Étiquette : 2017


  • Brina Svit, Nouvelles définitions de l’amour

    par Angèle Paoli

    Brina Svit, Nouvelles définitions de l’amour, nouvelles,
    éditions Gallimard, Collection blanche, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    ESPRIT DE GÉOMÉTRIE/ESPRIT DE FINESSE : UNE PARFAITE ALCHIMIE




    Quelles nouvelles de l’amour ? Quelles nouvelles équations/adéquations ? Inadéquations ? Quelles surprises les Nouvelles définitions de l’amour nous réservent-elles ? Accompagné en sous-titre du mot « nouvelles », le titre choisi par la romancière Brina Svit pour son dernier ouvrage annonce une manière subtile de jouer sur et avec les mots. En même temps que le plaisir implicite d’une fine psychologue agile à débusquer les petites stratégies d’aujourd’hui et à en traverser tous les mirages. Nouvelles/nouvelles. Me reviennent en mémoire les Cent nouvelles nouvelles médiévales, destinées au duc de Bourgogne entre 1456 et 1462, mais dont l’auteur n’est pas à ce jour définitivement identifié. Nouveauté des nouvelles, nouveauté des définitions ? Nouveauté. Quelles nouvelles de l’amour la romancière va-t-elle apporter à ses lecteurs ?

    Hors le titre, lointainement analogique, rien ne rapproche bien sûr le recueil de Brina Svit de l’ancêtre médiéval, rien sinon le souci de vraisemblance qui anime de part et d’autre du temps les deux « novellistes » ; rien sinon l’unité de style et de ton qui se dégage de l’ensemble des deux œuvres. Cependant, alors que les « nouvelles » médiévales en tant que genre littéraire s’apparentent aux fabliaux et offrent de ce fait une place importante aux facéties propres à l’esprit du XVe siècle, la pétillante Brina Svit ancre ses récits et leur déroulement dans la société contemporaine qui est la sienne, dans la multiplicité de ses composantes, travers et revers, drames et plaisirs. Pour en tirer un jeu de variations inépuisable sur les situations amoureuses et sur la vie. Entre hier et le ici et maintenant de l’ultra-contemporain, les routes de l’écriture se séparent.

    Depuis Con Brio (1999) jusqu’à Visage slovène (2013) en passant par Moreno (2003) ou par Coco Dias ou La Porte Dorée (2007)…, le lecteur s’est familiarisé avec l’univers romanesque de Brina Svit. Cette fois-ci, délaissant le roman, Brina Svit a opté pour la « nouvelle ». Un art peu prisé des lecteurs, si l’on en croit le personnage de Sandro qui le dit en clair dans le récit « Grain de folie » :

    « […] des nouvelles. C’est très bien, lui dit Sandro quand elle les lui fait lire, mais ça ne marche pas en France, les nouvelles. Ça marche pour moi, dit-elle avec entrain, mais bien moins sûre d’elle qu’elle ne le laisse entendre ».

    Si ça marche pour Nathalie, dans son dialogue avec Sandro, ça marche aussi pour Brina Svit, qui maîtrise à merveille cet art difficile et le déploie avec brio tout au long de ses récits. Soit un ensemble de dix nouvelles. Voilà pour le genre, qui permet à la plume experte de l’auteure d’explorer avec finesse les nouvelles facéties du « jeu de l’amour et du hasard ».

    Quant au titre, il met l’accent, grâce au pluriel, sur la variété des définitions. Lesquelles débordent largement celle de Susan Sontag proposée en exergue  : « Rien n’est mystérieux, aucune relation humaine. Sauf l’amour ». Mais est-ce bien là une définition de l’amour ? N’est-ce pas plutôt une des composantes de l’amour ? Le mystère étant ce qui caractérise toute relation amoureuse. Ainsi l’amour se dérobe-t-il, qui ne se laisse pas enfermer dans une définition unique. Sauf peut-être pour l’« ébouriffante » Lil Skarabot qui confie à son ami Trubar : « Je ne connais qu’une façon d’aimer, inconditionnelle, fidèle et absolue » (in « Histoire écrite »). Une façon qui, semble-t-il, conduit droit à la mort. En revanche, pour Esmé White, « la petite hirondelle de fenêtre », « interprète et traductrice de conférences » de son état, insatisfaite de sa relation avec Arno, elle opte momentanément pour un long jeu d’un soir, « un jeu d’adultes », « un jeu frissonnant, tremblant, haletant », exclusivement mené par le sexe.

    « C’est peut-être une autre formule à expérimenter, pensait-elle, roulée sur le flanc à côté de lui, écoutant son souffle et observant le désordre qu’ils ont mis dans la chambre : coucher avec des ornithologues de Montpellier au lieu de se tourmenter et de se faire souffrir comme ils le faisaient avec Arno… » (in « Le grand labbe et la petite hirondelle de fenêtre »).

    De son côté, lassée des « histoires avortées avec les hommes qui ne sont pas faits » pour elle, Nath préfère se « remettre » à ses « nouvelles ». C’est la conclusion provisoire à laquelle aboutit Nath dans « Grain de folie ». Si l’on en croit le couple Thomas-Larsen de « Précipice », qui persiste à ronronner sur sa « mythologie officielle », l’amour comme « dialogue ininterrompu, conversation éternellement renouvelée », ne concerne en fin de compte que les « titres de la presse et la postérité ». Pour ce qui est de la lectrice que je suis, après lecture enjouée de ces étonnantes variations, je serais bien en peine de cerner ce qu’il en est réellement de l’amour et de l’encager dans quelques mots. « Balivernes, tout ça » ?, comme conclut Nath dans « Grain de folie ».

    En revanche, ce qui apparaît dans toute la lumière de son chatoiement, ce sont les « nouvelles » configurations amoureuses. Conformes aux situations et aux vies d’aujourd’hui, elles sont multiples elles aussi, et tous les agencements sont possibles. Brina Svit jongle avec les rencontres, les séparations, les enfants, les ambiguïtés, les situations cocasses et inattendues, les retournements de situation, les sorties de trajectoire… La surprise est un de ces ingrédients savoureux dont Brina Svit a le secret.

    Par delà l’échiquier qu’elle met en place avec les acteurs du moment — « À vous de jouer maintenant », écrit Lil Skarabot à Trubar —, ce qui caractérise les récits de la novelliste, ce sont les écarts, ces fameux décalages — de tons, de signatures, de situations… —, ces légers pas de côté qui poussent le lecteur ailleurs, hors des suppositions qu’il avait anticipées, et le placent devant la perplexité, l’interrogation, le doute, le suspens. De sorte que chaque nouvelle renouvelle les donnes — redistribution des cartes — et le jeu reprend. Avec d’autres figures, d’autres personnages (qui nous ressemblent étrangement), d’autres noms. Parfois sous des cieux lointains, éloignés de Paris. Comme Buenos Aires ou Ljubljana, qu’affectionne tout particulièrement la romancière. Mais ce sont partout, toujours, les mêmes attentes, les mêmes réflexions, les mêmes atermoiements, les mêmes tergiversations. Les mêmes dialogues savoureux étroitement mêlés aux monologues intérieurs qui épousent les fluctuations de la pensée. « Est-elle déçue » ? s’interroge Lise en cherchant à cerner « son reflet dans la vitre ».

    « Triste ? Fatiguée par toutes ces émotions ? Oui, elle est tout ça, déçue, triste, fatiguée, mais aussi étrangement calme et silencieuse. » (in « Quelle que soit la couleur de son eau »).

    Le décalage, Brina Svit le pratique en permanence, cela fait partie intégrante de son art. C’est sans doute là aussi que se tient le secret de sa légèreté. Une légèreté qui va de pair avec son humour, sa bonne humeur et sa joie de vivre.

    Lire et relire Nouvelles définitions de l’amour procure un plaisir sans cesse renouvelé. Chaque nouvelle ouvre sur un univers qui lui est propre ; avec ses spécificités. Chacune désoriente par l’enchantement inattendu qu’elle réserve au lecteur. Ainsi, dans la « Deuxième révolution de Saturne », Brina Svit explore-t-elle à nouveau, à partir du personnage d’Agnès, le monde du tango qu’elle relie à celui de l’astrologie. À travers une belle métaphore astucieusement filée, la romancière donne sans doute d’elle-même une définition possible de la complexité de sa personnalité imprévisible, en même temps qu’une définition possible de son travail :

    «  Y a-t-il vraiment des hasards dans le cosmos, cette géométrie secrète et ordonnée des astres et des étoiles, le mot “cosmos” signifiant justement un monde ordonné ? »

    Chez Brina Svit, la narration ne tient-elle pas du « cosmos » ? Et les rouages de son récit n’en constituent-ils pas « cette géométrie secrète et ordonnée » qu’elle décrypte dans la carte du ciel ?

    Ailleurs, derrière le titre longtemps mystérieux « Le grand labbe et la petite hirondelle de fenêtre », c’est le monde des oiseaux qui se présente, porteur d’interrogations multiples. Une occasion pour la romancière de dialoguer sur le thème très sensible de la « migration » :

    « Que le soir, au dîner, elle était assise entre un traducteur bulgare et un ornithologue de Montpellier, un certain Jean-François qui voulait savoir si elle faisait exprès de traduire par moments “migrants” à la place de “migrateurs” et à qui elle avait répondu par l’affirmative. Que sa réponse lui a plu et l’a intrigué, pas que sa réponse d’ailleurs, a-t-il ajouté, charmant et charmeur, l’invitant à boire un dernier verre dans sa chambre. »

    Chaque nouvelle comporte sa propre ligne mélodique. Une musique intime dessine les arabesques et contrepoints qui sillonnent l’aventure amoureuse. La Grande Arche de la Défense offre à Nathalie des rêveries artistiques quotidiennes qui varient selon l’humeur du moment :

    « La Grande Arche est un mirage qui se dessine au loin, un tableau de ciel gris sur un ciel tout aussi gris et incertain. »

    ou encore :

    « …l’Arche n’est pas juste une forme aux proportions parfaites en train d’apparaître devant ses yeux. C’est un rêve. Un rêve tout blanc avec un nuage accroché au milieu. » (in « Grain de folie »).

    Dans la nouvelle « Le jardin de ma femme », la photo de la forêt alimente les perplexités de Claude Krieff face à la découverte de l’existence d’un jardin secret dans la vie de sa femme Suzanne. Morte depuis un an :

    « Puis, tiens, il ne l’a jamais vue, celle-là : une forêt, des troncs d’arbres plutôt à perte de vue, avec de la mousse au sol, des aiguilles de pins, le tout baigné d’une belle lumière latérale, laiteuse. »

    ou encore, quelques pages plus loin :

    « Et cette photo de la forêt, une étrange photo de troncs et de mousse à côté ? Qu’est-ce qu’elle a à voir dans tout ça ? »

    Les lectures de Suzanne (lectrice de Virginia Woolf et de Roland Barthes) et les rencontres au jardin de Bagnolet, apporteront-elles des réponses à ce distrait de mari ? Perdu et perplexe est-il, le pauvre veuf devant ce jardin où rivalisent de beauté des choux multicolores. Un jardin qui comblait partiellement le désir de Suzanne d’avoir « une chambre à soi » :

    « Elle voulait avoir un endroit à elle, mener sa vie comme elle l’entendait, continuer à écrire ses petits textes sur le jardin justement, une sorte de journal de bord, journal du jardin plutôt, vous voyez ce que je veux dire… ? » confie Théo à un Claude déconcerté.

    Première des dix nouvelles de l’ouvrage, « Le jardin de ma femme » est un petit chef-d’œuvre. La nouvelle donne d’emblée une idée du niveau d’exigence que Brina Svit veut conférer à l’ensemble des autres récits. Aucun d’entre eux ne déçoit l’attente du lecteur.

    Pour chacune des nouvelles, il y a ces « petits détails » qui sont la signature de leur auteure. Détails qui échappent au premier abord et qui prennent toute leur importance sous le regard attentif de la romancière :

    « Pourtant il la regarde attentivement, au cas où quelque chose pourrait lui échapper, un détail, n’importe, un champignon, cette amanite rouge, par exemple, qu’il n’a pas vue la première fois, ou ce lichen gris-vert sur une face des troncs, à la même place d’un arbre à l’autre, comme si une main invisible voulait multiplier l’effet. » (in « Le jardin de ma femme)

    Mais il y a aussi le fameux vélo qui traverse Paris. Celui qu’Alice « a attaché au poteau sur le trottoir » ou, plus loin, « au grillage du parc » (in « Dans le tunnel ») ; celui que Sol a attaché « à une poubelle devant la porte » d’un « magasin de meubles contemporains » (in « Table de Noël ) ; et les cheveux qui attirent le regard : les « longs cheveux souples et soyeux » de la caissière du G20, « attachés en queue de cheval » (in « L’été avec Sonia »). Cette même « queue-de-cheval qui bouge avec elle quand elle tourne la tête ». Observatrice de ces petits riens qui en disent long sur ses personnages, Brina Svit l’est aussi de leurs tics de langage. Ainsi, dans « L’été avec Sonia », assiste-t-on à une prolifération de « ça » qui ponctuent dialogues et monologues intérieurs. Les modalités du discours rendent compte des stéréotypes qui ficellent le couple de Maud et de Paul, tous deux prisonniers du milieu dans lequel ils évoluent et des codes de pensée qui le structurent :

    « Et elle est pressée, c’est ça, pressée. Elle veut commencer une nouvelle vie, ajoutait-elle, déjà à la porte, habillée toute en blanc, pantalon, chemise, lunettes de soleil dans les cheveux et un sac de voyage à la main, voix froide et expéditive comme quand elle veut régler une affaire au plus vite. »

    Et lui, quelques lignes plus bas :

    « Il s’entretenait, c’est ça, il voulait garder un ventre plat et une forme impeccable… »

    Et, plus loin :

    « Lui, un homme plutôt compliqué, disons-le comme ça, pas trop sûr de lui malgré tous les films qu’il a produits […] il l’a juste regardée faire — et répondre à ses questions, simplement, c’est ça, c’est le mot… »

    Les exemples sont multiples — allusions constantes à l’écriture et discrètes à la littérature (Italo Calvino, Susan Sontag, Virginia Woolf, Alice Munro…), clichés de la conversation courante et conventions en matière de goût, tous marqueurs de l’appartenance à une classe sociale — qui font la richesse du travail de patiente broderie à laquelle se plie Brina Svit. Mais toujours, dans chacune des nouvelles, qui les relie modestement mais joyeusement l’une à l’autre, la garde-robe des héroïnes du moment, dessous inclus. Avec une prédilection pour la petite jupe (rouge à pois) qui se porte avec un pull en V et des ballerines plates. Celle qui « danse autour d’elle quand elle se déplace » et « se déploie autour de ses cuisses ». Ou bien la petite robe « bleu ciel à pois, serrée à la taille et manches trois-quarts ». Ou encore cette « robe bleue sans manches en velours de soie, ni trop habillée ni trop simple mais faisant toujours effet… » Autant de variations sur le langage des signes qui émaillent habilement les récits au même titre que tous les menus décalages qui sont la marque de fabrique de Brina Svit. Ce n’est sans doute pas un hasard si Brina Svit remet en avant cette réflexion de Roland Barthes :

    « car il faudrait ne plus placer le sens du livre dans sa structure, mais au contraire reconnaître que l’œuvre émeut, vit, germe à travers une espèce de « délabrement » qui ne laisse debout que certains moments, lesquels sont à proprement parler les sommets. » (in « Le jardin de ma femme ») [Conférence de Barthes au Collège de France : « Longtemps je me suis levé de bonne heure », 19 octobre 1978]

    Des sommets que permet d’atteindre l’art de Brina Svit, qui connaît à la perfection les subtilités de « l’esprit de géométrie » et de « l’esprit de finesse ». Une alchimie parfaite, un grand bonheur pour le lecteur que ces Nouvelles définitions de l’amour.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Brina Svit, Nouvelles définitions de l'amour




    BRINA SVIT


    Brina Svit denim
    Brina Svit,
    photographie de Philippe Matsas





    ■ Brina Svit
    sur Terres de femmes


    Cela s’appelle l’aurore (Coco Dias ou la Porte Dorée) [lecture d’AP]
    Coco ou le désarroi de Brina
    Conversation privée avec Brina Svit
    Le Dieu des obstacles (lecture d’AP)
    Les incertitudes du désir (Une nuit à Reykjavík) [lecture d’AP]
    Turris eburnea (Moreno + bio-bibliographie)[lecture d’AP]
    Petit éloge de la rupture (lecture d’AP)
    Un cœur de trop [lecture d’AP]
    Visage slovène (lecture d’AP)
    Rue des Illusions perdues (Con brio) [lecture d’AP]
    → (en commentaires sur Terres de femmes)
    Mort d’une Prima Donna slovène
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Portrait de Brina Svit (+ extraits de Moreno, Un cœur de trop, Coco Dias ou la Porte Dorée)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur lelitteraire.com)
    une recension de Nouvelles définitions de l’amour par Jean-Paul Gavard-Perret






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  • France Burghelle Rey | Les Tesselles du jour (extraits)



    LES TESSELLES DU JOUR
    (extraits)





    XXV




    Penché sur l’eau je regarde aujourd’hui les pierres elles font un collier à mon ruisseau et luisent comme autant de verreries j’en aime les éclats les couleurs


    Quand bruit pour le bonheur de l’ouïe l’eau des cascades je marche jusqu’à la fin du jour


    Sans arrêter mes pas sans m’occuper de la pluie je marche et deviens le ruisseau dont je suis le miroir il n’est plus besoin de maison mais un lit est là qui m’attend





    XXVI




    Faire surface sentir l’air du dehors je suis un monde quand l’autre est là et l’étranger ami


    Tu as forcé ma porte et je te force à sentir l’air présent


    Nos mots ne seront plus pierres dans nos cœurs-maisons ils sont ces enfants que nous dirons toujours





    XXX




    Entre l’orée et l’horizon il y a mon personnage : bouche ouverte ivre des syllabes qu’il compte comme autant de gouttes patient vénéfice jamais épuisé de mes textes


    Et l’avis unanime des amis quand j’ai voulu partir pour valdemosa non je n’ai pas fermé mes livres oublié mes carnets j’ai même emporté ce qu’il faut pour séduire


    Car j’aime les arrivées les bords des lacs où ricochent sur l’eau les pièces du souvenir





    XXXIV




    L’aube a comblé ton impatience et t’a offert la pluie comme de l’or bleu dans les trous du chemin et cette envie à la rivière d’entrer dans l’eau jusqu’aux genoux !


    Puis tu regardes la roche et sens ton inquiétude un pont à traverser voilà ce qu’il te faut plus de regrets de la route bleue quand ton domaine sera nouveau


    Et si tu suis la rose des vents tu sauras que tout est vrai mais au bout du chemin il n’y a rien qui t’attend




    France Burghelle Rey, « Les Tesselles du jour » in Petite anthologie, Confiance | Patiences | Les Tesselles du jour, Éditions Unicité, 2017, pp. 133-134-138-142.






    France Burghelle Rey, Petite anthologie, Confiance | Patiences | Les Tesselles du jour, Éditions Unicité, 2017.



    FRANCE BURGHELLE REY


    France Burghelle Rey NB





    ■ France Burghelle Rey
    sur Terres de femmes


    Après la foudre (lecture de Philippe Leuckx)
    Trop (extrait du Bûcher du phénix)
    [qu’importe le temps] (extrait de Lieu en trois temps)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Lumière du poème




    Voir aussi ▼


    le blog de France Burghelle Rey
    → (sur le site des éditions Unicité)
    la fiche de l’éditeur sur Petite anthologie, Confiance | Patiences | Les Tesselles du jour





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  • Ève de Laudec & Bruno Toffano | [Pleine | Gorgée d’esquives]



    [PLEINE | GORGÉE D’ESQUIVES]




    Pleine
    Gorgée d’esquives
    Et de leurres
    Elle troue les méandres
    De l’ombre
    Je tends à son halo
    Mes doigts conque
    Garder encore un peu
    Le chant de Séléné



    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…, Jacques Flament Éditions, Collection / Série : Images & mots, 08380 La-Neuville-aux-joutes, 2017, page 29. Préface d’Angèle Paoli.






    Eve de Laudec, Ainsi font....jpg 4






    ÈVE DE LAUDEC


    Eve de Laudec Ph
    Source




    ■ Ève de Laudec
    sur Terres de femmes

    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font… (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Escroqueviller | Effacer | Quitter (poèmes extraits de L’Ingratitude des oiseaux à becs)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    De tous ces mots



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Jacques Flament Éditions)
    la page de l’éditeur sur Ainsi font…
    l’emplume et l’écrié (le site personnel d’Ève de Laudec)
    → (sur le site de la revue Ce Qui Reste)
    une page sur Ève de Laudec





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  • Lou Raoul | [dans les maisons détruites abandonnées]



    [DANS LES MAISONS DÉTRUITES ABANDONNÉES]




    dans les maisons détruites abandonnées celles où personne ne serait revenu où les débris de vaisselle jonchant le sol de l’ancienne cuisine où des mots peints en grand sur les façades les maisons en ruine les traces intactes de la guerre tout cela la guerre ce dont Kim aurait entendu parler bien sûr à la fois proche à la fois lointaine les traces là palpables sous la main dans les yeux les maisons détruites abandonnées en ruine voisines d’autres maisons où la vie aurait ramené les bûches de bois devant les portes le linge à sécher sur les fils les moutons dans les prés alentour les parcelles plantées de choux




    et à Brač les terrains plantés d’oliviers à Brač où Mladen et Tea debout sous un caroubier qu’enfin Kim verrait Kim découvrirait le port de cet arbre les fruits à même les branches et dans l’herbe au pied de l’arbre jonchée de caroubes brunes sur les échoppes du marché vert aussi et Tea la vendeuse un jour glisserait une cosse dans le sac en plastique rempli de mandarines le sac de plastique léger entre les mains de Kim entre ses mains




    le silence Kim le boirait sur la route devant l’église orthodoxe près de la retenue d’eau si claire où la rivière Cetina aurait sa source loin en profondeur où l’eau claire de la Cetina commencerait les cent cinq kilomètres vers la mer son voyage deux Tea s’étreindraient longuement à la gare routière puis l’une d’entre elles monterait dans le car à destination de Makarska, Međugorje, Mostar et la fête foraine battrait son plein en ce dimanche après midi des enfants souriant




    feuilles et pigeons se mêleraient Mladen traverserait la rue portant deux gros sacs entiers de citrons des paroles s’échangeraient dans l’ambiance feutrée des cafés théières faïence blanche Kim assise dans un canapé brûleraient les bougies plus loin serait la Riva serait toujours en kermesse des jeunes Mladen finalement ivres




    les mains dans la crypte continueraient à toucher la statue de Sveta Lucia celles de femmes seraient sur les vêtements et les draps étendus sur maints fils au-dessus des ruelles et sur les balcons l’eau de la Cetina serait tellement claire qu’elle laverait les yeux la tristesse toute la souffrance et le silence serait juste plein de la laine des moutons traversant la petite route accompagnés d’une femme âgée de noir vêtue seraient ici inhumés des personnes serbes le cimetière entier et leurs noms en cyrillique Kim verrait ce serait décembre la forteresse de Klis sous le soleil lumineux toute blanche et au nord-ouest du mont Dinara la Cetina prendrait sa source […]



    Lou Raoul, Otok, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 41-42-43.






    Lou Raoul, Otok





    LOU RAOUL


    Lou raoul
    Ph. ©Lou Raoul




    ■ Lou Raoul
    sur Terres de femmes

    [galope le printemps] (extrait de Traverses) [+ une notice bio-bibliographique]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Otok
    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits du recueil Traverses
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Lou Raoul
    → (friches et appentis)
    le blog de Lou Raoul






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  • Henri Meschonnic | [chaque instant est un nouveau visage]



    [CHAQUE INSTANT EST UN NOUVEAU VISAGE]



    chaque instant
    est un nouveau visage
    et se vide
    l’instant après



    ce n’est pas du silence
    qu’on entend
    puisqu’il n’y a plus de langage
    personne pour parler
    personne pour se taire
    je cherche des mots
    mais il n’y a plus de sens



    des voix en moi
    n’ont pas
    de nom
    du sans nom
    parle par
    moi



    toute cette absence
    n’est pas seulement
    en nous
    c’est l’absence aussi
    de nous



    Henri Meschonnic, Infiniment à venir, in Infiniment à venir, suivi de Pour le poème et par le poème, Éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 230, 2017, pp. 20-21-22-23.






    Henri Meschonnic, Infiniment à venir.jpg 2





    HENRI MESCHONNIC


    Meschonnic_©RégineBlaig
    Ph. © Régine Blaig
    Source



    ■ Henri Meschonnic
    sur Terres de femmes

    Et la terre coule
    J’apprends une phrase qui n’a pas de fin
    nous ne savons pas si
    Un visage
    8 avril 2009 | Mort d’Henri Meschonnic



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur Infiniment à venir
    De la poésie osmotique d’Henri Meschonnic, article d’Angèle Paoli, publié en mai 2008 dans la revue faire part (document Word)







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  • Sofia Queiros | [je à la pointe du jour]



    [JE À LA POINTE DU JOUR]



    je à la pointe du jour traverse la ville en solitaire lueur matinale éclaire les maisons closes me questionne sur les bruits qui enflent qui ronflent sur mon goût pour les pénombres les greniers les ruines les pierres tout ce qui de guingois les gens désarticulés suis cette femme qui se trient devant la foule fière et décidée ou cette autre qui ramasse des cailloux qu’elle enveloppe dans un mouchoir en tissu écossais comme si précieux se reconnaît




    elle noue ses cheveux sur la nuque accroche à ses oreilles des boucles à plumes et paillettes traverse un nuage de parfum fait des ronds avec sa bouche des ronds de fumée comme une actrice noire et blanche se perche sur un tabouret comme au cabaret des talons aiguilles rouges des bas le grand jeu pour son miroir pour un soir demande à ce qu’un homme lui décroche la lune très premier degré




    […]




    je dénoue mes cheveux longs filasses mes paupières s’affadissent et s’affaissent mes joues bajoues se coupent de rose les pattes d’oie aux coins de mes yeux se creusent mon menton se décroche en galoche je suis une vieille dame prête à renoncer à mon corps mais pour le reste je réfute je tempête et je houspille je manie le parapluie le cabas et le caddie et j’inventorie



    Sofia Queiros, Sommes nous, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 19-20-22.






    Sofia Queiros, Sommes nous.jpg 2








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  • Sophie Loizeau | [Moabi quand tout va bien]



    [MOABI QUAND TOUT VA BIEN]



    Moabi quand tout va bien
    mille ans / soixante-dix mètres
    à la façon du sang dans les corps caverneux l’eau
    propulsée

    après quoi le soleil
    dont se gave Moabi par les feuilles
    retourne sous la forme de sève aux racines





    Moabi quand tout va bien
    mille ans / soixan-te-dix mètres
    à la façon du sang dans les corps caverneux l’eau
    propulsée

    après quoi le soleil
    dont se-gav Moabi par les feuilles
    re-tou-rne sous la f[ɔ]-rme de sève aux racines





    on lève la tête sur Moabi et voit le ciel ajouré
    les déplacements du grand ocelot

    l’ocelot à travers les feuilles si les feuilles bougent





    on lèv la tê-te sur Moabi et voit le-ciel ajouré
    les dépla[s]ments du grand o[s]lot

    l’o[s]lot à travers les feuill si les feuill bougent






    sa limite à Moabi / le jour où il ne pourra plus
    faire monter sa sève brute
    Moabi-chan — cher arbre et le plus haut
    chez lui le plus éclairé
    ira rejoindre l’ombre du sous-bois

    le soleil se ruera en son absence





    sa limite à Moabi /le jour où il ne-pourra plus
    faire monter sa sèv brute
    Moabi-chan — cher arbre et le plus haut
    chez lui le plus éclairé
    ira rejoin-dre l’om-bre du sous-bois

    le soleil se-ruera en son absence




    Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme, Ma maîtr[ɛ]-sse forme, Naturewriting, édition bilingue écrit/dit, Éditions Champ Vallon, Collection Recueil, 01350 Ceyzérieu, 2017, pp. 9-10-11.






    Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme



    SOPHIE LOIZEAU


    Sophie Loizeau
    Ph. © Adrienne Arth
    Source




    ■ Sophie Loizeau
    sur Terres de femmes

    Bergamonstres (note de lecture d’AP)
    vendredi (extrait de Bergamonstres)
    caudal (extraits)
    [L’œil persiste aux lisières] (extrait du Corps saisonnier)
    les rêves les mieux ouvrés (extrait de La Femme lit)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    le bain de diane [extrait du roman de diane, paru en mai 2013 aux éditions Rehauts]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur fr.calameo.com)
    d’autres extraits de Ma maîtresse forme
    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la fiche de l’éditeur sur Ma maîtresse forme
    le site personnel de Sophie Loizeau
    → (dans Levure littéraire n° 7)
    un entretien de Sophie Loizeau avec Rodica Draghincescu
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique consacrée à Sophie Loizeau
    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    une bio-bibliographie de Sophie Loizeau





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  • Nicolas Grégoire | [tendre tendue]



    Bitc3







    [TENDRE TENDUE]




    tendre tendue, on pense à ces mots liés par Armand. Le peu d’espace entre. Image quartier sale revient, les restes  de  soi  qu’on traîne et colle. Avec son poids de mots (morts non loin de toujours s’écrire) simples dont on n’arrive plus à se défaire. Détenu d’être au bord, s’y jeter — on voit cet homme, tête frappe la route, s’écrase de vivre trop — seul avec des paroles douces pour ne pas






    ne pas, on se réduit. Table à fixer les coulures d’une tasse ou l’image floue de Bergounioux. Limite. Limite des mots et d’être,  de n’être là qu’à tenir vague sans certitude du bien-fondé de la chose.  Juste  ne pas trop grouiller avec. Voire ne plus



    ne plus.  Reprise  simple  pour  s’agripper  aux  bruits  des  jeux,   ce  pour  quoi  on ne tombe pas tout  à fait —  on lisse les mots,  encore  —    avec  la  crainte  de
    tout emporter
    tout s’écarte
    on bloque
    tait
    notre faiblesse
    l’incertitude pour laquelle
    on vit ?



    Nicolas Grégoire, « Même », S’effondrer sans, Æncrages & Co, Écri(peind)re, 2017, s.f. Peintures de Daphné Bitchatch.






    Nicolas Gregoire






    NICOLAS  GRÉGOIRE


    Gregoire
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site d’ Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur S’effondrer sans
    → (sur Terre à ciel)
    Un ange à notre table ~ Extraits de Ses restes / en somme (Le Taillis Pré, 2011), suivis d’un court entretien avec Cécile Guivarch





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  • Ariel Spiegler | [Je vais ramasser dans mes paumes]



    [JE VAIS RAMASSER DANS MES PAUMES]



    Je vais ramasser dans mes paumes
    l’eau vive sortie des promesses.
    L’orage tombera ce soir,
    me laissera les yeux fermés,
    les yeux ouverts ; et ma vieillesse.

    Je n’attends plus de savoir vivre ni
    de prévoir : la sagesse fait dormir.
    Je boirai cette eau dans mes paumes
    comme on oublie que l’on titube
    et elle blanchira mes mains
    que j’ai enivrées trop souvent.
    J’avais vu l’ombre et la menace,
    les yeux ouverts, et ma vieillesse.



    Ariel Spiegler, C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment, poèmes, Revue Nunc | Éditions de Corlevour, 2017, page 45.






    Ariel Spiegler, C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment, poèmes, Revue Nunc Éditions de Corlevour, 2017.






    ARIEL  SPIEGLER


    Ariel Spiegler




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Place de la Sorbonne)
    plusieurs poèmes d’Ariel Spiegler
    → (sur Recours au Poème)
    cinq poèmes d’Ariel Spiegler
    → (sur la revue Ce Qui Reste)
    Ariel Spiegler & Zoé Landry





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  • Claude Ber, Il y a des choses que non

    par Angèle Paoli

    Claude Ber, Il y a des choses que non,
    Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    AU LOINTAIN D’EXISTER
    NOUS NOUS JOIGNONS





    De l’herbu de la langue émerge le NON. Trois lettres palindromes pour s’ériger contre. Pour dire la résistance. Un mot hérité de longue date depuis la lointaine enfance. Un NON qui résonne clair dans la mémoire et rejoint la phrase-clé qui irrigue de bout en bout le dernier recueil de Claude Ber : Il y a des choses que non.

    L’enfant d’alors ne comprenait pas toujours le sens de cette phrase lancée dans sa langue rugueuse par la grand-mère paysanne pour ponctuer son discours. L’enfant comprendrait plus tard. C’est ce que disait aussi l’aïeule à sa petite fille qui lui posait des questions.

    « — Ma fille, répond-elle, il y a des choses que non. Tu ne sauras peut-être pas toujours à quoi dire oui, mais sache à quoi dire non. »

    Résister donc. L’aïeule savait de quoi il retournait. Elle était entrée dans la Résistance, tout comme son fils René Issaurat et comme René Char le poète. Ainsi l’histoire personnelle de la poète rejoint-elle la grande Histoire. Et Claude Ber rend ici hommage à ceux qui se sont battu pendant la guerre pour défendre la liberté et lutter contre l’envahisseur. La poète dédie son recueil à « Louise Thaon, FFI n° 180537, paysanne anonyme, qui a dit non et à tous ceux et celles qui, partout, à chaque instant, continuent encore et toujours de dire non. »

    Ainsi, depuis l’enfance, où régnaient boucs chèvres et vaches des montagnes alpines, menées sous la houlette de la grand-mère Louise, le Non a-t-il fait son chemin et continue-t-il toujours de creuser sans relâche le sillon de la langue, ses tunnels, ses rivières, ses filons qui ne demandent qu’à refaire surface. La poète Claude Ber sait ce travail de forage qui la conduit en des lieux multiples et jusqu’au fin fond des mers pour exhumer dans sa pêche aux mots les noms de poissons oubliés de tous et ramener dans ses filets « Ophiura les bras grêles, Acanthopsis le long nez, Brachygobius belle abeille, Percula le clown, Pogonias le tambour, Ductor le pilote »… et tant d’autres qu’elle convie à rejoindre la troupe en lançant :

    « venez les noms c’est nous !

    Et de loger tous les univers à la même enseigne en écrivant :

    « La torche du langage brûle aussi sous les vagues. Dans le pétillement acide du désert, la bruyère des landes, la tiédeur des mangroves. Sous le lac d’où jaillit l’épée chevalière. Dans le tunnel qui nous relie au rien. Trou vacant du nom évacué. »

    La langue de la poète perce cheville fore sonde crache invective fulmine. Elle est

    « […] la langue

    résistante

    la langue consistante

    la substantifique langue de la moelle des mots et des morts

    où résiste la langue au mirador

    où résiste la langue à l’obscénité de transparence

    où résiste la langue à l’asservissement

    où résiste la langue à l’avilissement

    où résiste la langue sous la dent

    et tient ferme le poème en bouche dans la langue du bouc

    qui broute le chardon dur

    langue de bouc et de boue »

    Lorsqu’il s’agit d’évoquer les siens, leur histoire, leurs luttes, leurs conseils, la langue se fait fidèle, attentive à se saisir des parlers de sa famille :

    « — Fais attention ma fille. Il faudra faire marcher ta cervelle. Les choses ne sont jamais simples. Il faut être vigilant. Veiller bien. Et d’abord sur soi-même. »

    Ou encore : « J’ai combattu une idéologie non un peuple, fillette. Le pire peut naître en tous. En chacun de nous. Sois vigilante. Je te fais confiance. Veille bien. »

    Ou plus loin, dans « Je ne sais l’Algérie que d’oreille » :

    « — Fais attention, fillette. Les victimes peuvent aussi devenir des bourreaux. Et même de soi, il ne faut pas se vanter d’être sûr. »

    Elle se fait tendre, la langue, lorsqu’il s’agit de faire revivre les paysans, gestes et mœurs de jadis dans les montagnes, odeurs, parfums petits métiers d’antan à jamais disparus, objets de la vie courante, leurs reflets, leur mémoire. Ainsi la poète n’hésite-t-elle pas à rameuter dans de nombreux flash-back, les souvenirs qui l’ont forgée et nourrissent aujourd’hui la poésie engagée (et enragée) d’Il y a des choses que non.

    « On ne dit jamais qui nous sommes », écrit Claude Ber dans la section de « L’Inachevé de soi ». Sans doute. Mais il n’est pas pensable (du moins pour la lectrice que je suis) d’écrire un tel recueil sans dévoiler tant soit peu une part de soi-même.

    De section en section — sept au total —, Claude Ber maintient le lecteur hors d’haleine et le conduit à travers sa langue rebelle. Elle se penche et rassemble « le trésor éparpillé » qu’elle reconstitue dans une langue qu’elle fait saliver en bouche, depuis « Le livre la table la lampe », texte inaugural jusqu’à « Je marche », texte final, en passant par « Célébration de l’espèce »/ « Je ne sais l’Algérie que d’oreille »/« L’inachevé de soi »/ « Lisant Lucrèce »/« Tous tant que nous sommes ».

    Ce sont mots qui roulent s’abîment foisonnent se burinent se barattent. Faisant surgir au cœur d’une métaphore filée savoureuse qui prend ses racines dans le monde de l’enfance et du père, une définition personnelle de la poésie :

    « Il faut sac à dos pour un bivouac si précaire qu’est vivre. À ce déjeuner sur l’herbe d’une vie j’ai fait de poésie un plat de résistance qui peut sembler bourrative pitance, estouffa babi en patois alpin des Francs-Tireurs et que je traduis poésie égale maximum de sens sur minimum de surface
    ration de survie pour des temps de disette mentale. »

    Et un peu plus loin dans le même poème de la première section, rendant hommage aux deux René, René le poète et René le père, Claude Ber confie :

    « Je n’ai vu que le poème et le courage faire pièce au terrible. »

    La langue, si semblable souvent à un félin lâché en pleine savane, n’en est pas moins savante et rigoureuse. Ensorceleuse, aussi. Les six pages haletantes de « Célébration de l’espèce » en sont un parfait exemple. Texte performance qui tient en suspens dans une sorte de transe ou de cyclone, pour dire l’impuissance à se livrer à pareille célébration. Ce long poème interroge dans ses enroulements ophidiens l’espèce humaine. En proie à ses contradictions multiples, notre espèce choisit la mort par terreur de la mort et, partant, se livre continûment à l’extension généralisée des massacres.

    « Le cœur de mon espèce est le charnier métaphysique de la mort. »

    Le final de la section se clôt sur un tourbillon dense dans lequel le mot « espèce », répété trente fois – il ouvre et ferme chaque groupe énumératif construit sur des oppositions – emporte dans un maelstrom qui donne le vertige. Un morceau d’anthologie pour dénoncer les exactions commises par l’espèce dominante qu’est la nôtre. Espèce destructrice s’il en est et difficile à aimer « continûment » sans faillir.

    Après cette parenthèse sur l’Espèce humaine, Claude Ber reprend le chemin de l’Histoire avec « Je ne sais l’Algérie que d’oreille ». La troisième section du recueil renoue avec les souvenirs familiaux. La poète ici encore rend hommage aux siens qui affichaient ouvertement leur choix d’une Algérie algérienne. À nouveau, l’enfant se trouve confrontée à une complexité qui la dépasse et dont elle ne comprendra que plus tard les rouages et les enjeux.

    « C’était compliqué pour l’enfant. Il y avait ceux d’ici et ceux qui venaient de là-bas, dont les uns étaient Algériens, les autres Français, il y avait les Fellaghas, les Pieds-Noirs, les Harkis, des noms que j’entendais comme ceux des tribus indiennes de bandes dessinées au milieu d’autres Hurons, Iroquois, Cheyennes ou Apaches. »

    Et l’adulte de faire chanter, à travers une longue énumération, cette Algérie qu’elle « ne connaît que d’oreille », par le rythme intérieur hérité de l’enfance. Elle rend ainsi hommage à tous ceux et celles de ces ami(e)s, émaillant le poème de leurs noms et mêlant histoire personnelle à l’Histoire.

    Il y a tant d’histoires qu’il est impossible de les dire toutes. « Il y en a trop pour le si peu que je connais. »

    Cependant, pareil défi relève du tour de force. La poète, en proie à un sentiment de lassitude, confie toute la difficulté qu’il y a à vouloir rendre compte de l’Histoire. Elle se heurte au caractère vain d’une telle entreprise :

    « À me livrer à tous les embouts de la parole, je vis dans le silence médian qui la creuse.
    D’un même mouvement je dis et je tais, j’inscris et j’efface… »

    La poète rebondit. Et le lecteur retrouve la figure tutélaire de la grand-mère, son caractère haut en couleur, son franc-parler et ses idées sûres, dans la section « Nous tous tant que nous sommes ». C’est à Louise Thaon que Claude Ber doit cette expression qui scandait le discours de l’aïeule libertaire. Paysanne et Résistante, sachant dire Non aux injustices inégalités et tyrannies de son temps, la grand-mère sait aussi rire d’elle-même. Se moquer de son statut de « bonne-à-tout-faire » et « de bonne-à-rien ». Foncièrement rebelle, elle a conscience que rien jamais ne changera, que les pauvres toujours plus nombreux seront condamnés à le demeurer.

    Rien décidément ne change. Mais il y a toujours « des choses que Non » ! Dont on sent bien qu’elles taraudent la poète au plus profond ; un bouillonnement intérieur qui atteint le lecteur et l’emporte, en partage, dans une même colère.

    Les yeux rivés sur le bitume, la poète continue d’avancer. « Je marche ». Elle marche avec, chevillée au corps, la conviction que quelque chose s’est brisé, qui relègue le passé vers un inaccessible que les mots peinent à rejoindre. Tout ce qui a percuté notre monde est de l’ordre de l’impensable. Il s’est produit, écrit-elle dans la très intense section « L’inachevé de soi »

    « quelque chose de plus inquiet que moi qui me dépasse

    halètement anonyme s’essoufflant aussi dans ma poitrine. »

    Quelque chose comme « un déclin et une douleur »

    « La déroute de l’esprit. L’ennoiement de la terre. Et une misère de toutes sortes. Mutique et bavarde. Et bavarde la pire d’ici où je vis. Misère du dedans. Riche et lâche. Des débris de crevettes et de crabes crissent sous les semelles.

    À force de sel crisse aussi dans les yeux… »

    Comment affronter ce qui dépasse ? Comment surmonter ce qui imprime au corps et au cœur pareille douleur ?

    Relire Lucrèce et son De natura rerum. Retrouver à la lumière de sa sagesse ce dédain des dieux, ces rythmes qui scandaient la « délivrance,
    un comment être heureux au défi de la mort ».


    Lui emboiter le pas et écrire à sa suite pour dénoncer « l’inéquitable, barbare et pathétique » qui se vit dans un « ici maintenant » inhumain et brisé. Et se laisser porter par « l’obstination d’écrire ». Se fondre dans « l’intensité du détail » qui « apaise ».

    « Prends l’arrosoir pour que demain ne s’éteigne pas dans le noir si noir d’au-delà de la nuit. L’immensité se cueille au jardin comme les fleurs de courges. »

    Et même si « vivre n’est accordé que par intermittence », profiter de l’oubli bénéfique qui écarte momentanément la lassitude de vivre et se laisser bercer par la tendresse.

    « Je passe le bras sur ta nuque. Ta peau est légère. Tes cheveux parfumés.

    Est-ce un pressentiment d’éternité leur glissé entre mes doigts

    à te lever cette élégance

    et la voix résonnant pour nous seuls quand nous aimons.

    Au lointain d’exister

    nous nous joignons. »

    À cela qui est l’amour, la poète dit OUI.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claude Ber  Il y a des choses que non





    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche



    ■ Voir aussi ▼

    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Recours au Poème)
    une lecture d’Il y a des choses que non, par Marie-Hélène Prouteau





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