| IBOSHI HOKUTO
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| LAURENT GRISON Source ■ Laurent Grison sur Terres de femmes ▼ → Rhizomes (poème extrait du Chien de Zola) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de Traversées, revue littéraire) une chronique de Marc Wetzel sur l’anthologie Sidérer le silence → (sur le site des éditions Henry) la fiche de l’éditeur sur l’anthologie Sidérer le silence → (sur Terres de femmes) Jean-Baptiste Para | Poème en délit de solidarité (poème extrait de l’anthologie Sidérer le silence) ■ Voir encore ▼ → le site de Laurent Grison → (sur le site du magazine Diacritik) Marielle Macé ou que peut la littérature ? Sidérer, considérer. Migrants en France, par Johan Faerber |
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| PAULE DU BOUCHET Source ■ Voir | écouter aussi ▼père → (sur le site de France Culture) Paule du Bouchet : « Écrire, c’était trouver mon en moi » (émission Par les temps qui courent par Marie Richet, 1er mai 2018) → (sur le site de France Culture) André du Bouchet (émission Du jour au lendemain par Alain Veinstein, 19 avril 2011) → (sur le site de Radio Télévision suisse) Présence d’André du Bouchet (Entre les lignes, émission du 14 janvier 2013) ■ André du Bouchet sur Terres de femmes ▼ → 19 avril 2001 | Décès d’André du Bouchet → En pleine terre → Le moteur blanc → sur la terre immobile ■ Voir encore ▼ → (sur Terres de femmes) 20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas → (sur Terres de femmes) Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour (note de lecture d’AP) |
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| GEORGES GUILLAIN
→ Que ce lieu pour rester (extrait d’Avec la terre, au bout) → [Novembrer tout y revient patauger] (autre extrait d’Avec la terre, au bout) → [Voilà que tu es devenu poreux] (autre extrait d’Avec la terre, au bout) → [Voilà] (extrait de Parmi tout ce qui renverse) → Tant que nous sommes (extrait d’Un bouquet pour les morts) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Georges Guillain → (dans la poéthèque du site du Printemps des Poètes) une fiche bio-bibliographique sur Georges Guillain → (sur le site des éditions LD) une note de l’éditeur sur Compris dans le paysage |
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[EN NAGEANT JUSQU’AU BOUT DE TON RÊVE] En nageant jusqu’au bout de ton rêve tu parviens outre la porte des songes sous les algues flottantes du sommeil dans l’aurore de blancs coquillages Là comme aux tout premiers temps les choses espèrent être dites et dans l’attente d’un destin balbutient d’éphémères formes En ce lieu inversé sous l’eau de ton sommeil les étoiles en mourant filent vers leur désastre et les ramiers picorent leurs miettes de lumière dans les prairies du ciel Sois attentif alors à ne jamais fixer la lumière sinon l’ombre minuscule d’échardes de soleil lacèrerait la peau du monde |
| MARILYNE BERTONCINI Source ■ Marilyne Bertoncini sur Terres de femmes ▼ → Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart) → À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida) → La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP) → [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias) → Labyrinthe des nuits (lecture d’AP) → La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP) → [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa) → Sable (extrait) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Marilyne Bertoncini → (sur Recours au poème) plusieurs pages sur Marilyne Bertoncini → Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini → (sur le site de la revue Texture) une lecture de Mémoire vive des replis de Marilyne Bertoncini, par Philippe Leuckx |
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| LAURE GAUTHIER Source ■ Laure Gauthier sur Terres de femmes ▼ → J’écris toujours dans la neige [extrait de je neige (entre les mots de villon)] → Marche 1 [kaspar de pierre] → kaspar de pierre (lecture d’Isabelle Lévesque) → kaspar de pierre (lecture d’AP) → [Réinvestir la forêt] (extrait de La Cité dolente) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de Laure Gauthier) une notice bio-bibliographique → (sur linked in) une fiche bio-bibliographique → (sur le site Les Découvreurs/éditions LD) une lecture de je neige (entre les mots de villon) de Laure Gauthier, par Georges Guillain → (sur le site Libr-critique) une lecture de je neige (entre les mots de villon) de Laure Gauthier, par Christophe Stolowicki |
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L’HYPOTHÈSE D’ISIS La mort avait-elle choisi, arrêtant d’un signe, les promesses fécondes ? Au commencement du geste d’écrire, il y a chez Isabelle Lévesque, on peut du moins le supposer pour ce livre, l’événement d’une perte ou d’une séparation. Quelque chose a été perdu, de primordial, quelque chose de nécessaire pour vivre… Sans doute quelqu’un, un père, un amour, mais aussi la parole qui allait avec, la parole née naturellement de la plénitude pour la soutenir, et qui a pour nom poésie. Tout est « loin » désormais, à distance. Voilà pourquoi écrire, qui est une manière de prolonger, fût-ce artificiellement, dans le présent ce qui a été perdu, est pour elle vitale : Elle écrit, c’est sa vie. Mais ce qui s’est perdu, avec la relation qui permettait de vivre, c’est précisément ce qu’il faudrait écrire : « le poème ». Le poème qui tenait ensemble, ou plutôt qui demeure la seule trace vivante de cela qui autrefois tenait ensemble ce qui injustement a été séparé. Portant haut les mots, tu lisais les poèmes. Tout se passe, dans l’écriture, comme si le poème au commencement avait explosé – soufflé par une déflagration – et qu’il était désormais derrière celle qui écrit, souffle coupé, comme s’il était devenu perpétuellement manquant. Du poème il ne reste que des bribes, du grand feu de la vie ensemble, ne restent que des braises. Nous ferons poème de bribes. Avec tout cela comment faire un présent ? D’abord, semble-t-il, en prenant acte de la dispersion inaugurale : Nouer les mots au feu de la dispersion. Oui, mais comment un tel geste, aussi paradoxal, aussi contradictoire, se manifeste-t-il concrètement dans l’écriture ? Par le recueil et la disposition des bribes restantes. On voit des mots, des signes jetés en vrac sur la page, sans liens, sans fils, sans syntaxe ni coordination, parfois même sans articles. Ce sont les simples pièces d’un puzzle sans l’image qui les rassemble. Ou la partition déchirée d’une chanson dont il ne reste que quelques mots sans la mélodie qui les portait sur le silence. Accord disloqué, poème brisé, dévoré par le silence. Souffle – à peine, léger.
Conte, s’il vole.
Fée change, baguette souple, coudrier,
Trace où vit le soir, et l’alerte
or et le jour,
l’or trouvé
dans les légendes. Un poème en pièces détachées. Voilà tout ce qu’on a. Les fragments dispersés d’un conte qu’il faudrait écrire. Mais manque ce qui permettrait de les mettre en ordre : la magie d’un commencement, la baguette qui fait surgir la source sous le silence ou le souffle qui soutient les mots au-dessus de lui, ce qu’on appelle tout simplement la parole. Pas d’intrigue ni de mélodie, pas d’unité ou de cohésion atteignables dans ce moment du temps. L’écriture serait la seule ressource, mais où trouver le commencement ? Là est la déchirure. La dispersion sera ce point de départ. Du poème dont on a perçu la grande forme englobante autrefois dans l’écoute, ne restent peut-être que des bribes. Mais ces bribes sont infiniment précieuses, braises d’instants autrefois vécus et surgissant dans le présent à la faveur des mots qui les nomment. Ou plutôt signalées par eux, désignées au loin par des sortes de notes, juste un mot ou deux comme on en griffonne à la hâte pour ne pas oublier, des sortes de pense-bêtes, d’indices sur quoi s’appuie la mémoire. Voilà pourquoi, au moyen des mots, il faut aller chercher une à une ces braises, les recueillir sinon les rassembler, les faire tenir dans un même moment, sur une même page même si manque le fil qui les tenait. C’est en quoi consiste le geste d’écrire. Une conquête sur le silence et l’oubli, une manière de « cogner » à coups de mots le temps qui toujours éloigne et décompose, grand pourvoyeur de vide. Voilà tout ce qu’on peut, voilà à quoi ressemble un poème d’Isabelle Lévesque dans ce livre. Un poème d’un ici et d’un présent empêchés. Séparés. Un poème sans le poème mais qui le suppose, c’est en quoi il est tout de même poème. Un poème qui se souvient de ce qu’a été la poésie et qui croit encore en elle, et tend éperdument vers elle sans pouvoir la trouver. C’est pourquoi, on le comprend, toute son écriture est un appel. Une façon de se tourner en l’appelant vers celui qui tenait en cercle le jour autour de lui et rendait possible le poème, sa totalité claire, son unité soutenant, illuminant la vie, faisant d’elle un feu continu et ordonné. Et ainsi, par ce geste, cet appel, ce qui se tente, difficilement mais non vainement, c’est de susciter à nouveau le poème qui donnait au jour sa perfection circulaire d’absolu, le soir tenant au matin sans passer par la fin. C’est dans l’appel, Isabelle Lévesque l’a bien compris, dans « l’invocation tutoyante »1, que se situe la possibilité d’un commencement. Si écrire est d’abord disposer les éléments recueillis dans un même silence, une même blancheur sur la page, comme le fait naturellement la glace, qui laisse le florilège, trace à peine, c’est surtout par l’adresse qu’on peut sortir de l’isolement et de la séparation. C’est en s’adressant à celui (ou celle) qui tenait en ordre le temps et lisait les poèmes. En lui disant « tu », en tentant de le rejoindre, de reconstituer avec lui le pronom « cousu au point de lune » de la communauté perdue que seul aimer peut inventer. Ce « nous » ouvert sans quoi il n’est pas de « je » ni de poème, ni même de vie continue à l’intérieur du temps puisque celui-ci travaille en sens contraire à la défaire. On retrouve là, peut-être quelque chose du grand chant courtois. Par l’adresse, par la parole, on s’avance vers celui qui toujours au loin appelle et sans cesse se dérobe. Mais qui par sa seule présence ou son souvenir indique une direction, fait de la distance une sorte de chemin, et permet ainsi que se recrée le fil qu’on a perdu, d’une histoire, d’un sens, d’une mélodie qui par son ordre rend la vie musicale, lumineuse, simplement vivable ou humaine. Sortie de l’inertie et du hasard. Le « tu » à qui l’on s’adresse, ou parce qu’on s’adresse à lui dans le poème, en même temps qu’il féconde à distance une parole, l’oriente, a le pouvoir de mettre en ordre, comme autrefois il le faisait, les éléments qu’on lui propose. Alors ta venue changeait l’ordre et nous, certains, cheminions. C’est ce qu’il veut : que celle qui écrit, par ses mots, fasse ressurgir un ordre, et au cœur de cet ordre une vie qui pourrait illuminer de l’intérieur comme un feu ou un baiser le présent qui s’est glacé. Il est celui qui montre l’exemple, qui enseigne à dire oui. Tu veux. Des poèmes.
Je m’attèle. Tu souris. Alors possible.
Je ferai, juré, les phrases ou les vers. Le poème, toute l’entreprise poétique devient alors une sorte de lettre qu’on écrit en dépit de la fin et de la séparation à l’être absent parce que même dans son absence, par les mots avec lesquels on s’adresse à lui, il peut se faire guide, suggérer lui-même ces mots et conduire vers le lieu du confluent des vies : J’entends les mots que tu hisses et les nuages rejoints se font torrents . Je voudrais formuler à propos de la poésie d’Isabelle Lévesque une hypothèse. On le sait, dans le célèbre mythe de l’Egypte antique, Osiris a été assassiné par Seth, son frère, jaloux de ses amours avec leur sœur commune, Isis, déesse du Nil et de la fécondité. Il a été non seulement assassiné mais aussi démembré et les morceaux de son corps ont été éparpillés dans le vaste paysage de la vallée du Nil. Isis par amour pour Osiris veut retrouver ces morceaux épars afin de pouvoir ensuite les rassembler, reconstruire et ranimer ce corps dépecé, littéralement lui rendre vie. L’écriture selon Isabelle Lévesque obéit, me semble-t-il, au même projet. Elle recueille elle aussi les morceaux du grand corps, du grand poème dispersé. Et, dans ce livre, elle est là, debout devant la tâche qui s’impose à elle. Et elle se pose la question d’Isis : comment faire pour que l’unité se refasse et que la vie revienne, circule à nouveau ? Face à la dispersion, sa réponse, on l’a vu, est dans la disposition et l’adresse. Il faut dans le cours des jours, entre soirs et matins, maintenir la relation, parler à cela qui gît en morceaux devant soi, présenter par la parole ces morceaux, les disposer sur la page en attendant le souffle improbable, générateur d’unité et de vie. Mais comment être sûr qu’il viendra ? L’adresse, la disposition, si elles permettent un commencement, ne suffisent pas pour donner l’accomplissement. C’est pourquoi d’autres réponses se suggèrent dans ce livre. Elles le sont parfois sous la forme d’une question comme si celui à qui elle s’adresse répondait par l’interrogative, esquivant l’affirmation et testant la capacité d’aimer ou d’espérer de celle qui écrit : crois-tu ? Crois-tu en la possibilité du poème ? En son pouvoir de redonner vie et forme à ce qui a été perdu et détruit ? La croyance ou la confiance est une réponse. Une autre est donnée, esquissée tout à la fin ; elle est dans une certaine façon d’utiliser la parole : la promesse. Il s’agirait, si l’on comprend bien, de s’appuyer sur les promesses autrefois fécondes, au temps où l’autre était là et lisait les poèmes, pour fonder dans l’aujourd’hui défait l’unité du poème et sa plénitude rêvée autour d’un avenir qui n’existe pas encore mais envisagé comme possible, mais projeté. Tout autant que son contenu, c’est la forme de la promesse, parole performative, l’acte de tenir effectivement parole, qui, parce qu’elle fait se relier le passé et l’avenir par-dessus le présent défaillant, permet d’instaurer une unité dans le temps, de littéralement tenir le temps et de substituer au fil de givre fragile et glacé le fil de vivre qui sous-tend de son chemin d’or toute poésie authentique et vivante. La dispersion est peut-être la condition du temps. On a pu l’appeler parfois « désastre », le désastre du sens surgissant au cœur même de l’écriture. La poésie, tout en étant lucide, consiste à ne pas se borner à le constater mais à chercher à le dépasser par tous les moyens que le langage et l’imagination mettent à notre disposition, à inventer des solutions à chaque fois singulières et nouvelles pour en sortir. Là, comme le montre ce livre courageux et exigeant, dans le refus de la résignation, est sans doute la fragile force de la parole poétique, là sa raison d’être et sa nécessité. Il se peut alors que, par une sorte de miracle, même si ce mot peut sembler étrange à celle qui écrit, un poème s’esquisse, fugitivement, évasivement, et que l’on soit d’un coup porté au bord des retrouvailles le long d’un fil incandescent. Ce que nous fûmes résonne.
Image morcelée avant le soir.
Braises et ricochets. Sur la mer,
fragments dispersés du jour
à la lumière des baisers.
Jean Marc Sourdillon D.R. Texte Jean Marc Sourdillon 1. La formule est de Jérôme Thélot dans La Poésie précaire (PUF, 1997) _________________________ [Une version abrégée de ce texte a été publiée dans La Nouvelle Quinzaine Littéraire, n°1196, parue le 16 juin 2018] |
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« l’envie de courir de plonger dans l’eau vive » Ph., G.AdC [JE RÊVE DE MOTS GEYSERS] Je rêve de mots geysers de mots creusant mes veines me redonnant le lièvre bondissant dans l’aube l’envie de courir de plonger dans l’eau vive portant mon corps au ciel et ma peau à l’écorce enjambant les montagnes escaladant l’abîme et portant sur ma langue la graine imperceptible de chaque instant défait. Ouvrez-vous arbres ensevelis Par le soleil vous éveillez au cœur Le bruit inconsolable du vent. Laurence Chaudouët, La Présence de l’aube, Éditions Alcyone, Collection Surya, 2018, pp. 54-55. |
| LAURENCE CHAUDOUËT Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Alcyone) la page de l’éditeur sur La Présence de l’aube de Laurence Chaudouët → (sur Recours au Poème) une page sur Laurence Chaudouët |
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« Au commencement était l’O de mon nom » Ph. : Yvon Kervinio Image, G.AdC « C’EST LE VENT QUI NOUS MEUT » « Il y a des pierres dans sa langue, de l’eau et des cailloux. » Il y a aussi des oiseaux, beaucoup d’oiseaux, des fleurs, des étoiles et des papillons, la nature entière, mer et cosmos. Et la terre et les saisons. Il y a de l’aile et de l’eau dans son nom, l’O d’Ophélie, l’O du sommeil et l’O de l’oubli. « Au commencement était l’O de mon nom
une aurore liquide jaillissant de la nuit
l’ovale encerclé de mon visage
émergeant de l’eau. » L’O qui surgit ici, au détour d’un poème, c’est celui de la poète Cécile A. Holdban. La terre que le regard foule et l’esprit qui la traverse, c’est la terre poétique de son dernier recueil. Toucher terre. Pour accompagner ce titre, la poète a choisi un détail d’un dessin de Nicolas Dieterlé : Pays secret de poésie. Le paysage, de montagne et d’arbres baignés de lumière, est traversé par un cycliste aérien et solitaire courbé sur son vélocipède. À la fois malicieuse et inattendue, l’illustration de la première de couverture fait sourire. Et intrigue. Sans doute parce qu’elle renvoie le lecteur à l’enfance, à la magie qui parfois s’en dégage encore, par le détour de la mémoire, au monde onirique qui la nimbe. Elle renvoie aussi à l’univers propre de la poète et au lien étroit qu’elle revendique avec le poète Nicolas Dieterlé. Mais l’enfance de la narratrice-poète est loin désormais. Il ne reste de ce temps que les ritournelles de quelque comptine, d’un air ancien, le souvenir d’une « robe bleue pendue à un cintre ». Elle est ce qui « demeure » dans la mémoire d’un passé heureux et que l’eau tremblée du miroir ne peut ramener à la surface. La vie depuis longtemps a changé de sens, changé d’espace. Partout autour de soi des murs se sont dressés. La nuit est devenue « une soupe épaisse tournant autour du gouffre ». Nul ne sait d’où vient le mal. Le fait est qu’il est à l’œuvre. La mort engendre la mort. Et les « corps sont des corps vides qui demeurent et nourrissent une terre lourde de ses ombres ». Le passé semblait pourtant devoir durer toujours, ayant précieusement gardé secrètes ses promesses de bonheur. « Nous avions des mains fraîches au logis
des mains pleines de mémoire
des mains pleines de saisons.
C’est un mal qui nous rend invisible. » S’ouvre ainsi le recueil Toucher terre, sur un monde dévasté. La présence quasi contiguë d’un poème de Paul Celan (extrait de Grille de parole), fournit la clé de l’alphabet muet auquel poète et lecteur se trouvent confrontés : « Est venu, venu.
Est venu un mot, est venu,
est venu par la nuit,
voulait luire, voulait luire. » Les liens de Cécile A. Holdban avec le monde de la poésie sont nombreux. Cécile est une authentique lectrice de poésie. Elle est aussi une traductrice. Un aspect de son travail qui n’est pas négligeable. Certains poèmes qu’elle a traduits — hongrois et américains — avoisinent ici ses propres poèmes. Ainsi établit-elle des parentés explicites avec les poètes qu’elle côtoie, qu’elle fréquente et qu’elle aime. Howard McCord, Linda Pastan, Janos Pilinszky, Sándor Weöers dont elle s’inspire pour créer, en écho au sien, son propre poème « Xénie ». D’autres poètes surgissent sous sa plume. Alejandra Pizarnik, Edgar Poe, dont les vers apparaissent en italiques. Des emprunts, qui appartiennent désormais à chacun d’entre nous, se glissent parfois à l’improviste dans le poème. Ainsi ces quatre vers parmi lesquels le lecteur reconnaît le titre d’un ouvrage de Christian Bobin : « pourtant nous durons
dans cette obstination à chercher
l’étincelle, la part
manquante. » D’autres fois, certains vers en italiques ne sont pas identifiables. Sans doute s’agit-il de traductions inédites à partir de comptines hongroises ou de poèmes puisés à la source originelle de la poète : la Hongrie. « Le sud n’est rien, elle est fille de l’est, des Pâques et des septentrions.
Les oiseaux de ses mains rappellent la clarté et le froid de l’enfance. » écrit la poète dans « Le figuier » (in « Voix »). Quant à l’épigraphe qui ouvre la section « Labyrinthe », il est emprunté au poète et ami Jean-Pierre Chambon. Le lecteur en retrouve un écho dans le poème À travers (in IV, « Toucher terre ») : « on frotte ses paumes contre le miroitement des glaces
en espérant les traverser ». La présence d’Arthur Rimbaud se révèle essentielle. Suivant le chemin de son aîné, Cécile A. Holdban se veut voyante. Dans un monde labyrinthique devenu illisible, un monde hérissé de murs, où la mort l’emporte sur le vivant, il y a grande nécessité à ouvrir les yeux et à percer les ombres : « on doit tenir droit
les mots nous guident. Il faut y planter les ongles
si on ne voit pas au-delà
des yeux. » (in L’alphabet, I, « Labyrinthe ») Plus loin, dans le poème intitulé L’O, la poète, Ophélie rimbaldienne, écrit : « Diapason : dans le ciel un vaisseau
soulève, précis, la paupière du monde dans sa mue, devenus voyants
nous observons en silence
déchiffrons les strates du visible
nos doigts tremblent
devinant les traces à demi effacées
de la blessure d’eau. » Enfin survient le titre — C’est la mer allée avec le soleil —, en écho à Rimbaud et à son poème « L’Éternité » (in « Demeure », II). Se faire voyant est nécessité, car la fêlure est profonde qui brise l’équilibre originel, et la folie guette. Mais se faire voyant n’est pas simple. Voir clair dans l’opacité qui englobe le monde est chose malaisée, car « illusion et vérité sont structure et moelle d’un même paysage. ». Aux augures de jadis, la poète oppose sa lucidité et s’adresse cette injonction : « Sois l’espace entier, la fenêtre où voir est sans limite. » Et d’ajouter ce vers : « L’horizon : on le mesure à ce qui tremble
Par-delà les lignes possibles. Le temple est transparent. » (in Templum, « Voix », III) Parfois un simple geste suffit, qui joue comme une respiration : « Les yeux clairs
elle se lève pour regarder le temps
frapper à la fenêtre » Ce geste simple, le lecteur le retrouve dans le très beau poème final, ce « Toucher terre » qui donne son titre au recueil : « Toucher terre lentement, à l’abri des sous-bois,
des cyclamens mauves, des lianes de ronces
les flammes des bruants voletant
entre l’ombre des haies
simplement toucher terre ». Poème après poème, la poète s’exerce à redonner vie au langage. Il y a en elle quelque chose de Déméter : « je te sème de mes doigts d’équinoxe.
Je te disperse ». Il faut, selon la poète, délivrer les mots des gangues qui les enserrent ; il faut se désencombrer ; ouvrir grand l’espace mémoriel ; accepter de désenclaver la langue. Jusqu’à « divaguer la mer et l’inverser ». C’est le conseil que la poète adresse au prophète Jonas. Pourtant, même si le regard s’exerce à considérer l’envers du monde, le labyrinthe ne cède pas. Qui brouille jusqu’au silence. La poète persiste malgré tout à penser et à croire que « quelque chose résiste encore », que demeurent les choses simples : « Rondeur du fruit
lustre d’une feuille
volupté de l’espace
le ruissellement de l’eau et le vent dans les branches
qui les délivrent. » Mais qui est donc la poète Cécile A. Holdban ? Au détour d’un quatrain apparaît une très belle définition ; une définition qui se décline en exact contrepoint à Jonas : « berger sans bâton ni carte
je marche en moi-même
pour puiser ce qui me constitue
sans l’aide du miroir ». Elle est aussi ce vaisseau clair qui ouvre devant lui/devant elle des espaces infinis. Invisibles et insaisissables. Des espaces de beauté pure. Comme le sont ces trois vers. Magnifiques : |
| CÉCILE A. HOLDBAN
→ Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été) → [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel) → Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque) → Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle) → [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces) → Xénie → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) [Je ne tuerai point] ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Nouveau Recueil) une lecture de Toucher terre par Jean-Marc Sourdillon → (sur Recours au Poème) une lecture de Toucher terre par Pierre Tanguy → (sur le site de la mél [maison des écrivains et de la littérature]) une notice bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban |
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