Étiquette : André Dhôtel


  • 3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet

    Éphéméride culturelle à rebours




    André Dhôtel
    Source






    12. Le 3 décembre 71

    Cher Philippe Jaccottet,

    J’aurais voulu remercier plus tôt Anne-Marie Jaccottet pour ce livre de poèmes* qu’elle a illustré avec tant de rêve, mais regrettant de ne pas mieux connaître tout ce qu’elle peint et dont Marcel Arland m’a parlé l’autre jour avec éloge. Mais ces poèmes d’Anne Perrier sont aussi parmi les rares d’aujourd’hui que j’aime, comme hors littérature sans prétention à y échapper. On a l’impression d’être en présence de simples vérités, sensibles comme les choses du monde dont elle parle. Je n’oublierai pas « les fentes de l’éternité », ni « l’espace fut notre royaume » ni « la neige inaccessible », ni rien en somme de ce qui donne l’accent angoissant d’une absence qui n’est pas absence et beaucoup plus que souvenir.

    Et merci pour La semaison ** complète, que j’ai lue et relue. J’ai retrouvé dans la première partie ce que j’avais aimé, ce renversement des données : mort — condition de vie, l’impossible aussi condition de vie. Mais j’ai trouvé pour ainsi dire encore mieux dans la présence des paysages. D’abord surpris par la multiplicité des couleurs et des choses décrites, par l’interrogation des lieux (pour moi les lieux sont aussi une incroyable réalité), j’ai été finalement saisi par un événement essentiel qui s’affirme dans votre vision : c’est qu’il y a dans notre monde perçu non pas un au-delà poétique ou métaphysique mais une réalité qui se trouve là bien évidente, mais aussi en dehors, à côté, comme s’il s’agissait d’une visitation. Cela m’a fait penser au titre d’un livre de Patrick Reumaux : Ailleurs au monde ***. C’est un fait : il y a la couleur, la lumière et les objets. Ça ne va pas séparément bien sûr, mais il y a un décalage évident. L’en dehors devient part essentielle du monde. Comment vous dire ? Enfin merci encore de tout cœur. Bien à vous

    André Dhôtel.



    Philippe Jaccottet, « Correspondance 1958-1991 », Avec André Dhôtel, Fata Morgana, 2008, pp. 73-74. Dessins d’Anne-Marie Jaccottet.



    __________________________________
    * Anne Perrier, Lettres perdues. Avec des illustrations d’Anne-Marie Jaccottet (Lausanne, Payot, 1971).
    ** La Semaison. Carnets, 1954-1967 (Gallimard, 25 octobre 1971) reprend et complète l’édition Payot de 1963.
    *** Gallimard, 1968.






    Avec_dhotel_jaccottet





    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ André Dhotel
    sur Terres de femmes


    1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel (+ extrait de Campements)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)






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  • 1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel

    Éphéméride culturelle à rebours




        Le 1er septembre 1900 naît à Attigny, dans les Ardennes, André Dhôtel.






    Dhtel nuancé d'abricot
    Jean Dubuffet, Dhôtel nuancé d’abricot, juillet-août 1947
    Huile sur toile, 116 x 89 cm
    Musée National d’Art moderne
    Centre Georges-Pompidou, Paris







    Étudiant à Paris, il se destine à l’enseignement. En 1924, il quitte Paris pour Athènes. Il vient d’être nommé à l’Institut supérieur d’études françaises. De retour en France en 1928, il se consacre à l’enseignement de la philosophie et à l’écriture.

        André Dhôtel est l’auteur de nombreux récits, nouvelles et contes, poèmes et préfaces ainsi que de romans imprégnés de « l’atmosphère inquiétante » de sa terre natale. Mais les thèmes de prédilection de l’auteur sont l’errance et la quête infinie de l’ailleurs. Ce dont témoignent les titres de certaines de ses œuvres : Campements, son premier roman (1930), Le Village pathétique (1943), Nulle Part (1943), Ce lieu déshérité (1949), Les Chemins du long voyage (1949), La Chronique fabuleuse (1955), Le pays où l’on n’arrive jamais (1955), L’Azur (1969), Un jour viendra (1970), Je ne suis pas d’ici (1982)…

    Prix Femina 1955, Le pays où l’on n’arrive jamais reste son roman le plus célèbre. Son œuvre a été couronnée en 1974 par le Grand Prix de Littérature de l’Académie Française et, en 1975, par le Prix national des Lettres.







    CAMPEMENTS
    (extrait du chapitre 5, première partie)




    Là où furent les eaux de l’hiver, dans les prés, les hommes qui allaient à la pêche marchaient au milieu des coucous.

    Jacques alla un jour poser des lignes à la rivière, et il se dit en détachant sa barque :

    ― Comme tout change… Tout cela est vivant, extraordinaire. J’ai le cœur lourd et pourtant je ne suis pas triste.

    Quand il voyait Jeanne il pensait la même chose et Jeanne ressentait un tourment pareil.

    L’été brulait au long des collines, et l’odeur du soleil se mélangeait à la fraîcheur des blés.

    Jacques, écoutant le bruit de la côte, s’éloigna le long du marais en dirigeant la perche.

    Après avoir traversé les vagues du gué où, sur les îles de grève, pousse l’oseille sauvage, il parvint au cours profond qui l’emporta sans effort. Il se mit à raccommoder des lignes. Puis il abandonna son ouvrage, et ses pensées l’occupèrent tellement qu’il ne prêta plus attention à rien.

    Il était à demi étendu auprès du gouvernail, et il s’endormit dans la chaleur de l’après-midi.

    Le bateau l’entraîna à travers les villages d’Aigly, de Charbeuil et de Senon. Il serait sans aucun doute allé jusqu’à la mer si les rêves humains n’avaient des limites.

    Il traversa les courants chargés de branches, passa près des églises dont les premières marches s’élevaient non loin de l’eau, et près des lavoirs.

    Et, par une écluse, la barque entra dans le canal. Alors des canards l’entourèrent et les écoliers des rives prétendirent que le maître d’école avait trop bu du vin des collines.

    Jacques arriva ainsi contre les flancs d’une péniche où l’homme de la barre, les jambes pendantes, jouait d’une mandoline et crachait dans l’eau de temps en temps. C’était un homme sage qui ne chercha pas à réveiller le dormeur.

    Lorsque Jacques ouvrit les yeux, il aperçut au-dessus de lui les planches goudronnées du ponton. Le musicien interrompit un instant sa mélodie pour lui dire qu’il se trouvait non loin de Senon, puis il la reprit.

    Jacques gagna le port voisin où il amarra sa barque. Quand il descendit sur le chemin de halage, son étonnement n’avait pas cessé.

    Ce fut dans l’après-midi que Jacques et Jeanne se rencontrèrent, par hasard, sur la route de Saint-Claude. Ils furent surpris l’un de l’autre.

    Il se dit : « Pourquoi n’est-elle pas à la maison à m’attendre ? »

    Elle se dit : « Pourquoi n’est-il pas allé chez moi aujourd’hui ? »

    Ils furent très émus de se rencontrer, parce qu’en vérité ils se cherchaient tous deux en dehors des villages, dans le libre monde.



    André Dhôtel, Campements, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1930, pp. 67-68-69.





    André Dhôtel
    Source




    ■ André Dhôtel
    sur Terres de femmes


    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet




    ■ Voir aussi ▼


    La Route Inconnue (site de l’Association des Amis d’André Dhôtel)
    → (sur Terres de femmes)
    30 août 2002 | Lucien Noullez | Journal 2001-2002





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  • 30 août 2002 | Lucien Noullez | Journal 2001-2002

    Éphéméride culturelle à rebours



    L'Azur







        Vendredi 30 août 2002


        Que faire, presque au terme d’une journée tumultueuse ? On peut s’asseoir, dans un square et rêver devant un jet d’eau.

        Ouvrons alors André Dhôtel. Un vieux roman, offert par un ami très cher traîne dans un cartable. Impossible, pour tout dire, ce roman. Vous le laisseriez bien pour compte, en raison des invraisemblances du récit, mais vous savez qu’il faut lire Dhôtel très patiemment, par petites goulées et qu’alors tout s’éclaire dans le cœur.

        Le jet d’eau, au milieu du parc, vous aide largement.

        À pas lent arrive un tout vieux monsieur, digne et vêtu, guidant un petit chien. Il aura 86 ans le 4 novembre et il connaît quatre langues, dont l’allemand, qui fut la langue de sa femme et celle dans laquelle il s’adresse à Wally. Wally écoute distraitement en croquant des petits biscuits. Pour dire vrai, le monsieur ne sait plus vraiment son âge. Il est né en 1916, alors nous calculons ensemble, et oui, c’est ça, 86 ans bientôt…

        Comme il s’intéresse à mon livre, je lui lis des passages de L’Azur. Il saisit tout, rigole franchement et commente, car tout cela, derrière le rire, lui paraît la vérité même. Puis il touche le volume et s’émerveille de la qualité de l’impression. Pour me le prouver, il me lit fièrement des phrases entières sans lunettes.

        Il n’a pas eu d’enfants, c’est triste : tous ceux qui passent dans le jardin public sont si beaux et, quand je lui dis deux mots de Thérèse, il est content pour moi. Après tout, devrais-je m’étonner qu’il ait été jadis l’élève des Frères, à Saint-Thomas ?

        Mis en confiance, je lui raconte ma mélancolie. Nous sommes soudain deux simples hommes sans apprêt. Il a alors un grand sourire : « Quand on aime lire, me dit-il, toute la vie est un roman ». Je pense à mon Dhôtel, à ce que j’en ai savouré et à la vie démente qui m’attend pour les semaines qui commencent. Il ne faut pas jeter les perles de ce livre aux pourceaux de la frénésie. Je propose au monsieur d’emporter mon bouquin. « Eh bien oui, me dit-il, j’accepte le cadeau. »


    Lucien Noullez, Une vie sous la langue, Journal 2001-2002, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 2009, pp. 213-214.






    Lucien Noullez, Une vie sous la langue





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Service du Livre Luxembourgeois)
    une fiche bio-bibliographique sur Lucien Noullez
    → (sur Poezibao)
    Une source perdue, par Lucien Noullez
    → (sur Terres de femmes)
    1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel (+ extrait de Campements)



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