, CORPS d’un homme, avant sa mort, écrivant au corps d’une femme aimée ce qu’il voit et entend de son immensité, CRATÈRE À CORDES, SCANSIONS blasonnées de syncopes chantournées au doigté et autres signes tangibles de transfiguration de la vie intérieure en capitale de tous les possibles de l’être, pointés sur un réalisable censé n’arriver jamais.



    Marcel Moreau, Un cratère à cordes ou La Langue de ma vie, Éditions Lettres Vives, Collection Entre 4 yeux, 2016, pp. 75-76-77-78.






    Marcel Moreau  Un cratère à cordes






    MARCEL MOREAU


    Marcel Moreau
    Source




    ■ Marcel Moreau
    sur Terres de femmes


    27 janvier 1974 | Lettre de Jean Dubuffet à Marcel Moreau




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Le Carnet et les Instants)
    Marcel Moreau. L’écriture comme paroxysme, par Véronique Bergen
    → (sur Mediapart)
    Marcel Moreau, à corps écrivant, par Jean-Claude Leroy





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  • Stéphan Causse | [mes lèvres balbutient]




    Livre brulé
    « mémoire de cendres »
    Bernard Aubertin, Tableau feu, livre brûlé
    © galerie Jean Brolly
    Source








    [MES LÈVRES BALBUTIENT]





    mes lèvres balbutient une langue irrégulière
    comme si les pierres
    des vieux murs écroulés désignaient
    le verbe que nous avons perdu

    notre voix dans les veines
    ce maigre vitrail
    où la lumière vient
    où le silence veut




    j’ai beaucoup lu
    et je ne me souviens de rien

    mémoire de cendres

    chaque livre a sa mélodie
    d’oubli
    ma vie est faite de ce silence




    Stéphan Causse, Caresser la mer, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI, 2016, pp. 30-31.







    STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    À deux pas dans le silence (lecture d’AP)
    [Les lieux où je vous emmène] (extrait d’À deux pas dans le silence)
    [Petite mer] (extrait de Boire le temps)
    Cévenne Séranne




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    une notice bio-bibliographique sur Stéphan Causse





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  • Yves Namur | [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres]




    Aubord du vide
    « un oiseau s’est ainsi posé au bord du vide »
    Ph., G.AdC








    [UN OISEAU S’EST POSÉ AUJOURD’HUI SUR TES LÈVRES]





    un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres,


    comme si c’était un infime tremblement de paille
    ou de la poussière blanche,

    comme si c’était l’haleine d’un songe
    ou un charbon de neige,


    un oiseau s’est ainsi posé au bord du vide,
    au bord de la pensée,

    tout au bord du silence,
    tout au bord d’un poème entrouvert,




    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif, Élégies, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare di Casinca, 2016, page 13.






    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif




    YVES NAMUR


    YVES NAMUR (1)
    Source




    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes


    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    Dis-moi quelque chose, « Le Printemps »
    Les Lèvres et la Soif (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension des Lèvres et la Soif par Pierre Kobel
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Namur





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  • Noée Maire | [Je choisis l’absence]




    Fenetre
    « Je choisis l’absence, la fenêtre »
    Ph., G.AdC








    [JE CHOISIS L’ABSENCE]




    Je choisis l’absence, la fenêtre.
    Je prends soin.
    Je fourbis mes faiblesses quand
    l’herbe drue, la terre dure
    s’illuminent et se retirent
    n’invitent personne.

    S’allonger ventre en contact
    où je ne laisserai pas d’empreinte.
    Que mes yeux s’écoulent aux collines
    aux nuages rapides
    que mes paumes s’écorchent aux racines.




    Le ciel s’étire en lignes cotonneuses
    douces comme des strates de mémoire amoureuse
    que le vent pousse, rapide
    je passe

    les tiges souples et les petites feuilles
    qui s’entrelacent dans ma poitrine
    bruissent dans l’air.
    Devant

    ce qui s’étend et s’enracine
    expanse le champ des possibles

    le paysage me traverse.
    Sous la plante de mes pieds
    l’eau tremble en ruisseau
    des imaginations irrésolues
    je dénoue la trame de mousse et de peau.

    Juste une fleur dans ma main au seuil.




    Noée Maire, « L’arbre d’une présence », D’Ararat, éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2016, pp. 39-40.






    Noée Maire, D'Ararat. 2






    NOÉE MAIRE


    Noée MAIRE portrait





    ■ Noée Maire
    sur Terres de femmes


    [allongée dans l’herbe] (extrait de L’Étreinte)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Noée Maire (dont un entretien avec Clara Regy)





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  • Dominique Maurizi | [Intérieur]




    [INTÉRIEUR]




    Intérieur. On ne voit pas tout de suite la lumière au commencement.  Le  vent  souffle  à  contretemps. Tais-toi mon cœur, tais-toi ! Tu comprends ? Le bruit des hommes, de la nature, les miens. Je sens, j’entends et j’écris ensemble. Je suis pressée, pressée. Et là loin devant moi, en moi, le sourire, le front et les cheveux de mon amour sous mes doigts. Doucement !, vas-y doucement. Je vois, j’entends, je sens et je touche ensemble. Seules la fièvre et la poésie provoquent des visions. Seuls l’amour et la mémoire.
    Doucement, vas-y doucement !
    Oui, il faut que je te dise, je ne suis pas seule à ma table, pas du tout, et pour moi tout arrive avec le vent, les arbres, avec l’été. Il y a beaucoup, beaucoup de bleu dans mes filets de lumière.



    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée, Éditions Faï fioc, Montpellier, 2016, page 36.






    Dominique Maurizi 2








    DOMINIQUE MAURIZI


    Vignette Maurizi




    ■ Dominique Maurizi
    sur Terres de femmes

    La Lumière imaginée (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dans l’odeur des algues (extrait du recueil Langue du chien)
    Fly (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Il y a quelqu’un (extrait du recueil Les Tables des matières)
    [Mais qu’ai-je dit ?] (extrait du recueil Septième rive)





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  • Ishikawa Takuboku, Le Jouet triste

    par Angèle Paoli

    Ishikawa Takuboku, Le Jouet triste,
    Éditions Arfuyen,
    Collection Neige, volume 34, 2016.
    Précédé de Pour la mort d’Ishikawa Takuboku par son ami Toki Aika
    et suivi de Diverses choses sur la poésie d’Ishikawa Takuboku.
    Traduits du japonais et présenté par Jérôme Barbosa et Alain Gouvret.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « IL EST DE BON TON DE CHANTER LIBREMENT CE QUI NOUS INSPIRE »



    Les nuits de pleine lune ont ceci de merveilleux qu’elles permettent de lire un ouvrage sans discontinuer. J’ai ainsi pu traverser d’une seule traite Le Jouet triste d’Ishikawa Takuboku. Un poète japonais qui, il y a peu, m’était inconnu et qui pourtant continue de me tenir compagnie. Aujourd’hui encore, je le savoure dans l’écoulement tranquille et silencieux du jour. Le titre m’habite, d’une sobre beauté. Tout autant que le recueil, édité par Arfuyen.

    Le corps de l’ouvrage est élégant, porté par la légèreté des poèmes retranscrits en langue originale. Ensemble, ils dessinent sur la page une flottaison de signes. Des pluies de neige silencieuse. Pour autant, la poésie de Takuboku est tout sauf bucolique. Pas de cerisiers en fleurs ni de cérémonies du thé dans des temples millénaires. Rien de tout cela qui ordonne les stéréotypes de notre paysage mental. Ici, seule la vie triste d’un homme triste qui va mourir. À peine âgé de vingt-six ans.

    En feuilletant le recueil et en lisant le « court essai » final du poète, « Diverses choses sur la poésie », je découvre ce qui aurait dû être le titre complet du recueil : La poésie est mon jouet triste. Titre bouleversant comme l’est aussi le regard que pose le poète sur la poupée de sa fille. Et sur sa fille elle-même :

    « Au chevet de mon enfant qui fait la sieste

    j’arrange la poupée que je viens d’acheter

    et me réjouis seul. »

    Le désarroi du poète est à l’aune de sa solitude.

    Les poèmes sont brefs. Trois phrases. Pas davantage. Cette brièveté est celle des tankas. Ainsi le précise une note du préfacier, Alain Gouvret. L’ensemble du poème est constitué de 31 syllabes réparties selon un rythme 5/7/5/7/7 ; les rythmes contractés 5/7/5 étant réservés au haïku.

    J’apprends de son ami Toki Aika, auteur d’un des textes d’introduction du recueil, que Takuboku est mort le 13 avril 1912, dans la 45e année de l’ère Meiji. Il laisse derrière lui une épouse et une enfant de cinq ans qu’il se plaît par moments à appeler du nom russe de Sonia. Rassemblés par l’éditeur sous le titre Le Jouet triste, les poèmes ont accompagné Takuboku dans les derniers moments de sa vie. Ils sont un témoignage au jour le jour, dénué de pathos, sur la maladie qui a fini par avoir raison de lui.

    Triste ? Le poète l’est. Dès le second tanka.

    « Bien que j’aie fermé les yeux,

    rien ne m’est apparu.

    Tristement, à nouveau, je les ouvre. »

    Dès lors, la tristesse va se décliner. Sous forme d’adjectif, de nom, de verbe ou d’adverbe. De pleurs aussi. La tristesse est un leitmotiv prédominant du recueil :

    « Ce triste réveil ! » / « Tristesse de ce matin » / « Je masse tristement cette cuisse un peu engourdie » / « Quelle tristesse que ces insomnies » / « J’ai envie de pleurer et j’attends l’aube » / « Cela m’attriste »…

    « Tristesse lourde » / « Tristesse vague », quelle que soit la forme qu’elle prend, la tristesse interroge. Elle angoisse le poète et le plonge dans une inquiétude existentielle :

    « La plus grande tristesse de l’Homme

    est-ce donc cela ?

    et, d’un coup, je serre mes paupières ».

    Serrer les paupières pour ne pas pleurer.

    Torturé par la maladie, en proie aux maux qui le rongent, le poète se débat avec un mal-être continu qui l’obsède jusque dans ses rêves. Qu’attend-il ? Qu’aimerait-il voir apparaître qui se refuse à lui ? Sa vie se déroule dans la grisaille. Un constat qui le laisse désemparé. La moindre des broutilles le déprime. La médiocrité de la « misérable province » dans laquelle il vit, loin de sa région d’origine qui lui est inaccessible ; les « coquilles » dans le quotidien du matin. Les reproches de son épouse et les pleurs de sa fille. Son métier d’employé auquel il tente de se dérober. Jusqu’à la pluie qui le fait pleurer. Le désarroi s’accentue encore après l’hospitalisation du malade. La maladie est sans doute pour beaucoup dans ce désarroi. Le poète ne se reconnaît plus dans l’homme qu’il est devenu. « Je me fais peur », écrit-il. Il se considère sans comprendre :

    « Comme étrangers à moi-même ces mains, ces pieds.

    Cet indolent réveil !

    Ce triste réveil ! »

    À quoi donc s’occuper quand on est à ce point diminué ? Que les désirs d’antan ont disparu et qu’il ne reste plus qu’à attendre ? Le poète se contente de menues satisfactions. De considérations minuscules. La couleur d’une « salade fraîche » ; « la lumière de la pluie » ; un bouquet de tulipes ; les traits de son enfant endormi… Et il écrit.

    Takuboku écrit. La nuit surtout. Il se lève et écrit. Il note les impressions qui le traversent au fur et à mesure de leur surgissement. Il note ce qu’il observe des autres et de lui-même avec une lucidité sans détours et sans fioritures. Sa seule fantaisie est dans la ponctuation. Dans l’emploi des doubles tirets. Un usage qui témoigne de l’influence occidentale et du goût du poète pour certains signes de modernité. D’autres gestes et notations relèvent de l’intime. La cigarette, le saké, la saveur de l’ivresse ou, tout au contraire, la nausée. Il revient souvent sur ses ongles dont l’observation détachée le laisse désemparé :

    « Fixement

    je regarde ces ongles que teinte le jus d’une mandarine,

    désemparé ! »

    Il s’observe, écoute les moindres rumeurs de sa carcasse. Bâillements/bruits/ongles/cuisses. Soumis à l’usure visible de ses organes, son corps malade s’impose comme une réalité pesante, désagréable. D’un ridicule insoutenable :

    « Sous une poche de glace

    dardant mon regard,

    en cette nuit d’insomnie je hais autrui. »

    Takuboku rêve que la nouvelle année lui apporte un corps nouveau. Il aimerait faire peau neuve. Quelque chose sans doute va se produire qui doit changer sa vie. Néanmoins tout le ramène à sa triste réalité. Faite de déceptions et surtout de mensonges. Le mensonge reste la grande affaire qui occupe durablement sa pensée. Ainsi de ces trois tankas qui se suivent sur la même page :

    « J’ai pensé que je ne dirais plus de mensonges — —

    c’était ce matin — —

    à l’instant encore j’en profère un. »

    « D’un coup,

    Je me considère comme un tas de mensonges,

    Je serre mes paupières. »

    « Tout ce qu’il y a eu jusqu’à présent,

    tout ce que j’ai voulu changer en mensonges,

    n’aura pas le moins du monde consolé mon cœur. »

    Quant à la déception qu’il éprouve au sujet de sa personne

    « Ainsi, j’en étais venu à me considérer

    comme un grand homme.

    Je n’étais qu’un enfant. »

    elle redouble à la révélation de la vérité qui lui vient de sa défunte mère :

    « J’ai bien connu ce qu’il y a au fond de ton cœur,

    dans un rêve ma mère m’était apparue

    et repartait en larmes. »

    Cependant, derrière les considérations peu gratifiantes que le poète porte sur lui-même, derrière l’esprit inconsolable qui le caractérise, se cache une forme d’humour doublé d’un esprit moqueur qui surprend et fait sourire. Derrière le malade affaibli se cache le lutin malicieux, enfantin et ludique. Le poète se livre à de petites comédies simiesques et à de menues cruautés ordinaires. Sans doute pour se distraire ou pour se prouver à lui-même qu’il a encore un peu de maîtrise sur le réel ou, peut-être, pour se jouer de ce réel. Nombreux sont les tankas qui réjouissent le lecteur en même temps qu’ils lui donnent à découvrir tout un pan inattendu de la personnalité fondamentalement chagrine de Takuboku. Une personnalité habitée par un léger goût du nonsense ou, à tout le moins, du décalage :

    « Bien que j’aie attendu longuement

    ce jour où la personne qui devait venir n’est pas venue,

    j’ai déplacé mon bureau. »

    ou encore :

    « Dis-donc !

    Même lui a pu faire un enfant.

    Quelque peu satisfait je vais me coucher. »

    « Couette tirée par-dessus tête,

    jambes recroquevillées,

    au hasard j’ai tiré la langue. »

    La poésie singulière de Takuboku accompagne le lecteur dans une tendresse partagée. Elle sème du poète des sourires en demi-teinte. Avec cette once d’émotion douce que baigne la lenteur familière des jours. « La poésie est mon jouet triste », confiait Takuboku à son ami Toki Aika quelque temps avant sa mort. Poésie consolatrice pour celui qui précisait ainsi son art poétique :

    « Il est bon de chanter librement ce qui nous inspire, sans nous laisser limiter par quoi que ce soit. Si l’on procède ainsi, dans les limites de notre condition, cela qu’on appelle poésie — cette émotion propre à chaque instant de ce qui se lève et s’efface dans le cœur au sein de notre vie affairée —, cela ne périra pas. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ishikawa Takuboku, Le Jouet triste






    ISHIKAWA TAKUBOKU


    TAKUBOKU portrait
    Image, G.AdC




    ■ Ishikawa Takuboku
    sur Terres de femmes ▼

    [Pour la première fois depuis longtemps] (extrait du Jouet triste)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    les pages de l’éditeur sur Ishikawa Takuboku





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