Étiquette : Adeline Baldacchino


  • Adeline Baldacchino | Le perroquet à la langue de bois



    LE PERROQUET À LA LANGUE DE BOIS
    (extrait)




    Le perroquet avait la gueule de bois
    mais plus encore la langue.

    Il n’en pouvait plus de répéter
    à longueur de journée
    des éléments de langage
    du langage à perroquet
    qu’on apprend dans les cages
    pour bercer les oiseaux
    que l’on croit idiots.

    N’en pouvait plus de répéter
    les mots dénués
    de tout sens et même
    de leur part de non-sens
    de leur ferveur
    et de leur brillance
    de tout ce qui les rendait
    lumineux et doux
    fougueux et féroces
    avides et nécessaires.

    N’en pouvait plus de redire
    des choses qui n’avaient
    rien à dire
    des mots sans portée
    des mots comme on en dit
    quand on ne sait pas quoi dire :
    il se félicitait sans cesse
    de bonnes actions
    qu’il n’entreprendrait jamais
    promettait sans cesse
    d’entreprendre
    de bonnes actions
    qu’il ne réaliserait jamais
    racontait sans cesse
    de bonnes actions
    dont nul ne se souvenait.

    C’étaient des mots en boucle
    parés de leur aura
    de grands aras
    des mots verts et bleus
    qui sonnaient creux.

    C’étaient des mots pâlis
    par l’usage qu’on en fait
    des mots salis
    par l’usage qu’on n’en fait pas
    des mots sans foi ni loi
    qui ne disaient
    rien de ce que l’on voulait entendre.

    […]



    Adeline Baldacchino, Le Chat qui aimait la nuit, 13 contes cruels et doux illustrés par Gaël Cuin, éditions Rhubarbe, 2020, pp. 93-94.






    Adeline Baldacchino  Le Chat qui aimait la nuit, 13  contes cruels et doux illustrés par Gaël Cuin, éditions Rhubarbe, 2020,





    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
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    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]




    ■ Voir aussi ▼


    le blog d’Adeline Baldacchino
    → (sur le site des éditions Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien d’Adeline Baldacchino avec Sabine Huynh (+ 7 poèmes inédits et une notice bio-bibliographique)





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  • Adeline Baldacchino | [De l’autre côté de la nuit]


    [DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA NUIT]



    De l’autre côté de la nuit c’est comme
    le revers invisible d’une île au petit matin
    la mer l’entoure et tu ne vois que la côte
    sous le vent que ses flancs dénudés
    son âme mise à nu tandis que son corps
    défendu se dérobe
    et tu descends longtemps parmi les pins
    tu dois descendre plus bas pour
    atteindre la plage où l’on se délivre
    des premières énigmes
    et le grand nuage liquide
    de la mer y dévoile enfin son secret.




    Je sais que tu sais que l’on sait
    qu’ailleurs dans le monde à deux pas
    peut-être même derrière la porte
    à côté de la nôtre – et l’âne qui braie
    s’en moque éperdument –
    l’on meurt je sais que tu sais
    qu’on passe notre temps sur la terre
    entre deux instants de cristal
    appontés l’un à l’autre malgré
    leurs échardes de diamant noir
    qu’on est venu qu’on repartira qu’il est
    juste l’heure de s’aimer.



    Adeline Baldacchino, De l’étoffe dont sont tissés les nuages, Carnets grecs, éditions L’Ail des ours, Collection Grand Ours/ n°2, 2020, pp. 26-27.





    Baldacchino 1





    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
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    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]




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  • Adeline Baldacchino, Théorie de l’émerveil

    par Angèle Paoli

    Adeline Baldacchino, Théorie de l’émerveil,
    Les Hommes sans Épaules éditions, 2019.
    Postface de Christophe Dauphin.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Collage pour Adeline
    Collage, G.AdC







    « ÉCOUTEZ : JE RACONTE »




    Je lis je relis la « somme » poétique d’Adeline Baldacchino, récemment publiée aux éditions Les Hommes sans Épaules. Théorie de l’émerveil. Un titre qui a le pouvoir de m’aimanter entre deux pôles qui en moi lectrice s’attirent et se repoussent. Théorie|émerveil. Vais-je devoir caboter entre l’écueil de l’un et le diamant de l’autre ? « Théorie » me fait peur. Jusqu’au frisson, presque. « Émerveil » m’emplit de promesses. Jusqu’au désir. Pour me rassurer, je pourrais me reporter à la préface dans laquelle la poète se confie afin d’éclairer son propos. Mais libre je suis et pour l’heure je préfère naviguer à vue d’une section à l’autre de l’ouvrage. Lequel rassemble treize années de poiein poétique, de 2006 à 2019. Chacune des quatorze sections qui composent l’ensemble du recueil mériterait à elle seule une étude ou analyse. Je me contenterai de lancer quelques fils d’accroche qui pourraient s’agencer autour de mots pris au hasard : mer miroir margelle mémoire masque mo(r)t amour ; ou désir sidération ardeur plaisir joie ; ou encore solitude tarissement effroi oubli… Car tout, dans l’écriture d’Adeline Baldacchino, semble s’enrouler autour de deux pôles antinomiques. Désarroi (vertigineux) et jubilation (intense) :

    « J’écris ce soir pour ne pas mourir, pour ne pas en avoir envie, pour la jubilation, pour tous ces mots qui débordent au-dedans de la chair et je ne sais qu’en faire » (« Vers le cinquième soleil », « 2-Vent » in « Première treizaine », 2014).

    Une opposition qui s’abolit dans le couple « aimer, être aimé » (in « Théorie de l’émerveil », mars 2019).

    Dans « émerveil », j’entends la « mer ». Et c’est à la mer que je m’associe et que je m’arrime d’une section à l’autre. La mer, en effet, quel que soit le moment de l’écriture – quels que soient le mouvement et l’ondulation que celle-ci peut prendre – est omniprésente. Elle est l’élément primordial qui nourrit la ferveur. Une ferveur vitale traverse en effet l’œuvre polymorphe d’Adeline Baldacchino, pourtant parfois saisie d’angoisse, d’asthénie ou de chagrin. Mais toujours, comme la vague qui sans cesse ramène le galet à son point d’origine, la poète rebondit, renaissant des cendres qui la consument pour se laisser couler sur quelque p(l)age de bonheur. Soleil immensités marines amour et vent.

    Ce qui se dit – et se vit – dans ces différentes compositions, alternance de proses et de poèmes, de réflexions sur la vie/la mort, c’est, par-delà les voyages accomplis, la traversée poétique. Qui est constante recherche et cheminement en écriture. Toute la vie d’Adeline Baldacchino semble concentrée dans ce vaste recueil. Une somme d’écriture reliée à un condensé de vie.

    « J’ai pourtant promis qu’il ne serait pas question de moi dans ces lignes », confie la poète dans les premières pages de « Portraits du pays d’amour » (2007). Tout en prolongeant et en nuançant son propos, le complétant par ces mots : « Ou plutôt qu’il y serait question de ce qu’il y a de plus ouvert – de plus écartelé, de plus fragile et de plus oublieux, de plus tenace et de plus ardent en moi comme en tout être vivant : d’amour. »

    Et c’est aussi parce que la poète « aime son lecteur », qu’elle aspire à sa présence silencieuse, qu’elle l’imagine suivant ses pérégrinations et ses personnages, qu’à mon tour, étonnée, curieuse et fascinée, je me laisse happer dans son sillage. Ce n’est pas sans risque. Car que puis-je d’autre que gloser sur ce que la poète déroule de pensées, d’images, d’étincelles de talent ?

    Aussi ai-je renoncé à proposer ici une lecture fouillée de l’ouvrage que j’ai entre les mains. Et que j’étoile de coups de crayons, de griffonnages et de cryptogrammes, espérant retrouver au fil des pages mon propre fil de pensée.

    Alors cet « émerveil » ?

    Point d’« émerveil » sans émotion. Grande ou petite, l’émotion est clé de voûte de l’entreprise de la poète. L’émotion a quelque chose à voir avec la mémoire, car « toute vie s’avance vers sa mort, et tout deuil vers l’infini » (in « Théorie de l’émerveil », 2019). Émerveil ! La première occurrence de ce néologisme magique, je la trouve dans la Série 1 des « Petites peaux de poèmes » (2006) :

    « Le travail nous fatiguait refaire est sombre c’est mûrir dans l’odeur du vent qui nous intéresse et la voile qu’on saigne à blanc nous rassure. les grandes émotions le poids de l’émerveil. »

    Et, plus avant dans le livre, dans la « Quatrième treizaine », 6 – Serpent (in «  Vers le cinquième soleil ») :

    « Dehors, le ciel est limpide, l’émerveil guette dans les petites choses – les premières feuilles mortes sur un trottoir, la couleur d’une rivière, l’oiseau volage. Mais à qui en parlerons-nous ? ».

    Ou encore dans un poème de « D’écrire » (2017-2018) :

    52

    « je sais des gestations

    secrètes

    émerveilleuses

    des miracles indécents

    des lunes calfeutrées

    dans les ventres

    et des bêtes qu’on apprivoise

    et c’est encore nous

    mêmes ».

    La quête d’« émerveil » d’Adeline Baldacchino est quête rimbaldienne. Ce qui la guide, la poursuit et l’exalte, c’est le désir insatiable d’« éclat d’éternité. »

    Ainsi écrit-elle dans « La part de l’oubli » (2006) :

    « Je sus qu’il avait été vécu ; Quoi ? L’éclat d’éternité, le point de jonction : cet instant de déshérence heureuse où la conscience enfin s’abandonne pour participer pleinement au monde… ».

    Allié des « grandes émotions », l’« émerveil », parce qu’il est point de jonction de la mémoire et du désir, est aussi « point de plus grande fragilité, de plus grande beauté. »

    D’autant plus fragile qu’il est soumis à l’épreuve du temps, le « Magicien définitif. »

    Chez Adeline Baldacchino, l’émotion est donc une condition première d’écriture et de vie. Lié avec intensité à un lyrisme pleinement revendiqué et assumé, le « je » rebelle de la poète ne renonce ni à explorer l’intime ni à le dire :

    « Je mets beaucoup de force en mon désespoir comme en mon appétit. Je me veux perpétuellement du côté de l’émerveil, de la splendeur, (la part de l’oubli, l’envers et son double), je les pressens, je les,
    d’instinct, je les invente, et cela ne suffit jamais, comme si
    cela ne suffisait jamais », écrit la poète dans « Quatrième treizaine », « 3 – Vent ».

    Ou encore, dans « La Part de l’oubli » (2006), cet autre aveu :

    « Et je cherche l’écume et je fais des phrases qui prolongent un peu du désarroi de l’intime et qui ne parlent pas du monde. »

    Insatiable poète, dévorante poète, qui jamais ne se satisfait de demi-mesures ni de compromissions. Reniant les « machineries » et les « mécaniques » sociales, la rebelle choisit la révolte, le combat contre les faux-semblants. C’est que, chez Adeline Baldacchino, le combat qui la porte autant qu’elle le porte est « indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique que littéraire. »

    Le recueil que j’ai entre les mains est un kaléidoscope coloré mouvant/émouvant de ce qu’est la poète. Mises bout à bout, les tesselles poétiques recomposent la figure absente par-delà le miroir que la poète tend d’elle-même. Mais cet assemblage n’est pas né en un jour ni ex abrupto. La poète elle-même n’évoque-t-elle pas le temps que cet assemblage lui a demandé, elle qui se dit impatiente à agir, à aller de l’avant, à courir après le mouvement de flux et de reflux du temps ? L’érudition de la poète est vaste. Son champ d’exploration l’est tout autant. Philosophes de tous âges et de tous horizons, poètes persans du XIe siècle, grandes voix poétiques du monde et poètes français contemporains jouent un rôle fondamental, tant dans le cheminement personnel de la poète que dans son travail d’écriture. Ainsi de Max-Pol Fouchet, le maître en poésie. Le maître de toujours. Mais à considérer les citations qui ouvrent et accompagnent chaque section du recueil, le lecteur entrevoit un panorama aussi vaste que les mers et océans traversés par la poète. Ces citations sont autant de morceaux pertinents qui s’ajoutent à la mosaïque Adeline-Baldacchino. Elles sont toutes aussi connues que très belles, mais n’en sont pas moins lumineuses. Chacune d’elles éclaire d’un faisceau clair les aspirations et la personnalité de la poète. En voici quelques exemples qui sont autant d’amers où reposer le regard :

    « Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage […]
    Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage. »
    Pierre de Marbeuf

    « Je cherche deux notes qui s’aiment. » Mozart

    « C’est un passage qui fait semblant de passer et qui ne va nulle part. » Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé

    « Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul. » René Guy Cadou

    Si les nombreuses pérégrinations qui la traversent nourrissent substantiellement la poésie d’Adeline Baldacchino – « Vers le cinquième soleil » (2014), « Atlantides » (2015-2017), « Poèmes de Martinique » (2017), « Poèmes de Prague » (2018), le goût de l’exploration poétique alimente tout autant l’écriture de la poète. Le champ exploratoire est vaste qui va de la prose narrative – « Vers le cinquième soleil » – au haïku – « Petite épopée » (2015-2016) – en passant par le septain (« Treize tableaux diogéniques », 2014), « Atlantides », jusqu’à la forme très élaborée des trois onzains de « La chair et l’ombre » (2017)… C’est que l’exigence de la poète répond à son désir profond de rejoindre le propos de Borges, cité dans « Portraits du pays d’amour » :

    « Les poètes ne semblent plus avoir conscience que dans le passé la narration d’une histoire était l’une de leurs tâches essentielles et que l’on ne considérait pas comme deux réalités distinctes la narration de l’histoire et la création du poème. […] Je crois qu’un jour le poète sera de nouveau le créateur, le faiseur au sens antique. J’entends qu’il sera celui qui dit une histoire et qui la chante. Et nous ne verrons pas là deux activités différentes, pas plus que nous ne les distinguons chez Virgile ou Homère. »

    Et Adeline Baldacchino de conclure : « Écoutez : je raconte ».

    Quant à moi, je poursuis ma lecture éveillée et patiente d’une section à l’autre du recueil. En prolongeant mes escales « Vers le cinquième soleil ». Section dense et complexe où va ma préférence. Où l’écriture, parfois, est portée par une voix exaltée :

    …« je deviens cette forme écrivante qui se libère de son propre néant, pendant ce très court laps d’infinitude
    logé dans le mouvement même du doigt contre un clavier sans destin. » (« 12. Silex »).



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Adeline Baldacchino  Théorie de l'émerveil.jpg 2






    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
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    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]



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    → (sur le site des éditions Les Hommes sans Épaules)
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    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
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  • Adeline Baldacchino, Jour 7




    JOUR 7



    Je ne vais pas sur la mer
    car il faudrait être la mer elle-même
    et je ne peux naviguer sur elle
    à tant vouloir m’y perdre
    je ne saurais plus flotter
    (liège éperdu de chair
    et d’os plus légers que l’air).

    Elle vient à moi
    l’île où tout se fait
    possible
    l’extrême instant
    figé dans l’aube
    fusionnelle
    comme un horizon.

    Je me radoube
    ou me consume
    c’est au choix
    je veux voir des agapanthes
    des papayers
    des choses qui font
    frémir.

    J’y suis maintenant
    comme installée
    passagère arrimée
    à bâbord
    tourbillons offerts
    à tribord
    indélogeable.

    Le temps n’a plus de prise
    sur le corps
    je vais de seconde en
    seconde
    goutte
    à
    goutte.

    Alors ce qui brise
    ce qui sature et qui suture
    cicatrices mal
    effacées
    contusions des mots
    des autres
    (n’importe plus).

    Rassemblée
    tout entière
    concentrée
    dans la force
    éparse
    je suis
    sur une île.





    Adeline Baldacchino, Atlantides in Théorie de l’émerveil, Les Hommes sans Épaules éditions, 2019, pp. 139-140. Postface de Christophe Dauphin.






    Adeline Baldacchino  Théorie de l'émerveil






    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
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    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]




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  • Adeline Baldacchino,

    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)

    par Angèle Paoli

    Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin
    (pour traverser l’hiver),

    éditions Rhubarbe, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Tournant-de-l-hiver
    Gérard Titus-Carmel, Tournant de l’hiver
    lithographie, 76cm x 57cm









    DES REVERS DE L’ÂME À LA « TOUPIE DE VERRE »




    Ils sont treize en effet. Le titre l’indique : 13 poèmes composés le matin. Oui, ce nombre intrigue. Un écho au poème « Artémis » de Gérard de Nerval, attesté dans de si nombreuses anthologies de la poésie française  ? 1

    « La Treizième revient. C’est encor la première ;

    Et c’est toujours la Seule. »

    Adeline Baldacchino ajoute en sous-titre (entre parenthèses, et ce n’est pas anodin) « pour traverser l’hiver » (un hexasyllabe, tout comme « dans mon jardin d’hiver »). L’hiver 2016-2017. Mais aussi et surtout tous les hivers de l’âme, leurs brumes sans répit, leurs grands froids. Leurs solitudes. Des poèmes viatiques, pour affronter vaille que vaille les tourments de la saison, qui s’immiscent entre les pores et s’éternisent sous la peau. Tout cela se prolonge jusque dans le choix de l’illustration qui figure en première de couverture du recueil. Tournant de l’hiver. De Gérard Titus-Carmel. Une lithographie dans laquelle la poète lit comme un écho à sa réflexion et à son entreprise poétique :

    « […] J’y voyais des carcasses d’âme suspendues aux filets rouges du soleil ; j’y voyais de la lumière brisant les os pour forcer le noir à s’écarter ; j’y voyais la barque et la coupe, le naufrage et le dégel, la chair et son ombre.

    Une manière de rappel à l’ordre du vivant. »

    Le recueil d’Adeline Baldacchino se présente comme un journal. Un journal incomplet, qui commence le 9 janvier et prend fin (ou presque) le premier mars. Entre ces deux dates, des ellipses temporelles (dont celles de février) qui ouvrent des trous dans l’hiver 2016-2017. Il faut ajouter à ces poèmes un poème non daté (Treizième poème) et quelques écarts. Ici ou là. Ainsi du onzième poème qui ne présente ni date ni nom de dédicataire mais seulement le titre énigmatique : « Pour laisser aller ». Quant au poème du premier mars (le 12e), écrit à Nice, il est celui de la date anniversaire d’Adeline Baldacchino. 35 ans.

    Mars ? Une planète belliqueuse, dit-on. Ce trait de caractère n’apparaît pourtant pas dans ce recueil poétique édité par les éditions Rhubarbe. L’âme qui s’y déplace et qui s’y dévoile est une âme meurtrie qui cherche peut-être « au bord du gouffre qui nous aspire » des mots pour réchauffer la vie. C’est ainsi que, dans le poème liminaire construit sur la répétition anaphorique « il y a », la poète aborde la question de savoir si la poésie peut quelque chose pour celui qui souffre qui doute et qui n’a d’autres ressources que de s’ouvrir à la page blanche pour tenter d’y trouver quelque réconfort :

    « Il y a les poèmes qu’on dérobe à l’aube pour tenir toute la journée. Ceux qu’on ramasse au fond des ruelles où s’envasaient nos cauchemars. Ceux qu’on dépoitraille pour leur aérer le cœur. Ceux qu’on tanne comme de vieilles peaux luisantes. Ceux qui s’érodent quand on les arrose. Ceux qui se froissent quand on les touche. Ceux qui se ressemblent et ne s’assemblent pas. Ceux qui font semblant de venir nous sauver, quand rien ne le peut.

    Et nous le savons.

    Et nous écrivons quand même. »


    Les poèmes se suivent sur trois pages. Chacun d’eux comporte plusieurs strophes (les unes plus longues — 12 vers —, les autres plus brèves — 9 vers —) et se clôt parfois sur une strophe de quelques vers (2/3/ou 5). Lesquels se distinguent souvent par une chute :

    « Ce matin que j’écris

    Pour effacer mes propres traces. »

    Tous s’inscrivent dans ce moment indécis de la journée où il faut se secouer de nuits inconfortables et affronter le jour. Tout se passe dans l’entre-deux d’un huis-clos, à la lisière des heures, du dedans et du dehors, fenêtre et voix, entre la chambre au lit défait et la cuisine avec radio et bol de café fumant entre les mains, jusqu’au corps dénudé qui cherche — comme tant d’autres sans doute — à « se dégivrer l’âme/À coups de rame et de butoir ». Tout est « trop petit » dans ces matins d’hiver (Quatrième poème, Douze janvier au matin). Rien ne peut satisfaire une âme assoiffée d’absolu. « Affamée de tendresse ».

    La ponctuation, elle, est absente des poèmes (sauf pour le poème liminaire) ; excepté le point final qui ponctue chaque journée. On en perçoit la raison à la lecture et à l’oreille, car le poème — et chaque strophe du poème — déploie sa houle intérieure, roulis du jour et de la vie, tangage, d’une strophe à l’autre, par tout un jeu de répétitions (souvent anaphoriques mais pas uniquement) et de variations, opère le double mouvement de la vague, crescendo/decrescendo. Flux et reflux. Double rythme d’enroulement/déroulement de spirale qu’accentuent encore les enchâssements de relatives, desquelles émerge une excroissance sans cesse renouvelée :

    « J’y vais aussi

    Le cartable plein de livres

    Pour s’ancrer dans la terre

    Qui surnage dans la brume

    Pleine de fils de fer et d’argent tordus

    Qui s’enfoncent à vif dans la chair de l’âme

    Il faut des livres pour contrer la mort

    Des mots pour se désempaler

    Se rassembler

    Se ressembler

    Recommencer » (Premier poème, seconde strophe)

    D’autres caractéristiques accentuent encore ces effets d’enroulements. La proximité phonique des mots présents dans des vers très proches en fait partie : « tendresse »/« caresse » ; « se rassembler »/se ressembler » ; « se promenait »/« nous promettait » ; « hélices »/« élytres » ; « recouverte »/« à revers » ; « déverse »/« renversés » ; « attend »/« entend »…

    Les comparaisons sont le noyau-embrayeur qui permet le passage d’un moment à un autre, d’un monde à un autre, d’une identité à l’autre. Ainsi de cette strophe (Quatrième poème, Douze janvier au matin…) où l’identification de la narratrice à un chat permet une expansion en même temps qu’une fusion implicite des identités et des univers :

    « Je me lève dans la lumière qui tangue

    M’étire comme un chat fatigué

    Par les prémices de la chasse

    Quand il sait qu’il rentrera bredouille

    Et rêve d’un feu de bois

    De braises et de cendres

    De cendres et d’étincelles

    De mille flammèches

    Pour y réchauffer ses neuf vies… »

    Ailleurs, dans le cinquième poème, daté du seize janvier au matin et dédié à « papa, six mois d’absence », toujours de manière implicite, le passage de la « neige » à « l’ivoire » ouvre sur l’univers du père. À partir du premier vers « La nuit se passe dans l’attente de la neige », la narratrice associe « bonheur » et blancheur et glisse de la neige à « l’ivoire ». « Le bonheur ivoire » permet un saut dans le passé, vers un ailleurs à jamais disparu. Surgissent alors de manière indirecte et allusive, liées à ce bonheur-là, les images liées au père. Le poème est dans son entier construit sur un élargissement qui prend son essor sur quelques mots au sortir d’une nuit blanche. La répétition du vers « J’attends la neige » et ses variations « en attendant la neige/J’attends les flocons » scande le poème qui se révèle être une évocation de la disparition du père. Qui porte avec elle ses interrogations sur le bonheur.

    Les poèmes d’Adeline Baldacchino sont autant d’« histoires qu’on déroule dans le noir ». Chacune a ses leitmotive, ses mots-sésame autour desquels s’enroulent et se déroulent les strophes. Ainsi de l’histoire familiale de Mamy Paule (Neuvième poème, Vingt janvier) qui invite la narratrice à un retour en arrière sur le passé de sa grand-mère. Les origines d’un amour à Alger, les deux fils d’Afrique, dont l’un est le père de la poète, la bibliothèque et ses livres. Avec à la clé, la question lancinante qui rythme le poème :

    « Qui prendra soin de toi parmi les livres »

    « Qui prendra soin de toi dans la mémoire »

    Mais la mémoire souvent fait défaut et la poète de l’exprimer dans ce vers :

    « Je tente de me souvenir et tout se confond. »

    À travers l’histoire de la grand-mère paternelle, c’est une part de l’intime qui est dévoilée. Le lien de la poète avec son aïeule est manifeste. Leur proximité très grande. La jeune femme se reconnaît dans la femme qui a influencé ses choix. Toutes deux sont de la même lignée :

    « Et c’est ainsi que j’ai voulu mettre mes pas

    Dans tes mots mes lettres sur tes pages

    Un peu de miracle dans le jour… »

    Ou encore :

    « Je tiens de toi la forme du corps et celle du cœur

    Les reflets que font les poèmes

    Dans les cheveux bruns quand ils tournent au roux

    Le goût d’amer l’impatience… »

    Et cet aveu final qui dit l’émotion de la tendresse :

    « Ta bibliothèque doucement reversée dans la mienne

    S’agrandit chaque jour un peu plus

    Et peut-être que je ne saurai jamais d’autres manières

    D’être fidèle. »

    Et toujours, tout au long des strophes, ces enroulements qui forment boucles, envers/revers/ envers/revers. La strophe, une drôle de pelote de fil qu’il faut observer avec minutie pour en dénouer les enchevêtrements. Et, dans le même geste, dégager une définition possible du recueil :

    « Vois ce que je dépose

    Entre ces lignes qui saignent

    Leur encre malhabile

    Moins chaude que mon sang

    Moins vive que mes songes

    Et tout ce que je dépose de rouge

    Comme un dernier baiser

    Qui s’effiloche entre les lignes… »

    Parfois, dans ce désarroi qui travaille l’âme dans ses tréfonds s’entrouvre une brèche qui laisse filtrer un filet de lumière. De ce « trou de lumière qu’enlacent les nuages » affleurent un regain d’énergie, une vitalité inespérée :

    « Je fixe les restes de la nuit dans mon bol de café

    Je suinte l’amour par tous les pores

    Je rédige à l’emporte-pièce

    Des phrases qui cognent

    Contre le jour

    Qui me refuse sa bouche. »

    Pourtant l’éclaircie est trompeuse qui se heurte aux obstacles, se délite dans la confrontation avec le réel — toujours soumis à la désillusion — et finit, ailleurs, par se noyer dans l’attente.

    « Au réveil je me tiens

    Nue devant mon âme… »

    […] Et je me tiens silencieuse

    Nue devant mon âme qui s’enclot

    Bernard l’ermite dans sa coquille de chair… »

    […] Et je me tiens silencieuse dans l’attente… »

    Attente improbable de l’oiseau pacificateur, salvateur, qui pourrait « tirer » la poète « de ce mauvais pas. »

    Le portrait que fait d’elle Adeline Baldacchino est celui d’une « étrange étrangère » qui ne se reconnaît pas. Tant de masques à endosser, superposés, et tant d’efforts pour les arrimer et obtenir qu’ils coïncident bord à bord, qu’aucun ne démente l’autre par un écart imprévu ! Cependant les mots giclent sous les masques et le poème est là pour mettre l’âme à nu. Dévoilement nécessaire sans doute, vital peut-être, qui confère à ce recueil un besoin de clarification. Vers la vérité. Vers l’authenticité.

    Ce foisonnement d’images-miroir où chaque surface est le revers de l’autre, ouvre le sillon final de l’avant-dernier poème (non daté, en italique et entre parenthèses). « [V]aisseau miraculé », la poète file son chemin. « Toujours plus avant dans le mystère ». Qui se dénoue en quelques vers, « dans le ghetto de Venise » où les enfants jouaient à dreidel. Sevivon sov sov sov (toupie tourne tourne tourne). C’est dans le jeu de la toupie que « l’âme » « toupie de verre dés-astrée » « s’est mise à danser ». Hommage émouvant à « mamy Rachel ». Sans doute.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    ___________________________________
    1. Je n’ai pas consulté celles de Max-Pol Fouchet, ni Les Plus Belles Pages de la poésie française (Sélection du Reader’s Digest).






    Adeline Baldacchino  13 poèmes composés le matin (pour traverser l'hiver)






    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
    Source





    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    [De l’autre côté de la nuit] (poème extrait de De l’étoffe dont sont tissés les nuages)
    Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien d’Adeline Baldacchino avec Sabine Huynh (+ 7 poèmes inédits et une notice bio-bibliographique)





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