Étiquette : 2018


  • Sylvie Fabre G. | Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat]





    Claude Margat
    Source





    LE RÊVEUR D’ESPACE
    (extrait)



    Grands horizontaux,
    peinture et poésie de Claude Margat



    Marcher dans le paysage du poème, c’est suivre la Voie en entrant dans l’œil habité du grand Rêveur d’espace et avancer avec lui vers la Pointe sans fin de la terre, là où elle rencontre l’eau et le ciel dans le pur silence des matins et des soirs à l’heure où seule s’entend la rumeur secrète des choses et où surgit sous les pas la beauté ineffable du réel et l’oubli dont elle vient. Vide de toute intention, chantant à l’unisson, le corps délié peut alors épouser le Souffle-Esprit dans l’acceptation du chemin qui s’invente dedans grâce au mouvement ralenti, dompté de la pensée. Le regard et l’écoute, suspendus à la berge étroite ou emportés vers l’horizon par l’aile d’un oiseau qui soudain déchire le vide, gardent l’accord jeté entre Occident et Orient, lointains proches.


    […]


    Rivière et cieux versés en soi débordent pour se perdre dans l’océan du papier où, tour à tour visible et invisible, le Rêveur d’espace continue sa marche solitaire qui appelle les sources et les souffles. Muni d’encre et de pinceaux, il donne vie à sa vision et trace le Trait, harmonieusement plein et vide, les sables rythmés d’herbes sous le vent, sols arasés du monde révélés par de simples roseaux ou d’inouïes floraisons. Yin et yang tel soleil et lune, corps et âme fondus dans le clair-obscur d’un amour sans bornes, coiffé de silence il revient des déserts orangés pour étendre une parole sur le jade du papier, lui rendre sa pulsation dans le bleu d’un Val qui ne meurt jamais. Car là où se tient l’arpenteur méditant, là est le poème où pousse et éclot la fleur cachée du sens.



    Sylvie Fabre G., La Maison sans vitres, éditions La Passe du Vent, 2018, pp. 163, 167. Postface d’Angèle Paoli.






    Sylvie Fabre G.  La Maison sans vitres 2







    ■ Claude Margat
    sur Terres de femmes

    [La rumeur du grand arbre]




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de France Culture)
    Claude Margat dans l’émission de Sophie Nauleau : Ça rime à quoi (16 septembre 2012)




    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Lettre des neiges éternelles (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Retournement du chant [hommage à Maurice Benhamou] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    La demande profonde
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Quelque chose, quelqu’un (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Angèle Paoli, Lauzes, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises par Sylvie Fabre G.
    Jean-Marie de Crozals & Sylvie Fabre G. | [La montagne bascule]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)



    ■ Voir encore ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Maison sans vitres de Sylvie Fabre G.






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  • Laure Gauthier | J’écris toujours dans la neige





    J’écris toujours dans la neige





    me figure le doigt
    sans le froid
    Pour un mot inarticulé
    qui, magie blanche
    s’écrit






    Voix 1

    Que reste-t-il quand on se départit du brillant ?



    Toutes les voix

    Partir dans la langue pour se départir



    Voix 2

    Secouer le cocotier des préséances à coup de huitains
    Se dédire du bruit de l’avoir
    tombant au sol




    voix de villon, de loin


    je blanc,                               suis arrivé te voir
    à sept ans les mains vides
    suis resté dans le murmure             au chaud

    près de toi, à chuchoter tout /

    ce que je n’avais pas
    Et à me balader léger sans obsession patrimoniale



    Léguer, c’est dilapider / lapider ses biens / pour les entendre résonner



    vides





    Laure Gauthier, « I. je neige », je neige (entre les mots de villon), Éditions LansKine, 2018, pp. 26-27.






    Gauthier Villon






    LAURE GAUTHIER


    Laure Gauthier
    Source




    ■ Laure Gauthier
    sur Terres de femmes

    Je neige (entre les mots de villon) [lecture d’AP]
    Marche 1 [kaspar de pierre]
    kaspar de pierre (lecture d’Isabelle Lévesque)
    kaspar de pierre (lecture d’AP)
    [Réinvestir la forêt] (extrait de La Cité dolente)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Laure Gauthier)
    une notice bio-bibliographique
    → (sur linked in)
    une fiche bio-bibliographique
    → (sur le site Les Découvreurs/éditions LD)
    une lecture de je neige (entre les mots de villon) de Laure Gauthier, par Georges Guillain





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  • Jean-Claude Caër, Devant la mer d’Okhotsk

    par Angèle Paoli

    Jean-Claude Caër, Devant la mer d’Okhotsk,
    éditions Le Bruit du temps, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    VERS « LA SENTE DU NORD »



    Le poète breton Jean-Claude Caër ne se lasse pas d’arpenter le monde en poète. Après En route pour Haida Gwaii et Alaska, le voici qui revient en France avec un nouveau recueil : Devant la mer d’Okhotsk. Le nom d’Okhotsk évoque d’emblée pour moi la presqu’île du Kamtchatka mais surtout la lointaine île de Sakhaline et le séjour qu’y fit jadis Tchekhov, dans ces contrées glacées où l’écrivain s’était rendu pour étudier les conditions de vie dans l’île et « payer ainsi sa dette à la médecine ». Une île maudite où ont péri de faim de froid de maladies et d’épuisement les déportés du Goulag. Et des prisonniers de toutes provenances et de toutes origines.

    Je croyais donc embarquer pour la mer d’Okhotsk mais je n’avais pas imaginé que cette mer serait vue depuis le Japon. Cependant, même s’il est question dans ce recueil du pays du Soleil-Levant, de ses villes et de ses îles, l’allusion à Sakhaline et à Tchekhov est bien présente.

    « J’ai pensé à Tchekhov, jeune médecin sur l’île de Sakhaline,

    Soignant les Ghiliaks d’une grande douceur, et les Aïnous,

    Dénonçant avec vigueur la condition des forçats en 1892. »

    En réalité, si Jean-Claude Caër entreprend ce voyage au Japon, c’est d’abord pour y retrouver « les Aïnous (le peuple chevelu et barbu) /Quasi décimés sur l’île de Hokkaidô. » Hokkaidô. « La région de la mer du nord », précise une note, « face aux îles Kouriles et à l’île de Sakhaline ».

    Par ce voyage, le poète tente aussi de retrouver, au milieu des contrées japonaises, le visage de la mère disparue. Dont la présence/absence accompagne le poète dans tous ses déplacements :

    « Mère je me promène

    Dans la forêt de Kôya-san

    Éclairée par des lanternes shintô

    Au milieu de 200 000 tombes. »

    Cette mère, il la cherche partout où ses pas le conduisent. Il la porte en lui où qu’il aille. Il lui parle, berçant la douleur du deuil dans le leitmotiv qui le pousse à écrire :

    « Mère, tu ne m’entends pas.

    Je t’écris de l’empire des Mikados, le pays du Soleil-Levant

    […]

    Je cherche ton visage au pays étrange (étranger)

    Un pays où les ombres sont présentes, les cendres…

    Je cherche ton visage parmi les ombres grandissantes

    […]

    La douleur est présente, elle ne me quitte pas. »

    Ou encore, plus avant dans le recueil, dans ces deux strophes :

    « Mère,

    La mer d’Okhotsk est grise

    La musique tiède de l’hôtel m’étourdit

    Ma main a gonflé cette nuit.

    Mère,

    J’ai traversé des cercles de douleur

    L’écriture et la vue de la mer me calment. »

    L’apparition la plus poignante de la mère est sans doute celle où le poète évoque la coiffe bretonne qu’elle porte sur la tête, le grand Chelgenn typique du Haut-Léon (Nord-Finistère) :

    « Mère,

    J’ai recopié des sûtras pour toi.

    Je t’ai peut-être vue, penchée vers la terre,

    Travailler ce matin dans les champs

    Près d’Abashiri ou de Obihiro

    Sous ton grand Chelgenn

    Dans la campagne paisible sous le soleil de mai. »

    Ainsi s’entretissent les univers et fusionnent les cultures. À l’improviste, dans des visions inattendues. Les limons du temps, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, se superposent, recouvrant les espaces les plus éloignés. Comme dans ce poème daté du 13 mai, jour de ta naissance :

    « Je remonte le temps direction la mer de Finlande

    Le lac Onega, la mer de Barents, direction le Nord.

    Je traverse des turbulences comme au jour de ma naissance

    Je nage à contre-courant (en bordure du cercle polaire).

    La steppe glacée, la Sibérie, la ligne de l’aube

    Sur le fleuve Amour.

    Le Japon viride

    Et déjà au-dessus des nuages j’aperçois le mont Fuji.

    Mère, tu ne m’entends pas. »

    Le passage ininterrompu entre les différents mondes qui structurent l’œuvre de Jean-Claude Caër est troublant. Les univers se fragmentent puis se rejoignent, et se recouvrent au fil des poèmes. « Les tombes centenaires » de Sekisho-in évoquent les « totem poles » et « les cèdres (presque mille ans) ressemblent à ceux de Colombie britannique / Et de Haida Gwaii. » C’est sans doute de ce jeu d’alternance et de fusionnement que naît l’envoutement du présent recueil. Et la nostalgie qui s’en dégage.

    Le dialogue continu avec la mère rend compte d’une inquiétude manifeste, à laquelle le lecteur coutumier de Jean-Claude Caër est habitué. Où qu’aille le poète, quelle que soit la direction prise, cette inquiétude profonde, existentielle est là qui le tenaille, en proie qu’il est au sentiment de précarité de la vie. Incertitude et questionnements lui sont des compagnons fidèles, qui rendent compte de son angoisse. Ainsi, écoutant les bonshô en prière, le poète s’interroge :

    « Le feu crépite.

    Chantent-ils que nous ne sommes que cendres et poussière

    Et retournerons en poussière ? »

    Ou encore, dans ce sizain construit sur une anaphore introduite par « comme » :

    « Comme les fleurs,

    Comme les lilas,

    Comme les fleurs de cerisiers que je n’ai pas vues,

    Comme la chute des feuilles rouges en automne

    Tout nous échappe

    Et file entre nos mains. »

    Les poèmes de ce recueil, souvent proches de la prose narrative pour les plus longs d’entre eux, mais tout autant, par la concision de certains autres, du haïku, évoquent, par-delà les rencontres et les rites, la permanence d’un état d’esprit. Celui du tourment et de la nostalgie procédant du caractère éphémère de toute vie. Ainsi de ces trois vers qui forment à eux seuls un poème :

    « Cette amertume que je bois

    Se répand dans mon corps

    Et je ne meurs pas. »

    Cette « amertume » transparaît aussi au travers de notations que le poète confie dans un aveu :

    « Je n’ai rien à raconter.

    Pas d’histoires, pas d’anecdotes

    Seulement des sensations diffuses, des malaises,

    Une solitude appuyée. »

    Il arrive que le poème soit daté, poème-feuillet d’un journal de voyage. Combien de temps a duré le séjour au Japon ? Deux mois ? Peut-être davantage. Peu importe du reste car le voyage est un voyage intérieur. Même si le poète passe d’une île à l’autre, d’une mer à l’autre, d’une montagne à un volcan, d’une forêt à un cimetière, de jardins en jardins, et d’un jardin à un temple. Entre temps, le lecteur croise avec lui les cinéastes japonais — Ozu et Kurosawa — qu’il oppose ; des amis écrivains au patronyme caché sous une initiale : Christian D. (Doumet ?) ; des poètes et des écrivains japonais — Soseki, Tanizaki, Mishima — et Bashô, bien sûr, qui lui inspire un long poème et ces réflexions :

    « Je suis venu te chercher au bout du monde aïnou.

    « La vie est errance sans fin », écrivait Bashô

    Sur la sente du nord

    Où il était accompagné par ses amis

    […]

    Je ne suis pas Bashô sur la sente du nord

    Accompagné par ses amis.

    Que sont devenus nos amis ?

    […]

    Et mes amis poètes

    Où sont-ils vraiment ?

    Ils ne m’ont pas accompagné sur la sente du nord. »

    À la lecture de l’écrivain Natsume Sôseki, « Le Pauvre cœur des hommes », Jean-Claude Caër trouve provisoirement une sorte de réconfort. Montaigne n’est jamais loin non plus, dont le lecteur perçoit, en arrière-plan, comme par-dessus l’épaule, la présence amicale et fidèle. Ainsi le maître des Essais apparaît-il au détour du chemin, après une promenade dans le cimetière Zôshigaya. Là se trouvent la tombe de Nagai Kâfu, nom bouddhique du journaliste et traducteur irlandais, Lafcadio Hearn, et celle de Sôseki, « enterré près de sa fille ». Reviennent alors en mémoire les pensées tirées du célèbre chapitre consacré à la réflexion sur la mort (« philosopher c’est apprendre à mourir »), et le poète de poursuivre par ces observations :

    « Chacun dans sa tombe pour l’Éternité

    Seul en cendre, en poussière sous les grands arbres. »

    Il y aurait tant à dire, tant il reste à explorer. Lire Jean-Claude Caër. Aller à sa rencontre. Si l’on ne craint pas d’être rejoint par la nostalgie diffuse que le poète porte en lui. Se laisser dès lors guider par sa pensée sur « la sente du nord » et mettre ses pas dans ceux de Bashô. Ou dans ceux de Natsume Sôseki.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    JeanClaude Caër



    _______________
    NOTE d’AP : Devant la mer d’Okhotsk est disponible en librairie le 6 décembre 2018.




    JEAN-CLAUDE CAËR


    Caer
    Source




    ■ Jean-Claude Caër
    sur Terres de femmes

    Alaska (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Lectures sous le signe de l’ours (extrait d’Alaska)
    En route pour Haida Gwaii (note de lecture d’AP)
    [Je suis venu ici] (extrait de Sépulture du souffle)
    Mémoires du Maine (extrait)





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  • Philippe Leuckx | [J’assume mes greniers d’enfance]





    [J’ASSUME MES GRENIERS D’ENFANCE]



    J’assume mes greniers d’enfance
    poussières frelons trésors
    par la lucarne vers les jardins
    je sais l’oiseau qui fronde
    et la pierre qui m’assiège
    le front à trop réfléchir
    et l’obscure gêne
    qui me fait trembler



    […]



    Ma poésie je crois a puisé à la terre natale — un bled perdu, des champs, des pâtures, peu de bois, des fermes, quelques rues — la sève du silence des granges, le silence des sillons longés pour désherber, la patience de mains faites pour le pis des vaches, l’odeur des blés, des herbes, la solitude immense pour des yeux curieux. Ma poésie vient de cet enfant-là.



    […]



    La lumière descend sur la rosée, elle tinte de la couleur des jours de repos. La terre s’ouvre sur la graine et le cœur fait ce qu’il peut de ses réserves. Chaque semence suit son cours : c’est un dimanche de grâce et de soleil. On attend. Un bref remuement. La pointe d’un vol d’oiseau. L’étincelle dans une herbe fraîche. La lumière bat à l’aune du cœur, souci commun.
    Parfois respirer ressemble à la mer.



    Philippe Leuckx, « J’assume mes greniers » in Maisons habitées, Bleu d’encre, 2018, pp. 9, 17, 21.






    Philippe Leuckx  Maisons habitées





    PHILIPPE LEUCKX


    Vignette PHILIPPE LEUCKX
    Ph. Christelle Dossche




    ■ Philippe Leuckx
    sur Terres de femmes

    [Le soir](poème extrait de Ce long sillage du cœur)
    Ce long sillage du cœur (lecture d’AP)
    D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
    [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance](poème extrait de D’obscures rumeurs)
    [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
    [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
    [On a vécu sous le verre] (poème extrait de L’imparfait nous mène)
    Le Mendiant sans tain (extraits)
    Nuit close (extraits)
    Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
    [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
    Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)
    [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)





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  • Marie-Josée Desvignes | [La langue m’a perdue]




    [LA LANGUE M’A PERDUE]




    La langue m’a perdue au jour de ma naissance
    au milieu de décembre
    la nuit s’est levée sur le seuil de ma vie
    au socle des limons creusés dedans la terre
    la lumière s’infiltre et je suis confondue




    […]




    Je ne parle pas la langue de ma mère
    et par-dessus la lagune
    c’est celle qu’on dit maternelle
    pourtant qui me parvient.




    […]




    Dans l’exil de la langue
    dans l’épaisseur des songes
    dans la nasse des mots
    puiser au puits du temps
    réconciliation et silence.



    Marie-Josée Desvignes, « I- L’exil de la langue , A-Mère » in Langue interdite, langue a-mère, éditions Alcyone, Collection Surya, 17102 Saintes, 2018, pp. 3, 4, 19.







    Marie-Josée Desvignes





    MARIE-JOSÉE DESVIGNES


    Marie-Josée Desvignes (1)
    Source




    ■ Marie-Josée Desvignes
    sur Terres de femmes

    [au-dessus du vide] (extrait de Requiem)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Alcyone)
    la page de l’éditeur sur Langue interdite, langue a-mère
    → (sur La Cause Littéraire)
    une fiche bio-bibliographique sur Marie-Josée Desvignes





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  • Estelle Fenzy, Poèmes Western

    par Angèle Paoli

    Estelle Fenzy, Poèmes Western,
    Éditions LansKine, 2018.
    Photographie de couverture Bernard Plossu.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Bernard-Plossu-Western-Colors
    Source





    « LE BOUT DU VOYAGE »



    Les voyages se suivent et ne se ressemblent pas. Je voyage depuis mon atelier-moulin, sans beaucoup me déplacer. De la terrasse au tilleul, vers la terrasse à la treille. En très peu de temps, je passe de l’Irlande à l’Australie, de l’Australie à l’Amérique du Nord. D’un livre à l’autre. D’une écriture à l’autre. Chacune d’entre elles a ses spécificités. Aucune n’est neutre ni interchangeable. Chacune d’elles m’entraîne dans la relecture et dans l’écriture. Après Emmanuel Merle, Catherine Weinzaepflen et après Catherine W., Estelle Fenzy.

    Je découvre aujourd’hui les Poèmes Western d’Estelle Fenzy. Étroitement inspirés des Western Colors du photographe Bernard Plossu. Mis côte à côte, les deux intitulés forment un chiasme parfait. Pourtant, en y regardant de plus près, il me semble percevoir une nuance de sens entre le « western » antéposé de Bernard Plossu et le « western » postposé d’Estelle Fenzy. Dans le premier cas, « western » me paraît recouvrir le sens géographique d’Ouest ; de grand Ouest. Tandis que, dans le titre de la poète, le mot western évoque davantage, à mes yeux, le genre cinématographique. De fait, les poèmes d’Estelle Fenzy fusent comme autant de flashes sur la page. Les textes sont brefs, découpés en micro-paragraphes. La prose est resserrée ; aussi efficace qu’un déclencheur d’appareil photographique. Ou que la détente d’un colt à peine dégainé. Pas tout à fait pourtant. Chaque poème en effet réserve dans sa chute une interrogation, une remarque inattendue, qui ponctue l’ensemble d’une nuance sensible qui étreint. Ainsi du Desert Motel :

    « Si l’arbre le prend dans ses bras, sera-t-il moins seul. »

    Ou encore :

    « La disparition est une forme de salut. »

    Et plus loin :

    « Pour que la vie jamais ne renonce ».

    Tableaux d’une exposition, les petites proses défilent, qui drainent avec elles des paysages et des toponymes. Le voyage commence à Cape Cod, il se poursuit dans le Wisconsin, l’Arkansas… jusqu’aux frontières du Texas. On croise Santa Fe, on roule sur la Route 25, « direction El Paso »… Le voyage s’achève « vers Klamath Falls », après un passage par Zabriskie point :

    « Un endroit où il n’y a plus rien à prouver ».

    Autant de noms qui évoquent de longue mémoire les États-Unis, le Far West, le mythe américain qui tressaille en chacun de nous. D’autant plus que des noms de héros populaires viennent se superposer en ombres chinoises sur les décors d’asphalte et de yuccas. Buffalo Bill, Kit Carson, Jesse James. Le voyage s’étire. On traverse au passage des déserts et des solitudes noyées de brumes, des routes bordées de congères. On côtoie des abandons, carcasses de voitures et motels improbables, saisis dans leur isolement. Tout cela se déploie à l’infini. On suit le déroulé des poèmes comme l’on suit une piste, en se laissant porter par l’engourdissement de la route tout en captant au passage une image. Image qui ouvre sur un vaste horizon, qui ouvre sur des « espaces à écrire et rêver ». Ainsi en est-il pour le photographe, et pour la poète qui découvre ces photos. Parfois survient un homme ou une femme. Susannah Gun au surnom éloquent ou Peter et sa maison flottante. Peut-être un souvenir d’enfance. Un Peter Pan des glaces. Les tableaux succèdent aux tableaux. Comme autant de prises de vues fixées dans des paragraphes brefs. Tantôt observés de loin, comme au téléobjectif, tantôt zoomés du regard.

    « En contrebas de Washington Street, l’usine de Struthers est noyée de matin… Mais si l’on s’approche, ce n’est pas ainsi. On voit les ombres oubliées par la nuit. »

    Quelque chose pourtant résiste, que le jeu des focales ne parvient pas à tout à fait saisir :

    « Si l’on s’approche, quelles ténèbres à lire sur son visage. »

    Souvent, le brouillard camoufle les reliefs. Pas de profondeur de champ. La vision est floutée, les lignes d’horizon voilées, comme ici, dans ce paysage :

    « Le brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours. Ment les distances. »

    Ce que la photo suggère, le choix et l’agencement des mots le suggèrent également. Dans ses énumérations, Estelle Fenzy pratique avec art l’ellipse. Ici le sujet disparaît. Qui entraîne dans son sillage couleurs contours et distances. Ailleurs, les énumérations s’enchaînent dans une succession de phrases nominales construites sur une répétition anaphorique :

    « Cette rébellion de carcasses. Ce déploiement de métal. Ce cimetière à ciel ouvert. Cette nature qui abandonne. »

    La poète recherche l’efficacité. La promptitude d’une écriture qui s’apparente à celle de la prise de vue. À son côté immédiat. Punchy. Elle travaille donc à alléger les structures syntaxiques. Elle ne garde que l’essentiel, évite le superflu. Met l’accent sur un point focal qu’elle privilégie. Ainsi en est-il dans cet emboîtement de type ternaire :

    « La maison de Peter flotte sur le lac […]

    Elle flotte sur la neige. Qui flotte sur la glace. Qui flotte sur le lac. »

    Le style peut devenir télégraphique :

    « Voudrait quitter l’Alabama. Mourir ailleurs. »

    Parfois, à force de gommage et de brume, les éléments du décor se brouillent. On ne sait plus trop de quoi il est question au juste. De la maison ou de la camionnette. Le sujet principal est tellement éloigné qu’il en est presque hors champ, comme perdu de vue. La piste du texte se brouille qui laisse place à une impression dominante d’estompage. De fuite sans retour. D’absence faite pour durer.

    Ce qui s’insinue durablement dans tant de beauté impitoyable, c’est un sentiment de nostalgie et de presque douleur. Un monde a existé fait de violence de misère et de luttes. Des peuples ont coexisté dont ne subsistent que des traces perdues dans le désert et puis… quelques souvenirs.

    La poésie d’Estelle Fenzy est là pour dire l’effacement et l’indicible. Avec beaucoup de doigté… et une infinie tendresse.

    « C’est le bout du voyage ».

    Il est très beau, même si l’on y côtoie la mort.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Estelle Fenzy  Poèmes Western




    ESTELLE FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za] (poème extrait de Gueule noire)
    [Retrouver la neige](poème extrait de Poèmes Western)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Rêve silex] [extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur les Numériques)
    Rencontre avec Bernard Plossu et son western coloré





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  • Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux

    par Angèle Paoli

    Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux,
    éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « J’ATTENDRAI / LE TEMPS D’USURE / D’UN SAVON À L’AMBRE »



    De Sydney à Paris, Catherine Weinzaepflen écrit. Qu’elle soit en Australie, en France ou ailleurs, les livres ne la quittent pas. L’écriture non plus. Son dernier ouvrage en date est une suite de poèmes rassemblés sous le titre Le Rrawrr des corbeaux. En tout, 66 poèmes numérotés (en lettres majuscules et sans traits d’union entre les numéraux composés) auxquels viennent s’ajouter douze autres textes non numérotés, lesquels se glissent entre les pages. Étrange composition. Étrange contrepoint. Qui interroge et qui engendre une lecture à double entrée. La première en suivant, page après page, l’ordre d’occurrence des textes dans la suite composée par la poète. La seconde en récurrence, en commençant par la fin de l’ouvrage, c’est-à dire en consultant les deux ultimes pages portant l’intitulé :

    « Catherine Weinzaepflen avec : »

    Suit une liste de noms de poètes, écrivains et artistes, connus ou non du lecteur, chacun mis en correspondance avec un ou parfois plusieurs nombres. À partir de cette « table » d’un genre particulier tout s’éclaire. Le lecteur comprend que chaque poème s’inscrit dans un dialogue de la poète avec l’autre, lequel est quelquefois nommé dans le poème (Walt Whitman, Tim Winton, Reznikoff) ou dont on peut aussi saisir la présence à travers mots ou initiales (M.D.). L’autre : un tremplin pour l’écriture.

    L’écrivain ne part jamais de rien et l’écriture qui est la sienne se fait in praesentia des autres ; même si cette présence — et c’est ici le cas — semble partiellement cryptée pour le lecteur. La voix de Catherine Weinzaepflen entre en symbiose avec la voix de ceux ou de celles qui sont convoqués sur la scène d’écriture du livre. Jusqu’à se confondre. Parfois certains signes — titres, citations et initiales, allusions explicites — facilitent l’identification de l’autre. Ainsi du poème CINQUANTE QUATRE :

    « j’écoutais ce matin

    la voix de M.D.

    ici à Sydney

    la lumière d’un jour

    d’hiver ensoleillé

    Marguerite balayant ainsi

    une nuit de cauchemars

    […]

    il y a des tas de régions

    en toi

    qui se mettent à nu,

    disait-elle à son acteur

    et j’aime qu’elle dise région »

    Mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que le poème ne se livre pas. Il garde alors son entier mystère. Quant à la poète, elle entre en symbiose avec les auteurs poètes et artistes qu’elle affectionne et qui structurent de longue date sa vie intellectuelle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une composition métissée, tableau ou suite narrative dans laquelle Catherine Weizaepflen se dévoile en dévoilant ses propres goûts littéraires, artistiques ainsi que sa sensibilité politique. Dominent dans ce panorama qu’elle nous offre de son arrière-pays culturel les auteurs australiens et anglo-saxons. Artistes et auteurs français sont aussi bien représentés. Je m’étonne de la présence solitaire de l’Allemand Friedrich Hölderlin, de celle, singulière, de la Japonaise Sei Shônagon. Et je remarque le trio italien représenté par Andrea Zanzotto, Erri De Luca et Dante Alighieri. Je ne suis cependant pas surprise de l’absence de la poète allemande Ingeborg Bachmann. Qui a déjà fait à elle seule l’objet de tout un ouvrage, intitulé Avec Ingeborg. Il est donc possible d’imaginer que Le Rrawrr des corbeaux est un prolongement de ce précédent ouvrage.

    Le titre de cette suite a de quoi inquiéter. Les corbeaux sont désignés par leur cri, « le rrawrr », onomatopée brute, sauvage (raw) et noire qui insiste sur le roulement des « r » et contient en miroir le mot war. Dès la première page (UN), la présence inquiétante des oiseaux est avérée. En nombre : « les corbeaux prolifèrent ».

    Les corbeaux se manifestent aussi dans les poèmes. Mais par intermittence. Annonciateurs de mort. Ils surgissent au travers des violences, dont les injustices et les désespoirs préparent le terrain. Ainsi du poème HUIT qui prend appui sur la colère de Jean-Jacques Viton :

    « les expulseurs les banquiers les politiques

    ça suffit maintenant ça suffit »

    et la poète d’enchaîner avec ses mots :

    « back home

    loin du Pacifique

    loin du bush aux fleurs minuscules

    le bush peuplé de mille oiseaux

    j’entends la voix de mon ami

    sa formidable colère

    ils disent nouveau gouvernement

    et je pense Fuck off

    alors où comment

    une autre vie

    tout est si désespéré mon ami »

    Viennent les attentats et les guerres. Gaza 2014 où « les enfants meurent déchiquetés / par les bombes ». Ou encore, en ONZE (Frank Smith), les strophes qui s’agencent autour de l’attentat du 7.01.2015 :

    « la scène qui annihile toute pensée :

    dans une pièce de 25 m2

    l’assassinat de 10 personnes

    à l’arme de guerre »

    Pour Catherine Weinzaepflen

    « la date retenue

    sera le 11.01.2015

    un million de personnes dans la rue… »

    La poésie de Catherine Weinzaepflen s’empare de ce qui fait le quotidien de C.W., où domine l’anglais, et celui des personnes avec qui elle fraternise. Celle-ci évoque ce quotidien sans pathos, soucieuse de coller au plus près au réel et de ne pas le perturber par ses propres réactions. Ainsi du poème SIX (qui ne fait référence ni allusion à aucun poète ou artiste) qui brosse dans un décor de guerre, de manière sèche et concise, une scène d’intimidation au pistolet, de mise en joue vécue en direct par la poète :

    « nuit

    ville en ruine

    noir

    tout est noir

    jellabas noires

    visages noirs

    les tueurs patrouillent

    […]

    deux tient un pistolet

    dans chaque main

    […]

    soudain des cris

    une agitation

    les tueurs partent en courant

    nous ne sommes pas morts »

    D’autres cruautés surgissent au détour d’une page. Ainsi de cette scène d’émasculation en Inde d’enfants offerts à la Divinité :

    « le médecin

    muni de machettes

    émascule le jeune garçon

    l’aura fait manger et dormir

    avant de le castrer »

    [DIX HUIT, Roberto Bolaño]

    L’économie des notations et l’absence de lyrisme qui caractérisent l’écriture de Catherine Weinzaepflen ne sont cependant pas synonymes de froideur. Ici ou là transparaît la trace d’une émotion. Souvent en lien avec le rêve. Ainsi d’Anna Torres dont, en DIX SEPT, elle clôt l’évocation par ces mots :

    « elle s’est tuée un jour d’août

    pendue

    je rêve parfois d’elle ».

    De même dans le poème TROIS, consacré à Sylvia Plath qui se conclut ainsi :

    « de mon côté

    dans la nuit noire sans lune de Sydney

    je caresse le souvenir d’eux »

    Eux : Sylvia / Assia (seconde épouse de Ted Hughes) / Shura (demi-sœur de Frieda qu’Assia tua avec elle / Nicholas, fils de Sylvia.

    Ailleurs, dans les poèmes qui ne renvoient à aucun artiste ou écrivain particulier, la poète évoque sa jeunesse. Ainsi du poème SOIXANTE TROIS. Un brin de nostalgie transparaît, lisible grâce à la disposition des mots sur la page :

    « nous étions jeunes

    et nous nous aimions

         follement

    […]

    mes plus belles années ?

    (pensée excessive sûrement) »

    Si les corbeaux, quelle que soit la forme que prend leur présence, sont à l’œuvre dans la poésie de Catherine Weinzaepflen, il demeure quelques trouées de lumière : « une sauterelle / venue d’on ne sait où » ; la « perfection d’un matin d’été ».

    Et ces quatre vers qui se détachent de DIX :

    « la pureté du matin

    un monde simple

    terrasse blanche

    sous un toit de canisses ».

    Ainsi, au milieu de tragédies devenues la norme, le bonheur se manifeste-t-il encore parfois, ténu mais présent malgré tout :

    « le bonheur

    advient

    par bribes ».

    Et la poète de conclure sa suite poétique par cet aveu singulier et intime :

    « j’attendrai

    le temps d’usure

    d’un savon à l’ambre ».

    Trois vers qui à eux seuls suffisent à susciter le désir d’une relecture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Catherine Weinzaepflen  Le Rrawrr des corbeaux




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine Weinzaepflen
    Source




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi (+ un extrait du roman Orpiment de Catherine Weinzaepflen)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Le Rrawrr des corbeaux





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  • Emmanuel Merle, Tourbe

    par Angèle Paoli

    Emmanuel Merle, Tourbe,
    éditions Alidades, Collection Création, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « IL Y A AUSSI UNE BARQUE »



    Si le titre monosyllabique Tourbe ne laisse rien pressentir de l’univers vers lequel veut nous conduire Emmanuel Merle, l’exergue, lui, est plus explicite. Empruntés au prix Nobel de poésie Seamus Heaney, les trois vers de Creuser qui le composent, évoquent « la terre remuée » et « la tourbe détrempée » d’un paysage auquel le poète irlandais nous a accoutumés.

    Composé de trois volets, le recueil d’Emmanuel Merle forme un triptyque. C’est d’abord « La longue marche », lente composition poétique en italiques qui inscrit le poème dans le passé ; vient ensuite le volet intermédiaire « L’île des morts », poème onirique. Intitulé « Reste la terre », le troisième volet inscrit le poète dans le temps présent de son voyage.

    Quelques lignes d’ouverture situent le contexte historique dans lequel s’inscrit Tourbe. La grande famine qui a meurtri l’Irlande du XIXe siècle et l’exode qui s’est ensuivi. Il reste, là-bas, de la longue marche tragique, une stèle en pierre en forme de croix. Les mots choisis par le poète pour évoquer cette tragédie de l’autre siècle éveillent en nous, lecteurs, comme un écho en demi-teinte, les images des tragédies d’aujourd’hui, non pas encore réduites à l’état de souvenirs incertains, mais terriblement vivantes, brûlantes et angoissantes. Longues errances de populations affamées, malmenées, épuisées. Ainsi, d’une époque à une autre se perpétuent les exils, qui jalonnent l’histoire en files interminables de morts anonymes. Seuls diffèrent les cieux et les eaux. Dans la lointaine Irlande, les eaux miroitantes du lac Doo Lough, dans le comté de Mayo, gardent en mémoire les noms de ceux qui périrent affamés sur ses rives.

    La longue marche, telle que l’évoque le poète, s’inscrit sur « l’horizon ». Et l’horizon se décline avec le temps. Ensemble ils tissent un décor « déjà peint », une trame d’où surgissent parfois les oiseaux. C’est au commencement, dans quelque chose comme « un avant-dire ». Dans cet espace pourrait s’instaurer un dialogue. C’est aussi dans cet espace qu’apparaît soudain un « Je ». Ce « je » anonymisé a pourtant une histoire. Un passé et un père. C’est avec ce « je » que débute la marche. « Je pars » / « Je rejoins ». Il entraîne à ses côtés d’autres hommes :

    « Nous partons le dos à la nuit, drossés

    vers l’ouest ».

    Partir, c’est se départir de. Se défaire de. Et laisser derrière soi. C’est abandonner une part de soi et ne garder que l’essentiel.

    « Je pars sans emporter la terre,

    juste le bruit sourd des coups de pioche,

    la rugosité de la pelle sur les pierres. »

    Ne rien emporter. Se défaire. Peut-être pour ne pas alourdir la marche, peut-être aussi pour garder l’esprit en éveil. Pour permettre au marcheur d’accueillir ce que le monde recèle de part secrète, sa rumeur invisible, cachée dans les arbres ; son clignotement d’étoiles « froides » :

    « …et nous sommes partis,

    attentifs aux esprits des pierres

    et des arbres croisés. »

    Le temps rythme la marche et l’accompagne. Vient d’abord le temps cosmique, comme celui de la Genèse. Puis s’instaure un ordre. Il y a un avant, il y a un après. Un seuil qu’il faut franchir, espace et temps. Le seuil est délimité par la « porte cochère ». D’un côté la « cour intérieure », de l’autre « l’autre monde », « la terre foraine ». « Je passe la porte cochère » et le monde qui surgit est « une plaine désarbrée », plantée de « pierres échevelées ». Peut-être des humains que l’histoire a figés dans la terre. Avec le départ et l’exil, il a fallu abandonner son nom :

    « Nous sommes partis,

    nos noms sont restés en arrière ».

    Quelque chose de poignant étreint, qui suit le lecteur dans sa propre pérégrination à travers le poème. Dans la simplicité naturelle des notations qui en précisent les contours, le poème déroule sous nos yeux ses étapes. Le voyage s’étire jusqu’au soir, dans l’obscurité du ciel et de la Terre, avec ses attentes, ses visages, ses lucioles. Le monde se réduit à un tremblé de sensations, «  filament tiède », « chuchotis d’insectes ». Pourtant les corps sont lourds et recrus de fatigue. Et les morts jalonnent la route. La montagne soudain s’anime. Dans son humanité, elle accueille la solitude du marcheur. Son empathie avec lui passe par le langage. De leur connivence naît la définition de ce qui se joue dans ce déplacement éprouvant et dans ce qui se joue ici, dans le récit poétique qui le narre :

    « C’est une longue phrase, ta marche,

    Un mantra sur la roche gravée, sur les os

    brisés qui fouillent l’air

    et demandent ton nom. »

    Est-ce toujours du marcheur anonyme qu’il est question ou bien du poète lui-même, absorbé à son tour dans cet anonymat et dans ses interrogations ?

    Plus loin, plus avant dans le poème, surviennent les enfants tout à leurs jeux « au rebord des ravins. » Plus loin encore « un chien de rencontre » fait son apparition. Mais la marche devient fuite. Dérive des hommes peuplée d’inquiétude. Il faut poursuivre et peut-être laisser un peu de part au rêve. Par trois fois convoqué :

    « Nous irons encore au bois,

    le vrai lieu, le seul, habillé par l’enfance

    et par l’être du monde

    […]

    Nous irons au bois, je le promets

    […]

    Nous irons au bois vibrant. »

    L’enfance ? C’est dans le regard que l’on porte sur elle que se trouve la réponse à l’exil. C’est peut-être en elle qu’il faut puiser pour résister à l’enlisement. Car les « terres gastes et veuves » guettent le marcheur, prêtes à l’engloutir s’il n’y prend garde :

    « Marcher n’est rien, mais s’enfoncer.

    La terre baveuse suce tes chevilles

    tu es là où tu ne dois pas être. »

    Est-ce toujours du marcheur anonyme qu’il est question ici ou bien du poète lui-même qui l’a rejoint dans son exil ? Ou bien de chacun de nous ? Réduit à des « ombres passantes », vidées de leur être et de leurs affects ?

    « Je n’appartiens plus qu’à mon pas », confie le marcheur.

    Au terme de cette « longue marche » poétique, émouvante et belle, presque lancinante tant elle habite la lecture, le marcheur —  mais est-ce encore lui — parvient à « L’île des morts. » On pense bien sûr tout aussitôt à Arnold Böcklin, à la barque lente qui fend l’eau froide, au rivage sombre qui se rapproche. On entre dans le monde onirique dans lequel coexistent dans un temps très resserré des actions contraires. Comme dans ces tercets : « La pâte visqueuse… ralentit mon pas » … / « la barque des mots s’enfonce… j’écope ».

    Le poème qui constitue cette seconde partie est d’une facture toute différente. Avec la disparition des italiques, des majuscules et de la ponctuation, toute forme de lyrisme s’est estompée. Strophes et vers sont brefs — parfois réduits à un seul mot. Mise à part une strophe de six vers, le poème déroule ses tercets avec des termes en échos au volet précédent. Le sol est bien cette « pâte visqueuse, spongieuse » dans laquelle la barque s’englue. « Tourbe » et « pourriture », « succion » et « embourbement » caractérisent encore la terre insulaire. Mais la mort accompagne désormais le marcheur, pris entre dérive de l’île, cercueil et linceul. La mort de l’île elle-même est proche, qui bascule dans l’errance. La vision funèbre gagne qui enveloppe tout de sa présence. Elle se précise avec son lot de formes inquiétantes noyées dans un paysage de brume tourbeuse qui envahit jusqu’au corps du voyageur :

    « mon corps est tourbeux

    gonflé des serpents

    ont remplacé mes entrailles

    mes os de balsa humide

    se désagrègent ».

    Que reste-t-il au terme de l’errance ? « Reste la terre », troisième et dernier volet du recueil. Une terre aux noms étranges qui en évoquent d’autres plus anciens, comme flottants dans la mémoire. Achill, Aran. « Moher, Troie éternelle ».

    Est-ce toujours la terre d’Irlande ? Les frontières se brouillent. Dans les cieux se mélangent horizons et cultures. Ainsi dans ces deux vers :

    « On dirait le royaume des morts, le septentrion

    d’un Ulysse égaré, waste land sans paroles. »

    Outre le patronyme de T.S. Eliot, d’autres noms plus conformes à la langue celtique nous confirment que oui, c’est bien de l’Irlande qu’il s’agit. Le poète déambule d’une région à l’autre, d’une île à l’autre, présent au ciel qui l’emplit et qui pourrait devenir sien :

    « Le ciel d’Irlande, enroché par endroits,

    où tu pourrais habiter la lumière… ».

    Il voyage à travers temps et espace, renoue avec la vie, la sienne et celle de tous ceux qui ont bataillé sur ces terres rugueuses. Bordées de falaises noires battues par les vagues et hérissées de tours. C’est l’Irlande du poète qui reprend pied dans la glèbe sombre et reprend souffle avec l’espace. Les strophes se suivent qui deviennent plus amples. Le poème respire.

    « C’est l’aube du monde ».

    Et c’est toujours la même terre gorgée d’eau et de silence. Peuplée d’idéogrammes gravés dans les pierres. « Que reste-t-il ? » Un « avant-paysage » qui glisse ses couleurs entre le poète et sa langue. Un très beau poème qui se clôt sobrement et mystérieusement sur ces quelques mots :

    « Il y a aussi une barque ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Merle  Tourbes 4






    EMMANUEL MERLE


    Vignette Emmanuel Merle






    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages (chronique de Sylvie Fabre G. sur Tourbe)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle





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  • Estelle Fenzy | [Retrouver la neige]




    [RETROUVER LA NEIGE]



    Retrouver la neige.
    C’est elle qui dépasse. Barre la route.

    Les Rocheuses : une armée de chutes d’eau. De forêts, de glaciers. Une attaque.

    Battre en retraite face à l’aplomb du blanc.




    À perte de vue, des brindilles séchées par le gel. Jaillies de la neige.

    À perte de vue, l’ourlet délicat d’un alignement d’empreintes. Le félin a soulevé haut chaque patte.
    Lutté avec le poids du corps.

    Ses traces profondes, encore sauvées du vent, disent qu’il n’est pas loin. Pourquoi les suivre.

    La disparition est une forme de salut.




    Les pompes à essence attendent. Patientes sous les néons. L’asphalte bleuit.

    Un cimetière à flanc de colline surplombe la station service. C’est comme un mouvement.

    Comme un abandon. Une rencontre de poème.

    Un lieu plein d’âmes, sans force contre la dureté du froid.




    Estelle Fenzy, Poèmes Western, Éditions LansKine, 2018, pp. 20-22. Photographie de couverture Bernard Plossu.






    Estelle Fenzy  Poèmes Western




    ESTELLE FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    Man’za (poème extrait de Gueule noire)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Rêve silex] [poème extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Ce qui reste)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur la revue en ligne Possibles, nouvelle série n° 3, décembre 2015)
    une page sur Estelle Fenzy
    → (sur Terre à ciel)
    cinq poèmes d’Estelle Fenzy





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  • Sanda Voïca, Trajectoire déroutée

    par Murielle Compère-Demarcy

    Sanda Voïca, Trajectoire déroutée,
    éditions LansKine, 2018.



    Lecture de Murielle Compère-Demarcy




    Dans les poèmes de Sanda Voïca résonne — irrévocablement, « asymptotiquement » — une Voix. Voïca Sanda : vox poetica.

    Les mots surgissent, points asymptotiques vers la courbe inaccessible. Résurgence d’une douleur intérieure submergeant la mère-poète en 2015 à la perte de sa jeune fille de 21 ans. Mère-poète écrivant son chaos finalement (heureusement pour nous), hors du lit du silence-sirène qui tend souvent les nasses de son chant, aux nageurs/radeaux/brins scintillants que nous sommes, opiniâtres errants de l’absurdité du vivre. Pour tenter de les entraîner vers l’abîme de folie où le cœur parfois trouve sa raison de survivre.

    Mais la mère-poète reconquiert raison de vivre. Poussant depuis le rien sa « tête vive » hors de la fenêtre qui n’était plus qu’elle-même, ouverte sur le vide, « son squelette récent », son squelette survivant à l’avidité du vivre

    « Crépitement montant de la journée

    qui dévalise.

    Ogresse, elle.

    Moi aussi ogresse.

    Qui mangera qui ? ».

    Le corps, effrité, dans le délitement de tout son être à la perte de « la fille disparue », qui vient posséder le corps et l’esprit maternel pour s’y réincarner, pour être de nouveau portée par la mère, se reconstruit rose inerme d’où repousser un cœur-fossile, cœlacanthe vivant.

    La mère renaît dans une nouvelle espèce panchronique de son être, « la fille disparue » réintégrée dans sa chair son souffle, mère de sa fille éteinte et fille de sa fille. Toutes deux revenues de la disparition de l’une d’elles pour ressurgir autre et deux en une, mère-fille, ombilic renoué.

    « La fille disparue » est comme une apparition après sa disparition brutale, dont la mère nourricière, dépossédée, figurée de manière métonymique par un « pis », allaite la mort au breuvage du jour éprouvant/incessant où retrouver source. Dans l’absence. Du puits perdu. Dans le hurlement d’éclore retenu par les lèvres arrachées à leur monde, ce cosmos symbiotique de l’enfant-mère relié par la respiration ininterrompue d’un même souffle.

    Comment dire, comment écrire l’oraison sans sombrer dans la parole funèbre, sans se pencher dangereusement sur les reflets d’une noyade hallucinante, à fleur de la brèche subitement ouverte dans le corps de la mère déchirée ? Comment pouvoir continuer d’articuler le monde, de formuler le langage immergé dans la douleur innommable d’avoir perdu son enfant, sans que le sens des courants du vivre ne vous « abyme » ?

    « Quel cri avant

    quel cri après ? »

    Comment retrouver la « trajectoire » en route depuis la blessure originelle, le cri primal, jusqu’à l’engouffrement, la perte fatale, sans perdre trace du monde autour, trace de soi-même égaré dans un monde devenu sans miroir depuis la séparation d’avec son enfant ? Comment ne pas chuter dans la totalité sidérante de son tremblement d’être ?

    « que penser de celle qui flambe

    après la fille qui a flambé ?

    Qui peut le penser ?

    Qui pourra les penser

    dans le même contour

    dans le même découpage-dépeçage ? ».

    LA réponse s’énonce/se formalise/se vocalise dans la possibilité de son rebond face à l’intarissable appel de la vie, dans le désir ardent de l’Écrire. La douleur capitale rassemble le cœur de l’être effrité dans l’appel et dans l’éblouissement d’une parole-balise recadrant la trajectoire par sa digue poétique. Poésie garde-fou où relever de nouvelles lignes

    « La justesse du regard tombé

    dans un nouveau filet ».

    La mère-poète recommence de zéro son ascension du Vivre, femme-Sisyphe, toujours asymptotiquement, sa fille réarticulée en sa parole poétique :

    « L’AU-DELÀ DE TOUT TREMBLEMENT. »



    Murielle Compère-Demarcy
    D.R. ©Murielle Compère-Demarcy (M©Dĕm)
    pour Terres de femmes








    Sanda Voica 2




    SANDA VOÏCA


    Sanda-bio
    Source




    ■ Sanda Voïca
    sur Terres de femmes

    [Que faire de la fille partie ?] (poème extrait de Trajectoire déroutée)
    une lecture d’Épopopoèmémés par AP
    Les Maîtres et les Autres (poème extrait d’Épopopoèmémés)
    La rose inerme (poème extrait d’Exils de mon exil)



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Levure Littéraire)
    une notice bio-bibliographique sur Sanda Voïca
    Paysages écrits, le site de la revue de Sanda Voïca & Samuel Dudouit
    → (sur le site des éditions LansKine)
    Paysages écrits, la fiche de l’éditeur sur Trajectoire déroutée
    → (sur le site des Découvreurs | éditions LD)
    Paysages écrits, une lecture de Trajectoire déroutée par Georges Guillain
    Sanda Voïca sur Radio Libertaire (émission Bibliomanie : dialogue avec Valère-Marie Marchand – jeudi 8 novembre 2018)





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