Étiquette : Albert Woda


  • Valéry Meynadier | Daou



    DAOU




    Le Daou. Un corps. Juste baiser. Tu me plaisais bien. Comme tu me dis aujourd’hui : je t’aime un peu.

    Piégée.

    Je sentais en toi le commencement de mon cri. Juste une sensation.

    Quant à te décrire, tu m’en vois dans l’impossibilité. Tu ressembles plus à l’élément qu’à l’être humain et déjà, ce n’est plus vrai, les mots n’ont pas de prise sur toi.

    Tu as de grandes oreilles de petite souris.

    Voilà, déjà, tu as les oreilles décollées. Un visage de plein air, un sommeil de plein air, près de toi, je prends une autre respiration.

    Je te croyais une fantaisie charnelle, tu es mon abécédaire, ma soif et ma faim.

    Et mon sommeil n’en croit pas ses rêves. Lui, implacable guerrier solitaire, tu lui manques, il te cherche la nuit.

    Il me réveille, me demande où tu es…

    Hier, ton corps était là, chez moi — interlude sans nudité.

    Je m’enfonçais dans le mur sous la pression de tes doigts, de ta langue… sous une latitude où les règnes se confondent, le ciment devenait mousse… j’escaladais des prières abruptes comme des montagnes —

    Quand le téléphone a résonné

    […]

    – « Fais l’amour ! Le monde t’oubliera »

    Dans mon élan du monde qui oublie, je me retourne. Il est là. Assoupi sur le canapé. Il nous garde au chaud dans sa somnolence. Je respire.

    Un corps. Juste un corps.

    Je n’ai pour mémoire que mon sexe aujourd’hui.

    Il était en train de naître quand ma tante m’a dérangée.

    Mes lèvres balbutiaient une langue nouvelle.

    Ce corps, cette fille aux petits yeux fripons clos sur cet instant, au cœur des choses…

    Juste une fantaisie charnelle.

    Je croyais.

    C’est en aimant qu’on devient quelqu’un d’autre.

    Ma tante n’a jamais aimé de sa vie. Elle est restée imperturbablement elle-même jusqu’à cette misère qui suinte de sa langue.

    Mêler sa langue à une autre langue, c’est ça qu’elle devrait faire.

    […]

    C’est la nuit qu’elle me manque. Mon sommeil est amoureux de son sommeil. Ça ne m’était jamais arrivé d’aimer un sommeil.

    En général, c’est une matière qui m’embarrasse chez l’autre.

    Là…

    Quelquefois, elle s’endort sur moi, je sens un à un tous ses muscles se relâcher. Son souffle s’apaise. Sa bouche s’ouvre délicatement, elle me bave dessus absolument relâchée. Je ne savais pas encore que son petit corps pouvait se bander à ce point.

    On a dormi ensemble avant de faire l’amour.

    Dormir ne regarde que soi, pensais-je avant.

    Le sommeil de cette fille me regarde, me dis-je aujourd’hui. Je n’ai jamais rencontré un sommeil pareil.

    Eau massive, noyade sans noyade, je nage en elle quand elle dort, je ne peux plus jamais mourir, mon souffle est ailleurs qu’en mes poumons.

    Moitié femme moitié air. Juste de quoi vivre.

    Je vais apprendre à dormir comme le dauphin, d’un seul hémisphère.

    De l’autre, je nous observe.

    Qu’est-ce qui fait que j’aime dormir avec toi ?

    Jouir, à la rigueur. Mais dormir…

    La première chose quand elle s’en va : trouver le calme.

    Respirer.

    Chez moi c’est trop plein d’elle.

    Fuir la brûlure de l’espace que laisse l’orgasme derrière lui.

    Fuir au plus loin de nous.

    Je dois l’oublier, l’oublier, sinon, c’est moi que j’oublie. Je ne me reconnais plus.

    Jouir avec elle me coûte cher, très cher.

    L’oublier me demande une véritable mise en œuvre de détachement.

    Architecte en détachement, vous connaissez ?



    Valéry Meynadier, Divin danger, éditions Al Manar, Collection Erotica, 2017, pp. 35-39. Dessins Albert Woda.





    Valéry Meynadier  Divin danger





    VALÉRY MEYNADIER


    Valéry Meynadier
    Source




    ■ Valéry Meynadier
    sur Terres de femmes


    Divin danger (lecture d’AP)
    [Je veux choyer votre absence] (extrait de La Morsure de l’ange)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Valéry Meynadier
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur sur Divin Danger
    → (sur Aller aux essentiels)
    d’autres extraits de Divin Danger





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  • Tal Nitzán | [La vérité et moi nous sommes colocataires]



    Obscurité, l’autre, lumière.
    Ph., G.AdC






    [LA VÉRITÉ ET MOI SOMMES COLOCATAIRES]




    La vérité et moi nous sommes colocataires.
    Du fait que j’ai emménagé avant elle
    ma chambre est plus grande que la sienne. Du fait
    que je dors tard et qu’elle se réveille tôt
    nous partageons chaque jour seulement
    huit heures, la moitié d’entre elles
    est obscurité, l’autre, lumière.

    Certains matins elle
    est impatiente de me réveiller, hésite au coin de ma chambre
    tandis que vertigineusement je tombe de rêve
    en rêve en rêve, et sa petite
    main, serrée pour toquer,
    projette sur ma porte
    l’ombre tremblante
    d’un oiseau noir.



    Tal Nitzán, Look at the Same Cloud Twice, Keshev, 2012 (Hebrew University Dolitzky Prize, 2013) ; Deux fois le même nuage, Al Manar, Collection Poésie, 2016, page 42. Traduit de l’anglais par Alain Gorius en collaboration avec l’auteure, et de l’hébreu par Denise Boucher et Marlena Braester. Avant-dire d’Yvon Le Men. Gravures d’Albert Woda.






    Tal Nitzan, Deux fois le même nuage







    TAL NITZÁN


    Tal Nitzan
    Ph.: Amit Zinman
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Tal Nitzán (+ cinq poèmes)
    le site personnel de Tal Nitzán
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Tal Nitzán lus par leur auteure
    → (sur Droit de cités)
    une anthologie de poèmes (traduits en français) de Tal Nitzán (établie par Philippe Beck)





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