Étiquette : 2020


  • Isabelle Pinçon | [Les mots frappent | Les mots sonnent]


    [LES MOTS FRAPPENT | LES MOTS SONNENT]



    Les mots frappent

    Les mots sonnent

    À cause des fenêtres ouvertes
    Vous n’avez pas idée

    L’amour que je vous porte

    Un amour fraternel

    Le cœur plein qui allège la peine

    Soulage le dos de vos images

    Le vent perd son souffle

    À cause des volets grand ouverts
    Vous êtes près de moi

    Si près de nos souvenirs
    Vous tendez la main

    Pour prendre un mot

    Un seul d’abord

    Avec prudence

    Vous découvrez qu’il y en a tant

    Chacun est pour vous





    Ce poème se passe ailleurs

    Dans une maison trempée de glycines

    Les tourterelles mes amies

    Un âne augmente le son

    Et la nuit un hérisson cherche son nid
    Aura-il su que nous avions rendez-vous




    Isabelle Pinçon, Ici Algérie, Cinquante fois un poème, 50, 51, éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2020, pp. 54-55.






    Isabelle Pinçon  Ici Algérie 2





    ISABELLE PINÇON


    Isabelle Pinçon portrait denim
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la notice de l’éditeur sur Ici Algérie, Cinquante fois un poème
    → (sur le site de l’espace Pandora)
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Pinçon





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  • Luce Guilbaud | [Mon enfance]



    TRICOT Guidu
    « les soirées tricotent la solitude de ma mère »
    Ph., G.AdC







    [MON ENFANCE]



    mon enfance a quelques nids entre les côtes
    où s’essouffle la plèvre et le vent qui pourchasse
    enfance qui respire mais ne passe pas



    l’enfant en grandissant
    porte son enfance dans la bouche des morts



    les soirées tricotent la solitude de ma mère
    à points jacquards ou irlandais la féminité soumise
    avec le patchwork des contes charmants
    les poignets d’Ariane emprisonnés par la laine brute



    enfance à trous mailles relâchées tricots à nœuds
    la mémoire s’applique à compter à l’envers



    l’enfance dévore ses traces lèche ses blessures
    dauphine sans nom lèvres cousues
    fait son lit dans les ajoncs près d’un feu de broussailles



    enfance transmise par rites solaires et chemins déroulés
    (petits pieds foulant la terre où pleurent les grand-mères)



    la route obscure et détraquée les faux pas comme un seul
    les déroutes    les arrêts    la main qui guide
    reconnaître les jalons petites rues vides fenêtres gelées

    l’œil bien ouvert
    les pierres seules apaisent l’éclat soudain de la déchirure



    Luce Guilbaud, Où la chambre d’enfant, éditions Tarabuste, Collection DOUTE B.A.T., 2020, pp. 62-63.






    Luce Guilbaud  Où chambre d'enfant





    LUCE GUILBAUD


    Luce Guilbaud
    Image, G.AdC




    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes


    [L’ombre amoureuse] (extrait de Débordé pourpre)
    Demain l’instant du large (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    Mère ou l’autre (lecture d’AP)
    [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (lecture d’AP)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le corps penche




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guilbaud
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud





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  • Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil,
    L’Amourier éditions, Collection Thoth, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « N’AI-JE ÉTÉ QU’UN DÉJEUNER DE SOLEIL POUR TOI ? »




    Où se situe le point de bascule ? s’interroge le « je » de Jeanne Bastide dans Un déjeuner de soleil. L’aujourd’hui des premières pages du récit est-il le même que celui qui s’écrit dans les derniers textes du même récit ? Quelque chose s’est enfin accompli entre le début et la fin, entre ces deux « aujourd’hui » qui marquent les lisières de l’« histoire » de la narratrice. Le temps s’est étiré, élastique, brouillant l’axe des jours, passé, présent et futur. Quel futur pour ce passé qui sans cesse revient avec ses motifs émotionnels, ses images têtues, inscrites dans l’infini de la mémoire ? Quel avenir pour les souvenirs ? Un éternel recommencement, une fin sans véritable fin, un renouvellement cyclique rythment le récit. Où se situe la frontière sur la ligne du temps ?

    « Les deux arbres sont là, toujours sombres et bienveillants. Ils gardent mon repos. Jamais fatigués. Frontière entre la vie du dehors et celle de mes images intérieures. Ils sont l’avenir. Celui qui est dans mon dos. »

    Les images reviennent, toujours les mêmes et toujours autres, la mémoire efface et pourtant recrée. Tout se brouille et s’inverse. Jusque dans le paysage. La chemise blanche continue de flotter autour de la silhouette. Le visage s’est estompé. Reste l’étincelle du regard et la forme d’un corps d’homme qui se meut, réduit à la métonymie de son ombre, dans son éternelle chemise blanche aux pans nonchalants qui ondoient sous le vent. Ce qui perdure par-delà l’absence, c’est cet amour, la trace têtue et entêtante qu’il a laissée. Sous la peau et dans le corps, dans le regard perçant de l’amante.

    « Je ne sais plus la matière du monde depuis que j’ai perdu ta clarté.
    J’ouvre la main et je sens. Je sens ta rudesse et la légèreté de la cotonnade blanche. La paume vers le ciel je soupèse ta présence. »

    Ce qui se dit, dans une prose poétique d’une langue admirable, c’est la déchirure. Là où l’autre était présence absolue, l’insoutenable absence. Plus encore qu’une absence, ce qui demeure est une sur-présence. Une « présence accrue ». Que s’est-il passé ? Pour que celui qui tenait toute sa place auprès de la narratrice, disparaisse un jour, laissant vacant le cœur de l’abandonnée ? Le « nous » qui emplissait le monde n’est plus. Et le « je » qui résiste à la folie est flottant. Il cherche désespérément un nouvel équilibre à trouver dans l’espace familier des jours, s’arrime à tout ce qui faisait l’éclat de l’aube et les rêves nocturnes. Qu’est ce temps-là devenu ? Le « je » vacille, perdu dans ses pensées, entre une enfance lointaine dont persistent pourtant les signes, tant de signes, et un futur aux contours incertains.

    Celle qui dit « je » s’interroge. Sur lui et sur elle. Sur cette faille dans laquelle elle s’engouffre. Sur cette déraison qui la poursuit depuis son jeune âge, qui la met au bord du « précipice ». Un abîme au-dessus duquel il faut apprendre à vivre :

    « Le trottoir, oui. Toujours au bord. L’abîme […] J’apprivoise le précipice. »

    De sorte que le trottoir, image durable et sensible, est perçu comme une unité de mesure du temps. De même, la peau, elle, joue avec l’espace. Peau, lisière, bordure, frontière. Mais aussi fenêtre. Tout se noue dans cet entre-deux obsessionnel. Presque maléfique.

    Tout se noue autour de l’attente, entre dedans et dehors, entre silence et vide laissés par la sur-présence de l’absent.

    « Je suis en panne de peau », écrit-elle. « Peut-être ai-je traversé la peau du monde ? »

    Au-delà de l’absence, ce qui alimente la folie de la narratrice, c’est de ne pas comprendre ; de ne pas savoir ; de ne pas être capable de poser des mots clairs sur ce qui est advenu. Et cette interrogation qui taraude : comment trouver sa route dans cette vie qui a perdu sa boussole ? abandonné tout son sens dans cette incompréhensible disparition ? Marcher est peut-être une réponse possible à la déroute. Mettre les pieds à l’épreuve des chemins.

    « Je marche »

    « Je me prépare à traverser le chemin de l’aujourd’hui »

    « Alors je m’élance, je marche et je mesure l’ombre devant moi. »

    Et tenter par le rythme du corps de retrouver l’unité perdue : « Je me rejoins ».

    Mais l’énigme demeure de cet amour perdu. La narratrice en respire encore les instants retenus. Elle poursuit avec lui le dialogue. Celui de la rencontre et de la découverte. Du coup de foudre qui passe par le regard. L’œil, miroir de l’autre et de soi en l’autre. Entre présent et passé, entre mémoire et oubli, elle chemine dans les souvenirs, vers un futur de solitude, tout en clair-obscur. Côté ombre/côté soleil, indissociables. Côté mots et côté cour. Avec le platane, l’arbre tutélaire de toujours, rassurant, et protecteur. Conciliateur :

    « L’enfance et l’avenir y sont contenus. De sa sève coule la présence. Son tronc à l’arrondi tranquille me parle sans que j’aie besoin de comprendre. J’écoute. C’est tout. »

    Entre orage et violence, entre folie qui guette et désir de renouailles avec la vie, le cheminement se poursuit. Soudain en quête d’embellie :

    « Il y a dans le paysage quelque chose qui me pousse à être. Comme un sourire qui sourirait sans objet. »

    Est-ce le début d’un renouveau, d’un silence ouvert sur l’intériorité, d’un possible élargissement vers l’autre ? Peut-être. Il semble qu’un nouvel aujourd’hui soit à l’œuvre, qui trace son sillon vers le regain et la création :

    « Aujourd’hui.
    C’est le jour où quelque chose s’accomplit.
    Il y a un chemin qui dit son cheminement, un oiseau son vol et toute la contrée est fleurie de paroles… »

    Peut-être. Même si se manifeste l’insistance du « tu n’es plus là ».

    Dans un très joli texte qui donne son titre au récit et le contient dans sa totalité, Jeanne Bastide donne de son histoire les clés essentielles. Une histoire qui puise sa matière et sa force dans le passé de l’enfance.

    « Ma grand-mère disait  » ça fera un déjeuner de soleil » pour le linge mis à sécher l’été en plein midi. Le soleil mangeait toute la couleur, les robes perdaient leur éclat. Ce qu’on appelle faner, flétrir. De quelle étoffe suis-je faite ? Et quel soleil s’est nourri de mon âme ? N’ai-je été qu’un déjeuner de soleil pour toi ? L’ombre a pâli. Tu es parti éclairer d’autres cieux. Ta chemise claire ne claque plus qu’au vent du souvenir. Je me nourris de folie ordinaire. Grignote le gris des nuages. Déchets célestes.
    J’ai perdu l’heure et son cadran.
    Et la couleur de la pluie dans tes yeux. »

    Une histoire qui déborde sur les interrogations d’aujourd’hui. Dont la plus poignante, celle qui s’étrangle dans la voix :

    « N’ai-je été qu’un déjeuner de soleil pour toi ? »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jeanne Bastide  Un déjeuner de soleil




    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Un déjeuner de soleil (extrait)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une page consacrée à Un déjeuner de soleil de Jeanne Bastide






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  • Joëlle Basso | [tu cours hors d’haleine]


    [TU COURS HORS D’HALEINE]



    tu cours hors d’haleine
    le long du Heilong Jiang
    grand fleuve du Dragon Noir
    union de la Chilka et de l’Argoun
    frontière creusée de larges gorges
    jusqu’au golfe de Sakhaline


    quoi dire sachant louer
    ta charmante énervante calmante fourrure ?
    — j’appelle au secours ta géographie
    tace du doigt le cours du fleuve et de ses affluents
    Soungari Zeïa Oussouri
    — j’abonde les taches à ta robe
    déraille et bégaye
    Ô toi ! beauté piolée
    animal d’aucun bestiaire
    s’il y avait un Très-Haut
    tu serais sa preuve


    toi qui oses travestir tes nerfs tendus
    sous un si doux pelage
    mes griffes à moi m’expulsent
    hors du jardin où je vivote
    terrain clos de mur
    propriété d’avare craintif alors que toi
    ta cambrure où danse le sang
    — Ô te chevaucher !


    tu m’entraînes dehors
    du fin fond de la forêt résineuse
    vers la poudreuse intouchée — hors piste
    plus haut que les glaciers turquoise

    […]



    Joëlle Basso, Ohé ! léopard, éditions Obsidiane, Collection Le Carré des lombes, 2020, pp. 12-15. Dessins de Sébastien Pignon.






    Joëlle Basso 2





    JOËLLE BASSO


    Joëlle Basso portrait denim 2





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Semaine de la poésie)
    une notice bio-bibliographique sur Joëlle Basso





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  • Jean-Michel Maulpoix | Un poète au jardin


    UN POÈTE AU JARDIN




    D’où vient que lire au jardin procure un plaisir à nul autre pareil ? Assis sur un banc de bois ou une chaise de fer, à l’ombre de ce tilleul, près de ce massif qui embaume et qui bruisse, je suis le cortège silencieux des mots qui se faufile dans la palpitation du soleil et l’agitation des feuilles. Et voilà que ces mots paisibles m’entraînent dans leur promenade. Ils ne sont plus tout à fait les mêmes. On pourrait les croire soulagés de l’obligation de nommer, plongés dans une espèce de rêverie heureuse… Ni la lumière, ni le parfum des fleurs, ni le chant des oiseaux, ni même le calme du lieu, ne suffit à expliquer ce bonheur de lecture, non plus que l’oisiveté confiante que semble retrouver la langue … Lus dans le calme d’un jardin, les mots sont comme nous : ils se plaisent au monde ; ils s’y reposent et s’en délectent, au lieu de l’affronter. Oui, il peut arriver qu’eux aussi soient heureux, et c’est le cas en cet endroit ! Le bonheur n’est-il la résultante d’une certaine conjoncture : un ensemble de circonstances, un concours de faveurs, une qualité d’harmonie ?

    On dit parfois de certains dons que ce sont des cadeaux du ciel. Lire dans un jardin est un cadeau terrestre. Une sensation de surabondance s’attache au simple fait d’être simultanément présent au monde et à la langue. Assis, un livre entre les mains, c’est comme si je me trouvais deux fois accueilli et deux fois protégé : entouré de signes, entouré de fleurs. Lire est alors une manière de se rapprocher, non de s’enfuir. Descendre mot à mot dans la substance du sensible… Tout à la fois enclos et délivré… Vivant dans l’entrouvert du livre et du jardin…

    Souvenez-vous de la fenêtre « ouverte un peu sur le petit jardin » par où s’échappe l’air apeuré, « bien vieux, bien faible et bien charmant » que Mlle Mathilde Mauté joue au piano dans le dernier vers de la cinquième « Ariette oubliée » des Romances sans paroles de Paul Verlaine… Ou rappelez-vous la vieille porte, elle aussi entrouverte, que l’on pousse pour entrer dans le sonnet « Après trois ans », troisième des Poèmes saturniens :


    Ayant poussé la porte étroite qui chancelle

    Je me suis promené dans le petit jardin

    Qu’éclairait doucement le soleil du matin

    Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.


    Quand ainsi le livre s’entrouvre comme une porte ou comme une fenêtre sur un jardin, voilà que paraît s’accomplir la complémentarité inespérée du sensible et du sens. Les mots, qui ressemblent tant à des feuilles ou des fleurs séchées coincées entre les pages de ces herbiers que sont les livres, rencontrent autour d’eux leur floraison, leur sève, leurs couleurs, peut-être même leur parfum. Ils éclosent. Et voilà que la richesse du sens se fait complémentaire de celle de la nature. Un jardin est une chambre sans murs où l’on vient lire, non pour mieux s’endormir, mais pour mieux entrer dans l’intimité du monde.

    J’aime lire auprès de l’herbe, avec le vent et le commentaire indiscret des oiseaux. Et j’aime que les mots se disposent en massifs ou en bouquets dans un poème. Rapprocher poésie et jardin est une idée simple, assez belle, et dont la justesse n’a pas échappé aux poètes… […]



    Jean-Michel Maulpoix, « Attaches et attachements », Anatomie du poète, éditions Corti, Collection En lisant en écrivant dirigée par Bertrand Fillaudeau, 2020, pp. 139-141.






    Jean-Michel Maulpoix  Anatomie du poète 5




    JEAN-MICHEL MAULPOIX


    Jean_Michel_Maulpoix
    Source




    ■ Jean-Michel Maulpoix
    sur Terres de femmes


    Bouchoreille (extrait des 100 Mots de la poésie)
    La mâture de la mer est illusoire (poème extrait d’Une histoire de bleu)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Corti)
    la fiche de l’éditeur sur Anatomie du poète
    le site de Jean-Michel Maulpoix





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Aline Recoura | Curiosité



    Maram al-Masri Morges NB
    Ph. : angèlepaoli
    Maram al-Masri, Morges, avril 2015








    CURIOSITÉ


    À Maram al-Masri



    Hier soir en attendant le bus
    je lisais un livre
    bilingue arabe-français

    Une femme s’approche de moi
    vous lisez l’arabe
    je ne lis que la traduction
    je ne connais pas l’arabe
    vous êtes française
    oui

    Air étonné tout en étant ravie
    de voir des bouts de son pays

    Elle lit et me fait répéter
    elle me montre une voyelle
    répète
    moi il nous
    là ça veut dire qui brille
    répète
    elle m’offre un bouquet de langue
    veut que je la suive dans les sons

    Je souris heureuse de cet échange
    elle m’offre son cœur au bout de la langue



    Aline Recoura, « Voyager », Banlieue Ville, éditions La Lucarne des Écrivains, 2020, page 99. Peintures de Marjan.






    Aline Recoura  Banlieue Ville 2





    ALINE RECOURA


    Aline Recoura portrait NB





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Lichen, revue de poésie)
    deux autres poèmes d’Aline Recoura
    → (sur Les Cosaques des Frontières)
    d’autres poèmes d’Aline Recoura




    ■ Maram al-Masri
    sur Terres de femmes


    [elle a légué à ses enfants une mère qui rêve]
    Un furesteru mi feghja (extrait de Cerise rouge sur un carrelage blanc)
    Métropoèmes (lecture de Michel Ménaché)





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  • Roland Chopard | [L’œil réécrit constamment ce qui défile]


    [L’ŒIL RÉÉCRIT CONSTAMMENT CE QUI DÉFILE]




    L’œil réécrit constamment ce qui défile, d’une manière ouverte. Jusqu’à satiété. Jusqu’à l’oubli. C’est une initiative essentielle qui permet de perdre les premiers sens venus pour en acquérir d’autres.

    Un souffle mime cette réalité intérieure qui s’épanouit au centre de la blancheur spatiale. De la blancheur naît une nouvelle impulsion qui stimule les sens, donne du baume à l’esprit.

    Ces mots qui se sont imposés sont des certitudes inconscientes qui désemparent l’œil, mais en même temps stimulent les curiosités et les aspirations.

    Comme s’il était obligé, tout en gardant de multiples sous-entendus, de mettre en rapport ces vestiges de la conscience avec les impulsions qui se cherchent et s’enchevêtrent constamment.

    Il a même besoin, en plus d’une croyance naïve en la régénérescence de matériaux par une spontanéité encore vivace, d’une persévérance extraordinaire pour qu’il devienne peu à peu quasiment la matière même de ces méandres.

    Les longues séquences de pauses volontaires ou non ne ternissent finalement pas cette nécessité de se fondre inéluctablement dans un parcours aussi ondulant.

    Comme s’il voulait peu à peu faire oublier toutes les hésitations, les balbutiements de l’écriture, il tente de combiner, avec son étroitesse d’esprit caractéristique et les carences de sa mémoire, mais du mieux qu’il est capable, les quelques obsessions qui le tourmentent continuellement.

    Ce n’est pas une question de maîtrise — il n’est pas plus assuré que vous de ce qui est là —, il voudrait seulement découvrir comment le long processus souterrain est parvenu, par des étapes provisoires, à un état définitif.

    Par ses constantes circonvolutions, l’œil suit un processus, il agit. Si fine soit-elle, sa perception demeure toujours aussi trompeuse puisque son parcours n’est jamais uniquement linéaire, et qu’il faudra toujours circuler et revenir sur les traces.

    L’œil n’a pas d’histoire mais il n’est pas dépourvu de résolutions. S’il intervient dans un lieu qu’il croit connaître, en l’arpentant, il se faufile malicieusement dans les lignes pour les altérer. […]



    Roland Chopard, « Cinquième méditation », Parmi les méandres, Cinq méditations d’écriture, L’Atelier du Grand Tétras, Collection Écriture, 2020, pp. 77-78. Avec trois illustrations de l’auteur. Postface de Claude Louis-Combet.






    Roland Chopard  Parmi les méandres 2




    ROLAND CHOPARD


    Roland chopard





    ■ Roland Chopard
    sur Terres de femmes


    [C’est un peu plus compliqué] (extrait de Sous la cendre)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Atelier du Grand Tétras)
    la fiche de l’éditeur sur Parmi les méandres
    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Roland Chopard
    → (sur Libr-critique)
    une lecture de Parmi les méandres par Carole Darricarrère
    → (sur Recours au Poème)
    une lecture de Parmi les méandres par Alain Nouvel





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  • Joël Vernet | [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su]


    [DE RIMBAUD […] TU N’AURAS JAMAIS RIEN SU]




    De Rimbaud, tout comme de tant d’autres livres, tu n’auras jamais rien su. Mais qu’importe. Tu auras connu, comme lui, l’enfer des chantiers, la terrible vie à gagner, la mort jeune, trente -sept ans pour toi, pour lui. Alors que tout restait à inventer. En écrivant aux Morts, on s’adresse toujours aux Vivants, c’est certitude. D’ailleurs, écrire, le savais-tu ? Noircir des cahiers d’écolier, laisser s’envoler la plume au gré de la pensée, de la voix, de la musique, des rythmes en nous ? Lire, oui, un tout petit peu, juste de quoi décrocher le permis de conduire qui t’ouvrirait à d’innombrables routes, d’incroyables errances par tous les temps, toutes les saisons, transformant ce pays en un mouchoir de poche dont tu connaissais les moindres recoins. T’échinant du nord au sud, d’est en ouest, sous la pluie, dans la boue, le froid, sous des soleils torrides à l’image de ceux d’Aden ou d’Éthiopie qui entamèrent gravement le piéton de Charleville, le poussant à rentrer en France pour mourir dans la solitude d’un hôpital à Marseille.

    Et toi, plus tard, beaucoup beaucoup plus tard, un jour d’avril, à Valence, au cœur de la France, dans une ruelle perdue, ton corps inanimé, ton nom et ta voix à jamais effacée, inaudible, muette. Je te revois, bras à la portière, dans la vieille Aronde noire dont tu étais très fier. Là aussi, une photographie – prise par qui ? – en témoigne. J’aimerais composer un livre musical, rien qu’avec des photographies inconnues, des photographies d’archives familiales à portée universelle, comme W. G. Sebald, les textes en moins, même si les siens sont fascinants. Je laisserais la parole au silence qui tisserait des ponts entre chacune d’entre elles. Plus de mots, que la lumière profonde du noir et blanc avec, en italiques, des légendes de lieux, de paysages, de prénoms, tout cela inconnu, mais ramené à la surface car toute vie est si précieuse, même si l’histoire nous a toujours laissé entendre le contraire. Les vies minuscules sont le seul trésor de cette vie. L’histoire les éparpille, les dissimule, les avale, les digère, puis les anéantit. […]



    Joël Vernet, « I. Le jour noir ou un conte de la vie réelle », Mon père se promène dans les yeux de ma mère, récit, La rumeur libre éditions, Collection La Bibliothèque de La rumeur libre, 2020, pp. 49-50.






    Joël vernet mon père se promène dans les yeux de ma mère 2




    JOËL VERNET


    Joel Vernet
    Source




    ■ Joël Vernet
    sur Terres de femmes


    Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [lecture d’AP]
    Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
    L’oubli est une tache dans le ciel (lecture d’AP)
    Les petites routes (extrait de L’oubli est une tache dans le ciel)
    30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la fiche de l’éditeur sur Mon père se promène dans les yeux de ma mère






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  • Eliza Macadan | [Je tire ici les fils du mot]


    [JE TIRE ICI LES FILS DU MOT]




    Je tire ici les fils
    du mot
    je halète sous le poids des ombres
    je me sauve sur des allées peu fréquentées
    où je peux compter mes pas
    d’après une formule prédéterminée
    soigneusement calculée
    pour l’accomplissement exact des désirs
    restés tabous pour moi
    les seuls qui me restent
    je tresse la lumière autour des balustrades métalliques
    qui descendent jusqu’au lac
    je vois le filigrane d’une nuit
    de sexe, alcool et vitesse
    restée dans mon passé à côté
    du kilo de bijoux en or arabe
    travaillés de sueur et de sang mélangé au pétrole
    je souffre encore du trauma des symbolistes
    desquels j’ai appris à regarder ma propre vie
    comme une charade
    je tresse les fils des mots dans un exercice
    d’abstinence or sexe et alcool
    la vitesse reste constante




    Eliza Macadan, « Le printemps finit à l’Est », Lettre de Bucarest, éditions La Passe du vent, Collection Poésie, 2020, page 41.






    Eliza Macadan  Lettre de Bucarest 8





    ELIZA MACADAN


    Eliza-MACADAN
    Source




    ■ Eliza Macadan
    sur Terres de femmes


    [je rêve de nouveau qu’il neige] (extrait d’Au nord de la parole)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La Passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur Lettre de Bucarest
    → (sur le site de la revue Phœnix)
    une notice bio-bibliographique consacrée à Eliza Macadan





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  • Alexandre Rolla | Dolly


    DOLLY
    (extrait)





    Examiner les photos des expéditions archéologiques à Samarcande.

    S’amuser en regardant F’murr dessiner des moutons sur les panneaux de signalisation.

    Méditer avec les poèmes écrits par Yves Bergeret sur des bannières ou des pierres rapportées du Mali.

    Dans les alpages, à la nuit tombée, pendant les Perséides, guetter les mouvements des étoiles.

    Se blottir sous la couverture avec une lampe électrique et lire les cris de douleur d’André Velter pour son amour perdu, emporté par une avalanche sur les pentes du Dhaulagiri, enfoui à jamais dans le grand blanc.

    Le blanc, celui-là même qui tombait en poudre de printemps lors des obsèques d’André du Bouchet.

    Relire, le rose aux joues, les premiers poèmes écrits dans ces purs moments d’exaltation. Le mélange d’envie, de candeur, de fébrilité, mais la volonté farouche, tenace, d’essayer de décrire le monde tel qu’il se dresse face à soi, aussi réel et tangible, mystérieux et fantasmé, aussi proche qu’inaccessible.

    « Mariage de l’Himalaya et des pyramides. » *

    Se gratter la gorge et lire à pleine, haute et forte voix, ces premières lignes tracées dans la vallée.

    Vercors

    L’étrange étrangleur glouton

    Pourlèche

    La glabelle aride

    Des versants acides

    Les roches amnésiques

    Des vallons karstiques

    Irradient l’armure

    De cristaux scintillants

    Les montagnes pleurent

    Sur les toits miniatures

    Des pèlerins de l’azur

    Les larmes de calcaire

    Poussières ancestrales

    Chagrin lacté

    Coulent

    Des profondeurs sombres

    Des grands goulets goulus

    Vers la lumière

    Éclatante

    Des grandes bouches

    Béantes

    Des contreforts

    De la vallée du Vercors

    Vibrante

    Encore

    Haletante

    La douce transhumance

    Des bergers de l’orient

    Exalte

    Ô miracle !

    La vérité

    Des pâturages des vivants

    Les poèmes de jeunesse tracent la voie, sinueuse, qui cherche à transformer l’instant en éternité dans le crépitement d’une étincelle. […]



    Alexandre Rolla, « Dolly », À contre-jour, éditions La clé à molette, Collection Théodolite, 2020, pp. 42-45.



    ______________
    * Jean Messagier







    Alexandre Rolla  A contre-jour 2




    ALEXANDRE ROLLA


    Alexandre Rolla portrait NB





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’ésam [École Supérieure d’Art et des Médias] de Caen/Cherbourg)
    une notice bio-bibliographique sur Alexandre Rolla





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