Étiquette : 2020


  • Pierre Dhainaut, Pour voix et flûte

    par Sabine Dewulf

    Pierre Dhainaut, Pour voix et flûte,
    éditions Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2020.
    Encres de Caroline François-Rubino.



    Lecture de Sabine Dewulf


    Caroline François-Rubino
    Caroline-François-Rubino, Pour voix et flûte
    Page d’avant-titre








    Dans son dernier recueil, Pierre Dhainaut se livre tout entier à l’élan de ce souffle qu’il appelle « poésie », où l’on entend aussi le chant. Une lecture orale pourrait aisément s’accompagner ici du son de la flûte, instrument qui fascine le poète depuis longtemps, qu’il soit d’orient ou d’occident. Ce son est l’un des seuls, confiait-il récemment, à pouvoir arracher un être humain au désespoir qui l’accable. Quant au flûtiste, il s’impose comme l’image idéale du poète, à l’écoute de ce qui s’apprête à naître du mouvement même de la respiration :

    « […] lui pressent l’émergence,

    le devenir du premier souffle,

    en se concentrant, il accorde

    à la respiration l’essor, l’alliance

    de l’inquiétude et de la joie

    selon un ordre exigé par l’écoute ».

    Cette vibration naissante, qu’elle traverse les sons ou les mots prononcés, est appelée à vaincre l’idée fausse que l’on se fait de la mort. Apanage de « l’âme inlassablement fugitive », un tel frémissement nous dit :

    « Non, ce n’est pas la peine, imaginer

    l’endroit et le moment de la rencontre,

    de la rencontre avec la mort. Jamais

    ainsi nous n’en serons les hôtes. »

    Pour nous accueillir vraiment, notre trépas aura besoin que nous ayons accordé une pleine attention à la vie, dont l’importance ne se mesure pas à l’aune de nos préoccupations, ni même de nos valeurs :

    « Le moindre bruit ou la moindre lueur,

    ayons pour eux, longtemps d’avance,

    un visage attentif. […] »

    La poésie de Pierre Dhainaut recueille ainsi le sens profond de vies qui nous semblaient éparses. Par cette qualité d’écoute, inséparable d’une certaine approche du devenir, elle nous invite à prendre la mesure de ce vivant dont tous les souffles, qu’ils expirent ou reprennent, forment la trame. À ce réseau rien n’échappe, pas même la rupture éphémère de la mort. La densité des liens que tisse le poète, de livre en livre, entre parole, sons, rythme et respiration, s’incarne plus particulièrement en ce recueil qui multiplie la reprise d’un même nom : les poèmes y ressemblent à ces mantras où ce qui importe, finalement, c’est le silence reliant le mot à un autre, l’écho rappelant le vers qui précède, le mystère qui contient avant de faire éclore. L’usage réitéré des virgules bondissantes joue un rôle similaire. Qu’un corps expire, un autre prend la relève, et, entre deux, chacun de nous peut se faire le « relais » de la grande « force appelée “parole” » qui guide le poète et qui est, avant tout, « résonance ». Le sens alors est libéré, débordant chaque forme singulière :

    « ce mot-là, par exemple, “corolle”,

    […]

    mais que veut-il avec tant d’insistance

    pour la première fois nous faire entendre

    qui n’est pas plus en nous que dans la fleur ?

    “corolle”, “corolle”, infatigablement redit,

    à l’écho ou l’aura que nul ne dirige

    nous laissons le soin de nous répondre. »

    Pierre Dhainaut savait, en écrivant ce livre, que l’accompagneraient les encres de Caroline François-Rubino. Leur collaboration n’est pas due au hasard : cette artiste esquisse des paysages formés de traces dynamiques, qui se suscitent l’une l’autre dans le blanc de la page. L’image est ici couleur du souffle, « relais », elle aussi, de cette immense parole qui traverse le temps :

    « Bleu, la sonorité première

    à voir le jour, bleu dans le bleu […]

    […]

    tu n’as jamais fini de naître. »



    Sabine Dewulf
    D.R. Texte Sabine Dewulf
    pour Terres de femmes







    Pierre Dhainaut  Pour voix et flute





    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3





    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes


    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Après (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème d’Isabelle extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le blog de Sabine Dewulf : Pierre Dhainaut, poète de la présence
    le site de Caroline François-Rubino






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  • Abdoul Ali War, J’ai égaré mon nom



    J’AI ÉGARÉ MON NOM
    (extrait)





    J’ai égaré mon nom

    Là-bas à la courbe du Yolgambi
    Après un grand chaos    Sous une bâche en plastique

    J’ai égaré mon nom
    Dans un camp de fortune

    Noyé dans la boue par des larmes de souffrance
    Au milieu des pleurs d’enfants

    J’ai égaré mon nom
    À l’endroit où des regards désemparés de parents
    Imploraient un horizon fracassé
    Où un ciel guère bleu vomissait à rendre l’âme

    J’ai égaré mon nom dans ce carrefour bruyant
    De naufragés sur le qui-vive
    Victimes des bombes incendiaires de soudards
    Sourds aux cris de ceux qu’on napalme

    J’ai égaré mon nom
    À l’heure du « sauve-qui-peut sa peau ! »
    Oubliant qui j’étais

    Debout seul face à ce qu’il reste des miens
    Qui ne bougeront plus et vivront de rien

    À la courbe du Yolgambi j’ai vacillé à l’écoute
    De la rumeur annonçant la terre promise

    J’ai vacillé sensible au vacarme de tant d’affligés
    Démunis délaissés que la raison quitte

    J’ai égaré mon nom sur la berge du grand fleuve
    Sur une berge de boue abîmée par tant d’épreuves

    Désormais moins qu’un émissaire
    Porteur d’aucun mandat
    Suis-je un pauvre voyageur
    Condamné dès sa prime jeunesse
    À une quête d’ailleurs sans répit
    Brin de paille volante
    Serai-je emporté par secousses et remous
    Dans un monde persécuté




    Abdoul Ali War, J’ai égaré mon nom précédé de Ode aux pères, éditions Obsidiane, Collection Le Manteau & la Lyre dirigée par Nimrod, 2020, pp. 31-32. [en librairie le 6 mars 2020]





    Abdoul Ali War 2ABDOUL ALI WAR


    Abdou Ali War
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Abdoul Ali War






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  • Emmanuel Moses, Quatuor

    par Angèle Paoli

    Emmanuel Moses, Quatuor, II, Poème,
    Le Bruit du temps éditions, 2020
    [en librairie le 6 mars 2020].



    Lecture d’Angèle Paoli


    JONGLERIES TALENTUEUSES ENTRE EXULTATION ET DÉSESPOIR





    Dernier recueil d’Emmanuel Moses, Quatuor est une vaste et puissante composition poétique qui marie, avec le même élan et la même ferveur, vision spirituelle et philosophique, et évocations personnelles. L’ensemble est jointoyé par le ciment fondateur de l’humour, de l’expérience, des souvenirs et de la culture. L’universelle et l’hébraïque. Dans ce recueil, dont le titre m’évoque les Four Quartets de T.S. Eliot, la partition poétique et musicale se structure en quatre mouvements. La rencontre, hasard et émerveillement (I) ; le temps/la différence (séparation) / l’indifférence (l’indistinction) (II) ; la mémoire (Si je t’oublie Jérusalem…) (III) ; l’amour et la mort, inséparables partenaires (IV) qui font osciller les vies entre force et fragilité, entre angoisse et bonheur.

    D’un mouvement à l’autre s’entrelacent des leitmotive qui tissent l’univers musical des quatre poèmes et confèrent à l’ensemble sa grande homogénéité lyrique. Par leur forme, et par le souffle qui les anime, les poèmes font penser au genre soutenu de l’ode, j’oserais dire psaume, et les vers par leur ampleur et leur discontinuité évoquent le verset. Les résonances bibliques, implicites ou explicites, abondent. Elles entretiennent avec l’ensemble du texte une relation étroite, laquelle souligne une parfaite adéquation entre pensée et respiration. Encloses toutes deux dans un même souffle. Un souffle si puissant qu’il en devient exalté/exaltant. Le lecteur enthousiasmé se laisse porter et emporter par la vague, tour à tour descendante ascendante. Le chant qui conduit le lecteur l’entraîne dans une houle sans fin qui l’enchante, poète et lecteur voguant de conserve « vers le Grand Horizon ».

    Cherchant malgré tout à garder quelque distance, je vais tenter ici de me lancer dans une approche plus argumentée. Peut-être pas dans le détail de chacun des poèmes, mais dans leur ensemble, tels que je les perçois et tels qu’ils me touchent.

    J’ai évoqué un peu plus haut le caractère soutenu propre à l’ode. Ce serait une erreur que d’en faire un élément distinctif. Car le ton peut être naturel ; parlé presque ; tiré de la vie même et des propos coutumiers que l’on échange au cours d’une conversation. À lire l’incipit du premier chant, il n’y paraît donc pas. Mais il ne faut pas croire pour autant que le poète se contente de n’emprunter que cette voie/voix. Car le poète a bien des cordes à sa lyre.

    Le premier mouvement — on pourrait aussi l’appeler « motif » — est centré sur les hasards de la rencontre. Avec beaucoup d’humour, Emmanuel Moses énumère une succession de bizarreries ordinaires liées à l’enchaînement de causes et effets extérieurs à notre volonté.

    « Tu rencontres quelqu’un, un type, mettons sur un quai de gare ou

    dans le train

    Il y avait une chance sur un million pour que vous vous croisiez ».

    Très vite, par-delà l’anecdotique, surgissent, sans que l’on y prenne garde, des éléments structurants du poème. De répétitions en variations sur les répétitions, le poète progresse par l’introduction d’un terme nouveau, lequel bénéficie alors de plusieurs occurrences jusqu’au moment où se glisse un terme porteur d’une nouvelle image, qui entraîne à son tour une nouvelle inflexion dans le narré de l’histoire… Entre temps, dans le « faisceau de circonstances » dans lequel nous voilà embarqués, surviennent l’amour et la mort qui agissent toujours de concert, et par surprise, jusque dans une chambre d’hôtel :

    « L’amour surgi du hasard

    La mort survenue sans prévenir ».

    Fort de cette vérité, le poète enjoint son semblable, par une série d’injonctions parfois loufoques, à le suivre dans ses desseins.

    « Oublions un instant qu’il n’est nulle échappatoire »

    « Soyons poètes dans les hôtels ! »

    « Trinquons en solitaire à la poésie de l’impondérable ».

    Une première vérité en entraîne une autre, construite sur une série de dénis ou de négations :

    « [i]l n’y a pas de souffleur »

    ou encore :

    « [i]l n’y a pas de texte, pas d’auteur, pas de metteur en scène,

    ni de dramaturge. »

    Et, plus avant dans le poème, la reprise du refrain :

    « Il n’y a rien, mes amis, que la matière soumise à tous les aléas ».

    Ou encore, un peu plus loin :

    « Tout est matière exposée, livrée au travail de l’accident

    Parce qu’il n’y a pas d’entremetteur ».

    Pourtant, de ce néant généralisé, apparemment désespéré et vide de sens, émerge toujours l’inattendu :

    « Et soudain quelque chose se passe ».

    C’est d’abord le « vent libre ». Et donc la « liberté ». La liberté ?

    « C’est aussi accepter le hasard comme point de départ ».

    Hasard de la rencontre imprévue, celle par exemple que fait le poète de ce « type dans un champ », le jour de l’enterrement de son oncle. Le poète se lance alors dans un dialogue imaginaire, chacun des interlocuteurs se livrant à un discours corrélé à son état ou à sa situation :

    « Tu aurais pu le rencontrer à l’aéroport

    Il t’aurait parlé de sa glèbe bretonne et des mers céréalières sous

    la houle

    Et toi de ton ciel juif où plongent tes racines, où enfoncent tes pas

    et ceux des tiens ».

    Les péripéties liées à ce souvenir personnel donnent lieu à toute une suite d’histoires vécues ou imaginaires portées jusqu’au délire noir du meurtre… Pris de vertige, le lecteur cherche des points d’appuis, des balises qui lui restitueraient son équilibre. Il les trouve dans l’enchaînement des différents épisodes à partir de la formule conditionnelle toujours recommencée :

    « Tu aurais pu le rencontrer sur un quai », « à l’aéroport » … « dans un bus » … « chez des amis ».

    L’entrée en scène du vent est un exemple évocateur de la manière dont procède le poète. Le rythme change s’accélère se développe s’enfle. Les phrases s’allongent, prennent un tour ascendant, se prolongent dans le vers suivant. L’absence totale de point en fin de vers, les enjambements d’un verset au verset suivant, les répétitions anaphoriques, les parallélismes, les apostrophes… contribuent à donner au verset son impulsion et à créer ce mouvement d’ondulation prolongée. Aux vers longs succèdent soudain des vers plus brefs qui viennent ralentir cette course. Permettent de reprendre souffle et d’amorcer une pente descendante. C’est aussi là le signe prosodique de la discontinuité du verset. Qui n’a de sens que pour rendre compte de la discontinuité des événements :

    « Encore un instant de lumière

    Le vent poursuit sa course comme la liberté balaie l’existence

    Tu as compris le sens de l’existence, un certain sens, du moins

    Et la compréhension n’est jamais définitive, elle ne prend pas racine

    Elle va et vient, tel le vent dans ta figure, sous les paupières et au fond

    des narines ».

    Après les moments d’enthousiasme surviennent les chutes. Lesquelles sont liées « au choc inouï d’être | De sortir du néant et d’aller à la mort ».

    Le néant qui n’est pas la mort. Suit une longue réflexion sur ce qui les distingue l’un de l’autre. Mais la liberté, mot sésame du chant premier, rend momentanément son enthousiasme au poète, sa confiance et son espoir. Avec l’enthousiasme, la phrase enfle à nouveau, reprend son mouvement ascendant, réitère sa remontée vers les crêtes :

    « Mais il y a toujours quelqu’un pour te sauver, enfin, parfois, plutôt

    Il y a toujours une femme pour te sauver, enfin, parfois

    Et il y a toujours des rêves salvateurs sinon rédempteurs

    Parce que, oui, tu crois au grand salut par le rêve

    Qui est le souffle nocturne de la liberté sous la voûte de ton crâne

    Alors es-tu fortuit, toi qui viens à moi ? ».

    La rencontre peut prendre toutes sortes de formes ou d’apparences, elle est toujours une opportunité, une promesse d’enrichissement. Elle peut être « une formidable création à deux » si par extraordinaire le poète fait l’expérience magique de la rencontre avec son lecteur :

    « une sacrée rencontre » que celle-ci « [e]ntre des mots sur une page blanche et toi ».

    Le poète poursuit sa composition, avec le temps d’abord (second mouvement) puis avec la mémoire (troisième mouvement) et enfin avec l’amour/la mort (quatrième mouvement). Il poursuit ses questionnements, toujours selon la même structure d’encadrement d’une unité, d’une nouvelle séquence :

    « Je regarde mes mains » […]

    « Y a-t-il un but à tout cela ? Un but à l’enfantement et à la mort ?  » […]

    « Je regarde mes mains ».

    Les mains la barque le temps. L’orme. Autant d’images clés que le poète pose comme des cairns dans le poème. Elles servent de points de repère dans le déroulement des idées et le balancement des oppositions. Certitude et scepticisme ; séparation et indistinction ; différenciation et indifférenciation ; instant et éternité…

    « Indifférence ou différence ?

    Je n’oublie pas l’étymologie du mot, le verbe latin differre

    […]

    Et qui a pour sens premier disperser la cendre au loin

    Pour deuxième acception transplanter des arbres en les espaçant

    Plus particulièrement des ormes, en les disposant en rangées ».

    Je ne peux me retenir de consulter le vieux dictionnaire Gaffiot de mes études. Differre. « In versum distulit ulmos. » Virgile, Géorgiques (IV, 144) : « il transplanta aussi et disposa par rangées des ormes déjà grands ».

    Séparer espacer distinguer sont actes fondateurs. Emmanuel Moses le sait, qui en accepte la vérité. Et le poète de promener son regard attentif (attendri ?) sur l’orme, « grand arbre de nos contrées », d’en décrire par le menu feuilles écorces et fleurs et de conclure cette évocation poétique par une réflexion inspirée de l’Ecclésiaste (déjà présent dans l’incipit du second mouvement), laquelle le conduit à affirmer :

    « [s]ans différence, le terme même de disparition perd sa pertinence ».

    Et plus loin :

    « Sans différence pas d’écart, de retard ou de distance

    Sans différence pas de mort ni de fin de toute chose ».

    Ou encore par cette interrogation qui poursuit le poète :

    « Peut-être que c’est cela Dieu : l’au-delà des apparences diverses

    L’indifférence suprême, l’indifférencié suprême ».

    Les réflexions s’entrelacent les unes aux autres à la manière de cercles continus qui se superposent un certain temps puis soudain se scindent pour intégrer une nouvelle spirale. Ainsi, dans le troisième mouvement consacré à la mémoire — « Je marchais dans les rues de Jérusalem / Si je t’oublie Jérusalem —, le poète écrit-il, évoquant un moment de bonheur au cours duquel lui reviennent les vers du Vaisseau d’or d’Émile Nelligan :

    « D’autres anneaux s’entre-pénétrant

    Des anneaux sur la piste sablée de ma mémoire

    Avec lesquels je jongle inlassablement, qui jonglent avec moi, tout autant

    Face à des bancs déserts

    Ou alors peuplés de fantômes ».

    Jongleur infatigable, Emmanuel Moses évolue dans des souvenirs peuplés d’images, les unes réelles et concrètes, les autres tirées de lectures plurielles et abondantes, de lieux aimés ou rêvés, de réminiscences, de versets bibliques et de poèmes… Bercé par les versets du Psaume de Jérémie – « Si je t’oublie, Jérusalem ! » –, le poète, fantôme parmi les fantômes, se souvient. Il se souvient de Paris et de ses morts. De « la soldatesque allemande » et de la Gestapo, des « Juifs arrêtés », de

    « Paris rouge comme l’étoile jaune

    Paris de mon haut mal

    Et de mon plus haut amour ».

    Il se souvient du camp de Drancy dont il ne reste rien.

    Le dernier mouvement du recueil signe l’apothéose de Quatuor. Le poème s’inscrit dans une langue de feu. Qui va de l’incandescence du ciel aux flamboiements de l’amour. Cela commence par des éclats de lumière qui se fondent ensuite aux feuillages dans une progression ardente, laquelle s’établit par un enchaînement de subordonnées où se déclinent les actes, et par une suite d’anaphores qui structurent l’espace en paysage. « Ainsi s’embrase l’amour » comme le « ciel aux lueurs d’incendie vers Pecqueuse ». Étrange correspondance qui prend flamme en Île-de-France, gagne et s’étend, des hirondelles aux amants, « ivresse » et « fièvre de l’envol ». « Un souffle de lumière » échauffe le poème. Et enlève le lecteur jusque vers les terres de l’Ouest, « là-bas vers Pecqueuse » bien sûr, mais peut-être aussi vers les prairies plus lointaines de John Fenimore Cooper.

    Cet état d’exaltation se propage, qui efface toute temporalité. Survient alors l’éternité.

    « Tout aussi subitement l’amour s’exalte sub specie aeternitatis

    Sans avant ni après

    Dans l’ignorance de la durée ».

    Et, plus loin, cet aveu encore :

    « Le temps et l’espace ont perdu leur raison d’être

    L’amour seul infuse la totalité ».

    Au cœur même de l’inspiration exaltée survient alors, animée par le doute, puis par l’incompréhension, la retombée progressive vers le silence…

    « Pourquoi donc au cœur de l’exultation, au moment même de

    l’apothéose

    Survient, née de la perfection, la brisure tout aussi essentielle ? » .

    Ainsi, de même que l’embrasement originel contient sa propre fin, de même l’amour n’est-il jamais plus proche de la mort qu’au plus fort de son ardeur. C’est de cette vérité que naît « la souffrance qui te met au supplice ». Et de cette autre encore, qui n’admet aucun accommodement :

    « Parce qu’être c’est mourir

    Qu’il faut mourir d’être

    Et non pas “au bout du compte”, “en dernier lieu”, “un jour ou l’autre” »…

    Emmanuel Moses ne peut en rester là. Comment sortir de la scène sans désespérer ? Le poète exalté et joueur met un terme à ce magnifique recueil en empruntant ses jongleries à la commedia dell’arte. Ainsi enjoint-il généreusement ses amis à rejoindre la troupe d’Arlequin et de Colombine, afin « [d]e rire jusqu’au bout de l’amour fou »

    « [e]n s’éjouissant de vivre comme de devenir un jour une

    ombre bienheureuse

    Parmi les ombres bienheureuses ».

    Et de conclure par cette invitation :

    « Et voguez, voguez puissamment vers le Grand Horizon ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Moses quatuor 2




    EMMANUEL   MOSES


    Emmanuel_moses_didier_pruvot_flammarion
    Ph. © Didier Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)






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  • Pierre Dhainaut | D’abord et toujours, 4



    D’ABORD ET TOUJOURS, 4




    La flûte, la longue flûte horizontale,
    la bien-nommée, la traversière,

    le musicien l’approchant de ses lèvres
    ferme les yeux : si nous le regardons

    sans rien entendre, lui pressent l’émergence,
    le devenir du premier souffle,

    en se concentrant, il accorde
    à la respiration l’essor, l’alliance

    de l’inquiétude et de la joie
    selon un ordre exigé par l’écoute

    qui ne revient pas en arrière.
    Raucité, fluidité, soulèvement,

    rupture, soulèvement nouveau plus rauque,
    plus fluide, que les sons émanent

    d’un os, d’un roseau, à marée haute,
    à la fonte des glaces, les embruns s’enivrent

    ou s’embrasent, les herbes, les ailes,
    ils remercient de se sentir compris.

    À notre tour de nous en inspirer, l’air ne refuse
    personne : nous aimerons les mots

    s’affranchissant des mots dans les poèmes
    et dans l’intervalle, d’une page à l’autre,

    la main touchera le silence, frémira
    comme une âme inlassablement fugitive

    en son visage.



    Pierre Dhainaut, « D’abord et toujours », 4, Pour voix et flûte, Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2020, s.f. Encres de Caroline François-Rubino.






    Pierre Dhainaut  Pour voix et flute





    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3





    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes


    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Après (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème d’Isabelle extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le blog de Sabine Dewulf : Pierre Dhainaut, poète de la présence
    le site de Caroline François-Rubino






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  • Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa

    par Angèle Paoli

    Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa
    Jacques André éditeur, collection Poésie XXI N° 58,
    2020. Préface de Xavier Bordes.



    Lecture d’Angèle Paoli


    L’AMOUR PLUS FORT QUE LA MORT ?





    Le petit port de pêche d’Onagawa porte secrètement en lui, dans l’arrondi d’une voyelle, les eaux furibondes qui l’ont anéanti. Les eaux d’Onagawa. Onagawa celait pourtant en elle les promesses du printemps même si les derniers signes de l’hiver hésitaient encore à se dissoudre dans les brumes.

    Les signes avant-coureurs de la féerie printanière couvent. Le chant d’Onagawa rythme le premier poème. On pourrait se laisser prendre par la beauté de ces images évocatrices du Japon traditionnel si le titre du recueil de Marilyne Bertoncini – La Noyée d’Onagawa – ne venait faire obstacle à l’apparente sérénité de ces images millénaires. Dès la deuxième page de titre (celle qui précède la page d’incipit), l’éventuelle ambiguïté est levée, la poète annonçant qu’il s’agit là d’une « rêverie poétique inspirée d’une dépêche de l’AFP. »

    Le réel va donc faire irruption. Comment la poète va-t-elle parvenir à concilier ce que tout oppose ? Sous le beau chant initial d’Onagawa va poindre La Catastrophe. Parmi les milliers de morts emportés par le tsunami, Marilyne Bertoncini exhume l’ombre de Yuko. L’inconnue d’hier rassemble dans sa silhouette fugace tous les noyés d’Onagawa. Elle devient la figure mythique de la tragédie. La roue vient de tourner. Les prémices du printemps sont brutalement englouties sous les coups de butoir du séisme. Un séisme d’une telle violence qu’il déclenche le même jour la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le monstre Océan en furie avale tout sur son passage.

    La poète s’attache à reconstituer le fil des événements, mettant en relief les faits et les moments les plus marquants. Un récit prend forme dans une temporalité anéantie, laquelle fait passer de la vie à la mort en un temps foudroyant ; la rêverie de la poète réunit temps et espace stratifiés pour l’éternité dans une même coquille. Un rapide retour en arrière sur elle-même lui permet de se remémorer ce que fut pour elle cette journée-là. Quels en furent les jalons depuis le jour naissant jusqu’à la fin du jour ? Son œil de photographe/cinéaste s’arrête sur les lignes, opère un cadrage sur les formes. Au « triangle des grues dans leur vol printanier » d’Onagawa répondent « les grues avant la gare » qui « engloutissent/le ciel » de Villefranche. À cet autre vers concernant Onagawa – « et l’attente rose des pétales fleurissait les nuages » – répond en simultané « une petite chaîne de nuages gris-bleu à l’horizon d’où suinte l’ocre-rose du matin ». Des correspondances très fines s’établissent d’un bout du monde à l’autre. On pourrait relever bien d’autres exemples qui se font écho aux extrémités du globe. Bruits et rumeurs, couleurs et lumière, oiseaux et flore… Le regard clairvoyant de la poète s’attache aux moindres détails qui habitent l’instant. Le temps s’écoule sur la Côte d’Azur et porte en lui les signes d’un obstacle. « Les barres d’immeubles », et tout ce qui alentour contribue à engloutir le ciel, sont-ils la marque insoupçonnée de ce qui se produit au même instant de l’autre côté de l’océan ?

    Si je m’attarde autant sur ce poème (qui met en évidence une concomitance temporelle – le temps de la poète et celui de la « noyée d’Onagawa »), c’est que cette réflexion sur le temps se coule à merveille dans ma propre sensibilité. Elle me renvoie notamment au très beau roman de Laurent Mauvignier Autour du monde. Même si le traitement diffère – mais aussi l’écriture –, je ne peux m’empêcher de me poser à nouveau la question du « où étions-nous ce jour-là ? » « Que faisions-nous ? » Mais aussi : « Comment rendre compte de cette concomitance ? Comment la dire ? Et quelle nécessité y a-t-il à la dire ? ».

    Sans nul doute, la poète a été durement ébranlée par le récit de cette tragédie. Traumatisée peut-être. D’où la nécessité pour elle de s’approprier celle-ci par l’écriture. D’accueillir dans son cimetière intérieur Yuko et ses semblables. De l’intérioriser. En réintégrant les étapes du récit qui la constituent. Car il y a un récit dans cette « rêverie poétique ». Un récit qui s’appuie sur des faits inexorables.

    Ainsi La Catastrophe d’Onagawa s’inscrit-elle dans une réalité géographique dénommée avec soin : « un petit port de pêche sur la côte orientale /du Japon – préfecture de Miyagi… ». Elle s’inscrit aussi dans une temporalité précise. « C’était un vendredi, ce onze mars 2011… ». En un moment chronométriquement identifié : « 14h46 minutes 23 secondes. » Plus loin est indiquée nommément la force du « séisme d’intensité neuf point un sur l’échelle de Richter ». Vient aussi l’ultime message que Yuko adresse à son mari depuis son téléphone portable. Message de terreur devant la mort qui arrive au galop et qui tient en deux mots : « Tsunami énorme ». Un portable « relique » qui parvient à son mari trois ans après le raz-de-marée ; « une moderne/bouteille à la mer », rescapée du naufrage. Tout ce qui subsiste de Yuko dont l’histoire est comme le dernier témoignage de tant d’autres disparitions anonymes, englouties et anéanties sans laisser de traces autres que celles de décombres mêlés aux décombres. Dans son avidité monstrueuse, la mer tentaculaire a tout arraché sur son passage, elle a fusionné les éléments, les a broyés et malaxés pour en faire une pâte immonde. Plus rien n’a de forme. Tout est sens dessus dessous. Le chaos règne en maitre :

    « plus rien ne distingue

    fluide vivant ou minéral ».

    De ce bouleversement de « noire Apocalypse », la poète rend compte, qui imagine « les blêmes corps des noyés de pleine terre », « à la dérive dans l’eau froide ». Trois ans plus tard persistent les visions d’un broiement qui a dissipé les frontières du réel, créant un gigantesque fatras de terre d’épaves de ciment.

    Au sein de ce chaos un homme attend. Qui espère retrouver le corps de Yuko. C’est Yasuo. Il s’est lancé dans une quête éperdue. Il espère retrouver sa femme au fond des eaux glacées d’Onagawa. C’est là qu’il la cherche, « évanescente comme / le blanc fantôme d’Oyuki », parmi les enchevêtrements des algues et « les carcasses rouillées d’improbables vestiges », fouillant et écumant les fonds marins d’Onagawa. Obstination insensée que celle de l’époux ? Peut-être. Mais Yuko, avant d’être emportée du toit où elle s’était réfugiée, s’était écriée : « je veux rentrer chez nous ». Et Yasuo, nouvel Orphée, n’a de cesse que de soustraire la « noyée » de son « enfer marin ». L’amour plus fort que la mort ? C’est ce que laisse entrevoir le très émouvant recueil de Marilyne Bertoncini.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Marilyne Bertoncini  La Noyée d'Onagawa





    MARILYNE   BERTONCINI


    Marilyne Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    Sable (extrait)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    une fiche bio-bibliographique sur Marilyne Bertoncini
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Marilyne Bertoncini
    Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini






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  • Emmanuel Moses | [Mais voilà il y a un au-delà des apparences]



    [MAIS VOILÀ IL Y A UN AU-DELÀ DES APPARENCES]




    Mais voilà il y a un au-delà des apparences
    Il y a comme un ciel vertigineux qui nie les apparences
    Et c’est l’indifférence
    L’indifférence aux heures qui trottent sur le cadran translucide de la vie
    L’indifférence aux saisons
    Au bas du parchemin duquel est apposé un sceau de quatre

    couleurs différentes :
    Vert, jaune, marron et blanc. Ad aeternam
    (qu’on pourrait représenter aussi sous l’aspect de quatre oiseaux

    empaillés dans une vitrine)
    L’indifférence aux années qui roulent depuis toujours et sans fin
    Peut-être que c’est cela Dieu : l’au-delà des apparences diverses
    L’indifférence suprême, l’indifférencié suprême
    Le temps, Dieu et les hommes, indifférents les uns vis-à-vis des autres
    Tels les acteurs, le public, l’auteur, indifférents les uns envers les autres
    Pour échapper à la mort
    Et non pas comme événement individuel mais comme condition
    L’indifférence arc-boutée à l’indifférence
    L’une articulée à l’autre
    Et formant ensemble un bras plus puissant que celui qui fendit les flots

    de la Mer rouge…
    Un bras à défier les machines-robots qui déshumanisent l’homme en

    le dépossédant
    Qui ont vaincu l’humanité comme Moïse vainquit l’onde
    Pour y faire passer à pied sec son pauvre peuple
    L’indifférence de l’aigle qui vire en cercles larges et lents à hauteur

    de cime
    Et pour l’œil brillant et minuscule de qui la vallée n’est rien, le fleuve

    n’est rien
    L’activité humaine n’est rien, la circulation des automobiles et des

    trains, rien
    La fumée des cheminées d’usines et les chantiers, les carrières, rien
    Les champs et les prés, avec leurs tracteurs, leurs moissonneuses-

    batteuses, rien
    Et même les moutons qu’ils enlèveront dans les airs sans parler des

    menus rongeurs
    Ne sont rien sous leur regard souverain où on lirait le refus et le mépris
    Si on pouvait l’observer de près
    Voyez comme il promène sa silhouette cruciforme sur le fond du

    ciel d’azur
    Et de quelle manière il joue avec les courants de l’air
    Quelle leçon que les jeux de l’aigle en sa sagesse !
    Le soleil décline devant ma fenêtre
    L’instant est silencieux et ce qu’il y a de plus muet entonne un

    chant nouveau
    J’ouvre le livre des anciens visages d’Égypte
    Et je les écoute
    Ils me parlent de la mort et de sa morsure
    De l’éternité qu’elle fait sourdre de la chair du temps
    Et comme je les en remercie, ces très vieux morts
    Peints à l’encaustique sur des sarcophages en bois de tilleul
    Ou peints à la détrempe sur des sarcophages en bois d’if, en bois

    de sycomore
    Peints sur des masques de plâtre et sur des voiles en lin
    Ces hommes, ces matrones, ces jeunes filles, ces enfants
    Prenant éternellement congé de nous
    Sur les vertes collines des adieux.



    Emmanuel Moses, Quatuor, II , Poème, Le Bruit du temps éditions, 2020, pp. 40-42. [en librairie le 6 mars 2020]






    Moses quatuor 2






    EMMANUEL   MOSES


    Emmanuel_moses_didier_pruvot_flammarion
    Ph. © Didier Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Quatuor (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)






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  • Claudine Bohi | Secret de la neige



    SECRET DE LA NEIGE
    (extrait)





    La neige
    est cette suspension
    du temps

    dans un espace
    qui le rend visible




    avant la neige
    le cœur bat
    autrement

    avant la neige
    le corps bouge
    plus loin




    cette vive lenteur
    dans les bras

    un vieux Noël s’étire
    renversé
    depuis longtemps

    recouvert
    par d’autres blancheurs

    cet étonnement
    dans les mains




    un puits ouvert
    dans le ciel

    ce calme ravage
    dans les mots

    avant la neige




    comme une attente
    qui serait comblée

    avant d’être
    éprouvée

    avant même
    d’être venue

    une attente
    dans son comblement même

    déployée là

    dans l’exactitude
    du comblement




    est-ce la nuit
    est-ce le jour

    cette blancheur
    témoigne
    d’autre chose




    est-ce présent

    est-ce passé

    ce grand charivari
    de signes

    ce mélange de blancs





    Claudine Bohi, « Secret de la neige », L’Enfant de neige, éditions L’herbe qui tremble, 2020, pp. 103-109. Peintures d’Anne Slacik.






    Claudine Bohi L'enfant de neige




    CLAUDINE  BOHI


    Claudine Bohi 2
    Source




    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes



    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    L’invisible (poème extrait de Mettre au monde)
    Naître c’est longtemps (lecture d’AP)
    Naître c’est longtemps (lecture de Philippe Leuckx)
    Corps levé (poème extrait de Naître c’est longtemps)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    [à force de mots sur la peau] (poème extrait de Parler c’est caresser un corps)
    [La raison sort toujours de l’irrationnel] (poème extrait de Rêver réel)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    si ce n’est pas trembler




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la fiche de l’éditeur sur L’Enfant de neige
    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claudine Bohi






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  • Marilyne Bertoncini | [Je l’imagine]



    [JE L’IMAGINE]




    Je l’imagine, infime signe noir
    sur la page de l’océan refermée
    sur les naufrages, les blêmes corps des noyés de pleine terre
    arrachés jusqu’à dix kilomètres de la côte,
    flottant entre deux eaux,
    entre les bancs argentés ondulant dans les zébrures sombres
    des courants
    comme pétales au vent,
    écartant la chevelure fluorescente des méduses,
    caressant les rideaux d’algues sur les restes d’étranges épaves
    où rampent des étoiles,
    frôlant d’improbables poissons aux yeux vitreux
    dans les cavernes
    de ciment brisé
    et le flanc de colline des étraves couchées
    où nidifie la pierre arborescente des coraux,
    cerisiers inversés

    à la dérive dans l’eau froide,
    avec l’espoir en fil d’Ariane.




    Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa, Jacques André éditeur, collection Poésie XXI N° 58, 2020, page 30. Préface de Xavier Bordes.






    Marilyne Bertoncini  La Noyée d'Onagawa





    MARILYNE   BERTONCINI


    Marilyne Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    Sable (extrait)



    ■ Voir aussi ▼


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    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Marilyne Bertoncini
    Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini






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  • Nimrod, La Traversée de Montparnasse

    par Angèle Paoli

    Nimrod, La Traversée de Montparnasse,
    éditions Gallimard,
    Collection Continents noirs, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LA DURE EXPÉRIENCE DU VISAGE





    La Traversée de Montparnasse, dernier roman de l’écrivain et poète Nimrod, s’apparente pour partie au continent imaginaire de Patrick Modiano. L’exergue, emprunté au Prix Nobel, donne d’emblée la tonalité de ce récit. Et, comme chez Modiano, les errances subtiles du personnage principal conduisent le lecteur à travers les rues de Paris, celles du quartier Montparnasse qu’il écume jour après jour, de cafés en brasseries, de jardins en cimetière, avec parfois quelques échappées vers le lointain boulevard Pereire, aux antipodes de Vavin et du boulevard du Maine. Comme dans les romans de Modiano, l’essentiel est ailleurs que dans l’histoire elle-même. Et l’histoire elle-même — malgré l’irruption de l’événement qui prélude à la déroute finale de Gennevilliers — pourrait se résumer en quelques lignes. Parce que, chez Nimrod comme chez Modiano, tout, ou presque tout, se déroule dans les linéaments d’une pensée qu’agitent supputations, élucubrations, interrogations, silences… Et l’écriture, magnifique, accomplit le miracle de l’indicible. De sorte que deviser sur le roman de Nimrod est entreprise délicate.

    Le titre du roman, La Traversée de Montparnasse, est un titre trompeur. Une fois le livre refermé, ce titre résiste. Et garde sa part de mystère. Pourtant, il laisse à penser que seule la capitale française est au centre, unique objet des déambulations auxquelles se livrent les personnages. Or ce titre est un titre en trompe l’œil qui nécessite de déplacer sans cesse le regard. Car il est un autre lieu que le héros arpente, tantôt de manière réelle tantôt par le détour de la mémoire et le recours à l’analepse. Ce lieu, c’est l’Afrique. Et plus précisément la Côte d’Ivoire.

    Kouassi — le lecteur découvre son prénom au cours d’un dialogue — va donc parcourir le globe à grandes enjambées, se perdre en tours et détours, du Nord au Sud et du Sud au Nord ; traversant la Méditerranée pour se rendre dans son pays d’origine ou pour revenir à Paris. Abidjan, Yamoussoukro ou Bingerville où il est né n’ont pas de secrets pour lui. Pas plus que Vavin, la Gaîté-Montparnasse ou le jardin du Luxembourg. Le lecteur navigue donc sans cesse entre deux mondes que tant oppose. Existe-t-il entre l’Homo sapiens de l’hémisphère Nord et l’Homo sapiens de l’hémisphère Sud des points de rencontres possibles ? Ces points de rencontre sont-ils fiables ? Et durables ? Le lecteur et le personnage de Kouassi y croient un temps. Ils cherchent du moins à s’en persuader. Mais les certitudes se lézardent et il arrive que le trouble s’installe, remettant en question ce que l’on tenait pour acquis. Ainsi de cette petite phrase qui affleure dans le chemin de pensée de Kouassi après sa rencontre avec Jules : « Que s’était-il passé entre temps ? Avais-je réintégré le sérail ivoirien ? ». Interrogation qui pourrait passer inaperçue, malgré le constat énoncé dans la phrase introductive de l’incipit : « En me rendant au dîner de Jules ce soir-là, mes épaules se sont affaissées sous le poids de mes vingt-cinq ans. » Une interrogation cependant qui prend tout son sens dans le dernier chapitre du roman. Avec la diatribe que Pierre, ami de Jules et de Kouassi, énonce en plein dîner et qu’il adresse à l’ami ivoirien. « Sortie » fatale, dont la jalousie de Pierre et son caractère fantasque sont peut-être la cause.

    Comme il le dit de lui-même, Kouassi est un « dandy ». Par l’esprit et par la mise. Il s’habille avec soin et cultive ses contradictions avec élégance. Ce « vieux parisien » est un « ivoirien à part ». Éternel étudiant, il est lettré, sensible, bien élevé, distingué, dilettante, plein d’humour. Et riche. Il n’affiche pourtant rien de ses origines et s’évertue à cacher son aisance. Amoureux des grands arbres du jardin du Luxembourg ou du Bois de Boulogne, il l’est aussi de la « Montagne imaginaire » de Montparnasse. Ce qu’il aime et qu’il recherche infatigablement, c’est le couplage entre urbanisme et canopées. D’une forêt à l’autre, de la parisienne à l’ivoirienne, il n’y a qu’un pas que ce doux rêveur s’ingénie à franchir, chaque fois qu’il sort humer l’air de la rue Vavin.

    La vie parisienne du jeune homme se passe en rendez-vous avec « la bande ». Mais plus encore avec son ami éditeur, Jules, à qui il vient de confier une série de poèmes. Rencontres animées dans les brasseries du quartier. De rêveries en échanges, toujours reviennent, au détour d’une conversation ou d’une remarque, les origines africaines. Les siennes — il appartient au peuple Baoulé — et celles de son pays. Ensemble elles forment un tissu complexe et fécond. Fait de légendes et haut en couleur. Auquel le jeune homme est très attaché. Orphelin, fils adoptif du président de la nation ivoirienne, il a été accueilli par un jeune couple qui l’a élevé dans l’amour et dans l’aisance. Kouassi voue à ses parents, quels qu’ils soient, une reconnaissance éternelle. Grâce à sa filiation avec le « père de la nation », il s’est acquis une généalogie glorieuse. Et s’est surtout acquis un « guide », admirable tant par la sagesse que par la grandeur. Il reconnaît en lui un géant de l’Histoire. Qu’il se doit de défendre « parce que cela engage l’identité ivoirienne. » Il arrive aussi parfois que Kouassi éprouve la tentation de se rendre à l’orphelinat de Bingerville où il a passé les cinq premières années de sa vie.

    Quant à Florence Nguessan, sa mère adoptive, Kouassi dit lui appartenir « par le sang, l’amour et l’antre utérin de la pensée. » C’est de Florence, ardente protectrice de la forêt, que Kouassi détient son savoir sur l’homo sapiens. Un savoir que sa mère, une érudite à qui l’on doit « le concept de littérature chlorophyllienne », fait remonter au paléotchadien. Or, chaque fois que Kouassi se trouve en difficulté avec ses amis français, lors du « fiasco du Select » par exemple, il s’envole vers les canopées d’Afrique. C’est au-dessus des arbres qu’il se régénère. C’est là qu’il respire et renoue avec son père présidentiel : « Lorsque les siens sont en danger, il les évacue dans ses plantations. C’est un homme chlorophyllien, ainsi se résume sa sagesse. »

    Entre autres talents, Kouassi possède celui de lire sur les visages, d’en décrypter les inflexions. Nul n’échappe au regard incisif et à la perspicacité du jeune homme. Pas même Jules en qui il lit la capacité de passer de l’homo sapiens du Nord qu’il est à l’homo sapiens du Sud. Mais sans doute Jules n’en a-t-il pas conscience. Seul un « ivoirien parisien » tel que Kouassi peut lire et comprendre de telles traversées dans le visage d’une même personne. Comme dans cet extrait :

    « Jules, le garçon bien sous tous rapports, dès qu’on discute des belles-lettres, s’apparente trait pour trait à l’homo sapiens du Sud. Son visage se détend, le bleu de ses yeux s’intensifie. Il devient viril.

    Hors de la poésie, le contrôle de soi confère à son visage ce petit air conspirateur qui est la marque des timides. Ses yeux deviennent bleu-vert sous des sourcils grisonnants. Ils battent en retrait devant la moindre provocation. Il rougit comme une jeune fille en fleurs… ».

    Chaque rencontre fait ainsi l’objet d’analyses subtiles qui passent par le regard. Visages et regards jouent un rôle primordial dans les relations que Kouassi entretient avec son entourage. Étroitement liés l’un à l’autre, le motif du regard et celui du visage constituent l’une des trames les plus fines du roman. En se frottant à ses amis occidentaux, le subtil Kouassi fera la dure expérience de son propre visage et du regard d’autrui sur lui-même. L’amitié volera en éclats. Au profit de l’amour ? C’est ce que l’excipit de cet admirable roman laisse présager.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod  La Traversée de Montparnasse




    NIMROD


    Nimrod 2





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur Africultures)
    une lecture de La Traversée de Montparnasse par Aminata Aidara
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Denise Le Dantec | Mémoire des dunes



    MÉMOIRE DES DUNES
    (extrait)




    À Reinout                                   



    Matière étale
    et sourde,
    séparée de son eau

    – excoriée

    la phrase écrit sa phrase


    dans la phrase





    Le geste simple du pinceau
    suspendu avec l’encre

    au-dessus de l’étendue natale

    qui craint





    Intimité
    de l’espace :

    la pulsation
    raye

    la confusion des sables

    à la surface





    Au noir de l’œil,
    dans l’épars,

    plantation de racines

    : le sable s’ouvre

    pour voir





    Pauvres
    les semences de la nuit

    à déchiffrer

    dans les alphabets

    absents des botaniques





    Et c’est un peu la pluie
    parmi les joncs,
    qui fait briller
    dans l’explosion du vent
    qui les agite

    – avec des larmes

    les mots





    Denise Le Dantec, « Mémoire des dunes », 7 Soleils & autres poèmes, L’Herbe qui tremble, 2020, pp. 69-74. Peintures d’Alain Dulac.






    Denise Le Dantec  7 Soleils & autres poèmes





    DENISE LE DANTEC


    Denise Le Dantec
    Image, G.AdC





    ■ Denise Le Dantec
    sur Terres de femmes


    [Beau temps sur la planète] (extrait d’ENHEDUANNA)
    29 avril | Denise Le Dantec, L’Estran
    [« ceci est l’espace de la transparence »](poème extrait d’et je t’embrasse)
    Mémoire des dunes
    [La Seine est verte] (extrait de La Seconde augmentée)
    La Seconde augmentée (lecture d’AP)
    [J’ai pris la perspective du rossignol](extrait de La Strophe d’après)
    Guillevic | À Denise Le Dantec
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Où quand
    → (dans la Galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Denise Le Dantec (+ un extrait de l’Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes)





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    7 Soleils & autres poèmes + entretien avec Denise Le Dantec, par Isabelle Lévesque






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