Étiquette : 2019


  • Rosanna Warren | Scat




    SCAT



    Coyotes yodel along the ridge at night in bacchanals.
    Smashed starlight litters the snow.
    Wind hones the mountain’s silhouette
    to a dark blade. Streams wrestle
    in the shoulder-lock of ice: held hard above,
    below the waist thawed, kicking loose, mindling the gleam
    of thighs.
    Like a crazed jeweler, the sky flings out
    its scatter of stars. Our dreams are plural,
    we guard each other’s heat all night under a mound
    of blankets, half-deafened by waters.
    By day, we examine the relics:
    coyote scat, small bear tracks, and the gray, dry stogie
    of an owl pellet: coughed up, burlap-textured, prickly
    with bits of hair and bone, the indigestibles.






    SCAT



    Bacchanales nocturnes des coyotes qui iodlent le long de la crête.
    Pulvérisée, la lumière des étoiles jonche la neige.
    Le vent affûte l’ombre de la montagne
    en lames noires. Les courants luttent corps
    à corps avec les blocs de glace : tenus forts
    sous la ceinture du dégel, ils se débattent, cuisses luisantes.
    Comme un joaillier fou, le ciel disperse ses étoiles
    aux quatre vents. Nos rêves se démultiplient,
    on retient la chaleur toute la nuit sous un tas
    de couvertures, à moitiés assourdis par les torrents.
    De jour, on examine les reliques :
    excréments de coyote, traces d’ours, et la boulette grise et
    desséchée
    qu’une chouette a régurgitée : texture de toile, épineuse,
    poils et bouts d’os, toute la matière indigeste.





    Rosanna Warren, Ghost in a red hat, 2011 [« Fantôme au chapeau rouge »] in De notre vivant, édition bilingue, Collection Ecri(peind)re, Æncrages & Co, 2019, s. f. Traduit de l’américain par Aude Pivin. Gravures de Peter H . Begley.





    Rosanna Warren  De notre vivant





    ROSANNA WARREN


    Rosanna-warren NB
    Source



    ■ Rosanna Warren
    sur Terres de femmes

    Travel (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Poetry Foundation)
    le poème “Mediterranean” dit par Rosanna Warren





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Olivier Rolin | [Le jardin du Luxembourg, centre de mon zodiaque]




    Jardin du Luxembourg
    Source







    [LE JARDIN DU LUXEMBOURG, CENTRE DE MON ZODIAQUE]



    Toutes les saisons tournent autour du bassin du Luxembourg, celles de l’année et celles de la vie, c’est mon étoile polaire, mon horloge astronomique, le centre de mon zodiaque.

    […]

    Les arbres se teignent à l’automne des couleurs du raisin mûr, les coups de vent en lèvent des vols d’étincelles, la course des nuages fait défiler, dans les flaques laissées par l’averse, comme un ciel souterrain étendu au-dessus d’un autre monde, peut-être meilleur, vu à travers des échancrures de la terre. Une goutte d’eau scintille au bout d’une tige et de ce petit diamant liquide jaillit, inopiné, le souvenir des lignes d’Autres rivages où Nabokov relate comment « son premier poème fusa » à la vue d’une goutte roulant le long d’une feuille de tilleul – et il y a dans cet épisode un peu de l’assurance ostentatoire de son génie qui rend parfois Nabokov irritant (au fait, et sa demeure ?). Une fille en jupe rouge, cuissardes noires, blouson noir, lunettes noires, cheveux noirs avec un crayon vert planté dedans, pianote d’un ongle précis sur son téléphone noir. Les marrons jonchent le sol, petits galets d’acajou poli dont on ne peut se retenir de fourrer un ou deux en poche, avec tous leurs relents d’enfance (mon unique voyage, avec mes parents, aux « châteaux de la Loire »), bogues éclatées, charnues, à l’intérieur d’un blanc satiné. Souvenirs d’enfance, encore, les feuilles de platane qui crissent sous les pieds comme si l’on foulait une très mince pellicule de glace (tandis que celles des tilleuls, jaune acide et gris perle, duvetées, forment un tapis moelleux), et qui rappellent celles qu’on nous faisait dessiner à l’école, il y a une immensité de temps. Les parfaits palmiers sont encore là (bientôt on les rentrera, avec les orangers devants lesquels pose une Japonaise aux jambes Louis XV, en robe noire à col marin), leur ombre au sol dessine une gigantesque araignée (souvenir de L’Île mystérieuse). Sous l’un d’eux j’attendais, il n’y a pas si longtemps, une autre femme, russe, qui fut un amour violent et bref – « Tu me trouveras sous ce palmier, comme un chameau », lui avais-je dit, et souvent ensuite je signais mes messages d’une icône de chameau (de dromadaire, en fait). L’été au Luxembourg est érotique. Robes légères, dont l’ourlet (ô Baudelaire !) bat mollement des jambes bronzées, maillots découvrant des bras fins, shorts minuscules, soutiens-gorge sous la mousseline, seins entr’aperçus, fines sandales, tennis. Multiple crissement des pas sur le gravier. Japonaises à petits chapeaux, à ombrelles, queues-de-cheval, jambes pâles, pépiant. Cheveux qui volent, dansent sur les épaules, relevés sur la nuque, dont une mèche retombe… Taches de rousseur… Seigneur… Toutes les langues du monde tournent et se mélangent autour du bassin, dans un poudroiement de poussière dorée, se nouent un bref moment et se dénouent. Toutes les langues que j’aime à l’égal de la mienne, qui sont les voix multiples du monde, que j’aimerais tant parler comme je parle la mienne.




    Olivier Rolin, Extérieur monde, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2019, pp. 111-114.





    Olivier Rolin  Extérieur monde 2





    OLIVIER ROLIN


    Olivier Rolin NB
    Source.
    Ph. Isabelle Rimbert. Tous droits réservés.





    ■ Olivier Rolin
    sur Terres de femmes


    Extérieur monde (une lecture de Bernadette Engel-Roux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur En attendant Nadeau)
    « Portrait de l’artiste en globe terrestre » (une lecture d’Extérieur monde, par Norbert Czarny





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Béatrice Libert | [Peut-être est-ce dans l’arbre ?]




    [PEUT-ÊTRE EST-CE DANS L’ARBRE ?]



    Peut-être est-ce dans l’arbre
    Que naissent les silences
    Et les automnes lisses de fruits ?

    Peut-être est-ce à ses pieds
    Que le temps prend vie

    Auprès des chiens esseulés
    Ou de la vigne légère ?

    Qui nous dira alors
    À quel feuillage confier
    Le présent et notre soif

    Quand le vent tourne
    Autour des lampes mortes ?





    Béatrice Libert, Un arbre nous habite, Atelier du Grand Tétras, 2019, pp. 24-25. Photographies de Laurence Toussaint.





    Béatrice Libert  Un arbre nous habite





    BÉATRICE LIBERT


    Beatrice Libert
    Source




    ■ Béatrice Libert
    sur Terres de femmes


    Chansonnier : arbre lyrique (extrait d’Arbracadabrants)
    [Il y a dans le vent qui passe]
    Nous traversons l’abîme (+ une notice bio-bibliographique)
    Très souvent
    [Les pierres et les mots] (extrait de Battre l’immense)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Attente
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Béatrice Libert (+ un extrait d’Être au monde)





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Dhainaut, Après

    par Isabelle Lévesque

    Pierre Dhainaut, Après,
    éditions L’herbe qui tremble, 2019.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Un adverbe suffit. Employé seul, sans précision temporelle ou géographique. Cet emploi absolu du mot « après » augure un événement déterminant, une bascule que les poèmes délivreront. Le texte qui suit les poèmes révèle cet événement : « Après, après une très longue opération du cœur et une interminable convalescence… ». Il éclaire également le projet du livre : « j’ai rédigé ces notes comme si je me devais au préalable de revivre avec le langage l’épreuve douloureuse », le poète souligne qu’il a voulu « restituer ce qu’[il a] ressenti durant les premiers jours de [son] hospitalisation ».

    L’« après » est donc double : le livre suit une épreuve à l’hôpital mais il renoue aussi avec la grande question sur ce qui va venir « après » cette période chargée d’« angoisse » et d’« effroi ». Ainsi les textes sont-ils tous au présent ou au futur, à l’exception d’un poème tourné vers l’enfance.

    Au lieu de partir de mots donnés conduits jusqu’au poème, cette fois le poète s’appuie sur des souvenirs de moments très récents. L’écriture initiale se rapproche donc davantage de celle des notes en prose de Pierre Dhainaut que de ses poèmes. Et le poète de s’interroger : s’agit-il de poèmes ou de notes ?

    Pour nous, aucun doute, ce sont bien des poèmes. Comme souvent chez Pierre Dhainaut, l’organisation de l’ensemble repose sur des nombres : quatre sections de sept poèmes, dont les deux centrales n’en forment qu’une : « Cela » I et II (chaque texte comportant onze vers).

    L’état de santé a nécessité le passage douloureux par les chambres, où « on est seul » et par les soins. Un autre adverbe en deux syllabes, « ici », répond à celui du titre et déplace le champ envisagé. Le lieu, devenu terrain de souffrance, confronte à soi dans l’enfermement. Il n’est pas d’ordre spatial simplement, il a lieu en soi, par la confrontation avec soi-même qu’imposent l’état de grande fragilité et « le fatras de visions noires » : « Voir de face » est le titre de la première section.

    Les deux premiers poèmes opposent « ici » et « dehors ». Pourtant l’espace extérieur est contaminé par la saison d’hiver qui approche et gagne le mouvement, perçu descendant comme les visages qui ont disparu pour des « mains […] qui se sont lassées de ramener le drap / sur la poitrine ». Dès lors, comment trouver souffle en un hôpital où l’humanité s’est réduite, puisque l’espace intérieur est pénétré par l’angoisse ? Par contagion, elle se dépose sur tout ce que le narrateur peut percevoir ? Chaque signe de lien et d’espérance s’est amenuisé, jusqu’à l’alliance, ôtée.

    Ce qui demeure de l’identité ? Le nom, le prénom, la date de naissance sur un bracelet qui rappelle celui des nouveau-nés. Ce rappel, comme une menace, ferait entendre la fin. Il faudrait, pour renouer la parole au vent, l’entendre simplement ou que les « nouvelles » portées par les brancardiers s’ouvrent à la vie telle que les poèmes la font surgir.

    Les éléments descriptifs et noms précis qui jalonnent le poème font percevoir quelqu’un d’autre : le poète des souffles et de la renaissance par les poèmes, réduit à l’horizontalité, ne peut que mesurer la distance minime qui le sépare alors de la disparition. Nous entendons sa voix meurtrie, près de l’abîme, lorsque « ceux qui connaissent le chemin » le mènent vers le bloc-opératoire. Pour mesurer le temps, plus de montre, il faut compter les portes franchies, « signalées par un voyant rouge », qui n’ouvrent sur rien qu’une salle où le corps sera livré à des mains habiles et inconnues.

    Il lui manque un « visage » : ce mot semble une clef. Il appelle la « confiance ». L’interruption condamne, le mot « fin » ne peut être appliqué à la phrase, au vers, au poème sans le condamner au mutisme. Les lecteurs de Pierre Dhainaut savent que le poème et la vie ne peuvent être qu’inachevés. Sans cesse le poète ranimera ce qui pourrait s’éteindre et trouvera « comment poursuivre ». Alors des sensations viendront, rencontreront les seuils franchis : « la face d’un enfant qui admire / la neige brillante », le voilà le visage qui entre à son tour dans la chambre (et dans le poème) pour « s’offrir à l’inconnu / comme au très proche ».

    Par ce sésame s’ouvre la seconde porte du poème (« Cela I »). C’est la lutte : la respiration, le souffle entravés, le cœur pourrait cesser de battre. Deux longs mots se partagent le premier vers : « Étonnement, étouffement ». Il faudrait se concilier un souffle qui est l’âme et la flamme. L’effort de volonté, la force poétique de l’être se lient pour accroître la vie et la perception positive de ce qui a toujours nourri le poète.

    Les poèmes aux vers coupés de cette partie (l’acmé) concentrent les mots qui traduisent une alternance liée à la perception modifiée du « réveil » en « réanimation ». « [E]ntre les lits des paravents », entre les battements du cœur, les apnées où se perd l’identité même. Une voix monologue et s’efforce de dégager un sens même provisoire qui permettra à la conscience de maintenir la perception. Le futur n’est pas menaçant, il révèle le sens possible (« tu saisiras la trame ») pour que l’étoffe de la vie ne soit pas déchirée.

    Quatre syllabes pour y parvenir, en tête de poème : « Entendre, entendre ». À l’infinitif, sans limite temporelle, le verbe sera répété au même mode comme on reproduit un effort pour parvenir. Or, à cet effort, succède le mot « syllabes » comme l’on compterait des survivants parmi les ruines pour qu’un « visage » reparaisse.

    Le partage, limité aux « râles », devient tentative de réparation, de restauration d’un lien à la parole. Les notations spatiales, nombreuses, toutes liées au cadre de l’hôpital, seront des points d’appui, dérisoires et nécessaires (une pendule dont on ne sait si elle indique l’heure du jour ou de la nuit). Aiguilles polysémiques se liant aux paupières (le mouvement lent les attache) : la confiance et la fidélité vivront ensemble pour ouvrir le poème.

    Alors la troisième section du livre (« Cela II ») apportera une réponse temporelle au tourment : « la nuit de novembre » venue tôt devient ralliement à la parole par l’interrogation perpétuelle et renouvelée qu’elle réveille. Un nouvel octosyllabe se substitue au précédent, en tête de section : « Concentration, débordement ».

    Si l’interrogation l’accompagne, elle offre déjà une brèche dans l’indistinction des heures et dans l’insomnie criante qui rappelle à l’adulte l’enfant face à la tempête. Le secours viendra car si l’alliance fut ôtée, les temps peuvent se rejoindre. Entre les âges, rien n’est infranchissable. Les aquarelles de Caroline François Rubino figurent-elles ce passage : l’après tendu entre deux rives et l’éclosion possible d’un temps retrouvé pour la parole ? Elles n’élèvent pas des murs, elles ouvrent à l’élan qui sauve :

    « En attisant la foudre, / ils l’apaisent […] ».

    Le flux de la phrase ne sera pas entravé par le vers, chacun se poursuit sur le suivant, le poème s’accroît en naissant, il ne s’interrompt pas, le livre est une longue quête de restauration, traversée de la nuit à laquelle manque l’amer (l’arbre) que le poème peut incarner pour que le « consentement » redevienne l’appui du poème. Les mots « mort » et « neige » sont associés pour que l’un gagne l’autre comme une formule ouvrirait un monde.

    « Dire ensemble » sera la réponse, en dernière partie. Les vers s’allongent (on débute par un décasyllabe), marquent le temps du retour vers le foyer. Premier vers, premières fleurs, les « [r]oses trémières » pour l’alliance retrouvée. Le trajet n’est pour l’instant qu’envisagé. Des mots prononcés distinctement (« la source ») restaureront la confiance, malgré tout, comme si la parole plus forte que l’expérience venait substituer à l’épreuve la nécessité (heureuse) du poème. Elle ne peut être démentie. Prononcer restaure le sens. « [P]orte entrebâillée » : cette fois, elle est tout autre puisque le poème l’a en quelque sorte fécondée et que l’on peut « approfondir la scène, hors cadre ». Les adjectifs de couleur, multiples, auront pour vocation de faire renaître la présence réconciliée et le poème, le phénix et la flamme : alors les « lettres initiales » seront la « résurgence ». Au cœur du dernier poème, un autre adverbe : « toujours ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    __________________
    NOTE d’AP : la lecture ci-dessus est une version développée de la note de lecture parue dans la revue Europe n°1082-1083-1084.






    Pierre Dhainaut  Après





    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la page de l’éditeur consacrée à Après de Pierre Dhainaut




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Adeline Baldacchino, Jour 7




    JOUR 7



    Je ne vais pas sur la mer
    car il faudrait être la mer elle-même
    et je ne peux naviguer sur elle
    à tant vouloir m’y perdre
    je ne saurais plus flotter
    (liège éperdu de chair
    et d’os plus légers que l’air).

    Elle vient à moi
    l’île où tout se fait
    possible
    l’extrême instant
    figé dans l’aube
    fusionnelle
    comme un horizon.

    Je me radoube
    ou me consume
    c’est au choix
    je veux voir des agapanthes
    des papayers
    des choses qui font
    frémir.

    J’y suis maintenant
    comme installée
    passagère arrimée
    à bâbord
    tourbillons offerts
    à tribord
    indélogeable.

    Le temps n’a plus de prise
    sur le corps
    je vais de seconde en
    seconde
    goutte
    à
    goutte.

    Alors ce qui brise
    ce qui sature et qui suture
    cicatrices mal
    effacées
    contusions des mots
    des autres
    (n’importe plus).

    Rassemblée
    tout entière
    concentrée
    dans la force
    éparse
    je suis
    sur une île.





    Adeline Baldacchino, Atlantides in Théorie de l’émerveil, Les Hommes sans Épaules éditions, 2019, pp. 139-140. Postface de Christophe Dauphin.






    Adeline Baldacchino  Théorie de l'émerveil






    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
    Source





    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien d’Adeline Baldacchino avec Sabine Huynh (+ 7 poèmes inédits et une notice bio-bibliographique)





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Albertine Benedetto, Vider les lieux

    par Angèle Paoli

    Albertine Benedetto, Vider les lieux,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019.
    Dessins d’Hélène Baumel.



    Lecture d’Angèle Paoli




    UNE FURIEUSE ENVIE DE VIVRE




    Comment interpréter ce titre étrange, Vider les lieux, polysémique, un brin Janus bifrons au ton impérieux ? Comme une injonction à tirer un trait sur le passé ? Ou comme une injonction à ouvrir sur la vie à venir ? Une nécessaire place nette pour s’autoriser à aller de l’avant ? Ces interprétations sont sans doute simultanément possibles, liées l’une à l’autre. Se détacher est un passage inévitable, un apprentissage régulier sur la durée, en vue de la nuit ultime. Le regard de celle qui se tourne avec tendresse sur la disparition est celui de la poète Albertine Benedetto. Dans ce recueil paru en juin dernier aux éditions Al Manar, Vider les lieux, vie et mort se côtoient et se touchent, intimement mêlées. À la manière d’un effleurement, d’une caresse. Dédiés « à nos aimés », les poèmes du recueil sont accompagnement. Et générosité. Car quelle plus grande générosité que celle qui consiste à choisir de « conduire le deuil en procession de mots » ? La mort/les mots. La mort qu’il faut bien apprivoiser, les mots pour tenter de dire cette approche.

    Les poèmes progressent en trois temps. Lieux/Reliques/Je suis là. Multiples et divers sont les lieux. Quels qu’il soient, il faut prévoir de s’en libérer un jour. De s’en détacher. Lieux de l’enfance – le Glaizil –, à jamais disparus. La maison, le jardin. Il y a ceux qui ont le nom d’ailleurs, promenades et passages. Ceux-là que nous avons un jour effleurés de nos pas, de nos regards. Ces lieux-là ont des noms qui éveillent les souvenirs, mais la poète, dans sa discrétion, en suggère la quintessence mystérieuse plutôt qu’elle ne les enferme dans une trame précise.

    « Le mot cheval souffle doucement sur un pré

    quelque part

    un rideau a bougé

    au cadre d’une fenêtre qui regarde la rue

    on ne voit que des ombres

    passantes sur le pré

    des nuages flottent… » (Villa Adriana).

    La poète laisse ainsi éclore sur la page les images – les siennes – qui viennent se superposer aux miennes – Via Appia, Villa Adriana, Rome, Catacombes de San Callisto. Nos sensibilités s’y rejoignent.

    Que reste-t-il de ces passages ? Peu de choses. Des trouées de poussière, des éclats d’eau ; à la manière des dessins d’Hélène Baumel ; lambeaux de peau, bribes couchées sur la page, traces en

    « forme de récits

    sur des carnets

    illisibles ».

    Chemin faisant, dans cette exploration délicate, la poète se confronte à elle-même, à ce qu’elle fut enfant. Une promenade sur la Via Appia antica fait resurgir en elle le souvenir de la photo du manuel de latin de la classe de 4e. Celle des pins parasols bordant la voie jalonnée de tombeaux. Paysage inscrit dans une durée intemporelle qui habite les mémoires des collégiens qui, comme la poète, ont vécu une année scolaire ce manuel sous la main. En quelques strophes, avec une acuité concentrée et minutieuse, la poète ramène à la surface ce paysage de toujours qui inscrit la mort dans la vie des vivants. Présentes dans les fragments évoqués, les leçons du passé sont leçons pour le futur. Memento mori qu’accompagnent les questionnements :

    « nous les vivants

    descendus sous la terre nous cherchons

    comme un avant-goût des ténèbres

    comme un mode d’emploi ou quoi ? ».

    L’enfance, loin désormais, ne contient-elle pas en elle une ombre de mort ? Il plane pourtant dans les poèmes d’Albertine Benedetto quelque chose d’une enfance heureuse, ses jeux, ses mystères, ses secrets enfouis dans les recoins de la mémoire, qui soudain surgissent au hasard du temps, colorent de leurs images les gestes du quotidien. Quelque chose d’une fraîcheur enfantine non altérée demeure. Rires sous cape, espiègleries et insouciance :

    « Toujours l’enfance bondit

    de pierre en pierre dans le lit du torrent

    avale en grappes les chemins

    à la tombée du jour

    use la liberté et les fonds de culottes… ».

    L’âge adulte est autre. Est-ce la mort qui guette et qui dicte sa loi, dure loi qui conduit à quitter les lieux aimés ?

    Le lieu majeur est la maison. La maison et son jardin. C’est autour d’elle que se concentrent les rêves de jadis et que se nouent les énergies de la vie. Maison-écho de la cabane d’autrefois, maison protectrice et sûre, enveloppante. Mâtinée d’accents bachelardiens, la maison d’Albertine Benedetto tient à l’abri derrière ses murs ses meubles et sa déco. La poète n’est pas dupe, cependant, qui dit cette « protection dérisoire » et lit à même les objets. Lesquels sont autant de reliques (titre du second volet du recueil) avec lesquelles dialoguer. La vie accumule ses signes tout alentour. Chaque objet a sa place, qui forme avec les autres les reliques à venir, dépositaires d’une archéologie future. Les jeux de lumière dans les arbres du jardin ont à voir avec le temps. Ensemble, ils bâtissent un univers étanche où l’éternité de l’enfance, sa durée immobile, viennent se couler dans le présent fugace. Les maisons se confondent. Les pas toujours ramènent sur ce qui a été perdu, dont il reste si peu de traces. Des ombres dans une mémoire, à peine. Les mots seuls, malgré leur incomplétude, permettent de rassembler ce peu de sable qu’il reste, d’un temps défunt. La poésie murmure avec les ombres, échange en demi-teinte, tout de tendresse et en douceur. Destinés aux défunts, les mots ténus du poème leur font « un tombeau léger ».

    Mais la poète est là, qui rassemble autour d’elle ces menus riens qui ont façonné sa vie. Son caractère et sa personnalité. Veilleuse, ordonnatrice, solide et confiante. En affirmant sa présence – Je suis là – (titre du dernier volet), elle leur rend hommage, avec ses mots. Les mots, la poète sait comment en faire usage et quand. Elle sait comment les ranimer alors même qu’ils paraissent endormis. Au fond des tiroirs, au fond des poches. Les mots ordonnent, qui maintiennent vivantes les images emmagasinées dans la mémoire. La vie la mort se rejoignent dans le beau poème final. Les souvenirs coexistent. Celui de la mort des aimés – les parents que l’on cherche encore à tâtons dans leur chambre à coucher. Celui de la naissance :

    « Je me souviens du premier souffle

    cette expulsion

    hors des eaux primitives

    je me souviens

    de mon corps tambour sous les paumes du vent

    ma peau traversée par tous les souffles du monde

    je me souviens de ma vigueur… ».

    Peut-être la poète tient-elle de ce moment unique toute l’énergie qui est la sienne, cette force vitale qui la porte et qui irradie autour d’elle ?

    Derrière ce peu qui demeure demeure l’essentiel :

    « reste le trésor de l’enfance

    cette force d’amour à l’usage du temps

    une furieuse envie de vivre ».

    Reste aussi un très beau recueil.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Albertine Benedetto  Vider les lieux






    ALBERTINE BENEDETTO


    Albertine Benedetto.
    Source



    ■ Albertine Benedetto
    sur Terres de femmes


    [Ordinaire] (extrait du Présent des bêtes)
    Glottes (extrait de Glossolalies)
    [Si calme le piano] (extrait de Sous le signe des oiseaux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Baltique



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur sur Vider les lieux
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Albertine Benedetto





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Denise Le Dantec, La Seconde augmentée

    par Angèle Paoli

    Denise Le Dantec, La Seconde augmentée,
    Tarabuste éditeur, Collection DOUTE B.A.T., 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « DANS L’ASYNDÈTE DU MONDE »




    Philosophe et botaniste, amoureuse de la nature dont elle a une connaissance tout à la fois encyclopédique et personnelle, faite d’expérience, d’observation et d’amour, Denise Le Dantec est une artiste dont les carnets regorgent de trésors. Croquis et dessins, esquisses et aquarelles sont chez elle indissociables du monde de la poésie. Les grands poètes des siècles derniers n’ont pas de secrets pour elle et sa propre poésie leur accorde une place de choix. D’origine bretonne – son amour pour L’Île Grande n’est-il pas son amour le plus cher ? –, elle est la fière descendante de druides celtes. Fidèle à ses ancêtres, Denise Le Dantec est versée en cosmologie et détient des secrets qu’elle est seule à connaître. Magicienne, experte en constellations et en mystères, elle est une véritable pythie qui nous rappelle que la poésie est souffle et la parole, cryptée et divinatoire. Elle est celle qui écrit :

    « Sur la photo

    Je suis Isis

    Mon rêve est

    Gnostique

    – Il fait noir »

    Placé sous les auspices de la musique, son dernier recueil poétique – La Seconde augmentée – convoque et assemble tout le patrimoine culturel qui est le sien. Mythologique / chamanique / druidique / astrologique / musical. Poétique et historique… Mystérieux et original, le titre emprunte au domaine musical la notion d’intervalle. Il invite ainsi la lectrice que je suis à s’interroger sur le « mouvement disjoint » auquel la définition de cette « seconde augmentée », mise en exergue, fait allusion. L’adjectif « disjoint » est-il à prendre au pied de la lettre ? Quels sont dans la poésie même de ce recueil les effets de cette disjonction ? Je ne suis pas certaine de parvenir à esquisser une réponse. La suite de cette note de lecture le dira. Peut-être.

    L’univers premier de la poète est celui de la magie. Fille de druides, elle a hérité de savoirs occultes, planètes et plantes, breuvages et solstices. Elle tient à sa disposition recettes et formules, parfois inquiétantes :

    « Écrasez le vert de l’absinthe dans un disque avec euphraises, mauves et débrouillardises. Tournez. Ne parlez plus jamais. »

    Ou encore :

    POUR SALUER L’AUTOMNE, ON PEUT :

    POSER UNE FEUILLE D’OR (enduire d’un gesso ;

    souffler sur la feuille pour l’humidifier ; la brunir)

    LIRE UN POÈME DE GUILLAUME APOLLINAIRE

    FAIRE LES DEUX

    En poète initiée, Denise Le Dantec interprète les rituels ainsi que les pratiques qui les caractérisent :

    « Quelques-uns écrivent autour de la pierre naufragée, à la surface de l’eau ».

    Des chamanes, elle possède des talents qu’elle éprouve au cours de ses journées d’automne :

    « Entre deux lessives comme entre deux textes. Qu’est-ce que les heures après une journée ?

    Elle coud la feuille de laurier avec la première page.

    Bêche avec un pied.

    Trempe son balai dans la rivière. Mange des grenouilles.

    Attend la Résurrection. »

    Maîtresse es-« mécaniques célestes », elle s’ingénie à réunir ce qui au monde s’oppose.

    « La pesée du Soleil et la pesée de la Terre.

    Nos heures primordiales. Nos courbes souterraines. »

    Elle fait confiance aux vents pour rassembler ce qui en elle sépare. Rejoindre/délivrer/coudre sont des verbes qu’elle affectionne. La poète visionnaire évolue dans une dimension sienne dont elle est seule à posséder les clés. Tout à la fois spectatrice et actrice :

    « J’assiste à la comptabilité des semences. À la collecte des fleurs.

    Je touche au bois des choses.

    La lune apparaît et disparaît.

    Je vois la lumière où elle n’existe pas. »

    Cependant, au cœur même de cet univers dont elle a une parfaite maîtrise, la poète n’est en rien coupée de l’Histoire. C’est avec l’Histoire que s’établit, me semble-t-il, la disjonction majeure de ce recueil. Et avec l’inclusion soudaine de poèmes ayant une relation avec le passé de l’immédiat après-guerre. Cet ensemble de poèmes introduit une rupture dans le temps idéal de l’enfance. Et dans le recueil. Il diffère en effet par sa tonalité et par les références récurrentes à un vécu douloureux. De cosmiques, chamaniques et stellaires, les poèmes deviennent historiques, lourds de menaces. « L’ange de l’Histoire » a fait irruption dans la vie de l’enfant :

    « Issue du brouillard, l’enfant. Son chapeau rouge

    Avec les noms des saisons brodés dessus

    Et les étoiles… ».

    L’Histoire charrie avec elle les noms qui ont marqué ces temps de noirceur et d’angoisse. Elle fait le jeu de la peste. De toutes les formes de peste. Noire. Rouge. Brune. Nombreuses sont les allusions aux signes funestes qui ont assombri son époque. Ainsi de l’ensemble de ces vers :

    « Peste noire

    Peste rouge. L’après-guerre a duré plus longtemps que prévu.

    Les femmes-des-ruines

    Amassent des briques

    Dans les rues

    Europe

    Apporte un pain

    Que nous modelons

    – Avec nos poings

    Salomé danse entre lune et étoile dans une rue du ghetto.

    Les violons se taisent.

    Une voiture Ford s’arrête à l’entrée du champ

    Peste brune

    – Masquant la lune

    À la lune

    Le tournis des jours. Les soulèvements rimbaldiens.

    Marina Tsvetaïeva : « Il n’y a pas de réponse/ il y a des apostrophes – des résonances ».

    Nombreuses sont les interrogations qui ponctuent le long poème. Époques et espaces se mêlent dans un brouhaha indistinct ; annonciateur du pire. « Le cadran saigne ».

    « Est-ce que tu entends

    Ce que j’entends ?

    – Des rumeurs sur une guerre

    Proche. »

    En ces temps d’incertitude, la poète convoque les voix qui lui sont chères. Peut-être est-ce un appel à l’aide ? Mandelstam/Tsvetaïeva/Celan/Artaud/Rimbaud/Gertrud Kolmar… Et Ezra Pound, pour retrouver la voie de la poésie :

    « Venez, mes poèmes, parlons de perfection : nous nous rendrons passablement odieux ».

    Et la poète de poursuivre avec sa propre voix :

    « N’écris

    Que ce qui est :

    La furie des vents

    La femme nue

    – Le vol des bernaches ».

    L’inquiétude demeure qui rappelle la noirceur du Welt. Dans ce contexte où dominent les signes noirs, la poésie peut-elle encore quelque chose ?

    « – Cela finira-t-il par s’arranger ?

    Écrire ici est un échec. »

    Et la poète de définir génialement son inquiétude dans cet aveu :

    « Je cours dans l’asyndète du monde, l’anaphore patience, patience me poursuit ».

    Par-delà cette disjonction majeure en lien avec l’Histoire, il me semble en discerner de plus simples, de plus immédiates. Le mouvement disjoint ne provient-il pas également de l’association des contraires ? De leur juxtaposition  ? Nombreux sont les vers qui vont par paire, constituant ainsi un mouvement diatonique :

    « je déploie sa surface

    je ne déploie pas … »

    ou encore :

    « Je passe sous le pont

    Je passe pas

    (Je recommence)

    Et plus loin :

    « Je vis

    Je ne vis pas … »

    Ou ici, dans ce très beau passage, qui pourrait résumer à lui seul la geste cosmique et unificatrice de la poète :

    « je confonds les dangers

    ce qui tombe et ce qui s’élève

    le monde et la destruction du monde

    mon passé est présent

    mon futur est présent

    mes gestes sont les variations de courant atmosphérique ».

    D’autres formes de disjonctions apparaissent, dont la présence de caractères italiques au cœur du poème – citations latines, noms de fleurs. Ou encore dans l’usage de l’italique pour un seul et même poème. Ainsi de ce curieux poème aux accents liturgiques qui occupe toute une page :

    « C’est ma honte

    Mon pain d’escargot

    Ma caisse de carton

    Ma raison aux cinq doigts

    Ma prosopopée crasseuse

    Le beurre de mes sacrements ».

    La scansion latine, de nature aussi musicale sans doute, rythme ces vers. Une façon poétique pour la poète de décliner le mystère de son âge :

    « – je n’ai pas cent ans

    une brève une longue

    une brève illimitée… »

    Ailleurs, dans un long poème en italiques, l’alliance jonction/disjonction assure aux vers leur mouvement de balancier :

    « entre le céleste

    &

    le terrestre… »

    […]

    « qui se tourne

    & se retourne

    […] »

    Une fois éprouvés au plus près ces mouvements binaires, une fois éprouvée la malveillance des Nornes – lesquelles président au destin de tout un chacun et de tous –, Denise Le Dantec renoue avec ses rites ancestraux. Visionnaire, elle convoque « les choses cachées » et s’en remet à cet aveu qui résume tout son être : « Mon image du monde selon les quatre saisons ». Forte de cette grande sagesse, la poète restitue à l’histoire les lucioles perdues. Elle rassemble dans sa main d’or tout ce qui constitue l’essentiel de sa vie et nous fait don de la beauté qu’elle cultive avec art.

    « Des poussières de sons. Des cosses de mots. Une pluie de pollen. »

    Ainsi offre-t-elle à ses lecteurs son rêve d’union :

    « Comme si le soleil tenait tous ensemble les vivants dans la lumière. »


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Denise 2






    DENISE LE DANTEC


    Denise Le Dantec
    Image, G.AdC




    ■ Denise Le Dantec
    sur Terres de femmes

    [La Seine est verte] (extrait de La Seconde augmentée)
    [Beau temps sur la planète] (extrait d’ENHEDUANNA)
    29 avril | Denise Le Dantec, L’Estran
    [« ceci est l’espace de la transparence »](poème extrait d’et je t’embrasse)
    Mémoire des dunes
    Mémoire des dunes (extrait de 7 Soleils & autres poèmes)
    [J’ai pris la perspective du rossignol](extrait de La Strophe d’après)
    Guillevic | À Denise Le Dantec
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Où quand
    → (dans la Galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Denise Le Dantec (+ un extrait de l’Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes)





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Laura Tirandaz, Signer les souvenirs

    par Philippe Leuckx

    Laura Tirandaz, Signer les souvenirs,
    Æncrages & Co, Collection Écri(peind)re, 2019.
    Gravures d’Anne Slacik.
    Prix de la Découverte poétique
    Simone de Carfort de la Fondation de France 2016.



    Lecture de Philippe Leuckx



    Les vrais auteurs de voyages en poésie contemporaine sont rares : Timotéo Sergoï, connaisseur de Cendrars, Serge Delaive et quelques autres, dont Laura Tirandaz, qui, dans ce deuxième livre, offre un témoignage insigne sur un voyage en Amazonie profonde, avec une poésie subtile qui hisse les habitants perçus à une conscience juste de leur condition humaine, à protéger des mauvais regards, des clichés.

    Voyager, c’est « perdre des pays » selon Pessoa ; ici, voyager offre des vignettes de pure poésie, dans « l’attente d’un bus », dans l’observation d’un « Anglais » cossu, exhibant sa montre, dans la perception d’une nature et de « son vol de pélicans qui s’abattent sur le poisson », métaphore de certain tourisme ?

    « Le lac à peine éveillé », « à rio Bijano / Des feuilles fendues comme des sabots », « Le vent contrariait le sens du labourage » : autant de visions qui privilégient l’essence d’un monde à découvrir, « à découvert », à l’aune de ce constat « celle qui décrotte ses bottes avant le matin », tâche à laquelle s’assigne la poète : se décrasser le regard pour ne faire vibrer que l’essentiel.

    « Le monde une étoffe brûlante

    Retrouver les eaux de l’hiver dans le lit de l’été

    nous marchons côte à côte

    mes années liquides et moi ».

    Décrire au plus vrai, au plus juste et arrêter la vision sans doute pour que tout devienne ce poème que je lis, pour que par une capillarité intime se transfuse de la poète à moi ce voyage qui a changé le regard et fait entrer sans effraction les gens d’ailleurs, pour une communion d’âmes ?

    Les gravures d’Anne Slacik, fluides bleus d’ombres de corps, relaient exactement le propos aquatique de la poète sensible aux pirogues de la mémoire, celles qui « signent » les souvenirs âpres et beaux d’un voyage, de l’autre côté du monde, à l’envers de nos pauvres certitudes de nantis. Lévi-Strauss eût aimé ces textes fluides, très anthropologiques dans l’abord du monde.

    « Cayambe

    Dans le bus le coup d’œil des passagers

    nous traversons leurs questions pour nous asseoir

    Dieu reste près du rétroviseur

    La radio accompagne la sortie de scène

    de toutes ces vallées vertes ces vaches blanches

    Le lait frémit devient crème

    Tout ce temps pour qu’une chanson d’amour fasse le tour du monde ».

    La poète sait nommer la béance, la solitude, la suspension :

    « La nuit était douloureuse injuste

    comme une gifle pour l’enfant étourdi ».

    Dans la volonté évidente de nommer en les énumérant les « visages », les « amis qui se font des tendresses », de saisir « la nuit (qui) a cloué le sommeil », Laura Tirandaz nous donne à lire les traces épuisées de longs cheminements où la langue, l’effort d’écriture, la ferveur pour les gens et la justesse pour en conserver les images cernent la beauté dans ce qu’elle a de plus inaltérable, de plus partageable aussi : comme ce « quelqu’un  » qui « s’est approché / dans la plainte des vaches / dans l’acquiescement des cochons ».

    Une fois le livre terminé, une fois le voyage remisé, que reste-t-il ? « [L]a vie m’a reprise », dit-elle… « je suis déjà rentrée », forme d’épilogue nostalgique (« Il n’y a plus de musique »).

    On attend avec impatience de retrouver cette voix dans un troisième opus.


    Philippe Leuckx
    D.R. Texte Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes






    Laura Tirandaz  Signer les souvenirs 2






    LAURA TIRANDAZ


    Laura-tirandaz-1
    Source




    ■ Laura Tirandaz
    sur Terres de femmes


    Guayasamín (extrait de Signer les souvenirs)
    [Sillons des dunes sillons des cous des femmes] (extrait de Sillons)



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    Signer les souvenirs de Laura Tirandaz
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Signer les souvenirs de Laura Tirandaz






    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Florentine Rey, Le bûcher sera doux

    par Michel Ménaché

    Florentine Rey, Le bûcher sera doux,
    La rumeur libre éditions, 2019.
    Prix Amélie-Murat 2020.



    Lecture de Michel Ménaché



    Poète, performeuse, animatrice d’ateliers d’écriture, Florentine Rey réédite une version nouvelle d’un recueil d’abord publié par Gros Textes sous un titre différent (Je danse encore après minuit, 2017). Pour cet ouvrage remanié, Le bûcher sera doux, elle a bénéficié d’une bourse de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle affiche un féminisme teinté d’une ironie mordante et fait preuve d’un humour roboratif, jouant sur les détournements d’expressions, les renversements de situation, la déconstruction par l’absurde des idées reçues…

    L’auteure rit souvent d’elle-même en multipliant les autoportraits nonsensiques :

    « J’ai un cœur de bouchère qui rissole à chacun de mes coups de sang ».

    Ou encore :

    « L’orage dehors c’est moi.

    J’inonde. »

    Elle se met en scène dans des tableaux grotesques qui font penser à certains dessins cruellement drolatiques de Topor :

    « Je rêve de me faire plumer et de sentir des œufs chauds sous mes fesses. »

    Plus incisive, ardemment polémique, Florentine Rey s’interroge sur la parité et constate :

    « Il y a peu de candidates pour enfermer les hommes

    les tabasser

    les violer

    en faire des marchandises

    […]

    Il y a des femmes perdues dans un monde d’hommes

    elles traversent la vie à la nage en tenant d’un côté

    le réel

    et de l’autre

    la main de leurs enfants. »

    Nettement plus concise que Simone de Beauvoir, elle réduit à un diptyque choc Le Deuxième Sexe :

    « Les hommes ont des outils

    les femmes des accessoires. »

    Avec légèreté, elle franchit le pas, des revendications féministes au plaisir érotique intime, simplement suggéré d’une ellipse finement provocante :

    « J’ai trouvé le commutateur pour faire tourner la terre

    plus vite.

    Touche ! »

    Ou encore, conjuguant érotisme, humour et vertige métaphysique :

    « L’équerre de mes cuisses mesure le vide entre

    la bouche de Dieu

    et mon désir. »

    L’auteure s’inscrit radicalement dans l’errance avec son corps pour seul lieu, ou comme pour y avoir lieu. Elle évoque son nomadisme d’une métaphore lumineuse :

    « À chaque halte, nouvelle lumière.

    Derrière mes yeux : une grange où je stocke mes soleils. Quand finira l’errance je les allumerai tous.

    Le bûcher sera doux. »

    Frémissements à fleur de peau que le poème capte au rebond de la langue, en éclats sensibles et jubilatoires…



    Michel Ménaché

    D.R. Texte Michel Ménaché
    pour Terres de femmes







    Florentine Rey  Le bûcher sera doux 2






    FLORENTINE REY


    Florentine Rey 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la page de l’éditeur sur Le bûcher sera doux




    ■ Autres lectures de Michel Ménaché
    sur Terres de femmes


    Anne-Lise Blanchard, Les jours suffisent à son émerveillement
    Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée
    Maram al-Masri, Métropoèmes
    Paola Pigani, Le Cœur des mortels






    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Estelle Fenzy, La Minute bleue de l’aube

    par Murielle Compère-Demarcy

    Estelle Fenzy, La Minute bleue de l’aube,
    éditions La Part Commune, 2019 .



    Lecture de Murielle Compère-Demarcy







    L’opus est de tout recueillement, La Minute bleue de l’aube d’Estelle Fenzy ouvre un opéra intimiste et intérieur où tous les sens à l’éveil, les perceptions qu’ils déclenchent, la voix du poème qu’ils murmurent, jouent la partition d’une musique de chambre avant que la symphonie du monde entame avec l’aurore l’ébrouement, voire le vacarme, de ses manifestations. À l’instant précis et trouble où l’aube paraît – dans la clairière où se répondent encore, avec des correspondances subtiles de pénombre et de lumière, la nuit et le jour – la poétesse est à l’écoute et détecte par ses mots les paysages intérieurs / extérieurs :

    « Entends-tu le pouls ralenti

    de la nuit

    L’aube

    comme une paix retrouvée

    une convalescence »

    avant les « premières voitures / sur l’avenue », avant le « bruit d’enfer » des déchets d’une semaine passée qui tombent dans la benne des camions poubelles, avant que

    « [l]a lumière se faufile

    entre les branches

    Flaques de ciel

    où étancher nos soifs ».

    Toutes les lignes de l’univers tremblent, vibrent, au diapason du cœur et du recueillement, à cet instant où la poétesse peut « à l’aube / découvrir (s)on cœur intact / au milieu des cendres » après avoir « un soir / fai(t) un feu avec (s)es poèmes » pour « les entendre crépiter joyeux / Compter les étincelles ».

    La Minute bleue de l’aube d’Estelle Fenzy est ainsi, telle une étincelle d’espoir et de joie ravivant son souffle par-dessus tout, afin que dure le feu du poème.

    « Je suis celle

    qui désire le jour

    et aspire à la nuit

    Les ailes désaccordées

    d’un même oiseau »,

    écrit Estelle Fenzy, l’âme (ré-)conciliatrice des différences, des états ou éléments contraires. Poète-médiatrice, tel le souffleur d’une représentation de cette farce qu’est la vie :

    « Quelle comédie la vie

    Heureusement

    j’ai choisi

    le rôle du souffleur ».

    Le lecteur sent bien qu’une quiétude – même en partie inquiète – porte ces aubes et leurs poèmes. Le silence accompagne, sous-tend, cette partition, « incessant voyage » maintenant « le poème en suspens », oscillation sensible palpable et tendue vers ses interrogations, entre « l’attente et la soif ».

    Le ressenti douloureux de l’absence flotte par intermittences dans le regard de la poétesse, voilé aussi par la mélancolie (l’absence évoquée nous reporte à un livret précédent d’Estelle Fenzy, publié aux éditions La Porte : Sans, dont la poésie contenue et poignante face à la perte d’un être cher avait été remarquée).

    Les poèmes d’Estelle Fenzy crépitent ou frémissent dans l’âtre / l’âme / dans l’espace de la page, tel le craquement doux d’une feuille d’automne sous la marche, tel le souffle avenant d’une étincelle. Leur lumière est celle de l’aube, ni violente ni obscure, à mi-parcours entre la nuit mystérieuse et l’aube frissonnante. Les mots réunis dans le chant matutinal du poème sont « un autre silence », ils avancent sous la peau / sur la carapace du monde, à pas feutrés, sans nous heurter, sans nous brusquer, nous tenant à leur lisière attentifs, alertes et consentants sur le seuil de l’écoute absolue, celle de La Minute bleue de l’aube.

    « Mon poème

    commence par une aube

    une extrémité du jour

    une lisière du temps

    et continue »,

    écrit Estelle Fenzy. L’écriture ici déroule à la pointe du jour et de ses perceptions / émotions la bobine d’un film intimiste tourné sur « un territoire d’aubes éraillées / de ciels parallèles » mais aussi d’aubes légendaires (au sens étymologique de legenda : « ce qui est à lire » ; « l’aube est une légende », écrit d’ailleurs la poétesse), fraîcheur de rosées riches en filigrane de l’ivraie contenue dans le jour qui vient.

    Le sentiment de l’absence circule dans cette « Minute bleue » mais aussi l’amour, la mélancolie, la mort, le bonheur, le laps de la page blanche, le chagrin, des rires d’autant plus éclatants qu’ils secouent l’introspection du silence. Ces rires remontent et fusent de l’enfance.

    « Emmitouflés jusqu’au museau

    les enfants jouent au loup

    au chat à la souris

    Tout le jardin est une course

    J’entrouvre la fenêtre

    Ce n’est pas le froid qui vient

    mais le sillage de leurs rires

    l’éclat de cet instant ».

    « L’éclat de cet instant »… certains de ces poèmes condensent l’aube en leur robe cousue de lettres et de sensations suggestives, d’une lumière instinctive fugace et fugitive, surprenante, à la manière parfois de haïkus.

    « Prends garde

    Cette grenade

    entre tes mains

    dégoupillée

    C’est mon cœur ».

    Leur allure quelquefois aphoristique éclaire le flux poétique qui court / couve au réveil sous les cendres du sommeil encore chaudes, et peut révéler l’un des visages du jour :

    « Le jour tarde à se lever

    Il a dû passer une nuit blanche ».

    La poétesse nous embarque avec elle par la voix du Poème sur le cours apparemment tranquille, silencieux de « l’eau vive de (s)on ruisseau » et nous suivons volontiers sa navigation, quitte à déborder, de sortir parfois du « lit de cailloux » que nous glissons aussi dans notre poche pour nous souvenir d’où nous venons. Nous avançons au fil de l’aube, dans « la Minute bleue » d’un silence autre, messagers lucides de ce qui nous sépare : nous singularise, au coeur d’un univers dont nous sommes partie intégrante et dont nous tissons une part de la totalité dans l’harmonie dissonante de nos gestes et de nos paroles.

    Nous trouvons trace dans La Minute bleue de l’aube de nos vies minuscules, grandies par la voix du Poème à l’écoute du vivant / vécu qui trame et ourdit sa toile translucide, à pas feutrés / comptés / esquivés aussi quelquefois, comme les chats savent guetter pour mieux (re-)bondir dans l’invisibilité éclairante de la nuit – « une perle de sang à l’oreille ». Car l’aube est bondissement – « Aube » avec un « A » majuscule et sans article pourrions-nous écrire, dans la lignée d’un poète qui en célébra les illuminations : Arthur Rimbaud, et qui personnifia lui aussi « la déesse » comme Estelle Fenzy écrit :

    « L’aube s’est jetée

    à ma bouche

    Elle était nue

    Je l’ai aimée ».

    Par la beauté concise et la grâce des mots d’Estelle Fenzy, ces aubes saisies en leur « Minute bleue » nous sont perceptibles à ciel ouvert, qu’elles soient intérieures ou extérieures. Estelle Fenzy fait venir l’aube en notre réalité, autrement dit là où elle existe.

    Le ciel circule aussi en ces poèmes qui lui donnent couleur, envergure, voire un nom même où l’aube en son point indéfini, sans limites déterminées, s’entrevoit mieux que ce qui serait « mesure pâle / entre la nuit et le jour. » Le ciel, libre… où demeurer un peu, en passant ; rassemblant son territoire et ses orages, ses accalmies ; là où respirer avec le silence  : là où le poème nous élève…


    Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)
    D.R. Texte Murielle Compère-Demarcy
    pour Terres de femmes







    Estelle Fenzy  La Minute bleue de l'aube 2






    ESTELLE FENZY


    Estelle Fenzy portrait
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za] (poème extrait de Gueule noire)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    [Rêve silex] [poème extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Père, | tu le sais](poème extrait de Par là)
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La Part Commune)
    la page de l’éditeur sur La Minute bleue de l’aube






    Retour au répertoire du numéro de septembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes