Étiquette : 2017


  • Burns Singer | [That numerous stranger dipped in my best disguise]




    [THAT NUMEROUS STRANGER]



    That numerous stranger dipped in my best disguise
    Worms his way back over the green hills
    Which winds have shaped from beaten miracles
    And which old thunderstorms and well baptise.
    He cuts across it home. His light denies
    The dark it boats of, and his step fulfils
    The courage of the grassblade that he kills
    Dead of the spot he reaches as he dies.
    All silence enters him but leaves no trace.
    Who is that man who walks without a face
    On less than water, on a single word,
    On a mere air that whistles its absurd
    Jubilant anthem in an elegy’s place
    Under the agony and is overheard?





    [CET ÉTRANGER MULTIPLE]



    Cet étranger multiple noyé dans mon meilleur déguisement
    Serpente sur le chemin du retour par les vertes collines
    Que les vents ont sculptées à coups de miracles
    Et que de vieux orages et des puits baptisent.
    Il coupe à travers pour rentrer chez lui. Sa lumière nie
    Les ténèbres dont elle se vante, et son pas honore
    Le courage du brin d’herbe qu’il tue net
    Sur le lieu qu’il atteint en mourant.
    Tout le silence entre en lui mais ne laisse aucune trace.
    Qui est cet homme qui marche sans visage
    Sur moins que de l’eau, sur une parole unique,
    Sur un simple air qui siffle son absurde
    Antienne jubilatoire en un lieu élégiaque
    Et qui, à l’agonie, est entendu par hasard ?



    Burns Singer, Sonnets pour un homme mourant, XXXXVIII, [Sonnets for a Dying Man, Botteghe Oscure, Quaderno XVI, Roma, 1955], édition bilingue, Éditions Obsidiane, 89500 Buzzy-le-Repos, 2017, pp. 92-93. Traduit de l’anglais par Anthony Hubbard et Patrick Maury. Préface de Patrick Maury.






    Burns Singer  Sonnets 2





    BURNS  SINGER


    Burns Singer
    Source




    ■ Burns Singer
    sur Terres de femmes

    [To see the petrel cropping in the farmyard] (autre extrait de Sonnets pour un homme mourant)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la revue Secousse)
    une notice bio-bibliographique sur Burns Singer et d’autres extraits de Sonnets pour un homme mourant [PDF]
    → (sur La Cause Littéraire)
    une recension de Sonnets pour un homme mourant par Didier Ayres
    → (sur Dailymotion)
    Patrick Maury (Revue Secousse) lit des extraits de Sonnets pour un homme mourant de Burns Singer
    → (sur le site des Lettres françaises)
    Poésies de toutes les latitudes, par Françoise Hàn [PDF]





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  • Renaud Ego | « La naissance de l’art » [Georges Bataille]






    Georges Bataille à Lascaux
    Georges Bataille dans la grotte de Lascaux en 1954
    © Hans Hinz







    « LA NAISSANCE DE L’ART »



    Georges Bataille est celui qui a porté à son plus haut degré d’intensité la fascination que suscitent les œuvres de la Préhistoire. Il l’a condensée en une formule promise à une fortune considérable, qui exprimait bien la pensée de son temps, « la naissance de l’art. »1 Exceptionnelle, l’éclosion des tracés figuratifs l’était en effet au même titre que le langage dont l’existence doit être supposée, même si nous en ignorons le degré, alors, de développement. C’était un saut dans la pensée, une étape majeure dans l’invention d’un outil conceptuel fondamental, la représentation graphique, qu’attestent suffisamment le destin universel des images, l’infinie diversité de leurs usages en toute époque comme en toute culture, et leurs métamorphoses continues, dont le cinéma ou la 3D sont les derniers avatars.

    Mais l’aura de cette naissance est aussi le fruit d’une double exception. D’abord, des trois modes fondamentaux de figuration que sont le dessin, la danse et le récit (et avec lui, le langage articulé), le premier est le seul dont nous soit parvenu un témoignage si ancien. Nous ne savons rien de l’émergence des langues, bien antérieures à leurs premières codifications graphiques au 4e millénaire avant notre ère. Et que dire des danses qui toujours s’effacent, sitôt achevé le moment de leur geste ? Cette solitude archéologique, renforcée par l’absence de toute peinture corporelle connue mais dont la pratique a tout lieu d’être supposée elle aussi, a accentué la dimension exceptionnelle des tracés en concentrant sur eux l’éclat, toujours fabuleux, de l’origine. Ensuite, ils ont été distingués sous le nom d’« art » des autres manifestations de l’activité humaine, comme la fabrique d’outils, et ils furent avant tout rapportés à ce que nos concepts vagues appellent une pensée « symbolique » ou « religieuse », selon une intuition certes légitime mais qui se faisait au détriment de la dimension gestuelle et technique où s’enracinait le lent, le patient processus ayant conduit à leur émergence. À peine étaient-elles connues que ces premières peintures étaient aussitôt fixées dans les codes d’une pensée familière qui évacuait l’étrangeté de leur surgissement. Longtemps après que Pascal et Giordano Bruno eurent pressenti l’infinité des mondes qui nous environnaient, et peu après que Darwin eut commencé à nous révéler l’histoire antédiluvienne où notre propre espèce plongeait ses racines, ces peintures venaient moins éclairer l’insondable abîme de temps où s’inscrivait leur genèse, qu’interposer entre lui et nous le socle rassurant d’une apparition à laquelle nous donnions nos propres traits. Même lointaine et comme tout juste débourbée de la terre, la naissance de cet homme primitif jetait une nappe pudique d’humanité au-dessus d’un immense ossuaire d’espèces fossiles. Et ce n’était pas n’importe quelle naissance, puisqu’il s’agissait, avec l’art, de l’émergence de notre intelligence sensible la plus chargée de prestige, celle où nous pouvions distinguer sans effroi notre propre visage émergeant des ténèbres. […]



    1. Georges Bataille, La Naissance de l’art, Skira, 1955.



    Renaud Ego, « La naissance de l’art » in Le Geste du regard, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2017, pp. 15-16-17.






    Renaud Ego  Le geste du regard





    RENAUD EGO


    Renaud Ego
    Source




    ■ Renaud Ego
    sur Terres de femmes

    immigration zéro
    Le pli
    Les mots le savent d’ailleurs



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Atelier contemporain)
    la fiche de l’éditeur sur Le Geste du regard




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  • Guillaume Decourt, Le Cargo de Rébétika

    par Angèle Paoli

    Guillaume Decourt, Le Cargo de Rébétika,
    éditions LansKine, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Panama
    « C’était un vrai panama »
    Source







    « J’AI PERDU MON PANAMA »



    Semblable à une nef des fous bienveillante, Le Cargo de Rébétika (et son compagnonnage d’originaux) dérive dans un univers-temps aux frontières incertaines. Le lecteur se trouve ainsi embarqué dans une utopie poétique aux accents vagues d’exotisme, une Carte du Tendre revisitée par le poète — Guillaume Decourt — avec « dune aux Outrages », Fontaine des Affins, embarcadère, Hôtel de l’Existence. Et Tombeau. Le Cargo de Rébétika, un « tombeau » tendresse pour Grupetta et Rébétika ? Peut-être. Le final du recueil le laisse à penser où s’exprime la nostalgie de ce qui n’est plus, ainsi qu’une once de regret. Et puis quelques acteurs de passage qui se croisent se rencontrent au cours de cette dérive des êtres et des mots d’où naît, en quarante-et-un poèmes, le récit poétique de l’étrange cargo de Rébétika. Un jeune homme (le narrateur) amoureux de deux femmes — successivement — Grupetta et Rébétika ; un acupuncteur, un « tenancier d’embarcadère », un « fauve sale » et Aristide. Plus quelques figurants qui ne font que passer. Et des oiseaux, aussi, des « moineaux enjoliveurs » qui inaugurent la journée de leurs « Phti tribilibi ».

    Étrange recueil, étrange ouvrage que ce Cargo de Rébétika, cependant fidèle reflet de la citation première choisie en exergue et empruntée à Lawrence Durrell :

    « Une île, ténue comme une promesse. »

    Promesse mince et fragile de l’île-utopie, qui s’évanouit dès que le pied se pose sur la terre ferme. Promesse d’un bonheur qui fut mais qui échappe à celui qui avait cru un instant s’en saisir durablement. Que reste-t-il au final ? Sinon cette pointe d’amertume désabusée qui fait dire à Robert de Montesquiou — seconde exergue — :

    « Quand on ne croit à rien, pourquoi se dire adieu ? »

    Le narrateur quant à lui, l’amoureux de Grupetta et de Rébétika, s’en sort par une pirouette, une sorte de chanson triste et boiteuse, construite sur l’alternance de vers impairs, 7/3 syllabes. Une chanson de la perte avec refrain :

    « J’ai perdu mon panama […]

    C’était un beau panama […]

    C’était un vrai panama […] »

    La perte du couvre-chef en cache une autre, antérieure, et la couronne, en quelque sorte. Celle des deux amantes Grupetta et Rébétika :

    « Grupetta, Rébétika.

    J’ai pêché à la senne des petits poissons de remembrance

    dont on peut manger la tête et la queue

    sans frémir.

    Grupetta, Rébétika. »

    Avant de tirer révérence, le narrateur abattu perdu décontenancé par l’expérience de ses amours déçues, confie à sa chanson au panama :

    « Je me sens démuni, las,

    sans ressort. »

    Ainsi les deux vers de fermeture du recueil rejoignent-ils le poème d’ouverture dans lequel le lecteur assiste, perplexe, à la chute mortelle d’une tête (celle de l’amoureux ?) et aux commentaires que l’événement suscite :

    « Certains passaient disant : « Ces lunettes

    sont cassées,

    il devait être myope, méchamment. » »

    Ainsi se rejoignent les deux extrêmes du recueil. La boucle est bouclée. Le voyage à rebours est terminé.

    Le poème d’ouverture et sa scène inaugurale annonçaient bien des singularités. Le lecteur s’interrogeait. Où est-on ? En quel pays ? En mer ? Rien de moins sûr.

    « Notre région n’est pas maritime et les escales se mesurent

    à la résonance du clocher de l’Église

    sur une place sans palissades. »

    C’est l’amoureux de Grupetta qui parle. Et aussitôt le lecteur de reconnaître quelque chose de « chez nous ».

    Qui sont ces personnages ? Que font-ils ? Peu à peu, le lecteur s’abandonne. Il se laisse divaguer au gré des torsions de langage (menues, elles aussi) et des scènes qui se présentent, sans plus se poser de question. Peu importe, après tout. Il laisse les acteurs à leur mystère, à leurs rituels, à leurs petites extravagances et se prend à leur jeu. Ce qui est sûr, c’est que quelque chose cloche, sans qu’il soit possible de dire quoi au juste. Ce « cargo de bananes » et ces « bananes sans teint » annoncent un univers fondé sur l’attente. Celle d’une promesse improbable, inscrite dans un temps qui n’est plus et qui ne se réalisera pas :

    « Ce cargo de bananes, dont on me parle

    depuis l’enfance,

    n’arrivera jamais du côté de chez moi. »

    La tonalité est donnée. Quelque chose de désenchanté se profile, un voyage un peu triste malgré la tendresse et les sourires que l’on surprend au bord des lèvres. Car derrière ces saynètes brèves, ce qui capte l’intérêt du lecteur, c’est la façon qu’a le poète de coudre ensemble, l’air de rien, des détails ou des éléments du récit qui glissent du réalisme à la fantaisie. De sorte que le lecteur est surpris sans vraiment l’être tout à fait.

    Ainsi du « fauve sale », enfermé dans sa « cage thoracique » à qui l’on arrache une molaire au motif d’une rage de dents :

    « Cet arrachement

    vous fait un bruit de cheval qui mange du sucre.

    Comme un pas dans la neige. »

    Comparaison pour le moins inattendue — et émouvante — dans la chute du poème XIII.

    De même, l’on ne peut que sourire face à l’espièglerie de Grupetta, tour à tour « pudibonde » et « gaillarde » lorsqu’elle lance à son amoureux :

    « Je veux que tu

    me prennes par le trou qui t’amuse. »

    Et l’amoureux de conclure avec tendresse et humour :

    « Nous deux, ensemble, tartines et mouettes appariées :

    c’était bienfaisance. »

    Il faut prendre le temps de savourer chacune de ces scènes. Pour le « plaisir du texte ». Son apparente et trompeuse simplicité. Ses jeux de langage tellement naturels qu’ils en sont déconcertants lorsque l’on s’arrête pour y réfléchir. Difficile de refermer le livre sans s’arrêter un temps sur ce poème qui parle de la vie qui passe et du goût, indéfinissable, qu’elle laisse flotter sur les lèvres :

    « Il est tard. Je me trouve bien loin déjà. Qu’êtes-vous devenues mes

    petites bougresses ? J’ai trouvé un

    métier à tisser, un fusil qui flotte comme un chat dans la mer. Je me rappelle

    vaguement cette berceuse : « J’ai perdu mon panama

    sur le port », nos « Dam di dou da » ; ces amours astringentes

    que vous partageâtes. Vos Tombeaux, les avez-vous bâtis ?

    Je cultive la Joie des Apiculteurs. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Guillaume Decourt  Le Cargo de Rébétika




    GUILLAUME DECOURT


    Lanskine
    © Ph. Lydia Belostyk




    ■ Guillaume Decourt
    sur Terres de femmes


    L’endroit (extrait d’À 80 km de Monterey)
    Les Heures grecques (lecture de Sanda Voïca)
    Île (poème extrait des Heures grecques)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Le Cargo de Rébétika
    → (sur lelitteraire.com)
    un entretien avec Guillaume Decourt
    → (sur Recours au Poème)
    une page sur Guillaume Decourt
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Guillaume Decourt






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  • Fadwa Suleimane | Dans l’obscurité éblouissante




    DANS L’OBSCURITÉ ÉBLOUISSANTE



    les gorges qui ont lancé des papillons bleus
    pour que la liberté descende en nuage froid et blanc
    chantaient des hymnes au dieu
    pour qu’il ne pense qu’aux colombes et à la paix
    elles s’opposaient au monstre de Damas
    la main qui les a arrachées ignore qu’elles ont éclos dans
    toute la Syrie
    des tournesols à Hama
    des lauriers à Alep
    à Dar’a et Darayya des grappes de raisin
    des diamants rouges à Rakka
    des acacias à Homs
    des lilas sur l’Euphrate
    la musique éternelle du Tigre
    écrite par les alphabets d’Ougarit et d’Amrit
    gardée dans les écritures d’argile conservée à Kafar Nabil
    clamant :


    *« Elle est à nous et non pas à la famille Assad
    vive la Syrie à bas Bachar El Assad
    uni uni uni le peuple syrien est un
    ni Salafistes ni Frères nous voulons un État laïc »*





    Fadwa Suleimane, Dans l’obscurité éblouissante, éditions Al Manar, 2017, pp. 39-41. Traduit de l’arabe (Syrie) par Sali El Jam, avec la collaboration d’Etel Adnan, Simone Fattal, Eugénie Paultre.






    Fadwa Suleimane  Dans l'obscurité éblouissante






    FADWA SULEIMANE [SOULEIMANE]


    Fadwa Sète




    ■ Fadwa Suleimane
    sur Terres de femmes

    [pluie sur pluie] (extrait d’À la pleine lune)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    Fadwa Suleimane | Dans l’obscurité éblouissante
    → (sur le site Les Découvreurs)
    disparition de Fadwa Souleimane, preuve de lumière et de nuit
    → (sur Le vent se lève)
    Les maux de Fadwa, poétesse révoltée, par Jean-Marie Dinh





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  • Michèle Finck | [Pier Paolo Pasolini, Mamma Roma]





    Mamma-roma-pier-paolo-pasolini-1962
    “A mà… mamma… sto a morì… A mà perché me stanno a fa così?”
    « Mamma, mamma, je meurs. Pourquoi ils font ça ? »








    [PIER PAOLO PASOLINI, MAMMA ROMA]



    Pier Paolo Pasolini

    Mamma Roma

    Anna Magnani, Ettore Garofolo

    Mamma Roma. Prostituée et Pietà. Visage
    De sainte. Nimbé par le noir et blanc. Prostituée
    Et Pietà. Aspire à la rédemption. Par son fils.
    Pour son fils. Cri de la Magnani : « Ettore, Ettore. »
    Marche la prostituée filmée en travelling arrière
    Dans le noir zébré par les lumières de la ville. Marche
    La mère vers le fils. « Ettore, Ettore. » Marche.
    Où le fils ? Avec les voyous. Dans les terrains vagues
    Où se mêlent gratte-ciels et ruines d’aqueducs de la Rome
    Antique. « Ettore, Ettore. » Quelle rédemption
    Pour les pauvres ? Prostituée et Pietà. Marche.






    Mamma Roma Fine






    Gros plan sur le visage de Mamma Roma. Larmes.
    De joie. Fierté pour le fils, serveur dans un restaurant,
    Porteur à la Caravage d’une corbeille de fruits.
    Gros plan sur le visage de Mamma Roma. Larmes.
    De douleur. Fils coupable a volé. Fils en prison.
    Chant IV de L’Enfer de Dante dans une salle d’hôpital.
    « Mamma, mamma, je meurs. Pourquoi ils font ça ? »
    Fils à l’agonie est attaché à son lit. « Ettore,
    Ettore. »
    Ré mineur. Abîmes de Vivaldi.
    Lamentation sur le Christ mort de Mantegna ?
    Raccourci perspectif du corps du fils à la morgue.
    Grands pieds avec deux trous, stigmates.
    Vierge en pleurs s’essuie le visage. Stabat Mater.






    Mamma Roma Fine 2






    Michèle Finck, « V Cinémathèque des larmes » in Connaissance par les larmes, éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 233, 2017, pp. 139-140.







    Finck 3






    MICHÈLE FINCK


    Finck Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Michèle Finck
    sur Terres de femmes

    Connaissance par les larmes (lecture d’AP)
    [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova] (poème extrait de La Troisième Main)
    La Troisième Main (lecture d’Isabelle Raviolo)
    Pitié (poème extrait de L’Ouïe éblouie)
    [Cette fois nous parvenons à travailler] (poème extrait de Poésie Shéhé Résistance)
    Sur un piano de paille (lecture d’AP)
    Variation 9 :: À Glenn Gould 1981 (poème extrait de Sur un piano de paille)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une notice bio-bibliographique sur Michèle Finck
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page sur Connaissance par les larmes de Michèle Finck



    ■ Voir | écouter encore▼

    → (sur Terres de femmes)
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)
    → (sur YouTube) la séquence finale de Mamma Roma =>


    Séquence finale de Mamma Roma





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  • Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive

    par Isabelle Lévesque

    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive,
    éditions Honoré Champion, 2017.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Qui écrit ? Requise par l’écriture convulsive et essentielle d’Hélène Cixous, par sa « jubilation solaire », Véronique Bergen lui emboîte le pas. Dans la suite effrénée d’une langue debout, qui tient, qui renaît, qui se déplace en faisant bouger le lexique et la syntaxe pour saper (c’est salutaire !) leurs assises, Véronique Bergen entre dans la danse, le processus, « une multiplicité d’états du verbe ».

    Son étude sur la langue d’Hélène Cixous s’organise en trois parties. La première retrace la « genèse de l’écriture ».

    Il faut renaître, créer une langue susceptible de devenir, de n’être pas ; le mouvement est sa loi organique, son principe de survie. Il ne suffit pas d’identifier les mots nouveaux, composés inédits véhiculés par la transe qui préside à la création de cette langue inconnue, identifiable pourtant, « langue mineure dans une langue majeure ».

    On accepte d’être perdu, égaré, en lisant Hélène Cixous, et Véronique Bergen nous guide dans la genèse de l’écriture d’un livre qui n’existera pas autrement que dans cette forme hybride, fatalement hybride, et que nous devrons accepter ainsi, dans sa grandeur. Le confort, le convenu : écartés, impossible d’entrer dans cette langue sans percevoir le vide traversé consciemment, courageusement, en vacillant. Se redresser ne peut que se vivre partiellement, l’équilibre menacé nourrit l’écriture au plus près du vivre dans un tourbillon où les forces vitales n’écarteront pas les morsures du réel. La blessure vécue comme possiblement mortelle irrigue la langue que l’on ne peut connaître, l’unique est son identité.

    Véronique Bergen le précise dès son « Ouverture » : elle se centre sur les textes en prose d’HC, écarte de son corpus les pièces de théâtre et les publications concernant la peinture. Elle choisit la confrontation directe avec le texte, avec la langue d’HC, créée de toutes pièces ou plutôt se créant, nourrie de vie comme processus de métamorphose. « Genèse de l’écriture », dont on ne sait quel sera l’aboutissement, l’écriture du livre peut échouer, l’auteur se confronte toujours au « spectre du ″livre que je n’écrirai pas″ », ou du « ″livre que tu n’écriras pas″ », « lqjnp » ou « lqtnp ».

    À l’origine, un désastre (la mort du père à Alger en 1948 alors qu’HC avait dix ans) : « Le verbe arrive dans le cône de la mort ».L’écriture est envisagée « comme un geste de contre-mort ». Si ses livres affirment la présence de ce « père intérieur », ils organisent aussi le maintien en vie de la mère-origine, Ève, puis fixent, en contre-oubli, avec tous les détails possibles, sa fin, nouvelle naissance qui ne peut pas être « sans douleur » pour cette sage-femme. Le livre survivant construit un mythe (Ève, la mère, sauvée miraculeusement ou logiquement par le processus vivant de l’écriture en devenir, en pro-création) :

    « Écrire passe par la profération d’un nom, s’enracine dans le cri du prénom du disparu. »

    Cette vocation sacre le mort en le perpétuant dans l’appel, elle le consacre par « l’écho transfiguré » du prénom, « Georges », prénom-graine qui enfantera les phrases. L’écriture prend corps dans cette adresse et cette matière qui devient le vivant transport du disparu retenu dans le tissu proliférant du texte qui se construit, existera. « [F]abrication du radeau sur le néant », précise HC, diffraction créatrice du moi dans les phrases générées par la blessure initiale, essentielle, inguérissable et qui contient la mort de l’auteure comme celle de son disparu premier (Georges). Le « dispositif continu de l’écriture » dresse un mur, une faille (la « scène primitive »), la blessure creusée ne l’altère pas, au contraire, son épanchement permet au fil textuel de devenir tissu. Ce tissu de mots, HC ne déplore jamais qu’il soit insuffisant :

    « On ne trouve guère en son œuvre de connivence avec ceux qui soupirent après la beauté incomparable de l’avant-mot et s’enferrent dans le paradoxe de qui, rêvant de retrouver le jadis pré-langagier, ne le peut qu’en usant d’un verbe. »

    Les mots « transforment le dehors » et « performent ce qu’ils disent », l’écriture, acte de création, modèle une forme existante, la révèle, l’exacerbe en une forme nouvelle, vacillante, trouvée qui échappe. L’acte démiurgique d’écrire mêle la vie et la mort. La porosité est telle qu’écrire inter-agit sur ces deux phases qui ne sont pas distinctes l’une de l’autre mais porteuses l’une de l’autre. L’écriture, voix inconsciente, s’organise en « chambre d’échos ». Sont accueillis les mouvements parfois contradictoires (amour, colère, joie…) qui orchestrent les pages, l’écoute est son principe actif, on est « visité, squatté », car le moi est « disséminé ». L’infini vit dans cette dissémination qui, selon Hélène Cixous, définit l’écriture. Sa langue suit le principe gigogne d’une prolifération constante qui sape les principes d’une syntaxe normée, policée. La claudication d’abord, puis l’émergence verticale et ascensionnelle la définissent. Toujours elle se remodèle se nourrissant du disparu redevenu, la liberté, l’échappée la conditionnent, la dissolvent. Chaque nouveau livre devient le matin du monde. L’analyse de Véronique Bergen trace le portrait d’un écrivain qui « essaie les mots dans tous les sens », faisant rouler les syllabes (« Etats-Unis » : « Etazuni Et ta Zuni ? Extasunie ») de sorte que nous sommes conduits, égarés dans un labyrinthe signifiant qui ré-invente chaque fois le fil qui ne mènera qu’au perpétuel dévouement à la création. Cette soumission est une adhésion, le dieu de l’écriture parle à travers elle, traverse son espace : aucune conquête, un franchissement constant qui sera recommencé, modifié. « Langue plus-que-vive », en ce sens. Véronique Bergen montre qu’elle opère par déplacement constant de mots, syllabes, écoute de voix éteintes qui à travers elle, l’écrivain HC, reprennent corps dans la langue inventée, renaissante, « relève miraculeuse » :

    « La politique de la langue consiste à se réapproprier une langue dominante en la désaxant, à la torsader, la recréer à partir d’une position d’énonciation minoritaire, celle du ″juifemme″. »

    Extraire le français d’un usage policé et acceptable, le faire « sortir de ses gonds » , lui faire vivre une déraison prolixe et signifiante, voilà qui détermine un usage politique de la langue. « [F]ission » et « fusion » sont analysées par Véronique Bergen, le « OR » détaché du nom du père, devient le titre d’un livre, ou « dedandehors » rassemblés en mot unique. Mots rabotés, syllabes migrantes allongeant les mots, croisement de langue (l’allemand en particulier), un ensemble de créations propres à HC sont répertoriées, révélant la familiarité de Véronique Bergen avec l’écrivain, mais aussi sa lecture exploratrice de ce qui est mis à l’œuvre, en bouillonnement, dans les livres d’HC. La « vive allure » chère à Caroline Sagot Duvauroux trouve ici son expression vivante et propulse le lecteur dans une lecture aventureuse et active. Écrire et inventer se frottent en une jouissance « plus-que-vive ».



    La deuxième partie traite de la « double injonction » à laquelle HC répond dans ses livres : « écrire / ne pas écrire », mais aussi « écrire / mais ne pas dire ». Dans La venue à l’écriture1 en particulier, HC a exposé le sentiment d’illégitimité que l’on peut (ou pouvait ?) éprouver à écrire quand on est une femme, mais aussi à écrire en français quand on a une mère allemande, un père algérien, quand on est étranger dans sa langue, et même « étranjuif ». Cette conquête, ou plutôt cette nécessaire invention de sa propre écriture, passe aussi par l’invention de soi comme corps sensible et organique, éprouvant, souffrant aussi. Elle se fait en se consacrant à « Dieu la Littérature » dont Joyce est le « prophète », à « Dieu-l’écriture ». Et HC s’affirme « religieusement athée, mais littérairement déiste ». Véronique Bergen peut ainsi parler de l’entrée « dans la liturgie des syllabes, la mystique de l’alphabet, la ré-invention de l’alphabet ». Du Livre selon Mallarmé au « Livre-messie », HC tourne donc autour de ce Livre interdit qu’elle n’écrira pas, alors qu’il est toujours présent. Peut-être se diffracte-t-il en chacun de ses livres écrits ? Il existe à l’origine et peut-être que « le livre impossible de son vivant jaillira posthume, naîtra posthume, queue de comète extraite du massif des autres livres […] ».



    Traitant toujours de l’origine de l’écriture, la troisième partie aborde la question de « l’écriture féminine » (qui n’est pas l’exclusivité des femmes), de sa dimension physique, corporelle : « La co-constitution de l’œuvre et du sujet écrivant produit par ce qu’il écrit a lieu au fil d’une genèse/éternelle jeunesse entée sur les affects et les percepts, sur les pulsions, sur l’inconscient à partir duquel des sensations converties en mots s’extraient. » Nous voyons ainsi, dans les livres d’Hélène Cixous, la pensée, la langue et le sujet écrivant naître conjointement. Véronique Bergen, reprenant une notion développée par Deleuze et Guattari, montre que le développement de la langue chez HC est « chaoïde » (et non « chaotique »). Elle correspond au « chaos universel ». Elle se développe d’une manière végétale. Elle pousse, se soulève, va vers la lumière, descend sous terre en une infinité de racines et rhizomes. Hélène Cixous ou Le Règne végétal pourrait-on dire en paraphrasant René-Guy Cadou. Cette « écriture féminine » ne s’appuie pas sur l’idée d’un auteur pré-existant et exerçant un contrôle total. Elle « s’enroule autour d’un « être écrite », « être rêvée, traversée de phrases » au fil d’une autre connaissance qui, passant par la désorientation, la perte de soi, atteint l’état mystique d’une fusion du « sujet » écrivant et de l’objet. Le Livre s’écrit, il parle parfois à celle qui physiquement est en train de l’écrire. De nombreux « revenants » y passent et s’expriment. L’auteur est une sorte de médium ou de chaman.

    Véronique Bergen s’attache aussi à caractériser l’écriture d’HC en la rapprochant de celles de ses « sœurs » : en particulier Ingeborg Bachmann, Marina Tsvétaïeva et bien sûr Clarisse Lispector.

    Ainsi Hélène Cixous écrit-elle sans fin dans l’espace du « dedans » de l’écriture et de la vie, contre l’oubli. Pasolini faisait de la disparition des lucioles la fin d’un monde. Georges Didi Huberman répondait : « Les lucioles ont-elles disparu ? Bien sûr que non. Quelques-unes sont tout près de nous, elles nous frôlent dans l’obscurité ; d’autres sont parties au-delà de l’horizon, essayant de reformer ailleurs leur communauté, leur minorité, leur désir partagé. »2 Véronique Bergen affirme à propos d’Hélène Cixous : « La libération des lucioles sur les paysages du verbe produit une luminescence qui passe par le devenir lanterne-magique de l’écriture. » Cette lanterne magique proustienne, c’est le « vivrécrire » à l’œuvre dans les livres d’Hélène Cixous qui nous montre l’« outre-vie ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    __________________________________
    1. Hélène Cixous, Madeleine Gagnon, Annie Leclerc, La Venue à l’écriture (UGE, 10/18, 1977).
    2. Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles (Les éditions de Minuit, 2009).






    Bergen  Cixous








    HÉLÈNE CIXOUS

    Cixous Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Hélène Cixous
    sur Terres de femmes

    Ève s’évade (note de lecture d’AP publiée dans la revue Europe)
    Le-tablier-mémoire-de-la-mère (note de lecture d’AP sur Le Tablier de Simon Hantaï, Annagrammes)
    Petites érinyes de la conscience (note de lecture d’AP sur La Mort du Loup)
    → « 
    Mes êtres d’incandescence » (extrait de La Mort du Loup)
    5 juin 1937 | Naissance d’Hélène Cixous
    15 août 1964 | Hélène Cixous, Manhattan
    26 février 1976 | Hélène Cixous, Portrait de Dora




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Jean-Marie Berthier | Tamié




    Ne plus quitter les pierres
    « Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles »
    Ph., G.AdC







    TAMIÉ


    À François Cheng           




    Aller aux pierres qui chantent
    aller au dédale de leur voix pesante

    plus nus qu’elles ne le sont
    dans le silence qui les force à vivre

    Passer les couleurs de l’automne
    une à une les compter
    comme un chien lèche sa plaie

    et des lacets du chemin qui monte
    étrangler le vent d’avant novembre

    Se défaire peu à peu de son pas
    si l’on veut être à l’heure des pierres

    qui se rejoignent pour s’étreindre
    et se délivrer ensemble du vide

    De l’une d’elles peut-être
    le souffle d’un oiseau
    pétrifié d’amour et de peine

    portera l’espace d’un seul cri
    la voix d’un enfant
    de l’au-delà des mots

    Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles

    qui de l’une à l’autre chante la gloire
    des yeux clos d’étoiles et de neige

    Puis s’alléger du poids des pierres
    en leur accordant le droit d’asile



    Jean-Marie Berthier, Ne te retourne plus, Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017, pp. 78-79.







    Jean-Marie Berthier  Ne te retourne plus






    JEAN-MARIE BERTHIER


    Jean-Marie Berthier
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un hommage de Dominique Sorrente à Jean-Marie Berthier
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Ne te retourne plus de Jean-Marie Berthier





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  • Thomas Chapelon | [Je roulais vite très vite]




    [JE ROULAIS VITE, TRÈS VITE]




    Je roulais vite très vite,
    Dans la plaine entourée,

    De montagnes grumeleuses d’arbres sombres,


    Je roulais très vite,
    La liberté        une dépression
    De cet air,

    Mon visage

    Légèrement   parcheminé,
    Je vieillissais,

    Le temps        accéléré,

    Il suffit        de coordonner sa temporalité,
    Temps restreint,

    Immensité,

    De se mouvoir        d’un battement,

    L’artère,

    L’écroulement,

    La distance,

    Je          n’ignorais,

    Sublime, ombre,
    De l’été étouffant,
    La discussion,

    Elle                   venant vers moi,

    Pour un livre,

    Les espaces me dit-elle,

    J’aime beaucoup,
    Oui,

    Et

    Je travaille avec des enfants sourds,
    Alors        je me demande,
    Comment ils définiront ces espaces,

    Comment ils liront ce texte,

    Peut être espace silence peut être,

    Ils parlent en gestes,
    Feront ils des gestes,

    Chacun            sera,

    Je ne savais,

    Elle venait vers moi,
    Femme si précieuse,
    De son attention.



    Thomas Chapelon, Anarchie des octaves in Anarchie des octaves suivi de Les ponts ont sauté, L’arachnoïde, 2017, pp. 70-71-72.






    Thomas Chapelon  Anarchie des octaves






    THOMAS CHAPELON


    Thomas Chapelon
    Source




    ■ Thomas Chapelon
    sur Terres de femmes

    [Le vent] (extrait de Désertion des capitales)
    [Tournis de pensées] (extrait des Immeubles de verre)



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions L’arachnoïde





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  • Anna Maria Ortese | « Les Petites Personnes »





    « LES PETITES PERSONNES »
    (extrait)





    Mais je reviens au point important. Je considère que les animaux, à cause de leur visage, de leur sensibilité et de leur compréhension évidente, appartiennent à la même famille que celle dont est venu, terriblement armé de la faculté de raisonnement, l’homme : à celle de la vie. Ce que l’animal ne possède pas, c’est uniquement la faculté de raisonner, la férocité de vandale poussée à l’extrême, l’orgueil ridicule de la faculté de raisonner, la capacité de désacraliser et d’exploiter la vie : c’est pourquoi il n’est pas considéré comme un peuple, alors qu’il devrait l’être, ni comme un être différent, une personne appartenant à la vie, mais considéré comme une chose, et traité en tant que telle.

    Nous croyons tout savoir sur les élevages, les abattoirs et la chasse, les expériences et les jeux, qui ont pour cible, depuis un temps immémorial, les Petites Personnes. Nous ne savons rien. Et si nous savions vraiment, nous mourrions de douleur et de honte, et nous frapperions irrémédiablement les cœurs humains qui existent pourtant, parmi nous. C’est donc une entreprise que je ne tenterai pas. Mais gare, a-t-on envie de dire, gare à l’homme qui accepte et pratique ces choses-là, et gare aux pays qui n’ont jamais eu scrupule à les faire, gare à tous ces garnements qui s’en lavent les mains et qui répètent stupidement : cela a toujours existé et cela doit continuer à exister. Au fond, ce ne sont que des animaux. Seul l’homme est important.

    Quel homme ! aurais-je envie de répondre. Sans fraternité, il n’y a pas d’hommes, mais des contenants de viscères, et un peuple constitué de contenants n’existe pas, ce n’est pas un peuple. L’homme est fait de fraternité, qui dit « homme » dit essentiellement « fraternité ». Et un homme — ou un peuple — qui se place au centre de la vie en disant « Moi », en frappant fort sa poitrine, n’est qu’un singe dégradé (alors que le singe ne l’est pas).

    J’écris tout cela sans ordre. C’est que mon caractère est méchant, il n’est pas bon, il n’est pas tendre, et dès que je rencontre de la présomption et de la lâcheté, qui entrent en maîtres dans le territoire de l’innocence et de la faiblesse, je voudrais prendre les armes, m’emparer d’un sabre, et faire tomber des têtes infectées. Mais je me transformerais alors en l’une d’elles, et donc, chassons ce désir.

    C’est juste une manière de dire. À partir du jour où j’ai commencé à comprendre certaines choses (et c’est un jour d’il y a longtemps, il appartient à ma première jeunesse), je n’ai plus aimé l’homme sincèrement, ou je l’ai aimé avec tristesse.

    Je dirais que je me suis efforcée de l’aimer, j’ai été émue par lui et j’ai tenté de comprendre l’origine de sa dégradation, d’être humain en maître. Ce serait trop long à raconter, et je ne peux pas le faire ici. Mais j’ai compris que plus l’homme (et la femme) ignore les Petites Personnes, plus il est indigne de s’appeler « homme », et que son autorité, lorsqu’il l’a gagnée, est mortelle pour les hommes.



    Anna Maria Ortese, « Les Petites Personnes » in « Frères différents » in Les Petites Personnes, En défense des animaux et autres écrits [Le Piccole Persone, Adelphi edizioni, Milano, 2016], Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2017, pp. 148-149-150. Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli.






    Anna Maria Ortese  Les Petites Personnes  Actes Sud





    ANNA MARIA ORTESE


    Anna Maria Ortese





    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Actes Sud)
    la fiche de l’éditeur sur Anna Maria Ortese
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Marguerite Pozzoli, traductrice du livre Les Petites Personnes. En défense des animaux et autres écrits par Anna Maria Ortese. Entretien réalisé par Michele Canonica pour le site L’Italie en direct. Février 2017.





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  • Christophe Manon | [Que reste-t-il des]




    [QUE RESTE-T-IL DES]




    Que reste-t-il des.          Amours qui n’ont pas su.       Durer que reste-t-il.      De ces émois dont nous fûmes.      Épris et qui n’ont plus.       Cours à présent sont-ils.           À jamais enfouis ou bien.      Laissent-ils dans le cœur.        D’infimes résidus dont le poison.   Très lentement nous tue.





    Rien n’est plus.      Incertain que le bruit que l’on. Fait lorsqu’on marche à tâtons dans.    L’obscurité et nos pas.         N’ont plus la ferme assurance du jour quand.         Ils avancent dans l’impermanence aussi.         Est-ce pourquoi souvent.         On chute sur les genoux mais toujours on demeure.         Fiers indéfectibles et dignes.         De cette dignité très désinvolte de ceux.         Qui vivent à plein régime.





    Nous ondoyons en plein.         Sous le soleil nous oublions nous chantons nous courrons après.     La belle aubaine le sang.         Danse dans les veines lentement la carne toutefois.         Se flétrit les yeux se perdent dans.         La nuit brute le sourire se corrompt fondent les.         Ultimes fibres puis la faux âcre enfin.         Nous saisit encore inaboutis tout.         Suants suffoquant malgré.         Notre valeureuse endurance et nous expédie illico à la.         Bourbe première.



    Christophe Manon, Jours redoutables, éditions Les Inaperçus, 2017, pp. 50-52-53. Photographies de Frédéric D. Oberland.






    Jours redoutables





    CHRISTOPHE MANON


    Christophe Manon




    ■ Christophe Manon
    sur Terres de femmes

    Au nord du futur (lecture d’AP)
    [Longue fut l’attente] (extrait d’Au nord du futur)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Les Inaperçus)
    la fiche de l’éditeur sur Jours redoutables






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