Étiquette : 25210 Mont-de-Laval


  • Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres

    par Marie-Hélène Prouteau

    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres,
    L’Atelier du Grand Tétras, Collection Glyphes,
    25210 Mont-de-Laval, 2021.
    Avec six illustrations de Colin Cyvoct.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau.



    Le temps habite la poète Martine-Gabrielle Konorski. Pas celui qui nous enserre dans la linéarité de Chronos ni celui qui nous emprisonne dans son épaisseur durative. La poète inscrit ici un certain usage du temps, celui de l’Instant, matrice qui est à l’œuvre à chaque page du recueil et dans le titre. En dotant celui-ci de la majuscule et en l’associant au pluriel de « terres », Martine-Gabrielle Kornorski met l’accent sur ce qui est pour elle le moment éminemment poétique. Chaque « Instant-poème » se déroule musicalement sur le mode de petites suites, dissonantes, emportées dans le mouvement du recueil. La poète, n’oublions pas, est aussi musicienne. Ainsi le vers « Mouvement infini/de ronde au crépuscule » donne-t-il, à lui seul, la tonalité générale qui, constamment, oscille entre la mort et la vie, entre la jubilation d’enfance et la secrète mélancolie :

    « Effleurement

    des heures

    par ta main

    sur la vitre

    Commencement

    d’un aujourd’hui ».

    Sept longs moments composent le recueil où Martine-Gabrielle Konorski se fait accompagner de poètes qu’elle aime lire et qu’elle cite dans l’exergue général et au début de certains poèmes (1). Dans ce roulement non linéaire se tient l’expérience d’une subjectivité marquée par le lien aux morts. Aussi bien l’être cher que la poète nomme « l’Inconsolé » que les « hommes effacés », les « oubliés » de l’Histoire. Des instants, disjoints, semblent se succéder sans repères, sans lien perceptible, entre Je ou Tu ou Nous, comme tissés d’ombres. Le vers s’élance, sans ponctuation, en une scansion heurtée à la mesure de la douleur :

    « Blanche côté face

    Tu

    rouge sang    sur l’envers

    Un signe de la main

    à l’oblique des jours ».

    Cette écriture à vif exprime aussi bien une déchirure d’ordre intime, la perte brutale de l’être cher, que les commotions de l’Histoire. Tantôt la grâce d’un moment heureux, doigts enlacés, un Nous dont nous ne saurons rien :

    « Dans l’angle resserré

    de la chambre

    aux draps bleus ».

    Tantôt la persistance d’une mémoire douloureuse liée au passage violent de l’Histoire et à la Shoah suggérée dans l’adresse à Paul Celan et dans le fil des poèmes mais toujours en sourdine, dans les « ombres », les « cendres d’un paysage », l’« étoile » sur la poitrine :

    « Mais la rétine

    persiste

    sur le spectre

    des ombres ».

    Le poème conjugue aussi bien les chagrins que le dialogue avec les êtres chers par-delà la mort. Des images essentielles saisissent le lecteur, laissant leur trace au plus profond. Ainsi celle, superbe, de la nostalgie de l’enfance qui fait signe en chacun de nous :

    « Contre l’oreille

    de mon enfance

    j’inventerai des trouées de ciel

    sur un manteau de bronze ».

    C’est dans une expérience sensuelle minimaliste, la pluie, la peau, le sable, l’écorce que la pensée prend corps. L’écriture allie économie de mots et densité :

    « Chaque grain de pluie

    chaque reflet sur la vitre

    toute stridence

    pique la mémoire ».

    Il est bien ici question de « vibration ontologique », selon la belle formule de Bachelard dont la pensée poétique du temps est familière à la poète. Vibration entraînante, porteuse d’une unité brisée au cœur même de l’être. La disparition et la présence, le chagrin et le rire, la tristesse et la tendresse se conjoignent dans une étrange alliance. Le silence passe, un cri souvent traverse l’air d’un instant l’autre. Ce cri, tel un horizon noir, troue l’espace du poème et fait résonner la basse continue d’une forme d’âpre dénuement. Et les six illustrations de Colin Cyvoct traversées de tensions colorées viennent parfaitement à l’appui de ce cri. Plus loin, dans le poème, surgit le « chant ». Il revient à plusieurs reprises. C’est tantôt celui des psaumes, tantôt le chant dénudé de l’être disparu :

    « Refaire le temps

    Mesure

    de ton chant ».

    Au cheminement vacillant des instants répond le tremblement de l’espace. Les terres dont il est question dans ce titre et dans ces vers, loin de renvoyer à des ancrages géographiques, sont pure matière intérieure. Il y a là une « route » sans nom, un cimetière, il y a là des « vignes rouges », un champ de lin. Rien de plus. Dans sa belle préface, Nathalie Riera cite Martine-Gabrielle Konorski à propos de ces terres : « celle des origines, celle de l’enfance, celle des souvenirs, de la joie, de l’amour, des drames, de la solitude, des paysages, de la création et de tous les imaginaires ».

    C’est à un travail de rhapsode que s’adonne la poète, cousant, suturant ces fragments disparates de temps. « Je recouds/tous les mots/dans l’anneau du silence », écrit-elle attentive à trouver les « mesures », les « sons », les « battements » qui disent la perte douloureuse et le souvenir ébloui.

    Tout se répond dans ces éclats de mémoire, dans ces rêveries discontinues. Il faut entendre l’intensité vibrante de cette rhapsodie en mineur.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Texte Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes.



    __________________________
    (1). Clarice Lispector, Angèle Paoli, Nathalie Riera, Agota Kristof, Emmanuel Moses, Pascal Boulanger, Michel Ménaché, Ossip Mandelstam, Paul Celan, Esther Tellermann.






    Instant de terres 2





    MARTINE – GABRIELLE KONORSKI


    Martine Konorski Portrait
    Ph. D.R. Pascal Therme
    Source





    ■ Martine – Gabrielle Konorski
    sur Terres de femmes


    « Un point ouvert » (extrait d’Instant de Terres)
    un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
    Bethani (lecture d’AP)
    [Les mots cognent] (extrait de Bethani)
    [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
    Verticale (extrait d’Une lumière s’accorde)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Vissée à la plante des pieds]




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Martine Konorski
    le site de Martine Konorski
    → (sur le site de l’Atelier du Grand Tétras)
    la page de l’éditeur sur Instant de terres de Martine Konorski




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





    Retour au répertoire du numéro de mars 2021
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Mira Wladir | [peut-être]




    [PEUT-ÊTRE]



    peut-être est-ce
    le cœur secret des choses
    qui nous hante

    ombreuse cavité
    tout au fond de nos gorges

    une feuille de pluie
    nos chevilles mouillées

    peut-être

    et les doux chuchotis
    de nos chagrins tombés dans l’herbe

    un autre regard
    renard
    au ras

    on se coulerait
    mi-clos
    sur le dos de nos lits

    on habiterait le temps
    de nos gémirs
    jusqu’aux soleils écartelés

    jusqu’aux bouches qui flambent
    on irait affamés

    sept lieues de bottes
    et lâcher

    alors elle dit

    mon corps est
    un matin
    levé dans l’or du jour

    ton vêtement s’est assoupi

    une fleur a poussé
    dans le pli du tissu
    une rose un verger

    sept lieux
    pour l’envie d’un désir



    Mira Wladir, Luisance, L’Atelier du Grand Tétras, Collection Glyphes, 25210 Mont-de-Laval, 2015, pp. 27-28-29. Avec 4 dessins de Véronique Dietrich.




    MIRA WLADIR


    Mira Wladir 2
    D’après une photo de Claude Labarre
    (Bazoches-du-Morvan, 8 juillet 2012)
    Source



    De père russe et de mère mongole, Mira Wladir est née à Leningrad en 1959. Après avoir vécu en Afrique noire et en Turquie pendant près de 10 ans, puis dans diverses régions de France, elle s’est installée près de Besançon (Doubs) où elle pratique simultanément écriture poétique, recherches philosophiques et équitation française de dressage.

    Outre Luisance (2015) et La Soldanelle et le Cheval (2017) publiés à L’Atelier du Grand Tétras, elle a publié cinq recueils aux éditions suisses Empreintes : Solaire intifada (2008), L’Exil des renards (2011), Clinamen (2013), L’Invention de la légèreté (2015), Sous la fourrure du monde (2019), et un recueil aux éditions belges L’Arbre à paroles (Équilibres équestres, Collection Résidences, 2014). Elle a aussi coécrit avec Jacques Moulin Entre (éditions Le Miel de l’Ours, 2013).

    Plusieurs de ses textes poétiques ont aussi paru en revues, dont la Revue des Belles-Lettres, la revue Contre-allées et la revue Verso.

    « Elle marche, elle avance, elle écarte les broussailles, la poésie de Mira Wladir. Et elle capte l’imaginaire. […] On y trouve de l’incantation douce, celle que l’on murmure par-devers soi, tout au long de l’enfance, sur des rythmes entêtants. Comme emporté dans une ronde, une farandole, on escalade les chemins et les vers qui basculent d’un coup dans le silence, syncopes étranges qui font retenir le souffle. Mira Wladir envisage les fuites possibles, laisse venir la douleur. […] On sent l’été et les herbes. Le désir. Et l’on reprend la marche, à travers villes, à travers champs. Il s’agit peut-être de goûter l’exil, de soi-même, de son corps, des corps perdus. Et de vivre » (Lisbeth Koutchoumoff).[Source]



    ■ Mira Wladir
    sur Terres de femmes

    [aux abords des bois](poème extrait de L’Exil des renards)
    [ce qui fut dérobé](poème extrait d’Équilibres équestres)
    [corps éparpillé](poème extrait de L’Invention de la légèreté)
    [mon corps est une femme](poème extrait de la revue Contre-Allées)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Atelier du Grand Tétras)
    la fiche de l’éditeur sur Luisance




    Retour au répertoire du numéro de juin 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes