Étiquette : Alain Nouvel


  • Alain Nouvel | [Tu bois, aux sources de la foudre]


    [TU BOIS, AUX SOURCES DE LA FOUDRE]



    Tu bois,

    aux sources de la foudre,

    un arbre aux sèves de lumière.

    Tu bois,

    aux sources de la soif, la foudre.

    Tu es la foudre

    et foudroyé.

    Tu es le mur et l’emmuré,

    tu es le voyant et l’aveugle

    et tu frappes aux portes des pierres

    et tu respires l’eau de mer,

    parfois jaillit du mur, une rivière.


    Tu es le fou,
    la foudre
    qui transforme en graines les pierres
    et fais pousser des arbres
    instantanés.



    Alain Nouvel, Pas de rampe à la nuit ?, La Centaurée, 2020, s.f. Encres de Valérie Ghévart.






    Pas de rampe bis
    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.




    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes


    Anton (lecture d’AP)
    Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Mediapart)
    une notice bio-bibliographique sur Alain Nouvel



    ■ Voir encore
    sur Terres de femmes


    Terres de femmes | Terre di donne : 12 poètes corses, par Alain Nouvel






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  • Alain Nouvel, Anton

    par Angèle Paoli

    Alain Nouvel, Anton,
    Éditions La Chimère, 26170 Beauvoisin,
    octobre 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli




    GuiduAnton
    Image, G.AdC







    « CHANTER SEUL COMME UNE FORÊT »



    Anton. Articulé autour d’un T tonique, ce prénom bisyllabique résonne comme la promesse d’un ailleurs. Anton ? Comme Tchekhov, comme Dvořák, comme Bruckner, ou bien comme Webern ? Non ! Le personnage qui donne son nom au « conte philosophique » d’Alain Nouvel – Anton – n’est aucun de ces hommes. Enfin, presque, à une nuance près. Anton comme Alain ? Un personnage et son créateur. Anton ou le double d’Alain ? Peut-être.

    Qui est donc Anton ? Si l’on s’en tient aux deux vignettes de couverture, Anton est un musicien. Organiste, pianiste, altiste, chanteur et chef d’orchestre. Comme Dvořák alors ? Non, comme Bruckner. Le compositeur autrichien. Ainsi le confirme l’ultime page de l’achevé d’imprimé de l’ouvrage  :

    Bruckner à l’orgue (1re) ;

    Bruckner chef d’orchestre (4e).

    Les deux silhouettes sont signées Otto Böhler, Vienne, vers 1890. Un artiste autrichien (1847 – 1913). Récit biographique alors ? Non point.

    À y regarder de plus près, l’observateur attentif ne peut manquer de s’étonner de voir l’orgue, sur les hauteurs du buffet, s’enorgueillir de feuillages guerriers. Récit imaginaire ? Sans doute. Partiellement. La page de titre n’annonce-t-elle pas que le récit Anton appartient au genre du conte philosophique ? Ainsi l’imaginaire est-il bien présent dans ce récit d’Alain Nouvel, qui fait écho, à bien des égards, à un précédent recueil de nouvelles : Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest (éditions des Lisières, 2016). Ce récit semble être comme un Da capo. Ou bien comme une prolongation.

    Pourtant Anton Bruckner est bien là entre les pages : « mon » Bruckner, dit de lui Alain Nouvel qui cite par ailleurs le musicien dans l’une des épigraphes (lettre à A.M. Storch, 11 décembre 1896) :

    « Retiré du monde par principe,

    mais aussi abandonné par lui,

    Je m’étonnais et me réjouissais hautement

    qu’un homme, au loin,

    Se souvienne encore de moi ».

    Portrait d’Alain Nouvel en Anton Bruckner, alors ? Anton Bruckner ou le double idéal, idéalisé, désiré ? Je ne suis pas loin de le penser.

    « Même si toute ressemblance avec des êtres vivants ou morts est [bien entendu] entièrement fortuite… », la similitude (y compris physique) entre les deux hommes est frappante. Faut-il voir dans cette précaution littéraire une coquetterie, un goût de l’antiphrase ou le simple clin d’œil d’un auteur malicieux qui aime à ironiser jusque sur lui-même ? Peu importe. Ce qui importe, c’est de voir surgir cette similitude au fil de la plume, « encre sympathique » qui rend visible, en surimpression, en filigrane ou en contrepoint, ce qui ne l’était pas au commencement. Portrait de l’écrivain Alain Nouvel en artiste Anton Bruckner.

    Le conte philosophico-biographique d’Alain Nouvel met en lumière le personnage énigmatique d’Anton. Un « déjanté », un « médiocre », aux allures de « bête forestière ». Un « vieil homme » tellement humain, tellement étranger à lui-même parce qu’étranger aux autres – au commencement du moins – qu’il en est émouvant. Faut-il voir dans cet « étranger » une résurgence du Meursault de Camus ? Un jumeau ou un double ?

    Un conte cependant, au vu des apparitions/disparitions successives, le plus souvent poétiques, aériennes, sculptées par les vents qui soufflent autour d’Anton, dans la région des Baronnies ou dans la vallée du Petit Büech. Philosophique aussi, non pas tant dans la lignée d’un Candide voltairien – encore que l’Anton d’Alain Nouvel se révèle au fil des pages naïf et rêveur –, mais par le biais de la figure du « Théoricien disert », grand questionneur, grand admirateur des œuvres d’Anton, lequel ignore tout de lui. Et grand lecteur des romans de Giono :

    « Le romancier, comme Noé dans son arche, y rassemble et loge des « réfugiés », des personnages venus lui demander asile […]. Parce que la seule arche qui puisse protéger du déluge du temps, mieux que toute maison et mieux que tout grenier, c’est la coque étanche d’un roman, bâtie depuis le cœur d’un romancier. »

    En théoricien qui exprime alta voce ce qu’Anton cache au plus secret de lui-même, le double philosophique de l’auteur interroge :

    « Si les réseaux nous condamnaient ? Ou plutôt, nous faisaient dire oui au déluge, à la noyade, à la mort de l’oubli en nous divertissant. »

    Anton écoute, parfois distrait par les rumeurs de la vie, d’autres fois par la forme même que prend le discours chez son double, superposant sur sa parole ses propres images :

    « Il discourait comme je joue de l’orgue, en déplaçant en rythme son centre de gravité, de façon à ce que sa langue, ses lèvres et ses mains, se posent sur les mots comme les miennes et mes pieds se posent sur les touches, les marches, à l’instant T. »

    Face aux discours du Théoricien, Anton se lance à son tour et ose cette question : « Mais toi, au fond, qui tu es ? » Question réversible que l’on pourrait lui retourner : et toi, Anton, qui donc es-tu ?

    Anton est celui qui dit de lui : « J’écris, je crie au monstre que je suis, au Minotaure au fond du Labyrinthe ». Il est celui qui se cherche à travers le miroir que lui tend son entourage. Ces êtres de chair et de rêve qui jalonnent sa vie, ses errances, ses doutes et qui l’accompagnent dans son cheminement. La « vieille au balcon » ; Aimée ; le Théoricien » ; la « Petite » ; le peintre ; Feng et les autres. Violaine, Virginie, Vitalie, « les trois déesses charnelles » capables d’abolir « les dieux-idées… ».

    Selon le Théoricien, Anton est « le grand maître du vent ! ». Qu’il joue de l’orgue dans les églises ou de l’alto au col de Perty, la musique le suit partout où il va. C’est qu’Anton est un homme de la nature, tout proche d’elle, en symbiose quasi orgastique avec elle, pour ce qu’elle offre d’espace, de solitude, de liberté. Et de révélation. En cela, il se sait proche de son double idéal. Anton Bruckner. Comme le compositeur autrichien, fils de paysan, modelé par le limon de la terre et, comme lui, sensible à ce que la nature offre de plus exaltant à l’homme. Avec la musique.

    Avec ses questionnements et ses discours, le Théoricien, tout en explorant sa part d’ombre, pousse Anton dans ses retranchements. Ensemble ils mettent au jour ce qui les compose l’un et l’autre :

    « Nous rions lui et moi de bon cœur et je le laisse aller ; il me plaît comme un personnage. Il s’entoure de sa parole comme je m’entoure d’orgue et de chants. »

    Dans le duo qui conduit leur échange, ce qui se révèle en ombre chinoise, c’est la personnalité de l’écrivain. Ses aspirations transparaissent dans la parole du théoricien – être reconnu (comme écrivain comme musicien), être admiré, être aimé. Par plusieurs femmes à la fois et en même temps. Ce à quoi il aspire aussi, c’est à être capable, comme La Fontaine jadis ou comme Jean Giono, d’inventer « le seul lieu qui leur soit vivable, un monde étanche et ignoré des assassins : leurs fables, leurs romans. »

    Ensemble ils forment un Janus bifrons. Un avers et un revers, l’un habitant à Beauvoisin et Anton à Mauvoisin, le village d’en face, « versant nord ». Pourtant, tout n’est pas si simple, tout n’est pas si tranché. Le Théoricien se révèle un jour être un être de douleur. De cela il fait l’aveu à son ami :

    « Tu ne sais pas ce que c’est de vivre double, triple ou trouble. Tu ne sauras jamais. La musique ça réunit quand la parole sépare. Tant pis, tant mieux pour toi. Tu es trop simple, trop uni, trop vivant pour ce que je suis. Moi, j’ai passé ma vie à dire oui, puis non, à me soumettre ou bien à fuir. »

    Disparition du Théoricien. Pour Anton demeure l’orgue. Son orgue. Sa façon à lui « de monter au plus haut, et tout seul, à travers les tuyaux érigés, chanter seul comme une forêt… ».

    Anton ? Un beau récit intimiste où s’exprime pleinement le lyrisme de l’écrivain. Et son talent de conteur. Tant musical que poétique.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Anton 2







    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.



    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes


    Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest (lecture d’AP)
    [Tu bois, aux sources de la foudre] (extrait de Pas de rampe à la nuit ?)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Mediapart)
    une notice bio-bibliographique sur Alain Nouvel





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  • Terres de femmes | Terre di donne : 12 poètes corses

    par Alain Nouvel

    Terres de femmes | Terre di donne
    12 poètes corses,

    anthologie bilingue (français-corse)
    coordonnée par Angèle Paoli,
    Éditions des Lisières, Collection Hêtraie
    (voix poétiques féminines bilingues), 2017.
    Linogravure de Maud Leroy.



    Lecture d’Alain Nouvel



    COULEURS DE FÉMININ(S) ?



    « rien ce soir

    rien au couchant

    rien à l’aube

    rien »

    Marianne Costa,

    « Solstice d’hiver »



    « La femme, ce continent noir », soupirait Freud, et Lacan poursuivait en affirmant : « La femme n’existe pas ». Or, Terres de femmes | Terre di donne nous donne à lire 12 « poètes » au féminin, et non pas 12 « poétesses ». C’est que le féminin n’est pas dans les images stéréotypées de « LA » femme, ou de ce que devrait être une prétendue « poésie féminine ».

    Ce que j’ai entendu, en lisant ces voix de femmes (et l’objet-livre donne à entendre-voir ces « noms de femmes », appelés l’un après l’autre, avant chaque corps de texte), c’est la couleur du féminin, et, pour tout dire, les multiples couleurs des féminins.

    Le titre du recueil, déjà, renseigne. Le pluriel est de mise. Même si ces femmes sont toutes corses (ou apparentées corses), leur île est multiple. D’ailleurs chacune est « isolée » chaque fois des autres par une page blanche, comme par une étendue marine. Avec chaque poète, nous touchons un nouveau rivage, une terre nouvelle, autre.

    « Nul ne sait que je suis étrangère », dit Catherine Getten Medori, mais nul n’ignore que nous le sommes tous, et Danièle Maoudj, dans son poème dédié à Angèle, semble répondre en évoquant les Antilles : « J’atteins la prunelle du volcan » ou encore : « La nuit des mots épice l’insomnie des archipels » […] C’est que « [m]aronne le sens de la vie », et la poésie pourrait bien m’inviter « à traverser l’épreuve de l’étrangère »…

    Que savons-nous de nos prétendues « identités », de nos genres ? Ne sommes-nous pas obscurs à nous-mêmes ? Comme le dit Anne Marguerite Milleliri : « L’enfance tremble jusqu’aux os | dans le corps d’une femme » et si « [t]remble l’absence », alors, il ne reste plus que « le risque du chemin », « ce risque d’amour qu’est l’amour », et Lucia Santucci semble lui faire écho en faisant chanter « le marin qui s’improvise sage-femme » et qui accueille dans ses bras le nouveau-né de « l’africaine, la migrante ».

    Mais c’est Hélène Sanguinetti qui apporte à cette question la réponse la plus radicale et la plus forte :

    « Le mal ? vouloir tout […] Ici, je sais qui je suis : personne. »

    C’est sur une plage que la révélation peut avoir lieu, au moment où se confondent la mer et la nuit, au moment où « deux surfaces se sont éprises, battent ensemble ». Et l’on peut également penser à ce « Personne » que fut Ulysse.

    Nous sommes nos contradictions, nous en vivons, elles nous bâtissent. « Une mère pleure », dit Marianghjula Antonetti-Orsoni déplorant la guerre qui « anéantit les couleurs de l’humanité », et Angèle Paoli évoque, elle, « l’ultime conciliabule » entre une mère et sa fille, ce passage terrible de la vie au trépas de « mamma », ce moment où « ELLE EST » tandis qu’elle n’est plus, où « elle » passe d’ici en ailleurs, où elle devient autre, où elle devient tout.

    Peut-être que l’un des traits les plus caractéristiques du « féminin » serait cette aptitude à la métamorphose, ce « oui » dit au passage, à l’accueil de l’autre, en soi ou avec soi. D’ailleurs, nous lecteurs, glissons sans cesse de la langue corse au français, du français au corse comme pour mieux entendre ce qui se dit entre les mots, ce qui s’élabore à travers eux et leur échappe. La poésie est dans cet écart, dans ce mouvement de l’une à l’autre langue : « mer masculine en notre langue, mer-femme en d’autres langues », dit Lucia Santucci. Et Marie-Ange Sebasti continue en inventant en corse le mot Migrazione, qui n’existe pas encore mais qu’elle fait exister dans son poème. Elle parle de « villes grouillantes » dans la version française de son texte, ce qui est traduit en corse par cità bufunime (mot à mot, « villes bourdonnantes »)… Nous avons besoin des deux, du grouillant et du bourdonnant, pour entendre et voir ces villes.

    Après vous avoir lues, poètes, j’ose vous dire :

    « Je me sens femme comme vous, poète et corse, comme vous. »



    Alain Nouvel
    D.R. Texte Alain Nouvel
    pour Terres de femmes




    ______________________________________
    NOTE : Les auteures :

    Marianghjula Antonetti-Orsoni, Marianne Costa, Patrizia Gattaceca, Annette Luciani, Danièle Maoudj, Catherine Medori, Anne Marguerite Milleliri, Angèle Paoli, Isabelle Pellegrini-Alentour, Hélène Sanguinetti, Lucia Santucci, Marie-Ange Sebasti.





    Terre di donne Z
    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.




    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes

    une lecture d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Angèle Paoli



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions des Lisières
    → (sur le site des éditions des Lisières)
    la fiche de l’éditeur sur Terres de femmes | Terre di donne, 12 poètes corses
    → (sur Terres de femmes)
    Kallistè, la Corse, ma terre de mémoire





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  • Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest

    par Angèle Paoli

    Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest ,
    Éditions des Lisières, Collection Coléoptère,
    26110 Nyons, novembre 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Baronnies
    Le pays existe. Je l’ai rencontré. Il prend la forme et l’envergure que lui
    donne l’écrivain. Il se situe à la lisière. Entre Drôme Provençale et
    Hautes-Alpes. C’est le terroir des Baronnies, avec ses hauts plateaux,
    ses vallées profondes que l’ombre habite comme les vents qui s’engouffrent
    dans les cavités des gorges, dans les failles et les grottes.
    D.R. Ph. Régine Santelli, juillet 2016








    « JE TOURNE MON REGARD VERS DEHORS »



    Elles sont sept. Sept nouvelles rassemblées sous le titre Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Sept récits, écrits et rassemblés ici par Alain Nouvel sous un intitulé de prière-profane, liée/livrée aux quatre points cardinaux. Un credo qui court tout au long du recueil et qui oriente l’orant :

    « “Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest” ; finalement le signe de la croix permet de bien se situer par rapport à la seule transcendance à laquelle je crois, ces astres d’où nous sommes nés. » (« Au col du Perty »).

    La maison du magicien-conteur qu’est Alain Nouvel se fait l’écho silencieux de ce credo en harmonie avec le « passage des vents, des nuages, du temps. » Comme les récits qu’elle nourrit de son esprit, elle est habitée par l’ombre qui est à elle seule « un pays, l’hiver, avec ses frontières, ses liserés et ses lisières. » Elle donne son nom à l’une des nouvelles. Danse l’ombre est bercée par les grands silences des montagnes qui la protègent. Montagne de Lure/La Baume Noire/la Nible/le Ventoux. La maison de l’auteur, un poète à la prose admirable, ravit. On se prend à rêver de s’y blottir, on s’y pelotonne, on s’y laisse bercer pour savourer, dans une demi-veille, le mystère du recueil. Le poète y vit seul. Seul avec ses songes, avec ses fantômes et ses feuillets qui s’amoncellent, ses livres, ses contes et le silence. « Un grand silence musical, transparent ». Un silence peuplé cependant de voix, vibrant de notes inouïes. Un silence qui pétrit son homme ; comme les mains pétrissent les mots ou le pain.

    « Quand je pétris le pain, les mots, toujours, vont et viennent. […] Aussi, je n’arrête jamais de pétrir ni d’écrire, c’est le même métier. » (« L’orgue et le pain »).

    Le pain, les mots la neige sont de la même essence. Pétrissables.

    « Le matin, j’ai pris un peu de neige entre mes doigts, l’ai malaxée, j’ai pensé à la farine que je pétrissais et qui résistait, tiède, à ma poussée, tandis que la neige, elle, ne résiste pas. »

    Au silence est aussi liée la musique. L’une est l’envers de l’autre. Tous deux indissociables. Pour le conteur mélomane, l’orgue joue une partition singulière. Comme celle, inédite, dont Tournelâme Fraîchardie, maître de chapelle de Rosans, est l’inventeur. Une « non-musique » semblable à « une eau de source », délivrée par un instrument muni de « deux mains expertes » qui vont se saisir de l’organiste :

    « quand l’orgue se déchaîne, je me sens vibré jusqu’à l’os, sculpté par ces deux mains des aigus et des graves. Chaque dimanche, la farine et l’eau de ma vie sont pétries par un chant nouveau. Il n’y a pas de mots pour ça. Je reste muet. Je me sens exulter et crier sous la foudre sonore de l’orgue comme un pain qui se cuit. »

    Étrange comparaison filée qui se tisse autour de l’orgue, établit des points de rencontre permanents entre divers registres qui constituent l’essence même de la prose poétique d’Alain Nouvel. Un peu plus loin, dans le même récit, on retrouve au sommet de la Nible la même exaltation :

    « Quand je franchis la porte, que je m’allonge sur le sommier de bois et que je me couvre de la tête aux pieds, j’entends longuement le vent chanter, parler, prier, et c’est comme un autre orgue qui me fait vibrer, un orgue nocturne et céleste, un orgue stellaire, le grand orgue de l’univers. »

    D’autres orgues encore peuplent les récits d’Alain Nouvel. Celui, liquide, de la roue à aubes qui jouxte sa maison.

    « Ma maison est liquide, presque, construite en galets oblongs, tout en rondeur, tout en longueur, sans aucun angle, épousant les courbes de la rive. Ma maison appelle la caresse. »

    La roue à aubes, elle, fournit au narrateur de la nouvelle — « L’orgue de la Sorgue » — une infinité de sons qui varient avec les saisons et le débit de l’eau. De quoi inventer de petits instruments comme ce « hurle-loup » qui imite « les plaintes d’une meute » ou bien cet « orgue-à-bouche-rossignol », taillé dans les branches, « sureaux et frênes creux ». Et si le narrateur tire de cet « instrument éphémère et fragile » une musique qui le bouleverse, c’est qu’elle lui révèle ce que nous sommes.

    « C’est qu’elle est comme nous dans le temps, éphémère, et que sa danse et ses trébuchements sont l’image terrible et sublimée des nôtres. Chaque son produit l’est maintenant, pour la première fois et à jamais, et puis ne sera plus. »

    La voix d’Alain Nouvel guide le lecteur. Elle le conduit en des lieux reculés mais aussi dans des rythmes et sinuosités que la langue d’aujourd’hui n’explore plus guère. On y goûte la saveur oubliée des grands textes d’Henri Bosco et de Jean Giono, paysages palimpsestes peut-être dont la lumière affleure sous les pages. On suit le marcheur infatigable sur les sentes des montagnes à la rencontre des nuages et du ciel ; à la rencontre parfois d’un chevrier ou de quelque bergère. À la rencontre de lui-même et de ces autres, ombres multiples, inattendues que l’on porte en soi. Double féminin ou ombre d’un frère défunt dès avant la naissance.

    « Une inconnue me visite dans mes rêves chaque nuit, et même… pendant mes insomnies. […] Cette inconnue, j’ai peu à peu découvert que c’était… la femme que je ne suis pas. Celle que je suis au contraire, mais par intermittence et de façon secrète… Cela fait tout de même étrange de se découvrir femme et d’observer celle qu’on aurait pu être, qu’on aurait été si… »

    Quant au frère défunt, s’il se permet de se manifester au vivant, c’est que celui-ci a « choisi de vivre avec l’ombre, avec les ombres. » Il lui parle et se confie :

    « Tu resterais plein sud, dans la lumière, je ne pourrais pas t’approcher ni t’apparaître, tu n’envisagerais même pas que je puisse avoir un visage. Mais tu es là, dans ta maison au nord, dans sa pénombre si parlante et il me semble que c’est cela, cette lumière incertaine, qui permet à mon ombre de danser avec toi. Je voulais te remercier de cela. »

    Le récit frôle parfois le fantastique. Le Horla de Maupassant rôde, « bien plus humain, bien plus tendre, bien plus animal que les Horla-robots que nous promet la science… J’ai toujours eu de la tendresse pour ce Horla. C’est qu’il est un être vivant, lui aussi, qu’il peut mourir et que le feu peut le détruire. Décidément, je suis bien trop humain pour n’être qu’un théoricien. » [« À la lumière de Baume Noire (Monologue d’un théoricien) »].

    Chaque nouvelle est différente de la précédente mais, ainsi rassemblées, ces nouvelles offrent une voix qui résonne de sa musique singulière. On y croise des personnages excentriques et mystérieux de la même envergure que le Casagrande de L’Iris de Suse, l’ultime roman de Giono. Des personnages imprévisibles, comme le géant Giovanni Strozza rencontré dans une hôtellerie abandonnée. Le décor et les personnages de cette dernière nouvelle — « La neige avant qu’elle tombe à Rémuzat » — semblent appartenir à un autre monde et l’on ne parvient plus à distinguer s’ils existent vraiment ou bien s’ils émanent des songes de l’auteur.

    On baigne dans une atmosphère sauvage, en parfaite symbiose avec la nature et le cosmos. Une force tellurique traverse, qui évoquerait celle lointaine mais toujours sensible d’une Philis de la Charce retranchée en son château-éperon, en surplomb de l’Oule (absente du récit, je m’attendais pourtant à la voir surgir au détour d’une phrase).

    « Je décidai donc d’aller vers le nord et de remonter la vallée de l’Oule, vers La Motte Chalançon. J’allais me mettre en route à pied, dans le froid coupant du petit matin d’hiver […] Ce n’était plus un chemin d’aujourd’hui, son asphalte noir bien lissé, non, c’était une route empierrée, blanche, poussiéreuse et sentant la terre. Je l’avais décidé ainsi, j’irai dans un autrefois. J’allais m’enfoncer dans un pays qui n’existait pas. »

    Le pays existe. Je l’ai rencontré. Il prend la forme et l’envergure que lui donne l’écrivain. Il se situe à la lisière. Entre Drôme Provençale et Hautes-Alpes. C’est le terroir des Baronnies, avec ses hauts plateaux, ses vallées profondes que l’ombre habite comme les vents qui s’engouffrent dans les cavités des gorges, dans les failles et les grottes. Mais la vraie maison d’Alain Nouvel est l’écriture, une écriture elle aussi à la croisée des chemins :

    « Je comprenais que ma maison c’était d’errer de mot en mot, tantôt dans une fiction finie et achevée, avec tout le confort, tout bien tracé, balisé, repeint de neuf, une forme complète, tantôt dans ces trames incertaines et fuyantes, filandreuses, pleines de trous , des haillons de pensée, des ruine en construction qui ne protégeaient pas des courants d’air. Il me fallait les deux, et surtout, me trouver devant le vide d’une route, qui s’ouvrait vers je ne sais qui, je ne sais quoi, un autre monde… »

    « Je tourne mon regard vers dehors ».

    Au dehors, une lumière dorée joue encore pour quelque temps dans le squelette de ma treille. Il fera bientôt nuit. Je referme mon livre. Mais je sais qu’il m’accompagnera dans cette traversée d’hiver.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Alain Nouvel,







    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.




    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes


    Anton (lecture d’AP)
    [Tu bois, aux sources de la foudre] (extrait de Pas de rampe à la nuit ?)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la revue Possibles)
    une recension d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Pierre Perrin
    le site des éditions des Lisières
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Georges Guillain





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