Étiquette : 2017


  • Jean Tortel | Jeter le mot



    JETER LE MOT
    (EXTRAIT)




    La parole n’est pas ailleurs
    Le lys le sang la pierre sont là
    Avec leur odeur leur force
    Je t’aime autant que le blé
    Fort à l’odeur de lance

    Nulle autre neige nul autre poids
    Hors d’elle je m’embarrasse
    Et je m’en vais de nous

    Celui qui parle ne se trompe pas
    Je parle Est-ce que je parle
    Un navire est perdu

    Lointaine et proche
    Tout est miroir
    Lointaine et proche et toi
    Confondue mais présente
    Toujours légèrement plus proche
    Que toute parole

    Qu’elle naisse de toi
    Qu’elle te fasse vivre
    Je prononce ton nom
    Qui la suscitera

    Je dis herbe ou miroir
    La parole est surprise
    Même dans ton sommeil
    Elle n’a point d’abri

    Je ne sais si c’est toi
    Qui parais la première
    Flammé douceur verger
    Je ne distingue pas



    Jean Tortel, « Jeter le mot », Naissances de l’Objet, Cahiers du Sud, 1955 in Yves Di Manno & Isabelle Garron, « Prémices d’un nouveau monde prosodique », Un nouveau monde, Poésies en France, 1960-2010, Flammarion, Collection Mille&unepages, 2017, pp. 158-159.






    Naissances de l'objet 2






    JEAN TORTEL


    Jean Tortel
    Ph. : Jean Marc de Samie
    – tous droits réservés
    Source





    ■ Jean Tortel
    sur Terres de femmes

    [Et de l’eau | Avant la nuit] (extrait de Relations)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Jean Tortel | Fragment personnel, par Philippe Rahmy
    → (sur universalis.fr)
    une notice sur Jean Tortel





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  • Éric Sautou, À son défunt

    par Angèle Paoli

    Éric Sautou, À son défunt,
    éditions Faï fioc, Montpellier, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli



    SEULS LES OISEAUX SAVENT




    À son défunt. Le titre de l’ouvrage sonne comme une adresse. Une adresse incomplète qui sous-entend une relation étroite entre le locuteur et son interlocuteur. Un défunt anonyme, homme ou femme, nul ne sait. La photo d’une jeune femme en fin d’ouvrage, souriante, d’allure simple et naturelle, laisse à penser qu’il s’agit peut-être là d’un poème écrit pour cette femme. Les deux vers en exergue empruntés au poème « Rhénane d’automne » d’Apollinaire orientent la lecture vers l’adresse d’un enfant à sa mère :

    « Des enfants morts parlent parfois avec leur mère

    Et des mortes parfois voudraient bien revenir ».

    De « Septembre » à « Dernier poème », Éric Sautou engage un dialogue avec la mère disparue. Le mois de septembre signe-t-il le moment de la séparation ? Peut-être. Le poème éparpille ses mots. Est-ce un poème ? C’est en tout cas une ouverture sur la mort et sur les réflexions qui l’accompagnent. Mais c’est aussi une perpétuation qui poursuit sa quête par-delà la mort.

    Des phrases brèves, sans complexité lexicale ni syntaxique, s’échelonnent sur la page, page après page, isolées par de forts interlignages. Les pronoms personnels « je/tu » apparaissent d’emblée :

    « Je t’attends beaucoup. »

    « Je descends jusqu’à toi ».

    Le mot « maman » est là, lui aussi, qui continue d’exister en dépit d’une absence marquée de l’impossibilité à penser celle-ci. Un abîme s’est ouvert, que rien ne peut apaiser que rien ne peut combler. Et cette douleur physique qui se dit explicitement : « Me brûlent (me brûlent). » Ou indirectement : « Les arbres souffrent (les arbres et les fleurs). »

    La mère demeure celle que l’enfant implore. « Sauve-moi ». Elle est cet être unique qui hante le sommeil. Elle est celle qui se présente encore à l’enfant qui a besoin de s’assurer de son amour et de se rassurer :

    « Est-ce que je suis quelqu’un que tu aimes toujours tellement ? »

    Les phrases se suivent qui rendent compte du désordre intime et du chagrin suscités par la disparition de la mère. La place laissée vide s’ouvre sur un chaos intérieur où tout n’est plus qu’incompréhension, que « précipice », que solitude. La vie est détruite. Elle fait place à une réalité nouvelle qui agit comme un couperet :

    « Les années sont tombées comme celles du rêve. »

    Ainsi s’écoule « Septembre », en quatre ensembles distincts de phrases qui évoquent la relation étroite du poète à sa mère. Et le manque indicible qu’il a d’elle.

    Une autre section s’ouvre, intitulée « Autres poèmes ». Numérotés de un à sept, les poèmes sont brefs. Légers (faussement !). Quelques vers, à peine. Un point isolé sépare chaque strophe. Parfois une simple phrase occupe la page. L’ensemble est aérien. Aéré. Aucune majuscule n’est là pour alourdir l’espace ou perturber le regard. Seules des parenthèses ponctuent parfois les poèmes.

    La mère est là, présente dès l’ouverture.

    « ton nom

    ta voix

    comme si déjà

    presque

    rien je m’y égare »

    Le poète aussi, avec ses mots minuscules :

    « j’écrivais des poèmes (des lambeaux)

    des peines des sursis »

    Le premier poème reprend ce qui déjà s’annonçait dans « Septembre ». Égarement / déchirure / chagrin. Et cette impossibilité à se saisir, par le poème, du visage aimé. Tout tient ici en très peu de mots.

    L’attente. Les ombres. L’absence. Rien ne va plus. Tout échappe au poète qui tente de ranimer ce qu’il fut de sa mère. Surgit un lieu. Celui de la maison que le poète associe au visage maternel. S’ajoute à ce duo, la rivière. Mais tout est nommé sans qu’aucune précision ne vienne alourdir leur présence. Sinon deux superlatifs absolus qui soulignent la singularité du lieu :

    « regardez il y a

    la plus petite (petite)

    et la plus seule de nos maisons (une rivière

    l’accompagne) »

    Et ce constat qu’il est impossible de retenir quoi que ce soit de ce qui fut. Reste entre les doigts la sensation du friable de l’éphémère de l’impalpable. Tout finit par se défaire par se déliter et par tomber :

    « […] la fleur de son

    bouquet

    c’est de la paille

    c’est de la cendre (bientôt ce n’est plus rien) »

    Je m’interroge sur les parenthèses. Je ne parviens à aucune réponse claire quant à leur objet ; quant à leur signification précise. Je perçois seulement qu’elles m’émeuvent sans que je parvienne à en saisir la raison. Elles complètent, enclosent les mots ou les phrases qu’elles contiennent. Parfois en écho assourdi, parfois en crescendo comme pour l’énumération ci-dessus, finalement ternaire, qui va de la « paille » au « rien » en passant par la « cendre ». Il faudrait faire halte sur chacune d’entre elles et les considérer dans leur singularité. Je fais le choix de la subjectivité qui me fait seulement dire ici qu’elles m’émeuvent sans que je cherche à m’appesantir davantage. Ce choix n’est après tout peut-être rien d’autre qu’une volonté de retrait, en réponse au lyrisme (discret) qui sourd derrière ce qui s’écrit de cet indicible amour. Un amour que le poète tient serré dans un « tout petit mouchoir brodé ».

    L’instant se fige dans un présent immobile qui pourrait bien être éternel puisqu’entouré « de plus hautes herbes ». Avec lui revient le passé, retour sur ce temps où les parents existaient ensemble, partageaient le même silence. Des interrogations esquissées, comme incomplètes ou inachevées, débouchent sur une absence de réponse en même temps que sur la quête qui taraude le poète jusqu’au regret :

    « est-ce que j’ai fait

    quelque chose pour toi pourquoi

    ce qu’il aurait peut-être

    fallu mais je n’ai pas

    stèle

    brisée (jour manquant) ».

    La mort a accompli son œuvre. Elle a emporté la mère. Le poète reste seul. Abandonné à ses mots, confronté à leur inadéquation, à leur difficulté à être. Et ce constat terrible lié à la perte et à l’infini du ravage :

    « c’est le nom que tu n’as plus si je ne suis plus là ».

    La disparition totale veille si le fils n’y prend garde et vient à disparaître à son tour.

    La relation mère/enfant s’inverse : « Ma mère mon enfant ». L’inversion annoncée dès « Septembre » se poursuit. La mère défunte devient l’enfant que le poète berce dans les mots, dans l’espoir d’une osmose de l’un avec l’autre et que seule la mort peut faire advenir :

    « le temps

    est irréel où je tremble il me semble

    que tu es

    désormais mon enfant (je n’y résiste pas)

    nous serons

    bercés abandonnés quelqu’un viendra nous dire

    vous êtes

    vous aussi le défunt »

    Le recueil touche à sa fin. Un « Dernier poème » le clôt. Poème unique. Et seul à porter un titre : (les oiseaux). Leur vol à l’unisson traduit sans doute l’aspiration du poète à trouver une réponse à ses questionnements sur le temps et sur la mort. Seuls les oiseaux savent, qui s’accomplissent dans leur fusionnement :

    « lorsque les voilà rassemblés ils sont le ciel ».

    Un très beau recueil que celui d’Eric Sautou. Tendre. Émouvant.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Eric Sautou




    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    Beaupré (lecture d’AP)
    [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    La Véranda (lecture d’AP)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou





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  • Isabelle Lévesque, Voltige !

    par Angèle Paoli

    Isabelle Lévesque, Voltige !
    éditions L’herbe qui tremble, 2017.
    Peintures de Colette Deblé. Postface de Françoise Ascal.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « VIVRE ÉCRIRE | SANS TOURMENT »




    Une rêverie dansée ? Une chanson triste hissée à hauteur d’absolu ? Les trois vers de Guillaume Apollinaire, extraits de « Sanglots » et inscrits en épigraphe de Voltige ! — dernier recueil d’Isabelle Lévesque —, incitent à le penser. De même la peinture qui illustre la première de couverture. On peut certes imaginer une danse, un envol, une silhouette enlevée dans le mouvement tourbillonnant d’un manège. Mais on peut aussi lire dans cette danse l’expression d’une résistance, hanches déportées et bras levés vers le ciel. Peut-être même faut-il voir dans ce déport l’expression d’une supplication ?

    Derrière cette silhouette tremblée de femme, on reconnaît aussitôt la créatrice Colette Deblé. Une autre silhouette féminine, du même rouge jaspe et entourée de la même nébuleuse étoilée, est insérée dans le recueil. Toutes deux renvoient à une céramique du peintre de Marsyas dont s’est inspirée Colette Deblé. La silhouette se nomme Thétis. Elle est la Néréide que Pelée a enlevée afin de l’épouser. Une légende corse prétend que les noces extravagantes entre la jeune beauté « au voile flottant » et son époux furent célébrées en mer, au large du Monte Genovese et des Agriates. Me reviennent aussi en mémoire les envolées lyriques de l’opéra vénitien de Francesco Cavalli : Le nozze di Tite e di Peleo (1639). La Thétis de Colette Deblé se tient, elle, accroupie sur ses talons ; torse tendu dans une torsion, visage au regard invisible tourné en arrière des épaules, bras écartés. Thétis résiste-t-elle en un ultime effort à l’assaut de Pelée ? Ou bien s’est-elle résignée à le suivre ? Impossible d’en décider de façon affirmée, même si l’intitulé de la toile révèle l’épisode qui précède les noces: Pelée s’empare de Thétis. Quelques vers de L’Iliade laissent échapper la plainte de Thétis. La divinité marine s’épanche sur son sort, elle qui s’est vu imposer par Zeus un époux qu’elle ne désirait pas. Ainsi la violence a-t-elle présidé à ses épousailles. Mais l’amour n’est-il pas en soi une forme de rapt ? C’est peut-être le récit d’un rapt amoureux, mais un rapt consenti, que le recueil Voltige ! va dévoiler pour nous.

    Dans son chemin de lecture, le lecteur croise d’autres silhouettes de femmes. Une Allégorie de la Paix d’Amiens (1802), réalisée par Pierre Lacour (1745-1814) ; une silhouette accroupie inspirée par l’artiste Elina Brotherus (Model Study) ; celle, très enlevée, de la duchesse d’Angoulême, d’après la toile du Baron Antoine Jean Gros (1771-1835) : L’Embarquement de la Duchesse d’Angoulême à Pauillac. Silhouettes ailées de femmes qui s’élancent, détachées de leur histoire, pour rejoindre l’éternelle légèreté de leur danse. Celle-là même qui préside à leur envol absolu.

    Voltige ! Vers quelles cimes la poète veut-elle entraîner sa suite ? Faut-il voir une incitation à un envol neuf ? Après l’idylle, l’abandon. Après le doler, un chant nouveau ? Le recueil de la poète est-il le récit d’une expérience de l’intime ? Un épithalame en l’honneur de l’amant ? Peut-être tout cela mais aussi affirmation d’un chant fondateur pour la poète :

    (Je suis

    coquelicot.)

    En lisant les poèmes lyriques qui composent ce recueil, j’éprouve le sentiment diffus de renouer avec les mythes d’antan, amours sylvestres entre les mortels et les dieux. Ou encore avec les poèmes médiévaux, tels que nous les a laissés Marie de France:

    « le chèvrefeuille et son lai, le coquelicot le bleuet

    soupirs. »

    Ne sont pas loin, non plus, les coquelicots de Zanzotto (« Fiers d’une fièreté et d’un rut barbare ») et ceux de Giuseppe Conte (« légères fleurs de soie ») qui habitent la mémoire.

    Amours champêtres et floraux, la néréïde interroge. « Sais-tu », « Veux-tu », « Entends-tu », « as-tu si peur ? »… Elle n’a de cesse, dès le poème d’ouverture, de susciter la geste de l’aimé.

    « Tu rejoindras

    les blés    le pain    la couleur. »

    Ainsi s’ouvre le chant d’amour éternel qui prend son essor au printemps et se déploie, le temps de floraisons intenses — bleuet/coquelicot — au cours d’un été :

    « Soif été fol        
    il était une fois

    25 août

    or épelé      depuis midi tu es
    soleil jour d’or
       à minuit sonné. »


    Amour absolu qui tient entre ses mains l’éternité offerte, danse parmi les blés, naissance à l’autre et au désir, ponctuée par les silhouettes colorées et fragiles de Colette Deblé.

    « Jamais-toujours :

    seule proposition. »

    Deux textes en italiques (il y en a d’autres), phrases elliptiques ou inachevées, viennent suspendre momentanément le tremblé des quatre poèmes d’ouverture. Mais toujours le vent balaie qui disperse les signes et les soumet à l’épreuve de la souffrance :

    « Derrière l’apparence bleue, ce signe saigne. »

    Quelque chose se prépare qui menace l’attente. D’un poème à l’autre, l’imperceptible poursuit sa percée, voltige modeste silencieuse entre les phrases. Les allitérations en [V] et en [Ʒ] ponctuent les poèmes, qui sèment et disséminent dans le récit de cet amour-rapt-apothéose- abandon, leurs sonorités chuintantes et ailées. Voltige / sillage / neige / songe / orange / tige / chevauche / rival / image / léger / manège / sortilège / présage / fragile / vent / vol / rêve…

    Cette légèreté discrète jointe au récit qui sourd derrière les vers conduit une langue nouvelle :

    « Ma langue nouvelle

    corne ta voix (tympan de mon souffle) »

    La voix poursuit son appel sombre tandis que celle de la poète se fait souple, résiste à la brisure même si le parcours poétique revient sur ce qui fut de ce fusionnement ébloui, cercle des mains lieuses, habiles à la caresse. Il faut revenir sur ses pas, remonter vers le poème d’ouverture, pour entrevoir la manière subtile dont la poète entreprend de tisser son histoire. Présence d’un « nous » fusionnel et séparation annoncée du « je » et du « tu » s’entrelacent habilement. Mais ce qui s’affirme explicitement, bien avant que la séparation ait lieu, c’est la force du « je » féminin. Et l’aveu qu’il restera maître du rituel amoureux :

    « Je prendrai le cuir

    de nos pas nus

    sur la terre. »

    Le premier vers du poème d’ouverture « L’aurore est assoiffée » est-il l’amorce d’un avant, l’amorce d’un après ? Annonce-t-il les noces printanières, l’invention des amants, voltige haute d’un été, « danse fauve », éros sublimé « papillon nu dans le vent » ?

    « Ce soir, cercle clos

    (tes bras m’entourent). »

    Ou bien l’annonce du désarroi, désamour inscrit à même la danse nuptiale, sacrée par l’amante dans l’or de l’été :

    « La boucle des rêves s’achève,

    manège, haltes brèves contre ton corps.

    Danse le coquelicot !

    Le vent ne peut rester debout, je cesse et libre.

    Voltige. »

    Plus loin, à l’idéal amoureux de l’amante répond le détachement déjà sensible de l’aimé. Et le regret douloureux qui accompagne l’épreuve :

    « Légère assonance

    du manque, tes mains l’avouent.

    Perdent en assurance le scandale.

    Tout a fondu     antan. »

    Vient très vite l’envers de la voltige, « vacillement » « voilé ». Celui de l’arbre mort, celé dans ses cendres :

    « L’arbre ne renaîtra pas, squelette capricieux,

    rien ne l’agite. Ses membres dessinent

    la pierre d’oubli lancée,

    passé voilé, vacillement d’une ombre et

    ce n’est pas la nuit… »

    Le célèbre vers de Guillevic annonce-t-il le manque à venir ? Associée à la multiplicité d’images négatives, la prolifération insistante des assonances en [i] semble confirmer cette interprétation. Les cercles progressivement vont se dénouer, qui détisseront ce que les bras avaient voluptueusement scellé.

    Restent les mots du poème pour dire le froissé éternel du coquelicot. La passion secrète qu’il porte en lui. Et ce désir irréalisable qui taraude et qui creuse l’écriture :

    « Vivre écrire — sans tourment

    pure perte

    pétales nus loin des blés. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Voltige !






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source



    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Oh, ce désordre de disparaître !] (extrait de Nous le temps l’oubli)
    C’est tout c’est blanc
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    Le Fil de givre (lecture d’AP)
    Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Texture)
    une recension de Voltige ! par Jean-François Mathé
    → (sur le site de la revue Terre à ciel)
    une recension de Voltige ! par Claudine Bohi
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Isabelle Lévesque, de la terre à la lumière, par Pierre Kobel
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Isabelle Lévesque
    → (sur Recours au Poème)
    trois lectures de Voltige !, par Hervé Martin, Marie-Hélène Prouteau et Lucien Wasselin




    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • 11 avril 2015 — Printemps | Sandrine Cnudde, Patience des fauves

    Éphéméride culturelle à rebours



    M1603         11 avril — PRINTEMPS




    Un prix pour le pain,
    un prix pour les affiches,
    un pour le péage de l’autoroute,
    le granulé pour le poêle,
    un prix pour les chaussures du petit,
    un prix pour le kiné qui te répare l’épaule,
    et toi, le poète, tu coûtes combien ?
    Tu le chiffres comment, le kilomètre à pied,
    le vers qui te réveille la nuit,
    la question qui te brûle le cerveau pour bien la formuler,
    l’élagage de phrase, au mètre cube ?
    Personne ne veut payer l’immatériel ? Eh bien matérialisons !
    Encartons les poèmes, roulons les rimes, ficelons les fiches de lecture de nos paysages intérieurs : je me ferai colporteur. À petits gestes économes, à petits pas précieux, porterai la parole des poètes jusque chez vous. Une pièce suffira, on se débrouille déjà comme ça, et la retraite se fera à l’ombre des vautours.
    Allons voir le code ROME de cette étrange activité : M1603. Parfait ça sonne comme une machine gun à la Belleveaux. J’ai du pain sur la planche, d’autant que le TMT ne pourra bientôt plus me le payer, parce que la ville de Marvejols coule à pic, érodant tous les pans des actions sportives, sociales et culturelles. Mais je suis sûre que l’imagination va innover avec force en ce pays de liberté et de résistance. Après tout, la Bête du Gévaudan, c’est de l’intérieur qu’elle fut terrassée.
    Aujourd’hui j’emporte un peu la tristesse de mes amis. Quand je reviendrai, je compte bien l’avoir transformée.



    29/03/2015 Élections départementales : la gauche perd le Nord / le Pas-de-Calais est en vigilance orange « vents violents » / 4 randonnées pyrénéennes sont désormais accessibles en mode immersion sur Google Street View 30/03/2015 L’État islamique renouvelle sa revendication de l’attaque du musée du Bardo à Tunis / Une route est en construction dans les Alpes pour faciliter les recherches suite au crash de l’A320 provoqué par un pilote suicidaire 31/03/2015 Des plongeurs trouvent 25 statuettes de la Vierge dans le canal de Roubaix / Deux énormes tempêtes balayent le nord de l’Europe/ Personne n’a encore gagné les 73 millions d’euros de l’Euromillions 06/04/2015 L’Inde commande 36 avions de guerre à la France / 150 dauphins s’échouent sur une plage au Japon/ Dans l’Yonne ; organisation du premier speed-dating spécial agriculteurs 08/04/2015 Le magazine Fluide glacial fête ses 40 ans et rend hommage à Charlie hebdo / Lors d’une commission publique à Washington, la NASA affirme que l’humanité est proche de déceler la présence d’une vie extraterrestre / Nouveau pic de pollution à Paris 11/04/2015 Au Panama, poignée symbolique entre Barack Obama et Raul Castro / Une nonne tibétaine s’immole par le feu en refus de placer le drapeau chinois sur le toit de son monastère / Un os de babouin est identifié parmi les 89 os du squelette de Lucy



    Sandrine Cnudde, Patience des fauves, Réseau d’affûts en territoire poétique, Collection Po&psy a parte, éditions érès, 2017, pp. 98-99.






    Sandrine Cnudde  Patience des fauves
    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde

    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    [Je sais que parfois la flamme vacille](extrait d’Habiter l’aube)
    Habiter l’aube (lecture d’AP)
    Gravité/Gravedad (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Sandrine Cnudde
    → (sur Chemins d’étoiles)
    une fiche bio-bibliographique sur Sandrine Cnudde
    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Patience des fauves de Sandrine Cnudde






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  • Ewa Lipska | Vertige amoureux [Zakochanie]



    ZAKOCHANIE




    Tych dwoje
    pod czułą narkozą niebios.

    W podróżach przez legendy
    homilie i anegdoty.
    Zasnęli wreszcie
    w czarnej pelerynie hotelu
    o którym rozpisują się
    plotkarskie media.

    Wybudzić ich z miłości
    pragnie krzykliwa błyskawica.
    A zazdrosne życie w żałobie
    Kręci się koło recepcji jak pies.

    Ale tych dwoje
    pod czułą narkozą niebios.
    Szczęśliwi na zawsze.
    Ze śmierci wypluwają
    jedynie pestkę.






    Lipska_Czytnik linii papilarnych_m







    VERTIGE AMOUREUX




    Ces deux-là
    sous la tendre anesthésie des cieux.

    Voyagent à travers les légendes
    les homélies et les anecdotes.
    Ils se sont endormis enfin
    dans la noire pèlerine de l’hôtel
    au sujet duquel
    ne tarissent pas
    les rumeurs médiatiques.

    Les éveiller de l’amour
    se dit l’éclair d’un cri.
    Tandis que la vie en deuil jalouse
    tourne en rond à la réception comme un chien.

    Mais ces deux-là
    sous la tendre anesthésie des cieux.
    Heureux pour toujours. De la mort ils recrachent
    le noyau seulement.




    Ewa Lipska, Lecteur d’empreintes digitales [Czytnik Linii Papilarnych, éditions Wydawnictwo Literackie, Cracovie, 2015], édition bilingue, éditions LansKine, Collection « Ailleurs est aujourd’hui », 2017, pp. 44-45. Traduction et introduction Isabelle Macor.






    Lipska Lanskine





    EWA LIPSKA


    Ewa Lipska Portrait





    ■ Ewa Lipska
    sur Terres de femmes

    La mémoire [Pamięć] (extrait de L’Amour, chère Madame Schubert… [Miłość, droga pani Schubert…])
    Nature morte [Martwa Natura] (extrait de Rumeur [Pogłos])



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel d’Ewa Lipska
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Lecteur d’empreintes digitales d’Ewa Lipska
    → (sur Recours au Poème)
    une page sur Ewa Lipska
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Macor-Filarska
    le site personnel d’Isabelle Macor-Filarska





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  • Amina Saïd | [si long fut l’exil du jour]



    [SI LONG FUT L’EXIL DU JOUR]




    Si long fut l’exil du jour
    qu’il se confond désormais avec la nuit

    désarroi des saisons empilées
    comme des vertèbres

    le temps des rumeurs est revenu
    temps des refus des peurs des agressions
    des haines entretenues

    les fils dévorent les mères
    les enfants ne comptent plus leurs doigts
    les oiseaux quittent les corps

    sur les trottoirs pavés d’yeux
    et de mauvais présages
    les femmes sont lapidées
    avec les pierres de leurs seins

    dans les terrains vagues du présent
    brûlent l’herbe de la colère
    et les rêves avortés

    nous ne savons plus
    où est notre nord notre sud

    nous entrons dans le silence du cri




    Amina Saïd, Chronique des matins hantés, Éditions du Petit Véhicule, Collection « La galerie de l’or du temps », Nantes, 2017, page 66. Peintures Ahmed Ben Dhiab.






    Amina Saïd  Chronique des matins hantés




    AMINA SAÏD


    Amina Saïd
    Ph. Michel Durigneux
    Source





    ■ Amina Saïd
    sur Terres de femmes


    alors au pied d’un arbre (extrait de Tombeau pour sept frères)
    amour notre parole (extrait de De décembre à la mer)
    [de ce côté-ci du monde ou de l’autre](extrait de Clairvoyante dans la ville des aveugles)
    Du Vieillard de la mer et de la Source de vie (extrait du Corps noir du soleil)
    [écrire] (extrait de Dernier visage avant le noir)
    enfant moi seule (extrait d’Au présent du monde)
    Jusqu’aux lendemains de la vie (extrait de L’Absence l’inachevé)
    l’élan le souffle le silence (extrait de La Douleur des seuils) [+ une notice bio-bibliographique]
    Les Saisons d’Aden (note de lecture d’AP)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Amina Saïd (+ deux poèmes d’Amina Saïd)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions du Petit Véhicule)
    la fiche de l’éditeur sur Chronique des matins hantés






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  • Anne Marguerite Milleliri | Ce chant de haute mer



    CE CHANT DE HAUTE MER




    Étrange canopée bleue
    échevelures de mâts entés sur un chant blanc
    tout à sa noire mélancolie,
    le vent

    un navire tangue au gré des voix en déchirures,
    les vagues

    meurtries de larmes floues
    à la surface des yeux

    les mâts rompus crissent
    entonnant la tempête,

    ce chant

    de haute mer




    Anne Marguerite Milleliri, Ailleurs deux ombres dansent, Éditions Accents poétiques, 2017, page 41. Préface de Jean-François Declercq.






    Anne Marguerite Milleliri  Ailleurs deux ombres dansent  Editions Accents poétiques  2017.





    ANNE  MARGUERITE  MILLELIRI


    Anne Marguerite Milleliri
    Source




    ■ Anne Marguerite Milleliri
    sur Terres de femmes

    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Jaune




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Possibles de Pierre Perrin)
    Trois poèmes d’Anne Marguerite Milleliri
    → (sur Aller aux essentiels)
    Trois poèmes d’Anne Marguerite Milleliri
    → (sur le site des éditions Accents poétiques)
    la fiche de l’éditeur sur Ailleurs deux ombres dansent





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sereine Berlottier, Au bord

    par Angèle Paoli

    Sereine Berlottier, Au bord,
    Collection « Poéfilm »,
    éditions LansKine, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « ET MAINTENANT, PEUT-ÊTRE QUE TU CROIS À L’AMOUR ? »




    Au bord, c’est ici même. Lieu de l’échange entre une mort imminente et une vie. Deux voix se croisent, en amont en aval entre celle qui se penche et celle qui attend. De l’une à l’autre, de l’une vers l’autre. Bord à bord. Comment dire cet entre-deux fait de silence dans un espace-temps qui se noue entre deux rencontres, deux « apnées ». C’est tout le questionnement que Sereine Berlottier poursuit tout au long de ce très beau et très émouvant recueil. Au bord. Un bord mouvant sur lequel la poète se penche pour tenter de saisir et de retenir l’expérience intime de la mort. Ce qu’elle fait avec une immense pudeur. Et une infinie tendresse.

    L’accompagnement se fait en quatre temps, quatre sections. Ta voix / Visage dans / Le récit / Midi l’épée. Un temps d’avant la mort ; un temps pour lui succéder.

    « Ta voix » ? Une ombre qui se lance dans les mots à dire qui ne sont peut-être que des accroches pour se pencher vers l’autre et pour se rassurer :

    « Ta voix, ombre

    Disant elle a l’air bien elle a l’air bien c’est toi qui le dis »

    Ainsi s’ouvre le recueil. Derrière la voix, la pensée. Dont on ne sait rien. Pas même si elle pense. Qu’il est impensable de cerner. En présence de l’autre dont la vie ne tient plus qu’à un fil, la pensée s’éclipse, se dérobe, qui pourtant enserre le corps épaules et dos jusqu’à

    « [c]rier derrière les yeux maintenant. »

    Il faut pourtant poursuivre. S’adapter, chercher et trouver les menus objets qui comptent encore, choisir la position du corps pour atteindre « l’angle de son cou » ; prendre le temps de lire les émotions qui affleurent, « voile de panique sur le visage » ; pour accueillir les souvenirs. Le visage est sans bord. Il ouvre pourtant sur des bords invisibles qui renvoient au passé.

    Affleurent alors toutes sortes d’images qui ne font que passer.

    « Quelquefois la porte s’ouvre

    au bord du train ».

    Très vite le monde de l’hôpital reprend ses droits, imposant ses « images captives », ses grimaces et suscitant d’autres questions. Les pensées autres font irruption, incongrues dans ce lieu que n’habitent que des malades provisoires qui n’ont d’autre attente que celle de leur disparition :

    « En hôpital de jour, de jour la nuit, chacun chez soi

    Non posée (ni question ni comparaison)

    S’enfuir n’est pas un programme, machine à café

    Ou alors : thé à la menthe ?

    La prose ne s’oppose pas au poème

    Continué vers son bord le plus net »

    La poète entrecroise. Les observations assorties à l’univers dans lequel elle se trouve, les remarques de ceux/celles qu’elle croise dans les couloirs ; les regards. L’univers est morcelé, fait de juxtapositions de morceaux qu’elle recolle bord à bord. Ainsi de l’espoir.

    « L’espoir de Nadedja, l’espoir d’Ossip, l’espoir d’Annette, dite Anne, l’espoir de la phrase qui parle d’espoir étant l’espoir même (continué vers son bord le plus net) ».

    D’autres questionnements, plus actuels, plus quotidiens, plus terre à terre surviennent, qui bousculent les précédents, pour faire contrepoids :

    « À quel bord les mains qui travaillent dans quel sens les pieds tirés par les blouses blanches… »

    Les chemins se frôlent. Celui de la narratrice celui des soignants celui des patients. À la recherche de signes. Dans les marges. « D’un bout à l’autre », dedans dehors. Tout s’active. Mais le visage, lui, « le visage est tout seul ».

    Le bord est omniprésent mais il est polymorphe et mouvant. « Au bord des yeux », difficile de le cerner. De le saisir. La vie continue que rien ne vient interrompre, pas même la mort imminente d’un être aimé. Elle continue et ramène les enfances, leurs lieux d’étincelles ; entre oubli et souvenirs, la pensée fugitive ramène, elle, toute une efflorescence d’images singulières, difficiles à appréhender et pourtant si évidentes :

    « Tu n’apparais nettement que de t’éloigner

    Non pas ensemble mais bord à bord »

    ou encore :

    « Il faudrait ne pas tant parler

    Mais personne ne ferme les yeux »

    Qui est cette autre ? Qui est-elle ?

    « Mère-vague et tempétueuse »

    ou encore :

    « mère de coton en pleine lumière »

    Mais aussi, quelques pages plus loin :

    « petite chèvre sauvage parmi les chardons ».

    Que reste-t-il du visage aimé ? Il reste une ombre, l’image d’un crâne scalpé, un crâne de pirate dont la perruque repose comme les vêtements, sur un fauteuil, quelques mètres plus loin :

    « nuage photographié

    sur le mur

    laineux et comestible »

    Le bord prend soudain toute sa force, toute sa valeur. Valeur de survie  :

    « Combien de fois au bord d’un geste

    Comme s’il y allait de ta vie, les yeux baissée ?

    Bien sûr il y va de ta vie au bord de cet unique geste »

    Chaque geste donné est un geste unique, le seul qui vaille d’être accompli. Une caresse sur les bras meurtris par les injections, la peau devenue si diaphane. Et les mots qui se cherchent

    « quels mots pour tous les pardons ».

    Le visage aussi est au centre, avec les superpositions et strates toujours qui se chevauchent images présent/passé. Entre ces deux extrêmes la vie dans les plis continue, verbes au présent (est-ce suffisant pour dire l’aujourd’hui ?), un présent qui date dès lors qu’il est engagé. Les choses qui entourent sont « datées », soleil et grilles, les arbres aussi. Puis l’imparfait fait intrusion dont l’intensité culmine avec cette question qui jette sur le regard un impossible avenir :

    « sans doute y avait-il ces jours-là

    le plaisir d’un peu de soleil

    sur nos visages, sur nos mains ? »

    La vie cependant s’obstine, faite de rencontres réitérées, de visites régulières qui apportent chaque jour leur lot de questions, d’intentions inabouties, de lettres d’inconnus. Tout le réel en vrac contenu dans une chambre d’hôpital se vit dans l’entre-deux de chaque rencontre. Et l’on parle de tout de rien surtout pas de… Suspens. Ne pas effleurer. Passé et présent conjuguent ensemble des temps qui se mêlent. Comment faire coïncider le corps de la malade avec l’image que l’on a gardée de lui ? Quelle pensée peut permettre d’aborder la pensée de ce corps ? Les images fusionnent qui n’appartiennent pas au même temps, les unes chassant les autres, images d’enfance sans doute qui viennent se superposer aux dernières images enregistrées. Ainsi se vit et s’écrit un bord-à-bord. Entre deux temporalités, entre deux corps, deux vies, deux entités. L’une et l’autre. Mais tout dans ce tête-à-tête est « dernier ». « L’orchidée desséchée », « ta dernière plante ». Dès lors le corps de l’autre peu à peu se dérobe. La vie glisse vers l’ailleurs. Surviennent les derniers mots échangés qui disent l’impossible :

    « là où tu vas tu dis

    ne me laisse pas et

    c’est impossible »

    Face à l’indicible le poème s’amenuise. Les mots se scindent, disjoints par des lignes obliques. D’autres refusent de s’éclipser, qui rejoignent les parenthèses, d’autres encore, en caractères minuscules, miment les apartés :

    « (tu demandes mais

    ils n’entendent pas) »

    Paroles entrecoupées par les sanglots sans doute, qui ne parviennent pas jusqu’à la phrase, formulations au coup par coup, pour dire l’écart, pour dire le bout. Les pensées continuent d’affluer, comme le sang, par touches imprévues. Elles imposent aussi leur cocasserie et leur justesse :

    « il manque

    un féminin

    à pirate »

    Le temps approche de la dernière séparation. Le bord-à-bord, ce qu’il en reste, « un frôlé », l’ultime, qui draine avec lui le peu qu’il reste de l’échange, à donner :

    « temps de merci très pauvre

    loin de l’unique fenêtre »

    Avec « Midi l’épée » s’ouvre le temps de l’après. Celui où remontent d’autres images, des photos qui racontent et qui figent le passé une fois pour toutes. Les poèmes sont plus denses mais toujours s’enchevêtrent en un fondu enchaîné très doux les moments d’hier et le temps d’aujourd’hui. Le temps d’aujourd’hui a perdu ses couleurs, a perdu sa vitalité. Quelque chose d’autre prend place, mais l’on ne sait pas quoi au juste. Le temps d’après la mort est celui de la recomposition des visages, de tous les visages de la défunte :

    « ce jour-là son visage était si

    simplement vivant (c’est comme un souvenir) »

    Le bord prend d’autres formes dans lesquelles l’écriture pourrait s’inscrire :

    « une chambre au bord de mer

    cherche un récit

    l’attente du corps »

    Les pensées continuent de vagabonder qui jamais ne se fixent et qui se poursuivent en dehors de la douleur

    « non pas l’oubli

    mais la tension modifiée de vivre

    le choix d’une forme

    son émiettement…»

    Survient alors cette molle torpeur qui enserre le vivant et qui « borde le vide ».

    Reste à la vivante « un cahier/aux pages jaunies » et le constat douloureux

    « que le vrai livre

    de sa vie se trouvera

    écrit avec des pages qui

    toutes, en un sens,

    lui auront été étrangères »

    Demeure dans la mémoire cette question qui tombe à l’improviste mais qui remet les choses à leur juste place, qui les rend à leur vraie dimension :

    « Et maintenant, peut-être que tu crois à l’amour ? »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sereine Berlottier, Au bord






    SEREINE  BERLOTTIER


    Sereine Berlottier
    Source



    ■ Sereine Berlottier
    sur Terres de femmes

    [plus jamais je ne rejoindrai | l’intérieur de mon visage] (extrait d’Au bord)
    Dans la lumière diffuse des bourgeons (extrait de Ciels, visage)
    Louis sous la terre (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Au bord
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture d’Au bord par Georges Guillain
    → (sur le site de la revue Secousse)
    une lecture d’Au bord par Gérard Cartier [PDF]
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Sereine Berlottier





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Nimrod | [Tu poseras ton faix]



    [TU POSERAS TON FAIX]



    Tu poseras ton faix au pied des meules
    Tu prendras en patience ces offrandes hirsutes
    Où les dieux devisent

    Un mur un pain une texture de silence
    Et derrière toute vigilance de mise
    Une architecture époumonée



    Le ciel égrène son givre d’absence
    Nous lui empruntons si peu
    Mais les désirs en nous rejoignent son espace

    Et peu à peu le jour se raréfie
    L’insecte du soir griffonne
    Le réveil des monastères




    Nimrod, « Terre vide & pleine », Passage à l’infini, Obsidiane, Collection Les Solitudes, 1999, pp. 31-32, in « Paysage », J’aurais un royaume en bois flottés, anthologie personnelle 1989-2016, Poésie/Gallimard, 2017, page 128. Préface de Bruno Doucey.






    Nimrod  bois flottés NIMROD


    Nimrod-02
    Ph. D.R. Olivier Roller
    Source





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur fr.wikipedia)
    une fiche bio-bibliographique sur Nimrod





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Mary-Laure Zoss | [butés à l’arrière]



    [BUTÉS À L’ARRIÈRE]
    (extrait)




    « Les simples n’ont ni femme ni enfant. Ils puisent et donnent ailleurs. Ce qui les nourrit, personne ne le voit. »
    Jeanne Benameur, Reliques, p. 77.




    d’où on part, rasant les murs au fond de soi ; d’un parquet, d’une pingre lumière par doigts d’enfants creusée, fourgonnée ; aucun feu derrière ; du vide et on y va ; plusieurs, le sommes-nous ? à passer — ça aiderait — du plus loin qu’on peut de son nom ; dès que dehors, sur les pavés de la cour et aux genoux froides meurtrissures, nous oblige à pencher, le ciel, à songer sourd, étouffe cru par le haut des arbres ; d’une fenêtre l’infirme, au troisième elle fait signe, nous pareil ; mais les murs donnent rien ici, on grandit pas ; des frères, ils sont, leur parler où, chacun dans son angle ? là-bas, quand on y retourne, on se bande les yeux pour mieux voir ; par où entrer, pour l’heure on n’en sait rien, fichtre rien







    Pelle mecanique 800
    Ph., G.AdC






    maintenant par-dessus le ravin se lèvent des hordes hivernales, brouillard épanché, repu de l’arrière des cabanes — regardez, une s’éclaire dedans ; du chantier ferment tantôt les grilles, des ombres les tirent, casquées de jaune à la tombée ; confins ramenés près, si près, quand s’éteint l’ampoule intermittente de la pelleteuse ; à quelques mètres, d’autres battent la semelle sur le goudron ; s’envoient des châtaignes, une patate brûlante, nous on y va pas, on reste autour, ou on recule vers les containers ; ça évite, voyez-vous, de faire mauvais figure quand on s’amène la trouille au ventre




    Mary-Laure Zoss, « [butés à l’arrière] », in La Traverse du Tigre (hors-série des Carnets d’Eucharis), « Poésie suisse romande » (anthologie), février 2017, pp. 94-95.






    Traverse du Tigre




    MARY-LAURE ZOSS


    Mary-laure-zoss
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Cheyne éditeur)
    une notice bio-bibliographique sur Mary-Laure Zoss
    → (sur le site de la Fondation Leenaards)
    une notice bio-bibliographique sur Mary-Laure Zoss
    → (sur Recours au poème)
    une lecture d’Au soleil, haine rouée (Cheyne éditeur, 2014) de Mary-Laure Zoss
    → (sur le site des éditions fario)
    la fiche de l’éditeur sur Ceux-là qu’on maudit (2016) de Mary-Laure Zoss
    → (sur Terres de femmes)
    un autre poème issu de l’anthologie de la poésie suisse romande La Traverse du Tigre : Claire Genoux | Dans les voilures du soir [extrait]
    le site des Carnets d’Eucharis





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