Étiquette : 2019


  • Patrice Dyerval | Haïku de juin



    Via Sacra

    Ph. Patrice Dyerval
    (première de couverture de Via Sacra)








    HAÏKU DE JUIN


    On dirait des mouches
    les martinets dans le pâle
    espace du soir

    Vol de martinets
    paraphe secret qui là-haut
    signe notre monde

    Regard tournoyant
    scrute les signes du ciel
    qui battent des ailes

    Juin aux fleurs de ciel :
    paulownias et agapanthes
    font oublier mai

    Chant de merle en juin :
    sur le pin l’oiseau plastronne
    à bec déployé




    Patrice Dyerval, « Rouleaux », Via Sacra, poèmes (2016-2018), éditions Librairie-Galerie Racine, 2019, page 80.






    Patrice Dyerval  Via Sacra





    PATRICE DYERVAL



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Librairie-Galerie Racine)
    la fiche de l’éditeur sur Patrice Dyerval





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  • Rutger Kopland | [Matins au bord de la rivière]



    [MORGENS AAN DE RIVIER]




    Morgens aan de rivier, morgens waarin
    hij nog lijkt te overwegen
    waarheen hij die dag
    weer zal gaan,

    of hij diezelfde hevige bewegingen
    zal maken als altijd,
    of niet meer,

    of zijn deze eindeloze aarzelingen
    de lege gebaren van iemand
    die al niet meer bestaat,

    en zich heeft neergelegd

    bij wat hij is, tussen zijn oevers,
    in het zinloze spoor
    dat hij groef.







    [MATINS AU BORD DE LA RIVIÈRE]




    Matins au bord de la rivière, matins où
    elle semble encore se demander
    où elle ira encore
    ce jour-là,

    si elle fera comme toujours
    les mêmes mouvements vifs,
    ou non,

    ou si ces oscillations sans fin
    sont les gestes vides de quelqu’un
    qui déjà n’existe plus,

    et s’est résigné

    à ce qu’il est, entre ses rives,
    dans le vain sillon
    qu’il a creusé.



    Rutger Kopland, « Drentsche Aa », I, Cette vue [Dit uitzicht, Van Oorschot b.v., 1982], édition bilingue, éditions érès, Collection PO&PSY, 2019, pp. 44-45. Poèmes traduits du néerlandais par Jan H. Mysjkin et Pierre Gallissaires. Dessins de Jean-Pierre Dupont.





    Kopland montage




    RUTGER KOPLAND


    Rutger Kopland portrait
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions érès)
    une notice biographique sur Rutger Kopland
    → (sur le site des éditions érès)
    la page de l’éditeur sur Cette vue





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  • Bernard Bretonnière, Ça m’intéresse de savoir



    Logo-loeilébloui-2019-fond-bleu-1








    ÇA M’INTÉRESSE DE SAVOIR
    (extraits)





    Ça m’intéresse de savoir qu’en 2007, Hélène Martin habitait un moulin situé sur la commune de Savenay – petite ville citée, pour sa bataille (23 décembre 1793), par Jules Verne dans Le Comte de Chanteleine et transformée en Brévenay par Julien Gracq dans La Presqu’île.

    Ça m’intéresse de savoir que le pèlerinage à La Mecque est antérieur à l’islam, qui rassemblait païens et chrétiens.

    Ça m’intéresse de savoir que Guy Debord organisait des concours dans lesquels les candidats devaient boire cul sec un verre de bière rempli de vingt-cinq centilitres de rhum Negrita ou, également cul sec, une bouteille de vin blanc, ou, encore, un litre de bière qu’il appelait un « formidable » – alors qu’un formidable se limite plus raisonnablement à une contenance de quatre-vingts centilitres.

    Ça m’intéresse de savoir qu’un demi de bière français correspond à vingt-cinq centilitres et un demi de bière belge au double.

    Ça m’intéresse de savoir que Mithridate de Racine était la pièce préférée de Louis XIV.

    Ça m’intéresse de savoir que l’invention de la bière est antérieure à celle du vin.

    Ça m’intéresse de savoir que Machiavel fut l’un des maîtres de Hegel.

    Ça m’intéresse de savoir qu’il existe plus de dix mille cépages sur notre terre.

    Ça m’intéresse de savoir que la première personne à avoir perçu le génie de Claude Debussy fut André Suarès – dès 1890.

    Ça m’intéresse de savoir que le vignoble de Jerez se vante d’être le plus ancien du monde.

    Ça m’intéresse de savoir que la fête des Pères est une initiative des écrivains et pères Georges Duhamel et Maurice Genevoix.

    Ça m’intéresse de savoir que la vigne et le vin sont cités quatre cent quarante-et-une fois dans la Bible.

    Ça m’intéresse de savoir que Kiki de Montparnasse ne portait jamais de culotte.

    Ça m’intéresse de savoir que l’égrappage supprime la rafle, ce qui diminue l’astringence du vin.

    Ça m’intéresse de savoir que l’illustratrice, autrice et éditrice Sarah d’Haeyer explique qu’elle met deux culottes, une sous ses collants, l’autre au-dessus, pour les empêcher de glisser.

    Ça m’intéresse de savoir qu’Hispanie signifie, en phénicien, « le pays des lapins ».

    Ça m’intéresse de savoir qu’Al Capone ne portait que des sous-vêtements en soie de la prestigieuse maison A. Sulka & Company – New York, Chicago, Palm Beach et Londres.

    Ça m’intéresse de savoir que le tabac réduit de moitié le risque de maladie de Parkinson.

    Ça m’intéresse de savoir (grâce à Jean-Yves Masson) que le mot sélection est un anglicisme introduit par Clémence Royer en 1862 dans sa première traduction du livre de Charles Darwin De l’Origine des espèces (librement sous-titré ou Des lois du progrès chez les êtres organisés – On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life).

    Ça m’intéresse de savoir que l’opium constitue un efficace anti-épileptique.

    Ça m’intéresse de savoir qu’Alceste est femme chez les Grecs et homme chez Molière tandis qu’Ascagne est homme chez les Grecs et femme chez Molière.

    Ça m’intéresse de savoir que les paroles de la chanson Bal chez Temporel, interprétée par Guy Béart, sont dues à André Hardellet.

    Ça m’intéresse de savoir que l’auteur des paroles d’une chanson – à succès – peut gagner jusqu’à cent mille euros de droits par an.

    Ça m’intéresse de savoir qu’Apollinaire vécut au septième étage du 202 boulevard Saint-Germain, à Paris, avec vue sur les Invalides.



    Bernard Bretonnière, Ça m’intéresse de savoir suivi de Ça m’amuse de savoir, éditions l’œilébloui, 44000 Nantes, 2019, pp. 50-52.





    CAMINTERESSE



    BERNARD BRETONNIÈRE


    Bernard Bretonnière  Guidu
    Source




    ■ Bernard Bretonnière
    sur Terres de femmes


    Inoubliables et sans nom (extraits)
    [Je suis cet homme à la triste figure] (extrait de Je suis cet homme, fiction suprême)
    [Mon père mon héros] (extrait de Pas un tombeau)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    la fiche de l’éditeur sur Ça m’intéresse de savoir
    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    une notice bio-bibliographique sur Bernard Bretonnière
    → (sur YouTube)
    une présentation vidéo de Ça m’intéresse de savoir





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  • Margherita Rimi | Nero



    NERO
    (estratto)




    Abbiamo tirato fuori i miei fratelli

    uno stava pregando

    uno sorrideva


    Erano così belli


    Io ero ferito
    non avevo paura però piangevo

    Mia madre sopra di me era morta
    mi ha salvato ma lei è morta



    Adesso non voglio parlare più



    Ci sono stati i bombardamenti
    io credevo un terremoto

    siamo usciti e non abbiamo visto più niente.


    I miei occhi

    hanno fatto una foto


    così mi ricordo

    mia madre




    Margherita Rimi, “Nero”, Le voci dei bambini, Poesie 2007-2017, Mursia Editore, Collana Argani, 2019, pp. 34-35-36.






    Margherita Rimi montage








    NOIR
    (extrait)




    Nous avons sorti mes frères

    l’un était en train de prier

    l’autre souriait


    Ils étaient si beaux


    Moi, j’étais blessé
    je n’avais pas peur, pourtant je pleurais

    Ma mère sur moi était morte
    elle m’a sauvé mais elle, elle est morte



    À présent je ne veux plus parler



    Il y a eu des bombardements
    je croyais que c’était un tremblement de terre

    nous sommes sortis et n’avons plus rien vu


    mes yeux

    ont pris une photo


    comme ça je me souviens

    de ma mère




    Traduction en français d’Irène Dubœuf.




    MARGHERITA RIMI


    Margherita Rimi portrait





    ■ Margherita Rimi
    sur Terres de femmes


    La carezza (extrait de Nomi di cosa-Nomi di persona)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur larecherche.it)
    une notice bio-bibliographique sur Margherita Rimi
    → (sur Poeti del Parco)
    une lecture (en italien) des Voci dei bambini par Anna Maria Curci -+ extraits)





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  • [mai 2018] Giuseppe Conte | Mer qui chante comme les cigales



    Ghjottani
    Ph. DR : Marie-Pierre Gandolfi








    MARE CHE CANTI COME LE CICALE




    Mare su cui si affacciano gli ulivi
    tra rocce ripide e riflessi del sole
    mare che hai udito le parole
    di Omero e di Odisseo
    mare che canti come le cicale
    che ho attraversato quando ero bambino
    tra Scilla e Cariddi, sotto stelle di sale
    mare che vide Goethe quel mattino
    tutto d’oro come d’alberi di limone.
    Oggi sei il mare dei morti, la prigione
    dei tanti annegati tra i migranti.
    Rinasci, Mediterraneo, con i tuoi canti
    incolpevoli, unisci, non separare
    ricorda agli uomini d’Europa la tua legge :
    essere mutevole, alzare le vele, amare.


    Maggio 2018



    Giuseppe Conte, Non finirò di scrivere sul mare, Mondadori Libri, Collezione Lo Specchio « I poeti del nostro tempo », 2019, pp. 121-122.






    Conte montage 2







    MER QUI CHANTE COMME LES CIGALES




    Mer sur laquelle les oliviers se penchent
    entre escarpements de roches et reflets du soleil
    toi qui as entendu la langue
    d’Homère et d’Ulysse
    toi qui chantes comme les cigales
    toi que j’ai traversée lorsque j’étais enfant
    de Charybde à Scylla, sous des étoiles de sel
    toi que Goethe a vue toute d’or ce matin-là
    comme les arbres à citrons.
    Aujourd’hui tu es la mer des morts, la prison
    de tant de noyés d’entre les migrants.
    Reviens à la vie, Méditerranée, toi et tes chants
    innocents, fais alliance, ne mets pas de barrières
    redis aux hommes d’Europe quelle est ta loi :
    se mouvoir, hisser les voiles, aimer.

    Mai 2018


    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    pour Terres de femmes






    Giuseppe Conte  Non finiro di scrivere sul mare




    GIUSEPPE CONTE


    Giuseppe_conte
    Source




    ■ Giuseppe Conte
    sur Terres de femmes


    Alle origini (poème extrait de Dialogo del poeta e del messaggero)
    [La beauté est le polythéisme] (extrait du Manuscrit de Saint-Nazaire)
    [Archéologue de mes jours] (poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    Je retourne où déjà j’ai été (autre poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    [Sur les coquelicots] (autre poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    Il poeta [poème extrait des Saisons] (+ notice bio-bibliographique)
    Proserpine (autre poème extrait des Saisons)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Pangea, rivista avventuriera di cultura & idee)
    Giuseppe Conte, il Walt Whitman della nostra letteratura (marzo 25, 2020)
    → (sur Italian Poetry)
    une notice bio-bibliographique sur Giuseppe Conte





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  • Marie-Claire Bancquart | Ressac



    Photographies mêlées
    « les photographies mêlées parlent de notre vie »
    Ph., G.AdC









    RESSAC




    Déjà nous avons quitté plusieurs maisons
    avec leurs chambres agencées peu à peu,
    amoureusement aurait-on dit.

    Aujourd’hui nous trions des papiers anciens
    et les photographies mêlées parlent de notre vie
    brève, mûrie trop tôt entre des angles tapissés
    et ces coins d’herbe mal aimés dans les villes.


    Autour, des amitiés perdues, des souffles retournés au vent.

    Le ressac d’une pauvre fête
    laisse des objets dépareillés sur notre rivage.

    Nous envions les bêtes immobiles des prés,
    ou nos chats, pour qui un dessus-de-lit est immense.




    Marie-Claire Bancquart, « Comme des oiseaux lestés aux pattes », Dans le feuilletage de la terre [éditions Belfond, 1994], in Terre énergumène et autres poèmes, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, page 77. Préface d’Aude Préta-de Beaufort.







    Bancquart montage 2





    MARIE-CLAIRE BANCQUART


    Marie-Claire Bancquart
    Image, G.AdC





    ■ Marie-Claire Bancquart
    sur Terres de femmes


    Intervalle (poème extrait d’Avec la mort, quartier d’orange entre les dents)
    Buis
    Liturgique (poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    [Ces gants anciens] (poème extrait de De l’improbable)
    [Habiter l’herbe et le trèfle] (poème extrait de Figures de la Terre)
    Figures de la Terre (lecture d’AP)
    Impostures (lecture d’AP)
    [Comment vivre dans une maison sans jardin] (poème extrait de Qui vient de loin)
    [Qu’avez-vous fait] (poème extrait de Terre énergumène)
    [Il y a du jeu] (poème extrait de Tracé du vivant)
    [Une ville aimée luit et crie] (autre poème extrait de Tracé du vivant)
    [Toi, l’herbe] (poème extrait de Violente vie)
    Violente vie (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    En Angleterre (poème inédit)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    portrait de Marie-Claire Bancquart (+ un poème issu du recueil La Mort, quartier d’orange entre les dents)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel de Marie-Claire Bancquart





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  • Martin Rueff | Complaintes de Mare eorum




    Immigrati-clandestini-sbarchi
    « coule l’eau, coule le sang, coulent les esquifs des migrants sur la Mare nostrum
    rebaptisée pour l’occasion Mare eorum, et c’est très certainement la leur, puisqu’ils y meurent »
    (Santiago Artozqui, En attendant Nadeau
    Source








    COMPLAINTES DE MARE EORUM




    I.

    L’amer
    notre mer
    si une mer peut aujourd’hui
    être dite à quelqu’un
    la voici ouverte
    béante
    jamais il n’y eut
    de mer semblablement ouverte.


    2.

    Aussi loin qu’ils regardent
    les vagues sont des loups
    aux corps barbouillés de guède
    meute innombrable qui monte et qui descend
    aux gueules grandes ouvertes
    hurlant avec le vent
    et parfois, à la crête des vagues,
    quand les bêtes viennent laper le sel
    sur la coque, et qu’elles montrent leurs crocs
    on voit briller leur bave
    sur les creux monstrueux.


    3.

    pleurez doux alcyons pleurez
    ils crient ils tombent ils sont aux seins des flots
    et nulle Thétis n’a soin de les cacher
    nulle troupe n’a cœur à les pleurer
    et la mer argentée leur sert de couverture
    et le ciel étoilé est en eux
    et la mort au-dessus d’eux
    au-dessus de leurs corps emportés seuls
    dont l’amer fait peau neuve.


    4.

    les dernières bulles seules libérées
    par les corps asphyxiés cyanosés bientôt
    du flanc enfant d’un zodiaque noyé
    et qui remontent en étoiles d’or
    émeraudes mouvantes
    bleues vertes et velues mon bonhomme
    émeraudes louves
    en vagues louvoyantes

    à la surface
    comme des cristaux méduses
    ou l’inverse
    tant d’eau
    d’espoirs fait lie
    et de mots inaudibles
    venus des Afriques profondes
    remontées sans filets autres que des voix tues
    et oripeaux



    Martin Rueff, « I. L’amer fait peau neuve », La Jonction, éditions Nous, Collection disparate, 2019, pp. 45-47.





    Martin Rueff La jonction





    MARTIN RUEFF


    Martin Rueff portrait
    Source




    ■ Martin Rueff
    sur Terres de femmes


    Icare crie dans un ciel de craie (lecture d’AP)
    Et des coups de poing dans la poitrine (extrait d’Icare crie dans un ciel de craie + une notice bio-bibliographique)
    Le jaguar aux yeux d’eau (hommage de Martin Rueff à Claude Lévi-Strauss)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de La Jonction par Santiago Artozqui






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  • Paolo Rumiz, Appia

    par Angèle Paoli

    Paolo Rumiz, Appia, récit,
    éditions Arthaud, 2019.
    Traduit de l’italien par Béatrice Vierne.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Via Appia photo
    Source






    Appia Antica
    Appia Antica : Rome-Brindisi
    Source








    APPIA, « L’ARCHÉTYPE DES ROUTES »




    La Via Appia. Est-il un touriste amoureux de Rome qui n’a pas un jour ou l’autre déambulé entre les tombes et les pins maritimes qui font le charme de la Via Appia Antica ? Pour nombre d’entre nous, cette ancienne voie romaine, jalonnée de monuments funéraires et de catacombes, constitue un lieu de promenade et de rêveries mélancoliques, un havre de paix parmi les ombres défuntes, loin des embouteillages, du charivari et de la pollution qui submergent le centro storico de la Città eterna. La découverte de la plus vieille route d’Europe s’entreprend à partir de la Porte San Sebastiano. On peut aujourd’hui encore parcourir à pied cette voie quelques kilomètres durant avant de rebrousser chemin et de s’immerger à nouveau dans les dédales de la Ville Éternelle.

    Pour Paolo Rumiz et ses compagnons de route, il en est allé tout autrement. Car, à l’orée de ce siècle, Paolo Rumiz, journaliste-marcheur, s’est mis en tête de parcourir, à pied et sac au dos, l’intégralité de la « reine des routes ». Depuis Rome jusqu’à Brindisi. Puis de Brindisi jusqu’à Rome. Afin de mesurer « ce qui avait changé le long de cette ligne tendue en diagonale sur un morceau de l’Italie si éloigné du grand flux. » Ils sont quatre au départ, quatre fous en liberté. Il leur arrivera parfois d’être beaucoup plus nombreux. Paolo Rumiz entraîne avec lui Riccardo, « le plus grand randonneur d’Italie », « dompteur de ronciers et de torrents » ; Irène, architecte passionnée d’environnement ; et Alex, grand lecteur de cartes IGN. Un voyage d’un mois qui « s’est achevé à la date du 13 août 2015, deux mille trois cent vingt-sept ans tout juste après le commencement des travaux de construction, après six cent douze kilomètres, vingt-neuf jours de route et près d’un million de pas ».

    C’est sur ces chiffres impressionnants – qui donnent un ordre de grandeur du projet entrepris par le « journaliste nomade » – que s’ouvre l’ouvrage Appia. Héroïne du livre, Appia, l’omniprésente et l’unique, est la sœur aînée de toutes les autres voies ouvertes au cours de l’Antiquité. Viendront ensuite l’Emiliana, la Flaminia, la Salaria, la Francigena (qui remonte par la Suisse vers la Gaule et rejoint Cantorbéry), l’Aureliana et tant d’autres. Féminine, comme les autres voies qui sillonnent l’Italie, elle est la création d’un homme qui rêvait d’une « diagonale de l’Orient », une ligne droite qui filerait de Rome à Brindisi en faisant fi des dénivellations et des obstacles. En l’an 312 avant Jésus-Christ, c’est Appius Claudius Caecus, homme d’État et auteur romain, aveugle, comme l’indique l’adjectif caecus, qui ouvre le premier tronçon de route, de Rome à Capoue.

    Après avoir été, pour Paolo Rumiz et ses amis, le support écrit de toutes leurs annotations et de toutes leurs inquiétudes aussi, l’ouvrage Appia est désormais devenu la « Bible » de la voie Appienne. Une bible d’une richesse inépuisable. Qui rend irréversiblement modeste tout lecteur qui croit connaître l’Appia et croit pouvoir aisément deviser sur elle. Plus de cinq cents pages sont consacrées à cette « reine des routes » et à cette vaste expédition culturelle qui bouscule l’espace et le temps. Une somme davantage soucieuse de témoigner d’un « devoir civique » et politique que de « faire œuvre littéraire ». Un livre « fourre-tout », écrit au fil des jours, à partir de notes griffonnées chemin faisant. Un ouvrage qui prend appui sur une préoccupation constante de vérité, doublée d’un désir profond de réhabilitation. Rendre à l’ancienne route sa visibilité afin qu’elle soit à nouveau praticable et rendre compte le plus précisément possible tant du négatif que du positif, sans jamais rien omettre, telles ont été les ambitions de Paolo Rumiz.

    Appia est sans conteste un livre passionnant, foisonnant de détails inédits, aussi bien dans le domaine de la géologie, de l’orographie, de l’archéologie, de l’histoire et de la littérature antiques que dans le domaine culinaire et proprement humain. Très vite, le lecteur se prend à rêver de se glisser au sein de cette « patrouille » d’explorateurs, laquelle s’agrandit parfois, au gré des rencontres, de passagers provisoires, guides et archéologues du terroir (de nombreuses femmes parmi ces archéologues), habitants et paysans, sans compter les curieux enthousiastes. Tous passionnés de l’Appia.

    Le désir de joindre ses propres pas aux pas de ce groupe d’originaux va croissant au fil de la lecture. Le désir par exemple de revivre, dans le défilé des Fourches Caudines, la célèbre bataille qui opposa les Romains aux Samnites. Lesquels se rengorgent encore aujourd’hui de leur victoire : « On a foutu une sacrée trempe aux Romains. » Ou le désir de s’enfoncer plus avant encore, vers « le haut plateau de Formicoso », sur « la route de Mefite », d’approcher avec prudence « le cratère bouillonnant d’exhalaisons – pour le coup méphitiques – où habite la divinité de même nom, protectrice de la fertilité et gardienne des portes séparant la vie de la mort. »

    Au moment d’atteindre les fameuses Fourches, l’Appia « se métamorphose », qui « croise les sentiers antiques des Hirpins, Daumiens, Lucaniens et Messapiens. » C’est aussi le moment où Rumiz note que « la narration change, elle aussi, […] se détache des explications, […] s’immerge enfin dans le paysage et va au-delà, de prospective qu’elle était, […] devient rétrospective, […] commence à radiographier le flux du temps. » Quelle que soit la forme que prend la narration demeure le plaisir de partager avec les marcheurs la redécouverte de la « mère de toutes les routes », de son histoire passée et présente. Grandiose et misérable, cette histoire est engloutie sous le poids d’inerties, sous la résignation et les atermoiements sans fin de pouvoirs inaccessibles et sourds. Sous « l’amnésie d’une nation ». Et nous voilà, lecteurs, renouant lien avec les régions reculées des Apennins et du Mezzogiorno, méprisées et abandonnées de longue date par le potentat romain et par les riches citadins des villes septentrionales. Autant dire que le voyage que le lecteur s’apprête à faire en compagnie de Paolo Rumiz et de ses complices est loin d’être un voyage de tout repos. Tout au long des pages, le lecteur est confronté tant aux beautés inouïes et aux merveilles qui jalonnent la route qu’aux désastres irrémédiables engendrés par une modernité avide et destructrice.

    L’Appia est un vaste chantier archéologique à ciel ouvert. Temples, forums, thermes, villas antiques, statues et tombes rivalisent avec « échangeurs, carrières, hangars, périphériques, clôtures de terrains privés » et immeubles vides, œuvres de promoteurs avides, responsables avec tant d’autres de la grande « gabegie » qui met l’Appia en péril. Ainsi apprenons-nous que la Via Appia Antica est non seulement une route de contrastes mais aussi une route de conflits. Les uns s’acharnant à la protéger et à la défendre contre les prédateurs ; les autres à l’engloutir par une recherche effrénée du profit.

    « Après avoir porté vers le sud la marque de Rome, elle portait désormais vers le nord celle de la Camorra, plantant le décor d’une espèce de Far West aux portes mêmes de la capitale. L’Appia était une vache à traire ou à expédier à l’abattoir. Derrière les paysages à couper le souffle, derrière les vues immenses sur la mer et le ragù à la napolitaine, nous sentions constamment la solitude des honnêtes gens et l’arrogance d’une bureaucratie hautaine, prompte à interdire le meilleur et à couvrir le pire… ».

    Pour Paolo Rumiz, Appia est « l’archétype des routes ». Elle est « la ligne par excellence », laïque et droite. Longeant la mer Tyrrhénienne, traversant les vastes étendues marécageuses des Marais Pontins, puis filant droit devant en direction de « la vieille ville de Terracina —gorgée de grandioses vestiges romains ». C’est de là qu’elle bifurque soudain pour grimper et se perdre dans les régions abruptes et sinueuses de l’intérieur. Partout où elle passe, quelle que soit la région qu’elle traverse et les « quatre-vingt-dix communes concernées », Appia se heurte aux mêmes obstacles. Orographiques, topographiques et humains. Jusqu’à disparaître, happée par les broussailles et les roselières, jusqu’à se perdre à travers champs, puis s’interrompre brusquement. Aux énormes dalles de basalte – les fameux basoli qui la revêtaient — se sont substitués des tronçons d’asphalte. Le GPS perd la trace. Meurtris d’ampoules, les pieds sont là pourtant, fidèles, qui viennent à la rescousse. Mais partout arrogance et incompétence s’en mêlent. Paolo Rumiz, lui, ne décolère pas. Depuis le point de départ, la Porte San Sebastiano, la via Appia est l’objet de convoitises. Les ruines qui jalonnent la voie ont été vandalisées. Les pierres des tombeaux, des colonnes et des temples ont servi à la construction de luxueuses villas, délimitées par des clôtures infranchissables. Partout les archéologues sont en butte aux autorités et aux potentats locaux. La destruction de l’Appia a été orchestrée dès l’origine par la noblesse romaine, puis par des hauts dignitaires de l’Église, des ministres, des chanteurs richissimes et enfin par les empereurs du béton. Quant à la grande majorité du peuple, elle est insensible à la beauté des antiquités. Les musées, qu’ils soient à ciel ouvert ou enclos entre des murs, sont l’objet d’une muette ou sourde indifférence. In fine, constate amèrement Rumiz, cette dilapidation des biens, on la doit davantage aux Italiens qu’aux barbares, pourtant accusés de tous les maux.

    L’emportant sur le chemin de Saint-Jacques qui prend fin une fois atteinte la destination de Compostelle, la voie Appia peut se parcourir dans les deux sens. Dans le sens nord/sud, elle est route laïque martelée par les légions romaines. Dans le sens sud/nord, elle est la route empruntée par Simon Pierre en marche vers Rome. Elle est « la voie du christianisme débarquant en Occident. » Paolo Rumiz, souhaitant dissocier marche et pèlerinage, oppose ici deux sortes de projets, deux types de voyageurs.

    « Deux visions du monde, différentes et complémentaires, qui sur l’Appia mettent pour ainsi dire deux races antagonistes de voyageurs. »

    Ainsi la voie romaine raconte-t-elle « deux grandioses histoires parallèles, une pour les laïcs avant tout et l’autre pour ceux qui recherchent le sacré. »

    Et c’est bien ce qu’a entrepris Paolo Rumiz, pour qui l’Appia est une drogue addictive. Le journaliste a ainsi fait quatre voyages. Un voyage découverte et repérages. Un voyage retour, en voiture. Un troisième voyage pour revoir, vérifier ou clarifier certains points. Un quatrième consacré à l’écriture de son ouvrage. En définitive, la lecture d’Appia peut s’effectuer dans les deux sens. Le sens sacré et le sens laïc.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Paolo Rumiz  Appia
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    PAOLO RUMIZ


    Paolo Rumiz
    Ph. © Philippe Matsas/Opale/Leemage-éditions Arthaud
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arthaud)
    la fiche de l’éditeur sur Appia
    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture d’Appia par Norbert Czarny






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  • Michaël Glück | Choral des Septantes, 6


    CHORAL DES SEPTANTES, 6



    J’ai mordu l’intérieur de ma joue, j’ai craché une étoile rouge sur la neige.

    Signer, saigner, écrire, avec mon corps écrire, ne laisser que des pas dans la neige, des morceaux de moi, une dent gâtée, la chaleur d’une larme, l’urine noire, le sang perdu, le sang craché, n’écrire qu’avec mon corps mon nom dans la neige ou bien le semer à voix haute dans le vent qui geint, neige est mon nom, hurler neige est mon nom, Sirka, je m’appelle Sirka, ma mère, ma mère, ma défunte mère, toujours défuntes sont les mères, ma mère m’a donné ce nom Sirka et mon père a acquiescé en silence avant de partir vers le large, au nord du nord, sur un traîneau tiré par des chiens. Moi aussi je veux partir au nord du nord, je veux écrire vers le large, avec mon souffle devant moi, écrire vers les navires qui ont sombré en mer, signer, saigner, écrire avec le sang, cesser de fouiller dans les entrailles de la terre pour tracer au charbon les noms brûlés, j’aurai peut-être dix-sept ans quand nous atteindrons le bout du monde, car nous allons au bout du monde, n’est-ce pas ? Je m’appelle Sirka. Neige est mon nom et sous mon nom bat le sang. C’est ma signature.



    Michaël Glück, « Choral des Septantes, 6 », Ciel déchiré, après la pluie, L’Amourier éditions, Collection Fonds Proses, 2019, 06390 Coaraze, page 229.








    MICHAËL GLÜCK


    Gluck Portrait
    Source




    ■ Michaël Glück
    sur Terres de femmes


    « cette chose-là, ma mère… »
    [commence une phrase] (extrait de …Commence une phrase)
    …Commence une phrase (lecture d’AP)
    L’Enceinte (lecture d’AP)
    Matières du temps (extrait de D’après nature)
    [le ciel emporte le reflet des îles](extrait d’Errances célestes)
    [nous sommes venus d’un ciel à l’envers] (extrait d’Un livre des morts)
    [où de vivants piliers] (extrait de Poser la voix dans les mains)
    Passion Canavesio | Passion-Judas (lecture d’AP)
    [Certains matins les mots] (extrait de Tenir debout dans le grand silence)
    [toujours avoir à se justifier devant la norme] (extrait de Tournant le dos à)
    Tournant le dos à (lecture d’AP)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    Michaël Glück – portrait d’un poète (Portrait réalisé par Sonia Viel. Propos recueillis par Thierry Renard. Production Espace Pandora. Festival Voix de la Méditerranée, de Lodève, juillet 2011)
    → (sur remue.net)
    un dossier Michaël Glück





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  • Anne Calas | Val cosmique



    Calas +







    VAL COSMIQUE
    [15]





    Le vide absorbera la joie aux commissures
    Je prends le ciel à la gorge
    Je prends son cri et son silence
    Je prends ses giclées de béton
    Sa pluie d’encre féconde
    Ses semelles d’aube claire
    Je prends ses arrivées ses lignes
    Et son tourment et ses ombres
    Je prends
    [Tout]




    Anne Calas, « Val cosmique » in « III. Sans faille, la vie nouvelle », Déesses de corrida, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2019, page 117.





    Anne Calas  Déeesses de corrida
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    ANNE  CALAS

    Anne Calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site personnel d’Anne Calas)
    une lecture de Déesses de corrida par Jean-Paul Auxeméry [PDF]
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la page de l’éditeur sur Déesses de corrida





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