Étiquette : 2018



  • Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu

    par Angèle Paoli

    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes,
    édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018.
    Prix du poème en prose Louis-Guillaume 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Cesari Louis Guillaume








    AU CŒUR DE LA FLEUR INVERSE




    Le pays qui accueille le visage de Bartolomeo est un pays bien étrange. Âpre, écorché de mille blessures silencieuses et immobiles, pris entre sècheresse de biens et de mots, il est pays de traces et de signes invisibles, pays de l’attente. D’interrogations sans réponses. Une voix anonyme parle, qui guide le lecteur curieux dans ce mystère de pierres sèches que souligne la présence fidèle d’un « arbre vivant, d’un arbre mort ». Un cheminement vers une œuvre à venir. Un possible. Mais voici qu’un autre fait irruption, qui se fraie sa route dans le paysage et s’avance. Qui est-il ? Nul ne le connait. Aucun nom ne vient à la bouche. Il n’a laissé de lui que son rêve, inscrit à même la chaux. Derrière lui se tient le poète, entre ombre et lumière, silence et questionnement. Stefanu Cesari. C’est son nom. Il a dialogué avec le saint. Il a dialogué avec l’autre. De cet échange naît le poème, tout aussi mystérieux et intemporel que la fresque anonyme qui a inspiré ce recueil. Il lui donne un nom. Le nom de son poème. Bartolomeo in cristu.

    Il suffit au visiteur-poète de pousser les portes de la chapelle romane San Pantaleu di Gavignanu, en Castagniccia (Pieve di Rustinu en Haute-Corse), pour rencontrer, à l’instant du face-à-face, le regard singulier de saint Barthélemy. La fresque est un appel réitéré, une vocation. Une offrande peut-être, vécue pour la seconde fois. La première, c’était dans des temps anciens, au XVe siècle, lorsque le fresquiste s’est lancé dans son travail :

    « Il y a une rage qui sourd de l’intonaco et c’est le premier geste, la trace du charbon comme on devine un visage avant le corps entier, avant qu’il ne se fige […]. »

    La seconde fois est ce moment de la double rencontre : entre le poète et le saint, le poète et le fresquiste, chacun enclos dans le secret de sa mémoire. Le poète marche sur les pas du peintre, se glisse sous sa peau, s’empare de ses pensées jusqu’au point de fusionnement des unes avec les autres :

    « Si tu veux prendre la main tendue de l’œuvre, alors lève-toi, avant que le pays entier ne se mette à brûler sans ombre, tu as seulement quelques heures pour poser au blanc du mur l’étrangeté presque vivante, la parenté des hommes avec ce qui demeure. »

    La rencontre a lieu dans un échange sans fureur ni éclat, dans l’économie et le presque dénuement, à souffle retenu. Le poète interroge les couleurs qui surgissent de l’ombre, le rouge sur le blanc, le noir de la peau et celui de ce trait qui contient l’œuvre entière, corps circonscrit dans ses limites. C’est là que le saint s’abandonne, livre une part de lui-même. Le poète, témoin de ce qu’il voit, lève le voile. Révélation :

    « Tu te révèles dans l’abandon. Tu te révèles ainsi brisé, brisé et reconstitué d’un tracé très fin, un noir qui te contient. Le rouge des jours et de l’éternel, entre la nuit absolue et l’absolue lumière, c’est ta peau marquée d’un tatouage définitif. »

    La révélation est progressive. Elle se fait dans une lenteur intemporelle, dans cet espace qui s’étire entre les confins arborés, « au pied d’un arbre vivant […] au pied d’un arbre mort. » Symbole de régénérescence, l’arbre, même mort, est animé d’un souffle autre qui respire sous l’écorce comme la fresque respire sous la couleur. Le poète-témoin est en recherche. De quelque chose de plus, de quelque chose qui le dépasse. Sa quête est identique à celle de l’anonyme, identique aussi à celle de Bartolomeo. Au cœur de la quête se trouve « la fleur inverse de l’affresco. » On ne peut que penser ici à Jacques Roubaud, à cette œuvre majeure qu’est sa Fleur inverse. Laquelle renoue avec la quête d’absolu de Rimbaut d’Orange, prince des troubadours et de l’art du trobar. Cependant, « la fleur inverse » de Stefanu Cesari ne s’éloigne nullement de l’idéal du poète, différent de celui des poètes du Moyen Âge.

    « De révélation ton sang, ombre au mur inassouvie d’une quête, la fleur inverse de l’affresco. »

    Moment de beauté intense que ce moment précis du recueil qui dévoile ce qui le motive.

    Le poème dit l’histoire du saint — son enfance et ses marches, son martyre —, telle que le poète la reçoit et la vit dans son imagination, confrontant les sources contradictoires, les énigmes imaginées par les hagiographies successives, avec ses propres sentiments, son propre arrière-pays mental, sa propre sidération. Les poèmes en regard — cinquante-neuf en tout (en langue corse page de gauche, en français page de droite) — sont des proses poétiques brèves, des pavés justifiés de seize lignes pour la plupart. L’histoire du saint se résume dans la peau d’écorché jetée sur son épaule, sa « carcasse » d’étranger. « Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau. »

    C’est cela aussi que dit la fresque — l’affresco — , ce martyre silencieux dont le saint porte avec lui la relique corporelle, inséparable de lui-même, symbole de sa vie ancienne et de sa souffrance. Elle l’accompagne dans son voyage, dans « l’intimité du rouge ». Jusque dans ce paysage qui prend forme « sur la fleur sèche de la pierre. »

    Le récit ? Une voix qui se faufile sous l’incarnat de la peau.

    « Entre la peau et le couteau il n’y a personne il y a juste un temps plein de silence, et le rouge écrit sur la page, la tache d’encre dans le récit. »

    Pour le lecteur tant soit peu accoutumé aux écrits de Stefanu Cesari, rien qui surprenne dans cette fascination du poète pour les commencements. Et pour le geste fondateur qui préside à la création de toute chose. « U minimu gestu | Le moindre geste. » Si menu soit-il, si infime soit-il, ce geste est celui qui retient l’attention du poète :

    « Ce regard, tout ce qui est dit et que l’on n’entend pas les voix mêlées les chants d’une agitation fervente, c’est l’histoire de ce qu’il y a eu, un premier geste hésitant. »

    Il en est de même de la question du nom. Primordiale et biblique, cette question revient comme une offrande, sans laquelle exister ne se peut :

    « Tu as donné un nom à chaque pierre. Toi, qui as encore une jeunesse dans les mains, tu l’as posée sur le travail à venir. En esprit tu as jugé du poids de chaque chose. »

    Ainsi transparaît la pensée profonde, intime, du poète, au fil des pages. Drainant avec elle ses attentions, ses interrogations multiples sur le sens de la vie, sur le passage des hommes, sur l’affleurement de leur histoire. Les sensibilités s’intriquent, inscrites dans un topos qui n’a pas besoin de livrer son nom, mais qui se reconnaît dans la présence liminaire de l’arbre :

    « Toi ce pays entre un arbre vivant, un arbre mort »

    Le rappel de cet entre-deux agit comme un refrain susurré qui se glisse pour redire, ici et là, l’axe du poème, son enracinement dans la déprise essentielle d’avec la réalité matérielle :

    « Le récit Bartolomeo : maison et lieu, troupeaux en estive, c’est là que tu habites entre un arbre vivant et un arbre mort, le poumon du monde. »

    Ou encore, dans le même poème :

    « [C]e pourrait être une chanson revenue sur les lèvres, nous enracinant là d’une saison à l’autre, ce pourrait être vivre, l’apprentissage du vivre, d’une certaine façon maison et lieu rendus à leur nudité première entre deux arbres, voilà ce que nous pourrions connaître, de nom, mais rien qui nous appartienne. »

    Parfois émergent des instants lumineux, des instants de suspens, où vivre entre deux points d’un même axe conduit à une plénitude proche du bonheur :

    « Beaucoup aimé le temps passé sous les amandiers entre un arbre vivant et un arbre mort. C’est au début de la vie, les yeux par terre, c’est la saison, on ramasse le fruit tombé. Des fois il a toujours sa peau sur lui, des fois c’est une pierre pour la fronde, pour le fer que l’on bat. »

    Lire les lignes du voyage, laisser parler les signes, affleurement d’images complexes qui s’emboîtent les unes dans les autres pour dire un mystère plus grand encore. C’est cela qui habite le poète. Se faire le « témoin » de cette histoire à imbrications plurielles le conduit à s’interroger sur le langage, plénitude et vide, un flux qui porte en lui « la simple possibilité de chaque chose » :

    « Le langage ici toujours rouge la parole, sans jamais finir nous revient, nous emplit la bouche. »

    Et en finale du même poème :

    « Le langage, il y a dans son sang comme dans ses manques la simple possibilité de chaque chose. »

    Avant de clore la lecture d’un ouvrage aux pistes indénombrables et à la langue infiniment belle, il me faut aborder une autre particularité. D’une page l’autre court, en bas de page, à l’envers des poèmes, un autre texte. En contrepoint. Ces phrases sont incluses dans un à-plat dont la couleur « terre d’ombre brûlée » tranche avec la couleur ivoire de la page. Une ligne continue d’horizon, « fil ténu de la route », cloisonne les phrases. « Remonter le cours du récit » et de la fin signer le commencement, c’est « pénétrer dans le labyrinthe », confie le poète. Poème ouroboros. Poème intemporel. Que l’on peut lire dans un sens puis dans un autre, à l’affût des voix qui se parlent et qui conversent. Inverser le regard, lire dans les deux sens, la fin du poème rejoignant le début du texte en prose, lequel tourne le dos à l’image de Bartolomeo. Et pourtant, c’est bien à un mystérieux rendez-vous avec une image que convie cette lecture. Et, au-delà, à une rencontre avec l’autre « visage ». Celui peut-être du poète. Qui entretient avec le visage de Bartolomeo, « ciel et sang », un dialogue intérieur d’une intense richesse. Une prière, « une rêverie longue des siècles », célébration méditative sur des fragments de lumière chaude exhumés de la chaux. « Appels et répons » pour une parole « sans fin ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu






    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    [In un libru à a cuprendula russa] (extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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  • Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II

    par Gérard Cartier

    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II,
    Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018.




    Lecture de Gérard Cartier


    LE « 8½ » DE DUBOST




    Ce second volume de & Leçons & Coutures ne se distingue du premier (Isabelle Sauvage, 2012), que par la taille réduite (du fait de l’absence des notes marginales qui donnaient le sens et les emplois de certains mots archaïques ou régionaux) et par la forme des prosains – l’auteur s’est ici plié à une mesure, d’ailleurs assez libre : neuf lignes (ou, plutôt, huit et demi…). Il m’a aussi semblé que le ton était encore plus libre, l’écriture plus débridée, la syntaxe plus chahutée que dans le premier volume de ce Grand Livre de Dettes. Il s’agit, à nouveau, d’un hommagier de 99 poèmes, chacun dédié à un écrivain, majeur ou lare, prosateur ou poète, de toute esthétique (Jaccottet voisine avec Zanzotto), de toute origine et de toute époque, ce que revendique l’un des exergues, emprunté à Jude Stéfan : « On écrit […] généalogiquement, c’est-à-dire tout au long de l’arbre poétique des siècles ».

    La langue de Jean-Pascal Dubost est fortement mâtinée d’ancien français, tant dans son lexique que dans sa graphie (« griphé en grafie réjouissante »), mais pas seulement : tous les idiomes y concourent, des patois régionaux aux parlers populaires d’aujourd’hui – n’y manque peut-être que le vocabulaire scientifique –, sans compter les néologismes, nombreux et souvent savoureux. L’auteur est un lexicolâtre et un logophile ; son esthétique est proche de celle de Rabelais ; il joue sur l’excès, l’accumulation, la distorsion, les allitérations, jongleries, exclamations, etc. – tout ce qui fait que les mots rythmiquement insinués dans l’oreille provoquent un plaisir quasi charnel. Y concourent, pour le plaisir de l’esprit, proverbes et expressions détournés (le feu de dieu, à propos d’Artaud) et les jeux de mots – quitte à les emprunter à un autre, si l’emportement de l’écriture le réclame : « il faudrait inventer quelque nouveau langage qui n’langage que soi » (à propos de… Théophile de Viau).

    Chaque poème est fait d’une phrase unique, ponctuée, d’une grammaire souvent malmenée jusqu’à la faute et au style télégraf. On pense à ces dragons qui s’enroulent spasmodiquement sur eux-mêmes en formant de multiples anneaux, si bien que, malgré la brièveté de ces textes, il arrive qu’on en perde le fil. L’auteur aussi, semble-t-il, qui court avec jouissance vers la neuvième ligne où, que le sens se soit ou non formé, tombe le couperet du quadratin final. Poèmes que l’on ne comprend parfois que par flambées, sans en être totalement éclairé, mais assez pour en être échauffé ; et qui parfois, au contraire, se donnent de façon presque fluide :
    PHILIPPE JACCOTTET

    Très belles matières et moult delictables choses à revoir et pardurables instantanément comme le vol insaisissable d’un roipêcheur surgissant sur dailymotion après beaucoup d’années (sur la Loire) et bam « la mort d’une mésange dans la maison » écrite au crayon papier sur la dernière page d’un livre achevé d’imprimer le 6 octobre 1975 sur vergé, mais c’est une petite prose de vie pour reprendre terre —

    Il n’est pas nécessaire de connaître tous les écrivains de la Table des matières (qui a lu Hélisenne de Crenne ?) pour apprécier les neuvains qui leur sont consacrés. Ce sont rarement des portraits ou des évocations, et jamais des pastiches (sinon – mais comment résister à la tentation ? – pour Charles Reznikoff, évoqué par un extrait de l’ordonnance de Villers-Cotterêts). Le lien aux auteurs est plus subtil et plus distendu : une citation de quelques mots, parfois non signalée ; une allusion à leur œuvre, ou à leur style (ainsi, sur François Cariès : « Par le chant royal, la grande chanson, le sonnet de cour, le pastiche sioux, le sermon de noce, l’oraison rance, etc. »), ou une simple image, voire un sentiment vague (sur Jean-Claude Pirotte : « Une pluie d’une exquise désuétude… »). On reconnaît souvent le noyau initial du poème à sa justesse. L’auteur, du reste, s’en émancipe ordinairement assez vite pour en venir à ce qui fait le fond de son projet.

    Ces prosains, en effet, parlent le plus souvent d’autre chose que du dédicataire : ils explorent les multiples formes d’existence de ce qu’on nomme poésie. Rien ici de didactique, c’est une pensée en acte, un corps à corps avec la langue, dans le but (si but il y a) de la pousser à bout, de lui faire rendre gorge. Ce qui n’empêche pas Jean-Pascal Dubost de nous faire passer en douce quelques petites leçons ; ainsi de cet aphorisme : « la poésie est là où n’est pas la poésie » ; ou bien, à propos d’Hugo enlégendant le monde, cette adresse à « la moqueuse french poetry de la modernité à bras raccourcix » : « faites en autant », qui me réjouit. Au total, ce recueil, plus encore que le premier, constitue une manière d’art poétique – ce qu’est la poésie, ce qu’elle peut et ne peut pas –, délivré par bribes, au milieu d’un flot joyeux et incohérent.

    Il est des recueils dont rendre compte est une pénitence car, malgré leur originalité, leur intérêt ou leur beauté, ils échappent à la saisie critique. Celui-ci, c’est plutôt le contraire. Il faut se réfréner, tant la matière vous sollicite. Sainte-Beuve définissait ainsi l’écriture de Jean-Baptiste Rousseau : baroque, métaphysique, sophistiquée, sèche, inextricable… Cela va comme un gant à Jean-Pascal Dubost, sous réserve d’ajouter : bouffonne, forcenée, profuse, biscornue, espiègle, éperdue, excentrique…



    Gérard Cartier
    D.R. Gérard Cartier
    pour Terres de femmes







    Couv_dubost_18




    JEAN-PASCAL DUBOST


    Dubost-jean-pascal
    Source




    ■ Jean-Pascal Dubost
    sur Terres de femmes


    « prosains » (extrait de & Leçons & Coutures II)




    >■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II




    ■ Autres lectures de Gérard Cartier
    sur Terres de femmes


    Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante
    Alain Guillard, Quête du nom
    Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux
    Emmanuel Moses, Ivresse
    Muriel Pic, Élégies documentaires





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  • Stefanu Cesari | [Jeune […] autant que l’eau]



    [GHJOVANU […] QUANT’È L’ACQUA]



    Ghjòvanu quant’è a petra posta lungu ’lla strada quant’è l’acqua. L’òmini passendu ani sempri ridrizzatu u muru chì si n’era falatu, ani postu i so mani nant’à u fiori di a petra asciuta, chì sò di stu regnu accittatu, fintantu ch’iddu dura. Ceri volti li veni di pinsà à l’acqua chì curri, parch’iddi t’ani a siti, o chì ci voli à richjarà i minuci, parchì ci si attinghji u sensu di a a vita è quiddu di a morti, è certi volti u sguardu di a fèmina. Da chì tù se statu vistu sutt’à a fica — quant’anni t’avii? hai crettu par via di l’umbra è di l’àrburi, hai crettu ch’iddu ti tuccaia à mova, pà una tarra stranieri fatta d’acqua è di petra. Di stu paesu ùn se micca, ma se statu accoltu, barattènduci a to peddi.





    [JEUNE […] AUTANT QUE L’EAU]



    Jeune, autant que les pierres posées le long du chemin autant que l’eau. Les hommes en passant ont toujours redressé les murs qu’ils faisaient tomber, ils ont posé leurs mains, l’un après l’autre sur la fleur sèche de la pierre. Ils sont de ce règne, pour autant qu’il dure. Quelquefois ils pensent à l’eau vive, parce qu’ils ont soif, parce qu’il faut rincer les abats, parce qu’on y puise et la vie et de la mort, parce qu’on y croise une femme. Depuis que l’on t’a vu sous le figuier, quel âge avais-tu ? Tu as cru à cause de l’ombre et de l’arbre, tu as cru qu’il fallait se lever et partir. Vers une terre étrangère faite de pierre et d’eau. Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau.



    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes, 24, édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018, pp. 52-53.






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu





    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    Bartolomeo in cristu (lecture d’AP)
    [In un libru à a cuprendula russa] (un autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (un autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur le site des éditions Éoliennes)
    la fiche de l’éditeur sur Bartolomeo in cristu de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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  • Jean-Pierre Boulic | [Dès l’aube]



    [DÈS L’AUBE]



    Dès l’aube
    Un goût d’infini
    Après une nuit de veille

    L’instant
    Offre son visage
    Laisse l’âme à son silence

    L’être qui palpite
    Respire
    En son for intérieur.




    Jean-Pierre Boulic, « Éveiller l’aube », Petites pièces pour instruments à voix, éditions Pétra, Collection Pierres écrites/L’Oiseau des runes dirigée par Jeanine Baude, 2018, page 51. Préface de Jacques Le Goff.






    Jean-Pierre Boulic  Petites pièces pour instruments à voix  éditions Petra  Collection Pierres écrites L’Oiseau des runes  2018






    JEAN-PIERRE BOULIC


    Jean-Pierre Boulic
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    le site de Jean-Pierre Boulic
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pierre Boulic
    → (sur le site des éditions Pétra)
    la fiche de l’éditeur sur Jean-Pierre Boulic





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  • Luigia Sorrentino | [tous les jours étaient tombés sur son visage]



    [TUTTI I GIORNI ERANO CADUTI SUL SUO VISO]



    tutti i giorni erano caduti sul suo viso
    le ore di tutto l’essere erano
    invase dalla sete

    nell’angolo spento
    cercó il riflesso dell’oceano
    l’aveva attraversato uscendo dalla madre

    la pioggia di vetro sulla strada
    deserta aveva memoria di un uomo







    [TOUS LES JOURS ETAIENT TOMBÉS SUR SON VISAGE]



    tous les jours étaient tombés sur son visage
    les heures de tout l’être étaient
    envahies par la soif

    dans l’angle éteint
    il chercha le reflet de l’océan
    il l’avait traversé en sortant de sa mère

    la pluie de verre sur la route
    déserte gardait mémoire d’un homme




    Luigia Sorrentino, Début et fin | Inizio e fine, VIII, édition bilingue, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2018, pp. 20-21. Traduction et postface de Joëlle Gardes. Encres de Catherine Bolle.






    Luigia Sorrntino  debut-et-fin






    LUIGIA SORRENTINO


    Sorrentino
    Source




    ■ Luigia Sorrentino
    sur Terres de femmes

    Iperione, la caduta (extrait du recueil Olimpia traduit par AP) [+ une notice bio-bibliographique en français]




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le blog Poesia de Luigia Sorrentino
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur français sur Début et fin de Luigia Sorrentino





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  • Carole Darricarrère | [Bleu est un chemin d’ambiance dans le rouge]





    Carole Darricarrere  Beijing Blues 2
    Ph. Carole Darricarrère, in Beijing Blues,
    éditions du Petit Véhicule, Galerie de l’or du temps, 2018.
    Source







    [BLEU EST UN CHEMIN D’AMBIANCE DANS LE ROUGE]



    Bleu est un chemin d’ambiance dans le rouge
    rouge est un chemin d’accès dans les matières
    chaque ligne dessine un chemin de fer dans le cercle des visages.

    Je lis à visage ouvert
    entre les lignes de forces qui séparent les uns des autres.

    Je stabilise mon horizon au centre
    équerre de cristal dans une main de velours.

    Quelqu’un demande
    pourquoi aligner le texte au centre

    Que le moindre hiatus me saute aux yeux.

    Le texte est une colonne vertébrale qui est une échelle de Jacob.



    Carole Darricarrère, Beijing Blues, éditions du Petit Véhicule, Galerie de l’or du temps, 2018, page 37. Textes et photographies de l’auteur.






    Beijing Blues 2





    CAROLE DARRICARRÈRE


    Carole Darricarrere
    Source




    ■ Carole Darricarrère
    sur Terres de femmes

    Les doubles jeux du (Je) [note de lecture d’AP sur le recueil Le (Je) de Léna]
    Élévation du feu
    Face à face avec mes mains
    Imagine qu’un matin… (+ une notice bio-bibliographique)
    Je coupais souvent à travers champs
    Nous vécûmes
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ulysse (Joyce remixed)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un extrait du recueil Demain l’apparence occultera l’apparition



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Carole Darricarrère
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Carole Darricarrère
    → (sur le site des éditions du Petit Véhicule)
    la fiche de l’éditeur sur Beijing Blues de Carole Darricarrère





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  • Cécile Coulon | [depuis la fenêtre ouverte]




    [DEPUIS LA FENÊTRE OUVERTE]



    depuis la fenêtre ouverte
    il ne fait pas froid
    il ne fait pas sombre
    nous avons notre lumière
    si faible pourtant vivace à travers les corridors
    dans le foin des granges
    dans les baignoires des palaces
    ils disent : ça peut s’arrêter
    parfois l’amour s’endort
    longtemps
    doucement
    seul le bruit des heures qui s’en vont arrive
    depuis la fenêtre ouverte
    je ne m’en fais pas
    je suis en train de creuser des terriers dans ma vie
    pour te faire de la place
    pour que tu puisses venir fermer les yeux
    oublier le sang de ceux qui vont partir bientôt
    le sang continue
    lui
    l’orage continue
    lui
    de balayer la terre et les oiseaux
    je vais apprendre à rester là si tu m’aides à m’asseoir
    écouter la musique des flammes
    tendre la bouche comme on tend l’eau à l’enfant
    qui veut boire
    la soif continue
    elle
    la langue continue
    elle
    d’effleurer d’autres langues pour meubler la mémoire
    seul le bruit du feu qui crache arrive depuis la porte ouverte
    je cesserai d’écrire des poèmes le jour où l’on cessera
    de considérer
    les hommes sincères
    comme des hommes malades
    en attendant la rivière continue
    elle
    la pluie continue
    elle
    demain matin les ronces vont griffer les renards dans les bois
    le ciel ce grand poumon sauvage a jeté ses filets
    sur les hommes tout en bas
    seul le bruit de la terre arrive depuis la fenêtre ouverte.



    Cécile Coulon, Les Ronces, Le Castor Astral, 2018, pp. 71-72.






    COULON_Les-Ronces 2





    CÉCILE COULON


    Coulonphoto-1024x1024
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Castor Astral)
    une fiche bio-bibliographique sur Cécile Coulon
    → (sur le site du Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Les Ronces





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  • Sanda Voïca | [Que faire de la fille partie ?]




    [QUE FAIRE DE LA FILLE PARTIE ?]




    Que faire de la fille partie ?
    Je la mets-ci,
    Je la mets-là,
    Jamais à la bonne place.
    Je rogne les cases,
    les jours et les nuits,
    je grave son nom
    mais il ne reste pas.
    Je la repose sans fin
    dans des lieux très différents
    sans qu’elle y reste.
    Sans place
    Sans endroit.
    Elle flotte
    Je flotte
    Nous traversons les airs
    les terres
    les chemins battus
    et inconnus.
    Nous ne sommes jamais
    à notre place.





    Chaque poème est une navette,
    cet outil à passer le fil
    dans le métier à tisser.

    Pour quel tissu ?

    Plusieurs navettes qui se croisent,
    pour passer le fil à peine différent
    de la même canette
    pour un seul tissu.

    Lequel ?




    Sanda Voïca, Trajectoire déroutée, Éditions LansKine, 2018, pp. 46-47.






    Sanda Voica 2





    SANDA  VOÏCA


    Sanda-bio
    Source



    ■ Sanda Voïca
    sur Terres de femmes

    Trajectoire déroutée (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    Les Maîtres et les Autres (poème extrait d’Épopopoèmémés)
    une lecture d’Épopopoèmémés par AP
    La rose inerme (poème extrait d’Exils de mon exil)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Les Découvreurs/éditions LD)
    une lecture de Trajectoire déroutée par Georges Guillain
    Paysages écrits, le site de la revue numérique de Sanda Voïca & Samuel Dudouit





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  • Étienne Faure | sur « Le Poète à tête renversée »




    [SUR LE POÈTE À TÊTE RENVERSÉE]







    Chagall  Le Poète à tête renversée  2
    Marc Chagall (1887–1985)
    Étude pour Le Poète à tête renversée, 1911
    Gouache, plume et encre sur papier,
    27 x 21 cm
    Source







    Cette rose au cœur vert on dirait un chou,
    la tête renversée du poète
    il y a cent ans repeinte avec des paupières
    d’ortie, tout un monde à l’envers revu
    comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce
    avers, endroit du décor
    à la vitesse révolue d’une époque
    où coule sans gravité la couleur du vin
    lumineuse, éclairant le verre
    — et la lente impression d’ivresse —
    le vin où plongerait aussi bien la plume
    quand l’encrier est sec, la lampe sans pétrole,
    à lire à livre ouvert sur les genoux, vieil établi,
    le livre ou manuscrit comme à rebours
    entre les pages où furent glissées des fleurs
    ocre, violines, jaune paille,
    les mots semblablement réversibles.


    sur « Le Poète à tête renversée »




    Étienne Faure, « En peinture » in Tête en bas, poèmes, éditions Gallimard, Collection blanche, 2018, page 69.






    Etienne faure  Tête en bas






    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Tête en bas (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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  • Édith Azam | [Je regarde mes mains]




    [JE REGARDE MES MAINS]



    Je regarde mes mains
    invente un ruisseau pour chacune.
    J’invente des ruisseaux
    et puis après ?
    Rien.
    Sous le pont
    il y a tout mon amour qui cherche
    fait des reflets dans l’eau mais…
    sous le pont il n’y a :
    rien.
    Je remets les ruisseaux
    dans mes poches
    et le grand marronnier
    m’ébouriffe la cervelle…
    Je marche je marche
    raconte des histoires.
    Un jour
    demain
    un jour
    avant
    hier
    peu importe
    c’était le long des berges
    et je voulais que tu m’embrasses.
    Quand tu m’embrasseras,…
    Si tu m’embrasses Hannah tu verras je…
    un silence a-grammatical
    me vide les poumons.
    Hannah Hannah
    si tu savais
    Si tu savais…
    tous les d’oiseaux
    je les embrasse
    tout en pensant
    t’embrasser toi
    Hannah my Dear
    you’re my absence…




    Édith Azam, Oiseau-moi, éditions LansKine, 2018, pp. 14-15. Dessin de couverture Eléa Damette.






    Edith Azam  Oiseau-moi





    ÉDITH AZAM




    Edith Azam
    Source




    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes


    [Tout s’ouvre et c’est dedans](extrait de Bestiole-moi Pupille)
    Décembre m’a ciguë (lecture d’Isabelle Lévesque)
    « Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m’a ciguë par AP)
    [Je dis le mot : mourir] (extrait de Décembre m’a ciguë)
    Il n’y a cette perte de moi (extrait du Mot il est sorti)
    Suis-moi
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    IL RESTERA MON SIGNE




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Oiseau-moi
    → (sur Dailymotion)
    Bruits de bouche : Édith Azam, Bouche cousue (Performance du 14 novembre 2009 pour Le nouveau festival [46:02])
    → (sur Libr-critique.com)
    videopodcast d’une lecture d’Édith Azam au Festival de Lodève 2006





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