Étiquette : Anaïs Nin


  • 21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a cent-dix ans, le 21 février 1903, naissait à Neuilly-sur-Seine Anaïs Nin.







    Anaïs Nin
    Image, G.AdC








    Fille du pianiste et compositeur Joaquin Nin et de Rosa Culmell, fille du Consul du Danemark à la Havane, Anaïs Nin est élevée dans un univers artiste et cosmopolite.

    Amie de Henry Miller, Anaïs Nin, auteure du poème en prose La Maison de l’inceste, publié en 1936, est surtout connue pour son Journal, tenu depuis l’âge de onze ans. Ce Journal de plus de quinze mille pages est une quête incessante d’identité.







    JOURNAL, février 1933


    Je ne veux vivre que pour l’extase. Les petites doses, les amours tempérées, tout ce qui est en demi-teintes me laisse froide. J’aime l’excès d’abondance. Les lettres que le facteur transporte en croulant sous le poids, les livres qui débordent de leur couverture, une sexualité qui fait sauter les thermomètres. Et je me rends compte aussi que je deviens June.

    Allendy me parle des recherches que je peux faire pour lui à la Bibliothèque nationale. « Vous voyez tout en poète. » Etait-ce un reproche ? « Vous me rappelez Antonin Artaud, mais lui est violent et coléreux, et je ne peux lui être d’aucun secours. »

    L’homme qui n’est qu’à demi-magicien vient jeudi soir. Comme je ne pouvais pas , ou ne voulais pas, me l’imaginer obligé de prendre un taxi, d’aller à la gare Saint-Lazare, de prendre un billet pour Louveciennes et de descendre dans la petite gare minable comme n’importe qui, je lui dis qu’une amie m’avait prêté une voiture et un chauffeur et qu’il serait transporté de façon magique de sa maison jusqu’à la mienne. Je lui dis que c’était la voiture de la comtesse Lucie, parce que la description que je lui en avais faite l’avait fasciné. Je voulais lui offrir un voyage comme celui, dans Le Grand Meaulnes, jusqu’à la maison dans la forêt où avait lieu un bal masqué. Poésie. Sur ce, presque tout mon argent du mois est passé à la location d’une voiture pour la soirée.

    Allendy est venu. Il a été enchanté par la maison, le jardin. Nous nous sommes assis en bas, dans le petit salon, près du feu.

    Au milieu de ces couleurs et de ces matières sensuelles, il paraissait déplacé. Un feu joyeux bondissait dans la cheminée que j’ai trouvée aux Arts décoratifs ; elle est en mosaïques marocaines avec un riche motif dans les bleus et quelques touches d’or. Allendy l’a admirée comme quelque chose d’exotique. Les reflets de feu jouaient dessus, sur les murs couleur pêche, sur le bois sombre, sur les bouteilles de vin espagnol.

    Les deux cents ans de la maison lui donnent l’air de s’être confortablement enfoncée dans le sol. Ce n’était pas une illusion. Elle s’était tassée et les angles du plafond et des murs étaient de guingois. Dans la chambre, en particulier, le plafond est tellement en pente que, parfois, lorsque l’on regarde par la fenêtre on a la sensation d’être en bateau, à cause de l’inclinaison.

    Allendy a tout admiré. Il était ébahi de la solidité du cadre que j’ai créé : à l’extérieur, je donnais l’impression d’être une créature éphémère, fragile, dépaysée dans le monde et prête à s’évaporer.

    Du coup, il me voyait comme un être humain.

    « À dix-huit ans, dit-il, j’ai voulu me suicider. Ma mère me donnait de la femme une idée fausse. »

    Tout comme mon père me donnait à penser que tous les hommes étaient égoïstes, incapables d’aimer, volages.

    Après quoi, afin de prouver la véracité de l’image, on cherche des gens qui correspondent à cette image, qui corroborent cette supposition, cette généralisation.

    Que c’est merveilleux d’acquérir une connaissance objective des autres.

    Lorsque Allendy déclare : « Je suis vieux et froid », je devine l’homme obscur, enseveli, noyé, éclipsé qui a été étouffé par sa mère.

    Nul n’est jamais né sans cette lumière, cette flamme de vie. Un événement ou une personne peut l’étouffer ou la détruire pour toujours. J’ai toujours éprouvé le désir de ressusciter de tels hommes grâce à ma joie, ou ma propre lumière.

    Lorsque je brise des verres dans une boîte de nuit, à la manière des Russes, lorsque mon inconscient explose en une révolte sauvage, c’est contre la vie qui a mutilé ces hommes romantiques, idéalistes. Je les respecte, eux qui sont froids, purs, fidèles, dévoués, moraux, délicats, sensibles, désarmés devant la vie, plus que ceux qui ont l’esprit endurci, ceux qui rendent trois coups pour un qu’ils ont reçu, qui tuent ceux qui les ont blessés.

    J’aurais aimé D.H. Lawrence plutôt que l’intellectuel Huxley.



    Anaïs Nin, Journal, tome 1 (1931-1934), Éditions Stock, 1969, Le Livre de Poche n° 3901, pp. 253-254-255.







    Nin, Journal






    ■ Anaïs Nin
    sur Terres de femmes

    27 novembre 1932 | Journal d’Anaïs Nin
    18 juin 1933 | Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud
    14 janvier 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    1er juin 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1977 | Mort d’Anaïs Nin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Dailymotion) un entretien d’Anaïs Nin avec Pierre Lhoste (France Culture, 1969) : un document d’archives exceptionnel ▼









    Retour au répertoire du numéro de février 2013
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 18 juin 1933 | Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud

    Éphéméride culturelle à rebours



    Anais_et__antonin
    Image, G.AdC







    Lettre à Artaud (envoyée de Valescure-Saint-Raphaël) : 18 juin.


    Nanaqui, je voudrais revivre mille fois ce moment sur les quais, et toutes les heures de cette soirée. Je veux sentir encore cette violence et votre douceur, vos menaces, votre despotisme spirituel… toutes les craintes que vous m’inspirez, et les joies si aiguës. Craintes parce que vous attendez tant de moi… l’éternité, l’éternel… Dieu… ces mots… Toutes ces questions que vous m’avez posées. Je répondrai doucement à vos questions. Si j’ai semblé me dérober, c’est uniquement parce qu’il y avait trop à dire. Je sens la vie toujours en cercle, et je ne peux pas détacher un fragment parce qu’il me semble qu’un fragment n’a pas de sens. Mais tout semble se résoudre, se fondre dans l’étreinte, dans la confiance de l’instinct, dans la chaleur et la fusion des corps. Je crois entièrement à ce que nous sentons l’un en face de l’autre, je crois à ce moment où nous avons perdu toute notion de la réalité et de la séparation et de la division entre les êtres. Quand les livres sont tombés, j’ai senti un allègement. Après cela, tout est devenu simple… simple et grand et doux. Le toi qui fait presque mal, tellement il lie… le toi et tout ce que tu m’as dit, j’oublie les mots, j’entends la tendresse et je me souviens que tu as été heureux. Tout le reste ne sont que tortures de nos esprits, les fantômes que nous créons… parce que pour nous l’amour a des répercussions immenses. Il doit créer, il a un sens en profondeur, il contient et dirige tout. Pour nous il a cette importance, d’être mêlé, lié, avec tous les élans et les aspirations… Il a trop d’importance pour nous. Nous le confondons avec la religion, avec la magie.

    Pourquoi, avant de nous asseoir au café, as-tu cru que je m’éloignais de toi simplement parce que j’étais légère, joyeuse, souriante un instant ? N’accepterais-tu jamais ces mouvements, ces flottements d’algue ? Nanaqui, il faut que tu croies à l’axe de ma vie, parce que l’expansion de moi est immense, trompeuse, mais ce n’est que les contours… Je voudrais que tu lises mon journal d’enfant pour que tu voies combien j’ai été fidèle à certaines valeurs. Je crois reconnaître toujours les valeurs réelles… par exemple quand je t’ai distingué comme un être royal dans un domaine qui a hanté ma vie. Nanaqui, ce soir je ne veux pas remuer les idées, je voudrais ta présence. Est-ce qu’il t’arrive de choisir ainsi un moment précieux (notre étreinte sur les quais) et de t’y raccrocher, de fermer les yeux, de le revivre, fixement, comme dans une transe où je ne sens plus la vie présente, rien, rien que ce moment ? Et après, la nuit, la succession de tes gestes, et de tes mots, de la fièvre, de l’inquiétude, un besoin de te revoir, une grande impatience.


    Anaïs Nin, Journal inédit et non expurgé des années 1932-1934, Inceste, Éditions Stock, Collection Biblio, 2002, pp. 268-269.






    ■ Anaïs Nin
    sur Terres de femmes

    21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin
    27 novembre 1932 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    1er juin 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1977 | Mort d’Anaïs Nin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    4 septembre 1896 | Naissance d’Antonin Artaud (extrait de L’Ombilic des limbes)
    – (sur Terres de femmes)
    1er octobre 1932 | Artaud et Le Théâtre de la cruauté
    → (sur Dailymotion) un entretien d’Anaïs Nin avec Pierre Lhoste (France Culture, 1969) : un document d’archives exceptionnel ▼









    Retour au répertoire du numéro de juin 2008
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes