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Souffles bus à même ta peau, je me penche vers la houle concave, à peine un frémissement, à l’angle de la pièce rouge les chiens veillent, les cils dansent à tes pointes redurcies, tes cuisses déferlent, tu goûtes au fruit dès longtemps entêté, je t’accomplis avec les gestes qui t’effacent, ta paume s’égare dans la lumière stridente, la chance à chaque secousse tient sa vengeance, comme tu plies, ma guerrière, ma dispersion, mon ambiguë, je crie du fond de ton désert humide, les visages sans traits se lacèrent, je te devine, ineffaçable parmi les tronçons, au bord des rumeurs doubles te porte, te dissimule, te remplis, ma lointaine, ma redissoute, envol maquillé dans le désordre des fissures, je te prends comme jamais, me joue de tes dons, de tes feintes, j’ai gagné, l’aube fume, inlassable, je m’incurve dans la torpeur neuve, je suis seul, absent, inexpugnable, je t’aime, vent mien salubre sur les détours, j’avance sous l’horizon recomposé, dans l’intimité sans soumission où je perds, j’avance, poignard à la hanche vers toi comme vers l’odeur salée, j’avance vers la défaite devinée, j’avance en me jouant de tes visages furtifs ou inépuisables, j’avance sans compter, sans oublier, traînée d’écumes et de poursuites, j’avance pour qu’après, bien après, tu reviennes me noyer et renouer le pacte… André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Hamlet ne joue pas, ne sait pas jouer. L’acteur, lui, s’adapte à toutes situations, les dompte et domine, en ceci précisément qu’il ne s’identifie à aucune, assumant sans coup férir les rôles, quels qu’ils soient, parce qu’au sens fort du terme il « n’est pas », il fait semblant, rien de plus, il est par essence « au-dessus », celui qui tout survole, qui non seulement joue, mais GAGNE. Dans ce grand scénario qu’est littéralement « Hamlet », avec ses déchirures et son inachevé, incombe à chacun des protagonistes une tâche qu’il lui est impossible de refuser d’accomplir, car imposée de l’extérieur. C’est dans ce cadre tout à fait indépendant d’eux et qui les antécède que les héros agissent, cadre lequel définit une situation qui régit, du moins en surface, leurs relations, leur imposant de manière tantôt rigide, tantôt oblique, jusqu’aux paroles proférées et aux gestes accomplis… Le seul personnage que la situation ne définit peut-être pas complètement, c’est justement Hamlet. Son caractère ambigu vient très exactement de cette impossibilité d’accepter pour lui autre chose que le rôle qui lui est dévolu, mais auquel il est par ailleurs extérieur et qu’il dépasse, son acceptation étant constamment contrebalancée par la révolte contre les contraintes qui lui sont dictées et dont il ne veut pas, alors qu’elles lui sont consubstantielles et le définissent. Ce n’est que dans la sphère de l’acte que Hamlet arrive à s’accepter, ce n’est que dans ce qu’il lui faut « faire » (et non pas dans ce qu’il « pense ») qu’il croit du moins pouvoir s’engager. Jusqu’au bout du bout, Hamlet défend bec et ongles ce qu’on peut appeler sa « marge », l’insoutenable tension tout comme son échec final n’étant que l’expression de son absolu refus d’admettre que les raisons puissent être à sens unique… Pour faire pièce au Réel, pouvoir guérir de ses morsures ou, à tout le moins, atténuer leurs effets, se donnant ainsi une chance d’affronter ce qui en lui irrémédiablement altère et corrompt, il n’y a que deux potions qui s’offrent à nous, humains, l’irréalité et la non-adhérence. L’irréel, c’est tout autre chose que le faux – où l’écart par rapport à la réalité est en quelque sorte involontaire -, ou alors le mensonger, qui en est le pendant délibéré. Dans l’un de ses contes, Borges, évoquant le sort des protagonistes, parle de ces « choses qui auraient pu être autres », variantes possibles et interchangeables de ce grand scénario qu’est le Réel, apaisant et subvertissant ce qu’il peut y avoir en lui de terriblement univoque… La non-adhérence est très exactement une attitude d’« acteur » où, tout en assumant pleinement les rôles qu’on nous impose ou que nous sommes amenés à nous choisir, nous ne nous y identifions que dans les actions qu’ils impliquent et leurs conséquences, apparentes ou non, tout en les dépassant, en « faisant semblant » pour que l’illusion soit parfaite sans qu’elle nous enferme ou contraigne jusqu’au bout, tant nous nous éprouvons, parfois jusqu’à l’extase ou la lie, « autres » que le masque que chaque rôle nous fait porter… La folie d’Hamlet – dont il n’est pas aisé de savoir s’il convient ou non de l’affubler de guillemets, tant elle est à la fois maladie, fuite, ruse et arme – c’est, encore une fois, l’impossibilité de faire pleinement appel à cette pharmacopée peut-être nécessaire, mais quelque part aussi maligne et vénéneuse que la pointe empoisonnée de l’épée qui finit par l’affranchir de toute quête à venir… L’on a toujours le choix – et le nôtre est autre –, mais nous nous savons pourtant comme lui inguérissables, ontologiquement et irrémédiablement inguérissables… André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Tu voudrais qu’avec toi elle cueille, s’oriente et se redresse, qu’elle te rejoigne dans la rumeur et la distance… Tu voudrais qu’elle répudie l’indifférence, apprenne ton ombre et tes silences, la paix de tes refuges et le fracas de tes guerres, surgisse pour accueillir ce qui désormais ne se peut salir ni défaire… Tu voudrais que ses lèvres aient soif de toi et te noyer dans leur salive, défiler pour ses seuls yeux te contemplant, fondre l’or des jours dorénavant non gaspillés, nager dans les eaux du monde avec les yeux enfin lavés de tout mensonge… Tu voudrais partager l’odeur des peaux, la brise renouant, le soleil déclinant, bondir barbouillés comme les enfants, courir nus pieds, boire l’eau des puits, dormir deux en un, sentir l’éveil dans le blanc des yeux de l’autre, une main passer dans les cheveux, une pointe d’inquiétude, le cœur sambant à perdre haleine… Tu voudrais sentir son sexe mouillé à ta seule approche, tes mains brûler à ses courbes, complices au point que suffise un seul troc de souffles… Tu voudrais que ses bras te délivrent de ce qui traîne, étouffe et obscurcit, qu’elle soit tienne jusque dans ce qui t’écarte, te macule et déchire, que vos mains et bouches et épidermes se joignent, se mêlent, scellant comme à jamais ce qui sera votre jeu, votre secret, votre pacte… Et après l’amour, rassasié, en sueur, tu voudrais la serrer à nouveau, murmurer qu’elle est celle qui sut germiner et t’incendier sans te blesser, comme par miracle… Tu voudrais tout, tu la veux toute… (années ’80) André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Hendrick ter Brugghen Héraclite, 1628 Rijksmuseum, Amsterdam Source HÉRACLITE AU BOIS (I) • Seuil de soi, geste frayé dans le noir qui s’y réfléchit et s’y dépose, crue qui te fait surgir en rompant, horizon tu que détour insémine, plus rien qui te prive de tes trépas, dilapide tes nœuds et tes frappes, entame ta rage, parachève l’écho, compagnon et promesse, fardeau tapi là où il n’y a plus autrui ni sa promesse, poudre ocre, délivrance d’arrière-pays, proximité de l’aveu qui t’appartient en ce qu’il est pour que tu sois, embarras du monstre qui, de toujours à réinventer, traque tes lacis, la souillure orpheline, les fétiches de l’ombre qui, de soi à soi, n’a plus de pouvoir et n’est pas perte… • L’obscur n’est pas l’autre du clair, tu le sais bien, et quand bien même il le serait, sa furie ne vient pas éclore tant que l’autre est tout Autre, ne tressaille et bourgeonne que s’il se fait différent, imprudemment contigu, celui qu’on ne peut ni arracher à soi, ni altérer par le regard, par le silence dont les choses rêvent, double d’un parcours qui n’a guère de « sens », mais qui redoublé en acquiert souverainement un, demi-tour soudain d’Orphée, l’assiégeant en son secret, le dépouillant de ces traces avec lesquelles il n’y a pas de paix, ni même de trêve envisageable… • Parole déchue de sa royauté, vide du ciel à la place du vil bastion des feuillages, prodige, clairière, appropriation ne détournant que de soi, chuchotement engourdi, retable nocturne, temps ensevelissant les signes de sa survie, là où rien n’est premier, ne fut qui n’ait déjà été ou qui sera, où tout est boucle, ressasse et reprend, delta ralliant la source, la recouvrant, s’y déployant, la rachetant, souffle de ces aïeux qui ne demeurent qu’en ce qu’il y a en nous de plus clos, irrécusable… André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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Ph., G.AdC THERE ARE MORE THINGS… (III) * Qu’approche la rive détachée du souvenir, le mot aveugle qui de loin nous guette, et son immense rumeur… De lui, de l’ombre dévoyée qui s’offre et qui s’efface, qu’en sera-t-il ? Nul ne le sait, toi pas plus que quiconque. Tu pressens seulement qu’il te revient désormais de les porter, avec à tes côtés l’écharde malhabile, celle qui reçoit et disperse les faims comme éternellement. * Au coin de la pièce rouge, le tableau longtemps attendu que tu aidas à faire surgir, ses couleurs contrastant violemment aux confins, caressant les contours, glacis soudain moiré se déposant et changeant sous l’insistance du regard, s’abandonnant à l’ombre pour cadrer à jamais les deux figures, les mains, les torses, les souffles… * Double horizon, pli, cicatrice, partage des eaux, turgescente chaleur… Tu paressais à la terrasse devant une bière, il y eut un coup de brise soudainement ravivant la mémoire du crépuscule, deux ou trois minutes indélébiles pendant lesquelles tu revis tous les soirs du monde… * Air soyeux, pur langage de l’attrait, de l’espace sans césure que ton regard touche à peine, comme refusant de le reconnaître, croisées que guetta l’adolescent muant le sang et les blasphèmes en offrande, leurres étendus, rumeurs concaves, tes mots qui les cachent, ce qu’ils vont épaissir, ce qu’ils vont rejouer, lui enfin penché sur l’onde dernière… * Ô vaine culbute des feux, semant l’imprévoyance de l’heure, l’éternité à l’essai, les promesses closes… André Rougier D.R. Texte André Rougier |
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