Étiquette : 2017


  • Anne-Lise Blanchard | [Hurlements sirènes]



    [HURLEMENTS SIRÈNES]




    « Les bombes tombent comme de la pluie. Sans travail, sans ressources, sans eau, sans sécurité, privés de toute pitié espérée et du secours attendu de l’Occident chrétien. »





    Hurlements sirènes
    la nuit s’est abattue sur la peur d’Alep
    et la soif et la mort
    ont plaqué leurs masques sur les regards
    les lampes se sont éteintes
    le soleil s’est réfugié dans les cailloux
    Sans fracas les enfants d’Alep
    se faufilent entre les brûlures
    venues du ciel
    le souvenir de l’eau
    écarquille les gorges écourte
    les rues où fleurissent de petits cercueils.

    D’où nous sommes
    nous avons déjà oublié
    la mémorable Hellab
    à peine distinguons-nous des mots
    descellés de leurs sens
    des mots qui ne disent plus rien
    à cause de l’étrange musique
    ruisselant sur nos écrans
    qui efface la ligne du temps



    Anne-Lise Blanchard, Le Soleil s’est réfugié sous les cailloux, Poésie, éditions Ad Solem, 2017, pp. 62-63.






    Anne-Lise Blanchard  Le Soleil s'est réfugié dans les cailloux






    ANNE-LISE BLANCHARD


    Anne-Lise Blanchard
    Ph. © Sally Bataillard




    ■ Anne-Lise Blanchard ▼
    sur Terres de femmes

    Éclats
    [La nuit vient en dormant] (extrait d’Épitomé du mort et du vif)
    [Combien de joies vivons-nous en une vie ?] (extrait des Jours suffisent à son émerveillement)
    Les jours suffisent à son émerveillement (lecture de Michel Ménaché)
    Le Soleil s’est réfugié sous les cailloux (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Elle est à marée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ad Solem)
    la fiche de l’éditeur sur Le Soleil s’est réfugié dans les cailloux d’Anne-Lise Blanchard
    le site personnel d’Anne-Lise Blanchard





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  • Fabienne Raphoz | Géologie



    GÉOLOGIE




    je suis faite de la

    pierre de mon pays

    la rousseur du

    gypaète aussi

    .

    Fossile dit

    l’âge de la roche

    Nautile

    celui du temps

    .

    Niedecker dit

    dans tout fragment

    de tout ce qui vit

    reste de la pierre



    Fabienne Raphoz, « qu’es-tu pour le pays ? » in Blanche baleine, éditions Héros-Limite, Genève, 2017, page 46 [ouvrage disponible en librairie le 22 mars 2017].






    Raphoz Blanche Baleine






    FABIENNE RAPHOZ


    PORTRAIT DE FABIENNE RAPHOZ
    Image, G.AdC




    ■ Fabienne Raphoz
    sur Terres de femmes

    [Qui voit ?] (extrait de Terre sentinelle)
    « Leçons semblables aux oiseaux » (note de lecture d’AP sur Jeux d’oiseaux dans un ciel vide)
    Procellariiformes (extrait de Jeux d’oiseaux dans un ciel vide)
    Parce que l’oiseau (note de lecture d’AP)
    Terre sentinelle (note de lecture d’AP)





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  • Carles Riba | [dels invisibles corrents]



    [DELS INVISIBLES CORRENTS]




    dels invisibles corrents, dins l’obac obrador subterrani

    on l’abella de l’erm va, esmunyedissa a fe’ el rusc.
    Itaca, regne petit, conec la cova profunda!

    Olivereda amunt, fora camí, en el rocall;
    closa i subtil com l’hora d’un sol pensament, per a entrar-hi

    calen un front humil sota la llinda i un salt.





    [DES INVISIBLES COURANTS]




    des invisibles courants, dans le sombre atelier souterrain

    où l’abeille du désert va, se glissant, faire sa ruche.
    Ithaque, royaume petit, je connais la grotte profonde !

    Au-dessus des oliviers, hors chemin, dans la rocaille ;
    close et subtile comme l’heure d’une seule pensée, pour y entrer

    il faut un front humble sous le seuil, et un saut.



    Carles Riba, Élégies de Bierville, édition bilingue catalan-français, Arfuyen, Collection « Neige », volume 35, 2017, pp. 48-49. Traduit du catalan par Jean-Claude Morera.






    Carles Riba 2






    CARLES RIBA


    Riba_carles
    Source





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une notice bio-bibliographique sur Carles Riba
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Élégies de Bierville de Carles Riba





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  • Perrine Le Querrec | [Le drame Unica]



    [LE DRAME UNICA]
    (extrait)




    Le drame Unica
    Les limites du corps et de la langue
    s’estompent
    Du corps et de l’esprit
    Se mêlent
    Du réel et du fou
    Se fondent
    De lui et d’elle
    Hans et Unica




    Elle serait comme une enfant échouée.
    Son seul jouet, la phrase qu’il lui a jetée
    hochet de mots, collier de langue.
    Il l’observe un moment, s’amuse de ses
    maladresses
    contrôle l’étanchéité du silence,
    referme la porte.
    « Ne pas entrer »
    La lettre sert de corps— la lettre serre le corps.




    Perrine Le Querrec, Ruines, éditions Tinbad, Collection Poésie, 2017, pp. 16-17. Postface de Manuel Anceau.






    Querrec couv






    PERRINE LE QUERREC


    Perrine Le Querrec Z





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Perrine Le Querrec (dont un mini-entretien avec Cécile Guivarch)
    → (sur le site de la revue Entre les lignes)
    un portrait de Perrine Le Querrec par Hugues Le Tanneur
    → (sur le site de la revue Ce Qui Reste)
    Perrine Le Querrec & Isabelle Vaillant, Nos nuits suivi de Les dormeurs





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  • Élisabeth Chabuel | Et ils sont (extrait)



    ET ILS SONT
    (extrait)




    au bout de l’aveuglement

    nous sommes des branches de bois sec
    devenus
    cassants comme du verre

    cassés

    plus bons qu’à disparaître


    sous nos yeux vides
    la mer régurgite un corps d’enfant

    et nous crions




    nous crions le nom de l’enfant

    nous regardons l’enfant
    nous mettons la photo de l’enfant sur nos murs

    nous transférons la photo de l’enfant
    nous transférons à tout va la photo de l’enfant
    nous transférons
    la photo de l’enfant

    et nous crions
    nous crions le nom de l’enfant
    nous crions à tout va le nom de l’enfant
    nous crions
    le nom de l’enfant

    nous crions et nous crions
    petit enfant à bouchon sur le sable
    à fleur d’écume
    tout mouillé
    on dirait qu’il dort

    notre petit dormeur du sable



    Élisabeth Chabuel, « Et ils sont » (extrait) in revue Voix d’Encre n° 56, mars 2017, pp. 52-53. Photographies d’Alain Blanc.






    Voix d'encre 56 2






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Intime violence
    Veilleur (lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur le numéro 56 de la revue Voix d’encre






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  • Claire Genoux | Dans les voilures du soir [extrait]



    DANS LES VOILURES DU SOIR
    (extrait)




    Longtemps je demeurerai sur ta tombe
    cette enfant endormie
    à la bouche balancée entre les ombres
    cette enfant blanche
    avec rien d’autre qu’un corps
    comme un vent qui passe
    sous les lunes mouillées




    À ta lèvre
    le suspens des nuits
    et quelque chose — qui sait —
    qui palpite en diastole et systole




    Je te cherche dans le profond des trous
    dans la tourbe qui s’effrite
    tout un troupeau d’os est en marche
    et frappe les bouches qui tombent
    les fleuves clairs de dessous la terre




    Je choisis des boucles et des colliers
    de quoi couvrir ton front
    appelé si haut
    de quoi remplir ton monde
    de sources enfermées




    […]




    La nuit des adieux
    quelque chose se transvase
    de tendu et de plein comme des cercles
    des noms étranges sont prononcés
    et j’écris
    pendant que tu t’éloignes
    de la rive chaude du monde.




    […]



    Claire Genoux, « Dans les voilures du soir », in La Traverse du Tigre, numéro hors-série de la revue Les Carnets d’Eucharis, « Poésie suisse romande », 2017, pp. 43-44.






    Traverse du Tigre






    CLAIRE  GENOUX


    Genoux 2
    Ph. Bastien Genoux
    © Horst Tappe / CH- 1820 Montreux
    Source





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur viceversa littérature.ch)
    une notice bio-bibliographique sur Claire Genoux
    → (sur Terres de femmes)
    un autre poème issu de l’anthologie de la poésie suisse romande La Traverse du Tigre : Mary-Laure Zoss | [butés à l’arrière]





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  • Nimrod, L’enfant n’est pas mort

    par Angèle Paoli

    Nimrod, L’enfant n’est pas mort,
    éditions Bruno Doucey, Collection Sur le fil, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    SOUS LA CHAIR DU POÈME




    Printemps des Poètes 2017 : l’Afrique est à l’honneur.

    Quel poète mieux que Nimrod est plus à même de représenter le Continent Noir et quel ouvrage mieux que L’enfant n’est pas mort est aussi approprié, et aussi digne de célébrer l’importance de l’événement ? Ce n’est pourtant pas l’histoire d’un ou d’une Noire que le poète franco-tchadien célèbre dans ce récit. Mais celle d’une Blanche. Ingrid Jonker. Une poète afrikaner dont l’histoire et le drame sont intimement et intensément liés aux tragédies qui ont ensanglanté l’Afrique du Sud dans les années 1960.

    Le récit de Nimrod retrace en vingt épisodes, répartis sur quatre chapitres, l’histoire de cette jeune femme qui, par son choix délibéré de défendre ouvertement les Noirs, est rejetée par les siens. Père, amants, amis. La vie affective et émotionnelle de la jeune poète, ses engagements, sa poésie même, sont intimement liés aux événements tragiques qui ont ébranlé l’Afrique du Sud tout au long de sa vie. Son histoire personnelle croise à maintes reprises celle de Nelson Mandela. En 1960 d’abord. En 1994 ensuite. Par un subtil chassé-croisé d’analepses, Nimrod entrelace étroitement et habilement leurs deux destins. Durant ses vingt-huit années d’incarcération (1962-1990), Nelson Mandela n’a cessé de lire le recueil de poèmes d’Ingrid Jonker : Rook en Oker (Cendre et ocre, 1963). Le 9 mai 1994, Nelson Mandela est élu président de la République d’Afrique du Sud par le Parlement. Dans son discours d’investiture, trente ans après la disparition de la poète, Mandela lit devant l’assemblée médusée, et très vraisemblablement réfractaire, le poème d’Ingrid Jonker : « L’enfant n’est pas mort ».

    Une étrange affinité lie Ingrid Jonker et Nelson Mandela par delà le temps. Elle trouve sans doute tout son sens dans cette affirmation de Nimrod :

    « Mandela et Ingrid Jonker ont dans la peau le paysage du Cap occidental. »

    La mort d’un petit enfant noir (tué par la police) renvoie Mandela à la mort de son propre fils, Thembi, survenue en 1969. Cette année-là, Mandela est en prison. Sa demande d’autorisation de sortie pour se rendre aux obsèques de son fils lui est refusée. Dans sa geôle, il pleure et récite « Le Petit grain de sable », poème écrit par Ingrid Jonker à la suite d’un avortement clandestin. Elle y fait entendre « la parole que personne ne veut entendre — ni ses confrères, ni sa famille, ni la société… ».

    Dans son chagrin, Mandela se dit que « le destin des femmes est supérieur à celui des hommes ». Ce qu’il a toujours su.

    Par sa naissance, par son éducation et par son milieu, Ingrid Jonker appartient au camp ennemi, celui-là même qui est à l’origine de l’apartheid en Afrique du Sud. En désaccord profond avec le pouvoir blanc, la jeune poète rejette avec violence la politique réactionnaire ségrégationniste imposée par sa caste à la population africaine. Elle souffre de la ghettoïsation imposée aux Noirs, dénonce les injustices qui leur sont infligées. Ainsi peut-on lire sous la plume de Nimrod :

    « Au cours de ces cinquante années où les richesses ont explosé de façon scandaleuse, le pouvoir blanc a eu cette idée saugrenue de parquer les Noirs comme des lapins dans des quartiers-dortoirs. »

    Or, le 21 mars 1960, à Sharperville, dans le ghetto de Johannesburg, est déclenchée une violente répression qui fait « soixante-neuf morts, cent quatre-vingt blessés et laisse un champ de ruines en lieu et place des dix mille personnes venues dire à la police qu’elles se délestaient des Pass de la honte qui leur collait à la peau. »

    Le Pass ? C’est ce fameux passeport intérieur imposé aux Noirs contre lequel s’insurgent les manifestants.

    Ingrid Jonker qui suit sur les ondes de la BBC le récit des événements sanglants « est dévastée. »

    « Une semaine plus tard, Nelson Mandela brûle publiquement son laissez-passer. Voilà ce que j’en fais de mon dom pass ! déclare-t-il aux journalistes. »

    Peu après cette tragédie qui lacère la jeune femme et met ses nerfs fragiles à vif, se produit à Cape Town un drame qui la frappe de plein fouet. La mort d’un bébé noir, tué le 1er avril à « un barrage de contrôle à la sortie du ghetto de Nyanga ». Les forces de défense ont tiré aveuglément sur une voiture qui tentait de rejoindre le centre hospitalier de la ville, avec à son bord un bébé de vingt mois, malade, et sa mère. Le bébé est grièvement blessé. Il meurt avant d’atteindre l’hôpital.

    La mort de Wilberforce Mazuli Manjati « cristallise » à elle seule en Ingrid Jonker « toute l’injustice du monde ». Elle deviendra, par-delà le temps et les luttes, le symbole de l’humanité martyrisée.

    Elle-même maman d’une petite Simone du même âge, Ingrid Jonker, désespérée, n’a de cesse de rencontrer Bulelani, la maman de Wilberforce Mazuli. Les deux femmes partagent symbiotiquement leur chagrin.

    À son retour de Nyanga où elle s’est rendue pour voir le cadavre de l’enfant, Ingrid Jonker, apaisée, écrit son poème d’un jet : « L’enfant tué par les soldats à Nyanga ». Elle le montre à plusieurs de ses amis. Ils lui rient au nez, la ridiculisent, raillent ses sentiments humanitaires qui vont à l’encontre des idéaux des Afrikaners qui défendent âprement leur « souci de pureté raciale. » Elle se fait même insulter :

    « Tu n’es pas communiste, tu es simplement poète, la bestiole la plus nuisible de la terre sud-africaine ! »

    Ingrid Jonker est dans une transgression qui peut lui être fatale. Elle risque sa peau si ce poème vient à être édité dans la presse locale.

    Désespérée, Ingrid Jonker fait successivement deux tentatives de suicide, dont elle est sauvée in extremis.

    Pourtant, son ancien amant, Jack Cope, vient lui annoncer qu’il va publier « L’enfant n’est pas mort » dans sa revue Contrast. Elle croit un instant le bonheur possible. Mais c’est sans compter sur la rencontre avec son père qui convoque Ingrid pour lui demander des comptes. Père et fille s’affrontent en un duel verbal d’une extrême violence, la fille accusant le père d’être responsable de la folie de son épouse, l’accusant d’avoir un comportement criminel envers sa mère et envers elle ; traitant son père de « petit père » Staline et de « minable ». Elle poursuit ses invectives au cours d’une soirée où elle insulte les écrivains afrikaners bon teint en les traitant de nazis. De ces violences verbales, Ingrid ne sort pas indemne. Rejetée de tous, elle s’enfonce dans une crise qui la conduit à sa perte. Décidée d’en finir, elle abrège ses jours le 19 juillet 1965, en se laissant emporter par les vagues, sur une plage du Cap, à Sea Point.

    « Ainsi a fini mon héroïne, murmure Mandela en regardant un masque africain qui lui fait face. Et moi, suis-je un héros ? se demande-t-il. J’ai beau m’en défendre, mon comportement m’y renvoie et, pourtant, la liste de mes défauts est fort longue ! »

    Passionné par l’histoire de cette région d’Afrique, même éloignée de son Tchad originel, Nimrod rejoint pourtant ici l’universel. Tant sur le plan de l’Histoire que sur celui de la poésie. L’historien (mais Nimrod est aussi romancier et essayiste) laisse glisser sous sa plume bien des notations qui s’appliquent à l’intégralité du Continent Noir. Ainsi par exemple lorsqu’il évoque le conflit qui oppose Robert Sobukwe à Nelson Mandela. Robert Sobukwe, « grand théoricien du panafricanisme » — le PAC — « estime que l’Afrique est l’affaire des Africains ». Il croit en une « Afrique glorieuse, de Pretoria à Accra, de Dakar à Cape Town… » et s’oppose à l’ANC (Congrès National Africain) favorable au modèle multiracial défendu par Nelson Mandela.

    « Il n’aime pas tous ces compromis multiculturels où se complaît Mandela. Il n’aime pas les communistes blancs qui sont les maîtres à penser des mouvements noirs. Il n’aime pas qu’on dicte aux Noirs leur conduite, leurs idées. Il n’aime pas la suprématie blanche, il n’aime pas la suprématie noire (qui pour l’heure, n’existe pas). »

    Ailleurs, un « sang noir » coule dans les phrases de Nimrod lorsqu’il écrit à propos des Noirs :

    « écartés du pouvoir depuis trois cents ans, minorés par les lois de l’apartheid depuis cinquante ans, rendus subalternes, domestiques, mineurs de fond, minables sous-traitants de la misère. » Quant aux « Blancs chenus » qui scrutent Mandela, ils « ont la superbe de gens à qui tout appartient, même l’air, même le don qui est la substance de l’air… »

    Les exemples abondent qui émaillent le discours de Nimrod et laissent affleurer une sensibilité à fleur de peau. Il arrive parfois, que, sous cette plume incandescente, le lecteur porte plus loin son interrogation. N’y a-t-il pas par exemple, sous la diatribe de l’auteur contre les conditions de travail auxquelles les Noirs sont assujettis, quelque chose qui nous parle de nous ? Surtout dans cette manière à lui qu’a Nimrod de s’immiscer dans la pensée d’Ingrid :

    « C’est étrange, constate Ingrid, cela n’alarme pas plus que ça les Blancs bon teint de Cap Town, ainsi que les libéraux et les progressistes. »

    La quête de l’universel ? N’est-ce pas aussi l’un des objectifs sous-jacents de la poésie ? C’est par le biais de la poésie que la jeune poète (morte à l’âge de 31 ans) et Nelson Mandela se rejoignent. Il est particulièrement émouvant d’apprendre que les poèmes d’Ingrid Jonker ont accompagné Mandela durant toutes ses années d’incarcération. Mandela qui, une fois libre, une fois la cause des Noirs entendue et aboutie, ouvre son discours par ce très bel exorde :

    « Elle s’appelait Ingrid Jonker.

    Elle était à la fois poète et Sud-Africaine.

    Elle était à la fois une Afrikaner et une Africaine.

    Elle était à la fois une artiste et un être humain.

    Au milieu du désespoir, elle a célébré l’espoir.

    Face à la mort, elle a affirmé la beauté de la vie. »

    Nelson Mandela connaissait par cœur des poèmes entiers de Rook en Oker. En même temps qu’il découvre la personnalité torturée d’Ingrid Jonker, le lecteur est frappé par la fulgurance de sa poésie dont les vers surgissent au cœur même du récit.

    « Le ciel a beau bleuir

    ou se peigner de rouge

    je marche derrière ma douleur

    et elle porte ton nom. »

    Derrière la retranscription de ces vers, c’est toute la force d’âme de Nimrod qui se dresse sous nos yeux, toute sa grandeur, toute sa tendresse aussi. Sur son visage se superpose le visage palimpseste d’Ingrid Jonker. Et avec elle, sous les mots du poème de l’enfant de Nyanga, surgit cette image dont elle espérait que celle-ci dessinerait un jour « l’un des nombreux visages de l’Afrique du Sud. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod, L'enfant n'est pas mort





    NIMROD


    Nimrod-02
    Ph. D.R. Olivier Roller
    Source





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur e-littérature.net)
    une fiche bio-bibliographique et de nombreux articles d’Alice Granger sur les ouvrages de Nimrod
    → (sur fr.wikipedia)
    une fiche bio-bibliographique sur Nimrod





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  • Françoise Ascal | [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès]



    [LONGTEMPS J’AI MÂCHÉ | VOS GRAINS DE GRÈS]




    longtemps j’ai mâché
    vos grains de grès
    de quartz et d’hématite


    j’ai braqué la lampe
    au ventre noir
    de vos maisons


    longtemps j’ai séparé
    trame et chaîne
    pour détisser nos vies


    j’ai tracé un chemin
    loin de vos empreintes
    inventé des pas nouveaux
    menant à la rivière
    la même toujours changeante
    ouvert un sentier sous les herbes
    le même toujours changeant



    au lavoir vous m’attendiez
    avec de grands draps blancs



    Françoise Ascal, Entre chair et terre, éditions Le Réalgar, Collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 2017, page 14. Peintures de Jean-Claude Terrier.






    Françoise Ascal, Entre chair et terre






    FRANÇOISE  ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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  • Sereine Berlottier | [plus jamais je ne rejoindrai | l’intérieur de mon visage]



    [PLUS JAMAIS JE NE REJOINDRAI | L’INTÉRIEUR DE MON VISAGE]




    plus jamais je ne rejoindrai
    l’intérieur de mon visage
    […]
    quelque chose reste dans le fond du rêve
    qu’il faudrait enterrer peut-être
    les animaux intermittents de l’enfance
    de la caresse à la casserole
    une sorte de neige recompose le paysage
    disparitions inexpliquées
    tes enfants et toi sur la pellicule




    des copeaux
    de quelque chose en mots
    sur le bureau
    on ne sait plus quoi
    au jardin l’enfant marche
    s’entremaille dans son nom unique
    la forme d’une palpitation
    un centre pour la parole
    la diffraction d’un amour




    ce jour-là son visage était si
    simplement vivant (c’est comme un souvenir)
    nous étions couchées sur le lit (oreillers
    lourds) regardant la télévision
    et nous ne cherchions plus les mots ni
    ce que nous aurions pu avoir à nous dire
    avec l’enfant dans nos branches
    ses boucles tièdes sur nos épaules
    nous étions comme un très vieil arbre
    des feuilles pour hier et des feuilles pour demain
    et pourquoi aurait-il fallu
    détruire ce monde à coups de question ?



    Sereine Berlottier, Au bord, Éditions LansKine, Collection « Poéfilm », 2017, pp. 54-55-56.






    Sereine Berlottier, Au bord






    SEREINE  BERLOTTIER


    Sereine Berlottier
    Source




    ■ Sereine Berlottier
    sur Terres de femmes

    Au bord (lecture d’AP)
    Dans la lumière diffuse des bourgeons (extrait de Ciels, visage)
    Louis sous la terre (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Au bord
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Sereine Berlottier





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  • H.D. (Hilda Doolittle) | [The golden apples of the Hesperides]



    HD 2
    Image, G.AdC







    [THE GOLDEN APPLES OF THE HESPERIDES]




    The golden apples of the Hesperides,
    the brushed-bloom of the pollen
    on the wing of ravishing butterfly or plundering bee;

    the gold of evanescence or the gold
    of heavy-weighted treasure,
    which will out-weigh the other?

    grandam, great Grande Dame,
    we will go on together ,
    and find the way to hyacinths by a river,

    where a harp-note sounded
    and a moment later —
    grandam, great Grande Dame, He is here with us,

    in notes ascending and descending from his lyre,
    your Child, my Child and Helios’ Child, no other,
    to lure us on, on, on, Euphorion, Espérance.



    Hilda Doolittle, Winter Love, 25, in Hermetic Definition, New Directions Publishing; 1st edition (January 17, 1972).






    Hermetic Definition.PNG 2







    [DES POMMES DORÉES DES HESPÉRIDES]




    Des pommes dorées des Hespérides,
    du duveté-velours du pollen
    sur l’aile du papillon ravissant ou de l’abeille butineuse ;

    de l’or d’évanescence ou de l’or
    du trésor pesant,
    lequel pèsera plus que l’autre ?

    grandame, grande ‘Grande Dame’,
    nous allons continuer ensemble,
    et trouver le chemin des jacinthes près d’une rivière,

    où une note de harpe a retenti
    et un moment après —
    grandame, grande ‘Grande Dame’, Il est ici avec nous,

    dans les notes montant et descendant de sa lyre,
    votre Enfant, mon Enfant et l’Enfant d’Hélios, nul autre,
    pour nous emporter, porter, porter, Euphorion, ‘Espérance’.



    H.D. (Hilda Doolittle), Amour d’hiver (Espérance) (3 janvier-15 avril 1959), 25, in Amour d’Hiver, Ypςilon. éditeur, 2017, pp. 65-66. Traduction Étienne Dobenesque.






    HD, Amour d'hiver






    H.D. (HILDA DOOLITTLE)


    HildaDoolittle
    Source



    ■ H.D.
    sur Terres de femmes

    At Baia
    Tribute to the Angels [40] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)
    18 avril 1958 | L’inculpation d’Ezra Pound est levée (Journal [Fin du tourment] d’H.D)
    20 mai 1958 | Journal (+ d’autres extraits du Journal [Fin du tourment] d’H.D.)
    un poème extrait de Trilogy d’H.D. : The Walls Do Not Fall [4] (+ traduction en français de Jean-Paul Auxeméry | traduction en français de Bernard Hoepffner)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Trilogy d’H.D. : The Walls Do Not Fall [I] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)





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