Étiquette : Alda Merini


  • Alda Merini, La Folle de la porte à côté

    par Angèle Paoli

    Alda Merini, La Folle de la porte à côté
    (La pazza della porta accanto, Bompiani, 1995),
    suivi de La poussière qui fait voler,
    conversation avec Alda Merini,
    éditions Arfuyen, Collection « Les Vies imaginaires », 2020.
    Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Alda Merini  portrait Guidu
    Image, G.AdC







    « LA GRANDE OBSESSION DES MOTS »





    « J’ai toujours écrit dans un état somnambulique », affirme Alda Merini dans La Folle de la porte à côté. Entre éveil et sommeil ? Sous l’emprise des drogues ? Ou de la douleur ? Sans doute. Mais peut-être aussi sous l’emprise d’un état inné d’exaltation permanent. La parole d’Alda Merini, ombrée par les volutes de fumée de ses cigarettes Marlboro, est celle d’une pythie.

    Foncièrement rebelle, contradictoire, survoltée, oscillant entre l’appel de la vie conventuelle et les fulgurances amoureuses, la poète milanaise proclame haut et fort ce qui lui tient à cœur et ce qu’elle pense. Cruelle, violente, passionnée, l’infatigable Alda Merini s’insurge. Contre la misère, contre la folie, la sienne et celle des autres, contre les convenances et les paillettes imposées par une société qui refuse les antagonismes, qui impose à chacun des voies uniques, des surfaces lisses et planes. Des itinéraires dont la Merini n’a que faire et auxquels elle ne se plie pas. Dans le récit intime qu’elle livre en 1995 — La pazza della porta accanto, Bompiani, Milan (La Folle de la porte à côté) — l’effrontée de soixante-quatre ans présente d’elle un portrait lucide, authentique, dérangeant. Émouvant et drôle. Plein d’humour et d’invectives ! Celui d’une femme débordante. Au physique et au moral. Une femme hors norme. Alda Merini est insaisissable. Insaisissable le personnage qui s’émeut, se défend, accuse, s’insurge. Insaisissable aussi l’écriture, qui demeure souvent énigmatique et échappe à une classification immédiate. Ainsi la poète se tient-elle à l’écart de toute tentative d’enfermement. « Je ne suis pas une femme domesticable », écrit-elle dans Aphorismes et magies. Il est certes possible de tracer à la volée quelques traits dominants. Innombrables et tourmentées, les amours d’Alda Merini firent couler beaucoup d’encre ; la naissance des quatre filles, suivie de l’expérience douloureuse de l’arrachement des deux dernières, Barbara et Simona ; la folie et les séjours répétés en hôpital psychiatrique. La torture de l’internement, électrochocs et hystérectomie. La douleur. De cette expérience « infernale, humaine et déshumanisante » naîtront les quarante poèmes de La Terra Santa, œuvre majeure d’Alda Merini, publiée chez Scheiwiller en 1984. Ainsi la poète écrit-elle, dans le poème qui donne son titre au recueil, ces vers terribles et tellement puissants [Ho conosciuto Gerico]&nbsp:

    « J’ai connu Jéricho,

    j’ai eu moi aussi ma Palestine,

    les murs de l’hôpital psychiatrique

    étaient les murs de Jéricho

    et une mare d’eau infectée

    nous a tous baptisés.

    Là-dedans nous étions Hébreux

    et les Pharisiens étaient tout en haut

    et il y avait aussi le Messie

    perdu au milieu de la foule :

    un fou qui hurlait au Ciel

    tout son amour en Dieu. » *

    Et pourtant, paradoxalement, Alda Merini affirme que « la folie est l’une des choses les plus sacrées qui existent sur terre. » Un paradoxe qui prend tout son sens à la lumière de l’explication qu’elle donne.

    « C’est un parcours de souffrance purificatrice, une souffrance comme quintessence de la logique. »

    La Folle de la porte à côté se déploie sur quatre chapitres d’une prose éblouissante : L’amour/La séquestration/La famille/La douleur. Chacun de ces chapitres est introduit par un poème en lien étroit avec la thématique abordée. À quoi vient s’ajouter une « Conversation avec Alda Merini », « La poussière qui fait voler ». C’est sur cette image inattendue, si belle et si émouvante, que se clôt la confession non impudique et magnifique de la poète :

    « Je ne sais pas si le papillon a des ailes, mais c’est la poussière qui le fait voler.

    Tout homme a les petites poussières de son passé, qu’il doit sentir sur lui et qu’il ne doit pas perdre. Elles sont son chemin. »

    Cigarette à la bouche, bouteilles de Coca-Cola à portée de main, Alda Merini préside. Dans son appartement milanais du Naviglio Grande où règne un désordre indescriptible et où s’amoncellent en piles instables livres et documents, elle reçoit. Journalistes, éditeurs, amis, poètes. Couverte de bijoux et colifichets, colliers de perles en sautoir, bagues énormes aux doigts et ongles peints, œil pétillant et langue acérée, elle reçoit. Pose nue, poitrine abondante et ventre rebondi, elle reçoit et se livre. Odalisque au regard de braise. Provocatrice et tendre. Elle évoque, intarissable, ses deux maris, celui de sa jeunesse, Ettore Carniti, père de ses filles et boulanger de son état ; celui de sa maturité, Michele Pierri, médecin et poète de Tarente qu’elle épouse en 1984. Elle évoque ses chers amants, tous plus beaux et plus fous les uns que les autres. L’étrange Titano, clochard vagabond, « grand personnage du Naviglio » qui suivait la poète dans ses « longues et complexes pérégrinations mentales ». Le père Richard, « impérieux, jeune, agressif et superbe », qu’Alda Merini aime d’un amour absolu. Alberto Casiraghi, éditeur des Aforismi (« Aphorismes ») de Merini ; et le grand-prêtre de la nouvelle avant-garde Giorgio Manganelli. Pour ne citer que quelques noms. Évoquant sa relation avec Manganelli, Alda Merini écrit :

    « Tous deux spécialistes du Trecento, et tous deux ardents dans la passion comme dans l’existence, nous avons toujours poussé à l’extrême notre amitié. Jusqu’à la faire devenir comme le chant de la neige. Un élément d’une élection visionnaire qui aurait fait envie à Gabriele D’Annunzio. »

    Ardente, Alda Merini l’est en toutes circonstances et dans tous les domaines. Y compris dans celui de sa folie. Elle est du côté des extrêmes. Troubles bipolaires ? Schizophrénie ? Alda Merini se définit comme telle. Ainsi explique-t-elle sa double personnalité antithétique :

    « Il y a en moi l’âme de la putain et de la sainte.

    Parce que je peux changer quand je veux et, comme une schizophrène, je peux aller me promener, dormir, faire mes courses comme si tout était normal. Il m’est facile de tromper mon prochain.

    Le fait d’être une histrionne est aussi un élément positif, car, derrière le masque aux mille apparences, il y a un inconnu qui ne veut pas être reconnu. »

    Troubles de la personnalité et dédoublements ? Alda Merini semble être à elle-même son propre bourreau comme en témoignent ces lignes extraites d’une lettre qu’elle adresse à l’éditeur Armando Curcio :

    « La fièvre. J’ai eu de très fortes températures que je n’ai jamais prises, mais c’était davantage une grande rébellion, et avant tout une conspiration contre moi seule, très ardente, contre l’unique barreau du souvenir. J’ai beaucoup aimé ce barreau, tu sais, et il m’a semblé la puissante tige d’une fleur. »

    Dans la même lettre, elle se dit prisonnière « de la folle de la porte à côté. » Est-ce d’elle qu’elle parle ? Est-ce d’une voisine ? D’une autre ? Le fou est toujours l’autre. Mais pour les autres, pour les habitants du Naviglio, pour ceux qui la croisent dans la rue, l’observent, la lisent, l’écoutent, la folle, c’est bien elle. Il lui arrive de lancer à ceux qui la reconnaissent :

    « Alda Merini, ce n’est pas moi, je suis son sosie ».

    Ailleurs, elle se défend en se définissant comme « normale ». La clochardise était un choix de Titano. Le sien était la folie. La folie est son piège, sa cage, son labyrinthe cerné de murs. Et c’est du Naviglio, ce quartier de Milan hanté par la drogue, où Alda Merini a choisi de « poser » ses « ailes fatiguées », qu’émane la « calomnie » de sa folie.

    La Folle de la porte à côté est son double métaphorique, comme l’est aussi le concierge de son immeuble qui lui cause « d’effroyables insomnies ». Personnage inquiétant mais bien réel, il a pris une signification secrète dans l’esprit d’Alda Merini.

    « C’était moi, mon moi le plus obscur. Une figure magique, jamais identifiable parce qu’elle était la peur même. La peur de l’injustice, de l’hôpital psychiatrique, de la misère. »

    Dans cette narration qui tient de la confession – publique/privée —, le flux de la parole se libère. Chaque page rend compte de cet état de transe permanent.

    Ainsi de ce paragraphe emprunté à la section « Séquestration » :

    « Je commence à comprendre qu’il y a eu un malentendu ; je n’étais pas poète, j’ai dû être un grand fakir, un sage. J’ai supporté des choses ignobles sans piper, en cherchant les raisons du mal. J’ai compris que le mal n’existe pas, comme le bien n’existe pas. C’est alors que je suis devenue nihiliste : le matin je prends ma tension, je me tâte le pouls et je me demande combien il me reste d’heures avant de monter sur cet échafaud qu’est la vie. J’offre ma tête à mes éditeurs pour qu’ils me laissent tranquille encore une fois.»

    Et l’écriture ? Et la poésie ? Elles ont à voir avec la passion amoureuse. Ainsi de sa passion amoureuse pour le père Richard (« un prêtre qui avait touché les cordes de [s]on âme »), Alda Merini confie-t-elle :

    « C’était l’une de ces passions qui déchirent, avec la peau écorchée qui vous tombe du corps, mais des passions qui font écrire. »

    La passion de l’écriture et des poèmes a elle-même très tôt commencé pour Alda Merini. La violence de son père, Nemo Merini, envers sa fille, déchirant sous ses yeux la critique élogieuse du critique Spagnoletti, aurait pu briser dans l’œuf l’élan créatif de la jeune fille. Le père a sans doute été un premier obstacle. Qu’Alda Merini a surmonté, mettant le geste paternel sur le compte du bon sens. Il y eut sans doute beaucoup d’autres obstacles. Devant lesquels elle ne recula pas. Car « pour le poète les obstacles sont inévitables, cette grande obsession des mots est devenue un chemin. » Comme l’amour et comme la folie :

    « Tu ne sais pas combien de fois je baise les grilles de ma maison qui ne s’ouvrent que si j’appelle à l’interphone la folle de la porte à côté. Et elle me laisse dehors comme une mendiante. Mais moi je sers sa nudité, son avarice et son évangile assassin. » (Incipit de La Folle de la porte à côté).



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _________________
    * Alda Merini, La Terra Santa, Oxybia éditions, 2013, page 91. Traduction française de Patricia Dao.






    Alda Merini  La Folle de la porte à côté




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    [È un petalo la tua memoria] (extrait de La Folle de la porte à côté)
    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    Ma poésie est vive comme le feu
    Mare
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur La Folle de la porte à côté d’Alda Merini
    le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)





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  • Alda Merini | [È un petalo la tua memoria]


    Alda Merini  portrait Guidu
    Image, G.AdC







    [È UN PETALO LA TUA MEMORIA]



    È un petalo la tua memoria
    che si adagia sul cuore,
    e lo sconvolge.
    Addio, come ogni sera,
    oltre le fratture c’è un cadavere
    eretto di discorso,
    sembra un frammento di un’eutanasia
    ma tu mi uccidi come sempre, amore,
    e riapri i miei eterni giacimenti.
    I sepolcri del Foscolo, gli addii
    di certe mani che non sono sepolte
    ed emergono futili dal nulla
    a chiedere giustizia di parole.







    [TON SOUVENIR EST UN PÉTALE]



    Ton souvenir est un pétale
    qui se couche sur mon cœur
    et le ravage.
    Adieu, comme chaque soir,
    au-delà des fractures il y a un cadavre
    érigé de parole,
    on dirait le fragment d’une euthanasie,
    mais tu me tues comme toujours, amour,
    et tu rouvres mes éternels gisements.
    Les sépulcres de Foscolo, les adieux
    de certaines mains qui ne sont pas ensevelies
    et émergent futilement du néant
    pour demander justice aux mots.




    Alda Merini, « L’amore | L’amour », La Folle de la porte à côté [La pazza della porta accanto, Bompiani, Milano, 1995 ; rééd. 2019], suivi de La poussière qui fait voler, conversation avec Alda Merini, éditions Arfuyen, Collection « Les vies imaginaires », 2020, pp. 24-25. Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.






    Alda Merini  La Folle de la porte à côté




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    La Folle de la porte à côté (lecture d’AP)
    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    Ma poésie est vive comme le feu
    Mare
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)





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  • Alda Merini | Mare

    «  Poésie d’un jour  »


    Hommage à la poète italienne Alda Merini, morte le premier novembre 2009, à l’âge de 78 ans, à l’hôpital San Paolo de Milan.





    Alda Merini






    MARE



    Cammino sulle mie acque di donna.
    Ti spiegherò che c’è un mare salato
    eun mare pieno d’amore.
    Lo spartiacque è stata la mia poesia.
    Con quella ho diviso i misteri del mare
    e il mio stesso mistero.
    Però ho capito che nelle piccole cose,
    come la mia modesta maternità,
    esistono mari infiniti.
    Dove si alternano seppie e lacrime,
    cose non viste e grandiosità di Dio.
    Ed ho capito che la poesia è inutile.
    Come la bellezza del mare,
    se non si pensa a chi l’ha creato
    che è un gran mistero.







    MER



    Je marche sur mes eaux de femme.
    Je t’expliquerai qu’il y a une mer salée
    et une mer pleine d’amour.
    La ligne de démarcation a été ma poésie.
    Avec elle j’ai divisé les mystères de la mer
    et mon propre mystère.
    Cependant j’ai compris que dans les petites choses,
    comme ma modeste maternité,
    il existe des mers infinies.
    Où s’alternent seiches et larmes,
    des choses jamais vues et grandeur de Dieu.
    Et j’ai compris que la poésie est inutile.
    Comme la beauté de la mer,
    si on ne pense pas à qui l’a créée
    qui est un grand mystère.



    Alda Merini, Dopo tutto anche te, Après tout même toi, Oxybia Éditions, 06620 Le Bar-sur-Loup, 2009, pp. 80-81. Traduction française de Patricia Dao.






    Alda Merini dopo tutto 2




    ALDA MERINI


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    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    La Folle de la porte à côté (lecture d’AP)
    [È un petalo la tua memoria] (extrait de La Folle de la porte à côté)
    Ma poésie est vive comme le feu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Repubblica)
    l’article nécrologique consacré à Alda Merini
    → (sur Danger Poésie)
    Après tout même moi, par André Chenet
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    Après tout même toi/Dopo tutto anche tu
    le site officiel Alda Merini
    → la notice consacrée à Alda Merini dans
    Wikipedia.it (en italien)
    → (sur le site de la revue Conférence)
    Aphorismes & Gri gri d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)




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  • Alda Merini | Après tout même toi/Dopo tutto anche tu

    «  Poésie d’un jour  »


    L’uomo quando imprigiona
    le bellezze della natura
    ed anche il volo degli uccelli,
    a volte, non lo fa per cattiveria.
    Io sono convinta che
    l’uomo quando si stupisce
    delle alte qualità di Dio e della natura
    può anche diventare un assassino.






    Le_bellezze_della_natura
    Ph., G.AdC





    Quand l’homme emprisonne
    les beautés de la nature
    et aussi le vol des oiseaux,
    parfois, il ne le fait pas par méchanceté.
    Je suis convaincue que
    quand l’homme s’étonne
    des hautes qualités de Dieu et de la nature
    il peut aussi devenir un assassin.




    Alda Merini, Après tout même toi | Dopo tutto anche tu, Collection noire et rouge : “disait le poète disait l’ouvrier” dirigée par Dom Corrieras, Oxybia Ėditions, 2009, pp. 40-41. Traduction française de Patricia Dao.






    DOPO TUTTO ANCHE TU


    Dopo tutto anche tu
    che dovrei sentire nemico
    e che perdono.
    Sei soltanto un uomo
    che cerca di capire
    e di non capire nessuno.
    La tua generosità
    è falsa come la mia.
    Nessuno di noi
    è talmente buono
    da far sortir
    miracoli dai versi.
    Nessuno di noi
    è talmente puro
    da dimenticarli
    per sempre.






    Miracoli_dai_versi
    Ph., G.AdC





    APRÈS TOUT MÊME TOI


    Après tout même toi
    que je devrais sentir ennemi
    et que je pardonne.
    Tu es seulement un homme
    qui essaie de comprendre
    et de ne comprendre personne.
    Ta générosité
    est aussi fausse que la mienne.
    Aucun de nous
    n’est assez bon
    pour faire sortir
    les miracles des vers.
    Aucun de nous
    n’est assez pur
    pour les oublier
    à jamais.




    Alda Merini, Après tout même toi/Dopo tutto anche tu, id., pp. 60-61.






    Alda Merini dopo tutto 2






        Dopo tutto anche tu est un recueil de 34 poèmes dictés au téléphone par Alda Merini à Angelo Guarnieri. Psychiatre de la réforme Basaglia qui « mit fin à un siècle de tortures et de misères médicales », Angelo Guarnieri est aussi poète. Il a publié un ouvrage dans lequel sont rassemblés les poèmes écrits par les patients des services pour la santé mentale de Gênes : Parola smarrita, parola ritrovata (« Parole égarée, parole retrouvée »), poèmes dont la lecture a ému Alda Merini et a scellé leur amitié.
         Dopo tutto anche tu a été publié en 2003 par l’éditeur génois San Marco dei Giustiniani et traduit en espagnol, en 2007, par Delfina Muschietti aux éditions Vox, de Buenos Aires. Cet ouvrage, traduit en français par Patricia Dao, est le premier recueil d’Alda Merini publié en France. Il a été présenté à la MC93 de Bobigny le 17 juin 2009.

         « Alda Merini est une comète, un météorite qui n’aurait jamais atterri sur terre, mais l’aurait frôlée de si près, que les êtres sur cette terre en ressentiraient au fond d’eux-mêmes la douleur éternelle… » (Dom Corrieras).




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
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    → (sur le site de la revue Conférence)
    Aphorismes & Gri gri d’Alda Merini







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  • 28 mai 1990 | Mort de Giorgio Manganelli

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 28 mai 1990 meurt à Rome Giorgio Manganelli.






    Image, G.AdC
    Giorgio_manganelli    Écrivain majeur de l’Italie contemporaine, poète, essayiste, romancier, traducteur, « maître de l’ironie sarcastique », Giorgio Manganelli est né à Milan le 15 novembre 1922. Connu pour ses nombreuses traductions ― celle de l’œuvre de T.S. Eliot, parue en 1952, celle de l’œuvre complète d’Edgar Poe parue en 1982 ―, Giorgio Manganelli est l’auteur d’essais rassemblés dans Littérature comme mensonge/La letteratura come menzogna, publié en 1967, Angoscie di stile (1981) et Laboriose inezie (1986). Pour Giorgio Manganelli, théoricien du désengagement, la littérature est « asiociabilité, provocation, mystification » et le langage, seule visée de l’écrivain. Quant à sa production poétique, peu connue du grand public, elle a été publiée il y a peu (juillet 2006) par Daniele Picini chez Crocetti.

        Dernier écrit de Manganelli, publié par Adelphi en 1991, Le Marécage définitif offre la « vision étincelante » d’un lieu frontière, « suprêmement dangereux », « répugnant et attirant » où se déroule l’aventure solitaire d’un narrateur et de son cheval. Un lieu énigmatique, « mystérieuse et taciturne patrie » du visionnaire que fut Giorgio Manganelli.






    EXTRAIT du MARÉCAGE DÉFINITIF


        Je chemine à présent, avec la chevalinité à mon côté, en un lieu obscur, une sylve, et ce n’est pas le marécage. Je regarde avec méfiance la chevalinité, et je lui demande où elle m’a conduit. Sa réponse est vague, dénuée de sens, et semble faire allusion à un lieu où je ne trouverai ni eau ni boue. « Tu ne voudras pas me conduire aux volcans ? » dis-je ; la chevalinité rit, et le rire de sa bouche, qui devrait être énorme, a quelque chose d’aimable, une grâce insidieuse ; de nouveau je sens que, à condition de ne pas abandonner la chevalinité ou de ne pas être abandonné d’elle, je suis prêt à en accueillir en moi, dans ma vie, toutes les dégradations les plus inguérissables. La chevalinité, pensé-je à présent, sait sûrement si le roi des volcans existe et s’il est amical à mon égard. Je me tourne vers la bête et je suis sur le point de lui poser la question quand je m’aperçois qu’elle porte sur la tête une minuscule couronne. Je m’étonne non pas tant de la couronne que de sa petitesse, comme si elle coiffait quelque chose de minuscule à l’intérieur de la chevalinité, quelque chose d’enfantin, et voici qu’elle sourit, une abstraction sourit, et peut-être cette abstraction est-elle le roi, l’associé, le dyarque qui m’a été assigné pour compléter la phrase grammaticalement fautive, l’anacoluthe de mon destin. Est-il possible que j’aie toujours été avec mon bien-aimé dyarque, et qu’il se soit travesti si astucieusement qu’il ne m’a jamais été permis de le reconnaître ? Mais en vérité je ne le reconnais pas même à présent, je marche à côté de la robuste chevalinité, l’abstraction qui ne craint pas le marais marécageux, et je m’aperçois seulement maintenant que la robustesse même est une partie de l’abstraction, la chevalinité renferme des petitesses que je voudrais retirer de leur écrin. Qu’il est étrange de dire « sylve », d’employer un mot si féerique et si courtisan, mais cette sylve est à son tour très féerique, et courtisane en ceci que c’est justement le genre de forêt où les filles de roi, ou les rois eux-mêmes, quand ils sont très jeunes, aiment à se perdre, et c’est ici que se cachent des murs démolis de palais royaux, sur les portes desquels est clouée la tête d’un cheval décapité, tué pour que de ses entrailles sorte l’âme royale, prophétique, omnisciente.


    Giorgio Manganelli, Le Marécage définitif [La palude definitiva, 1991], Le Promeneur, Éditions Gallimard, 2000, pp. 92-93. Traduit de l’italien par Dominique Férault.






    Manganelli
    Source



    In morte di Giorgio Manganelli, 28 maggio 1990

    I



    Piangere il vento della giovinezza
    o mio primo stendardo di cultura
    al tutto che diviene e che si annienta
    ritrovare il tuo volto solamente.
    Sei più vivo ora,
    la tua morte è si potente che somiglia a un mito
    e ne siamo sconvolti.
    Quante porte blindate, Amore, hai chiuso sul destino.



    Alda Merini, Vuoto d’amore, Collezione di poesia 224, Giulio Einaudi Editore, 1991 ; rééd. 2006, p. 86.





    Pleurer le vent de la jeunesse
    ô ma première bannière de culture
    au tout qui advient et qui s’anéantit
    retrouver ton seul visage.
    Tu es plus vivant maintenant,
    ta mort est si puissante qu’elle ressemble à un mythe
    et nous en sommes bouleversés.
    Combien de portes blindées, Amore, as-tu fermées sur le destin.



    Traduction inédite d’Angèle Paoli





    ■ Giorgio Manganelli
    sur Terres de femmes

    Scrivi, scrivi (poème)





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