Étiquette : 2021


  • Milo De Angelis | Il morso che ti spezza



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    IL MORSO CHE TI SPEZZA



    Tutta la casa, all’angolo di un vicolo strettissimo,
    lascia presagire un mondo prodigioso, con quelle figure
    sulle pareti, il Matto, i Trionfi, il Buffone tormentato
    dai bambini, con quelle monete per terra,
    centinaia di monete, quelle scritte a caratteri amaranto,
    che sembrano di sangue ; il Ristagno, l’Oscuramento,
    la Preponderanza del Piccolo. Ma su una ti fermi,
    ti fermi per un intero minuto simile all’inferno
    e precipiti nel baratro dei gufi, odi una lontana melodia
    di amori contrastati, un assedio di tutti i volti persi,
    una voce rimasta sola che ripete il numero ventuno,
    il numero delle antiche partite, il numero felice
    che tuttavia può dare la morte, il numero della belva
    e dell’attacco improvviso, il Morso che ti spezza.





    Milo De Angelis, Linea intera, linea spezzata, Mondadori, Collezione Lo Specchio, gennaio 2021, pagina 16.







    Milo De Angelis







    LA MORSURE QUI TE DÉCHIRE



    La maison tout entière, à l’angle d’une ruelle très étroite,
    laisse présager un monde prodigieux, avec ces figures
    sur les murs, le Fou, les Triomphes, le Bouffon tourmenté
    par les enfants, avec ces pièces de monnaie par terre,
    des centaines de pièces, celles frappées en caractères amarante,
    qui semblent de sang : la Stagnation, l’Opacité,
    la Prédominance du Petit. Mais sur l’une d’elles tu t’arrêtes,
    tu t’arrêtes une minute entière semblable à l’enfer
    et tu tombes dans le gouffre des hiboux, tu entends une mélodie lointaine
    d’amours contrastées, une offensive de tous les visages perdus,
    une voix restée isolée qui répète le numéro vingt-et-un,
    le numéro des anciens matchs, le numéro heureux
    qui peut pourtant donner la mort, le numéro des fauves
    et de l’attaque imprévue, la Morsure qui te déchire.




    Milo De Angelis, Ligne continue, ligne brisée. Traduction inédite de Sylvie Fabre G. et d’Angèle Paoli.




    MILO DE ANGELIS


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    Photo © Viviana Nicodemo
    Source





    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    [A volte, sull’orlo della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par AP ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions NOUS, 2010)



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo
    → (sur le site de la revue Pangea)
    Dialogo con Milo De Angelis (4 février 2021)





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  • Jean Pichet | Froid Peur


    FROID PEUR



    Comme tout est muet
    de froid, ce matin !
    Tout. Les choses autour
    de toi. Les mots, en toi,
    qui tombent comme
    des oiseaux tués par
    le froid. C’est l’hiver,
    d’accord. Mais il n’est
    pas seul en cause.
    Secoue-toi. Il y a,
    dans un coin du jardin,
    un petit arbre
    qui fleurit en hiver.
    Tu vas auprès de lui,
    de ses fleurs presque inodores
    sous le givre. Et
    tu as moins peur.





    Jean Pichet, Le vent reste incompris, poèmes, éditions Illador, Collection Les Cahiers d’Illador, 2021, page 23. Aquarelles de Catherine Sourdillon. Recueil dédié à Josette Ségura.






    Jean Pichet  Le vent reste incompris 2





    JEAN PICHET



    ■ Jean Pichet
    sur Terres de femmes


    Le bouquet (extrait d’Une poignée de feuilles)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Illador)
    la fiche de l’éditeur sur Le vent reste incompris de Jean Pichet
    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Jean Pichet





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  • Éric Sautou | [c’était ça simplement ça]


    [C’ÉTAIT ÇA, SIMPLEMENT ÇA]



    c’était ça simplement ça
    je m’étais endormie
    je n’avais devant moi
    que quelques mots de peine
    (c’était pour rien écrire toi qui n’avais
    nulle joie pour moi c’était pour rien)
    la balançoire
    (vide)
    les chaises du jardin les bancs
    feuilles du vent (bouleversées)
    entends le téléphone
    que plus rien plus personne (dans la maison personne)




    chaque jour
    toi qui réapparaissais je n’ai fait
    que t’attendre (t’attendre)
    et tu n’es pas venue




    si peu de mots à nous dire et cette façon que tu avais
    de me dire (j’ai oublié maintenant) ce n’est pas
    seulement rester seule c’est aussi
    non je ne sais pas




    Éric Sautou, Beaupré, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2021, pp. 93-95. [en librairie le 10 février 2021]






    Sautou Beaupré 3





    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    Beaupré (lecture d’AP)
    À son défunt (lecture d’AP)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    La Véranda (lecture d’AP)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Beaupré





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Catherine Weinzaepflen, L’Odeur d’un père

    par Angèle Paoli

    Catherine Weinzaepflen, L’Odeur d’un père,
    des femmes-Antoinette Fouque, 2021.



    Lecture d’Angèle Paoli


    UN DESTIN D’ÉCRITURE




    L’Odeur d’un père n’est ni un roman ni un recueil de poésie. Le titre même de l’ouvrage oriente la lecture vers l’écriture autobiographique. Récemment paru aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, le récit de Catherine Weinzaepflen est dédié à sa fille Fanny. « Quand j’ai quarante ans je deviens mère. » Ainsi se clôt L’Odeur d’un père.

    L’étrangeté du titre est plurielle. L’odeur y est première tandis que l’adjonction du mot père est, elle, indéfinie. Est-ce à dire que le géniteur de la narratrice lui est inconnu ? Ou bien que sa personne est indiscernable, parce que démunie de ce que l’on a coutume d’attribuer à l’identité paternelle ? Et donc similaire de celle de n’importe quel autre homme de même statut ? La réponse est formulée dans l’une des pages qui commencent par la formule « Quand j’ai onze ans ».

    « Quand j’ai onze ans je ne sais trop à quoi ça sert un père.  »

    Pourtant, au fil des pages et des chapitres, se précise la figure de ce père que la narratrice associe à l’Afrique. Avec le premier voyage en Afrique équatoriale – qui « deviendra trois ans plus tard, République de Centrafrique » –, se noue et se construit la relation du père avec le lieu qu’il s’est un jour choisi. Pour quelles raisons le père est-il parti en Afrique ? Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? La narratrice n’en saura rien. Et les photographies qu’elle consulte ne lui apporteront aucune réponse sur ce point. Peut-être est-ce « la filière Alsace/Afrique noire, pour faire fortune » qui en est responsable ? Mais, grâce aux vacances qu’elle passe, enfant, aux côtés du père, la toute jeune fille découvre un univers qu’elle ne connaissait jusqu’alors qu’à travers Tintin au Congo. Derrière le père, en contrepoint, et séparée de lui par un divorce, la mère aimante et aimée, que l’enfant de onze ans se réjouit de retrouver au retour d’Afrique. Une mère « permissive et progressiste. » Auprès du père, et à l’opposé de la mère, la seconde épouse : D. La belle-mère. Qui ne mérite ni le titre de mère ni l’adjectif qui lui est associé. L’enfant et elle se détestent. D. incarne tout ce que la narratrice fuit. Et la narratrice adulte ne lui pardonnera pas. Car se demande-t-elle : « pourquoi on pardonne à certains de nous avoir fait souffrir, pourquoi on ne peut pardonner à d’autres ». Et, conclut-elle : « Sans doute peut-on pardonner à ceux qu’on a aimés. » S’énonce implicitement sous cette réflexion : l’enfant n’a pas aimé D. En revanche, chemin faisant à ses côtés et dans l’éloignement, elle a aimé son père. Même s’il n’est plus « le héros lointain » qu’elle avait imaginé et pas non plus le Raf Vallone que l’enfant avait fantasmé.

    Chaque chapitre du récit est inauguré par une formule temporelle dont l’âge varie en fonction des souvenirs qui affluent dans le désordre mémoriel. En fonction des lieux évoqués ou des événements. Ce qui n’exclut ni les anticipations ni les retours en arrière qui ponctuent le récit et l’infléchissent différemment. Dès le premier séjour, les onze ans de la narratrice sont associés à la maison de Bangui — « au km 15 sur la route de Boali, isolée » — et à la figure paternelle. Aux vastes espaces de l’Afrique, elle oppose l’Alsace originelle, « riche et xénophobe », ses vignes, ses paysages bien ordonnancés. Strasbourg et sa bourgeoisie cossue sont très vite délaissés au profit d’autres étrangetés. La narratrice leur préfère de beaucoup les populations colorées et joyeuses de l’Afrique, ses animaux extraordinaires et les virées en Land Rover dans le désert aux côtés du père qui toujours l’emmène dans ses déplacements. Au père s’oppose en tous points la mère, restée en France après le divorce, lorsque l’enfant avait quatre ans.

    « Je suis née un 1er juillet dans un été continental torride, à onze ans j’ai découvert la chaleur moite de l’Afrique : mon amour du désert est la résultante de ces deux contextes climatiques. »

    Ainsi, au fil du temps, la narratrice reconstruit-elle son passé d’enfant et son évolution personnelle, mêlant au présent de l’écriture, les âges de la vie dans une chronologie déstructurée tout à fait séduisante. La tournure/formule « Quand j’ai onze ans » revient de manière itérative, créant à la fois un tempo et une attente. Attente d’Afrique et d’exotisme, d’images et de saveurs. Attente interrompue ou retardée par l’immixtion d’autres âges : « Quand j’ai vingt-trois ans/quand j’ai douze ans/quand j’ai trente ans… ».

    Aux antipodes se situent la toute petite enfance — « quand j’ai trois ans » — et les prémices de la vieillesse — « Quand j’ai soixante-ans » — avec une variante : « Quand je suis âgée ». L’écoulement d’une vie, avec une intrusion hors temps : « Quand je ne suis pas née ». Des écarts qui permettent de modifier et d’enrichir l’approche mémorielle, de surajouter des images ayant trait à un passé lié à des souvenirs flous qui ne prendront tout leur sens que bien des années plus tard ; ou d’évoquer une Afrique antérieure à la sienne, celle de Gide par exemple, dont l’adulte lit le Journal. C’est aussi à onze ans que la narratrice découvre l’écriture, un moyen pour l’enfant de braver les interdits et de contourner la sieste imposée. La poésie, écrit-elle « dans un grand cahier à couverture marbrée vert et noir », « m’apparaît comme une forme codée à l’abri de vos intrusions ».

    « L’Afrique est le premier envoutement de ma vie », écrit Catherine Weinzaepflen, et, avoue-t-elle, « je reste « africaine″ ». Jusque dans ses lectures qui la conduisent du côté de Joseph Conrad — Lord Jim, Au cœur des ténèbres — ou de Robbe-Grillet, lorsqu’elle découvre La Jalousie. Mais aussi de M.D. « L’Indochine coloniale de son enfance a le même parfum que l’Afrique de la mienne. »

    Car les odeurs sont omniprégnantes sous la plume de Catherine Weinzaepflen.

    « Quand j’ai onze ans je découvre que l’odorat est mon sens de prédilection. Plus que le regard. Plus que le son. »

    Tout un bouquet d’odeurs se diffuse par strates successives autour de la narratrice, odeurs parfums fragrances, capiteuses ou putrides, en relation avec le père et l’Afrique : « parfum de savon Camay rose », « odeur agressive de l’aftershave Gillette bleu », « lotion Pantene pour les cheveux… » ; odeur de moisi de la douche, odeur de champignon « qui rivalise avec l’antimite que D. met dans l’armoire » ; « odeurs de friture » et « odeurs de fiente de poule » ; « odeur des fruits blets tombés au sol ». Et, du côté du fleuve, « effluves de terre, de boue et d’eau » et « intense odeur des poissons qu’on vient de décharger d’une pirogue ». Ou encore l’absence totale d’odeur dans le living ; « bougainvillées sans odeur » ou « parfum suave » des daturas. Tout l’espace africain s’organise autour des odeurs et des parfums. Ces sensations olfactives puissantes resteront à jamais gravées dans la mémoire de la narratrice. Au point qu’elle ira plus tard à leur recherche au cours de ses nombreux voyages. De sorte que lorsqu’elle évoque son voyage au Moyen Orient, les odeurs d’Afrique refont surface. Se mêlent, enivrantes ou nauséeuses, « odeur du feu de bois » « odeurs nocturnes » ; « exécrables effluves » ; « odeur d’œuf pourri » et « puanteur du manioc ». L’enfant semble s’être construite ainsi, à l’entour des odeurs de l’Afrique. « C’est l’Afrique qui m’a fait naître », écrit-elle. « Quand j’ai onze ans. »

    À l’âge vingt-trois — « Quand j’ai vingt-trois ans » , un tournant s’opère dans le récit. Catherine Weinzaepflen fait une pause qu’introduit un texte en italiques. Une sorte de prise de conscience sur ce qu’est véritablement ce récit. Pause au cours de laquelle l’auteure pose un regard sur son travail d’écrivain. Et s’interroge sur ce qu’il lui faudrait désormais envisager de faire :

    « Comme il arrive qu’un voyageur effrayé, perdu sur des terres inconnues, s’arrête pour faire le point, je suspends un temps, mon exploration du passé. J’ai soudain la sensation que ce récit constitue une réhabilitation de mon père. Mais l’anamnèse dont il procède fait forcément resurgir des épisodes que j’avais préféré oublier. Jusqu’ici je suis allée piocher des éléments ″exotiques », progressant avec prudence sur les chemins de la mémoire. Or ce qu’on pourrait qualifier d’exotique s’assèche, et il va bien falloir faire face à des épisodes plus violents que l’ingestion de viande chevaline ou la méchanceté de D. Et in fine me rappeler la Lettre au père que, à la différence de Kafka, j’enverrai. »

    Il est rare qu’à la lecture, un témoignage autobiographique agisse sur moi avec tant de force et suscite autant de plaisir. Serait-ce l’exotisme de ce récit et cet amour viscéral pour la sensuelle Afrique qui m’ont habitée tout au long de ma lecture de L’Odeur d’un père ? Un patchwork d’émotions sur lequel vient se graver en filigrane la personnalité de Catherine Weinzaepflen. Dont je comprends mieux en la lisant quels sont les fils originels qui l’ont tissée et qui l’ont conduite à ses engagements d’aujourd’hui. Féminisme, anticolonialisme, antiracisme. L’Afrique et ses sortilèges ont façonné la femme en profondeur. Et c’est peut-être à son père qu’elle doit d’être devenue écrivain.

    « L’Afrique a contaminé tous mes livres, de manière plus ou moins visible, et il m’a fallu de nombreuses années pour penser que tu avais ta part dans mon destin d’écriture. » (Quand j’ai onze ans)



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Catherine Weinzaepflen  L'odeur d'un père 2




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine WEINZAEPFLEN
    Ph. © Vincent Olivier




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    Le Rrawrr des corbeaux (lecture d’AP)
    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)





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  • Bernard Bretonnière | [Je suis cet homme à la triste figure]


    [JE SUIS CET HOMME À LA TRISTE FIGURE]



    Je suis cet homme à la triste figure
    je suis cet homme étonné d’avoir pu
    je suis cet homme qui peut écrire pour ne pas mourir
    je suis cet homme qui se rappelle l’homme
    entreprenant qu’il fut
    je suis cet homme mort depuis plusieurs années
    je suis cet homme saisi par la joie d’écrire et le
    désenchantement d’avoir écrit
    je suis cet homme qui écrit pour sauver sa peau
    je suis cet homme qui écrit pour ne pas tirer dans
    le tas
    je suis cet homme que le sourire d’une inconnue
    peut remettre debout
    je suis cet homme dont les mots disent trop et pas
    assez






    Fleaca 4
    Dessin de Jean Fléaca
    in Bernard Bretonnière,
    Je suis cet homme, fiction suprême, page 30.







    Je suis cet homme à vous pareil et dissemblable
    je suis cet homme ecce homo
    je suis cet homme qui écrit ce poème aujourd’hui
    est-ce un poème ?
    je suis cet homme qui lui reste-t-il à aimer ?
    je suis cet homme dérisoire
    je suis cet homme en exil avec quelques noms
    quelques verbes
    je suis cet homme qui sait que l’écriture est grave
    je suis cet homme qui va payer
    je suis cet homme que je regarde trop
    je suis cette humanité crucifiée – la poésie, pardon
    madame, me fait exagérer.




    Bernard Bretonnière, Je suis cet homme, fiction suprême, éditions L’œil ébloui, collection pœsie, 2021, pp. 29 et 31. Dessins de Jean Fléaca.






    Bernard Bretonnière  Je suis cet homme





    BERNARD BRETONNIÈRE


    Bernard Bretonnière  Guidu
    Source




    ■ Bernard Bretonnière
    sur Terres de femmes


    Ça m’intéresse de savoir (extraits)
    Inoubliables et sans nom (extraits)
    [Mon père mon héros] (extrait de Pas un tombeau)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    la fiche de l’éditeur sur Je suis cet homme, fiction suprême
    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    une notice bio-bibliographique sur Bernard Bretonnière





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

    par Philippe Leuckx

    Cécile Guivarch, Cent ans au printemps,
    Les Lieux-Dits éditions, Cahiers du Loup bleu, 2021.



    Lecture de Philippe Leuckx


    Dédé Guivarch, le grand-père auquel Cécile Guivarch dédie ces vingt-trois poèmes, aurait eu cent ans au printemps 2020.

    Fidèle à son esthétique et à sa thématique familiale, la poète Cécile Guivarch honore le destin particulier de son grand-père, qui a fait Dunkerque, avait les yeux d’un « bleu » de la « transparence d’eau ». Comme beaucoup à l’époque, il élevait des lapins, se souciait de son jardin, avait eu ses « années de mer ».

    Cécile Guivarch coule de bien beaux poèmes, huitains, sobres souvenances d’un temps partagé entre les cloches de Pâques et le « bal de Perriers » au quatorze juillet.

    Les lieux sont là pour rappeler intensément une relation insigne entre le grand-père et la petite fille. Elle s’est souvenue des meilleurs moments, de son rire, de ses « bottes | une vie entre terre et mer ».

    Aussi s’aide-t-elle du poème pour « faire revenir | le sourire dans les yeux ».

    L’appréhension du temps s’insinue jusque dans la forme du poème :

    grand-père marche vers moi

    me cueillir dans le verger.

    Quel plus bel hommage que cette prise en direct dans le vif du poème qui ressuscite l’autre et sa prise !

    Cécile Guivarch, dont l’esthétique du bref nous est familière, n’y déroge pas plus ici. Le lyrisme, les envolées, le sentimentalisme rose, elle ne connaît pas. Elle leur préfère cette concision de scènes éclairées par la mémoire, sans apprêts ni flonflons.

    Un recueil émouvant, faut-il le préciser.



    Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Philippe Leuckx





    Cent ans au printemps 2




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




    ■ Voir aussi ▼


    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui





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  • Cécile Guivarch | [c’est tout pour aujourd’hui]


    [C’EST TOUT POUR AUJOURD’HUI]



    Vous bougez,
    me donnez envie de vous aimer, vous entourer de mes bras,
    vous laisser entrer chez moi.
    Les lettres me parviennent, comment savoir ce qui respire avec elles.
    Elles vous égrènent, vous prenez la place
    pour n’être ni trop grands ni trop petits.
    Vous me poussez dans le sang pour fleurir au bout des doigts.
    Des odeurs d’herbe, de foins coupés,
    des douceurs de dentelles.
    J’entends vos accents passer de vos mémoires à la mienne.
    Vous bougez. Je vous rejoins dans vos couleurs.
    Je poursuis vos voix et le bruissement du cœur,
    quelque chose qui bat tout près au loin.
    Vous auriez sûrement dit : c’est tout pour aujourd’hui.




    Cécile Guivarch, « De vous à moi », C’est tout pour aujourd’hui, éditions La tête à l’envers, 2021, page 9. Peinture de couverture : Jérôme Pergolesi.






    Cécile Guivarch  C'est tout pour aujourd'hui 2




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    Cent ans au printemps (lecture de Philippe Leuckx)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur C’est tout pour aujourd’hui
    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui





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  • Cécile Guivarch, Cent ans au printemps

    par Angèle Paoli

    Cécile Guivarch, Cent ans au printemps,
    Les Lieux-Dits éditions, Cahiers du Loup bleu, 2021.



    Lecture d’Angèle Paoli


    ÉCRIRE, COMME PAR EFFLEUREMENT




    « Je ne sais pas vraiment bien pourquoi je descends ainsi jusqu’à ces aïeux. Ni pourquoi je sors des malles en carton, des vieux registres qu’on ne regarde plus. Ce serait comme creuser, forer, en extraire les racines ».

    Tels sont les mots de Cécile Guivarch dans Renée en elle, lorsqu’elle parle de son aïeule lointaine. La poète n’a sans doute pas trouvé de réponse pleinement satisfaisante à son interrogation. Du moins, pas vraiment, puisqu’inlassablement elle poursuit sa quête mémorielle. Ainsi, deux ans après Renée en elle survient un recueil consacré à l’aïeul inconnu, lié au secret de la grand-mère maternelle : Sans Abuelo, Petite. Avec Cent ans au printemps, publication qui vient de paraître dans les Cahiers du Loup bleu des éditions Lieux-Dits, Cécile Guivarch poursuit son travail de creusage par l’écriture. Écrire est une réponse possible à la recherche sans cesse recommencée de la poète. Écrire, donc, pour ne pas perdre totalement ce qui a disparu. Écrire pour sauvegarder ce peu qu’il reste des objets qui parlent de l’être cher. Écrire pour se sentir proche de l’autre, et vivre, un instant encore, à l’unisson.

    « le poème pour faire revenir

    le sourire dans les yeux

    nos deux extrémités ».

    Ou encore

    « Écrire ses yeux pour retrouver leur couleur ».

    Les poèmes de ce nouveau recueil sont tout entiers dédiés au grand-père paternel : Dédé Guivarch. Ils sont un prolongement du dialogue entre le vieil homme et l’enfant. Par-delà la mort. Ils sont un cheminement de l’une avec l’autre. À travers mots et regards échangés, à travers souvenirs. « Se souvenir nous met au monde », écrit la poète en conclusion de Cent ans au printemps.

    Le temps de l’enfance est omniprésent et nombreux sont les retours en arrière. Cependant habilement reliés au présent. Cécile Guivarch évoque la simplicité de la vie paysanne de l’aïeul et sa présence tutélaire. Une vie de joies humbles et de menus plaisirs liés aux activités rurales. Une vie partagée « entre terre et mer », entre champs et jardin potager.

    Jusqu’à l’irruption de la guerre :

    « Si j’écris sur sa guerre

    un cœur en ruine me vient ».

    La relation entre le vieil homme et l’enfant s’inscrit dans un paysage rassurant, avec ses bruits et ses odeurs, ses rythmes saisonniers ; en un lieu sans histoire où vivre le flux des jours s’effectue dans l’harmonie et la douceur des regards échangés. Quelque chose se dit d’un poème à l’autre d’un passé qui alliait partages et silences. D’une complicité tout en tendresse et tout en mots retenus :

    « grand-père marche vers moi

    me cueillir dans le verger ».

    La silhouette du grand-père se dessine, traits et gestes disséminés par petites touches d’un poème à l’autre. « Son odeur de tabac » et « sa cigarette au bec », son « blaireau sur le lavabo », « son bleu et ses bottes ». Ce « bleu de travail » qui lui donne « un faux air de Thierry Metz ». Et son regard, « la couleur de ses yeux » ; une couleur indéfinissable, « une certaine transparence » :

    « sa transparence d’eau

    (devenue invisible) ».

    Les mots rares du vieil homme et l’économie de moyens recherchée par la poète se rejoignent dans une relation toute de tendresse et de confiance. Ce qu’il reste d’une vie. Des médailles à caresser. Une horloge rescapée de la guerre.

    Avec la guerre, le temps a basculé. Les lieux se sont chargés d’ailleurs. Les mots se sont égarés. Le grand-père est parti loin de chez lui, s’est exilé de sa région. Puis il est revenu. La tête lourde, sans doute, de bruit et de fureur :

    « qu’a-t-il pensé des avions

    maisons tombées en gravats ».

    Ce passé de décombres, la petite fille l’interroge, sans s’appesantir. À peine quelques vers pour l’évoquer. Et des images brèves, qui mêlent couleur lumière et sons. Ou absence de sons :

    « le bruit des avions

    (des lucioles tombent de la nuit) ».

    Et comme en écho assourdi, ces vers :

    « les mots sonnent vides

    (comme des pas perdus) ».

    Le temps et les époques s’enchevêtrent. La mort à l’œuvre fait son office. Alentour la vie abandonne.

    « Comme un vieil arbre

    un moment chacun vacille ».

    La mort inouïe est incompréhensible. Comme en témoignent ce vers et la didascalie qui l’accompagne :

    « quelques minutes avant ils vivaient encore

    (c’est rapide de mourir) ».

    Évoquée dans la concision, la mise à mort des lapins est d’autant plus cruelle qu’elle est précédée d’une strophe où la poète porte sur les heureux habitants du clapier un regard d’enfant amusé et attendri.

    À la mort du grand-père, la petite fille a vingt ans. Un temps long s’étire auprès de l’aïeul mourant. La jeune fille veille le vieil homme « pendant trois jours trois nuits ». Elle cherche son regard. Le passé afflue, qui ravive les souvenirs. Scènes brèves, pleines de vie, de rires, de gestes quotidiens, de fêtes au village. Incrustées profond dans la mémoire, elles jaillissent comme des flashs de lumière, même à l’instant où le chagrin déborde :

    « des moments me reviennent

    comme des gestes de bonheur ».

    La belle originalité de ces poèmes tient dans l’ambigüité de leur structure. D’apparence simple, leur composition se révèle plus complexe qu’elle n’en a l’air. Une strophe de sept vers – 2/2/3 – séparés par deux blancs. Suit un 8e vers isolé de la strophe principale et séparé d’elle par un astérisque. Et sous ce vers unique, une parenthèse (avec des mots, expressions ou phrases en italiques). Le recueil entier est construit sur cette régularité formelle. Qui lui donne sa grande force. Mais cette régularité est aussi illusion. Quelque chose survient de l’intérieur même de la structure, un écart à peine sensible, qui infléchit le regard. Cette modification, c’est le vers isolé et sa parenthèse qui l’apportent. Se met alors en place une distance qui dit la séparation d’avec ce qui fut. La vie accordée de jadis subit une légère inflexion. Parfois même une distorsion. Lisible jusque dans le paysage, pourtant si familier :

    « les arbres et les grands peupliers

    un bord de route et le clocher

    apparaît entre les branches

    *

    le paysage est modifié

    (les arbres sont alignés sur la crête) ».

    Souvent elliptiques, ces parenthèses inattendues justifieraient à elles seules un vrai travail de lecture. Il arrive qu’elles soient un prolongement, un ajout, un complément d’information à ce qui précède. Il s’agit parfois d’une réflexion personnelle, d’un détail qui surprend, en accord pourtant avec la tendresse qui se dit :

    « marcher la main dans la sienne

    (sans la faire glisser ) »

    ou encore :

    « le petit banc sur lequel je m’assois

    (encore tout contre lui) ».

    Certains de ces vers font songer à un dicton :

    « rire et vivre intensément

    (bonheur de chaque instant) ».

    Si ces mises entre parenthèses surprennent par leur concision, elles surprennent aussi par leur profondeur ou leur espièglerie. Comme celle qui suit la cueillette des escargots (un chiasme ?) :

    « le persil toujours au jardin

    (grand-père dans sa coquille) ».

    Mais toujours, quel que soit le poème, ce qui se vit dans ces évocations, c’est la tendresse de la poète pour son aïeul. Écrire cette tendresse pour continuer de la vivre. En intensité. Écrire comme par effleurement. Ainsi de ces deux vers, dont l’accent me touche tout particulièrement :

    « toucher sa présence

    (chaque fois il m’échappe) ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Cent ans au printemps 2




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




    ■ Voir aussi ▼


    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui





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  • Catherine Weinzaepflen | [Quand j’ai onze ans]



    Petits carnets à spirales
    Ph., G.AdC







    [QUAND J’AI ONZE ANS]




    Quand j’ai onze ans la maison d’Afrique me semble immense. J’aime le plain-pied et les nombreuses fenêtres sans vitre avec des volets à claire-voie, des volets en bois peint en vert. Le grand séjour au sol de ciment peint en rouge. Quatre fenêtres, quatre portes – deux d’entre elles donnant sur l’extérieur. Tout est ouvert. Même dans la salle d’eau, il y a deux fenêtres. Dans l’angle une douche accrochée au plafond sans parois – la pièce est tellement grande qu’il n’est pas nécessaire de la protéger des éclaboussures. Une maison c’est une rencontre : on s’y sent bien, ou mal, sur-le-champ. Ta maison d’Afrique, un parallélépipède posé dans une nature sauvage sous de grands arbres, hante mes lectures. Elle est pour moi générique de la maison d’Elizabeth Bishop au Brésil (de plain-pied, entourée d’une végétation sauvage), celle de La Jalousie (entourée de bananiers), et sur l’île d’Achill en Irlande, la maison de Heinrich Böll. Ingeborg Bachmann a raison lorsqu’elle dit que « les années de jeunesse sont, sans qu’un écrivain le sache au début, un véritable capital ». L’Afrique a contaminé tous mes livres, de manière plus ou moins visible, et il m’a fallu de nombreuses années pour penser que tu avais ta part dans mon destin d’écriture. Ma mère ne cessait d’écrire, de manière compulsive. J’imagine combien ça devait t’agacer et je soupçonne que l’enjeu du sac à main à cordons que je vous ai vus vous disputer, chacun tirant de son côté, devait être le carnet de ma mère. Dans ses petits carnets à spirales, elle consignait aussi bien les choses à faire que les comptes rendus de ses journées. Chaque soir, dans son lit (je parle de sa vie seule avec moi, après votre séparation), elle mettait ses notes au propre dans un agenda plus conséquent, cartonné – son journal. Elle y écrivait ses faits et gestes et jusqu’aux dialogues qu’elle avait échangés avec ses proches. Une sorte de graphomanie. Je ne crois pas lui avoir jamais demandé pourquoi elle remplissait ainsi des carnets et des cahiers. D’ailleurs elle ne m’aurait pas donné d’explication. Et peut-être n’en avait-elle pas. Je les ai feuilletés, enfant, imaginant y trouver des secrets. Il n’y avait rien. Seule une restitution du déroulement de ses journées comme le ferait un capitaine de navire. Adulte, lorsqu’il nous arrivait de séjourner ensemble à la campagne, j’ai revérifié. Rien. Ou plutôt, comme si elle avait imaginé que je pourrais vérifier son journal, des récriminations à mon endroit qu’elle n’aurait jamais osé formuler verbalement. C’était « elle ne m’a pas embrassée », « elle m’a répondu d’un ton agacé », « C. est allée dîner chez des amis. » À sa mort, j’ai voulu jeter ces piles de diaries, quelqu’un m’en a empêchée au motif qu’il s’agirait d’un témoignage ethnologique. Ils sont toujours dans la cave d’un ami, en Alsace.



    Catherine Weinzaepflen, L’Odeur d’un père, des femmes-Antoinette Fouque, 2021, pp. 69-71.






    Catherine Weinzaepflen  L'odeur d'un père 2




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine WEINZAEPFLEN
    Ph. © Vincent Olivier




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    Le Rrawrr des corbeaux (lecture d’AP)
    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)





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  • Brina Svit, Le Dieu des obstacles

    par Angèle Paoli

    Brina Svit, Le Dieu des obstacles,
    éditions arléa, Collection La rencontre, 2021.



    Lecture d’Angèle Paoli


    L’EXPÉRIENCE ÉMOUVANTE DE LA MODESTIE




    J’ai reçu ces jours-ci sur mon smartphone un message de mon amie slovène, la romancière Brina Svit. Elle ne retrouve plus mon adresse postale et souhaiterait me faire parvenir son dernier ouvrage. « Ton dernier roman ? Je l’attendais, justement, j’étais étonnée de ne pas l’avoir reçu ! ». Je suis en effet une fidèle lectrice de l’œuvre de la romancière depuis ses tout premiers pas en écriture ; accoutumée, tous les deux ans, au moment de la rentrée littéraire, à ce que l’auteure de Con brio (1999) ou des Nouvelles définitions de l’amour (2017) m’adresse son dernier Gallimard. « Non, pas mon dernier roman. Un petit livre. Un récit, tout autre chose ». Elle ne m’en dit pas davantage. Je l’imagine, un sourire modeste au coin des lèvres et un regard brillant d’étincelles.

    « Le petit livre » a été glissé dans ma boite aux lettres ; il s’intitule Le Dieu des obstacles. En première de couverture, une photographie sépia signée Françoise Nunez. Une photo datée de l’an 1994, où figure en gros plan une énorme rocher tout en rondeur, quasi lunaire, sis en équilibre sur le sommet d’une colline. Mahalipuram. Sous l’ombre de la pierre, un homme semi-allongé, de dos, en méditation peut-être. J’imagine quelque Sisyphe indien méditant sur son destin. À l’écoute de Ganesh. « Un demi-dieu bienfaisant, celui qui met des obstacles sur notre route et les enlève quand on n’en a plus besoin. »

    Récit autobiographique construit selon la règle des trois unités (temps/lieu/action), Le Dieu des obstacles contient toutes les composantes d’une tragédie. Avec, au fil des jours, la montée insidieuse d’une tension, perceptible à certains détails annonciateurs, habilement disséminés dans le cours des chapitres.

    Le récit s’étire sur une durée d’un mois, dans un temps immobile rythmé par la vie régulière au sein du centre ayurvédique du Kerala. Unité de temps, unité d’action. Un récit qui se lit d’une traite. Brina Svit vient de débarquer dans un aéroport du Sud de l’Inde au nom qui n’en finit plus : Thiruvananthapuram. C’est son premier voyage en Inde. Une découverte. Un taxi attend qui doit conduire à l’Ayurmana Dharma, le centre ayurvédique où Brina Svit s’apprête à séjourner. Pour quelle raison ? Elle évoque un désordre psychique consécutif à un échec, responsable de douleurs physiques. Un mal de dos auquel il faut barrer la route. La cure ayurvédique est la solution envisagée pour la guérison de ces maux. Si le centre est très accueillant, il n’en demeure pas moins un lieu clos, bouclé par « un grand portail métallique ». Unité de lieu.

    Très vite, un danger venu d’ailleurs et mal identifié rôde jusqu’à une déflagration imprévue.

    « Nous sommes au début du mois de mars, le 2 pour être précis, et le virus ravage le nord de l’Italie. La petite Slovénie à côté se demande si elle ne devrait pas fermer ses frontières. »

    Le premier niveau narratif tourne tout entier autour des activités, rituels, soins, liés au centre, un centre de renommée internationale. Les gestes s’échelonnent au fil des jours, entre apprentissages divers, séances de yoga et de méditation, promenades dans le parc aux frondaisons luxuriantes, repas exquis à base de riz et de légumes, soins du corps aux huiles végétales douces et revigorantes, salutations au soleil… le tout sous le regard et les prescriptions de la belle Maya, médecin pilote des lieux et de son équipe, attentionnée et attentive. Des thérapeutes souriantes, aux gestes souples et vigoureux, en charge du suivi de l’évolution psychique, mentale et physique du groupe. Car Mam’, — c’est le surnom que l’une d’entre elles a donné à Brina — n’est pas seule. Autour d’elle et avec elle, des hommes et des femmes, surtout des femmes, qui suivent les mêmes étapes de réjuvénation. Laquelle doit aboutir au basti final. Le grand lavement purificateur.

    À dire vrai, s’il fallait s’en tenir à cette seule trame narrative, un manuel consacré à la médecine ayurvédique aurait suffi. Mais il y a bien d’autres chemins et cheminements dans ce récit et c’est leur entrelacement qui en fait tout l’intérêt. Car Brina Svit est une romancière qui jamais ne perd son fil rouge, et c’est là que se déploie son talent d’écrivain.

    Le récit s’adresse à trois dédicataires :

    À mes personnages,

    aux filles de Meghalaya

    et à nos amis les corbeaux

    À moi-même, la lectrice de toujours, comme le souligne la dédicace personnelle.

    Des corbeaux, les arbres en regorgent. Ils sont familiers du lieu et habitent le décor. Avec leurs airs de « commissaire-priseur », ils deviennent au fil des jours des personnages à part entière — tout comme les arbres — que la narratrice observe avec intérêt et tendresse. Originaires du nord-est de l’Inde, les filles du Meghalaya —Dasamanki, Nisha, Mika — ont quitté leurs montagnes pour venir travailler au centre. Peu à peu se précise le vécu de ces paysannes exilées par nécessité vitale, en relation avec une région bien particulière de l’Inde. Quant aux personnages, ils sont nombreux. Outre le personnel du centre — les cleaning ladies, les kitchen ladies, le jardinier, les doctoresses, le yoga teacher, les thérapeutes chargés de l’abhyanga…—, est présente la société cosmopolite des résidents. Monica la Brésilienne, trois Oxford ladies, Stefan un Allemand tatoué, qui porte toutes ses femmes sur son corps, deux Françaises, un Kéralais, « une grande Belge tatouée », elle aussi, « Gilles, un jeune Flamand romantique, tout droit sorti d’un roman de Hermann Hesse », trois Indiens, une Portoricaine, « une Slovène qui vit à Paris ». « Et une Malaisienne fantomatique »… Chacun de ces personnages joue son rôle le moment voulu. Et fait part à son entourage de ses pensées, de ses réflexions sur le monde tel qu’il va. Mal. Mais il y aussi les personnages secondaires, peu visibles si le lecteur n’y prend garde. Ceux de la romancière indienne Arundhati Roy, dont Brina Svit a emporté avec elle le premier roman, Le Dieu des Petits Riens, dont l’action se déroule justement ici, au Kerala. Un ouvrage qui accompagne Brina Svit et qui enrichit sa perception des lieux et des personnes par l’établissement de correspondances entre ce qu’elle voit et ce qu’elle lit.

    « Anju… une Kéralaise… me fait penser à Ammu, la mère des faux jumeaux dans le roman d’Arundhati Roy… ».

    Une opportunité pour la romancière de peaufiner son approche des caractères de chacun. Et de les situer dans leur histoire originelle. Quant à Arundhati Roy (et à ses faux jumeaux), elle est née, comme Damasanki, dans l’État du Meghalaya, « à l’autre bout de l’Inde », « à la frontière du Bangladesh et de la Birmanie. » Est-ce vraiment une coïncidence ?

    D’autres personnages plus épisodiques s’immiscent dans le récit. Deux amies slovènes de Brina Svit, Janja et Manca. La première lui ayant conseillé ce centre qu’elle connaît bien ; la seconde lui ayant confié ce message avant le départ pour l’Inde :

    « Ne te souhaite pas un chemin facile… souhaite-toi un pas léger. »

    La lectrice assidue que je suis croise au passage des personnages de romans antérieurs : Lisbeth Sorel, héroïne du roman Une nuit à Reykjavik ou Valérie Nolo, le double de Brina Svit dans Coco Dias ou la Porte dorée. Sans compter les personnages que Brina a abandonnés contre son gré, dont elle sait presque tout, et sur le devenir desquels elle continue de s’interroger, quoi qu’elle en dise. Car ceux-ci poursuivent leur chemin en elle et c’est à cause de cette obsession qu’elle est ici, au Kerala. L’échec dont elle souffre et dont elle tente de se guérir, c’est celui de son dernier roman. Celui qui devait sortir à l’automne et que l’éditeur, pour la première fois, n’a pas souhaité publier. Raison officielle donnée par l’éditeur : il y a trop de personnages. Et puis, elle devrait écrire son roman à la première personne. Mais un autre éditeur lui a soufflé une autre raison, plus cruelle celle-là : peut-être Brina Svit fait-elle aujourd’hui partie de ces auteurs dont les ouvrages se vendent insuffisamment… Bien sûr, « ce n’est pas la fin du monde », essaie de se consoler Brina. Mais, malgré tout, ce mal-là, insidieux, sournois, la ronge et l’obsède. C’est là que se situe l’obstacle. Elle a beau essayer de se persuader qu’elle veut se détacher de son « travail d’écrivain », ne plus y penser, ce mal est au cœur du récit, qui la taraude à son insu, ressurgit pour lui rappeler que Sabine, Philippe, Agathe, Timon et les autres personnages n’ont peut-être aucun avenir. « Je ne peux pas les enterrer vivants », écrit-elle.

    En réalité, Brina Svit se révèle être l’un des personnages du « petit récit » Le Dieu des obstacles. Au même titre que les autres curistes avec qui elle partage ses journées et à qui elle désire annoncer « qu’ils seront peut-être les personnages » de son prochain récit. Un récit en action qui s’écrit sur le vif, au fur et à mesure que la romancière dépose ses notes dans son carnet et que se déroule le séjour au Dharma. Et que se posent mille et une questions.

    « Je me demande comment raconter les jours qui suivent et se ressemblent avant que ne surviennent le tonnerre, le bouleversement des choses, l’enfermement ».

    Ou encore :

    « Est-ce que je devrais appliquer à mon récit une technique de narration du roman pour donner une dimension romanesque au réel ? Ou alors me dire que le réel s’en charge bien lui-même… ».

    Ou bien cette autre réflexion :

    « … [j]’ai eu une idée pendant la parade des éléphants, une idée de roman à deux personnages, un roman très simple, en apparence du moins, cela se compliquera par la suite, parce que rien n’est simple, surtout pas dans un roman, sinon ce n’est pas la peine d’écrire la première phrase. »

    Mais Brina Svit évoque aussi ce que son prochain récit (celui-ci ? ou un autre à venir ?) ne sera pas :

    « Ce ne sera pas le roman qui lève le rideau sur l’immense foule indienne de la fête de Shiva et la parade des éléphants. »

    Ce sera donc tout autre chose. Un récit concentré sur les événements d’un seul mois, avec des êtres qu’elle ne reverra sans doute jamais. C’est bien d’elle que Brina parle, de sa passion pour l’écriture romanesque, qui ne lui laisse aucun répit ; et de son amour pour les personnages qu’elle met en place, comme sur un échiquier, tout en respectant le contexte dans lequel ils se révèlent à eux-mêmes et aux autres. Sans rien rajouter qui gommerait la réalité ou qui la modifierait. Les échanges entre ces personnages sont les mêmes que ceux que nous avons tous eus ces derniers mois. « Il y a quelque chose qui ne va plus depuis trop longtemps… », dit Stefan le subversif, qui « rigole » de la situation.

    C’est en raison de cette passion pour les personnages que Brina Svit se promène toujours avec son reflex Nikon en bandoulière. Parce qu’elle est une observatrice fascinée des visages, « tous les visages, même les plus anonymes ». Et qu’elle a besoin de ces visages pour ses propres compositions romanesques.

    C’est bien d’elle qu’elle parle aussi lorsqu’elle évoque cette autre passion qu’elle a de longue date pour le tango et de cette autre encore qu’elle nourrit pour le yoga. Comment Brina Svit, bonne yogini et ardente danseuse de tango argentin, qui vit avec la milonga chevillée au corps, parvient-elle à concilier des pratiques aussi antinomiques ? Il faudra que je lui pose la question. Un jour, lorsque nous nous reverrons. À Paris ou ailleurs.

    Mais il faudrait encore dire deux mots des « devinettes » que la romancière sème tout au long de son aventure indienne. Car Brina Svit est joueuse et aime les énigmes qui mettent le lecteur à l’épreuve. Qui donc se cache derrière les envois qu’elle découvre dans les courriels ? Est-ce Manca, l’amie slovène ? Je n’ai pas élucidé ce point, d’autant plus que la romancière parle d’un ami ; mais j’ai cependant identifié quelques-uns des auteurs des citations posées en devinettes au hasard des pages. Dans le désordre, pour laisser au lecteur le plaisir de se livrer lui-même à l’enquête : Matthieu (Nouveau Testament), Marx, Tolstoi, Görz, Vega, Cioran, Thoreau…

    Tout en finesse et en tension, Le Dieu des obstacles ne manque pas de sel. Diversifiés, ajoutés aux nombreuses anticipations qui jalonnent le récit, ces multiples indices sont autant de subtilités narratives qui le pimentent. Peut-être, au terme de son séjour au centre ayurvédique du Kerala, plus mouvementé qu’il n’y parait, la romancière, même si elle n’est pas parvenue à totalement annihiler sa volonté d’oubli, aura-t-elle du moins fait l’expérience émouvante de la modestie.

    Quant à la question de la mort, abordée au détour d’une discussion sur l’avenir de la planète, Brina Svit avoue, au bout d’un long silence méditatif : « Je ne suis pas encore prête, loin de là. J’ai peur. »

    Attendrissante Brina, si naturelle, si vraie. Et si désemparée.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Brina Svit  Le Dieu des obstacles sep




    BRINA SVIT


    Brina Svit denim
    Brina Svit,
    photographie de Philippe Matsas





    ■ Brina Svit
    sur Terres de femmes


    Cela s’appelle l’aurore (Coco Dias ou la Porte Dorée) [lecture d’AP]
    Coco ou le désarroi de Brina
    Con brio (lecture d’AP)
    Conversation privée avec Brina Svit
    Les incertitudes du désir (Une nuit à Reykjavík) [lecture d’AP]
    Turris eburnea (Moreno + bio-bibliographie)[lecture d’AP]
    Nouvelles définitions de l’amour (lecture d’AP)
    Petit éloge de la rupture (lecture d’AP)
    Un cœur de trop (lecture d’AP)
    Visage slovène (lecture d’AP)
    → (en commentaires sur Terres de femmes)
    Mort d’une Prima Donna slovène
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Portrait de Brina Svit (+ extraits de Moreno, Un cœur de trop, Coco Dias ou la Porte Dorée)






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