Étiquette : 2017


  • Luce Guilbaud, Demain l’instant du large

    par Sylvie Fabre G.

    Chroniques de femmes – EDITO

    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large,
    Éditions LansKine, 2017.



    Lecture de Sylvie Fabre G.




    ET NOUS À L’HEURE DES MARÉES
    _____________________



    À Luce
    Guilbaud qui écrit la vie à chaque pas



    « Vagues sans cesse

    dès l’origine

    et nous à l’heure des marées

    prenons le pouls du temps,

    marchons simplement sur le sable »,

    écrit Luce Guilbaud dans Demain l’instant du large, paru récemment aux éditions LansKine. Et c’est comme une invite, aussi légère que grave, car la quête de vie qui se déploie dans les poèmes n’occulte pas les angoisses de la séparation et de la perte. Tous les thèmes centraux de l’œuvre de l’auteur sont réunis dans ce dernier livre, si l’on rajoute l’importance de l’univers maritime, la figure de la femme et l’écriture en vigie. La poète-narratrice y apparaît à la fois comme celle qui connaît la mer, l’habite aux côtés de l’homme aimé et comme sa rivale qui demeure sur la rive à l’attendre, à espérer — et à écrire. N’arpente-t-elle pas depuis longtemps avec son corps et ses mots cet estran, cette limite entre sable eau et ciel où les éléments se rencontrent, où les êtres, terriens et marins, se rejoignent pour s’aimer, se quitter et souffrir ? Là se tient peut-être la vie, et assurément sa vie à elle, de femme et de créatrice.

    Le recueil commence par l’évocation d’un départ en mer. « Passer la ligne c’est le modèle » pour l’homme libre, pour le migrateur qui choisit le grand large où tracer son sillage sur les « sentiers liquides » et rejoindre l’inconnu, toujours en avant de soi. Le marin aimé, ce « tu » à qui s’adresse la narratrice, est le même que le protagoniste d’Appels en absence et de nombre d’autres livres de l’auteur.

    Le désir d’un ailleurs, d’un ouvert, ne peut finir, et si cet homme au « sac de mer toujours prêt » revient, c’est pour mieux repartir. La poète l’identifie au Marin de Gibraltar, personnage durassien, car celui-ci répond au même appel irrésistible, est peut-être dans la même errance, gardant lui aussi mémoire d’un jardin et d’oiseaux perdus. Elle tente de lutter pour que sa maison ne soit pas seulement une escale sur les routes de sa navigation. Mais ni son amour ni les pouvoirs de sa parole ni ses pleurs ne suffisent à le retenir définitivement au port. Luce Guilbaud ravive des récits et des images qui nous immergent dans la réminiscence des œuvres de Hugo, de Baudelaire ou même de Rimbaud pour dépeindre l’univers marin et nous faire sentir la force d’attractivité du voyage. Elle évoque la rêverie sur les cartes, l’attrait de l’exotisme et l’ivresse de l’aventure. L’océan aux « douceurs alizées » et aux « gouffres amers » ne permet-il pas la fusion autant que la confrontation avec les éléments naturels, expériences extrêmes ? Et elle nous rappelle que celui-ci a toujours fasciné les vivants et recelé les morts.

    La poète se place dans la lignée des femmes qui vivent le poids grandissant des séparations et qui tremblent du possible naufrage, physique affectif ou psychique, menaçant l’existence de cet homme et la sienne. Pour conjurer cela, elle n’a que sa langue de poète frottée aux grands fonds et aux embruns, mariée aux oiseaux et aux plantes. Elle accomplit sa propre traversée, mentale et langagière, sur des pages livrées à « l’ordre des vents ». Elle seule peut réussir à établir le lien entre mer et rivage à la beauté sauvage, entre bateau et maison, symbole de l’union. Les poèmes, narratifs ou méditatifs à la troisième personne (parfois dans le monologue intérieur d’un « je » intime, parfois introduisant au dialogue silencieux avec le « nous » et le « on », compagnon ou lecteur), traduisent ce que capte son regard, ce qui habite sa pensée, ce qui hante sa mémoire. Dans ces poèmes, les strophes décrochées, les vers de longueur variable, l’importance des blancs et des italiques ont une rythmique particulière, à la fois dynamique, sensible et émotionnelle. Tout l’art de Luce Guilbaud est de lutter avec les mots à hauteur de femme, l’enjeu étant que la parole gagne sur le silence et la présence sur la mort.

    On sait par sa biographie et par sa poésie que, depuis l’enfance, Luce Guilbaud est familière de l’univers de la mer, même si elle s’en est un temps éloignée. Son imaginaire et sa langue s’ancrent dans les paysages de sa Vendée natale ou de la Charente proche. La force de ses poèmes est de mettre en résonance espace intérieur et espace extérieur. Toute la puissance des métaphores, si nombreuses dans le recueil, toute la richesse de son lexique jouent sur l’observation attentive du réel et entremêlent monde marin, terrestre et humain. Si l’homme aimé parcourt les océans, la femme à terre reste dans la proximité physique et pensive de l’eau, et peu importe que celle-ci ait « l’implacable gris de la mer d’hiver » ou « le vert profond et noir presque » de la rivière, peu importe encore qu’elle appartienne au proche estuaire charentais ou à la lointaine Égée. Les registres du texte, tour à tour tragique ou dramatique, ironique ou lyrique, varient selon les saisons, les sentiments et les états de l’âme. À travers eux se dessinent les lieux de la présence commune, du partage de la maison, du jardin, des promenades sur la plage, du bateau des vacances, ces moments de bonheur où pour les amants la douleur s’oublie, avant de s’exacerber à nouveau pour la femme :

    « tu dis que nous n’aurons plus le temps

    de mesurer les vagues et

    que tu partiras encore

    repousser l’horizon

    repousser l’avenir       sans savoir. ».

    Dans Risques et reliques, un des autres recueils de Luce Guilbaud, paru en 2016 et dédié à « toutes celles qui ont su, connu, tenu la parole », la poète affirme que même « suppliante – priante – désirante », et l’on pourrait ajouter aimante et « écrivante », la femme reste cette amoureuse « qui démonte une à une les étoiles mortes ». Qui ne cesse de chercher l’absolu. Son manque ne peut être comblé ni par le flux et reflux du désir, ni par le bleu « colonisé par la mer », ni même sans doute par le vent des mots qui souffle sur la page et dénude jusqu’à l’os, tel l’amour. Comme l’écrit Rilke, « toujours l’aimante surpasse l’aimée / parce que la vie est plus grande que le destin ». Luce Guilbaud invoque les grandes figures mythologiques, dont Vénus, Méduse et surtout Ariane, à laquelle elle s’identifie avec celles « qui attendent / sur la jetée ou du haut des remparts ». Ses vers tournent autour de la prégnance de leur solitude, les incertitudes du lien et de cet « instant du large » qui est au présent celui de la vie, au passé et au futur plutôt celui de la mort. Il y a des noyades qui adviennent à « parfois exister sans avenir », confie la poète qui pense à « demain » ou se souvient de sa grand-mère et de tant d’autres dans l’histoire qui « ont mis des galets dans leurs poches ».

    Force nous est d’endurer / force nous est de durer 1 car nous habitons dès l’enfance l’amour, et souvent l’attente et la mélancolie. À nous donc la « chasse au bonheur » stendhalienne et la quête d’un consentement à ce qui est et sera. Le poème, pays des sources de la joie, pays des sources de la nuit 2 peut-il éclairer le mystère d’aimer, et nous aider à vivre et à mourir ? Les vers de Guillevic que la poète cite en exergue à Appels en absence nous donnent sans doute la réponse : Vivre sans dire / Ce n’est pas vivre 3. N’est-ce pas réaffirmer ainsi la nécessité de la parole poétique ? Ces deux auteurs de Vendée et de Bretagne ont des origines proches et des expériences fondatrices semblables : écouter « les indices du vent », percevoir le cri des oiseaux, respirer l’odeur de la mer et habiter une maison parfois déserte sur ses bords est inoubliable. Chacun d’eux forge sa poésie avec les mots nés de la force des éléments, de la fuite inexorable du temps, de l’amour et de la blessure. Leur rêve commun est de faire fondre la distance entre soi et l’autre pour que nous sachions être ensemble 4 et puissions lire, rajoute Luce Guilbaud dans son recueil Mère ou l’autre, notre avenir à cœur entier 5.


    ________________________
    1. François Cheng
    2. Eugène Guillevic
    3. Eugène Guillevic
    4. Eugène Guillevic
    5. Luce Guilbaud, Mère ou l’autre, éditions Tarabuste, 2014.



    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes







    Luce Guilbaud  Demain l'instant du large




    LUCE GUILBAUD


    Luce Guilbaud
    Image, G.AdC




    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes


    [L’ombre amoureuse] (extrait de Débordé pourpre)
    [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    Mère ou l’autre (note de lecture d’AP)
    [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
    [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (note de lecture d’AP)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le corps penche



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guilbaud
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Pierre Dhainaut, Après
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





    Retour au répertoire du numéro de mars 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Fabienne Courtade | [le fleuve s’entend au loin]




    [LE FLEUVE S’ENTEND AU LOIN]





    le fleuve s’entend au loin


    Nous respirons ensemble


    un grand feu nous soulève

    embrase les odeurs, le grain de la peau

    la douceur des cheveux

    son haleine



    cette fois j’inventais les souvenirs
    j’aspirais à grands poumons


    qui a disparu ?
    qui était là
    juste avant
    je ne sens plus rien

    pas une respiration
    J’écoute seulement
    la rumeur

    un flottement au-dessus
    ville remplie d’arbres et d’allées



    toutes les ombres sont effacées
    je ne reconnais rien



    au milieu

    je refais le même rêve
    un autre temps
    se décline
    que nous devons descendre
    ou traverser

    à nouveau



    au bout du couloir
    des formes humaines

    des portes
    nous descendons trop vite

    notre vie presque à reculons
    d’un claquement
    tombe


    doigts, pensées, muscles noués

    bouche et yeux



    nettoie par terre les sacs
    éclatés


    se perd
    un peu de sang      renversé ( balayé )



    morceaux de kleenex ont déjà servi
    plusieurs fois    ramollis effilochés    en bouillie
    ces jours-là on les reprend    au début
    sortis des poches des sacs
    écrasés
    sous les talons



    Petite passerelle entre nous
    et ces mots sur un mur

    Collés en pleine nuit


    s’en aller est impossible





    « À qui la vie humaine est une expérience à mener le plus loin possible »





    Fabienne Courtade, Corps tranquille étendu, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2017, pp. 115-118. Couverture d’après une photo de l’auteur.






    Fabienne Courtade  corps tranquille étendu




    FABIENNE COURTADE


    Fabienne Courtade
    Source




    ■ Fabienne Courtade
    sur Terres de femmes


    Table des bouchers, poésie (lecture d’AP)
    suffoquer prendre cette douleur (extrait de Table des bouchers)
    Rien ne nous précède (extrait de Ciel inversé)
    19 août 2004 | Fabienne Courtade, le cœur bat très vite
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    poème inédit [sans titre]





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 22 janvier 1948 | Jacques Dupin, Lettre à René Char

    Éphéméride culturelle à rebours



    le 22 janvier 1948


    Cher René Char,


    Pardon de vous importuner. Vous seul, qui formulez comme par miracle tout ce que je ressens confusément, vous à qui je dois tant, pouvez m’aider encore.

    Je suis poète, j’ai vingt ans, je patauge dans une grisaille angoissée, je me débats dans les franges du rêve, balbutiant… Mais je pressens la source vive, l’éblouissant foyer central, haut lieu inexpugnable où s’abreuvent les flammes. J’ai soif, et mes efforts échouent.

    Je ne sais si je dois m’acharner encore, ou céder à l’abandon qui me sollicite. Je suis tiraillé en tous sens, déchiré… et je m’emporte, je pousse un cri que je voudrais graver sur tous les murs, sous chaque front…

    Je m’adresse à vous, dont le pas est assuré, qui n’avez pas cessé de purifier les feux du diamant dont l’éclat est aujourd’hui presque insoutenable. Je vous demande de lire les poèmes que je vous envoie, et de me dire si ma voix vaut d’être entendue.

    Je ne peux me taire. Je voudrais porter la vie totale à son plus haut degré d’incandescence, et pouvoir me hisser à la hauteur des espaces que vous hantez. Tout mon espoir serait d’être de ceux à qui vous avez dit : Je crains d’avoir trop osé ; mais vous êtes responsable de ma démarche, m’ayant irrésistiblement attiré. Il m’est insupportable de penser que je vis à quelques centaines de mètres de vous sans vous connaître. J’attends avec impatience votre réponse et votre rencontre. Avec toute ma reconnaissance.

    Jacques Dupin
    3 villa George-Sand, XIII




    Jacques Dupin, Discorde, P.O.L éditeur, 2017, pp. 15-16. Édition établie par Jean Frémon, Nicolas Pesquès et Dominique Viart.






    Discorde





    JACQUES DUPIN


    Jacques Dupin
    Source
    Ph. : Tous droits réservés





    ■ Jacques Dupin
    sur Terres de femmes

    Jacques Dupin à Privas (+ bio-bibliographie)
    Les graines brûlent sans souffrir
    La mèche
    Pierre de soleil
    Tendre est la sonorité
    4 mars 1927 | Naissance de Jacques Dupin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Jacques Dupin lit des fragments de Fragmes, in Echancré (éditions P.O.L), le 21 avril 2010, lors d’un entretien avec Jean-Michel Maulpoix
    → (sur P/oésie, le blog d’Alain Freixe)
    Entretien avec Jacques Dupin, « sourcier de l’ordinaire éclat »





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2019
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Roberto Bolaño | [Que fais-tu, silencieuse lune ?]





    [QUE FAIS-TU, SILENCIEUSE LUNE ?]



    Que fais-tu, silencieuse lune ? Tu n’es pas encore lasse de parcourir les chemins du ciel ? Ta vie ressemble à celle du berger qui sort avec la première lueur et conduit le troupeau dans les champs. Ensuite, las, il se repose la nuit. Il n’attend rien d’autre. À quoi la vie lui sert-elle, au berger, et la tienne, à toi ? Dis-moi, se dit le berger, racontait Florita Almada la voix exaltée, vers où tend mon errance, si brève, et ta course immortelle ? L’homme naît dans la douleur et à naître il y a déjà risque de mort, disait le poème. Et aussi : Mais, pourquoi éclairer, pourquoi maintenir vivant celui qu’il est nécessaire de consoler, parce qu’il est né ? Et aussi : Si la vie est malheur, pourquoi continuons-nous à la supporter ? Et aussi : Lune immaculée, tel est l’état mortel. Mais toi tu n’es pas mortelle, et peut-être ne comprends-tu rien à ce que je dis. Et aussi, et contradictoirement : Toi, solitaire, éternelle étrangère, si pensive, peut-être comprends-tu bien ce vivre terrestre, notre agonie et nos souffrances ; peut-être sauras-tu bien ce mourir, cette suprême pâleur du visage, et cette absence de la terre et l’éloignement de l’habituelle et amoureuse compagnie. Et aussi : Que font l’air infini et la profonde sérénité sans fin ? Que signifie cette immense solitude ? Et moi, qui suis-je ? Et aussi : Moi seul sais et comprends que des éternels tours et de mon fragile être, d’autres trouveront biens et profits. Et aussi : Ma vie n’est que mal. Et aussi : Vieux, chenu, malade, pieds nus, et presque sans vêtements, avec le lourd fardeau sur les épaules, par les rues et les montagnes, par les rochers et les plages et par les pâturages, dans le vent, avec la tempête, lorsque le jour s’allume et lorsqu’il gèle, il court, il court haletant, il traverse des étangs, des courants, il tombe, se relève et se presse toujours, sans repos ni paix, blessé, sanglant, jusqu’à ce qu’enfin il arrive là où le chemin et où tant d’efforts prennent fin ; horrible, immense abîme où s’y précipitant il oublie tout. Et aussi : Ô, vierge lune, la vie mortelle est ainsi. Et aussi : Ô, mon troupeau qui reposes peut-être en ignorant ta misère, comme je t’envie ! Pas seulement parce que tu es libre de désirs et de toute souffrance, tout mal, chaque crainte extrême vite tu l’oublies, peut-être parce que tu ne sens jamais l’ennui. Et aussi : Lorsque, à l’ombre et dans l’herbe, tu reposes, tu es heureux et calme et la plus grande partie de l’année tu la vis dans cet état sans ennui. Et aussi : Je m’assieds à l’ombre, sur le gazon, et d’ennui mon esprit s’emplit, comme s’il sentait un aiguillon. Et aussi : Et plus rien je ne désire et de raison de pleurer jamais je n’ai. Arrivée à ce point, et après avoir soupiré profondément, Florita Almada disait qu’on pouvait tirer plusieurs conclusions. 1. Les pensées qui tenaillent le berger peuvent facilement s’emballer, car cela fait partie de la nature humaine. 2. Regarder face à face l’ennui était une action qui demandait du courage et Benito Juárez l’avait fait et elle aussi l’avait fait et tous deux avaient vu dans le visage de l’ennui des choses horribles qu’elle préférait ne pas dire. 3. Il n’était pas question dans le poème, ça lui revenait maintenant, d’un berger mexicain mais d’un berger asiatique, mais en l’occurrence c’était la même chose, car les bergers sont partout les mêmes. 4. S’il était bien certain qu’à l’extrémité de tout désir ardent s’ouvrait un abîme, elle recommandait, pour commencer, deux choses, la première ne pas tromper les gens, et la deuxième les traiter avec correction. À partir de là, on pouvait continuer de parler. Et c’était cela qu’elle faisait, écouter et parler, jusqu’au jour où Reinaldo était venu la voir chez elle pour une consultation sur un amour qui l’avait abandonné, et il avait quitté les lieux avec un régime pour maigrir, des herbes pour des infusions qui avaient apaisé ses nerfs et avec d’autres herbes aromatiques qu’il avait cachées dans les coins de son appartement et qui avaient donné à ce dernier une odeur comme d’église et de vaisseau spatial en même temps, ainsi que le disait Reinaldo aux amis qui venaient lui rendre visite, une odeur divine, une odeur qui relaxait et contentait l’âme, qui donnait envie d’écouter de la musique classique, qu’est-ce que vous en dites ? Et les amis de Reinaldo avaient commencé à insister pour qu’il leur présente Florita, ah, Reinaldo, j’ai besoin de Florita Almada […]



    Roberto Bolaño, « La partie des crimes » in 2666, Christian Bourgois éditeur, 2008 ; Gallimard, Collection folio n° 5205, 2011-2017, pp. 655-657. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.






    Roberto Bolano  2666






    ROBERTO BOLAÑO


    Roberto Bolano
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Roberto Bolaño





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jacopo da Pontormo, Journal (janvier 1555) | Pierre Parlant, Ma durée Pontormo

    Éphéméride culturelle à rebours



    Pontormo  La Spezia
    Jacopo Carucci, dit Pontormo (1494-1557)
    Autoportrait, vers 1520
    La Spezia, Museo Civico di arte antica, medievale e moderna Amedeo Lia
    Source








    [JOURNAL, janvier 1555]




    mardi le premier j’ai soupé avec Bronzino 10 onces de pain.
    mercredi j’ai soupé 14 onces de pain, un filet1, une salade d’endive, du fromage et des figues sèches.
    jeudi j’ai soupé 15 onces de pain.
    vendredi 14 onces de pain.
    samedi je n’ai pas soupé.
    dimanche matin j’ai déjeuné et soupé avec Bronzino du gâteau de sang et des boulettes de foie. le porc
    lundi soir j’ai soupé 14 onces de pain, un filet, du raisin, du fromage et une salade d’endive.
    mardi soir j’ai soupé une salade d’endive, 11 onces de pain, une saucisse et des pommes cuites au jus.
    mercredi soir et jeudi soir 24 onces de pain et j’ai mangé du porc cuit et du vin.
    le 11 janvier* vendredi soir 11 onces de pain, des endives, une omelette.
    le 12 j’ai soupé une omelette, une salade d’endive, 12 onces de pain et ce même soir j’ai rempli le tonneau avec le vin de Piero dont j’avais prélevé 17 fiasques et pour le remplir il a fallu 13 fiasques ; il m’en est resté quatre et avant j’en avais eu jusqu’à ce jour 6, de sorte qu’en tout ça fait 23 fiasques et ce jour-là il a eu de moi un baril de mon vin.
    dimanche j’ai déjeuné et soupé chez Bronzino, le 13 janvier 1555.
    lundi je suis allé à San Miniato j’ai soupé une saucisse, 10 onces de pain.
    mardi un carré2, des endives, une livre de pain, de la gelée3, des figues sèches et du fromage.
    le 20 j’ai soupé chez Daniello une pintade, Ottaviano était là, c’était dimanche soir.
    le 27 janvier j’ai déjeuné et dîné chez Bronzino, Alessandra est venue après le déjeuner, elle est restée jusqu’au soir et puis elle est rentrée ; c’est ce soir-là que Bronzino et moi sommes allés à la maison voir le Pétrarque c’est-à-dire les flancs, les estomacs, etc.4 et j’ai payé ce qu’on a joué.
    […]5
    le 30 janvier 1555 j’ai commencé les reins de cette figure qui pleure l’enfant.
    le 31 j’ai fait un peu du pan du vêtement qui l’habille, il a fait mauvais temps et j’ai souffert pendant deux jours du ventre et des boyaux. La lune a fait le premier quartier.



    _____________________________
    * [NOTE d’AP]

    Calendrier julien


    _____________________________
    [NOTES de Fabien Vallos]

    1. Filet de porc
    2. Carré de porc
    3. Gelatina : il ne s’agit pas de gelée de fruits (confiture) mais d’une gelée de viande servie froide. Depuis plus d’une semaine Pontormo ne mange que de la viande de porc. Il est donc possible que cette gelatina soit de porc.
    4. Il s’agit sans doute d’un pari fait sur une citation de Pétrarque Trionfo della morte II, 43-45 :
    Silla, Mario, Neron, Gaio e Mezenzio
    Fianchi, stomachi, febbri ardenti fanno
    Parer la morte amara più ch’assenzio.

    Sylla, Marius, Néron, Caligula et Mézence,
    Les flancs, les estomacs, les fièvres ardentes font
    Paraître la mort plus amère que l’absinthe.
    5. Un ajout dans le coin gauche illisible.




    Jacopo da Pontormo, Journal, Éditions MIX., 2006-2008-2016, pp. 14-16. Traduction, notes et postface de Fabien Vallos.






    Pontormo  Journal











    [LISANT UNE PAGE, UNE AUTRE…]
    (extrait de Pierre Parlant, Ma durée Pontormo)





    Lisant une page, une autre, un autre encore ; chacune avec passion, gratitude ou stupeur à la clé ; chacune m’immergeant dans la nuit sous l’ampoule.

    Si bien que le Journal se mit à dérouler, ou plutôt à ouvrir sur un temps inédit.

    Au fil d’un jaillissement, inconséquent, souvent, correspondaient deux-trois alinéas. Les mots, silencieux et puissants, s’y accordaient. La vision de la phrase inventait le regard dès que la lettre s’écartait. Quelques espaces se découvraient, chemin faisant. Là se tenaient de petits croquis, posés alors comme pour se souvenir. La pensée cessait de calculer pour contempler la conjonction de lignes ramassées en un chiffre fulgurant. Fléché par l’attention, privé de volition, l’œil suspendait sa fixation, et les muscles leurs saccades.

    Me croirez-vous, entre les signes écrits il y avait du bruit, un bruit léger mais obstiné ; il y avait une foule et j’étais seul.

    Aujourd’hui, non seulement persiste en moi le contenu précis de certains passages de ce bouquin mais me revient à discrétion l’effet qu’ils produisirent sur l’insomniaque que je devins. Il était notamment question d’une joue, ailleurs du froid du vent, d’une tête d’enfant qui se penche et, sauf erreur, fait mention quelque part d’un sonnet.

    Qu’il s’agisse si souvent de nourriture m’étonna.

    Naturellement, le peintre ne manquait pas d’évoquer son travail, ses conditions pratiques et les péripéties qu’il impliquait. Mais tout s’écrivait aussi sous le regard de maux divers, de soucis, de manies et d’aliments ingurgités. Accessoirement d’argent, de temps en temps de faits météorologiques. Pour l’essentiel, à la dévolution d’une vie que le peintre suivait à vive allure s’adossait la conduite d’un chantier qu’une inquiétude n’incitait pas, à l’évidence, à tempérer, mais qu’une forme secrète organisait dans son détail le plus scabreux.

    La densité de ces moments de non-peinture m’impressionnait.

    Moments sans œuvre auxquels l’œuvre doit tout.

    Je lisais : le peintre ne taisait rien, difficultés, douleurs, incertitudes, sans que jamais un nom bien défini ne leur correspondît.

    Bien sûr, certaines des peines ou des douleurs physiques qu’il indiquait étaient imputables aux années — au moment de cette rédaction, l’homme n’était plus un jeune homme — mais aussi, c’est certain, à une sourde angoisse venue au monde le même jour que lui, au même endroit que lui.

    Je lisais.

    Des maux de ventre très souvent.



    Pierre Parlant, « samedi, dimanche et lundi, il fit froid », Ma durée Pontormo, éditions Nous, Collection Via, 2017, pp. 21-22.






    Parlant_madureepontormo





    PIERRE PARLANT


    Parlantportrait-2
    Source




    ■ Pierre Parlant
    sur Terres de femmes

    un autre extrait de Ma durée Pontormo




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous)
    la fiche de l’éditeur sur Ma durée Pontormo
    → (sur aparences.net)
    Pontormo





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2019
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Amedeo Anelli | Gli invisibili

    « Poésie d’un jour

    choisie et traduite par Irène Dubœuf



    GLI  INVISIBILI


    A Fernanda Fedi



    Tutte queste foglie
    tutte queste foglie

    a terra
    senza vento

    che le muova

    sono una “coperta
    per l’inverno”.

    Tutte queste foglie
    fili d’erba e rami secchi
    schiocchi
    al piede che affonda
    qua e là
    fra il ghiaccio e la neve
    orme di passeri e gatti
    e piccoli animali

    sono forme del tempo.

    Sono segni per
    gli abitanti del silenzio
    per
    gli invisibili.




    Amedeo Anelli, Neve pensata, Ugo Mursia Editore, Collana Argani, 2017, pagina 55.





    Amedeo Anelli  Neve pensata









    LES INVISIBLES


    À Fernanda Fedi



    Toutes ces feuilles
    toutes ces feuilles

    à terre
    sans vent

    qui les agite

    elles sont une « couverture
    pour l’hiver ».

    Toutes ces feuilles
    brins d’herbe et branches sèches
    craquements
    sous le pied qui s’enfonce
    ici et là
    entre la glace et la neige
    traces de moineaux et de chats
    et de petits animaux

    ce sont des formes du temps.

    Ce sont des signes pour
    les habitants du silence
    pour
    les invisibles.




    Amedeo Anelli, Neige pensée | Neve pensata, Libreria Ticinum Editore, 2020, page 55. Traduit de l’italien par Irène Dubœuf.






    Anelli montage





    AMEDEO  ANELLI


    Amedeo anelli
    Ph. © Mario Greco
    Source





    ■ Amedeo Anelli
    sur Terres de femmes


    Linee (poème extrait du même recueil)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    une notice bio-bibliographique sur Amedeo Anelli
    → (sur Recours au poème)
    d’autres poèmes extraits de Neve pensata, traduits par Irène Dubœuf (+ une note de lecture d’Irène Dubœuf)
    → (sur le site de la revue de littérature Corso Italia 7)
    la même note de lecture (en italien) sur Neve pensata, par Irène Dubœuf
    → (sur Terre à ciel)
    Amedeo Anelli, traduit de l’italien par Irène Dubœuf (extraits de Neve pensata + notices bio-bibliographiques)





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Hélène Sanguinetti | [Premier soleil]





    Hélène Sanguinetti-Photo D. Warzy-Sans le fond !
    Photo D. Warzy







    [PREMIER SOLEIL]




    Premier soleil qui touche un vieux feuillage dansant. Torses bombés des moineaux friquets, une bande de lampions sur les branches.
    Le vrai froid d’hiver est annoncé pour demain.






    Le domaine est désert. Tout se tait, les langues, raidies, la parole reste coincée à l’intérieur des poitrines, elle brûle d’être retenue là, mais le corps est glacé malgré 3 épaisseurs de laine. Je ne peux lire qu’avec des gants, et plus d’écran à ma disposition — ils ont fini par me confisquer mon appareil, « la direction doit veiller à l’intégrité physique de ses hôtes », répondre quoi ?





    Froid intense depuis 10 jours, vent furieux.



    […]





    En rentrant j’ai trouvé un mot sous ma porte :
    QUELQU’UN ACCEPTERAIT-IL DE DONNER QUELQUES HEURES DE COURS À LA TRÈS JEUNE FILLE ÉTRANGÈRE, ELLE SAIT À PEINE LIRE ET ÉCRIRE ET PARLE TRÈS MAL NOTRE LANGUE — SE FAIRE CONNAÎTRE À L’ACCUEIL — D’AVANCE MERCI


    Je touche mon ventre, ma langue, limace bien accrochée, puis le sommet de la tête que ce fut si tendre jadis qu’on pouvait passer à travers en appuyant, mourir à peine né, je touche à une sorte d’intérieur à la surface, tout ensemble sur la terre et en chacun tient de la sorte, merveilleusement.
    Chez moi, ça tient plutôt de la panthère et ses petits.
    Pour qui on se prend, des fois !
    J’ai répondu que je pouvais bien sûr, à condition qu’ils me paient avec du bon chocolat !





    Pluie.





    Soleil d’hiver.





    Pluie.





    Orage bref qui ne sert à rien, qu’à rentrer la tête dans les épaules, racler les pieds dans la chambre avec les pantoufles.
    Monde + ce qui l’habite = usés= air connu
    Neuf reviendra. Sentira bon, un moment du moins.
    En attendant, ne pas se laisser avaler par la bestiaccia qui sait fouiller avec ses cornes de 3 mètres. Jamais. Jamais. Jamais.




    Hélène Sanguinetti, « Lettre au bord », 2, in Domaine des englués, suivi de Six réponses à Jean-Baptiste Para, éditions de La Lettre volée, 2017, pp. 105, 107, 108.






    Helène Sanguinetti  Domaine des englués





    HÉLÈNE SANGUINETTI





    ■ Hélène Sanguinetti
    sur Terres de femmes

    [Ma trouvaille de tout à l’heure] (autre extrait de Domaine des englués)
    Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP)
    De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie)
    De la main gauche, exploratrice (I)
    De la main gauche, exploratrice (II)
    De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau)
    À celui qui (extrait de Hence this cradle)
    Et voici la chanson (note de lecture d’AP)
    [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson)
    Le Héros (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La vieille femme regarde en bas
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice)



    ■ Voir aussi ▼

    (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Hélène Sanguinetti
    → (sur le site de la revue Secousse)
    une lecture de Domaine des englués par Gérard Cartier [PDF]





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2017
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claire Massart | Novembre




    NOVEMBRE



    Novembre ancien, orient de terre : on meurt tous les soirs ; on meurt de tous les couchants, après avoir rageusement brandi, reliquat, un regard fauve. Dans le désespoir de l’achevé, on part vers un très vague néant.

    On avance, des vaisseaux aiguisés dans le dos. On se donne en pâture. On est incertain. Pourtant, un certain oiseau s’est fiché dans mon œil droit, me nommant dans son éclaboussure.

    Dernière poésie avant le rivage… Tendu, un flamant rose accompagne la vision.

    J’allais, clinquante, claquante. Maintenant le silence est l’allié.

    Matin africain : la ville appartient aux chiens, en d’arrières faubourgs, en d’arrières banlieuse. Instant tondu.
    Soir africain : la rue appartient à la foule comme la foule appartient à la rue.

    L’Atlas, c’est le sang du monde, veines ouvertes. Chaque soir, le monde y éteint son regard.




    Claire Massart, Le Calendrier oublié in L’Aveu des nuits suivi du Calendrier oublié, Éditions des Vanneaux, Collection L’Ombellie, Bordeaux, 2017, page 71.






    Claire Massart  L'aveu des nuits 2




    CLAIRE MASSART


    Claire Massart 3
    Source




    ■ Claire Massart
    sur Terres de femmes

    À Rebours (extrait de L’Aveu des nuits)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur lelitteraire.com)
    une recension de L’Aveu des nuits suivi du Calendrier oublié par Jean-Paul Gavard-Perret
    Les Tempes du Temps, le blog de Claire Massart





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Béatrice de Jurquet | Clarté de rivière




    Jurquet
    Ph., G.AdC






    CLARTÉ DE RIVIÈRE



    Quelle dilution pour cette eau
    rêvée, de cette eau l’encre subtile ?
    Au large, la lumière.
    Au large, l’ombre d’une rivière,
    un vert de veine qu’on devine.
    Tout au fond ?
    La vase.
    Elle tourbillonne
    et tout s’avale vivant, mouvant, les poissons muets,
    vaseux, parents et enfants
    muets de poissons à l’œil rond.
    Je ne vous regarde plus, troublantes écailles,
    j’ai dans le corps une clarté de rivière.




    Béatrice de Jurquet, Si quelqu’un écoute, La rumeur libre éditions, Collection de poésie nouvelle série, 2017, page 62. Préface de Gérard Chaliand. Prix Max-Jacob 2018. Prix Mallarmé 2018.






    Beatrice de Jurquet  Si quelqu'un écoute





    BÉATRICE DE JURQUET


    Beatrice-de-jurquet
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la fiche de l’éditeur sur Si quelqu’un écoute
    → (sur La Cause Littéraire)
    une lecture de Si quelqu’un écoute par Pierrette Epsztein






    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes



  • Martin Laquet | [on sait bien que les empires sont faits pour être renversés]




    [ON SAIT BIEN QUE LES EMPIRES SONT FAITS POUR ÊTRE RENVERSÉS]






    Aubal des perdants
    Photocollage, G.AdC






    on sait bien que les empires sont faits
    pour être renversés que les minutes
    ne feront jamais que soixante secondes
    mais qui a osé dessouder nos rêves de maçon
    on respire dans un sac à présent
    la lune est un astre lugubre
    désarmé désarmant
    un truc abstrait qui dégouline
    sonnant le glas
    je marche comme un Petit Poucet
    mais sans cailloux
    et cette statue qui me salue
    est-ce un signe de bienvenue
    ou d’adieu
    au bal des perdants
    ai-je décroché le pompon
    excusez-moi du peu



    un orage sans pluie
    matin à fixer le vide
    une idée qui tourne en rond
    dans la cage
    je suis une silhouette dans la pénombre
    une tache noire dans une manière noire
    au bout de quel chemin se perdre
    encore
    je veux marcher vers le bleu
    qui a changé de sens
    mes semelles cherchent la mer
    les mots ne colmatent plus les brèches
    ils les illuminent
    me voilà essoufflé
    spectateur d’un remake
    que faire pour que la folie
    ne calanche pas nos mirettes



    […]



    Je goûtais le fruit de tes frissons
    sur le chemin. 0n pleurait
    sans y croire y croyant trop.
    J’étais trop vieux pour mon enfance.

    On voulait toujours passer de l’autre côté,
    il y avait des volets blancs aux fenêtres
    de l’impatience.




    Martin Laquet, « Ailleurs est un mot comme un autre », Jour après nuit, Éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2017, pp. 75-76-79.






    Martin Laquet  Jour après nuit





    MARTIN LAQUET


    Martin Laquet
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    une fiche bio-bibliographique sur Martin Laquet
    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur Jour après nuit





    Retour au répertoire du numéro de juin 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes