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  • Anna Maria Ortese | « Les Petites Personnes »





    « LES PETITES PERSONNES »
    (extrait)





    Mais je reviens au point important. Je considère que les animaux, à cause de leur visage, de leur sensibilité et de leur compréhension évidente, appartiennent à la même famille que celle dont est venu, terriblement armé de la faculté de raisonnement, l’homme : à celle de la vie. Ce que l’animal ne possède pas, c’est uniquement la faculté de raisonner, la férocité de vandale poussée à l’extrême, l’orgueil ridicule de la faculté de raisonner, la capacité de désacraliser et d’exploiter la vie : c’est pourquoi il n’est pas considéré comme un peuple, alors qu’il devrait l’être, ni comme un être différent, une personne appartenant à la vie, mais considéré comme une chose, et traité en tant que telle.

    Nous croyons tout savoir sur les élevages, les abattoirs et la chasse, les expériences et les jeux, qui ont pour cible, depuis un temps immémorial, les Petites Personnes. Nous ne savons rien. Et si nous savions vraiment, nous mourrions de douleur et de honte, et nous frapperions irrémédiablement les cœurs humains qui existent pourtant, parmi nous. C’est donc une entreprise que je ne tenterai pas. Mais gare, a-t-on envie de dire, gare à l’homme qui accepte et pratique ces choses-là, et gare aux pays qui n’ont jamais eu scrupule à les faire, gare à tous ces garnements qui s’en lavent les mains et qui répètent stupidement : cela a toujours existé et cela doit continuer à exister. Au fond, ce ne sont que des animaux. Seul l’homme est important.

    Quel homme ! aurais-je envie de répondre. Sans fraternité, il n’y a pas d’hommes, mais des contenants de viscères, et un peuple constitué de contenants n’existe pas, ce n’est pas un peuple. L’homme est fait de fraternité, qui dit « homme » dit essentiellement « fraternité ». Et un homme — ou un peuple — qui se place au centre de la vie en disant « Moi », en frappant fort sa poitrine, n’est qu’un singe dégradé (alors que le singe ne l’est pas).

    J’écris tout cela sans ordre. C’est que mon caractère est méchant, il n’est pas bon, il n’est pas tendre, et dès que je rencontre de la présomption et de la lâcheté, qui entrent en maîtres dans le territoire de l’innocence et de la faiblesse, je voudrais prendre les armes, m’emparer d’un sabre, et faire tomber des têtes infectées. Mais je me transformerais alors en l’une d’elles, et donc, chassons ce désir.

    C’est juste une manière de dire. À partir du jour où j’ai commencé à comprendre certaines choses (et c’est un jour d’il y a longtemps, il appartient à ma première jeunesse), je n’ai plus aimé l’homme sincèrement, ou je l’ai aimé avec tristesse.

    Je dirais que je me suis efforcée de l’aimer, j’ai été émue par lui et j’ai tenté de comprendre l’origine de sa dégradation, d’être humain en maître. Ce serait trop long à raconter, et je ne peux pas le faire ici. Mais j’ai compris que plus l’homme (et la femme) ignore les Petites Personnes, plus il est indigne de s’appeler « homme », et que son autorité, lorsqu’il l’a gagnée, est mortelle pour les hommes.



    Anna Maria Ortese, « Les Petites Personnes » in « Frères différents » in Les Petites Personnes, En défense des animaux et autres écrits [Le Piccole Persone, Adelphi edizioni, Milano, 2016], Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2017, pp. 148-149-150. Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli.






    Anna Maria Ortese  Les Petites Personnes  Actes Sud





    ANNA MARIA ORTESE


    Anna Maria Ortese





    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Actes Sud)
    la fiche de l’éditeur sur Anna Maria Ortese
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Marguerite Pozzoli, traductrice du livre Les Petites Personnes. En défense des animaux et autres écrits par Anna Maria Ortese. Entretien réalisé par Michele Canonica pour le site L’Italie en direct. Février 2017.





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  • Wisława Szymborska | Complicités avec les morts



    800 x 532
    Ph., G.AdC







    KONSZACHTY Z UMARŁYMI



    W jakich okolicznościach śnią ci się umarli?
    Czy często myślisz o nich przed zaśnięciem?
    Kto pojawia się pierwszy?
    Czy zawsze ten sam?
    Imię? Nazwisko? Cmentarz? Data śmierci?

    Na co się powołują?
    Na dawną znajomość? Pokrewieństwo? Ojczyznę?
    Czy mówią, skąd przychodzą?
    I kto za nimi stoi?
    I komu oprócz ciebie śnią się jeszcze?

    Ich twarze czy podobne do fotografii?
    Czy postarzały się z upływem lat?
    Czerstwe? Mizerne?
    Zabici czy zdążyli wylizać się z ran?
    Czy pamiętają ciągle, kto ich zabił?

    Co mają w rękach – opisz te przedmioty.
    Zbutwiałe? Zardzewiałe? Zwęglone? Spróchniałe?
    Co mają w oczach – groźbę? Prośbę? Jaką?
    Czy tylko o pogodzie z sobą rozmawiacie?
    O ptaszkach? Kwiatkach? Motylkach?

    Z ich strony żadnych kłopotliwych pytań?
    A ty co wtedy odpowiadasz im?
    Zamiast przezornie milczeć?
    Wymijająco zmienić temat snu?
    Zbudzić się w porę?



    Wisława Szymborska, Ludzie na moście (1986) [Les Gens sur le pont] in Wisława Szymborska, La gioia di scrivere, Tutte le poesie (1945-2009), Adelphi Edizioni, Milano, 2012, pagina 460.







    COMPLICITÉS AVEC LES MORTS



    En quelles circonstances rêves-tu des morts ?
    Penses-tu souvent à eux avant de t’endormir ?
    Qui t’apparaît le premier ?
    Est-ce toujours le même ?
    Nom ? Prénom ? Cimetière ? Date de la mort ?

    À quoi en appellent-ils ?
    À l’amitié lointaine ? La parenté ? La patrie ?
    Est-ce qu’ils disent d’où ils viennent ?
    Qui se cache derrière eux ?
    À qui d’autre que toi apparaissent-ils en rêve ?

    Leurs visages ressemblent-ils à leurs photos ?
    Ont-ils vieilli avec les années ?
    Sont-ils frais ? Pâles ?
    Les tués ont-ils eu le temps de soigner leurs blessures ?
    Se souviennent-ils encore qui les a tués ?

    Qu’ont-ils dans leurs mains – décris ces objets.
    Pourris ? Rouillés ? Carbonisés ? Vermoulus ?
    Que lit-on dans leurs yeux – la menace ? La prière ? Laquelle ?
    Vous ne parlez que de la pluie et du beau temps entre vous ?
    Des oiseaux ? Des fleurs ? Des papillons ?

    De leur part nulles questions gênantes ?
    Et toi, que leur réponds-tu alors ?
    Au lieu de prudemment te taire ?
    De passer évasivement à un autre sujet de rêve ?
    De te réveiller à temps ?



    Wisława Szymborska/Ewa Lipska, Deux poétesses polonaises contemporaines, L’Ancrier Éditeur, Collection Littérature polonaise, 1996, page 31. Traduction d’Isabelle Macor-Filarska avec la participation de Grzegorz Splawinski.





    WISŁAWA SZYMBORSKA


    Wislawa_Szymborska
    Source




    ■ Wisława Szymborska
    sur Terres de femmes

    Discours au bureau des objets trouvés (poème extrait de Wszelki wypadek [Cas où, 1972])
    Mouvement (poème extrait de De la mort sans exagérer (Cent blagues [Sto pociech, 1967])
    3 octobre 1996 | Wisława Szymborska, Prix Nobel de littérature (notice bio-bibliographique)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Wisława Szymborska (+ un poème extrait de Vue avec grain de sable et un autre extrait de Dans le fleuve d’Héraclite)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    Wislawa Szymborska, Une poésie simple comme un bonjour
    → (sur FrancoSemailles)
    plusieurs poèmes de Wisława Szymborska
    → (sur poets.org)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) sur Wisława Szymborska
    → (sur lyrikline blog)
    Readings to remember: Wisława Szymborska
    → (sur Recours au poème)
    Sur la disparition de Wislawa Szymborska, ou l’être poème, par Antoine de Molesmes





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