Étiquette : 2019


  • Gabriele Galloni | [È in questa vita un’altra vita nuova]


    [È IN QUESTA VITA UN’ALTRA VITA NUOVA] *




    È in questa vita un’altra vita nuova
    e in questo corpo un altro corpo ancora.

    Mi segui fino al bagnasciuga e indietro; affiora
    a pelo d’acqua una bottiglia vuota.
    È notte, ma la spiaggia è affollatissima;
    così che mi è difficile ascoltarti.

    Raggiungiamo le dune. C’è un sentiero
    dietro il canneto; porta
    alla vecchia fabbrica di sapone.
    La luce dei falò qui non arriva –
    E nemmeno una voce.

    Ho tredici anni. E della voce adesso
    saprò tutto quello che c’è da sapere; da fare.

    Ché in questa vita è un’altra vita nuova
    e in ogni corpo un altro corpo ancora.

    ***

    Ti chiamerò a distanza di molti anni
    e avrò da tempo smesso di sapere.

    Dunque non parlerò; e non parlerai
    nemmeno tu. Ma tornerà per tutti
    e due la prima sabbia; illuderemo
    l’età giovane che dorme nei nostri letti.

    Condividiamo una identica estate;
    diremo un corpo che non è stato mai.



    Gabriele Galloni, L’estate del mondo, Marco Saya editore, 2019.





    Gabriele Galloni  L'estate del mondo







    [IL Y A DANS CETTE VIE UNE AUTRE VIE NOUVELLE]




    Il y a dans cette vie une autre vie nouvelle
    et dans ce corps un autre corps encore.

    Faisons un aller-retour jusqu’au rivage ;
    à fleur d’eau flotte une bouteille vide.
    Il fait nuit, mais la plage est bondée ;
    aussi il m’est difficile de t’écouter.

    Rejoignons les dunes. À l’arrière des roseaux
    il y a un chemin ; qui conduit
    à l’ancienne savonnerie.
    La lumière des feux ne parvient pas jusqu’ici —
    Pas même une voix.

    J’ai treize ans. Et j’ai de la voix maintenant
    Je saurai tout ce qu’il faut savoir ; tout ce qu’il faut faire.

    Parce que dans cette vie il y a une autre vie nouvelle
    et dans chaque corps un autre corps encore.

    ***

    Je t’appellerai plus tard, dans bien des années
    et j’aurai depuis longtemps cessé de savoir.

    Alors je ne dirai rien ; et toi tu ne diras rien
    non plus. Mais, ce premier sable, il reviendra
    pour nous deux ; nous imaginerons
    l’âge tendre qui sommeille dans nos lits.

    Partageons un même été ;
    nous évoquerons un corps qui n’a jamais existé.




    Traduction inédite d’Angèle Paoli



    _____________________________
    * Note d’AP : en hommage à Gabriele Galloni, tout récemment décédé (à l’âge de 25 ans). Gabriele Galloni était tenu pour l’un des poètes italiens les plus talentueux de sa génération.



    GABRIELE GALLONI


    Galloni
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Pangea, rivista avventuriere di cultura & idee )
    une page (en italien) sur Gabriele Galloni (7 septembre 2020)
    → (sur YAWP)
    une recension (en italien) de L’estate del mondo de Gabriele Galloni, par Antonio Merola
    → (sur Inverso – Giornale di poesia)
    Gabriele Galloni – Un inedito da L’estate del mondo





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  • 31 août 1941 | Vénus Khoury-Ghata, Marina Tsvétaïeva, mourir à Elabouga

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 31 août 1941 Marina Tsvetaïeva se donne la mort dans la maison d’Elabouga, en Tartarie.










    Marina-Tsvetaieva-mourir-a-Elabouga





    Dehors le soleil est à l’aplomb. Tassée sous tes pieds, ton ombre n’est ni devant toi ni derrière toi. Impression rassurante : personne ne te poursuit. Tu te diriges vers le débarcadère, vers Elabouga. Tu baisses les bras, tu n’es pas de taille à croiser le fer avec ton époque.

    Arrivée sur l’autre rive, tu marches à grandes enjambées puis cours à la vue du toit gris, des murs gris de la maison des Boreltchikov, cours vers ta mort. Ton passé s’efface à mesure que tu t’approches de la maison de tes logeurs : Serge, Alia, Mour, Rodzevitch, Pasternak et tous les autres ne sont que souvenirs imaginaires, des haltes nécessaires pour atteindre ton but.

    « Le premier qui quitte souffre moins en amour », dit un dicton. Tu vas l’appliquer au monde et à l’époque qui t’ont malmenée. Tu as décidé de devancer la mort.

    Des mouettes grises suivent la même direction que toi. Tu es en terrain connu. Un lieu presque fraternel. Tu connais le nombre des sillons, connais l’heure exacte où la nuit bleuit la colline et le cyprès taillé en crayon.

    Une poutre, une chaise et une corde t’attendent entre les murs du grenier. Tu n’auras qu’à les rassembler pour en finir avec tous tes problèmes. Te reposer.

    Une mort bien méritée, croiser le fer avec ton époque t’a épuisée.


    Le bruit de la chaise qui tombe dans un grand fracas alerte les maîtres du lieu. Ils accourent, te trouvent suspendue au plafond, font le signe de la croix au lieu de te dépendre. Toucher un cadavre porte malheur.

    Leurs cris ameutent tout le village. Tous courent vers la même maison. Plus personne dans les champs. Les oiseaux tournoient en cercles fermés au-dessus du même toit.

    De retour le soir et voyant l’attroupement devant la porte, Mour sait ce qui l’attend. Tu n’as fait que lui répéter que tu allais te pendre.

    Empêché de rentrer, il s’en va la tête basse, se réfugie chez un ami, n’assistera pas à ta mise en terre. Rien que des inconnus autour de la fosse dans un coin de cimetière du village, sans pierre tombale, sans croix, sans nom, un 31 août 1941.

    Ils ne savent pas qui tu es, n’ont jamais tenu un de tes livres entre leurs mains, ni lu une ligne de tes poèmes.

    « Une vieille comme d’autres vieilles », c’est tout ce que tu es pour eux.

    Partie pieds nus sous cette terre que tu grattais à mains nues pour nourrir ton fils.

    Les feuilles mortes sur votre tombe

    Cela sent l’hiver

    Écoutez-moi oh trépassés

    […]

    Vous riez sous votre pèlerine de voyage

    La lune est haute…



    Vénus Khoury-Ghata, Marina Tsvétaïeva, mourir à Elabouga, roman, Mercure de France, 2019, pp. 181-183.



    MARINA TSVÉTAÏEVA


    Marina T
    Source




    ■ Marina Tsvétaïeva
    sur Terres de femmes


    20 décembre 1915
    27 avril 1916 | Poèmes à Blok, 1
    21 juillet 1916 | Lettre de Marina Tsvétaïeva
    14 août 1918
    19 novembre 1921
    5 décembre 1921, Amazones
    [Bras ployés au-dessus de la tête]
    Cessez de m’aimer
    J’aimerais vivre avec vous




    ■ Voir aussi ▼


    le site Marina Tsvetaeva



    ___________________________




    VÉNUS KHOURY-GHATA




    ■ Vénus Khoury-Ghata
    sur Terres de femmes


    C’était novembre
    Compter les poteaux
    Ils sont deux figuiers
    Le caillou dans la main
    [Pénurie de vie] (poème extrait de Demande à l’obscurité)
    [Les pluies ont dilué le pays]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Les cheveux rouges de la mère
    → (dans la galerie Visages de femmes) Portrait de
    Vénus Khoury-Ghata (+ un poème extrait de Quelle est la nuit parmi les nuits)





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  • Jeanne Bastide, Rouge enfance

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, Rouge enfance,
    éditions Domens, Pézenas, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Objar
    Paul-Émile Objar, in Rouge enfance
    (photo de première de couverture)







    NE LÂCHE JAMAIS TA JOIE. JAMAIS.





    Vient un temps où le monde s’inverse. Le flou s’étend, qui ombre les figures, arbres et silhouettes, gagnées par l’avers des racines. La petite fille d’antan est rejointe par l’âge. Elle se confond désormais avec l’arbre de l’enfance. L’arbre et l’aïeule, écorces et feuillages, ramures anciennes. Une même personne. Qui de l’enfant ou de l’aïeule tente de rattraper l’autre ? Difficile de le dire tant les deux sont proches, complices du passé comme du présent. De l’une à l’autre, en répons, les mots de Jeanne Bastide. La poète, tisseuse inlassable, recoud passé et présent. Brouille patiemment les lignes frontières. Rouge enfance. Et les photos de Paul-Émile Objar déploient des noirs et blancs grisés de lumières, reflets tremblés par les feuilles et par les eaux. Ciels terres jardins écritures disent pourtant les choses. Tout est là, dans le froissé des branches, rassemblé en un point focal, blotti au cœur d’une image, au cœur du poème, en un centre où fusionnent l’enfant et l’aïeule. Dans un même regard. En deux mots que raboute le titre du recueil. Rouge enfance.

    Rouge, la couleur de l’arbre. Rouge, le rouge de l’arbre du dessin. Arbre/rouge/dessin composent la trilogie d’enfance où s’origine la langue de la poète. Et/ou celle de l’enfant.

    « La petite fille du passé court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue. »

    Entre l’enfant qu’elle fut et l’aïeule qu’elle est devenue, il y a tant de distance à parcourir. Il y a tant de signes qui rapprochent.

    « D’elle à toi, c’est une étendue longue à traverser… ».

    Traverser. C’est ce qu’elle désire. Qui de l’une ou de l’autre ? Peut-être est-ce la voix de la poète, la voix intérieure en qui toutes les voix se rencontrent et se retrouvent, les unes aux autres encordées. C’est à l’arbre « conteur » qu’il faut s’en remettre. À sa couleur qui met la vieille dame en émoi, réveille en elle son ardeur. Il n’y a pas que l’arbre qui parle, il y a aussi ces voix autres qui s’immiscent en elle et raniment le goût de la terre sous ses pieds. Entre les deux extrêmes, qui relient l’aïeule à l’enfant (ou l’inverse), il y a un autre temps. Celui de la grand-mère de l’enfant et avec elle – mais en son absence –, l’image d’un escalier qui ouvre sur un gouffre. Un gouffre qui ouvre sur l’attente. De ce moment étrange naît la sensation nouvelle et forte « de la démarcation ».

    « Le vertige te prend et le mystère de la distance – de la démarcation.
    C’est peut-être là, que, pour la première fois t’est venue cette sensation de limite personnelle, de peau comme frontière.
    Quand les bras attendus n’enserrent que le vide de ta substance. »

    Face à cette prise de conscience vertigineuse, face à l’expérience douloureuse de la solitude, face à cet espace à parcourir et à la présence de la mort, l’arbre rouge est cette force réconfortante à qui se confier. Et avec qui dialoguer.

    « Et tu lui parles. Sans cesse tu lui parles. À l’arbre.

    De la vieille qui prie et de toi. De la vieille qui prie en toi.

    Tu lui parles encore […]

    Te souviens-tu ? demande l’arbre. »

    Entre le temps de l’enfance et celui de la vieillesse qui vient, il y a tout un empan de vie jalonné de métamorphoses et de disparitions. Le noir de la grand-mère, lisible dans son regard de mourante.

    « Ce jour où rien n’a rien changé à rien – mais qui a tout bouleversé. »

    Et le rouge de l’arbre qui abrite les premiers émois de la rencontre amoureuse. Cramoisi tout entier des secrets d’un amour naissant dont celui-ci est le gardien. Ce jour-là, « celle qui avait grandi avait ainsi déplacé son arbre d’enfance. » Puis est venu le temps du platane et le désir de se « perdre dans sa ramée. »

    Le récit-poème de Jeanne Bastide se poursuit. Dans un même froissé de voix assourdies qui se cherchent par-delà les silences. La vie aussi poursuit sa trame, avec ses gestes humbles et ses prières douces, ses rêves et ses reflets. Avec ses images d’« étendue longue à traverser ». De « soc qui écorche écrase et creuse la terre » … ; d’« oiseau qui trace le vol » et de fleuve qui ouvre le sillon de la vie. Et toujours revient l’arbre rouge. L’autre. Celui du dessin de l’enfant. Qui « est de l’autre côté des mots » et qui survient à l’improviste. Celui-là ramène avec lui les joies et les jeux liés à la grand-mère. Mais aussi le souvenir de « ce jour dont il ne faut pas parler et qu’on ne peut pas oublier. » Ce jour lointain où l’enfant avait huit ans. Ce jour qui a ouvert une « brèche » dans son univers d’enfance. « Un trou dans le silence. » Puis le cri.

    « Rouge, rubis a été le cri.

    Sorti de ta gorge sans que tu le veuilles. »

    Pourtant, sous la frontière, au-delà du gouffre de la démarcation, frémit la ligne de la continuité.

    « L’enfance se glisse doucement. Il y a dès lors l’odeur du figuier, de la garrigue l’été – et cette petite musique, l’inexorable montée du souvenir. »

    Avec les souvenirs et la musique douce qui les accompagne, la vie peut à nouveau retrouver souffle dans la lumière. Les mots de la grand-mère peuvent trouver leur juste place :

    « Ne lâche pas ta joie. Jamais. Garde-la précieuse en toi. »

    Et la poète d’offrir dans les pages de Rouge enfance une belle leçon de vie :

    « Tu es au centre – emportée. Ton plaisir vif comme une plaie.

    Tu as ouvert les volets. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jeanne Bastide  Rouge enfance





    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Domens)
    la page de l’éditeur sur Rouge enfance
    le site de Paul-Émile Objar





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  • Luis García Montero | Los idiomas persiguen el desorden que soy


    [LOS IDIOMAS PERSIGUEN EL DESORDEN QUE SOY]



    A Elisa



    Mi nombre es Luis,
    soy español,
    vivo en Madrid,
    en el número uno, calle Larra,
    me dice usted la hora, por favor,
    ¿dónde ha nacido usted
    y cuántos años tiene?,
    buenos días, amigo,
    buenos días, mi amor, te quiero mucho.

    Confieso que no tengo
    facilidad para estudiar idiomas.
    He copiado mil veces las frases y procuro
    aprender de memoria, poco a poco,
    preguntas y respuestas.
    Pero me acabo siempre confundiendo
    y a los demás les digo
    ¿dónde está mi te quiero?,
    vivo en Luis
    y soy las doce y media de la noche.
    Nadie ha podido nunca pasear
    por el número uno
    sin romper el espejo de las horas
    y de su propio rostro.

    ¿Me dice, por favor, qué significan
    el tú y el yo, la edad y la palabra España?

    Los idiomas persiguen el desorden que soy,
    y así los predicados de altas temperaturas
    y los verbos de nieve
    me tratan sin piedad
    igual que a los sujetos derretidos.
    No me resulta fácil,

    pero a veces entiendo
    la nostalgia de orden que tienen mis poemas.







    [LES LANGUES SONT À L’IMAGE DU DÉSORDRE QUE JE SUIS]



    À Elisa



    Mon nom est Luis,
    je suis espagnol,
    je vis à Madrid,
    au numéro un, rue Larra,
    avez-vous l’heure, s’il vous plaît
    où êtes-vous né ?
    et quel âge avez-vous ?,
    bonjour, l’ami
    bonjour mon amour, je t’aime beaucoup.

    J’avoue que je n’ai pas
    de don pour apprendre les langues.
    J’ai copié mille fois les phrases et je m’efforce
    à apprendre de mémoire, peu à peu,
    questions et réponses.
    Mais je finis toujours par mélanger
    et je dis aux gens
    Où est moi je t’aime ?
    je vis au Luis
    et je suis minuit et demi.
    Personne n’a jamais pu se promener
    au numéro un
    sans briser le miroir des heures
    et de son propre visage.

    Dites-moi, s’il vous plaît, que signifient
    le toi, le je, l’âge et le mot Espagne ?

    Les langues poursuivent le désordre que je suis,
    et c’est ainsi que les attributs de hautes températures
    et les verbes de neige
    me traitent sans pitié
    comme ils traitent les sujets fondus.
    Ce n’est pas simple pour moi,

    mais parfois je comprends
    la nostalgie de l’ordre qu’ont mes poèmes.



    Luis García Montero, « Le Mot », Une mélancolie optimiste | Una melancolía optimista [Visor libros, Collection Visor de Poesía, 2019], anthologie bilingue espagnol-français, traduite par Françoise Dubosquet-Lairys, éditions Al Manar, Collection Méditerranées, 2019, pp. 31-34.






    Luis Garcia Montero  Une mélancolie optimiste



    LUIS GARCÍA MONTERO


    Luis_garcia_montero  portrait 2
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel de Luis García Montero
    → (sur remue.net)
    le poète Luis García Montero, par Annie Fiore
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Une mélancolie optimiste






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  • 18 août 2018 | Elena Ferrante, Chroniques du hasard

    Éphéméride culturelle à rebours



    Tagli netti
    Andrea Ucini, Tagli netti,
    in Elena Ferrante, Chroniques du hasard,
    éditions Gallimard, Hors série Littérature, 2019, page 103.







    TAGLI NETTI
    18 agosto 2018




    Per quel che ricordo non mi ha mai spaventato il cambiamento. Ho cambiato casa, per esempio, parecchie volte ma non ricordo particolari disagi, rimpianti, lunghi periodi di disadattamento. Molti detestano i traslochi, c’è chi li ritiene in grado di accorciarci la vita. Io del trasloco amo innanzitutto la parola, fa venire in mente lo slancio del salto in lungo, un raccogliere energie per proiettarsi verso un altro luogo dove tutto è da scoprire e da imparare. Sono convinta insomma che cambiare ha un suo versante sempre positivo. Aiuta a accorgerci, per esempio, che abbiamo accumulato molte cose inutili, che averle ritenute utili è stato un abbaglio, che tutto quello che davvero serve è pochissimo, che ci leghiamo a oggetti, a spazzi, certe volte a persone, senza cui la nostra vita non solo si impoverisce ma si apre inaspettatamente a nuove possibilità. Quando poi i cambiamenti sono radicali, dopo un po’ di incertezza tendo all’euforia. Mi sento quando da bambina le inventavo tutte per trovarmi all’aperto mentre si preparava un temporale e volevo inzupparmi prima che mia madre mi riacciufasse. Per via di questa propensione, però, ho scoperto con colpevole ritardo l’altro lato del cambiamento, la sofferenza. Non parlo qui di chi vede di colpo la sua esistenza a soqquadro e resiste nel guscio degli abitudini che parevano definitive, finché non scopre che non c’è reazione che tenga e malinconicamente si rassegna al fatto che il mondo di ieri domani non ci sarà più. Non mi ha mai veramente coinvolta – nemmeno letterariamente – il rimpianto di come era bella la vita prima di una qualche rivoluzione. Ho sempre sentito di più l’allegria dei rivolgimenti, e perciò ho messo a fuoco tardi che quell’allegria, quell’entusiasmo, non sono necessariamente in contraddizione con una sofferenza di fondo. Se si guarda bene, per esempio, insieme alla genuina festa grande con cui abbiamo salutato cambiamenti importanti per noi donne, c’era un dolore silente che, per quel che ne so, ci siamo raccontate poco. Svestirci dell’abito remissivo che le nostre stesse mamme ci avevano cucito adosso fin dai primi anni di vita, per indossarne uno più combattivo, pur nella sua positività di atto liberatorio, da qualche parte di noi ci causava angoscia. Non ci si strappa via la pelle che pareva la nostra senza soffrire. Non ci si stacca facilmente da quello che siamo state, qualcosa dura e si torce. Non ci sa accomoda in una forma imprevista senza la paura dell’inadeguatezza. Il sentimento gioioso della liberazione prevale, ma l’anestetico della gioia non cancella la realtà del taglio.



    Elena Ferrante, « Tagli netti », L’invenzione occasionale, edizioni e/o, 2019, pp. 62-63. Illustrazioni di Andrea Ucini.






    Elena Ferrante  L'invenzione occasionale








    COUPURES NETTES
    18 août 2018




    Autant que je m’en souvienne, le changement ne m’a jamais effrayée. Par exemple, j’ai déménagé à plusieurs reprises, mais je ne me rappelle pas avoir jamais éprouvé de malaise, de regret, ou avoir eu besoin de longues périodes d’adaptation. Beaucoup de gens détestent les déménagements, et certains estiment même qu’ils peuvent nous raccourcir la vie. Ce que j’aime avant tout, dans le déménagement, c’est le mot : il me rappelle l’élan du saut en longueur, le fait de rassembler son énergie afin de se projeter vers un autre endroit, où tout est à découvrir et à apprendre. En somme, je suis persuadée que changer a toujours un aspect positif. Cela aide à réaliser que nous avons accumulé beaucoup de choses inutiles, qu’avoir cru à leur utilité a été un aveuglement, que tout ce qui nous sert vraiment se résume à bien peu, et que nous nous attachons à des objets, à des lieux et parfois à des personnes en l’absence desquels notre vie non seulement ne s’appauvrit pas, mais s’ouvre à des possibilités nouvelles et inattendues. Et, lorsque les changements qui surviennent sont radicaux, j’ai tendance, après un bref moment d’incertitude, à être euphorique. J’ai le même sentiment que dans mon enfance, lorsque je mettais tout en œuvre pour me retrouver dehors tandis qu’un orage menaçait, je voulais être trempée avant que ma mère ne m’attrape. Mais, à cause de cette tendance, j’ai découvert seulement très tard l’autre face du changement, la souffrance. Je ne parle pas des gens qui voient leur existence brusquement chamboulée et qui résistent dans une carapace d’habitudes qui leur paraissaient éternelles, jusqu’à ce qu’ils comprennent que leur réaction n’a pas de sens et qu’ils finissent par se résigner, avec mélancolie, au fait que le monde d’hier ne sera plus là demain. Je n’ai jamais vraiment été attirée – même en littérature – par la célébration de la vie passée, par la nostalgie de la beauté précédant une quelconque révolution. J’ai toujours été plus sensible à la joie des bouleversements et, par conséquent, il m’a fallu du temps pour réaliser que cette joie et cet enthousiasme n’étaient pas nécessairement incompatibles avec une souffrance de fond. Par exemple, à bien y regarder, la grande allégresse avec laquelle nous avons accueilli des changements importants pour nous les femmes a été accompagnée d’une douleur silencieuse qui, autant que je sache, n’a pas tellement été dite. Ôter les vêtements de la soumission que nos mères elles-mêmes nous avaient confectionnés dès nos premières années de vie et en enfiler d’autres, plus adaptés aux luttes, a été un acte libérateur très positif. Et pourtant, quelque part, cet acte a généré de l’angoisse. Il est impossible d’arracher ce que nous prenions pour notre peau sans en éprouver de la souffrance. On ne se sépare pas facilement de ce que l’on a été : quelque chose persiste et résiste. On n’adopte pas une forme imprévue sans crainte de l’inadaptation. Le sentiment joyeux de la libération domine, mais l’effet anesthésiant de cette joie n’efface pas la réalité de la rupture.



    Elena Ferrante, « Coupures nettes », Chroniques du hasard, éditions Gallimard, Hors série Littérature, 2019, pp. 104-105. Traduit de l’italien par Elsa Damien. Illustrations d’Andrea Ucini.






    Elena Ferrante  Chroniques du hasard
    feuilleter le livre



    ELENA FERRANTE


    Elena Ferrante





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Chroniques du hasard





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  • Béatrice Douvre | Poèmes en prose [Journal de Belfort]


    [LE VENT VERT, LE VENT JAUNE]



    Le vent vert, le vent jaune, le vent bleu de la nature, dôme éclairant de l’étendue étanchant les visages d’eaux. Des oiseaux crient de jour. Des reflets s’attardent aux yeux atroces des nuages. Tout s’enténèbre à l’orée vespérale, le dôme, le toit de tuile orange, la pluie argentée, les diamants de la main qui servent d’yeux aux sages, les petits dieux accroupis des images, les corolles qui se forment le soir.

    J’ai étudié, nocturne, les traductions des saints, un ange à mon épaule guidait ma main de pauvre. J’ai connu l’âge de la neige, de l’écorce de peau à la tache de terre.






    [VERDEUR ANGEVINE]




    Verdeur angevine le long des jeunes voûtes

    C’est le jour de mer au soleil mandoline

    C’est le petit mendiant en haillons d’or, les mains tendues vers les deniers virils

    C’est un chemin de pas qui mène à l’oiseau froissé

    C’est la voix tourmentée d’une petite fille aux yeux blonds, à la douceur allée

    C’est le ciel en beauté subite, luisant d’haleine d’anges, Dieu qui visite ses prairies

    C’est le joyau d’étoile épinglé au corsage, rose, or et blanc comme des seins pubères

    C’est jour de mer, les fontaines percent les villes aux toits de mûres noires ou d’oranges

    C’est mon amour pénombré dans la ville, courageux, l’avez-vous vu passer ? Il a du sel et des chemins sur le visage… un soleil bas tâché autour de la taille.



    Béatrice Douvre, « Poèmes en prose », 16, 24, Journal de Belfort, éditions de La Coopérative, 2019, pp. 125, 133.






    Journal-de-belfort 2



    BÉATRICE DOUVRE


    Douvre portrait 2
    D.R. Ph. Mathilde Bonnefoy




    ■ Béatrice Douvre
    sur Terres de femmes


    Nuit brisée
    l’Outrepassante
    Le vin, le soir




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions de la Coopérative)
    la fiche de l’éditeur sur Journal de Belfort
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Béatrice Douvre, l’invisible est un miracle, par Pierre Kobel
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Béatrice Douvre | Journal de Belfort par Pierre Kobel
    → (sur La République des livres)
    une lecture de Journal de Belfort par Jean-Charles Vegliante
    → (sur Recours au Poème)
    Chronique du veilleur (37) : Béatrice Douvre, par Gérard Bocholier






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  • Carles Diaz | [Je répétais de chute en chute les noms des îles de la nuit]


    Tornavi dire cada còp que tombavi los noms de las isclas de la nuèit, dels dispareguts, dels uns e mai dels autres.
    Pensavi a vosautres, ausèls que passatz, a vòstra polifonia a l’auba ; me remembri un son de destrals dins las roinas de la nèbla que vos’n vesiái sortir.
    Eri sol, luènh d’aquels afars escafats que los voliái pas veire, aquels afars passats e avenidors. Sol, solitari davant le brusiment de las sabas sus una tèrra enmorralhada e venguda sorda, liurada de tota sa pregondor, puèi d’un còp embrutida d’iniquitats e de revenges forfolhaires.

    Me voliái adralhar tornarmai per la via pagana del cèl.








    Iles nuit
    Ph., G.AdC






    Je répétais de chute en chute les noms des îles de la nuit, des disparus, des uns et des autres.
    Je pensais à vous, oiseaux en transit, à votre polyphonie du petit matin ; je me souviens d’un son de haches dans les ruines du brouillard d’où je vous voyais émerger.
    J’étais seul, loin de ces choses oblitérées que je ne voulais pas voir, ces choses passées et à venir. Seul, solitaire face au bruissement des sèves sur une terre muselée et devenue sourde, essorée de toute sa profondeur, puis brusquement souillée d’iniquités et de revanches écumantes.

    Je voulais regagner la voie païenne du ciel.



    Carles Diaz, Sus la Talvera | En Marge, livre bilingue avec pages en regard français/occitan, éditions Abordo, Bordeaux, 2019, pp. 20-21. Traduction du français à l’occitan et préface de Joan-Pèire Tardiu. Grand Prix Société des Gens de Lettres de Poésie 2020 – Prix Méditerranée – Poésie 2020.






    Carles Diaz
    feuilleter le livre



    CARLES DIAZ


    Carles Diaz  portrait
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Agence livre, cinéma & audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine)
    une notice bio-bibliographique sur Carles Diaz
    le site des éditions Abordo
    → (sur le site des éditions Abordo)
    la fiche de l’éditeur sur Sus la Talvera, En Marge
    → (sur La Cause Littéraire)
    un lecture de Sus la Talvera, En Marge, par Philippe Chauché






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  • Mikaël Hautchamp | [Étreinte par un signe]


    [ÉTREINTE PAR UN SIGNE]

    Étreinte par un signe,

    avec la tour devenue livre, et la vallée devenue liane, avec la rumeur des tourments, le signe du secret gravé en pointillé dans le sable d’attente, elle passait par le rêve, le jeu de leur évolution, avec le sang des cathédrales, avec la plaine en colline, et le moteur devenu fronde, fougère du sérail, cahotant de reprise, avec un ciel de migraine, et ce recul des attentes, elle dansait le possible, la mue fréquente de leur monde, elle rêvait par sa danse le timbre du moment,

    avec le lieu devenu vide, et la vallée encore vallée, elle dansait les orbites, la crèche sans retour d’un rythme de spirale,

    elle était lionne, moteur à vif, prière de rails, voile d’un tissu décomposé, elle était bond, saut de la ligne, cheval d’attribut affublé de valises, quai d’ombre, poutre de seuil devenue rat, sirène d’avenir, regard baissé par la peur de déplaire, désir passé au crible des banquettes, des rebonds de combat, elle voyait par sa danse le jeu d’évolution que les rêves des autres portaient comme une offrande.



    Mikaël Hautchamp, Le Vol des oiseaux filles, 31, Cheyne éditeur, Collection Verte, 2019, pp. 48-49. Prix Max Jacob 2020.





    Mikaël Hautchamp  Le Vol des oiseaux filles 3



    MIKAEL HAUTCHAMP


    Mikaël Hautchamp portrait 2





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Cheyne éditeur)
    la page de l’éditeur sur Mikaël Hautchamp





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  • Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier | El blâd el medina le pays la ville


    EL BLÂD EL MEDINA LE PAYS LA VILLE




    El blâd el medina le pays la ville   elle   là-bas temma ech chemsss elle le soleil es smaâ elle le ciel   er   rîh elle le vent el mââ elle l’eau elle la pluie ech chta   elle a soif hia atchana   elle la nuit et le jour el lil o n nahar   elle petite ss’ghira elle peu chwiya elle trop bezzaf moins qel   elle part mchat   elle est la route raha et triq   elle la langue el lugha elle la parole el kelma elle la réponse peut-être proche ej jawab yemken grib   est-elle la clé de la maison raha es sarut dial d dar est-elle la chambre raha el bitt   il y a-t-il une femme dans la chambre kayen shi m’ra fi el bitt   elle ne sait pas ma’ aarfa’ch elle ne comprend pas ma fahma’ch rien walou du tout koulchi quelque chose ou quelqu’un d’autre chihaja oula chiwahad akhor elle dit qalat où vas-tu maintenant fin gadi daba quand quel jour imtha yemtha ce n’est pas maintenant machi daba viens demain aji ghedda pourquoi pas âlach la regarde [cherche] tu écris chûf ktebiti sois la bienvenue marhbabik yallah on y va inch’allah

    [rudiments maintenant qu’elle parle dans une langue approximativement [darija] c’est être allée là-bas à n’en pas douter il n’est plus nécessaire d’y retourner] [pourvu que ce soit ensemble qu’elle soit parie pourvu qu’elle ait oublié que cela lui revienne] [il y a plus ambigu que les mots] [amour au sens large se dit houb peau jeld cannelle qarfa hajal signifie la perdrix la chapelle le lit nuptial]




    nos corps
    tables rases
    ce qu’il en restera une fois
    évidés
    essorées
    nos bouches nos haleines
    nos ombres
    dépouillé[es] de leurs
    frusques
    une fois
    désossés
    énervés
    ce qu’il en restera
    nos sexes
    d’éternels ébréchés
    nos yeux
    en crue
    […]




    Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier [textes], Corinne Le Lepvrier [photographies] , Les Allantes, éditions La Renverse, Collection Deux choses lune, Caen, 2019, 70-72.





    Les Allantes montage




    CORINNE LE LEPVRIER


    Corinne Le Lepvrier 2
    Source




    ■ Corinne Le Lepvrier
    sur Terres de femmes


    Compte de femmes (lecture d’AP)
    [Je me suis arrêtée, je tourne à vide](extrait de Pourquoi la vie est si belle ?)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Corinne Le Lepvrier
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Corinne Le Lepvrier






    SOPHIE EUSTACHE


    Sophie Eustache
    Source




    ■ Voir encore ▼


    → (sur le site des éditions Amsterdam)
    une notice bio-bibliographique sur Sophie Eustache





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  • Souad Labbize | Baluchon d’exil, 23



    BALUCHON D’EXIL, 23




    Le troisième jour
    pour remplir ma gourde
    j’ai percé les ampoules
    de mes pieds
    lapé l’encre
    du passeport
    mâché le papier officiel
    les initiales de mon nom
    se sont imprimées sur mes lèvres

    le septième jour
    j’ai chaussé mon euphorie
    survolé la dernière dune
    vers la rive nord du mirage

    le quarantième jour
    je me suis présentée
    à la cérémonie des diplômes
    le désert m’a remis
    une attestation honorifique

    je me suis assise
    sur un amoncellement d’os
    j’ai attendu le passeur




    Souad Labbize, « Baluchon d’exil », 23, Je franchis les barbelés, éditions Bruno Doucey, Collection L’autre langue, 2019, page 33.






    Souad Labbize  montage 2





    SOUAD LABBIZE


    Souad Labbize  portrait 2
    Source




    ■ Souad Labbize
    sur Terres de femmes


    [J’ai pisté tes traces] (extrait de Brouillons amoureux)





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