Étiquette : 2020


  • Angèle Paoli | Écrire l’exil


    Angèle Paoli Écrire l’exil
    Ph., G.AdC







    ÉCRIRE L’EXIL




    Je veux écrire l’exil
    l’asile introuvable des mots
    ils tremblent sous la langue

    le petit rouge-gorge est mort
    happé par le monde hostile
    exil hors de sa branche

    le bleu du ciel échappe
    il ne retient pas la peur
    le souffle d’air passe
    il filtre entre les pas
    le temps recule

    quels mots pour dire
    la détresse
    quels mots pour dire
    l’abandon
    quels gestes pour dire
    l’indicible
    que nul ne veut
    ni voir ni entendre

    quels mots pour qu’émerge
    la plainte des exilés
    jetés hors les murs
    poussés vers quel ailleurs
    toujours plus mensonger
    le mirage miroir
    de mille malédictions

    quels mots pour crier l’amertume
    les corps broyés
    quels gestes inventer
    pour que s’ouvrent les portes
    pour que les bras accueillent
    pour que s’éclairent les visages
    et que les mains se tendent

    quels regards
    pour que se tisse enfin
    le fil entre les hommes.




    Angèle Paoli, in anthologie Sidérer le silence, Poésie en exil, Cinquante poètes d’ici et d’ailleurs. Anthologie dirigée par Laurent Grison. Éditions Henry, collection Les Écrits du Nord, 2018.







    SCRIVERE L’ESILIO




    Voglio scrivere l’esilio
    l’asilo introvabile delle parole
    che tremano sotto la lingua

    è morto il piccolo pettirosso
    ingoiato dal mondo ostile
    esilio fuori del suo ramo

    scappa il blu del cielo
    non ritiene la paura
    passa il soffio d’aria
    filtra tra i passi
    indietreggia il tempo

    quali parole per dire
    l’angoscia
    quali per dire
    l’abbandono
    quali i gesti per dire
    l’indicibile
    che nessuno vuole
    né vedere né sentire

    quali parole per fare sì ch’emerga
    il lamento degli esiliati
    gettati via fuori le mura
    spinti verso quale altrove
    sempre più falso
    miraggio specchio
    di mille maledizioni

    quali parole per gridare l’amarezza
    i corpi frantumati
    quali gesti inventare
    perché si aprano le porte
    perché accolgano le braccia
    perché si illuminino i visi
    e che si porgano le mani

    quali sguardi
    perché si tessa
    il filo tra gli uomini.




    Angèle Paoli, in Traduzionetradizione, Quaderni internazionali di traduzione poetica e letteraria diretti da Claudia Azzola, Quaderno plurilingue n° 17, 2020, pp. 8, 9. Traduction en italien de Francesca Maffioli*.



    ________________________
    * Francesca Maffioli è nata a Lovere (Bergamo) e vive tra Milano e Parigi. Nel 2017 ha completato il dottorato in Studi di genere all’Università di Parigi 8 e in Storia della lingua e letteratura italiana all’Università degli Studi di Milano, con una tesi sulla poeta Amelia Rosselli. Nel 2018, ha ottenuto il titolo di Maître de conférence en langue et littérature italienne. Fino al 2019 a fatto parte del direttivo della Società Italiana delle Letterate (SIL). Dal 2016, scrive su il Manifesto. Scrive anche sul blog Erbacce e sulla rivista Leggendaria per la rubrica « Canto e Contracanto ».

    Tra le pubblicazioni del 2019 figurano :

    Figurations mélancoliques : un regard sur Variazioni bellichein Catherine Flepp et Nadia Mékouar-Hertzberg (éds.) ; Histoires de folles. Raison et déraison, liaison et déliaison, Orbis Tertius ; Temporalità fluida, in Giuliana Misserville, Monica Luongo (éds.) ; Il tempo breve : narrative e visioni, Iacobelli editore (2019) ; Amelia Rosselli e l’écriture féminine in Altre Modernità, Rivista di studi letterari e coloniali, Università degli studi di Milano ; Disrespected Literatures : Histoiries and Reversal of Linguistic Oppression, n° 22/2019. Sofistiche in Bayer contro Aspirina. Erbacce, L’umorismo che resiste ai diserbanti, Derive e Approdi, 2020. Eva e Famiglia in Abbecedario Ceresa. Per un dizionario della differenza, in Laura Fortini, Alessandra Pigliaru (eds.), Nottetempo, 2020.








    Traduzionetradizione



    Traduzionetradizione 1






    ■ Voir aussi ▼


    le site de la revue Traduzionetradizione





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  • Salpy Baghdassarian | [Au commencement j’étais une femme]



    Salpy texte 3









    [AU COMMENCEMENT J’ÉTAIS UNE FEMME]




    Au commencement
    j’étais une calculette
    mon père évalua pertes et profits
    m’insulta et s’en alla
    Ma mère qui m’a portée
    pesa son bonheur et son malheur
    m’insulta et s’en alla
    Mon frère me mit à terre
    d’un doigt écrasa les fourmis
    recensa les mortes et les vivantes
    me donna un coup de pied
    et s’en alla

    Au commencement
    j’étais une femme




    Salpy Baghdassarian, Quarante cerfs-volants, éditions des Lisières, Collection Hêtraie, 2020, page 7. Traduit de l’arabe (Syrie) par Souad Labbize. Linogravure de Maud Leroy d’après un dessin de Marion Freyre.





    Salpy Baghdassarian  quarante cerfs-volants



    SALPY BAGHDASSARIAN


    Salpy Baghdassarian  portrait NB
    Source


    Arménienne née à Alep, Salpy Baghdassarian a fui la guerre en Syrie et réside à Toulouse où elle continue à écrire en arabe et à traduire de l’arménien. Elle a remporté le second prix du concours de poésie sur MBC1 en 2010. Ses poèmes sont publiés dans de nombreux magazines littéraires et anthologies. Elle est également artiste peintre et a participé à des expositions collectives ou individuelles en Syrie, au Liban, au Canada et en France.




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Marché de la poésie)
    une fiche sur Quarante cerfs-volants
    le site des éditions des Lisières





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  • Umberto Saba | Ecco, adesso tu sai


    ECCO, ADESSO TU SAI




    Ecco, adesso tu sai che tra i beati
    non è dimora per noi. Che la vita,
    come un avido sguardo, è tutta piena
    di lacrime nascoste.

    Amore, gelosia, taciuta brama
    di belle cose come prede esposte,
    ti lasciano un rimpianto oscuro, aggiungono
    ancora un filo nell’antica trama
    che spezzerà, forse, la morte.

    A galla ti riportano
    non dettate virtù, ma d’altri accenti,
    che un tremito confonde, la memoria.
    La tua storia finisce, si nasconde…
    Ma quanti cari cuori hai conquistati !




    Umberto Saba, Ultime cose [1935-1943], in Il Canzoniere, Einaudi tascabili, Collana ET Poesia, Torino, 2004, pagina 452.







    Saba, Canzoniere. 2








    VOILÀ, TU SAIS À PRÉSENT




    Voilà, tu sais à présent que parmi les heureux
    il n’est pas pour nous de demeure. Que la vie,
    comme un regard avide, est toute pleine
    de larmes cachées.

    Amour, jalousie, désir muet
    de belles choses comme proies exposées,
    te laissent un regret obscur, ajoutent
    encore un fil à l’ancienne trame
    que brisera, peut-être, la mort.

    Ce qui te ramène à flot
    Ce ne sont pas des vertus imposées, mais le souvenir
    d’autres accents qui en tremblant se mêlent.
    Ton histoire prend fin, se cache…
    Mais que de cœurs chéris tu as conquis !




    Umberto Saba, Choses dernières (1935-1943), in Il Canzionere, Bibliothèque L’Âge d’Homme, Lausanne, 1988, page 464. Traduction d’Odette Kaan. Avant-propos de René de Ceccatty.






    Umberto Saba Il Canzoniere VOILÀ, MAINTENANT TU SAIS




    Voilà, maintenant tu sais que parmi les heureux
    il n’est nulle demeure pour nous. Que la vie,
    comme un regard avide, est toute pleine
    de larmes cachées.

    Amour, jalousie, muette envie
    de belles choses comme proies exposées,
    te laissent un obscur regret, ajoutent
    un fil encore à la trame ancienne
    que brisera, peut-être, la mort.

    Te remettent à flot
    non des vertus dictées, mais le souvenir
    d’autres accents, que mêle un frisson.
    Ton histoire prend fin, se cache…
    Mais que de cœurs aimés as-tu conquis !




    Umberto Saba, Choses dernières in Du Canzionere, anthologie, éditions La Différence, 1992, traduction de Bernard Simeone ; Choses dernières, édition bilingue, Ypʃilon.éditeur (nouvelle édition revue et corrigée), 2020, pp. 26-27.






    Umberto Saba  Choses dernières




    UMBERTO SABA


    Umberto-saba
    Source




    ■ Umberto Saba
    sur Terres de femmes


    9 mars 1883 | Naissance d’Umberto Saba
    25 août 1957 | Mort de Umberto Saba (notice bio-bibliographique + article sur Ernesto)
    Donna
    Notte d’estate
    Oiseau en cage
    Parole
    Poesia
    Trieste
    22 août 1862 | Umberto Saba, Couleur du temps




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube) une
    video (RAI, 1954) de Umberto Saba lisant Cinque poesie per il gioco del calcio
    → (sur YouTube)
    La libreria del poeta di Elena Bizjak Vinci e Stelio Vinci
    → (sur le site de Libération)
    Umberto Saba, chansonnier de la langue italienne, par Mario Cifali (28 décembre 2012)
    → (sur le site d’Angelo Michele Cozza)
    le texte intégral d’Il Canzoniere (Giulio Einaudi editore) [PDF]





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  • Luce Guilbaud | [L’ombre amoureuse]


    [L’OMBRE AMOUREUSE]




    L’ombre amoureuse dont vient la forme
    image contrastée de la mémoire et de l’oubli

    ombre sans statut

    mouvante émouvante

    posée sur l’instant
    l’image fuit
    que le contour retient
    l’ombre sa chorégraphie
    douleur d’absence
    d’obscure transparence
    confondue avec l’origine
    avec la forme qui l’a pensée

    couleur/colline     couleur/paroi
    elle s’invente     se réalise     se cache
    entre les arbres du jardin.




    Luce Guilbaud, in Sylvie Turpin | Luce Guilbaud, Débordé pourpre ″DOS à DOS, étendu‶, Les Lieux Dits éditions, collection 2Rives dirigée par Claudine Bohi et Germain Roesz, 2020, s.f.






    Turpin Guilbaud 10





    LUCE GUILBAUD


    Luce Guilbaud
    Source




    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes


    [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    Demain l’instant du large (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    Mère ou l’autre (lecture d’AP)
    [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
    [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (lecture d’AP)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le corps penche



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud
    → (sur le site de la revue Décharge)
    une page sur Débordé pourpre de Sylvie Turpin | Luce Guilbaud





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  • Milo De Angelis | Mercoledì


    Pavese Guidu
    Image, G.AdC







    MERCOLEDÌ




    Al parco della Rimembranza, nella nebbia del nord,
    nel giorno del suo compleanno, non potevo trovare che lui.
    Guardava per terra le castagne appena cadute e si divertiva
    a spingerle nel fosso con il piede sinistro, con quelle scarpe
    anni trenta che gli davano un’insolita eleganza.
    Lo guardai da lontano. Magro, pensoso, proteso a un’eterna
    stagione che sfiora tutti noi passeggeri.
    Lui solitario per forza e per natura,
    guardava i bambini in bicicletta con una strana attenzione,
    raccoglieva gli emblemi dell’inizio e della fine, sentiva forse
    che era ormai breve il suo segmento e camminava
    sempre più lento con un grido nel sangue
    che solo i poeti possono scorgere.
    Alla fine si sedette su una panchina con il suo dattiloscritto
    dalle mille correzioni fatte a penna che teneva sulle ginocchia
    e scriveva, scriveva e io ero un ragazzo e non sapevo
    nulla di lui, ma guardai a lungo quel titolo: La luna e i falò.




    Milo De Angelis, « III. Dialoghi con le ore contate », Linea intera, linea spezzata, Mondadori, collezione Lo Specchio, Milano, gennaio 2021, pp. 71-72.







    Milo De Angelis








    MERCREDI




    Au Parc de la Rimembranza, dans le brouillard du nord,
    le jour de son anniversaire, je ne pouvais trouver que lui.
    Il regardait par terre les marrons qui venaient de tomber et s’amusait
    à les pousser du pied gauche dans le fossé, avec ces chaussures
    années trente qui lui donnaient une élégance peu ordinaire.
    Je le regardai de loin. Maigre, pensif, tendu vers une saison
    éternelle qui nous frôle tous nous autres passagers.
    Lui solitaire par force et par nature,
    regardait les enfants à bicyclette avec une étrange attention,
    il rassemblait les emblèmes du commencement et de la fin,
    il sentait sans doute que désormais son segment était court et il marchait
    avec de plus en plus de lenteur, un cri dans le sang
    que seuls les poètes peuvent percevoir.
    Il finit par s’asseoir sur un banc avec son tapuscrit
    aux mille corrections faites au stylo, posé sur les genoux,
    et il écrivait, il écrivait et moi j’étais un enfant et je ne savais
    rien de lui, mais je regardai longuement ce titre :
    La lune et les feux.




    Milo De Angelis, “Cinq poèmes inédits”, in revue Voix d’Encre n°63, octobre 2020, page 8. Traduits de l’italien par Angèle Paoli et Sylvie Fabre G.






    Voix d'encre 63 2






    MILO DE ANGELIS


    Milo VivianaSource




    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    [A volte, sull’orlo della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par AP ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions NOUS, 2010)



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo
    → (sur Terres de femmes)
    9 septembre 1908 | Naissance de Cesare Pavese





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  • Jean-Louis Giovannoni, L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare

    par Angèle Paoli

    Jean-Louis Giovannoni, L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare,
    roman intérieur,
    éditions Unes, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Giova illus 2
    Vincent Verdeguer,
    Œuvre originale créée pour L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare,
    éditions Unes
    Source








    « DES OISEAUX CIRCULENT EN NOUS »





    Parmi les nombreux ouvrages qui composent les écrits de Jean-Louis Giovannoni figure une trilogie qui porte le sous-titre de « Roman intérieur ». Journal d’un veau (1996) / Le Lai du solitaire (2005) / L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (2020). Échelonnés dans le temps, ces récits sont des textes en prose. Le dernier en date, un journal tenu au jour le jour, s’étire sur six mois, de janvier à juin. « Un journal pour témoigner de ce que je voyais et imaginais, » écrit le poète dans son avant-propos.

    Et d’ajouter : « L’insolite, l’étrange peuvent se trouver à deux pas de chez soi… ». De cela, tout lecteur est convaincu. Mais sous la plume de Jean-Louis Giovannoni, l’étrange et l’insolite peuvent prendre des tournures inattendues, quelque peu déroutantes pour qui n’a jamais lu cet auteur. Avant d’entrer au tréfonds de ce nouveau « roman intérieur » qu’est L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare, faire halte un instant sur les exergues des trois épigraphistes choisis par le poète – Hippolyte Taine, Lucrèce et Baudelaire. Cela suffit pour se convaincre que l’on va pénétrer dans un univers très particulier : celui de l’hallucination liée à la « perception extérieure » ; celui du corps et du rapport que les parties d’un tout entretiennent avec le tout ; et celui de la foule. Chacune des épigraphes ouvre en effet une piste de lecture. Chacune d’elles correspond à un contenu spécifique de l’ouvrage ou du moins à l’une des nombreuses réflexions qui le nourrissent. S’« il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude » — selon les termes de Baudelaire — , il n’est pas donné non plus à n’importe quelle plume de « décrire cette masse, sa vie interne » dans ce qu’elle offre « d’échantillons de mouvements, d’organes, de particules visibles et moins visibles ». « Jouir de la foule est un art », écrit encore Baudelaire. Explorer par l’écriture cette jouissance en est un autre, que Jean-Louis Giovannoni maîtrise au plus haut niveau. Au cœur de cette aventure, l’auteur possède aussi le talent de conduire au plus extrême. Dégoût et effroi d’une part face à la monstruosité de l’entreprise et de l’objet décrit et jouissance fascinée de l’autre. Pour les mêmes raisons. À quoi s’ajoute le plaisir consécutif à la lecture du surgissement inattendu de remarques chargées d’humour. Car l’humour perce bien souvent sous les mots au point que le sourire se substitue à la grimace. Grimace et sourire pouvant coexister simultanément dans des récits qui tiennent de la performance. Ainsi, parmi d’autres exemples, ce morceau d’entomologiste extrait du « Mardi 15 janvier, dans l’après-midi » :

    « Une femme passe sa main dans ses cheveux — plusieurs tombent… Personne ne s’en alarme. Particules infinitésimales allant rejoindre des monceaux de fibres de textiles, de squames de peaux mortes au sol, collées elles-mêmes à des poils d’animaux, d’humains et de débris d’insectes ; peuplées de bactéries et d’acariens microscopiques, couverts de pollen et de moisissures ; cherchant tous à rejoindre une pelote de poussière — traversée d’électricité statique — ô combien attirante et conglomérante, et qui offre, à qui veut, un corps possible au milieu des courants d’air. »

    Ou cet autre, qui me fascine tout autant qu’il me fait sourire :

    « On entend rarement des gens s’extasier sur la beauté d’un calcanéum, qui pourtant supporte en grande partie les contraintes exercées sur les pieds pendant la marche. On n’entend pas non plus de longs discours sur le rôle des cuboïdes, des naviculaires ou des phalanges proximales. Tout est nu et enfoui dans un pied, qui affiche complet avec vingt-six os, seize articulations et cent sept ligaments — excusez du peu ! Il est vrai que s’il fallait, dès notre lever, honorer d’un discours chaque partie de son corps, de la plus petite à la plus grande, ou simplement la nommer, on n’en finirait plus de soliloquer. » (« Vendredi 10 mai »)

    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare mérite réellement son sous-titre de « roman intérieur ». Qualification à prendre au pied de la lettre à plus d’un titre. Comme le précise sur le mode de la parodie romanesque le narrateur et personnage principal, un « lundi 6 mai, très tôt malgré une pluie battante » :

    « Quand on se parle intérieurement, on gagne en densité. Depuis ce constat, je m’entretiens tous les jours avec moi-même. »

    Dès lors que l’on s’attache à saisir ce qui obsède le narrateur, on progresse dans l’appréhension de sa troublante personnalité. La première de ses redoutables obsessions concerne les chiffres. Qu’ils renvoient à l’infiniment grand ou à l’infiniment petit, du microscopique au nanoscopique et à l’invisible. Prolifération dont il est évidemment impossible, voire absurde, de rendre compte. Difficile de ne pas songer à l’inépuisable et éprouvante entreprise flaubertienne de Bouvard et Pécuchet. Et l’abattement provisoire qui surprend le narrateur atteint aussi provisoirement le lecteur. Qui finit par se laisser convaincre car c’est aussi de sa propre « condition » qu’il s’agit. C’est cette condition-là que le narrateur met en scène :

    « Nous sommes tous témoins que nous nous laissons plus facilement pénétrer par ce qui n’a pas de volume. Je saisis mieux, à présent, l’expression que nous prononçons devant un océan ou au sommet d’une montagne : “Vue imprenable″. Elle résume assez bien notre condition, celle de ne pouvoir emmagasiner que sensations, images et mots. » (« Vendredi 1er mars »)

    Le point de départ du journal s’ancre dans la saga ordinaire d’une réalité multiple et démultipliée fondée sur des chiffres qui défient l’imagination, les premiers de la série portant sur le nombre hallucinant de voyageurs qui empruntent dans un sens ou dans l’autre ce fameux « Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare ». Soit « Cent vingt-sept mille huit cent quatre-vingt-dix personnes ». « L’objectif premier » de ce travail est de « rendre compte de la diversité de la population de l’Échangeur ». Comment venir à bout de pareille entreprise ? Très vite les chiffres débordent, submergeant de tous côtés le narrateur englué dans sa folie des nombres et des corps :

    « J’ose à peine avancer (je souris à cette habile prétérition !) les chiffres de deux cent cinquante-cinq mille sept cent quatre-vingt-dix nez, auxquels on doit additionner le double d’yeux qui appartiennent eux aussi à la sphère du haut… ». Mais l’exposé suit son cours énumératif et se clôt sur la problématique de la diversité des « pantoufles », « mules et autres savates. »

    L’exposé se veut scientifique, méthodique, excluant certains paramètres pour en inclure d’autres – « J’ai renoncé à calculer le nombre exact de paires de lunettes… » / « Revenons à notre étude ». Le tout, objet et méthodologie, est toujours argumenté avec précision. Le tout est souvent soumis à une rigueur quasi militaire :

    « Une fréquentation journalière est nécessaire entre les diverses parties du corps pour que la sensation d’ensemble subsiste en nous. »

    Il arrive que le narrateur, cependant emporté par ses démonstrations passionnées, se gargarise de formules pseudo-savantes, banalisées par le discours ordinaire. Ainsi de cette remarque concernant les pieds : « Avec les pieds bien au sol, nous sommes sur des fondamentaux, comme on dit aujourd’hui. » Comment ne pas sourire devant l’aplomb de ces stéréotypes de langage qui sont bien souvent les nôtres ?

    Le narrateur s’empresse néanmoins de rassurer son lectorat par cette affirmation :

    « Cette étude ne demande aucune formation particulière. »

    Elle s’appuie d’ailleurs tout autant sur l’observation méticuleuse à laquelle s’oblige le narrateur que sur les témoignages des personnes derrière lesquelles il court. Il arrive aussi que le narrateur interpelle le lecteur qu’il n’hésite pas à prendre à témoin :

    « Vous aurez remarqué, que je n’ai, jusqu’à présent, quasiment pas abordé le rôle des bras et des mains dans la marche. »

    Derrière les difficultés de l’entreprise auquel il s’adonne sans relâche — faut-il « ensacher les visages » ? faut-il simplifier ? — se cache le fameux narrateur. Soucieux de se « fondre gentiment dans la masse », de se couler dans les « emportements » de la foule et dans ses violences, il n’en affirme pas moins ses propres appétences, ses propres choix. Jusqu’à l’excès, voire jusqu’à l’absurde :

    « À présent, dès que je vois une foule se former, je me colle à elle. »

    Un tel comportement ne met-il pas en évidence les limites de la rigueur scientifique aux prises avec une subjectivité invasive ? D’autres questions se présentent qui mettent l’accent sur les tourments, les impatiences et les lubies, les rêves angoissés et terrifiants et les obsessions tenaces :

    « Le visage m’obsède et cette obsession va bien au-delà de l’humain, des animaux petits ou gros, y compris des insectes. »

    Les « moches » — catégorie du vivant qu’affectionne tant l’écrivain — ne sont pas loin, qui s’agglutinent dans des « moutons de poussière surdimensionnés. ». La folie n’est pas loin non plus. Qui guette le dormeur et lui adresse des fantômes. À la façon du Horla de Maupassant. Mais on retrouve dans cette nuit du samedi 30 mars l’une des obsessions récurrentes de l’œuvre de Jean-Louis Giovannoni :

    « La nuit, des fantômes avides de gestes égarés enfilent mes vêtements. La penderie s’agite. Certains se glissent dans ma gabardine, d’autres se coiffent d’un chapeau, ou imitent ma tête avec des foulards mis en boule ; et ma veste, posée sur une chaise, balance ses manches comme des bras. Les fantômes plus musclés entrent dans mes pantalons et sautent sur la table. »

    Le narrateur est hanté. Miné par son travail. Envahi par ce corps et ces membres qui infiltrent le sien malgré les précautions méthodologiques qu’il s’impose/ou leur impose :

    « Quoi qu’on fasse : méthode objective, classement par genres ou autres fantaisies, ils finissent par devenir pour nous des êtres à part entière. »

    Au point qu’ils l’habitent et le persécutent jusque dans ses rêves :

    « Leurs plaintes, je ne sais pourquoi, me saisirent au plus haut point, et faisant semblant de me pencher pour les étouffer définitivement, je les glissais, ni vu ni connu, dans mon sac à dos, et regagnais calmement la sortie côté gare saint-Lazare comme si de rien n’était. » (« Vendredi 26 avril »)

    Comme tous les autres corps en mouvement/déplacement, celui du narrateur est soumis à « l’usure », « à l’œuvre » partout et dans toute chose. Le vide et le plein, la vitesse et la lenteur, la mobilité et les mouvements de l’air, les moindres agissements sont autant de paramètres qui interviennent dans les analyses auxquelles se livre l’étrange personnage. Pris dans le tourbillon incessant de ses comptes et de ses décomptes, il se perd. Il a beau baliser ses observations en fonction du temps et de la lumière, du moment de la journée, de la spécificité d’une station ou d’une autre, il se heurte à d’innombrables difficultés dont celle de mémoriser les formes, leur allure, leur différence, leur cohérence… Jusqu’à l’excès, jusqu’à la dysmorphie et à la monstruosité. Peut-être le narrateur a-t-il eu entre les mains l’ouvrage S’emparer, « essayage » de Jean-Louis Giovannoni avec « Monstres et prodiges d’Ambroise Paré ? » Ainsi s’interroge le narrateur :

    « Si on associe une jambe courte à une plus longue : on encourage la fabrique future des monstres. Cette petite différence, infime au démarrage, augmentera de génération en génération, jusqu’à produire un jour l’irréparable : une jambe atrophiée naissant à côté d’une saine. »

    Et de poursuivre par ce constat :

    « La nature est ainsi faite : elle essaye des possibles et les répète ensuite à loisir. »

    Ou encore, daté du vendredi 18 janvier, cet autre constat :

    « La monstruosité ne vit pas sur une autre planète, elle voisine souvent près de la beauté, qu’il suffit de retourner comme un gant… À se demander si elles ne sont pas jumelles ? »

    N’est-ce pas le philosophe George Steiner qui faisait remarquer dans son essai — Dans le Château de Barbe-Bleue — que Buchenwald n’est situé qu’à quelques kilomètres de Weimar ?

    À force d’observer, de croiser, de se laisser bousculer ou doubler dans les files, à force d’explorer ce qui compose les corps, les joint et les disjoint, le narrateur est gagné par une forme d’empathie. Du reste, il n’est pas très différent des autres. Son corps n’est-il pas composé du même nombre de membres, d’un haut et d’un bas, soumis aux mêmes contraintes et vicissitudes ? N’abrite-t-il pas en lui, sensibles à leurs allées et venues, à leurs moindres déplacements, ses propres monstres. Le voilà qui s’imagine soudain rassembleur de « troupeaux de monstres », les siens et ceux des autres, gardien avec ses comparses d’un « lointain intérieur » qui attire soudain le lecteur du côté d’Henri Michaux et de Plume. C’est que le narrateur se révèle à ses heures poète, comme en témoigne cette remarque du mardi 26 mars :

    « Des oiseaux circulent en nous … un simple saut, et ils s’envolent dans nos gestes ! »

    Sans toutefois perdre de vue ce qui le préoccupe en profondeur :

    « Agiter les bras : ils fraterniseront avec la gent ailée ; et en nous mettant sur la pointe des pieds : nous serons déjà plus haut. Qu’importe ce qu’il adviendra ensuite, la chute est un voyage. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jean-Louis Giovannoni  L'Echangeur souterrain





    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Envisager (lecture de Tristan Hordé)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose]
    Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    Mère
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    Voyages à Saint-Maur (lecture d’AP)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Unes)
    la fiche de l’éditeur sur L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare





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  • Louise L. Lambrichs | [L’âme voilée]


    Granjabiel
    Dessin de Granjabiel,
    quatrième de couverture de
    Bris & Collages, éditions Pétra, 2020.








    [L’ÂME VOILÉE]




    L’âme voilée comme une roue qui tangue
    Contre vents et marées je navigue sans moi
    Dans un monde où mes mains réinventent le soir
    La vie ses couleurs vives
    En déchirant silence



    […]



    Crois d’abord ce que tu éprouves avant de croire ce que tu dis
    Fais les deux se joindre
    Alors tu connaîtras les couleurs qui explosent
    Le rire qui t’arrache
    Et ton cœur qui se noie



    […]



    J’appartiens au peuple silencieux des oiseaux en partance
    Celui que tu crains d’une peur qui t’attire
    Celui que tu rejoins quand soudain par miracle
    Tu es au bord d’aimer




    Louise L. Lambrichs, Bris & Collages, éditions Pétra, Collection Pierres écrites/Empreintes dirigée par Jeanine Baude, 2020, pp. 5, 66, 70. Dessins de Granjabiel.






    Bris_collages_couv_1




    LOUISE L. LAMBRICHS


    Louise L. Lambrichs
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Pétra)
    la page de l’éditeur sur Bris & Collages





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  • Catherine Pont-Humbert | [Toucher l’élémentaire]


    TORRENT
    Collage photographique, G.AdC







    [TOUCHER L’ÉLÉMENTAIRE]




    Toucher l’élémentaire
    Retourner au torrent
    Poser le pas sur le chemin
    Rejoindre la vallée
    Boire la rosée

    Les flux de la sève coulent en abondance
    Inondent la terre
    Les feuilles sensibles frémissent au vent

    Le cœur tendu, tambour vibrant
    S’étendre sous la ramure
    Fixer le soleil
    Être dans le simple

    Lente décantation avant le consentement
    Entrer dans la transparence




    Catherine Pont-Humbert, Légère est la vie parfois, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI n°61, 2020, page 12.





    Catherine Pont-Humbert




    CATHERINE PONT-HUMBERT


    Catherine Pont-Humbert
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    la page de l’éditeur sur Légère est la vie parfois





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  • Mutsuo Takahashi, Printemps florentin

    par Philippe Leuckx

    Mutsuo TAKAHASHI, Printemps florentin, choix de poèmes,
    Presses Sorbonne Nouvelle, Cahiers de poésie bilingue 8, 2020.
    Traduit du japonais par Bruno Smolarz.
    Préface de Bruno Smolarz.



    Lecture de Philippe Leuckx



    Voilà une anthologie bilingue, avec des poèmes inédits en français. L’auteur, né en 1937, dont la vocation poétique s’est dessinée « très très tôt », vient de Kyüshü, la « plus méridionale des quatre grandes îles de l’archipel japonais ».

    Sensible à l’altérité, au mystère du monde, aux lumières très fortes du sud, ce poète aime multiplier les expériences de découverte, dont celle du monde florentin qui donne son titre au livre Printemps florentin, et propose au lecteur une entrée pleine dans ce monde de l’écriture, cet « espace d’écriture » pour écrire, comme il le dit, le monde de la beauté.

    Sans doute laisse-t-il, çà et là, affleurer la peine d’avoir été l’enfant « sans amour », « tombé dans un puits obscur », sans cesse en quête de « lumière en [s]oi ».

    Ainsi se dessine cette première tranche du livre, sorte d’« Invitation à la poésie », qui retrace des moments de « l’enfant mort » à ce « sang voyageur », puisque là, nous sommes, lecteurs, auteur, aux « sources anciennes », « sous la peau du temps ».

    Printemps florentin assume l’infléchissement d’une poésie qui honore la beauté, « trop lumineuse », traversant des œuvres, haussant des noms (Savonarole, Leonardo, Dante, Botticelli…) au statut noble de pauses obligées des voyages.

    Sous le poète, « marcheur nocturne », esthète diurne, semble se glisser une nouvelle personnalité à la lumière et à l’aune des œuvres frôlées : dire addio à Florence sera difficile, sachant que « [p]our bien connaître quelqu’un    s’en éloigner » est presque une vertu.

    L’écriture, sans cesse, s’immisce dans des zones d’émotions parfois bien incernables, jouant de la dichotomie (présence/absence), de l’éloignement (autre manière de prendre en compte le réel observé).

    On ne sait presque pas où l’on va, presque pas s’il y a lieu d’en être serein ou affligé. On ne saisit presque rien, et la poésie incise des parts d’ombre.

    Takahashi, entre autobiographie et science du mythe, décrit à merveille les incertitudes du temps, en dépit de la beauté, des œuvres qui subsisteront, des adieux déchirants ; son message, s’il en est un, est celui d’« ouvrir les yeux encore et encore » sur un monde qui ne nous est pas toujours donné.



    Philippe Leuckx
    D.R. Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes







    Mutsuo Takahashi  Printemps florentin




    MUTSUO TAKAHASHI


    Mutsuo Takahashi 2
    Ph. Jeffrey Angles
    Source





    ■ Mutsuo Takahashi
    sur Terres de femmes


    Tombeau céleste (extrait de Printemps florentin)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Presses Sorbonne Nouvelle)
    la fiche de l’éditeur sur Printemps florentin






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  • Mutsuo Takahashi | Tombeau céleste


    TOMBEAU CÉLESTE
    c’est-à-dire dans le ciel





    L’esprit est plus léger que la chair     c’est ce que disent les livres
    mais pourtant    et la chair    et les os    se dissolvent dans le cercueil pour devenir eau
    ils s’évaporent en brouillard     dans l’atmosphère le ciel d’azur
    aussi légers que l’esprit    Cher Alighieri
    j’ai vu à Florence    ta tombe vide
    et celle de Ravenne    y es-tu donc
    c’est plus qu’improbable     tu n’es nulle part sur terre
    tu te trouves quelque part    ou plutôt partout dans le ciel d’azur
    si ce tombeau avait un nom    ce serait
    le tombeau céleste    le tombeau aérien     le tombeau de partout et de nulle part
    tout aussi éloigné     c’est-à-dire     tout aussi proche
    de Florence     de Ravenne     et puis encore
    de l’Enfer     du Purgatoire     du Paradis     de ta Divine Comédie
    n’est-ce pas     toi le transparent     Dante Alighieri




    Mutsuo Takahashi, Printemps florentin, X, choix de poèmes, Presses Sorbonne Nouvelle, Cahiers de poésie bilingue 8,2020, page 61. Traduit du japonais par Bruno Smolarz. Préface de Bruno Smolarz






    Mutsuo Takahashi  Printemps florentin




    MUTSUO TAKAHASHI


    Mutsuo Takahashi 2
    Ph. Jeffrey Angles
    Source





    ■ Mutsuo Takahashi
    sur Terres de femmes


    Printemps florentin (lecture de Philippe Leuckx)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Presses Sorbonne Nouvelle)
    la fiche de l’éditeur sur Printemps florentin





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