Étiquette : Æncrages & Co


  • Jacques Moulin, Journal de Campagne

    par Angèle Paoli

    Jacques Moulin, Journal de Campagne,
    Æncrages & Co, Collection voix de chants, 2015.
    Dessins de  Benoît  Delescluse.



    Lecture d’Angèle Paoli



    JUSQU’À L’ABRIL D’AVRIL



    Journal de Campagne. Tel est le titre que Jacques Moulin a choisi pour son dernier recueil poétique. Je pense aussitôt à « campagne » d’Italie / d’Égypte / de Russie… Mais non, ce n’est pas cela. Il ne s’agit pas ici d’un énième récit rescapé de la vareuse de quelque grognard de l’armée napoléonienne. L’on pourrait aussi s’attendre, avec le terme « Journal », à une réflexion de diariste (comme le curé de Bernanos), écrite à partir d’un lieu donné et dûment daté. Ce n’est pas non plus tout à fait le cas. Pourtant la campagne existe bel et bien. Celle d’Alsace. Avec le village d’Uffholtz, dans le Haut-Rhin. Et son Abri Guerre, point de départ de l’écriture. Mais en place des dates, le poète en résidence dans son « Abri-mémoire » a choisi les mots. Des mots en rapport avec le thème proposé au résident. La « fortification ». Ces mots font figure d’entrées. Ouvertures vers un espace autre. L’espace du poème. Des poèmes pour se fortifier.

    « Fortifiez-vous c’est comme

    Un chant pour soi une romance un peu d’histoire

    Des retrouvailles dans l’inconnu ».

    À la fin du recueil, un petit lexique reprécise le sens exact de chacun des termes ― quatorze en tout ―, dans le contexte où ils sont employés. Celui de la Grande Guerre. 1914-1918. La terre d’Uffholtz est une terre de frontière avec tranchées, casemates, réduits, remparts. Et, partout, des brèches des fossés des abris. La découverte de cet univers se fait cependant sans heurt, en quatre temps. Et non sans plaisir, côté lecteur, ni sans curiosité. Cheminement / Approches / Meurtrières / Épaulements. Et la progression, par étapes ; ponctuée par les quatre dessins de Benoît Delescluse. Pour dire l’ombre et la lumière, pour dire leur trouée dans les feuillages. Ainsi découvre-t-on, en progressant dans ce curieux ouvrage, que le terme « cheminement » renvoie aux « travaux d’approche pour progresser à l’abri vers l’ennemi ». Dans le même temps, « approches » — au pluriel — désigne les « tranchées pour s’approcher d’une place sans s’exposer ».

    Mais toujours « [l]e poème tient debout sans rempart ». Quant à l’abri, cet Abri Guerre que l’on rejoint au cours de l’avancée, c’est

    « [t]out un chemin de voyelles pour toucher la fissure

    Agripper la paix ».

    On l’aura compris, le poème s’écrit pour résister à. Partant, pour donner vie à. La source les saisons la vigne les vergers. La poésie. Et « le poème prend ». Jusqu’à la paix :

    « Le pré en taupes cloque la terre

    Le rossignol gîte en muraille

    Tout reprend paix devant l’abri ».

    Le lexique du recueil s’approprie la coloration des abris chargés d’oubli et de mémoire :

    « Un abri fortifié souterrain

    Abri pour la mémoire

    Mémoire forte mémoire des fonds

    La mémoire oublieuse sans abri ».

    Et le poète joue, détourne, glisse, creuse, explore l’univers des tranchées, retourne la terre et les mots, les malaxe, de la bouche et des yeux, de l’oreille et des dents :

    « Trachée réduite suffoquer

    Pharynx perdu tu dis plus rien

    Poète casqué vers cadencés ».

    Et, dans le poème suivant, sur la page en vis-à-vis :

    « Tranchée guérite à terre

    Toit à cochons caponnière

    Cou tordu sabots crottés

    Fiente aux ergots

    Creuser toujours ».

    L’univers de l’abri abolit la notion habituelle d’espace, toutes directions confondues. S’abriter alors, nécessite de jongler avec les quatre coins du réduit, pentes talus boyaux :

    « S’abriter sous dedans derrière à l’intérieur

    Au fond paroi par-dessus

    Éviter l’avant se mettre en crypte

    Cultiver ses arrières à couvert

    Consolider son terme prendre asile ».

    L’arrivée à Uffholtz donne naissance à un très beau texte en prose qui résonne comme un rappel des paysages vosgiens, vignes et Ballons, chemins de terre avec « le vent des consonnes dedans les branches », les échos entre les voyelles [u] et [o], entre « ligne de crête » et « ligne de front ». Vient l’emménagement dans l’abri, et la phrase s’adapte au décor dans lequel elle naît : elle se mêle à la terre, suit les courbes et les entailles, murs et collines ; forge et sculpte :

    « La phrase galope la plaine le vers se pose en glaise

    Rencontre la tranchée comme un mot qui cisaille

    Une étendue de pages

    Zigzague un peu ».

    Un monde d’entre-deux se dessine, fait de claies et d’interstices, de palissades et d’ajours, de rideaux de trouées de haies, couloirs de traverse du « vent coulis ». Qui conduisent jusqu’à « l’abril* d’avril » qui scande son refrain :

    « Abri sous printemps

    La fleur sous abri »

    « Être à l’abri jusqu’à l’avril

    La fleur sous abri ».

    Ailleurs, dans F.O.R.T.I.F.I.C.A.T.I.O.N., le poète se livre à tout un travail de creusement et d’approches du mot. Sens et sons. Mot hérissé de fortins avec son « i » central, à la fois « pivot » et « point de rupture ». Un « i » lui-même évocateur d’images sonores et d’assonances aigües :

    « Un i comme on en voit dans la craie prêt à crisser fragile tendresse et calvaire des calcaires pour déliter sa forme et mourir poreux au pied du caillou dur écroulé lui aussi par la vertu du faible. Fort garde-toi de tes i qui ouvrent brèche dans le pli de la ligne. »

    Quant au final de ce beau texte de prose, il prend appui sur la finale du mot pour ouvrir sur un autre espace :

    « On entend la finale du mot comme un éboulement progressif jusqu’aux glacis. Oublieuse nasale qui s’ouvre à d’autres gestes. La vie voyage. L’écho des chutes s’entend longtemps. »

    Ainsi, de fortifications en redoutes, de redoutes en plongées, parvient-on au rondel en trois strophes et en alexandrin ― construit sur deux rimes et comportant un refrain :

    « On court sur la colline on traverse les forts

    On tombe sur des mots qu’on peut envisager

    L’alexandrin revient pour chacun les nommer

    Canon bastion redoute archère et contrefort ».

    Comment ne pas se laisser envoûter par le plaisir jubilatoire de cette belle jonglerie de la langue et des mots ?

    « Le rondel bat la brèche et se joue des rebords

    Sur le chemin de ronde au plus près des fossés

    Il cueille l’hellébore à l’euphorbe associée

    Prend son temps de berme et aux pierres jette un sort

    Il court sur la colline pour un herbier des forts ».

    Et comment ne pas sourire et s’interroger, se regarder en visière dans « For intérieur », texte plein d’humour :

    « On mijote un donjon. D’aucuns le posent encore comme une truffe à l’angle du jardin palissé. Fortin ou fortelet avec l’armée de nains-céramique pour monter aux créneaux. »

    Avec « Meurtrières », la poésie se durcit. La tranchée crache ses os et les quatre poèmes, dont HWK (1-2-3), disent les « Poilus dépecés », les chairs fragmentées, les gisants décapités.

    La traversée de Journal de Campagne se clôt sur une section où dominent l’amitié et le partage. À l’arrière, dans l’abri de la « gorge », le poète fête la vigne avec les vignerons de toujours. Avec les marcheurs du jour, le poème se met « en campagne »

    « Les mots dans le dos

    Sur le sentier en file indienne ».

    Au soir, sur la plate-forme de la « banquette », on se retrouve pour « bistroter ». « Abri café », « Pour faire tribu », « Stammtisch ici ». « Pour prendre mots relus ensemble ».

    Poème en campagne jusqu’à «&nbsp[l]’abril d’avril ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    _____________________________
    * Abril, chez Saint-François de Sales (1567-1622)






    Journal de Campagne







    JACQUES MOULIN


    Jacques-Moulin
    Source




    ■ Jacques Moulin
    sur Terres de femmes


    Écrire à vue (lecture d’AP)
    [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue)
    D 27 et D 28 (extrait de L’Épine blanche)
    L’Épine blanche (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Portique (lecture d’AP)
    Portique 2 (extrait de Portique)
    [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux)
    Un galet dans la bouche (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Journal de Campagne





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Armand Gatti | [À combien d’exemplaires]


    Emmanuelle Amann







    [À COMBIEN D’EXEMPLAIRES]




    À combien d’exemplaires
    et sur combien de siècles

    notre naissance
    est là.

    Nous sommes tous faits de braise
    composant les lois de la distance

    les conques nacrées

    et l’époque du frai.

    Nous sommes les neuf pattes du poulpe
    sur la courbure vernissée de la jarre
    où furent imprimés jadis les écussons
    et les poings fermés de la dame aux serpents.
    Nos pèlerinages sont d’ail et de gentiane

    d’hypnotiseurs ambulants

    de fête mauresque

    de possédés
    et de tout ce qui par manque de marchandise s’invente commerce.





    Autrefois, pour te donner existence
    dans le savoir de tes riverains,
    les temples suffisaient

    des dieux réels, comme autant de tes émissaires,
    les habitaient.
    En portaient trace les colonnades
    et leur façon de soutenir les plafonds.
    Aujourd’hui, ils sont corps et biens
    dans les pages de l’Histoire

    perdue la dimension de soleil

    ta dimension de nuit bleue

    tombant goutte à goutte

    des années-lumière
    mais toujours passant

    par la triangulation de l’étoile

    naissance
    mort                                                             résurrection
    Mer du troisième jour

    Mer Pascale.




    Armand Gatti, La Mer du troisième jour, Collection Ecri(peind)re, Æncrages & Co, 2015. Avec deux linogravures d’Emmanuelle Amann.





    Gatti





    ARMAND GATTI





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Armand Gatti)
    une page sur La Mer du troisième jour






    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • François Heusbourg, hier soir



    Faux Miroir
    René Magritte, Le Faux miroir, Le Perreux-sur-Marne, 1928
    Huile sur toile, 54 x 80,9 cm
    NYC, The Museum of Modern Art
    Source







    HIER SOIR
    (extraits)



    Vous savez, le paysage est dans l’œil, vous savez bien, le paysage nous regarde. Regarde l’œil. Sous la main le paysage se lève et dans la main le paysage s’effondre. Vous êtes venu. Voir. Sous la main le paysage, retenu dans l’œil. Vous êtes entré dans le paysage.




    […]




    J’ai fermé les yeux. J’ai perdu la mémoire. Les petites pièces de bois, la tasse brisée sur la table.  En morceaux.  Vous avez posé la main sur les morceaux,  vous avez posé la main sur le paysage. Les morceaux ne sont pas brisés, vous avez perdu le paysage.




    […]




    Le nom est intact. Il n’a pas été retrouvé. Vous avez dit, je vais perdre le nom dans la langue. Je vais essayer de respirer, et de battre la langue. Vous avez repris place. La table sous la fenêtre. Là-haut, le nom perdu dans la langue. L’eau, ce ne sera pas long.




    François Heusbourg, Hier soir (extraits), Æncrages & Co, Collection Écri(peind)re, 2014. Gravures de Robert Groborne.






    François Heusbourg, Hier soir





    FRANÇOIS HEUSBOURG


    François Heusbourg 3




    ■ François Heusbourg
    sur Terres de femmes

    d’autres extraits d’Hier soir antérieurement parus dans la revue Nu(e)
    [ma peur perce les pieds](extrait de Zone inondable)
    Zone inondable (lecture d’AP)
    Anaïs Bon | François Heusbourg | [ Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère](extraits de Seul/double)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Hier soir
    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    une notice bio-bibliographique (+ une sélection de poèmes extraits de Contre-Escales, de Long Run et d’Oragie)






    Retour au répertoire du numéro de décembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Armand Dupuy, Mieux taire

    par Isabelle Lévesque

    Armand Dupuy, Mieux taire,
    Æncrages & Co, 2012.
    Avec 5 linogravures de Jean-Michel Marchetti.
    Préface de Bernard Noël.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    JMM5
    Source







    [UN TEMPS ÉCOULÉ RIVÉ AU SILENCE]



    « Le ciel est tombé noir et j’attends par les yeux presque aussi loin qu’attendre peut. »



    Une spirale ouvre le recueil, celle dessinée par Jean-Michel Marchetti. Elle est double, deux gris s’emportent vers le centre ou le quittent — la couleur même utilisée pour le titre — à moins qu’il ne s’efface. Quels degrés ? Peut-on supposer que dans l’infinitif « taire » existe une gradation, comme deux gris conjoints (et disjoints) s’assembleraient pour un mouvement improbable ? Écrivant, fait-on mieux que « taire » et rejoindre un silence qui existe sans nous ?

    La quatrième de couverture signée du poète tourne autour du silence, ce centre-là, et le livre s’ouvre sur un titre et une linogravure de Jean-Michel Marchetti qui donnent le tournis :

    « Une forme d’aveuglement reste — restera. »

    Double assertion : les images, métaphores, « ne tiennent pas ». Vertige en source : « langue absentée ». Alors fines touches, esquisses ; des phrases (des vers) se lancent et définissent, par la négation (grammaticale) ou l’absence, le texte. Il y a bien des pronoms, un « tu » qui existe, mais il est hors du paysage ou des choses, collé à la vitre des mots. Il résiste, apparaît en fin de strophe sous sa forme pronominale (« la seule peur d’être / sans toi ») ou dans un déterminant (« [t]a nuque à l’abandon »). Chaque page, sauf une, présente deux sizains ponctués, des vers aussi bien que des morceaux cousus/décousus d’un patchwork alliant l’observation (paysage, mouches, murs, ampoules, vaches, merles, plantes, sapins…) à la réflexion elle-même arrêtée lorsqu’elle commence puis reprend.

    Pointillés des lignes avec en fin de parcours (pages) des appels à ce « tu » identitaire et nécessaire. Des mots, paronymes, se rencontrent (« taire » / « raie » — « serre » / « septembre » — « pelles » / « peine ») et des syntagmes s’attendent dans la phrase pour être reprécisés avec la lenteur d’un report :

    « […] fouler fort dans / sa langue, les pieds le savent devant. »

    Voilà pourtant la métaphore, concrète, douloureuse, « le jour en boule dans la gorge », car taire c’est aussi prononcer le « peu » : attente, rien, un passage vers « avale ».

    La réalité que le mot pourrait porter est absorbée dans sa prononciation, le temps d’aligner les syllabes au rythme du passage des mouches. Elles traversent le texte, restent et se posent dans deux linogravures de Jean-Michel Marchetti dont celle de couverture : gris sur noir, surimpression d’insectes minuscules en un plus grand tautologique parfaitement découpé sur la page. On peut au passage souligner la qualité des reproductions signées de la maison Æncrages and Co : reproductions couleurs, pleine page, criantes comme le texte (pas asservi, le dessin happe autant que les mots, bourdonne autant que les mouches).

    Quatre parties composent le livre et la première s’achève par un simple constat, on est près de la phrase minimale :

    « […] Tout me laisse plus seul ici. »

    La syntaxe pourtant réserve quelques surprises, menues surprises glissées dans les coupes inattendues d’un vers qui repousse un mot court sur le suivant :

    « ce que fait dehors sans savoir, un vert

    tu qu’il faudrait presser, fouler fort dans

    sa langue […] »

    Participe passé du titre à l’infinitif en rejet, qu’il faut entendre et bousculer comme un silence (le vers tue, la vertu…).

    Déséquilibres rattrapés ou non, les surprises, les allitérations ou assonances (« Faire les corvées puis laisser / pour chaque chose ma bouche se taire. ») coexistent et se répondent. Paronymes ou homonymes suggérés :

    « Le dire / n’y peut rien tout freine ici, morts et terre avec. »

    Taire et terre se répondant en écho du titre comme on s’approche du quiproquo, théâtre du silence que l’on frôle :

    « silence neuf dont la tête est l’œuf ou la poule »

    La scène (la strophe) intègre le calembour ou l’ambiguïté qui alimentent le texte surtout pour celui qui en entendrait la lecture. On joue les mots, ils se heurtent, se bousculent avec une certaine allégresse qui pourrait contrebalancer le poids d’un silence ontologique et fatal. Le titre, Mieux taire, oriente vers le silence de Samuel Beckett, on peut aussi sourire au fil du texte de l’humour qui désamorce le possible tragique : « ma tête sans temps dans la vitre » (la vitre comme un miroir sans tain / sans temps, homophonique trouble des sons : cent ans, s’entend…).

    Les négations prolifèrent (de la plus simple, « ne…pas », à ses variantes, ou le privatif, « sans toits ni ciel »), ce qui est perçu révèle une béance, un trou dans la langue, une absence. Existent plus peut-être les éléments rendus à la personnification, « [t]out l’air debout ». Alors le rêve, qu’un processus s’amorce, non « un oiseau posé » mais « mieux [qui] se pose » à l’inverse du « temps plié ». Les participes passés employés ou non comme adjectifs s’accumulent (« ciel tombé », air et dehors « balayés », « ce tas privé de tout ») ; ils gardent une valeur accomplie, malheureusement accomplie. C’est ce temps écoulé rivé au silence qui s’exprime dans Mieux taire.

    Seule résistance : « laisser » ? Mots écrits à peine, suggestion du manque. Quelques actions peut-être laissées aux verbes suspendus, intemporels, infinitifs comme une absence d’ancrage : « couper, fendre et couper le bois, le ranger, balayer le silence moins vite de chaque chose s’impose. »

    « Si langue effeuille » : déplie ? Une fois les corvées accomplies, les participes passés énoncés, « [o]n cherche la seule impression de chercher », poème entrepris, petites notes du merle ou vol des oiseaux, les signes si peu marqués pour « mieux taire ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Dupuy




    ARMAND DUPUY


    Armand Dupuy Denim
    Source




    ■ Armand Dupuy
    sur Terres de femmes


    [l’eau fermée] (extrait de Ce doigt qui manque à ma vue)
    [On cherche avec les yeux] (extrait de Par mottes froides)
    Présent faible (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Une première fin des questions
    8-12 février [2017] | Armand Dupuy | [je m’entends parler du temps qu’on serre] (extrait de Selfie lent)




    ■ Voir aussi ▼

    le blog d’Armand Dupuy
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    une page de l’éditeur sur Mieux taire



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Rose Ausländer | Während ich Atem hole



    Gravure de DaDao







    WÄHREND ICH ATEM HOLE




    Während ich Atem hole
    hat die Luft sich verfärbt
    Laub und Gras trocknen in anderer Tonart
    am Himmel hängt eine Fahne aus Stroh


    Während ich Atem hole erfriert
    in meinen Nerven eine Gestalt
    ich höre den Umriß eines
    Engels verklingen


    Es ist Zeit den
    Traum zu bauen in Grau
    er ist ruhlos geworden und hat
    sich schon niedergelassen in meinem
    Haar während ich Atem hole


    Inzwischen ist die Sonne verglast und
    hat Sprünge bekommenich ich such ihre
    unversehrte Form im Hudson aber
    in seinen ergrauten Augen sind
    die Konturen verschwommen
    Vom Norden kommt eine
    hurtige Hand und treibt
    die Tropfen in den
    Atlantischen Ozean
    während ich Atem hole






    LE TEMPS D’UNE RESPIRATION




    Le temps d’une respiration
    l’air a changé de couleur
    l’herbe et les feuilles en séchant se teintent
    au ciel un drapeau de paille pend


    Le temps d’une respiration
    une forme dans mes nerfs se glace
    j’entends la silhouette d’un ange
    qui s’estompe


    Il est temps de
    construire le rêve en gris
    il s’est agité s’est déjà
    posé dans mes
    cheveux le temps d’une respiration


    Entre-temps le soleil s’est vitrifié et
    fendillé je cherche à retrouver sa
    forme intacte dans le Hudson mais
    dans ses yeux devenus gris les
    contours se sont noyés
    Du nord vient une
    main preste qui chasse
    les gouttes vers
    l’océan Atlantique
    le temps d’une respiration




    Rose Ausländer, Blinder Sommer/Été Aveugle [Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1965], Æncrages & Co, Collection « voix de chants », 2010, s.f. Traduit et présenté par Dominique Venard. Clichés photographiques de gravures de DaDaO.






    Rose Ausländer, Blinder Sommer  Eté aveugle


    ROSE AUSLÄNDER


    Rose Ausländer
    Source




    ■ Rose Ausländer
    sur Terres de femmes

    Après le Carnaval
    Augenblickslicht
    L’île dérive
    Janvier (extrait de Pays maternel)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    les premières pages de Blinder Sommer/Été Aveugle,
    → (sur Esprits Nomades)
    la page consacrée à Rose Ausländer
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits (en allemand) par Rose Ausländer
    → (sur Recours au poème)
    une note de lecture de Pascale Trück sur les deux recueils de Rose Ausländer publiés par Æncrages & Co





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2012
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Françoise Ascal, Lignées

    par Angèle Paoli

    Françoise Ascal, Lignées,
    Æncrages & Co, Collection Ecri(peind)re, 2012, s. f.
    Dessins de Gérard Titus-Carmel.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Lignees







    UN RÊVE MINÉRAL



    Marche à travers la forêt obscure des signes, Lignées est l’énigme d’une vie immémoriale, semée de figures sans visages. La narratrice/la poète, semblable à celles qu’accueillent les fougères, pétrie de froid ou de peur, chemine vers les lointaines collines du « grand est » originel, inaccessible et rêvé. En lisière de la quête se vit/se dit le manque. Manquent la lumière et l’air, « la solitude et son vertige », « la mystérieuse banalité offerte à fleur de terre ». « Une vie entière à poursuivre la lumière, est-ce raisonnable ? », interroge Françoise Ascal. Manque, dès avant la naissance, la matrice douce d’une mère aimante. Au cœur de l’écriture, arrimée à la noirceur de la naissance, gît l’enfance confisquée. « Froidure/effroi » dominent, même si le parfum mentholé de la lumière ruisselle parfois dans le cresson. Comment se désengluer « du sans-forme du sans-fond » et retrouver la pureté du silex ? Comment rejoindre la passe, en franchir les eaux sombres, et, du doigt, soudain, toucher « l’or de l’énigme » ?

    En quête d’une histoire et d’un passé, en quête surtout d’une issue lumineuse, Françoise Ascal fait lever sa lignée. Au fil des pas et des pages, une « ancêtre bienveillante », des tisseuses de chanvre « aux mains usées par le fil », des mineurs forant des trous dans le noir, des serfs et des « faneuses de juillet », accompagnent la poète dans son cheminement. Dans la lignée manque la mère, dont ne demeure que la « Mémoire ombilicale en forme de laisse », manquent les hommes « tous avalés par l’horizon un premier août 1914 aux environs de 16 heures. » Comme dans certains contes nordiques, au cœur même de l’épaisse noirceur, survient une marraine à « voix de sirène », qui scande à l’oreille de la marcheuse de mystérieuses formules pour lui montrer la voie : « Tire, tire comme sur un fil de soie, dit-elle. Arrondis ton geste et tire délicatement. »… « Respire, dit-elle, laisse faire le souffle. » Écartant ronces et salamandres, secouant les scolopendres qui s’agitent dans sa chevelure, la narratrice se fraie un chemin parmi les obstacles. « Je cherche le passage », écrit-elle.

    Plus près de nous, du côté de l’écriture, Montaigne-le-vif et René Crevel ― cerveau de viande qui fait mal ―, « en visite » sous sa peau, sèment leurs signes. Les frontières s’effacent un instant mais les questions demeurent, paumes ouvertes sur le vide. Plus proche encore et plus présent, Arthur Rimbaud-le voyant. Les poèmes en prose de Françoise Ascal s’inscrivent dans la lignée du poète « aux semelles de vent ». L’enfant se voudrait magicienne, capable de traverser la vitre, « d’entendre ruisseler la lumière » et d’atteindre enfin la clarté. Mais la réalité est autre. Les eaux de la naissance et de la mort se rejoignent. Entre sexe et sang, intimement mêlés, Eros et Thanatos noient le rêve de l’exploratrice dans la même soue.

    « Un goût de sang emplit ta bouche. Le bleu du ciel a deux trous rouges au côté droit ».

    À travers les poèmes des épreuves ― « Je dois courir vers le puits, écouter encore et encore le chant de la poulie qui se fige » ―, face au rien qui enveloppe toute chose et tout être, surgissent le mot et sa cohorte exigeante de verbes, d’adjectifs, de rythmes et de scansions (3/2/3/2), ses images d’herbes folles et ses tiges plantées à même le crâne. Dans l’univers d’inexistence de la poète, c’est un univers foisonnant qui lève, corps et plantes, graminées et chiendent, « paumes pleines de syllabes rouges encore vivantes ». Gonflé de « sève obscure », taillant à vif, le mot se fraie un passage, s’anime, se forge une présence, s’immisce dans la brèche. Il prend corps dans le corps de l’absente ― absente à elle-même. Le rythme s’accélère, emplit la page d’une respiration forte que les dessins de Gérard Titus-Carmel accompagnent, forêt dense, entre le noir et les ocres. Le mot s’insinue « sous les pores de la peau », force les cavités et les résistances.

    « Il ne faut pas avoir peur, pas reculer, texte/peau même combat pour la vie, pour l’expansion dans la lumière… », confie la poète.

    Sous « la nostalgie de silex », le « rêve minéral » peut enfin s’accomplir.



    Angèle Paoli

    D.R. Texte angèlepaoli






    ________________________________
    Le Prix du Poème en Prose Louis-Guillaume 2014 a été décerné à Françoise Ascal pour le recueil Lignées.






    Lignees_2





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Un nécessaire malentendu)
    un autre extrait de Lignées
    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le blog de Jacques Josse)
    une note de lecture sur Lignées





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2012
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes