Étiquette : 2017


  • Denise Desautels | Pour dire nous voici



    POUR DIRE NOUS VOICI
    (extrait)




    Avant. Mais tout est si récent. Avais-je déjà fait un voyage. M’étais-je déjà vue avant. Avais-je même déjà pensé maison. Autre chose que « mes murs à perpétuité ». Mon genre ma place ma joue tendue sur le miroir. Fresque officielle. Jamais complète ni future et nul pont probable. Qui étais-je — de quel amour. L’une parmi tant taboues que rien ne soigne. Dans grande famine qui broie. Maintenue à la cheville de son sexe. Et loin l’immensité du territoire.





    Depuis — un autel mon nom d’effroi et un volcan. Ça a poussé. Quelque chose s’est fait en mon absence. Arrivée lente à l’aveugle autobiographie de mon espèce. Je commence tard à mourir à chaque aube. Me relève tard mais rude résiste revis veux me battre. Jusqu’aux étoiles. Dis oui nombreuse à voix violente.





    Je commence tard à hurler à chaque aube.

    À « notre moi désaxé ». À nous. Nous sauve « ma force fracassée / ma force noire. » Fenêtre d’âme offerte sans faste. Nous « corrige notre vie ». Nous — claire conscience colère de femmes — « n’irons plus mourir de langueur mon amour / à des mille de distances dans nos rêves bourrasques / des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres ». Nous souches errantes volontaires avançons. Nous seins nus pour dire non pour dire nous voici.





    Où commencer. Car toujours cœur d’os d’armes d’émois s’emballe. Vitriol à nerf vif de nos peurs. Avançons manœuvrons catalogues d’infos chagrins de première heure. Poitrines d’abus. Jusqu’au parti pris. Ni le monde ni le sans espoir de nous du monde ne nous reconnaissent.

    Nous ne sommes pas celles que nous sommes.





    Or tout (re)commence à mon soudain cri. Je suis espèce deuillante indignée. J’envisage chaque jour prochain en nuit. Chancelante résiste. Mon poing sur des sons drus d’encre. Mon poing retient alarme et plaie respire planète et nostalgie future. Me voici plurielle. Nous. En force qui soulève ce qui s’effondre. Qu’on arrache. Qui revient s’afficher aux murs d’angle de passage des villes — espoir aux phrases mobiles. Vieille colère rose feu qui nous a fait nous dresser. À cet ébranlement de la configuration antique des espèces humaines. Ombre unanime. Les rubans hurlants de Jenny Holzer s’y enfouissent encore. S’ouvrent encore somptueusement l’esprit le lieu — océan de marbre d’un pavillon des Giardini.





    « car le mystère est cécité
    et projection d’antennes vers une seconde lueur »
    MICHELINE SAINTE-MARIE





    Denise Desautels, « Inventaire II, Pour dire nous voici », in D’où surgit parfois un bras d’horizon, Inventaires 2012-2016, Éditions du Noroît, Collection Poésie, 2017, pp. 59-61.







    Denise Desautels  D'où surgit parfois un bras d'horizon





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    D’où surgit parfois un bras d’horizon (lecture d’AP)
    [ça dit grand] (poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Dimedia)
    une fiche sur D’où surgit parfois un bras d’horizon
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Pascal Commère, Territoire du Coyote

    par Angèle Paoli

    Pascal Commère, Territoire du Coyote,
    Tarabuste Éditeur, Collection Doute b.a.t. Poésie, 2017.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    L’ÉTRANGE VOIX DU MONDE



    Étrange territoire poétique que celui qu’habite et investit Pascal Commère dans Territoire du Coyote. Territoire peu ordinaire, en effet, à la fois mystérieux et déroutant. Déroutant parce que la poésie qui compose cet ensemble de poèmes ne « donne » pas dans la facilité. Sur le plan de l’écriture et de la forme, elle présente nombre de particularités qui peuvent déconcerter. Notamment cet écart qui se lit entre le monde-matière du poème et le travail mis en œuvre pour parvenir à le cerner et à le rendre habitable. C’est que la palette de Pascal Commère est vaste. Richesse de la langue et variété des registres ; spécificité du vocabulaire ; jeux de langage et jeux sur les sonorités ; lyrisme noble ; tonalité qui mêle épique, mélancolie et humour… Le poète explore tout ce que l’art poétique contemporain offre de ressources.

    Mystérieux et énigmatique, le territoire l’est d’emblée. Par le titre, lequel semble une invitation au voyage en terres lointaines. Tout au long de cette traversée en treize épisodes, la question demeure. Quel territoire ? Pour quel Coyote ?

    Le Coyote, on l’imagine spontanément être la figure du poète lui-même. Quant au territoire, il est vraisemblable que ce soit le territoire poétique de Pascal Commère, habité des matériaux qui lui sont propres ou familiers. La campagne, la vie paysanne, ses hommes et ses engins, la neige, le froid, la trace. Le temps… La table finale et les titres qu’elle révèle valident cette première impression. L’hiver y tient une place importante. À quoi il faut ajouter une pluralité de mondes : le monde des plantes : « Du côté des Marcottes » / « Anthère » / « L’Ortie veille » ; celui des bêtes : « Prédominance des Taureaux » / « Jars » ; celui de la mémoire : « Mémoire du Nombre » / « Survivance des Rituels ». D’autres intitulés gardent le secret de leur contenu… Il faut donc patienter.

    Plusieurs exergues ouvrent des pistes. Le plus éloquent d’entre eux est sans doute le premier, celui sur lequel s’ouvre l’ensemble du recueil et qui le recouvre tout entier. Il est emprunté à l’artiste allemand Joseph Beuys dont Pascal Commère propose une citation : « I like America and America likes me. » Entre le « Coyote » et l’Amérique du Nord, la relation s’établit tout aussitôt. Avec deux entrées possibles et complémentaires : le dieu ou héros de la mythologie indienne et l’animal (un canidé proche du loup) qui lui est associé et avec lequel il se confond. Parmi les signes distinctifs de cet animal sauvage, citons son aptitude à ruser pour déjouer les pièges tendus par les chasseurs. Dans la mythologie amérindienne, Coyote est ce héros anthropomorphe prompt à se rebeller contre les conventions sociales. Le poète va-t-il entraîner son lecteur sur les pistes épiques de la geste indienne, exterminations des tribus et des coyotes, rituels chamaniques de réconciliation entre les Blancs dominateurs et les animaux ? Peut-être pas. Sans doute va-t-il alors l’entraîner sur ses propres traces, qui sont celles d’une forme de protestation. Car on peut aussi être Coyote dans les terres rurales de la vieille France, laquelle est soumise à toutes sortes de destructions et d’abandons. Quant à Joseph Beuys, invité à New York en mai 1974 pour présenter, galerie René-Block, une performance artistique, il arrive sur les lieux en ambulance, sur une civière, emmitouflé dans une couverture de feutre, afin de ne pas poser les pieds sur le sol américain et de s’en protéger. Tenue qu’il ne quittera pas durant tout son séjour. Il vivra ainsi accoutré trois jours durant dans un espace grillagé qu’il partagera avec un coyote sauvage, récemment capturé, lequel s’acharnera à vouloir dépecer la tenue de camouflage de son compère. Partage d’un même territoire par l’homme et par l’animal sauvage, partage également des différents matériaux qui composent l’espace : paille, feutre, cage. Déchets et déjections. Dont l’artiste allemand entend explorer la matérialité. Une manière à lui, par ailleurs, très engagée et poussée à l’extrême, de manifester sa totale désapprobation de la guerre au Viêt Nam.







    Beuyscoyote09
    Joseph Beuys, I Like America and America Likes Me
    (Performance, NYC, 1974)
    Source







    Prenant l’artiste allemand pour fil conducteur de sa propre réflexion, Pascal Commère explore son propre territoire avec les mots et les corps qui le constituent. Châssis roues calandres pylônes éoliennes… ou encore compost fumures orties terreau thalle saprophytes…

    Je rapprocherais volontiers la section d’ouverture « Un froid qui serre » et la onzième, intitulée « D’hiver, disait-elle ». Composés en caractères italiques, centrés sur la page, les poèmes de ces deux sections (très brèves) sont resserrés, comme le froid qui recouvre l’univers du poète et la terre qui l’habite/qu’il habite. Pascal Commère tente de dire et le fait avec talent, avec peu de mots, dans des vers minimalistes (à l’exemple d’André du Bouchet), ce resserrement de l’hiver et de l’être, pris entre ombres et gel. Un respir à peine, un glissé pour écrire le rien qui demeure, ce peu de choses qui vit encore dans la faille. Et qui vibre dans les interlignages. Rien pour retenir rien pour demeurer. Ainsi se dessine le « territoire de coyote » de Pascal Commère, un tremblé dans « nos mains pauvres. »

    Et le poème pour viatique :

    « Ce qu’il nous faut porter

    de cela qui est vivre »

    La terre prise dans l’étau de l’hiver ne livre que ce peu auquel la voix du poète s’attache. Pourtant, le territoire poétique de Pascal Commère présente de multiples formes d’expression et l’on voit s’allonger les poèmes, pris dans une densité soudaine, inattendue, un flot resserré de mots pour dire un monde autre, un hors-temps fait de neige, d’ornières d’arbres et de grumes, d’engins laissés à l’abandon dans les champs ou immobilisés dans les quinconces d’un parking, l’autoroute proche, malgré tout, les traces et entailles laissées par les roues des tracteurs bétaillères et camions, tous d’engeance taurine, qui retiennent l’attention d’un Coyote paysan, aux semelles alourdies par les boues, un Indien solitaire, égaré parmi des silhouettes sans visages, dans sa réserve vide. Un décor peut-être emprunté, dans sa matérialité, à ceux que l’on rencontre chez certains poètes américains. Et pourtant c’est bien de nos campagnes qu’il est question, abandonnées, livrées à la destruction progressive et concertée ainsi qu’au vide existentiel. Il se dégage des poèmes de « Parking de camions près d’un restaurant routier en semaine l’hiver », ou plus avant dans le recueil, dans la section finale des « Éoliennes sur champ de neige », une atmosphère reconnaissable entre mille et qui étreint. Les paysages de campagne pris dans l’immobilité de l’hiver, leurs « vignes tirées à quatre épingles », leurs absents d’« un an tout juste » qui ponctuent le temps de leur disparition, la vie qui perce malgré tout, « de loin crochetée au revers/d’un talus », c’est tout ce qui reste d’un temps qui n’est plus, ces menues choses de peu de poids que le vide enveloppe de même que la brume :

    « […] traînées

    de neige en attend d’autres, lever du jour

    une brume ramasse

    dans l’épaisseur ce qui persiste

    à être une trochée d’aulnes réchappée

    du vide, ce qu’il est sans qu’on sache

    quoi persiste du monde et surgit dans

    la trouée des phares… »

    Ce qui reste, dans ce « paysage toujours à reprendre et qui demeure/au bord du vide », ce sont les éoliennes, leur retour entre les poèmes du début du recueil et ceux de la fin :

    « […] des éoliennes dans l’air

    qui tournent, la neige, une éclaircie,

    un abri de bus — froid ».

    Une ponctuation ailée, permanence silencieuse, pareille à celle des oiseaux qui sillonnent le ciel. « Éternels étourneaux » qui procurent un « vertige unique » à lever le nez vers les nuages. Oiseaux/arbres, qui ancrent leurs racines dans le sol gelé, la boue des sillons et déploient leurs ailes dans les airs pourvoyeurs d’un « vent immatériel ».

    Le poème d’ouverture d’« Éoliennes sur champs de neige » — on croit lire le titre d’une toile d’un peintre à venir —, très beau poème métaphorique, construit sur des strophes irrégulières, va crescendo : deux alexandrins, puis dix-sept/dix-huit syllabes ; et retour à un hexasyllabe. Le rythme prend de l’ampleur, s’enfle et grossit à mesure que le poème se déploie en images et que les éoliennes impriment sur le paysage leur mouvement d’oiseaux géants et de mâtures. Puis se pose :

    « Les oiseaux reviennent. Grandes ailes au loin

    brassant l’air sans relâche, tournant, que seul signale

    l’ampoule rouge du phare tout en haut qui clignote, jette

    autour sur le ciel l’éclat d’un vin clairet qui ne tache pas au sol

    la neige amoncelée. »

    Avec « Du côté des Marcottes », un titre à mi-chemin d’un titre de Proust ou de Michaux, sacré tour de passe-passe (ou clin d’œil malicieux), avec « Anthère » aussi et avec « L’ortie veille », le poète entraîne son lecteur dans le monde des macérations lentes et des cycles invisibles, compost et déchets, décompositions et pourrissement. « Le beau, on le trouve en remuant les décombres », écrit Antonio Porchia à qui Pascal Commère cède la voix avant d’ouvrir la section « Chasseur dyslexique ».

    Poèmes au vocabulaire précis où le petit monde rural est vu sous la focale du gros plan ou du plan rapproché, comme pris sous l’œil d’un monocle ou le verre grossissant d’une loupe (ainsi le suggère, semble-t-il, l’illustration de la première de couverture), monde secret où se vivent le travail silencieux de la nature et la geste invisible de la sève et de la reproduction.

    « — L’ordure mère des composts : maturation des pulpes

    denrées & matière putréfiées, particules. Le ventre

    de la terre en travail dans l’épais du monde,

    la procédure sombre, le pourrissement. »

    Marcottage surgeons branches bourgeons se fraient un passage dans les vers ; de même les vivaces le plantain les mâches les rhizomes et l’ortie, qui, à elle seule, donne son titre à la section « L’ortie veille ». Magnifiée par le poème d’Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz proposé en exergue :

    « […] Mais le cœur de la terre m’attristait

    Déjà ; et je savais qu’il bat non sous la roseraie

    Choyée, mais là où croit ma sœur ortie,

    obscure, délaissée. »

    Avoisinant l’embrouillamini des halliers, le lierre le gui et la cenelle, l’ortie qui dissémine, discrète, sa présence

    « […] l’ortie

    du soleil ras entre les interstices

    D’ailes »

    culmine dans la métaphore de la mort :

    « […] s’agitant une dernière fois

    signe ultime, l’ortie de la mort singulière— ses crocs

    dans la chair tendre. »

    Et toujours, quelle que soit la forme que prend le poème (par exemple les sizains anaphoriques d’ « Anthère », section implicitement consacrée aux champignons), la nature engourdie par le froid côtoie le rien côtoie la mort.

    « Entre les mots de l’herbe — difficile

    qui dit et ne dit rien de l’opacité

    dont se pare l’imprévisible,

    dans l’angle mort

    où ricane la bouche d’ombre — jetées

    à l’abandon salive et sanies, l’or noir bilieux. »

    « […] Mots, morts tel hiver. »

    Bien des choses restent à explorer dans ce recueil poétique où l’on entend bruire « [l]’étrange voix du monde ». Je laisse à d’autres que moi le soin de prendre le relais. Quoi qu’il en soit, par-delà le dépérissement et la disparition lente mais permanente des êtres et des choses demeure d’ores et déjà ce peu de poussière qui dépose sa trace dans les vers ultimes de ce très beau Territoire du Coyote :

    « […] Joie

    d’être vivant avant la nuit, un parmi tous chacun

    partie vivante en vol du sommeil de la terre. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Pascal Commère  Territoire du Coyote








    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source



    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes

    [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    Sur la poussière
    [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur reflets de lumière)
    Joseph Beuys – Coyote
    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





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  • Lambert Schlechter | [Je ne sais pas ce qu’elle devient]




    [JE NE SAIS PAS CE QU’ELLE DEVIENT]



    Je ne sais pas ce qu’elle devient, je ne sais pas où elle est, je ne sais pas ce qu’elle fait, je ne sais pas ce qu’elle pense, je ne sais pas si elle est heureuse, je ne sais pas si elle est malheureuse, je ne pense pas qu’elle soit heureuse, a-t-elle jamais été heureuse, mais qui suis-je pour penser d’elle quoi que ce soit, je pense qu’il y a eu des moments où à cause de moi elle a été heureuse, mais à peine ai-je pensé cela que je me reprends, comment puis-je savoir cela, je ne sais pas si elle se souvient des moments où elle a été à cause de moi heureuse, je me souviens qu’un jour, se lovant, nue, contre moi, elle murmura quelque chose comme : ça je ne l’oublierai jamais, et je voyais qu’elle avait les yeux mouillés, je ne sais pas où elle a rangé ces souvenirs-là, je ne sais pas si elle les a rangés, je ne sais pas si elle a gardé mes lettres, toutes ou quelques-unes, je pense qu’elle les a fait disparaître, jetées ou effacées, deleted, je me souviens que parfois elle me disait à propos d’un billet : j’en ai eu les larmes aux yeux, puis elle efface, clic, je continue à vivre, je ne sais pas ce qu’elle devient, je ne sais pas dans quelle ville elle habite, j’invente à ma mesure un genre nouveau, l’élégie en prose, je continue à vivre, et j’écris mes murmures en mi mineur.



    Lambert Schlechter, Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager, Le Murmure du monde / 6, chapitre 4, 1, Éditions Phi, L-4050 Esch-sur-Alzette, 2017, page 19.






    Lambert Schlechter  Monsieur Pinget





    LAMBERT SCHLECHTER


    Lambert Schlechter 2
    Source




    ■ Lambert Schlechter
    sur Terres de femmes

    [liste des choses arrivées…] (extrait d’Agonie Patagonie)
    Inévitables bifurcations (note de lecture d’AP)
    3 mars 1994 | Lambert Schlechter | [cahier mou brouillon]
    [on ne sait plus où se réfugier] (extrait de L’Envers de tous les endroits)
    [J’ai deux fois l’âge maintenant] (extrait de Mais le merle n’a aucun message)
    [trop de murs] (extrait de Milliards de manières de mourir)
    4 décembre 2008 | Lambert Schlechter, Les Parasols de Jaurès
    [Sans agrafe ni trombone] (extrait d’Une mite sous la semelle du Titien)



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans le dictionnaire des auteurs luxembourgeois du site du Centre national de littérature du Luxembourg)
    une fiche bio-bibliographique sur Lambert Schlechter
    Le Murmure du monde, le blog de Lambert Schlechter





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  • Claire Massart | À Rebours


    Série Nuit

    5. À Rebours




    Souvent en fin de nuit viennent d’anciens lieux de pierre et de mémoire.
    Une bousculade à rebours
    Juste l’écho de quelques vies et leurs méplats
    Dans un silence qui peluche

    Tant d’enfuis parfois à leur insu
    Jonglant avec leur sosie
    Dans les rêves
    Dans les dédales de l’oubli
    Une fenêtre dans la paume.



    Janvier 2016



    Claire Massart, L’Aveu des nuits suivi de Le Calendrier oublié, Éditions des Vanneaux, Collection L’Ombellie, Bordeaux, 2017, page 28.






    Claire Massart  L'aveu des nuits 2




    CLAIRE MASSART


    Claire Massart 3
    Source




    ■ Claire Massart
    sur Terres de femmes

    Novembre (extrait du Calendrier oublié)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur lelitteraire.com)
    une recension de L’Aveu des nuits suivi du Calendrier oublié par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le blog Jacques Louvain)
    une recension de L’Aveu des nuits par Dominique Boudou
    Les Tempes du Temps, le blog de Claire Massart





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  • Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse (extrait)



    Paysage de genèse
    Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 5







    PAYSAGE DE GENÈSE
    (extrait)



    Ni les yeux ni la voix ne sont assez vastes,
    généreux, ce qu’ils désirent, ils doivent,
    d’avance, dans la distance, en être la lumière :
    la vague n’est chez elle, fidèlement,
    qu’en débordant la vague.




    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10, Éditions Voix d’Encre, 2017, s.f.





    Pierre Dhainaut Caroline Francois Rubino  Paysage de genèse




    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Paysage de genèse





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  • Florence Noël | [parler de soi]


    [PARLER DE SOI]



    parler de soi
    c’est si facile
    nous sommes des constellations
    de peu dit
    des myriades d’étincelles
    aussi brèves
    que brûlantes
    vastes comme un peuple
    un océan
    un univers

    et quel que soit le voyage entrepris
    nous ne tournons
    qu’autour de ce même petit
    moi pale
    et troublant




    je vous écris
    d’entre les lèvres d’une blessure




    Florence Noël, L’Étrangère, Bleu d’encre Éditions, 5500 Dinant (Belgique), 2017, pp. 73-74. Dessins de Sylvie Durbec.






    Florence Noël  L'Etrangère  Bleu d'encre Editions  2017 4






    FLORENCE NOËL


    Florence Noël 3





    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    Initiation au crépuscule
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin






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  • Pascal Commère | [La courbe des fumées là-bas]


    [LA COURBE DES FUMÉES LÀ-BAS]



    La courbe des fumées là-bas, vignes
    tirées à quatre épingles maintenant
    qu’a cessé la pluie ses traits roides.
    Traversé au matin le petit pays tourne
    comme les ailes des éoliennes entre les arbres,
    paysage toujours à reprendre et qui demeure
    au bord du vide ; on brûle
    les sarments de pré-taille — brouettes
    adéquates : bidon en fait sur châssis
    qu’on pousse entre les rangs, la pensée
    qu’un d’ici — un an tout juste… Visage
    soudainement qui rejaillit, vague espoir
    après les séances de rayons, les vrilles
    autant de fois qu’il faut tirer pour déprendre
    le rameau sec des fils dans le jour
    tant et tant de gris à travers quoi, implacable
    écueil, la vie de loin crochetée au revers
    d’un talus — la neige, ce qui subsiste
    de l’oubli d’une saison, la sécheresse
    à venir. Un matériel à l’écart : limons
    jetés au cœur des rouilles.




    Pascal Commère, « Parking de camions près d’un restaurant routier en semaine l’hiver » in Territoire du Coyote, Tarabuste Éditeur, Collection Doute b.a.t. Poésie, 2017, page 25.






    Pascal Commère  Territoire du Coyote








    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source



    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes

    Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
    [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    Sur la poussière
    [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





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  • Jeanine Baude, Oui

    par Angèle Paoli

    Jeanine Baude, Oui,
    La Rumeur libre Éditions,
    Collection Plupart du temps, 2017.



    Lecture d’ Angèle Paoli


    « ENTRE EXTASE ET ABÎME », LE OUI DE JEANINE BAUDE






    Oui : Du titre à la première section du recueil | devisements


    Oui. Un tel cri, un tel jaillissement ne se peut proférer que dans la ferveur ! Le monolithe qu’est ce Oui magistral, qui donne son titre au dernier recueil-poésie de Jeanine Baude, claque au visage et au vent. Pareil intitulé ne laisse aucune place aux tergiversations, atermoiements et autres barguignages. C’est un Oui sans préambules que lance à la volée la poète — dans un élan de vagues subversives à naître.

    La lectrice que je suis cherche un sous-titre qui pourrait induire une direction. Il n’y en a pas. La « table » finale fera sans doute office d’échelle de cordes, d’étais où arrimer le questionnement. « Oui » à quoi ? Jusqu’où ce « oui » ? Pour faire contrepoids à quel « NON » ?

    Emprunté à Adonis, le premier exergue du recueil donne le ton :

    « Où finit la distance, où s’abolit la peur ? (in Le Temps étroit)

    Et l’on soupçonne que les peurs, toutes les peurs de notre temps, vont être démasquées par la poète et saisies à bras-le-corps. Avec fureur, peut-être. Avec rage, pour sûr.

    À ce titre incisif répond un vaste ensemble de poèmes déployé en six sections :

    « OUI » // « Proses Vénitiennes suivies de quintils de l’acquiescement » // « Le chant d’Adrienne » // « Ô, Solitude, L’Île » // « Antiphonaire » // « Désert ».

    Mais ce « OUI », clé de voûte et clé du recueil, recouvre de sa bannière unique l’architecture pyramidale de l’ouvrage. La première de ces sections reprend en écho le « Oui » du titre. Elle sert de fondement et de contrefort aux autres chants qui vont se déployer, en quête d’acquiescement et/ou de réconciliation, tout au long des pages.

    Le terme « acquiescement » apparaît d’ailleurs explicitement dans l’intitulé de la seconde section : « Proses vénitiennes suivies de quintils de l’acquiescement ». Quant à la première occurrence du mot, elle est présente dès le poème d’ouverture du recueil Oui.

    Les trente-et-un poèmes qui constituent la section « Oui » sont tous construits à l’identique. Façonnés dans la même matrice. Propre à canaliser et à ordonnancer un lyrisme personnel que la poète s’emploie, par la contrainte formelle, à endiguer. Ici, dans cette première section, un septain en caractères romains, l’autre en italiques. Deux autres vers également en italiques suivent, séparés des deux strophes précédentes par une interligne. Ils ponctuent l’ensemble, peut-être sur le mode conciliatoire des contraires. Et sans doute aussi pour témoigner d’une ouverture. Parce que la poète, si volontiers rebelle, est aussi une enthousiaste, une battante, qui ne recule devant rien. Pas même devant la prise de risque. « Je ne peux pas vivre sans désir et je ne peux pas vivre sans risque », déclare Jeanine Baude dans un entretien avec Joëlle Gardes (in revue Phœnix, mars 2014).

    Chacun des poèmes du « Oui » reprend invariablement les deux formules introductives :

    « Tous les non de ma vie sont… » (Premier septain) / « Mais prononcer ce oui » (avec la variante « proférer », second septain).

    De sorte que l’impression dominante qui ressort de la lecture est celle d’un flux et d’un reflux incessants, à la fois autres et identiques, qui emportent dans une houle ininterrompue. Du reste, aucun point final ne vient clore les poèmes. Il faut donc se laisser porter sur la ligne de crête de chaque strophe et attendre que la vague retombe (provisoirement) et s’échoue sur les deux derniers vers, pour reprendre souffle. Le poème suivant, de même facture et de même intensité, remporte le lecteur sur la crête du rouleau et le drosse d’une strophe à l’autre en un mouvement ascendant/descendant identique.




    Paysage premier, la mer


    Le paysage premier de la révolte est celui de la mer, « sel et vague » ; celui de l’apaisement — acquiescement — aussi. Sans doute parce que la mer, son mouvement inépuisable, son infinie patience à retisser sans cesse les mêmes flots, sont les plus à même de prendre en considération le corps, ses mouvements intimes, son langage.

    Ainsi se donne à lire le poème d’ouverture de Oui :

    « Tous les non de ma vie sont brûlants

    de révolte emprise sous le sel et la vague

    roulant de mon corps vers l’horizon

    le plus ferme et le plus atteignable

    dans l’essor d’un mouvement

    où le signe paraît sur une ligne rouge

    sang vie, sang mêlés

    Mais prononcer ce oui sur l’encre violette

    du rivage, algues et armérias se frottant

    à la nudité des pierres sur papier coloré

    de marées, de gerbes verdoyantes

    quand la plage devient ce livre d’audace

    cette mer de perplexités courant

    en rubans de métonymies et de parenthèses

    le navire au loin dans sa traîne

    vague après vague roule l’acquiescement »

    Les non qui sont dénoncés par Jeanine Baude sont multiples : « Tous les non de ma vie sont pluriels ». Ils sont ceux de notre temps. Des « temps de nuées froides ». Ils véhiculent avec eux hardes tessons de verre épaves dévastations horreurs quotidiennes sang guerres destruction misère grande et cruauté des hommes. Leur liste est infinie et Jeanine Baude les ramène sur la grève sous la violence rageuse de ses images. Sensible à la musique et au rythme, la poète dissémine dans ses vers des homophonies qui amplifient encore les rebonds soubresauts et volutes qui se poursuivent d’un vers à l’autre. Tout en pratiquant des rejets inattendus, afin que l’oreille paresseuse ne s’installe pas dans un bercement trop facile. Car la poète tient le lecteur en éveil, sous tension. Une tension qu’elle met en place avec art en jouant sur les oppositions entre le non et le oui. Et aussi sur les intrications étroites qui les lient l’un à l’autre.

    Ainsi de ces vers du poème XX :

    « Tous les non de ma vie sont bouche abolie

    éboulée de désordres, le sang défiant le sens

    la colère, lame de fond entre les tours surprises… »

    À ces rages, à ces désordres, le poème doit répondre par un « oui » vibrant à la vie, à tout ce qu’elle porte de lumière, de clarté, de force et de beauté :

    « Mais prononcer ce oui sur le cygne, élytres blancs

    sous les ailes, la trame de l’écrit enroulée sous l’envol

    l’épopée de l’oiseau striant la nue… »

    Et toujours, dans les deux derniers vers, cette ouverture vers la vie justement, son chant continuel, son insondable et stimulante richesse :

    « Je dirai le corps et le corps encore

    le centre et la chute amoureuse »

    Mais quels que soient les mots que la poète arbore et claironne pour réveiller nos incertitudes et pour que nous nous tenions aux aguets, l’écriture est au centre. Elle est le centre :

    « le chant, seul recours, étincelle à l’oreille

    du labyrinthe, ton congé de clarté, ta nuit sereine »

    ou bien :

    « alors, trames et langage s’adossent dans les plis

    à rebours des cauchemars, un temple s’ouvre et siffle »

    ou encore :

    « l’écrit, sa tunique insomniaque et sensible à l’obscur

    déversant son ruisseau secret, sa clarté, sa lumière »

    La parole de la poète tient de la profération, du chant pythique, tant s’enlacent s’enroulent se nouant se dénouant les unes aux autres en un carmen mystérieux, vibrant, énigmatique, les images les plus inattendues, convoquées dans un élan ininterrompu. Le verbe ici charrie dans sa verve la mémoire des poètes aimés. On reconnaît au passage la présence éminente de René Char, mais aussi celle de Gérard de Nerval, de Charles Baudelaire. Ou de Théophile Gautier. La poésie de Jeanine Baude puise ses forces et ses racines dans un terroir fertile dont elle a une suprême connaissance.

    Mais toujours l’horreur reconduit sur les devants de la scène son manteau de fureur, et c’est René Char qui revient alors sous la plume de la poète :

    « Tous les non de ma vie sont flammes

    en ce jour de sang sur Paris endeuillé

    et des Feuillets d’Hypnos, je réitère

    la rage ; le courage secret, celui qui vient de loin

    habiter nos boyaux, notre esprit, notre marche

    en vainqueur et je chante, loriot du pauvre, celui assassiné »

    à quoi répondent les vers qui suivent :

    « Oui, respirer en avant d’une blanche splendeur, drapeau levé

    sur la paix, le royaume de chair, sonner l’adieu de l’épaisseur

    obscure… » (in « XXX, Venise », le 7 janvier 2015)




    Venise et les quintils


    Dans la seconde section, intitulée « Proses vénitiennes suivies de quintils de l’acquiescement », Jeanine Baude renouvelle l’effet de tension auquel elle est attentive. En maintenant la double architecture : texte en caractères romains/texte en italiques. Et en explorant deux formes poétiques nouvelles. Le poème en prose et le quintil, qu’elle rassemble, dans son désir de réconcilier les deux genres en un seul et même poème. Pourtant, sans doute en raison de l’allongement du vers et du jeu des rimes — rimes identiques alternées de type a/b/a/b/a ; c/d/c/d/c… —, la tension se mue en un balancement musical apaisant :

    « J’acquiescerai à leur étreinte, à leur douce parade

    Colombe et colombin au sang vif et vainqueur, rayonnant

    De paresse et vapeur, et roucoulant sous l’annonciade

    De leur bateau ancré à l’orée du sommeil, déroulant

    De leur visage et leur corps délivrés la ronde accolade »

    Hautement lyrique et raffiné — Ô, délices d’amours humaines et de vasques » —, le quintil de Jeanine Baude n’est pas sans évoquer la poésie d’un Saint-John Perse, dans ce vers notamment : « J’oserais l’oasis et les palmes, et du désert, la voile »…, dont le choix des mots et la rythmique remettent en mémoire les vers d’Éloges.

    Pour autant, fidèle à ses révoltes, la poète ne renonce nullement à proférer, dans la langue sienne, langue charnelle haute en couleurs et en voix, les vérités qui lui tiennent au corps et à cœur. Et l’éros et la rage ; et l’amour et l’écriture.

    « Écrire ne se façonnerait donc que dans le silence

    La perte d’un engouement si fort qu’il emporterait

    La vague entière avec son mouvement et sa balance

    La rupture avec soi-même, la blessure, échauffourée

    Nécessaire au cri strident, sa vigueur, sa reconnaissance »

    Quant aux poèmes en prose qui précèdent les quintils, ils sont tous introduits par une même formule à partir de laquelle le poème prend son élan : « Si Venise en hiver »… Suit alors — pas de manière systématique, mais très souvent — une longue litanie de phrases marquées par la présence d’un « si », énumérations prises dans un tempo qui se refuse à reprendre haleine. La poète décline dans ces enchaînements tout ce qui constitue pour elle le paysage vital de la ville qu’elle aime entre toutes : Venise. Là se mêlent les visions. Entre réel et imaginaire. Un réel transfiguré par les symbioses qu’effectue le regard.

    « Si Venise en hiver me berce en son royaume : pierres menues réitérant le ciel des orages, et posées en quinconce quand l’éclair les foudroie, paraphant sous mes yeux la double incertitude du réel et du flou, disposant ses diamants sur des filets de pêche ; si les hommes rassemblent harmonie et silence en leurs mains d’artisan, quand paraît une femme au balcon, dénudée et rebelle, chevelure coulant sur les seins, si les dunes et les vagues lui font un corps d’éphèbe, hybride en sa chaleur, rond comme une pomme et se glissant léger entre les ors du soir et le chahut des bourdons qui soudain s’ébranle en leur pâle piété, la chose est que rien ne peut dissoudre si lèvres et doigts au chapitre d’amour rapprochant leur timbre de la peau, si celui qui parle et celui, audace en son cœur, qui s’allonge auprès d’elle, en son lit couronnant la rambarde, unissent la ville, le balcon, la pierre et le feu, si la femme et l’amant soudés en leurs délices délivrent la cité de ses miasmes reclus.

    J’acquiescerai à leur étreinte… »

    Quinze poèmes d’une prose exaltée, visionnaire, marient ainsi intimement la Sérénissime et la poète en des arabesques fluides, concoctées par la magie d’un verbe pulsionnel tout de ferveur et de désir. Avec pour guide majeure, au hasard des calli et des errances, la métaphore :

    « Si Venise en hiver prenait le visage et le corps d’une femme pour parure, celui d’une vierge secrète et ardente en son temple de chair, mais retenue très loin dans un lieu dont la description importe peu, sinon qu’elle est douve fermée, aux mains d’un seul être, sensuel à souhait, il est vrai, mais que ni le vent, ni la tempête n’ont pu bousculer, reclus plus qu’un moine agnostique et ne souhaitant rien d’autre que sa cellule, sa femme ou sa servante […] ; alors la femme rejoint la vague et les cent-dix-huit îlots de la Sérénissime pour se fondre dans leur mouvement perpétuel. »

    Où l’on retrouve, en un même « mouvement perpétuel », la femme et la mer.




    Son nom d’Adrienne


    Avec « Le chant d’Adrienne », suite de dix textes en prose, le visage de Venise prend le nom d’une femme. Adrienne. La poète s’adresse à elle directement, ouvrant et fermant son chant par un refrain réitéré tout au long de la section :

    « Je te parle, Adrienne, et je te parle encore… ». Ouverture.

    « Et je te parle, Adrienne… ». Fermeture.

    Entre le long paragraphe d’ouverture et celui beaucoup plus bref de la clôture, un blanc. La marque d’une séparation.

    De quoi la poète parle-t-elle ? Que confie-t-elle à Adrienne au cours de son chant ? Elle évoque tout d’abord, dans un long phrasé sans pause, les souffrances humaines : celles de « l’Indien psalmodiant sur le tambour sa colère », mais aussi celles de « la nubile et fraîche épousée » livrée en pâture à la fureur des hommes… Puis, derrière le « et » d’appui qui signale la reprise, Jeanine Baude évoque le passé d’Adrienne, Vénitienne sans doute, son passé de femme déportée dans les camps de la mort :

    « Et je te parle, Adrienne, toi, ta robe du passé, celle rayée des camps où jetée, ta langue a pourri, tes bras décharnés enserrant l’autre, ses os déformés sous la chasuble, robe de mariée de vos jours d’éternité où la vase engluait vos chairs. Si le diadème était pour vous cette fumée noire qui faisait cercle autour de vos têtes. »

    Ainsi la poète rattache-t-elle Adrienne, et avec elle, ses « sœurs » de combats et de luttes, Germaine T. et Charlotte D. et tant d’autres encore, à toute l’humanité. Un même destin pour une horreur identique. Jeanine Baude elle-même, tout en n’ayant pas vécu l’expérience terrible des camps, s’inscrit, par la médiation de l’écriture et par celle de la pensée, dans la lignée de toutes celles, résistantes et sacrifiées, qui ont péri dans des conditions abominables, par la fureur des hommes :

    « Et je te rejoins, Adrienne, je te rejoins même si je ne sais pas, n’ai pu vivre ton sort de la Résistance à la peur, toi, debout, entre leurs larmes, en ce matin de femmes roulées sous le joug, butant dans les marais aux herbes vernies de votre pus coulant de vos jambes et de vos mains blessées… »

    Et l’on retrouve sous sa plume fertile et les non et les oui, lesquels s’entrecroisent et s’enchevêtrent dans les antagonismes qui constituent la vie même :

    « Je te parle, Adrienne, et je te parle encore de ce monde androgyne pareil aux plantes hybrides qui pourrait être ce futur entre soleil et pluie. Le bien, le mal, la caresse et le fouet roulant leurs doigts, leurs germes, leurs cinglants serments sur la peau. Oui, tout s’assemble et se meurt, si la vie ne résiste pas à la mort annoncée. Et tu rougeoies encore dans ton étonnement d’être, dans ce malheur, la terreur enrôlant le désir. Ta route si pareille à la mienne alors que j’écris, signant sur la page l’appel des heureux et de ceux, boulets aux pieds, pétrissant le miel, si entre leurs dents la figue rouge danse encore comme nature se soulevant de son lit, rivière blanche éperdue et qui se perd, jet de salive sec, si le bois ne prend plus la flamme pour éclairer le foyer… »

    C’est un bouleversant chant de désastre et d’amour que chante ici Jeanine Baude.




    Insula | Isola | Isula


    Si la mer est un lieu primordial pour la poète, l’île en est le point central. Bien sûr il y a la bretonne Ouessant. Que la poète fréquente et affectionne entre toutes. Mais dans la section Ô, solitude, l’île, c’est une île sans nom qui est abordée et célébrée. Non pas une île havre de paix et de suavités, mais une île plurielle, toute de contrastes, à la fois bienveillante et revêche. L’île absolue. Archétype de toutes les îles. Point n’est besoin de la nommer. Ce qui la caractérise le plus, c’est la solitude. « Ô, solitude, l’île ». Interjection qui fait de la « solitude » le point focal de ce syntagme, dont l’expansion est « l’île ». L’île, comme métaphore de la solitude. Rien qui surprenne si l’on s’en remet à l’étymologie latine qui fait de l’insulaire un isolé. Et de l’île un lieu disjoint (ou rejeté) du monde.

    La composition de cette nouvelle section est bien singulière. Partagée en deux temps. Un premier temps de dix-huit poèmes construits sur une strophe unique de douze vers — laquelle commence sur la même noble interjection : « Ô, solitude, l’île ». Un second temps qui constitue un épilogue de quatre poèmes de treize vers : « Épilogue en treize vers ». Davantage prolongement que conclusion. Car c’est un hymne sans fin que déplie ou déploie la poète, aucun des poèmes n’étant destiné à se fermer, pas même le dernier. Aucun point pour mettre un terme à l’élan vital « écrire et écrire » :

    « Ô, solitude, l’île et je danse sur le final, cet épilogue

    Étiré débitant sous la plume misère et joyaux de l’enclume

    Son feu rougi… »

    Ou encore :

    « Ô, solitude, l’île, épilogue resserré sur le soir, le baiser

    Et l’aveu, long silence sur la branche, le livre s’étirant

    Comme arbre sous la nue, la scène déroulant ses rythmes

    Personnages et facettes d’une vanité passagère s’étiolant

    Entre les mains du diseur… »

    Et enfin :

    « Ô, solitude, l’île si treize vers s’allongeaient, au-delà de douze, pour signer

    L’épilogue, le chant tenu à son rythme, la page déployée avant de se fermer

    Sur l’ouvert, l’inconnu que seuls la musique, les doigts sur le piano peuvent

    Reprendre, en oubliant le jeu des phrases et versant, une sonorité après

    L’autre, la polyphonie d’une écoute sur le tain d’un miroir à secrets

    Façonnant le prisme… »

    Se résigner à quitter l’île ne se peut d’aucune façon. Le chant se poursuit donc, ainsi peut-on du moins l’imaginer, en dehors du lecteur. Chant insatiable nourri par la prolificité de la mer de ses légendes de son corps de ses mystères et porté sans relâche par la musique intérieure qui rejaillit d’une strophe à l’autre. Ainsi n’est-il pas vain de mettre l’accent sur l’itération du [i], abondamment disséminé mais aussi sur celle des sonorités liquides : solitude/île/babil/salive // ensevelis/délivres // lit/lys/élixir/liant/scintillant… qui font de l’île une terre insoluble, légère, ailée, faite de résistances et d’insoumissions aux violences des hommes.




    Antiphonaire/Désert


    Les deux dernières sections de Oui sont d’une tonalité tant soit peu différente dans la mesure où chacune d’elles est dédiée à une personne particulière. Les poèmes d’Antiphonaire sont une composition [a]utour de l’œuvre de Richard Serra. Les proses de Désert un « Envoi » à deux amis archéologues, Yvonne et Jean-Paul.

    Étrangeté de cet Antiphonaire, « antiennes » et « psaumes » consacrés au sculpteur américain Richard Serra, du rythme monodique des neuvains qui se ferment sur le mot « Lectures » suivi d’un point. Jeanine Baude poursuit ici son approche architectonique de la composition tant poétique que musicale ; le pluriel final qui résonne comme un leitmotiv, ouvrant sur la lecture conjointe du poème précédent et du poème suivant. Quant à l’artiste et à son travail, ils sont bien présents dans l’entrelacs des phrases, mêlés à la scansion des images que lèvent en elle l’œuvre et les mains de l’artiste :

    « Le visage de l’homme perdu, éperdu, clignant de l’œil dans l’inépuisable

    Geste, Envol sur écran et voussures de femmes, prières aux dieux incertains… »

    Ou encore :

    « […] les feuillets désarçonnés de leur poids

    Celui, volontaire et frappé du sculpteur rivé à son mât d’endurance, sa durée

    Cassandre avouée, corps ou stèle levé, mémorial d’un temps explosé

    Lectures. »

    Disséminés dans le flux du poème surgissent ici et là « plaques tectoniques ripant l’une sur l’autre », « performance des tirants d’acier », « parallélépipèdes », « plans inclinés », « acier chauffé sous tes mains » tandis que « […] délestés | De notre petit présent sommés d’assurer l’entier », les egos se réduisent, contraints au décentrement.

    Ces quelques remarques formulées au vol ne prétendent nullement rendre totalement compte de l’intensité ni de l’originalité du verbe foisonnant de Jeanine Baude, dont la présence se fond intimement au paysage babélien qu’elle soulève dans sa danse :

    « Et tu danses, danses les volets grands ouverts sur les sônes d’Armor ».

    Par une sorte de parfaite alchimie, l’univers du sculpteur et celui polymorphe de la poète fusionnent en un finale qui est loin d’avoir livré son dernier mot :

    « Syllabes encore et spirales liées, la bouche pleine, l’espace criblé

    Cela se présente comme une pyramide et ses lions, un palais inversé

    Tu draines le désert sous ta semelle ripant de côté, une avenue au cou

    Ses myriades de fenêtres, ses cheminées, le feu des premiers Indiens

    Les chants syncopés ; tu halètes comme on allaite un enfant, d’un seul jet

    De foudre, paraphe des nuées, la plume d’aigle saluée, la poudre

    Des canons se dissolvant dans l’air et flacon, l’ivresse encore, la beauté

    C’est Michaux L’espace du dedans, c’est Artaud du côté des Taharumaras

    Ce plissé d’un cercle en mouvements et pauses, cet œuf de Babel qui pulse

    Lectures.

    À suivre…

    mars 2016 »

    Écrits en « apnée », les textes de Désert alternent prose sereine en hommage aux deux archéologues amis et prose exaltée par les événements tragiques de l’automne 2015. Cette dernière section est de loin la plus sombre du recueil, celle dans laquelle la folie du « non » livrée à la barbarie tend à faire basculer la poète vers le désespoir. Tout commence pourtant par l’observation admirative et calme des gestes précis des deux artisans courbés sur leur tâche et suants, « forces nouées à la terre », occupés tout entiers à exhumer bris de corps et d’objets afin de les inscrire dans une durée de laquelle nous découlons. La poète observe.

    « J’accomplis du regard le voyage du livre, entre. Je régénère une durée »

    « Je tente d’exister », confie-t-elle.

    « Creuser/Nommer/Déchiffrer. Aller au-devant des traces. Jusqu’à ce moment où tout bascule. En novembre 2015. « Une kalachnikov sur le toit du monde. » Dès lors la question se pose : « À quoi sert de creuser ? » D’autres interrogations témoignent, dans leur persistance, de l’égarement et du désarroi de la poète : « Que faire du chant du rossignol, de ce printemps tardif qui l’adoube dans sa fierté ? Que faire ? »

    Pour Jeanine Baude, pour qui « écrire, c’est résister », le poème est là, qui ouvre la voie au « Oui ». Il y faut une force de conviction inébranlable, un travail, aussi :

    « Sauver le texte et le corps d’un suicide intégral, absolu.

    Sauver l’esprit qui cogne aux tempes, le cri

    Sa vibration, sauver l’être, sa coquille nacrée… »

    Et

    « Corriger, corriger encore le tir, la courbe.

    Sur les cailloux, sur les os, la

    Fente végétale et : profusion de lumière, obscure tranquillité. »

    Que sont devenus les amis archéologues ? Dans une des dernières proses la poète confie :

    « Et j’oublie, pour un temps, mes confrères archéologues quand midi sépare l’aube de l’étanchéité de la rage, d’un feu écartelé. Si la phrase s’étiole sur le désespoir, gangrène que j’avoue depuis trop longtemps, qui s’impose. Je n’aurais jamais cru devoir y revenir dans l’urgence. Je la laissais s’infiltrer entre les lignes comme dépôt de chair brûlée, comme libations pour l’osselet de l’oreille, comme soif qui ne tarit pas, sous l’arithmétique d’un cycle fatal. »

    Et de conclure un peu plus loin :

    « Ton livre en apnée recèle les pierres retirées du puits. »

    La poète retrouve ses esprits, son verbe reprend de la voix, son phrasé retrouve sa houle originelle, puissante et régénératrice, pour offrir le texte final, magnifique coda [cauda] qu’elle destine à Steve Reich. Ouverture sur la beauté. Cette mystérieuse beauté dont la poète est seule à détenir les secrets :

    « Nuit, ô nuit de mai, ma console d’azur taillée d’abstinence et d’isolement sur le poudroiement des sèves. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Jeanine Baude  Oui  2






    JEANINE BAUDE


    Jeanine Baude
    Source




    ■ Jeanine Baude
    sur Terres de femmes

    Ô, solitude, l’île (extrait de Oui)
    Aveux simples & Soudain (lecture de Michel Ménaché)
    C’est affaire de corps
    [Dans la démesure des torrents]
    Jeanine Baude & David Hébert, Ouessant (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Jeanine Baude
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la page de l’éditeur consacrée à Jeanine Baude
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la page de l’éditeur consacrée à Oui de Jeanine Baude
    → (sur le site du Journal En attendant Nadeau)
    un entretien de Jeanine Baude avec Gérard Noiret





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  • André Velter | Nocturne


    NOCTURNE



    Il est une heure sous les étoiles
    Où s’allient simplement les désirs et les ombres.
    Ce qui est là n’impose rien,
    Toute présence étant douce et complice,
    Légère à la vue comme au toucher,
    Harmonieuse en plan large ou serré.
    Ainsi le réel agrandit ses royaumes
    Sans répudier marges ni rêves,
    On dirait qu’une libation est offerte
    Aux pierres, aux choses autant qu’aux dieux,
    À l’inconnu, à la nuit autant qu’au poète qui s’enivre,
    Au silence alentour et au rythme profond
    Où bat le sang du ciel
    Avec ce qui renaît des amours insensées.




    André Velter, « L’ivresse des immortels » in Les Solitudes, éditions Gallimard, Collection blanche, 2017, page 28.






    André Velter  Les Solitudes 2





    ANDRÉ VELTER


    Velter
    Ph. © Catherine Hélie/Gallimard




    ■ André Velter
    sur Terres de femmes


    Comment jeter un regard neuf
    Quelque tendresse que
    Sur un thème de Walt Whitman



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel d’André Velter
    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Les Solitudes d’André Velter
    → (sur Causeur.fr)
    une lecture des Solitudes d’André Velter par Gwen Garnier-Duguy





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  • Christian Monginot | Apocalypse & Co (extrait)



    Impassibilité de la pierre
    « Tu ne ressens aucune frustration devant
    […]
    L’impassibilité de la pierre »
    Ph., G.AdC









    APOCALYPSE & CO
    (extrait)




    Tu ne rejettes ni ne recherches
    Le merveilleux, la beauté, l’éblouissement,
    Tu ne ressens aucune frustration devant
    L’envol de l’oiseau,
    L’impassibilité de la pierre
    Ou le scintillement lointain des étoiles,
    Tu ne demandes aux dieux
    Aucun miracle, aucune transfiguration,
    Tu n’attends de chaque chose comme de toutes
    Que ce silence par lequel
    Leurs vertus colorent ton vide et lui donnent
    Le la secret qui le guide
    Vers la musique hybride du hasard et de la chair ;

    Pourquoi cèderais-tu à la manie commune
    D’ajouter quelque chose
    À la magie du vide ?
    Pourquoi t’obstinerais-tu à voir, comme chacun,
    Sous l’anarchique solidarité
    Des actes et des signes lointains du hasard,
    On ne sait quelle blessure ou quel manque infligés
    À ce corps que tes mots font vibrer
    Comme un cristal
    Toujours à deux doigts de se rompre ?
    Pourquoi refuserais-tu la moindre part de ta force,
    Le moindre influx
    De cette vigueur et de cette tendresse aléatoires
    Qui résonnent déjà en toi et réclament
    La plus ardente patience ?
    Pourquoi voudrais-tu apposer à la hâte
    Les scellés
    Sur les paroles vacillantes de ton poème ?



    Christian Monginot, « Une douceur singulière », in Après les jours, Éditions L’herbe qui tremble, 2017, pp. 104-105. Encres de Caroline François-Rubino.






    Christian Monginot  Après les jours





    CHRISTIAN MONGINOT


    Christian Monginot





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la page de l’éditeur sur Christian Monginot





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