| NICOLAS WAQUET
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| NICOLAS WAQUET
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« Au commencement était la blessure » Ph., G.AdC À DENISE LE DANTEC Au commencement était la blessure Et la blessure n’a pas cessé. Dans le vent, dans la lumière océanique, Dans la nuit-tourbillon, dans la nuit-aux-aguets, Dans la rare ascension au presque bien-être, L’entourage Comme un ajonc universel Crie son besoin De partager la déchirure — Et pourtant la caresse D’un pétale de rose Inaccessible Et toujours présent. 28/06/19801 Guillevic, « Pour saluer quatre voix amies de femmes en poésie », in Ouvrir, Poèmes et proses, 1929-1996, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2017, page 74. Édition établie et préfacée par Lucie Albertini-Guillevic. Postface de Monique Chefdor. ________________________________________ 1. Ce texte dédié a été écrit après la lecture des poèmes de Denise Le Dantec qui a publié une trentaine d’ouvrages dont Guillevic et la Bretagne, Éditions Blanc Silex, 2000. |
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| JEAN RISTAT Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Gallimard) la fiche de l’éditeur sur Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés → (sur le site d’En attendant Nadeau, n° 45) une note de lecture de Gérard Cartier sur Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés |
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| GHYSLAINE LELOUP Image, G.AdC ■ Ghyslaine Leloup sur Terres de femmes ▼ → La paix disent-elles (+ une notice bio-bibliographique sur Ghyslaine Leloup) → Les heures froides (poème extrait de Nuit chorale, son soleil sous les paupières) → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Ils ont tenté de broyer mon esprit ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Unicité) la page de l’éditeur sur Bien à vous de Ghyslaine Leloup & Noël Roch → (sur Ce Qui Reste) « La grande fugue » de Ghyslaine Leloup |
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TES HAILLONS, BONHOMME… tes haillons, bonhomme ton chant de gorge, ton étouffoir pendant que les grains naissent là-bas, où le ciel mûrit ses hivers que les averses giclent sur les plaines où les troupeaux paissent les graminées — tes vêtements de sable & d’argile friable, toi tes sandales harassées, tes poches creuses & ta faiblesse, demeurer — quand le ciel se fige, quand ton ennui brasse ses nostalgies que tu voyages encore à la rame de guingois
& et que les vents nés d’ailleurs s’en viennent trépasser
au coin de ton bureau d’idéologue du train-train de scribouillage voyons, les bêtes lentes plaquent leurs bouses avec plus d’à-propos
les ruminants défèquent entre les herbes des semences plus pertinentes monseigneur le rapace déchire mieux les entrailles des antilopes
son compère le lion rote plus heureusement sa ripaille de boyaux on rêve d’oripeaux trop nobles sur ce coin de table, on est gris de vins frelatés on empeste du gosier, on se drape de frusques au rabais frappe ta monnaie de main moins lâche, s’il te plaît, coche ta flèche au mitan de la cible où un tantinet de sang viendra perler autrement que pour la séduction des goules un soupçon de cruauté vraie, mon cher
au diable ces striges, ces effraies de carnaval tu es le masque, toi — patient cadavre, œil ouvert sur le mur clos là derrière, la monnaie sonne clair, le sang rissole à plaisir, les babines chuintent & là-bas oui, les pluies encore, espèces de déluges longs, avec les animaux tout à leur industrie avec ces meurtres & ces digestions |
| AUXEMÉRY Ph.© Corneloup Source ■ Jean-Paul Auxeméry sur Terres de femmes ▼ → la mort des êtres… → petits animaux ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Flammarion) plusieurs pages de Failles/traces [PDF] |
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| ANNE-CÉCILE CAUSSE Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Unicité) la fiche de l’éditeur sur Autrement que la rive → (sur le site de la revue Ce qui reste) Une femme passant la porte… (et autres poèmes) [+ une notice bio-bibliographique] → le site d’Anaïs Charras |
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« L’écrivain est atteint de toutes les formes du déséquilibre : une malédiction, un cri de douleur s’élèvent de ses livres. » (Virginia Woolf) Image, G.AdC FEMMES SOUS LE SIGNE DE L’APOCALYPSE Onze. Elles sont onze femmes à se partager les pages d’un même essai. Onze funambules dont la vie n’a cessé de frôler la mort. Onze figures tragiques des lettres féminines, comme le précise le sous-titre de l’œuvre. Marcheuses au bord du gouffre. Poètes artistes traductrices égéries ayant subi les horreurs de leur temps et l’ayant marqué, chacune avec son talent propre, par leur révolte et leurs écrits, elles ont retenu l’attention et ont aiguisé le talent de Nohad Salameh. Elles auraient pu être plus nombreuses à partager le même espace littéraire. Nohad Salameh, poète et essayiste, s’en explique dans « Le féminin singulier », l’avant-propos qui ouvre son livre : « Première approche, non exhaustive, de ce cortège de Sibylles enfin échappées des sombres grottes/ghettos où elles furent si longtemps reléguées, Marcheuses au bord du gouffre montre avant tout ce qu’il en coûte de vivre et de penser hors des sentiers battus. Chacune au long des millénaires dut payer la note rubis sur l’ongle — pas de rabais ni de non-lieu. » En amont de toutes ces femmes qui retiennent ici notre lecture et en préambule de cet avant-propos, Virginia Woolf, dont Nohad Salameh retranscrit cette phrase extraite d’Une chambre à soi : « L’écrivain est atteint de toutes les formes du déséquilibre : une malédiction, un cri de douleur s’élèvent de ses livres. » Ainsi le lecteur est-il d’emblée averti de la matière qui compose l’essai de Nohad Salameh (à qui l’on doit aussi Le Livre de Lilith). Incarnations de toutes « les formes du déséquilibre », ces « calcinées » de l’Histoire contemporaine ont abordé dans la création une part de cet Idéal qu’elles ont cherché à atteindre, et qui, sans cesse, s’est dérobé à leur emprise. Les onze insoumises ont pour nom Emily Dickinson, Else-Lasker-Schüler, Renée Vivien, Nelly Sachs, Marina Tsvetaïeva, Edith Södergran, Milena Jesenskà, Annemarie Schwarzenbach, Unica Zürn, Ingeborg Bachmann, Sylvia Plath. Le nom de chacune d’elles est abouté d’une expansion qui les qualifie : « l’emmurée » / « l’épouse tragique de la nuit » / « l’ange androgyne » / « la poupée écartelée ». Ou encore : « la cantilène de la mal-aimée » / « berceuse des morts » / « comme un oiseau pris dans les phares » / « celle qui voulut être Dieu ». Porteur de tous les antagonismes, le couple amour | mort occupe dans ces syntagmes une place privilégiée : « l’agonie amoureuse avec Kafka » / « au coin le plus doux de la mort » / « l’amour, la démesure ». Ainsi réunies sous la plume sans concession de Nohad Salameh, ces « rôdeuses à la lisière d’un royaume sans lumière » forment un long cortège de femmes malmenées par le destin qui a été le leur, qu’elles l’aient subi ou qu’elles l’aient en partie forgé elles-mêmes. Abus de drogues dures et d’alcool, maladies incurables, tortures, violences et viols, enfermement, folie, tentatives de suicide, et suicide…, tel fut leur sort. Mais elles ont d’abord eu en commun l’exil. Exil volontaire pour Emily Dickinson, morte-vivante, emmurée vive dans ses amours fantasmées, dans son silence et dans sa solitude, exils volontaires à travers drogues, fuites et voyages insatiables pour Renée Vivien et Annemarie Schwarzenbach, exil au sein de sa judaïté pour Else Lasker Schüler, la « « clocharde céleste » du Berlin des années 1900 » ; exil géographique — loin de l’Allemagne — qui sera pour Nelly Sachs le ferment de sa poésie. Une poésie dont l’écriture, « à la fois flamboyante et ascétique », sera « consacrée à la célébration des victimes du désastre ». Exil aux abords de « la délinquance » pour Milena Jesenskà. « Actes excentriques, vie désordonnée, errances nocturnes dans les parcs où se cueillent les fleurs du mal. » Exils pluriels pour Marina Tsvetaïeva qui écrit : « Toute maison m’est étrangère/Pour moi tous les temples sont vides. » Exil intérieur le plus souvent. Exil dans la démence, l’encre noire et l’écriture anagrammatique pour la poupée désarticulée et percée de clous, Unica Zürn, prisonnière de cercles labyrinthiques, « [m]oi menacé » par les exubérances et fantasmes désordonnés de son amant Hans Bellmer. Exil encore, celui de Sylvia Plath, tout de détresse et d’angoisse, qui nourrit les poèmes d’Ariel avant de conduire la poétesse vers le suicide. Exil marqué, pour Edith Södergran, par la perte, le deuil, la souffrance extrême liée à la maladie ; exil douloureux d’Ingeborg Bachmann l’Autrichienne, torturée par le traumatisme que son père, « nationaliste forcené », a durablement ouvert en elle. Un exil intérieur qui la conduira sur la route de Paul Celan, autre grand exilé avec lequel, d’une solitude l’autre, elle tissera un amour rempli de folie et de fureur, aimantation et rejet, jusqu’à la séparation finale et au suicide du grand poète roumain. Autant d’exils qui présentent cependant, par-delà la noirceur dominante qui les caractérise, une force régénératrice. Laquelle a permis à chacune de ces femmes de rencontrer les plus grands poètes, personnalités, écrivains, créateurs de leur génération. De se frotter à eux, à leur sensibilité, à leurs idées et combats, à leur écriture. Chacun connaît et défend les écrits de l’autre. Ainsi s’établissent des liens puissants, même si douloureux et voués à l’échec dans la plupart des cas. Mais, à travers les relations qu’entretient Nohad Salameh avec ces femmes de lettres, ce sont des pans entiers de l’Histoire contemporaine qui reviennent sur les devants de la scène et que la poétesse nous invite à revisiter. Amoureuses passionnées, ces femmes de lettres révoltées volent insatisfaites d’une liaison à l’autre, espérant continûment découvrir dans les hauteurs de l’Idéal une réponse à leur quête. Leurs poèmes, leur correspondance, leurs dessins rendent compte de cette recherche inassouvie de ce qui pourrait être l’amour. Les amours se forgent dans les correspondances, creuset inépuisable. C’est aussi là que ces amours se défont. Les revirements et les échecs, les ruptures, loin d’éradiquer les tensions, projettent certaines d’entre elles sur la voie du mysticisme. Ainsi de la créatrice de Styx, Else Lasker Schüler, que les déceptions amoureuses et les morts tragiques de certains de ses proches et amis (la mort, notamment, de Peter Hille, « fondateur d’un cénacle littéraire, homme de théâtre, poète, romancier »…) conduisent à amorcer « une ascension intérieure vers les cimes mystiques ». Grande provocatrice, grande séductrice, excessive et excentrique, Else Lasker Schüler « fascine par son regard qui perce les apparences et dégage en toutes choses l’invisible. » Surnommée par Peter Hille le « cygne noir d’Israël », la poétesse, toujours à la recherche de nouveaux langages, confie sa détresse et ses utopies dans les Ballades hébraïques (1913). Grande lectrice d’Else Lasker Schüler, Edith Södengran, fascinée par l’écriture de la juive allemande, aspire à s’élever au plus haut degré de la création poétique. « Une poésie métaphysique, rythmée par la mort mûrit en elle. » Sa poésie exaltée et prophétique, fécondée d’images hardies, déroute la critique et les éditeurs. Mais, avec l’édition posthume du recueil Le Pays qui n’existe pas (1925), Edith Södergran accède enfin « au rang de poétesse nationale » dont « l’œuvre dialogue avec d’autres voix », celles notamment « du poète français d’origine lituanienne Milosz, ou du Slovène Srecko Kosovel »… Pour Renée Vivien, égérie de « l’amazone » Natalie Clifford Barney, les tourments sapphiques et mystiques inaugurés dès l’adolescence aux côtés de Violet Shillito, s’accompagnent d’un curieux mêlement d’ascétisme, de jeûnes, de contrition, de somnifères et d’alcools. Un cocktail maléfique qui, à 32 ans, la conduit vers la mort à laquelle elle aspire. La poétesse au cœur innombrable laisse derrière elle de nombreux admirateurs et de ferventes admiratrices. Ainsi que des « recueils de Poèmes financés par la baronne Hélène de Zuylen », rassemblés dans les Œuvres complètes publiées en ce début du XXIe siècle. Dans ce parcours au féminin qu’elle conduit avec brio, Nohad Salameh élève celles pour qui elle nourrit la plus haute estime, au-dessus de leur sort de « calcinées ». Cheminant au côté de chacune de ces femmes profondément meurtries par les maux et catastrophes du siècle — misère torture effondrement moral souffrances de tous ordres —, elle hisse celles qu’elle aime et admire au-dessus de tous les gouffres, de tous les goulags, mettant en lumière leurs voix prophétiques, les accents de leurs combats. Elle les porte par sa propre incandescence, généreuse et lumineuse, à travers les pages d’un essai nourri par une connaissance intime et approfondie des œuvres de chacune. Mais, au-delà, elle les présente telles qu’elles furent. Déchirées, dépravées, maudites, écartelées, malmenées. Voire méprisées, salies. De bout en bout, Nohad Salameh tient le lecteur en haleine sans que jamais fléchisse l’acuité de la lecture. Précise, concrète, ne craignant pas de nommer les choses par leur nom, Nohad Salameh ne cède jamais à la facilité ni aux tentations du larmoiement. Son écriture est puissante, sa ténacité à nommer et à creuser, d’une constance exemplaire. Par sa force de conviction et par son engagement, elle ranime les flammes auxquelles ces insoumises, révoltées au caractère farouche, anges foudroyés, se sont brûlées. Jusqu’à la mort. Une mort choisie et anticipée pour nombre d’entre elles. Maudites sont les femmes qui tentent de se hisser au-dessus de leur condition. Maudites sont-elles de désirer s’échapper des griffes de leurs maîtres ou de vouloir défier les tyrans de leur époque. Maudites aussi sont-elles de rivaliser dans la création avec les hommes qu’elles aiment ; dont elles attendent une reconnaissance. Assoiffées sont-elles d’un Idéal qui ne cesse de se dérober au fur et à mesure qu’elles avancent, insoumises-insatisfaites, sur la voie de la création. Nohad Salameh passe outre. Pour mettre au jour leur talent. Par sa propre voix, claire précise audacieuse, et émouvante, elle les rend à la pleine lumière. Lumière cruelle dure incisive que toutes ont côtoyée en se brûlant les ailes. Arthur Rimbaud avait prédit que le temps viendrait où la femme acquerrait sa plénitude « créatrice dans le verbe ». Nohad Salameh rappelle à notre mémoire cette prophétie qui dirige le projecteur sur les « traits de la Voyante » : « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable — lui ayant donné son renvoi, elle sera poétesse, elle aussi ! La femme trouvera l’inconnu ! Ses mondes d’idées diffèreront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses. » (Rimbaud in « Le féminin singulier »). Une prophétie qui se vérifie sous la plume ailée de Nohad Salameh, qui offre ici un livre magnifique. Un hommage vibrant à toute une constellation de femmes hors du commun transfigurées dans leurs combats par la puissance de l’écriture et de l’art. Une lignée que Nohad Salameh fait sienne par la vibration empathique de sa parole. Aussi intense que singulière. De haute tenue.
Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli ________________________________________ NOTE : ouvrage disponible en librairie le 17 janvier 2018. |
| NOHAD SALAMEH
→ L’envol immobile → L’intervalle (+ notice bio-bibliographique) → Les nudités premières → Plus neuve que la mort (poème extrait du Livre de Lilith) ■ Voir aussi ▼ → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Nohad Salameh → (sur exhibitionsinternational.org) « Le féminin singulier », avant-propos de Marcheuses au bord du gouffre de Nohad Salameh [PDF] |
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« toi, nubile et nue et grise au regard divergent » Source QUATRIÈME NUIT I J’avais coupé d’eau les couleurs pour ne point altérer la tendresse de ton portrait — toi, nubile et nue et grise au regard divergent Tu avais revêtu le vêtement d’une autre et senti son effluve remonter par tes jambes musclées jusqu’à ta gorge Ayant du vêtement palpé l’étoffe, étrangère à toi-même et maintenant proche d’elle — Dans la maison, plus aucun bruit, seul le sifflement du vent se glissant sous la porte par le rai du jour Stridence dont l’écho a ricoché sur un verre sans tain — le carreau l’a répercuté en une image Qui s’est éparpillée à la surface étincelante de l’eau François Amanecer, « Quatrième nuit », I, Le Corbeau interrompu, in Le Corbeau interrompu, poème, précédé de Vu d’en haut — poétique, Revue NUNC | Éditions de Corlevour, 2017, page 39. ________________________________________ NOTE : ouvrage disponible en librairie le 4 janvier 2018. |
| FRANÇOIS AMANECER Source |
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| JOSÉ VIDAL ALICOURT Source José Vidal Valicourt est né à Palma de Majorque en 1969. Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes parmi lesquels Encuentros y fugas (Opera Prima, Madrid, 1999), Ruido de fondo (Calima, Palma de Majorque, 2000), La playa de las gaviotas cojas (Opera Prima, Madrid, 2003), La fiebre de los taciturnos (premier prix de poésie de la Fondation María del Villar Berruezo, Tafalla, Navarra, 2003), La casa de Mallarmé (prix Leanor de poésie, commune de Soria, 2004), Zona de nadie (Xe Prix de poésie José Espronceda, Ediciones del Oeste, Estrémadure, 2005). Meseta (El Gaviero Ediciones, 2015) est son premier recueil traduit en français, quelques pages de Lisboa Song ayant paru dans la revue L’Intranquille, n° 8 et 9 (2015). ■ Voir aussi ▼ → (sur lelitteraire.com ) une lecture de Meseta/Le Plateau par Jean-Paul Gavard-Perret |
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« Mes mots sont des puits où les corps voudraient tomber. » G.B. Le nom d’Excideuil attire d’abord par sa syllabe finale. Jours de deuil ? Son début semble énoncer une sortie et les deux premières syllabes sont bien proches d’« occis » (toutes impressions démenties par l’étymologie). C’est pourtant d’une charmante ville de Dordogne qu’il s’agit. L’ancrage des poèmes, révélé là, se connote alors de douceur, elle sera confirmée et nuancera la part terrible des précédents livres de Gérard Bayo (ce livre est le quatrième publié par L’herbe qui tremble1). Excideuil se situe au cœur d’un pays de troubadours, Bertrand de Born, Bernard de Ventadour, Arnaut Daniel, Guiraut de Bornèlh, poètes de l’« Invention du fragile amour » dont les ombres ici apparaissent : « D’une tristesse
lancinante et chère est encore leur amour. Inventé leur monde, inventé
leur amour. » Amour pour la dame, pour le jour, la nuit, au passé des belles histoires : « Aimaient la vie. » Gérard Bayo les rejoint, chante à son tour en invoquant les mêmes destinataires, en travaillant les mêmes motifs. Dans Jours d’Excideuil, les oiseaux portent des noms : loriot, bihoreau, chardonneret, mésanges, « rossignols », « huîtriers pies, / courlis cendrés ». Les plantes aussi sont nommées : la « carotte sauvage », les « poivrons jaunes et [les] cognassiers », la modeste « dent-de-lion », « la cardamine, // la saxifrage, la ronce. Et la laitue / des murailles. »
En tête de chaque poème, un titre, en lettres capitales, qui est souvent le début même de la phrase. Il situe le texte dans l’espace géographique (HAUT PERCHE, MONTAGNE, DANS LA COUR DE LA BIBLIOTHEQUE, MAREUIL SUR BELLE…) ou temporel (NUIT D’ÉTÉ, JOUR DE PAIX, CHANT AVANT L’AUBE…). L’indication peut aussi être thématique, avec des tonalités heureuses ou mélancoliques (SPLENDEUR DU TEMPS, DE NOUVEAU L’ÉCLAIRCIE…). Les mentions de lieux restent les plus nombreuses, comme très souvent chez Gérard Bayo. L’espace nommé fonde le poème, il porte son histoire qui se répète en échos assourdis dans ses textes.
Si l’auteur peut dire à Rimbaud : « Tu parles / notre langue qui n’est pas nôtre », c’est que la langue du poète doit s’écarter de l’usage commun, devenir, paradoxalement, une « langue étrangère » qui puisse exprimer l’informulable. En multipliant les ellipses, Gérard Bayo bouscule la syntaxe. Les inversions se succèdent comme les phrases sans verbe. « NE SE LÈVERA LE JOUR », avance un titre. Le sujet déplacé trébuche comme les noms, les vers peuvent aussi répéter un même syntagme ou une préposition : « Les masures de bois s’alignent pour la nuit jusqu’à l’horizon
hors de portée. Jusqu’au sommet
de la colline. » C’est ce groupe de mots alors, cette précision, qui devient la phrase en débordant le vers. Page suivante (11), le « et » repris superpose et met sur le même plan une série d’expansions du nom, comme si elles pouvaient contenir, dans leur mystère et leur plénitude, toutes ces caractérisations : « Impossible d’échapper
à la voix pure
et lointaine et qui s’échappe, et vient si tard. » La langue, dans de discrètes dérogations, éloigne le convenu et capte l’orientation particulière d’un instant. La parataxe peut à son tour associer des instants captés : « Les peupliers
n’existaient pas encore.
[…]
Les piliers existaient,
Les nuages aussi. » Alors chacun pourrait se croire en un conte dont le décor est dressé, précisément. Pourtant le temps, l’imparfait, figure d’éternité, est rompu : « La durée, / déjà », comme si l’éternité caduque ne pouvait se nourrir que du silence et s’accroître de la somme d’instants vécus dont le poème porte trace. Des vœux sont formulés : « Ô voudrais tant t’aimer,
amie,
encore après la mort. » Vœux, matrice d’un rêve qui s’éloigne, car la poésie de Gérard Bayo constate le perpétuel mouvement, l’effacement. « Loin » et « lointain », répétés, deviennent une rythmique comme les blancs, qui déplacent les mots dans le vers, clouent le poème au silence. Les arbres en sont les marqueurs, formes d’amers temporaires mais tenant debout l’ensemble du paysage qui vacille sous le ciel (érables, peupliers, bouleau, cyprès, cognassiers, cerisiers…).
Tout se rapproche et ne peut se fixer. L’instant est porteur de ce qui éloigne : « Les noix d’automne sont tombées,
bientôt il va neiger. L’amour est seul
à aimer, seul à n’être pas aimé. » Le cœur du poème balance entre des pôles lexicaux, répétés, modifiés, déplacés : « Rose s’élève la flamme des brasiers […] », Poésie d’attente et de rythme lent, le bercement réveille la mélancolie, en douceur. Le verbe absent, le nom, montrent leur capacité à embrasser sans limite. C’est toujours amoindrie qu’une impression surgit, l’éphémère est son destin : « Terre silencieuse et ciel désert. De la photo à la cendre. Et de la cendre au ciel vide. Imagine-les
vivant la tristesse du crépuscule jamais tombé. » Peut-être faut-il écrire ce qui n’est plus : « SOUTINE LA TABLE J’enlève ceci, cela
et tout est fait. Les
sachant, les peindre. » Tout est loin, toujours. Tout est inaccessible. Lire Gérard Bayo pour prendre cette mesure entre soi et les choses (entre soi et soi). Le passé laisse des signes, les noms des hommes et des lieux s’inscrivent dans le présent qui s’éloigne. « Tu regardes presque assez longtemps » clôt l’un des poèmes de la première partie, aucune proposition pour traduire la finalité dans les cassures et les ellipses, pour que chacun poursuive ce qui ne peut s’achever ; l’énigme est inscrite partout, autour, dans le vers, à la jonction de deux termes paradoxaux qui se heurtent : « À LA LUMIÈRE DU JOUR dans la pénombre. La vie
sans date,
l’art sans date et dehors qui sait ? la douceur de vivre. » Les textes des poètes disparus, « sans date » désormais, sont loués, l’éternité les garde. Dans le poème PROBABILITÉS, les participes passés « coupées – rapprochées – hasardées – séparées » se confrontent alors que leurs sons s’appellent. Répétés ils se rapprochent et reviennent au destin tracé par des lignes brisées. Ce qui est scellé peut se rompre, par intermittences, dans les interstices consacrés du poème qui, par ses vers douloureux, réveillent le disparu pour qu’il vibre, ici, un instant. « Elle semble bien pourtant
savoir ce que de nous
elle attend, la vie. Amis, jamais nos poèmes ne furent
inachevés. » La vie décide du début et de la fin. Gérard Bayo répond-il ici à l’ami Pierre Dhainaut qui nous emmène « plus loin dans l’inachevé », « dans la lumière [elle-même] inachevée » et dont le poème est toujours « commencé » 2 ? Le mathématicien français spécialiste des probabilités, Wolfgang Döblin (fils de l’auteur de Berlin Alexanderplatz) mourut en 1940 en combattant la barbarie nazie. Il envoya, avant de se suicider, une enveloppe cachetée à l’Académie des Sciences avec le compte-rendu de ses dernières découvertes dans l’étude des probabilités : « Sur l’équation de Kolmogoroff ». « À Où sera-ce est enterré
Wolfgang Döblin 416h. en 1970,
poste à Rambervilliers, 8 km.
Train
à 2,5 km. Sapins : 300 m. Un
sapin : 20 m. Sait bien
de nous ce qu’elle attend. » « Répit », est-il indiqué en titre de ce poème aux allures mathématiques. Est-ce la vie, ce laps de temps ? Un moment improbable, impossible à poser en équation, comme le suggère le nom interrogatif du lieu où le jeune mathématicien est enterré : Housseras, dans les Vosges. Entre deux crépuscules, le jour vit. Celui du matin propose toujours une nouvelle naissance, et chaque jour offert s’y ajoute, « depuis que fleurit le bois mort » 3, comme le chantait Arnaut Daniel. Que deviendra l’amour ? « À quand l’autre, / le tout autre amour ? »
Le poète ne peut évoquer que ce qu’il connaît : la vie. Avec les disparus, inaccessibles, le dialogue se poursuit cependant sur un seuil : « Un mur nous sépare, un mur de vent,
de feuilles
et d’arbres, de rayons de soleil. » Les morts « s’attardent » d’abord entre ces deux mondes. De cela, notre mémoire garde trace. Les écrits des poètes nous restent, nous les interrogeons. Gérard Bayo ne cesse son dialogue avec Rimbaud : « Tu es venu trop tôt / ou moi trop tard », lui dit-il. Et pourtant : « Ailleurs, nous nous sommes rencontrés. / Ailleurs déjà existe. » Est-ce « la vraie vie », celle qui permet de penser que « [l]a mort peut-être / n’existe pas » ?
Ainsi se prolongent les échanges avec l’ami Rüdiger Fischer, Jackson Pollock, Chaïm Soutine, Anna Akhmatova, Vasalie Dohotar, et bien d’autres, dont le poète espagnol Antonio Machado qui nous fait passer d’Excideuil à Ségovie.
Alors quand vient le soir, la nuit de neige, la présence est totale : « La mort venue, l’amour ne sait / plus finir. »
Isabelle Lévesque D.R. Isabelle Lévesque pour Terres de femmes ____________________________ 1. La Langue des signes (2013), Un printemps difficile (2014), Neige, suivi de Vivante étoile (2015 – prix Mallarmé 2016) 2. Livres de Pierre Dhainaut : Le Poème commencé (Mercure de France, 1969), Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010). 3. Traduction de Jean-Claude Marol – La Fin’Amor, Chants de troubadours (Seuil, 1998). |
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