Étiquette : 2020


  • Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui

    par Sabine Dewulf


    Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui,
    éditions La Tête à l’envers, 2020.



    Lecture de Sabine Dewulf


    « Ce titre est une formule du quotidien qu’utilisaient volontiers les anciens. Non pas les ancêtres de Cécile Guivarch, cette fois-ci, mais ces femmes et hommes qui habitaient une durée différente, où la vie et le temps semblaient brodés d’une même étoffe. Dans son entreprise, la poète s’appuie sur un support original : des lettres et des cartes postales contenant des phrases toutes simples, citées en italiques, soit en regard des poèmes, sur la page de gauche ou de droite, soit semées parmi eux. C’est l’une de ces lettres qui a le dernier mot, presque sacralisée par le fait qu’à la fois elle achève et baptise l’ouvrage : « Je ne sais quoi dire de plus. // C’est tout pour aujourd’hui. » Ainsi ce livre mérite-t-il doublement le nom de recueil.

    Trois sections le subdivisent. La première, « De vous à moi », pose le projet et le lien qui en réalité se tisse à double sens : « Je viens à vous chaque jour ». La deuxième, la plus longue, intitulée sobrement « Vous », se consacre davantage au contenu des lettres, qui correspond à un grand nombre d’actions : cuisiner, couper les fleurs des champs, pousser les bêtes dans l’étable, labourer, fabriquer le cidre… faire la guerre, enfin. La troisième section est dédiée à la première personne du pluriel, celle qui a succédé à la génération disparue : « C’est nous, aujourd’hui. » Non pas totalement disparue, à plusieurs titres. D’abord, parce que nous communiquons et écrivons toujours : Cécile Guivarch, à la fin du livre, se dit « Fière de travailler chez Orange où la révolution numérique […] continue de relier les personnes entre elles. » Ensuite parce que son écriture prend un soin infini à ressusciter ces missives, en embrassant ce qui, sur le papier jauni, prenait le temps de former « de si belles lettres », au sens premier du terme. Enfin, dans la mesure où le besoin perdure de forger les maillons d’une chaîne d’expression essentielle, centrée sur cette formule dont se moquent certains, où se lit notre profonde compassion : « Mais peut-être que les mots d’autrefois / sont toujours les mêmes aujourd’hui. // Cela fait plaisir de vous savoir en bonne santé. »

    Cependant, quelle relation peut bien entretenir la poésie avec cette sorte d’écrits tracés par des mains accoutumées à d’autres tâches, que la poète réunit sous le nom de « labeur » ? Aucune, a priori. Sauf que ces écritures se révèlent fraîches et généreuses comme le jour, dans la lumière d’un temps qui se déroule pleinement, de l’aube au crépuscule : « Les attentions à s’embrasser sans compter / ainsi que vous saviez si bien le faire matin et soir. » On le pressent, elles viennent directement du cœur et du bon sens : celui qui n’écarte ni la pluie ni l’orage au prétexte que cela ne lui conviendrait pas. Elles accueillent l’aujourd’hui exactement tel qu’il est : « ces petites choses dont jouir chaque jour ». Et savent se taire quand l’instant en est venu : « Puis vous n’aviez plus rien à dire ». Tout comme en poésie : « Vous n’êtes pas pages blanches, vos poèmes sont dans vos lignes. »

    Ce n’est donc pas un livre-musée que nous propose ici Cécile Guivarch, mais un dialogue vivant, impromptu, accordé au poème : « Vous n’êtes pas dans l’ordre, ni le nombre des années ». Une conversation émouvante et aimante : « J’aimerais vous serrer contre moi » ; « Vous tenez dans ma main. » Sans cesse la poète s’adresse à ces anciens qu’elle n’a pas connus, dont elle relève la parole dans un double mouvement d’élan – « Je vous rejoins dans vos couleurs » – et d’accueil : « Les lettres me parviennent, comment savoir ce qui respire avec elles. » Elle prête attention à tout ce qu’elle reçoit, même aux plus simples listes ; elle en extrait la substance poétique, qu’elle nourrit de sa propre parole et qui, en retour, crée la source verbale d’un inépuisable élan : « Les yeux brillaient vers le même mouvement de cœur / sans mesurer la quantité de bleu de vent de soleil. » C’est le sens même du vivant, rassemblé dans des formules concises, qui entrent au cœur : « Vous envoyiez des mots que vous ne saviez pas poèmes, / […] dire en peu de mots ». De savoureuses tournures viennent tour à tour alimenter et interrompre le texte poétique : « Dans la campagne, tellement bien belle. / […] / J’entends encore le bourdonnement des appareils dans toute la campagne, / si fort que ma voix en est coupée. » Finalement la poète répond à ces lettres par ces autres lettres que forment les poèmes : « Je vous assure que moi aussi, tout va bien, la vie passe. »

    Pour Cécile Guivarch, il s’agit bien d’incarner cette parole ancienne, reçue en dépôt pour rejaillir autrement : « Vous me poussez dans le sang pour fleurir au bout des doigts. » Ici et là, des « voix s’éveillent », qui passaient « les jours à relier les fils les uns aux autres ». Prolongeant ce « tissu étendu jusqu’à nous », le poème redessine des existences, non pas telles qu’elles étaient – comment serait-ce possible ? –, mais apte à se redire, à s’insinuer dans nos lignes trop droites, pour nous aider à gagner ces marges élargies où nous respirons mieux : « Respirer le temps ramassé entre vous et moi. » Là où l’intensité fulgure, il nous rend à la joie d’exister : « j’esquisse les sourires d’où je vous écris ». Ainsi les pronoms « je » et « vous » ne se séparent plus, malgré l’écart des années : « Ensemble déjà pleins de nous. » L’écriture de Cécile Guivarch exhume, relie et redéchiffre : « Le monde se poursuit dans des allers-retours. » En se mêlant aux lignes du passé, elle pousse le « nous » et le « vous » à se confondre : « Envoyer un mot. Venez demain, ce sera dimanche. / Apportez-nous du vin si vous voulez, vieilli en fût de chêne, / il sera bon en bouche. » Sans le dire, elle nous suggère de nous poser en écrivant : les phrases nominales éclairent le fait qu’une vie de « travail » gagne à s’entrecouper de « Deux ou trois lignes, juste tout va bien puis retourner au labeur. » Lettre et poème s’entrelacent dans un espace intime : « Je vous écris de l’intérieur ». Le passé se recrée dans une autre durée, ni d’hier ni d’aujourd’hui, un pont où l’ancien se rafraîchit : « Le soleil et les oiseaux – comme le vent remue dans les branches. » Un maintenant s’écrit, non pour combler des lacunes mais pour renouer avec la minutie possible de chaque instant : « Je ne vois pas les lignes, / elles ont été toutes barrées, / laissant juste une dizaine de mots. / […] Vous passiez un petit moment à barrer une lettre / comme un poème que j’allais écrire. » Le tamis d’écriture retient alors l’essentiel de ce qui peut passer d’un monde, d’un temps à l’autre : « Les petites choses oubliées. » « Dire simplement combien vous aimiez. » Comme des fleurs qu’on offre : « Les pensées se formaient / en bouquets des uns aux autres. »

    Le plus poignant peut-être, c’est la mise en exergue des lettres de la guerre, où le « silence » choisit de se redéposer sur la souffrance : « Il préférait les mots de tout va bien / oubliant le ventre se tordant de jour en jour ». La pudeur, le secret qui caresse, enveloppe, le poème les connaît, lui qui préfère laisser entendre. En lien tacite et confidence bien comprise : « Vous m’avez presque tout dit de ces jours. »




    Sabine Dewulf
    D.R. Texte Sabine Dewulf
    pour Terres de femmes






    Cécile G




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




    ■ Voir aussi ▼


    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui





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  • Olivier Vossot, L’Écart qui existe

    par Sabine Dewulf


    Olivier Vossot, L’Écart qui existe,
    éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Collection Pleine Lune, 2020.
    Préface d’Albane Gellé.
    Illustration de couverture de Pascaline Boura.



    Lecture de Sabine Dewulf


    « C’était un autre silence, / Un autre temps, l’écart qui existe entre durer et tenir. » Dans ce nouveau livre, le deuxième, Olivier Vossot cherche bien un écart. Penché vers le passé (celui du père et du grand-père), le poète n’est pas en quête de souvenirs, ni même de bribes de vision, mais d’un intervalle de silence, plus dense que les mots impossibles des vivants et le mutisme des morts. Il écrit dans l’interstice qui s’offre entre la durée où s’enroule et s’engouffre la vie, et la résistance à tout ce temps qui passe, la lutte vaine. Par cet apprivoisement du seuil, il parvient à habiter la page à sa manière propre, à laisser s’y épancher sa voix singulière, ouverte sur le monde mais toujours en-deçà, issue d’une intériorité pas à pas explorée.

    De l’aïeul, à qui le poète s’adresse tout au long du livre, nous saurons peu de choses, hormis l’apaisement procuré par sa propre écriture, dont le don s’est transmis (« Il me reste tes poèmes »). Et pour cause : « Tu en dis peu. » Pourtant, ce grand-père semble incarner un vrai repère, garant de l’équilibre actuel : « L’âge ni la chaleur / ne trouble ton pas, ton regard. » Il incarne le socle du poème où l’aveu se hasarde : « On cherche appui. » « J’ai […] senti la rancune sourde ». Si le vertige n’est jamais loin (« On est soi-même / le paysage qui menace / de se répandre »), ce pilier évite de sombrer dans l’« angoisse » héritée du père, présent à la troisième personne du singulier : « À huit ans j’ai su que j’avais peur de lui, de son mal-être. » Un père noyé dans la boisson et le chagrin privé de mots, à travers une « buée d’alcool et de larmes rentrées » : « Sa soif murée dans le mutisme ». Le grand-père, quant à lui, est comme « l’arbre / par la fenêtre » (deux motifs récurrents), qui porte « le nid dans des lacets de branches ». Si le monde paternel est la « chambre », avec ses « cris » et sa douleur, « les mots au bord d’être jetés, vidés », le « bégaiement » et l’enfermement « dans son chagrin », celui du grand-père ressemble plutôt à un « rayon sur le mur », à « la lumière sur les choses » : « Que dis-tu / de revêtir un peu de l’âge que j’ai, que tu avais, / de laisser se perdre la peine, / les papiers de ta main serrés / repliés sur eux-mêmes et d’oublier / de nous deux qui regarde ? »

    Qu’est-ce alors qu’écrire, sinon tisser son existence à celle de l’aïeul, échanger les regards et les âges pour se perdre au fond d’une conscience partagée ? Ce qui transcende le « il » du père, le « tu » du grand-père, le « je » ou le « on » du poète, c’est bien ce « nous » qui fait surface, et à travers lui, peut-être aussi, la belle communauté des poètes, dont la parole est toujours en retrait de la nôtre : « Nous n’avons plus l’un et l’autre / qu’à attendre sans nous voir / que le silence qui couvre tout / sorte de nos bouches. »

    Cet écart de silence se lit dans le blanc des pages parcourues de vers brefs et dans l’intensité d’images audacieuses : « bouches bégayées » ; « Le sol ruisselle » ; « Nous marchons sur des débris de jours » ; « Une poignée de jours couchés / en travers des autres, comme un bûcher » ; « La fenêtre emplit la pièce ». C’est un temps différent que chuchotent les vers ponctués, mélodieux, une durée dont la « peau » se dépose sur une présence absente, étirée dans la nuit, une « attente » de mots qui s’avancent « comme on s’enfonce dans un bois ». Le « je » chemine parmi les ombres et les promesses, puis s’efface pour accueillir l’« odeur » qui « sillonne le temps », la « fraîcheur mêlée de feuilles, de moisissure », la « lumière » qui « goutte avec le soir », « le temps que le bruissement retombe »…

    Dans ce silence qui écarte et amplifie, des constats s’élèvent, des preuves de victoires : « Ta mort s’écarte de nous », « Tu n’es pas perdu. / Tu n’emportes rien, / seulement »… Le temps élargi entrelace le diurne au nocturne (« C’est le jour déjà, la nuit ») et recueille en son filet quelques éclairs métaphysiques : « Qui te dit qu’un seul jour a passé. » C’est un berceau tressé de mots où s’endorment les bruits, où la naissance espère : « Se recroqueviller dans la mémoire, / son feuillage d’ombres » ; « Souvent tu me tiens dans tes bras, / je ne pèse pas lourd de vie » ; « Nous ne cherchons pas à vivre, / seulement à naître de nos jours. » Encore blottie au fond de la mémoire, l’enfance, la vraie, celle qui ne sépare rien, aspire à faire bruisser ses ailes pour contrarier la menace d’un enlisement (« On s’enfonce. ») : « Je m’imaginais enfant survoler la Terre » ; « Sans rien dire le grain des voix / crépite sur le temps / où j’étais enfant, que tu vivais. » Si des regards se détournent, ne captent rien ou sont « aveugles », la vision du poète, elle, s’anime d’un souffle aussi profond que les paupières du grand-père : « comme s’ils respiraient pourtant, tes yeux / se sont ouverts se sont fermés ». Et dans cet être-là, où les générations se fondent,

    « [l]’ombre passe, tout reprend corps

    au milieu du jour,

    dans le ventre de l’air,

    tu es là. »




    Sabine Dewulf
    D.R. Texte Sabine Dewulf
    pour Terres de femmes







    Olivier Vossot  L'Ecart qui existe 4




    OLIVIER VOSSOT


    Olivier-vossot
    Source




    ■ Olivier Vossot
    sur Terres de femmes


    [La pluie s’abat, à la fenêtre] (extrait de L’Écart qui existe)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Les Carnets du Dessert de Lune)
    la page de l’éditeur sur Olivier Vossot
    → (sur le site de Terre à ciel)
    une page sur Olivier Vossot
    → (sur le site de Terre à ciel)
    une lecture de L’Écart qui existe, d’Olivier Vossot par Cécile Guivarch





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  • Olivier Vossot | [La pluie s’abat, à la fenêtre]



    Le paysage qui menace
    Ph., G.AdC





    [LA PLUIE S’ABAT, À LA FENÊTRE]




    La pluie s’abat, à la fenêtre.
    On est soi-même
    le paysage qui menace
    de se répandre.
    Le froid monte.
    Refermer les yeux
    ne colmate plus.
    Arrivé peut-être, fenêtre close
    qui déborde.



    On vit en pièces
    pas très loin derrière son visage,
    des yeux qui se détournent.
    On disparaît comme si dessous avait été
    d’un seul morceau.
    La nuit prend partout, bientôt
    laisse aller
    ce qui voit.



    Les matins glissent,
    l’oubli remonte comme l’eau.
    Tu vois d’en-dessous
    passer les feuilles mortes.
    Les mots pèsent
    du poids d’être dits,
    bouches bégayées.
    Nous remuons chacun d’un côté du rêve,
    là où personne encore ne sait.




    Olivier Vossot, L’Écart qui existe, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Collection Pleine Lune, 2020, pp. 59-61. Préface d’Albane Gellé. Illustration de couverture de Pascaline Boura.






    Olivier Vossot  L'Ecart qui existe 4




    OLIVIER VOSSOT


    Olivier-vossot
    Source




    ■ Olivier Vossot
    sur Terres de femmes


    L’Écart qui existe (lecture de Sabine Dewulf)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Les Carnets du Dessert de Lune)
    la page de l’éditeur sur Olivier Vossot
    → (sur le site de Terre à ciel)
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  • Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre

    par Sylvie Fabre G.

    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre,
    éditions Méridianes, collection Duo,
    34000 Montpellier, 2020.



    Lecture de Sylvie Fabre G.


    UNE SIMPLE MOTTE DE TERRE SUFFIT AU POÈME



    Certains écrivains, plus que d’autres, sont des héritiers, des êtres à l’écoute des éléments, des choses et des mots. Rêveurs sensibles à la vibration venue des origines et des fins, ils mettent leurs regards et leurs voix aux aguets de ce qui constitue l’univers et de ce qui nous transcende en tant qu’espèce humaine et comme personne, pour mieux « voir », « embrasser » et écrire le lien qui nous unit au cosmos, à la terre que nous habitons et à une histoire – matière esprit et langage. Tels sont les poètes Jean-Pierre Chambon et Michaël Glück qui font dialoguer leur voix dans le beau petit livre, Une motte de terre, publié aux éditions Méridianes en septembre 2020.

    C’est Michaël Glück qui en a initié l’écriture en choisissant de répondre à l’invite de Francis Ponge dans Le Parti pris des choses : « ramassons simplement une motte de terre ». Simplement ? Certes, mais le poète nous révèle que cet acte, dans son apparente simplicité, peut déclencher « le feu de la phrase » dans la bouche de celui qui l’accomplit. N’incendie-t-il pas en effet sa mémoire et sa langue en remuant les cendres de la mort et en faisant de l’arbre de vie un signe pour l’homme dressé entre sol et ciel ? Ainsi l’ensemble du recueil, construit en deux parties, fait de la terre autant le lieu des travaux que de l’écriture, autant que celui des flammes que de la fumée. Berceau mais aussi tombe, la terre, en nous ramenant à la nudité première et dernière, nous insère dans le grand cycle du temps et questionne notre être-au-monde comme nous le montrent, chacun à leur manière, les deux poètes.

    Michaël Glück utilise le vers libre, court et presque sans ponctuation, ainsi que les blancs sur la page, pour allier à la terre la coulée de l’eau et du souffle et penser la force de la matière et du verbe qui ouvre un immémorial : « des mots dans la paume // millions d’années/qui glissent entre les doigts », écrit-il. Le poème lui-même en effet ne glisse-t-il pas sur la page, scandé dans son silence par des citations qui relancent sa méditation ? Terre-air-eau-feu, les éléments qui symbolisent l’aventure du vivant nous unissent au lointain et au proche, et l’humain en porte le chant métaphysique et la mélancolie. Comme Meschonnic, ou Chouraqui cité, familier du Livre, Michaël Glück revient au mythe de la Genèse et évoque « les lentes mains » de l’homme façonnées par celles de Dieu, « mains nées de l’argile/sur le tour du potier ». Tour à tour ou ensemble, devenues mains à charrette ou mains à plume, celles-ci appartiennent à un corps qui travaille la terre en sachant qu’il y retournera, et à un esprit qui pense sa finitude et y consent : « matière tu es/tu fus tu deviendras ». La référence biblique permet pourtant au poète de réaffirmer son choix d’écrire « terre à terre », au plus près de cette matière qui nous constitue et nous contient. Pas besoin d’au-delà, assure-t-il, pour celui qui ne veut atteindre que « l’horizon du poème » dont les vers s’effacent « avec les marées ». Nostalgique d’une enfance ouverte au réel et au rêve qui « ne connaissait que la carte bleue du ciel/ou celle des océans » et pouvait en toute innocence « réinventer l’écriture », le poète aujourd’hui n’a d’autres certitudes qu’une existence terrestre et l’absence de Dieu. Son élan poétique ressemble à la poussée de l’arbre vers la lumière mais il n’est pas sûr que sa sève dure pour nourrir toujours « la forêt des mots ». Car, pour Michaël Glück, tout homme, simple maillon de « la rêveuse matière » est « ange de boue/figure passagère », et sa parole vouée au doute est menacée d’oubli. « Danseur d’alphabets », le poète devient ce funambule qui écrit au-dessus du vide. L’inscription des vers sur la page, toute la rythmique de la deuxième partie du recueil dans ses brisures et ses tonalités en témoigne.

    Ainsi « au sein de la terre-mère », matière et pensée, dehors et dedans se fondent en l’homme pour lever des mots et des images comme autant d’habitations différentes mais reliées. Dans la première partie du recueil, Jean-Pierre Chambon remonte autrement les âges et traverse leur pénombre pour nous rappeler aussi d’où nous venons et combien notre futur est incertain. Retraçant l’aventure de la création à partir du seul mot, terre, « où il s’enfonce », « imprégné/de l’obscure pensée de la matière », ses poèmes aux strophes plus longues et aux vers moins troués de silence proposent une geste, plus narrative. Des galaxies lointaines aux planètes telluriques, de la béance du cratère au resserrement de la crypte et aux catacombes secrètes, des pyramides orgueilleuses aux tréfonds obscurs de l’homme, leur déroulé convoque la cosmogonie et les mythes pour explorer une évolution où s’inscrit notre destinée. Le poète se souvient du chaos naturel et des violences humaines, il évoque la succession vertigineuse des civilisations et la quête d’un sens. S’il rêve les « amas d’étoiles », il fréquente aussi « les tanières des bêtes apeurées ». Il mesure ainsi notre part d’animalité et notre part de culture, jugeant toutes nos vanités à l’aune de la grandeur et de la décadence des temples, sacrés ou profanes, que nous avons érigés.

    Ainsi, dans le recueil, les voix des poètes qui s’appellent donnent un même noyau central à leur chant : le mot « terre ». Celui-ci est bien le levier de l’unité du recueil comme le confirme l’anaphore finale de la première partie où Jean-Pierre Chambon tresse le fini et l’infini, le présent de l’écriture au passé et futur d’une traversée partagée. Chacun porte l’héritage de l’ici, selon sa condition, ses obsessions et ses choix, le poète en fait son miel langagier. Jean-Pierre Chambon dans le premier poème lui aussi nous rappelle que nous appartenons à une chaîne : « De ma main à plume je recueille/une de ces mottes de terre/que soulève dans ma mémoire/avant chaque retour à la ligne/l’aïeul laboureur ». La métaphore filée dans les strophes qui suivent établit les correspondances secrètes entre réalité de la matière et magie de la langue. Les poèmes, s’ils abordent des thèmes communs à l’un et l’autre poète, ont la richesse de ton grâce à l’approche personnelle qu’ils nous en livrent, facture plus métaphysique chez Michaël Glück, plus narrative chez Jean-Pierre Chambon. La voix de chacun est là dans son histoire, sa pensée et sa sensibilité.


    Ainsi une simple motte de terre, tenue dans la paume de la main ou au bout d’un crayon, peut nous conduire à descendre au puits du temps et à la source de notre condition. Remontée, coulée et résurgence, l’écriture du poème nous rend une mémoire qui déborde la nôtre et une voix qui éclaire des destins et des parcours singuliers. Son voyage interroge le plus lointain passé comme l’extrême présent, personnel et collectif. Dans ce bref recueil, la parole profonde qui nous est offerte ressemble à « une terre natale et sépulcrale » où se mêlent matière et esprit, souffles et semences, racines et ossements. Elle questionne notre présence de vivants et notre humanité mortelle, du commencement jusqu’au terme.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.






    Chambon Gluck 2




    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Fleurs dans la fleur]
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    Des lecteurs (extrait)
    Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)







    MICHAËL GLÜCK


    Gluck Portrait
    Source




    ■ Michaël Glück
    sur Terres de femmes


    Choral des Septantes, 6 (extrait de Ciel déchiré, après la pluie)
    « cette chose-là, ma mère… »
    …Commence une phrase (lecture d’AP)
    [commence une phrase] (extrait de …Commence une phrase)
    L’Enceinte (lecture d’AP)
    Matières du temps (extrait de D’après nature)
    [le ciel emporte le reflet des îles](extrait d’Errances célestes)
    [nous sommes venus d’un ciel à l’envers] (extrait d’Un livre des morts)
    [où de vivants piliers] (extrait de Poser la voix dans les mains)
    Passion Canavesio | Passion-Judas (lecture d’AP)
    [Certains matins les mots] (extrait de Tenir debout dans le grand silence)
    Tournant le dos à (lecture d’AP)
    [toujours avoir à se justifier devant la norme] (extrait de Tournant le dos à)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    le site des éditions Méridianes




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





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  • Max Alhau, Les Mots en blanc

    par Isabelle Lévesque

    Max Alhau, Les Mots en blanc,
    L’herbe qui tremble, 2020.
    Photographies d’Elena Peinado Nevado.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    DES MOTS BLANCS SUR LA NEIGE




    Flocons, les mots du titre, pâles sur l’arbre d’or qui n’occupe qu’une partie de la couverture ? Ou bien sont-ils vêtus de blanc, comme pour une cérémonie augurale ? C’est le quatrième livre du poète Max Alhau à L’herbe qui tremble, il retrouve la photographe Elena Peinado Nevado qui avait accompagné déjà Si loin qu’on aille*. Ces images d’un temps suspendu nous montrent des arbres, souches, branches, captés l’hiver le plus souvent, figures de ce qui demeure dans un paysage dépouillé qu’on ne saurait dater. Traces sépia de ce qui nous traverse lorsque la mélancolie devient l’âme du paysage.

    Des interrogations ouvrent le poème. Ce n’est pas anodin, le questionnement survient au terme d’un parcours dont on cherche à percevoir le sens :

    « À quoi auras-tu acquiescé

    si ce n’est à sentir le temps

    se fermer sur tes rêves,

    à attendre de chaque saison

    un don furtif et sans espoir ? »

    Ces questions, très présentes dans le livre, suggèrent et éludent en même temps les négations, les transformant en quantitatif réduit, c’est leur force. « Peu » pourrait être l’adverbe de réponse à ces demandes et l’on sent que cette réduction au minime justifie vivre et écrire, « entre le vide et le vertige ».

    Le recours au futur antérieur, à la place du passé composé, ouvre un temps plus large et universel aux questions ainsi lancées, élargissant la portée du pronom « tu ». C’est toujours une mesure humaine que nous propose Max Alhau : au regard d’une vie, toujours considérée comme « une vie en sursis », il nous fait entrer dans l’observation fine de ce qui a été traversé. Toujours, le paysage définit le cadre de cette pérégrination singulière à laquelle nous sommes intégrés (le pronom tu d’ailleurs, équivalent de je, facilite l’identification).

    Le marcheur sait qu’il traverse des territoires, mais le sens s’est perdu comme la possibilité de rejoindre :

    « Devant soi on mesure

    cette étendue de terre

    bleuissant dans le soir

    et que l’on sait

    ne jamais rejoindre,

    comme une voix se perd

    dans les sous-bois

    et n’appartient à personne. »

    Cet écho, cependant, justifie que l’on s’attarde et le poème, mélancolique, propose le rythme de retrouvailles. L’échelle humaine du temps permet des approches : l’adverbe « peut-être » ouvre une perspective sous la forme interrogative d’une rencontre « passage ouvert / vers les ténèbres ou la clarté, / on ne sait ». La négation ne clôt pas l’espoir, elle pose sur les vers un possible. Le verbe « pactiser », employé à plusieurs reprises, révèle une tentative : l’apprivoisement par la parole. Tout le poème tend vers cet accomplissement, un adoucissement de la mélancolie par la captation de ce qui reste et vibre, d’un élan malgré le doute, d’un rêve de mots dont la matière, la couleur et le parfum pourraient être ceux de la vie :

    « De l’amour, de la douleur

    que pourras-tu dire

    si les mots comptent moins

    que le blanc qui les compose ? »

    Le « voyageur sans bagage » de ce livre n’est pas amnésique, mais il sait la mémoire toujours menacée d’oubli, les mots en instance d’effacement ou d’ensevelissement.

    « Le pont franchi, on a déjà oublié la rivière. »

    Chaque poème s’inscrit comme une trace, une empreinte fragile sur la page, « des traces de buée sur un miroir brisé ». Le marcheur de Max Alhau rejoint, par les éclats de souvenirs heureux et par la profonde mélancolie, le Wanderer de Schubert, ou les chants du Voyage d’hiver. Comme les voyageurs de Caspar David Friedrich, il contemple l’infini du paysage, se perd dans le « cosmos ». Mais ici le voyageur, rappelant ses rêves, ses désirs et ses soifs que les dieux ignorent doit se garder des « mirages » alors que, quittant ses chères montagnes, il semble se diriger vers le « désert ». Comment « inventer la suite d’une vie qui cahote » ? Face à ce qui vient, ne pouvons-nous que nous « réfugi[er] dans notre mémoire » ?

    La troisième partie, « Impressions », propose une suite de poèmes en prose dans lesquels le narrateur s’adresse parfois à l’aimée disparue : « toi dont ne subsiste que la transparence de la lumière sur une vitre après l’orage », murmure-t-il.

    « Ce fut le temps de la douleur, l’orage dévastant l’aube et toute parole devenant son propre écho.

    Ce fut le temps et son saccage, celui du corps et de l’amour perdu dans la tourmente et que plus rien ne ranime. »

    Mais les poèmes témoignent aussi d’une acceptation, d’une volonté de conciliation :

    « vois dans cette fragilité la raison même de dévoyer ta peur et de t’en affranchir ».

    Le repli ne s’opère pas, neige (est-ce un « mot en blanc » ?) devient le sésame d’une naissance :

    « Neige qui force à la patience, sollicite le rêve d’une saison future sans que le regard soit trompé par les apparences. »

    L’issue du poème n’est pas le mot fin, comme le mot secret neige, il invite à accomplir notre destin accepté dans les retrouvailles recommencées avec les saisons. Chacune laisse une trace, celle de mots blancs sur la neige.

    « Notre passage aura été comme l’écho de paroles jamais prononcées. »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    _______________________
    * Max Alhau, Si loin qu’on aille, L’herbe qui tremble, 2017 – Prix François Coppée de l’Académie française.





    Max Alhau  Les Mots en blanc




    MAX ALHAU


    Max alhau
    Source




    ■ Max Alhau
    sur Terres de femmes


    [Tu n’oses plus nommer] (poème extrait des Mots en blanc)
    Le Temps au crible (lecture de Cécile Oumhani)
    [Tu es le veilleur d’un pays englouti] (poème extrait d’En cours de route)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Max Alhau
    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la fiche de l’éditeur sur Les Mots en blanc




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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  • Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage

    par Angèle Paoli


    Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020.
    Peintures de Tereza Lochmann.



    Lecture d’Angèle Paoli


    VERS UN REGAIN DE LUMIÈRE / LE VOYAGE SOTÉRIOLOGIQUE D’EMMANUEL MOSES




    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sauf peut-être le poète, qui, « le nez collé au crépuscule », contemple, de haut, de loin, de derrière sa fenêtre, ce que lui offre la vie. Peut-être est-il cet homme chenu qui, depuis le balcon de la première de couverture, se penche pour regarder la vie qui passe ? Ou cet autre, plus loin, « accoudé à la rambarde », qui « fume et regarde les ronds qu’il fait se / mélanger à l’air bleu »… N’est-ce pas là une manière originale de voyager, l’air de rien, entre intérieur et extérieur, dans la mémoire et dans les songes ?

    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sous ce titre aux accents familiers, empreints d’une bouderie enfantine qui fait sourire, n’est-ce pas tout l’humour d’Emmanuel Moses qui se profile, entraînant dans son sillage une invitation au voyage immobile ? Car chacun des poèmes qui composent ce recueil est à lui seul une invitation vers l’ailleurs. Souvent sur/en quelques vers à peine. Un ailleurs multiple, secrètement abouché au temps, fait de souvenirs heureux, liés à l’enfance, de généalogie familiale douloureuse, exils errances « enfer des camps » ; de cérémonies festives « aux parfums de Terre Sainte », de déambulations au Louvre qui conduisent le poète vers les cinq grandes réalisations bibliques de Nicolas Poussin, de séjours au bord de la mer, de visions déroutantes et de rêves. De réflexions sur l’après-vie.

    « Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort ;

    C’est alors que les choses se sont compliquées… ».

    Car, derrière l’humour, pointe le sérieux des réflexions, lequel ouvre sur les abîmes philosophiques qui habitent le poète. Ainsi, de la pensée du « hasard » et de « la nécessité », héritage de Démocrite ; de ce verset de la Genèse, illustrant l’aveuglement des hommes ; ou encore de ce rêve où se pose la difficile question du pardon.

    Il arrive que le monde extérieur se révèle agressif et violent. Le poète se replie alors, fenêtres closes, pour échapper à la destruction. L’espace réduit en « cendres de silence ». Les poèmes sont une étoupe dont il faut tirer les fils, l’un après l’autre, pour se rapprocher du centre et peut-être en cerner le secret. Les questions se pressent, qui interrogent le travail entrepris. Quel en est le but et le sens ?

    « Les fils ramassés en écheveau

    Tout ce travail de la pensée vain comme le mouvement des vagues et des nuages

    Quel est cependant son secret ?

    De quel voyage est-il le but ignoré ?

    Comment trouver le sens de sa peine perdue ? » .

    Le poème peut se poser en énigme où s’affrontent, en quatre vers, infiniment grand et infiniment petit. Le poète n’a pas son pareil pour pirouetter entre absurde et fantaisie. Puis, tournant le dos à son constat premier, laisser ses auditeurs à leur perplexité:

    « Un moustique a dépassé Dieu

    Mais peu importe au fond

    Je ne sais pas pourquoi je vous annonce cette nouvelle

    De toute façon il n’y a rien à voir. »

    Derrière la fenêtre, paupière qui ouvre et ferme sur le rêve, les voyages, multiples, prennent des voies inattendues. Des sirènes séductrices entraînent le dormeur dans des espaces nimbés d’érotisme imprévu. Ailleurs, les extrêmes se rapprochent comme dans la Bethléem « flamande », souvenir de l’univers de Brueghel. Le dernier vers qui clôt la section « Tardives » — « Oiseau, poisson de l’éternité » — fait résonner en moi ces deux vers de Bestiaire d’Apollinaire :

    « Est-ce que la mort vous oublie

    Poissons de la mélancolie ».

    L’oubli ? Présent dans les poèmes d’Emmanuel Moses, il l’est jusque dans la peinture de Tereza Lochmann en hors-texte dans la partie médiane du recueil. L’artiste en propose une interprétation personnelle. La toile représente un homme en pleine réflexion, les yeux bandés. Devant lui, sur un carton, sont inscrits ces mots : « Our sensuality is a longing for oblivion » / « Notre sensualité est un désir d’oubli ». Tirée du Guépard (œuvre de Tomasi di Lampedusa), cette phrase est adressée par le Prince Salina — dernier représentant d’un monde ancien en train de disparaître — au sénateur Chevalley. La sensualité est chez le prince perçue comme un remède pour oublier que l’homme est mortel ; pour oublier que tout ce que l’homme entreprend et à quoi il reste attaché est voué à l’effacement et à la disparition.

    Fidèle à ce qui l’habite en profondeur, Emmanuel Moses décline pour notre plus grand plaisir ou notre tout aussi grande perplexité, nombre de paysages et de récits qui façonnent son arrière-pays culturel et sentimental. Lequel ouvre, à la manière des poupées russes, sur des perspectives inédites et des interrogations nouvelles :

    « Je me rends compte – autre découverte — que ce texte a pour sujet secret l’abréviation graphique « etc. », comme si son thème souterrain était cela : et ainsi de suite ce qui correspond finalement à son idée première : je suis la suite de mes ancêtres et après moi mes descendants prendront ma suite. Etc. » (in « Une tombe dans la plaine »).

    Il inclut dans cette suite son fils Jonas, à qui il lègue ce lourd patrimoine et à qui il dédie le second texte en prose de cette même section qui n’en comporte que deux :

    « Mon fils, en caressant du doigt leur absence [l’absence des objets] chuchotait quelque chose comme on murmure à l’oreille d’un mort ce que l’on veut qu’il emporte avec lui comme message pour son dernier voyage. La cage d’escalier baignait dans une lumière irréelle, celle de l’enfer, sans aucun doute, un enfer qui ne serait pas au-delà de cette vie mais en retrait d’elle, dans son dos. »

    Semblable à l’ange de la mélancolie — peinture de Tereza Lochmann —, ailes repliées et visage reposant entre les bras croisés, le poète veille. Perdu dans la « selve obscure des rêves », il s’offre cet inconnu que le cœur lui réserve, palpitant entre diastole et systole.

    « Le cœur s’ouvre et se ferme

    Il est une fenêtre rouge

    Qui donne sur l’inconnu. »

    Un inconnu palimpseste, qui, bien souvent, gît dans le nombre 3.

    Trois vers, comme dans le Mardi des « Quatre jours » (première section du recueil) ; ou comme les 3 nom(bre)s de Promenade : « Ton ombre » / « Ton nom » / « tes chagrins » ; lesquels complètent les trois mots clés du premier poème de cette même section : « Ma langue » / « Mes souvenirs » / « Mes chagrins » ; ou encore comme les trois rêves présents dans « Une collection de rêves » ; ou dans « trois syllabes » — « de son prénom » — « qui se sont dissoutes dans l’air/bleu du jour » (dans la section « Fougeroles »).

    Tout un décor crypté se dessine dont l’on pressent qu’il est parfois difficile de se séparer tout comme il est difficile pour le poète de se défaire de ses propres contradictions. Ainsi en est-il de semer « les moineaux » (« langue » / « souvenirs » / « chagrins ») qui l’assaillent et que pourtant il ne cesse de nourrir ; ou d’échapper aux symboles qui toujours le poursuivent. Quant au temps, si difficile à cerner, il l’est tout autant à définir. Seules des comparaisons inattendues permettent d’en approcher les contraires ;

    « Le temps s’enfonce de plus en plus dans son contraire

    Comme l’aiguille d’acier dans la peau tendre

    Comme les bêtes noires dans les buissons enneigés ».

    Le lecteur pourrait penser qu’avec les poèmes rassemblés dans « Fougeroles », dernière section du recueil, le voyage entrepris gagnerait en légèreté printanière. Il n’en est cependant rien. Même si le renouveau de la nature se manifeste par éclats de beauté et de lumière, l’esprit du poète demeure le même. Meurtri par les séparations, hanté par les ombres, rivé à l’obsédante « attention aux signes du passé », le poète est toujours habité par la pensée fidèle de la mort :

    « Parvenu au seuil

    Dépose les insignes de la vie

    Montre, clés, lunettes

    Et franchis-le d’un bond

    Entre

    Une fois dépassée la fin — enjambée —

    Dans l’éternel entretien. »

    Des fragiles fougeroles, il ne restera entre les amants que « le souvenir / des

    fougeroles

    fixées, frôlées, foulées, froissées. »

    Rien d’étonnant dès lors que le recueil d’Emmanuel Moses se close sur le plus étrange des poèmes. « Extraterrestre ». Un hommage singulier — détourné peut-être — au « grand poète victorien » Gerard Manley Hopkins. Poème visionnaire « irrévérencieux » dans lequel Emmanuel Moses associe et assemble ce qui, en poésie, et plus encore dans un « envoi », peut passer pour une remarquable inconvenance. De ce mélange des tons et des genres, le poète fait un cocktail macabre dérangeant et néanmoins drôle. Ce qui n’est plus vraiment pour nous surprendre. Ainsi peut-on lire dans le même poème (le plus long du recueil) l’admiration sincère que voue le poète français à son homologue britannique, et la marque de son ludique irrespect :

    « Je pense sincèrement qu’Hopkins était un ange

    Il a vécu en ange, il est mort en ange et lire ses

    poèmes c’est entendre parler un ange.

    […] C’est irrévérencieux d’associer dans un même poème

    Hopkins et un rectum, j’en conviens.

    Je n’y peux rien. »

    Ainsi Emmanuel Moses, pour qui « les mots sont des revenants/[a]uxquels nous donnons une nouvelle vie », fait-il revenir par les siens, sur les devants de sa scène poétique, le nom de ce poète « ardu » qui influença les plus grands : T.S. Eliot, Wystan H. Auden et Dylan Thomas. Et peut-être même, plus près de nous, Emmanuel Moses lui-même.

    Un « revenant », Hopkins, sous la plume d’Emmanuel Moses ? Un « élu » plutôt, promis à la Rédemption ? Peut-être faut-il lire sous les mots de la poésie de Moses un tremplin pour accéder au salut ? Même éphémère, même ludique, le salut respire sur la page.

    Dans le vers de Léon-Paul Fargue choisi par Moses en exergue à ce recueil : « Il fait si doux qu’on est sauvés ». Puis dans le premier poème de « Spectatrice de l’océan » :

    « Ici, voyageur, tu seras

    un homme nouveau,

    Et toi qui l’accompagnes

    Silencieuse, âme cachée,

    Tu seras récompensée d’un regain de lumière. »

    Par ce « regain de lumière » et pour cet « homme nouveau » qui se fraie un passage entre les vers, le voyage sotériologique d’Emmanuel Moses ouvre une fenêtre sur l’espoir. Et, pour cette raison même, vaut la peine d’être entrepris.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Moses   Tout le monde est tout le temps en voyage 2




    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini
    Source




    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Tout le monde est tout le temps en voyage





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  • Jean Marc Sourdillon | On naît


    LUMIÈRE 2
    « … on fait de nous une lumière
    une seule et même lumière hors l’éparpillement des étincelles »
    Ph., G.AdC






    ON NAÎT



    On naît on écrit
    c’est d’un même élan d’une même poussée

    On naît comme on aime
    moitié veillant moitié dormant.

    On s’éveille à l’intérieur d’un rêve.

    *

    On naît on ne sait comment.

    On garde en soi cette poussée, cet appel, comme une trace, un trésor secret, un moment du mouvement perpétuel qui nous entraîne.

    Le long de cet élan, on se déploie, on écrit, on se révèle.

    Mouvement qui fait de nous comme une aurore discontinue, un clignotement dans le temps, une présence de plus en plus réelle.

    *

    On naît on aime on écrit
    parce qu’il y a un toi en face de soi
    qui nous éclaire qui nous appelle.

    *

    On naît on ne sait comment ni pourquoi
    on n’en finit pas de naître
    on est du temps qui s’allume et se déploie.

    *

    On naît on aime on écrit
    on nous éclaire, on fait de nous une lumière
    une seule et même lumière hors l’éparpillement des étincelles



    Jean Marc Sourdillon, « La naissance inachevée », L’Unique Réponse, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020, pp. 86-87.






    Sourdillon



    JEAN MARC SOURDILLON


    Jean-Marc Sourdillon 2
    Source




    ■ Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    Le milan (autre poème extrait de L’Unique Réponse)
    Comme des frères
    [Cet imperceptible oiseau très loin] (extrait de Dix secondes tigre)
    Au commencement (extrait des Miens de Personne)
    [Deux fois l’an, pendant l’été] (extrait d’En vue de naître)
    Les Tourterelles (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    une lecture de L’Unique Réponse par Jean-Michel Maulpoix [PDF]




    ■ Note de lecture de Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre





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  • Anne Seidel | Hygiene der angst II, III, IV



    Anne-seidel-chlebnikov-weint-poetenladen-rahmen







    HYGIENE DER ANGST II


    hier: schoenheit ist am ernsthaftesten : grundlos.
    weißgefliest-aengstlich schweben kristalle ins meer hinaus,
    umspuelen reglose glaswaende die flocken

    hier: schoenheit ist am ernsthaftesten : grundlos,
    die weiße angst zu verhaengen, schneiend-schwarz
    erzittert und zerfaellt die erwartung der tiere



    HYGIÈNE DE LA PEUR II

    ici : la beauté est la plus sérieuse : sans raison.
    peureusement carrelés de blanc des cristaux flottent vers le large,
    les flocons baignent des parois de verre immobiles

    ici : la beauté est la plus sérieuse : sans raison,
    pour masquer la peur blanche, noires neigeuses
    tremblent et se décomposent les attentes des animaux






    HYGIENE DER ANGST III

    eingaenge, solovki, tiefschwarzes licht, signal der stadt.
    opalisierend, solovki, gesichter, laute endlosigkeiten,
    wenn alles einfiel, solovki, vielleicht, zuletzt zuckte es

    keine ausgaenge, solovki, tiefschwarzes licht, signal der stadt,
    augopal, solovki, gesichter, wenn nach lauter endlosigkeiten alles
    einfiel, solovki, vielleicht aug in auge



    HYGIÈNE DE LA PEUR III

    entrées, solovki, lumière d’un noir profond, signal de la ville.
    opalisant, solovki, visages, infinités à forte résonance,
    quand tout s’effondra, solovki, peut-être, pour finir cela tressaillit

    pas de sorties, solovki, lumière d’un noir profond, signal de la ville,
    opale de l’œil, solovki, visages, quand à force d’infinités tout
    s’effondra, solovki, peut-être les yeux dans les yeux






    HYGIENE DER ANGST IV

    schwarze spitzen, weiß linien, russland, so hilflos zieht
    stille ein, die namen getraenkt, ende der waelder,
    es fehlte immer eine hand, versunken im pelz

    schwarze spitzen, weiße linien, da warst du, so hilflos zog
    stille in dich ein, in namen und waelder,ferne,
    es fehlte immer eine hand, versunken im schnee, solovki



    HYGIÈNE DE LA PEUR IV

    pointes noires, lignes blanches, russie, désemparé s’installe
    le silence, les noms abreuvés, fin des forêts,
    il manquait toujours une main, engloutie dans la fourrure

    pointes noires, lignes blanches, tu étais là, désemparé s’installait
    le silence en toi, dans les noms et les forêts, lointains,
    il manquait toujours une main, engloutie dans la neige, solovki




    Anne Seidel, Khlebnikov pleure [Chlebnikov weint, Poetenladen, Leipzig, 2015], II, III, IV, éditions Unes, 2020, pp. 36-41. Traduit de l’allemand par Laurent Cassagnau.






    Anne Seidel  Khlebnikov pleure 2




    ANNE SEIDEL


    Anne Seidel Denim
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Unes)
    la page de l’éditeur sur Khlebnikov pleure
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    une lecture de Khlebnikov pleure par Emmanuelle Rodrigues





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  • Jean Le Boël | [il se peut que]


    [IL SE PEUT QUE]



    il se peut que
    la bouche murmurant dans le feuillage
    ne dise rien
    du vent
    que le chat reste sur sa faim
    sous nos caresses
    et l’arbre de bois
    que l’eau dans le bief
    ne chante qu’à nos oreilles
    il se peut
    il existe pourtant cet ailleurs
    peuplé de joie
    les racines sont en nous




    Jean Le Boël, Jusqu’au jour, éditions Henry, Collection Les Écrits du Nord, 62170 Montreuil-sur-Mer, 2020, page 35. Prix Mallarmé 2020.






    Jean Le Boël  Jusqu'au jour





    JEAN LE BOËL


    Jean Le Boël portrait
    Source




    ■ Jean Le Boël
    sur Terres de femmes


    [Ce lien que nous étions] (extrait de Clôtures)
    [femme noire | toujours vêtue de ta couleur] (extrait d’et leurs bras frêles tordant le destin)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Henry)
    la fiche de l’éditeur sur Jusqu’au jour de Jean Le Boël
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Jean Le Boël





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  • Raymond Farina, La Gloire des poussières

    par Sabine Dewulf

    Raymond Farina, La Gloire des poussières, éditions Alcyone,
    Collection Surya, 2020.



    Lecture de Sabine Dewulf.


    Ce livre est le second que Raymond Farina a composé après le silence, long d’une dizaine d’années, qui suivit la publication d’Éclats de vivre, aux éditions Dumerchez, en 2006. Cependant, l’unité de l’œuvre est frappante, au point que son ensemble forme une sorte de long poème, marqué par l’attention accordée à l’infime – ailes d’oiseaux, coccinelles, papillons, traces légères ou lettres originelles, enfouies dans les sables… Au fil des recueils, les variations de la forme, pour une part, tributaires des péripéties vécues sur divers continents, n’occultent pas l’essentiel : le patient tissage de ces Liens si fragiles (Rougerie, 1995) qui conjurent l’absurde.

    Sur la scène de ce livre, Raymond Farina fait jouer des actrices étonnantes : les « poussières » en « gloire ». Pourquoi glorifier les poussières ? Loin de la pompe des rois vaniteux, elles sont, comme un rire de « bouffons » ou de « clowns », la preuve ailée, rythmée par le vent, que nous ne durons ni ne possédons ; qu’en revanche, nous désirons, rêvons, aimons : de l’atome à l’éclat d’une étoile, elles forment le substrat d’une énergie élémentaire et désintéressée, consubstantielle à l’univers. En même temps que notre fugacité dans le tourbillon des êtres et des choses, elles ravivent la saveur de chaque instant. Cette saveur qu’à chaque seconde nous piétinons, en nous comportant en « arrogants », en guerriers (« Que la guerre était belle »), en destructeurs de planète — « l’hiver s’égare dans l’août » —, en possesseurs d’une « vérité / jouet de troubles stratégies ».

    De fait, l’espace-temps que nous nous inventons n’est pas celui de ce « passant de l’Infini ». Le poète lui-même se dit d’emblée si proche des antiques rois mages, salués comme des voyageurs de l’«Éternel » ! La durée poétique forme un pont jaillissant entre un « présent » à goûter et le « futur simple », un bondissement perpétuel. Sa manière d’enchaîner les vers et de nous rendre le « sublime » familier correspond à ce frémissement qui suit tranquillement son cours : excédant rarement l’octosyllabe, le poète raconte une « fable sans fin », toujours mélodieuse, qui cherche à capturer dans son tissu calligraphique l’étrange lueur des « cendres », des « brindilles », des « lucioles », des « couleurs », de ce qui échappe aux formes définies pour s’envoler jusqu’aux étoiles. Tout en exerçant, sans relâche, sa lucidité sur le monde délirant où nous nous enfermons, le poète ranime nos «  possibles éteints », décrit le « tremblement de la main » ou la « pulsation des syllabes », convoque l’« ange vrai » qui chevauche les siècles et convertit « en millénaire / un lumineux instant d’avril ».

    Rien de plus profond que cette poésie : son apparente simplicité retient ces paradoxes dont manquent nos discours. Sans jamais se départir de son humilité, Raymond Farina reste le poète-philosophe

    de ce

    « Grand Tout, qui n’est pas rien,

    quelque chose d’insignifiant

    & de doux éternellement

    mais seulement pour un instant ».


    Sabine Dewulf
    D.R. Texte Sabine Dewulf
    pour Terres de femmes







    Raymond Farina  La Gloire des poussières 2




    RAYMOND FARINA


    Raymond Farina
    Source




    ■ Raymond Farina
    sur Terres de femmes


    [Dans ta maison sur les nuages] (extrait d’Anachronique)
    Que faire maintenant (extrait d’Éclats de vivre)
    Les papillons d’Apollinaire (extrait d’Hétéroclites)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Alcyone)
    la page de l’éditeur sur La Gloire des poussières de Raymond Farina
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Raymond Farina
    → (sur le site de Guy Allix)
    une page sur Raymond Farina
    → (sur Terre à ciel)
    plusieurs pages consacrées à Raymond Farina
    → (sur Gattivi Ochja)
    un poème extrait d’Anecdotes de Raymond Farina, traduit en corse par Stefanu Cesari
    un entretien de Régis Louchaert avec Raymond Farina (PDF)
    → (sur L’Or des livres)
    La poésie de Raymond Farina : Anecdotes et Epitola Posthumus





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