Étiquette : Andrea Zanzotto


  • Andrea Zanzotto, Vocatif, suivi de Surimpressions

    par Angèle Paoli

    Andrea Zanzotto, Vocatif suivi de Surimpressions,
    Éditions Maurice Nadeau – Les Lettres Nouvelles, 2016.
    Traduction de l’italien et présentation par Philippe Di Meo.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Andrea Zanzotto, Portrait
    Matteo Bertomoro, Portrait d’Andrea Zanzotto
    Source








    « LE MÉTRONOME » D’ANDREA ZANZOTTO




    Le tout nouveau recueil que les éditions Maurice Nadeau consacrent ce mois-ci à Andrea Zanzotto (Vocatif, suivi de Surimpressions) s’attache à reprendre deux volumes importants de la création poétique du poète vénète. De Vocatif (recueil publié en 1957, mais resté inédit en français) à Surimpressions (avant-dernier recueil poétique d’Andrea Zanzotto), c’est un grand saut (de A à Z) dans la traversée poétique d’une vie que nous sommes invités à accomplir. En effet, si les trois sections de l’ensemble des poèmes de Vocatif — « Comme une bucolique » / « Première personne » / « Appendice » — renvoient à des poèmes écrits entre 1949 et 1956, voire en 1957, les sections de Surimpressions — « Vers les paluds » / « Chansonnettes hirsutes » / « Les aventures métaphoriques du fief » — renvoient, elles, aux quasi ultimes créations du poète et à l’année 2001. Pourtant un zeugma aux enjambements multiples relie ces deux pôles extrêmes et les liens sont multiples qui traversent et unissent entre eux les différents recueils du poète. Depuis Vocatif (Vocativo, 1957) à Surimpressions (Sovrimpressioni, 2001) en passant par La Beauté (La Beltà, 1968), La Veillée (Filò, 1976), Idiome (Idioma, 1986), Météo (Meteo, 1996)… un même esprit habite ce qu’Andrea Zanzotto hésitait à considérer comme une « œuvre » et qui n’en demeure pas moins une œuvre unique et essentielle dans le panorama de la poésie italienne du XXe siècle. Une poésie définie par Stefano Colangelo, professeur de philologie à l’université de Bologne, comme une « poésie de l’irréparable ».

    La figure fondatrice et fondamentale du paysage est le point d’ancrage existentiel de la poésie de Zanzotto. L’œuvre de Zanzotto s’inscrit tout entière dans ce qui constitue son univers à la fois réel et intérieur, naturel et mental : le paysage de Vénétie, avec ses paluds menacés de disparition, ses miroirs d’eau à la dérive, ses grands espaces médiévaux absorbés par l’asphyxie. Tout « l’arrière-pays » mental du poète — cette « écologie de l’esprit » qui le caractérise — prend racine dans cette « dévastation » que Zanzotto ne cesse de dénoncer de recueil en recueil. Cet « arrière-pays » d’horizons gangrenés vient se superposer aux collines aimées de Pieve di Soligo, dessinant un domino d’images bousculées par une syntaxe particulière qui fond dans une même cornue d’alchimiste toutes les formes du langage. Incluant dans un même recueil néologismes, termes enfantins et comptines, langages dialectaux (le « petèl ») et scientifiques, inventions et « forgeries » multiples qui privilégient les procédés par agglutination, affinités phoniques et onomatopées, Zanzotto, mêlant l’ancien et le nouveau, associe à la modernité (destructrice) les poètes inventeurs de la grande tradition italienne. De Virgile à Leopardi, en passant par Dante, Pétrarque et Foscolo. Et dans un autre espace littéraire, le maître : Hölderlin. Hölderlin que Zanzotto invoque ainsi dans ce vers de La Beauté :

    « Hölderlin, aide-moi à écrire une ligne tremblante »

    « La Beltà ». L’exigence de Beauté ne parviendra pas à sauver du naufrage un monde à la dérive. Reste la poésie soumise souvent à une ironie tragique, aiguisée par un regard autocritique douloureux mais sans concession.

    Quant au recueil Surimpressions, recueil défini par le poète comme un ensemble de « travaux à la dérive », Andrea Zanzotto précise que celui-ci « doit être lu en relation avec le retour de souvenirs et traces scripturales et, dans le même temps, de sentiments d’étouffement, de menace et peut-être d’envahissements dignes du tatouage. »

    Souvenirs ? Le poème intitulé « Diplopies, Surimpressions » (1945-1995) évoque bien ce « phénomène de perception simultanée de deux images » d’un même objet. Ici deux espaces spatio-temporels se superposent. Les martyrs du 30 avril 1945 sont associés à un paysage et à l’intérieur du paysage, par effet d’observation et de miniaturisation, aux « très légères cloches-aigrettes » qui s’égrènent sous le vent.

    « Duvets de lumière blanche à peine

    répandus dans les lointains des prés,

    Martyrs, humbles éléments

    frères sacrés dans les invasions des vents

    c’est le 30 avril aujourd’hui, votre jour

    d’années désormais si hautes et lointaines

    qu’elles ne sont plus perçues

    par l’effort des yeux

    semiensevelis

    […]

    Martyrs, partout je vous lis dans le tremblotement

    des cloches et des aigrettes perpétuellement

    attachées à disparaître naître redire

    redire de prairie en prairie

    au ras de l’oubli… »

    Pareille évocation existe déjà dans Météo. Ainsi le poème intitulé « Duvets » semble-t-il annoncer celui [supra] de Surimpressions :

    « Pré de cloches, d’aigrettes, là-bas égaré

    Toujours plus profonde avancée

    des conceptions de l’infini

    Duvets de lamentations subtiles      lointaines,

    vibratiles traquenards où la lumière tomba

    souffles, touchers      sur d’immenses surfaces arrêtés »

    Avec, dans le recueil Surimpressions, une mise en relief d’une dimension historique en lieu et place d’une dimension essentiellement climatique.

    Ainsi se répondent en écho des thèmes et des lieux. Des figures déjà citées dans d’autres recueils affleurent à nouveau puis réémergent de manière inattendue, tissant entre les œuvres de différentes époques un tissu réticulaire aux mailles serrées, fait de reprises, de transitions, d’hybridations. Ainsi les « Relectures de Topinambours » (in Surimpressions) renvoient-elles aux « Topinambours » de Météo. Et les « Lieux Ultimes du “Galaté au Bois” » (in Surimpressions) renvoient-ils au Galateo in Bosco, recueil de vers composé entre 1975 et 1978. Et toujours, au premier plan du tableau, la composante essentielle du paysage. Un personnage à lui tout seul, qui agit et pense en lieu et place du sujet, disparu par effacement. Pour dialoguer avec « ces lieux froids, vierges qui/éloignent/la main de l’homme », Zanzotto met en scène « un homme triste », un vieil homme anéanti, absent à lui-même comme le sont aussi ces

    « dominos de mystères

    tombant l’un après l’autre en eux-mêmes

    attirés dans le touffu du finir

    sans fin, sans fin des aventures. »

    Paysage et personnage, seuls protagonistes des poèmes de Surimpressions, sont emportés dans le même mouvement. Et s’ils peuvent se rencontrer, c’est dans leur absence partagée. Car aucun autre humain vivant ne se montre sur les devants de la scène et nul autre que « l’homme triste » ne prend la parole. Ainsi dans « Ligonàs », celui-ci s’adresse-t-il directement au paysage. Pourtant, si le mot réapparaît dans le second poème, il apparaît entre crochets et biffé : [paysage]. Avalé par les constructions sauvages, détruit par les cultures intensives qui ont anéanti les cultures traditionnelles, le paysage n’existe plus. Seul persiste encore, dans un repli de la mémoire, ce qui jadis fut :

    « Cette intime splendeur

    d’“il était une fois” et qui

    depuis des années escarpées reste séparée de moi… »

    À nouveau dans Surimpressions, mais dans la section intitulée « Les aventures métaphorique du fief », le poète dénonce les effets de la « démence » sur le paysage. Une démence généralisée, totale, individuelle et collective à la fois, résultat de la folie humaine. Une sorte de maladie d’Alzheimer a frappé le monde. En témoigne le poème intitulé « Méduse/par un froid juillet  » :

    « Très chère d’un même âge,

    déjà brillante belté,

    il y a peu encore

    tu étais une vieille limpide.

    puis l’alzaillemer est venu

    pour te transformer en émail… »

    Ainsi, le cosmos, l’univers tout entier, la nature sont-ils désormais soumis à d’autres logiques, à d’autres raisons, à d’autres lois que celles qui régissaient jadis avec harmonie, non seulement le monde mais également le « Fief ». Jadis l’univers était « Un ». Les dieux qui peuplaient la nature de leurs histoires, en assuraient l’équilibre. La religion de la nature offrait à l’homme « une paisible liturgie », sensible dans les vers de Zanzotto. Aujourd’hui, les voix se sont tues. Restent le vide et son contraire, la surabondance — cette « prolifération métastasique  » — ainsi qu’un silence voué à la cacophonie.

    Et le vieil homme triste d’invoquer la voix pour la supplier de se faire discrète :

    « N’exhale plus du silence par saccades

    par soubresauts, enflammé

    enflammé mal volontiers dans le sublime

    parfois nauséosemblable en coulées de rimes

    disparaissant, voix, n’exhale plus n’intime plus

    ne te déplace plus dans une existence interdite

    ne m’interdis pas d’être — »

    Pourtant, dans le poème « Ligonàs II », le « vieil homme » confie au paysage toute la reconnaissance qu’il éprouve envers lui, malgré les dissonances et les fractures :

    « tu continues à me donner une famille

    grâce à tes familles de couleurs

    et d’ombres quiètes mais

    néanmoins mues-par-la-quiétude,

    tu donnes, distribues avec douceur

    et avec une distraction ardente le bien

    de l’identité, du “moi”, qui pérenne-

    ment revient ensuite, tissant

    d’infinies autoconciliations : depuis toi, pour toi, en toi. »

    Qui dit invocation dit aussi évocation, provocation et vocatif. Tout cela est inclus dans un même vocable. Vocatif. Tel est le titre qu’Andrea Zanzotto a choisi pour rassembler dans un même recueil les poèmes lyriques écrits entre 1951 et 1957. Ce titre est repris en écho dans le poème intitulé « Cas Vocatif » (in « Comme une Bucolique », première section du recueil). Le poète y interpelle ses pensées, avec une interjection noble immédiatement contrebalancée par une série de notations négatives, lourdes de sens :

    « Ô mes amusements cruellement interrompus,

    pensées où je me crois et vois,

    goulu vocatif,

    halètement décérébré. »

    Goulu, le vocatif ? Oui. Il l’est en effet. Ce cas (en latin) se nourrit de toutes sortes d’images qui façonnent l’esprit du poète. Le fleuve et l’eau, les paysages bucoliques de Pieve di Soligo, la colline du Montello, les bois, les arbres, le monde, l’été, les foins de juillet… Les camarades défunts, la mère-enfant, absente présente dans une ode élégiaque où le poète l’évoque avec tendresse, lui parle, l’interroge, s’interroge. Une très belle ode :

    « toujours il revient

    ton fils, ô mère, par des routes

    courbes, par d’infinis enveloppements… »

    ou encore :

    « la route s’engazonne et les larmes

    se pressent dans mon regard. Ô maman. »

    Et toujours revient dans les évocations/invocations, « le vert squameux du monde » — dans ses multiples variations — lequel accompagne le poète qui s’abîme dans son désarroi :

    « je m’enterre en vertes physiques lenteurs. »

    À des étudiants de Parme qui demandaient un jour (en 1980) à Andrea Zanzotto pourquoi la poésie contemporaine est souvent difficile à comprendre, le poète vénitien répondit par une métaphore :

    « Il existe une compréhension qui se fait de manière immédiate, celle que l’on peut avoir à la lecture d’un journal et, pour un article de journal, c’est indispensable. Il n’en est pas ainsi pour la poésie, parce qu’elle se transmet par des impulsions souterraines, phoniques, rythmiques… Pensez au fil de l’ampoule électrique qui nous envoie la lumière, le message lumineux, grâce justement à la résistance du support. Si je dois transmettre du courant à longue distance, j’utilise des fils électriques très épais, et le courant passe et arrive à destination sans déperdition. En revanche, si j’utilise des fils électriques d’un tout petit diamètre, le courant a du mal à passer, il force et génère un phénomène nouveau, la lumière ou la couleur. C’est ce qui se produit dans la communication poétique, dans laquelle c’est la langue qui constitue le support. Le fait de densifier de manière excessive les signifiés, les motifs, de surcharger les informations, tout cela peut provoquer un « court-circuit », une obscurité, non par défaut mais par excès. » (Traduction inédite AP)

    Pour le poète Eugenio Montale, la « poésie très cultivée » de Zanzotto est celle d’un « poète percussif mais non bruyant : son métronome est peut-être le battement du cœur. » À l’instar du poète russe Vélimir Khlebnikov (que Montale regrette de ne pouvoir lire dans sa langue), Andrea Zanzotto « creuse dans le langage comme une taupe. » Tout pareillement à Philippe Di Meo, traducteur en langue française quasi exclusif du poète Zanzotto, qui offre ici, dans ce nouveau volume des œuvres du grand poète vénitien, une traduction fouillée. Exemplaire. Admirable en tous points.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Zanzotto Nadeau







    ANDREA ZANZOTTO


    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (notice bio-bibliographique + un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni)(poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée (lecture d’AP)
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de Vocatif suivi de Surimpressions par Giorgia Bongiorno





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  • Andrea Zanzotto | Verso i Palù



    VERSO I PALÙ

    O Val Bone

    minacciati di estinzione



    I

    Sono luoghi freddi, vergini, che

    allontanano

    la mano dell’uomo” — dice un uomo
    triste; eppure egli è assorto, assunto in essi.
    Intrecci d’acque e desideri
    d’arborescenze pure,
    domino di misteri
    cadenti consecutivamente in se stessi
    attirati nel folto del finire
    senza fine, senza fine avventure.






    […]


    IV

    Fulgore e fumo, più che palustre
    verde,
    acqua nel verde persino frigida,
    fa ch’io t’interroghi
    ripetutamente, perché
    nel tuo silenzio si aggira letizia.


    « Verso i Palù » per altre vie


    Nei più nascosti recinti dell’acqua il ramo
    il vero ramo arriva protendendosi
    sempre più verde del suo non-arrivare



    Proteggi dall’astuzia soave dei tralci
    dissuffla dall’ordine denso delle biade

    dello loro verdissime spade
    in cui si taglia e s’intaglia l’estate.







    VERS LES PALUDS

    Ou Val Bone

    menacés de disparition



    I

    « Ce sont des lieux froids, vierges qui

    éloignent

    la main de l’homme » — dit un homme
    triste ; et il est pourtant absorbé, en eux assumé.
    Enchevêtrements d’eaux et de désirs
    d’arborescences pures,
    dominos de mystères
    tombants l’un après l’autre en eux-mêmes
    attirés dans le touffu du finir
    sans fin, sans fin des aventures.




    […]


    IV

    Splendeur et fumée, vert plus que
    palustre,
    eau dans le vert même frigide,
    fais que je t’interroge
    plusieurs fois,
    car dans ton silence vagabonde de la joie.


    « Vers les Paluds » par d’autres voies


    Dans les enclos de l’eau les mieux cachés, le rameau
    le vrai rameau arrive pour se tendre
    toujours plus vert que sa non-arrivée



    Protège de la suave astuce des sarments
    dissuffle depuis l’ordre dense des blés,

    de leurs très vertes épées
    où se taille et s’entaille l’été




    Andrea Zanzotto, « Vers les Paluds » in Surimpressions, in Vocatif suivi de Surimpressions, Éditions Maurice Nadeau, 2016, pp. 162-163-164-165-166-167. Traduction de l’italien et présentation par Philippe Di Meo [ouvrage à paraître le 30 janvier 2017].






    Zanzotto Nadeau







    ANDREA ZANZOTTO


    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (notice bio-bibliographique + un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni)(poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée (lecture d’AP)
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])





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  • Andrea Zanzotto | Così siamo

    « Poésie d’un jour »
    choisie par Thierry Gillybœuf

    Hommage à Andrea Zanzotto (III)



    Andrea Zanzotto...
    Source







    COSÌ SIAMO



    Dicevano, a Padova, «anch’io»
    gli amici «l’ho conosciuto».
    E c’era il romorio d’un’acqua sporca
    prossima, e d’una sporca fabbrica:
    stupende nel silenzio.
    Perché era notte. «Anch’io
    l’ho conosciuto».
    Vitalmente ho pensato
    a te che ora
    non sei né soggetto né oggetto
    né lingua usuale né gergo
    né quiete né movimento
    neppure il né che negava
    e che per quanto s’affondino
    gli occhi miei dentro la sua cruna
    mai ti nega abbastanza

    E così sia: ma io
    credo con altrettanta
    forza in tutto il mio nulla,
    perciò non ti ho perduto
    o, più ti perdo e più ti perdi,
    più mi sei simile, più m’avvicini.




    Andrea Zanzotto, Intermezzo, IX Egloghe, Mondadori, Milano, 1962, in Andrea Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, Collezione Oscar poesia del Novecento, 2011, p. 196.*



    Note d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie (en Italie) depuis le 10 octobre 2011.






    NOUS SOMMES COMME ÇA



    À Padoue, ils disaient, les amis :
    « moi aussi, je l’ai connu ».
    Et il y avait le grondement tout proche d’une eau
    sale et d’une usine sale :
    prodigieux dans le silence.
    Parce que c’était la nuit. « Moi aussi,
    je l’ai connu ».
    Avec force j’ai pensé
    à toi qui désormais
    n’es ni sujet ni objet
    ni langage courant ni jargon
    ni repos ni mouvement
    pas même le ni qui niait
    et pour lequel mes yeux
    s’enfoncent dans son chas
    sans jamais te nier suffisamment.

    Qu’il en soit ainsi : mais moi,
    je crois avec d’autant plus
    de conviction dans tout mon néant ;
    c’est pour cela que je ne t’ai pas perdu
    ou plutôt, que plus je te perds plus tu te perds,
    plus tu me ressembles, plus tu m’es proche.




    Traduction inédite de Thierry Gillybœuf
    pour Terres de femmes





    ANDREA ZANZOTTO


    Andrea Zanzotto
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    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni) (poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto (extraite de Filò, La Veillée pour le Casanova de Fellini)
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Filò, la Veillée
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Ritratti – Andrea Zanzotto (un film di Carlo Mazzacurati e Marco Paolini, regia di Carlo Mazzacurati, 2000)[49min 28′ => fiche du film]
    → (sur YouTube)
    Onstage Outstage (omaggio ad Andrea Zanzotto)
    → (sur Books.google)
    Jean Nimis, « Un processus de verbalisation du monde » : perspectives du sujet lyrique dans la poésie d’Andrea Zanzotto, Franco Italica, 2, Peter Lang, 2006



    ■ Autres traductions de Thierry Gillybœuf
    sur Terres de femmes

    Fabiano Alborghetti | Canto 13
    Eugenio De Signoribus | microelegia
    Seamus Heaney | Bog Queen
    Stanley Kunitz | The Quarrel
    Robert Lowell | Burial
    Marianne Moore | Son bouclier
    Marianne Moore | Extrait de Poésie complète, Licornes et sabliers
    Salvatore Quasimodo | Le silence ne me trompe pas
    Leonardo Sinisgalli | Nomi e cose
    Derek Walcott | To Norline





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  • A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset

    Hommage à Andrea Zanzotto (II)



    Zanzotto
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    A.Z.


        Les initiales du nom : elles ne désignent pas le lent parcours d’un bord à l’autre de l’alphabet connu ; mais l’entrechoquement instantané de deux extrêmes, aussitôt renversables : A, la première lettre qui introduit, sémantiquement, l’affirmation virile (andrea), et Z, la dernière, qui soutient la répétition et le zézaiement enfantin (zanze).

        « J’aime à me mouvoir entre deux pôles très éloignés », dit Zanzotto. Il se meut à toute vitesse entre ses deux propres pôles ― si vite que l’un contamine l’autre : A devient dernière lettre, dernière pause sur le vide, cellule minime, couverture quasi muette et désarmée de la bouche, fin de toute parole possible ; tandis que Z se charge d’une énergie naissante, bruit d’ouverture de page, lame active, enfantine.




        Entre astre et brin d’herbe : le monde d’A.Z. est sans cesse traversé par le passage d’une masse d’informations gigantesques et minimales, passant et échangeant leurs grandeurs et leurs attributs. Astre et brin d’herbe sont perçus ensemble : mais pas à la façon microscomique de la Renaissance, comme miroirs d’une ressemblance réciproque, éléments calmes et parlants du grand monde des correspondances, d’un monde des signatures dont ils participent au même titre, chacun à sa place assignée.

        L’ensemble harmonique a éclaté ; rangs et places sont brouillés, chacun des éléments du paysage global peut tout à coup changer d’image, et de sens : le minimal devient démesuré, l’immense se dissout en trace… Et la blessure qui a frappé l’idylle précédente a insinué un peu partout l’angoisse de la conscience, l’indépendance définitive. « Blessure noétique », dit Gadda de celui qui écrit. Chez Zanzotto des élans d’écriture ― pailles de pensée et d’expression ― traversent le monde en n’importe quel point. Comme dans le rêve tout dit « je ».




        Tout dit « je », à condition de savoir que le « je » a volé en éclats. Je est une « morule » ― petite mûre, microcellule agglomérée, exposée au risque continu de la désintégration complète. Dans les pages d’A.Z. rôde l’image fraternelle douce et menaçante, de Scardanelli. Le je est le lieu d’un langage qui surprend celui qui le prononce.

        Son expérience ― incessante et sans dernier mot ― inclut la dégradation du paysage familier, et le trauma du vingtième siècle (qui se formule en noms en r : guerre, Hitler) ; ligne de faille qui passe à la fois par le dehors et le dedans, circule à son aise, se retrouve aussi bien dans les dégâts chimiques visibles, sur la terre, que dans les maladies microscopiques des cellules enfermées dans les parois des corps, du corps souffrant.
        Mais elle inclut aussi, cette expérience, la merveille quotidienne : l’affirmation naissante, renaissante, à partir des présences petites ― animales, végétales, une lettre…



        L’instance de la lettre dans la littérature… Le texte d’A.Z. fonctionne comme un violent rappel à l’ordre. Il rappelle ce qui le constitue, et qu’on oublie dans l’euphorie du discours dressé, du discours en marche : précisément, la petite lettre, le fragment détaché, indéchiffrable.

        La poésie se réalise dans une oscillation, dans la contradiction maintenue entre le chant ― joie suspendue de l’écoute harmonique ― et le balbutiement ― l’énonciation qui se cherche et ne peut commencer ― : entre la perfection ― « perfection de la neige » ―, de la formule heureuse dans le langage ― et la dégradation, la perte, le refus têtu de la suite, de la phrase qui referme, suture, rassure…




        Dans cet univers éclaté, un mythe : mythe de l’origine, mythe de l’universel accessible d’un coup : mythe d’une archilangue à la transparence édénique, que la mémoire pourrait saisir encore, que l’effort poétique peut encore atteindre, ou reconstruire. Origine tout de suite démasquée en désir d’origine, mais illusion génératrice : le « pétel », langue des nourrices à l’usage des nourrissons, langue fondamentale, en quelque sorte préhumaine, et qui contient les noyaux sémantiques de la survivance, de la génération, du sommeil, de l’absence : langage qui se présente directement comme émanation du corps en tant que présence parlante. Ecoute attentive ― écoute maternelle ― de la première enfance enfouie. Langue qui « monte comme du lait ». Mais en même temps, rappelle A.Z., langue comme « morsure d’un sein », et morsure qui veut dire à la fois transport amoureux vers le grand corps nourricier, et aussi énergie de naissance et de mobilité ― désir, dit Z., de « ne pas rester dans cette enfance ».




        Par là, pétel et folie, comme A et Z, sont pôles éloignés qui se touchent et s’appellent, dans l’incandescence du texte. De la même façon que s’y touchent et y convergent d’autres pôles. Par exemple les noms de référence Pétrarque et Lacan : la tradition codifiée du langage poétique, le déchiffrement de la scission, l’instance de la lettre dans l’inconscient. Ou encore, comme dans un poème de La Beltà : « Hölderlin au bras de Tallemant des Réaux » (la grande dissolution et la petite narration se soutenant, se relançant l’une l’autre)…




        Toujours, le texte est citationnel. Souvent, il part d’une formule donnée, d’une formule chantante ― phrase poétique réussie, qui comble et enchante la mémoire dans le présent, et demande une suite, dans le présent : citation, et trahison ; déplacement immédiat d’elle, immergée dans un univers linguistique inconnu. Plurilinguisme acharné, et pour ainsi dire « naturel » : l’italien harmonique-historique, le dialecte comme potentialité créatrice, le latin comme racine et comme « grammaire », le français, l’allemand, comme réservoirs de différences organisées, l’hébreu comme langue de Dieu : tout l’arc du langage à traverser, comme exercice obligatoire en vue d’une énigme, qui reste énigme.




      « Zanzotto est un poète percussif », a dit Montale ; et son « métronome est peut-être le battement du cœur ». Il y a quelque temps des savants italiens auraient capté dans leurs appareils les pulsations de la planète terre, semblables au battement d’un cœur…
        Grand langage qui pulse et se répond, du tout à la partie, de A à Z, de Z à A.



    Jacqueline Risset
    D.R. Texte Jacqueline Risset




    _____________________________
    Note d’AP : une première version de ce texte a paru dans le dossier « Autour d’Andrea Zanzotto » de la revue Vocativo, Revue franco-italienne n°1. Printemps 1986, éditions Arcane 17, Nantes, pp. 107-110.






    Jacqueline_risset_
    Jacqueline Risset
    Image, G.AdC





    ANDREA ZANZOTTO


    Andrea Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni) (poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Ritratti – Andrea Zanzotto (un film di Carlo Mazzacurati e Marco Paolini, regia di Carlo Mazzacurati, 2000)[49min 28′ => fiche du film]
    → (sur YouTube)
    Onstage Outstage (omaggio ad Andrea Zanzotto)
    → (sur Books.google)
    Jean Nimis, « Un processus de verbalisation du monde » : perspectives du sujet lyrique dans la poésie d’Andrea Zanzotto, Franco Italica, 2, Peter Lang, 2006







    JACQUELINE RISSET



    ■ Jacqueline Risset
    sur Terres de femmes

    Une île
    → (dans la galerie Visages de femmes) un
    Portrait de Jacqueline Risset (+ un extrait de Introduction de Dante, L’Enfer, Flammarion, 1985)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du cipM – centre international poésie Marseille) une
    fiche bibliographique sur Jacqueline Risset





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  • Andrea Zanzotto | Vocativo

    « Poésie d’un jour »
    Hommage à Andrea Zanzotto (I)



    Anziana donna veneziana sepia
    Source
    Mère, j’ignorai ton visage mais non l’angoisse
    toujours proliférante
    en tout recoin, en tout bien, dans chacun des actes par lesquels
    tu te révélais à moi,
    mais non l’amour sans remède
    qui de toi, monstre ou esprit, m’enveloppe
    et aridement me fébrilise.







    DA UN’ALTEZZA NUOVA



    I



    Ancora, madre, a te mi volgo,
    non chiedermi del vero,
    non di questo precluso
    estremo verde ch’io ignorai
    per tanti anni e che maggio mi tende
    ora sfuggendo; alla mia inquinata
    mente, alla mia disfatta pace.
    Madre, donde il mio dirti,
    perchè mi taci come il verde altissimo
    il ricchissimo nihil,
    che incombe e esalta, dove
    beatificanti fiori e venti gelidi
    s’aprono dopo il terrore ― e tu, azzurro,
    a me stesso, allo specchio che evolve
    nel domani, ancora mi conformi?
    Ma donde, da quali tue viscere
    il gorgoglio fosco dei fiumi,
    da quale ossessione quelle erbe
    che da secoli
    a me imponi?
    Amore a te, voce a te, o disciolto
    come nevi silenzio, come raggi
    rasi dal nulla: sorgo, e questo gemito
    che stringe, questo fiore che irrora
    di rosso i prati e le labbra, questa porta
    che senza moto si disintegra
    in canicole ed acque…

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    E, come da un’altezza nuova,
    l’anima mia non ti ricorda ―
    in scalinosi
    sogni, in impervie astenie,
    tra dolce fumo e orti approfonditi
    là sotto il lago, là nelle rugiade
    traboccanti, dall’occhio
    ereditati ancora,
    ancora al tocco triste
    dell’alba lievitanti…



    II



    Un senso che non muove ad un’immagine,
    un colore disgiunto da un’idea,
    un’ansia senza testimoni
    o una pace perfetta ma precaria:
    questo è l’io che mi désti, madre e che ora
    appena riconosco, né parola
    né forma né ombra?
    Al vero ― al negro bollore dei monti ―
    con insaziate lacrime
    ancora, ancora sottratto
    per un giorno all’aculeo del drago,
    ritorno e non so
    non so tacere.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Nulla dunque compresi
    del brancicare avido di bestie
    d’insetti e fiori e soli,
    nulla m’apparve del lavoro
    là sussurrato e sparso
    nei campi, aggrinzito nel nido,
    né il sudore m’apparve, l’altrui vigile
    combustione, ed io solo
    io trasceso
    in un feroce colloquente vuoto
    fronte e fronte m’attinsi?

    Calda la mano accarezza ancora il frutto.
    Nel vicolo il bambino e l’artigiano.
    Vivo il lume degli occhi nel profondo.
    Questo fu mio, né mai seppi, mai vidi?
    Per voi non m’allietai né piansi ancora?
    Madre ignorai il tuo volto ma non l’ansia
    proliferante sempre
    in ogni piega in ogni bene in ogni
    tuo rivelarmi,
    ma non l’amore senza riparo
    che da te, mostro o spirito, m’avvolge
    e aridamente m’accalora.




    Andrea Zanzotto, Vocativo (estratto), Mondadori, Collana Lo Specchio, Milano, 1957; 1981 (riveduta e ampliata) in Andrea Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, Collezione Oscar poesia del Novecento, 2011, pp. 135-137.*



    ___________________________________________
    * Note d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie (en Italie) depuis le 10 octobre 2011.







    D’UNE HAUTEUR NOUVELLE



    I



    C’est encore vers toi que je me tourne, mère,
    de cette extrême forclusion,
    de mon esprit pollué,
    de ma paix défaite, n’exige pas
    la vérité, ni de ce vert que j’ignorai
    durant tant d’années et que maintenant mai
    me tend en s’échappant.
    D’où ce dire, mère,
    parce que tu me fais taire, autant que le vert très haut,
    le très riche nihil,
    qui menace et exalte, où,
    après la terreur, éclosent
    des fleurs béatifiantes et des vents glacés — et toi, azur,
    me conformes-tu encore à moi-même,
    au miroir qui évolue dans le lendemain ?
    Mais d’où, de quelles entrailles tiennes,
    de quelle obsession, de quelles herbes
    m’imposes-tu
    depuis des siècles
    le gargouillis sombre des fleuves ?
    A toi amour, voix tienne, ou dissous comme
    neiges, silence, comme rayons
    effleurés par le néant : je surgis, et ce gémissement
    qui étreint, cette fleur qui irrigue
    de rouge les prés et les lèvres, cette porte
    qui sans mouvement se désintègre
    en eaux et canicules…

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Et comme d’une hauteur nouvelle,
    mon âme de toi ne se souvient —
    degrés
    en rêves, en inaccessibles asthénies,
    parmi la douce fumée et les potagers approfondis,
    là, sous le lac, là dans les rosées
    débordantes, par l’œil
    encore héritées,
    encore, au triste tintement
    de l’aube levant…



    II



    Un sens qui ne tend à une image,
    une couleur disjointe d’une idée,
    une angoisse sans témoins
    ou une paix parfaite mais précaire :
    mère, est-ce là le moi qui, ni parole, ni forme,
    ni ombre, m’éveilla et que je reconnais
    désormais à peine ?
    Au véritable — au nègre bouillonnement des monts —
    avec d’insatiables larmes,
    encore, encore soustrait,
    tout un jour à la dent du dragon,
    je retourne et ne sais,
    ne sais me taire.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Ne compris-je donc rien
    du tâtonnement avide de bêtes,
    d’insectes et fleurs et soleils,
    rien ne m’apparut-il du travail
    là sussuré et répandu
    par les champs, chiffonné dans le nid,
    ni la sueur ne m’apparut, la vigilante
    combustion d’autrui, et moi, seul,
    moi, dépassant les bornes,
    face à face, en un féroce vide entretien
    bavard, m’atteignis-tu ?

    Chaude la main caresse encore le fruit.
    Dans la ruelle, l’enfant et l’artisan.
    Là est vivante la lumière des yeux dans le profond.
    Cela fut-il mien, jamais je ne le sus, jamais je ne le vis ?
    Pour vous je ne me réjouis ni ne pleurai encore ?
    Mère, j’ignorai ton visage mais non l’angoisse
    toujours proliférante
    en tout recoin, en tout bien, dans chacun des actes par lesquels
    tu te révélais à moi,
    mais non l’amour sans remède
    qui de toi, monstre ou esprit, m’enveloppe
    et aridement me fébrilise.




    Andrea Zanzotto, Vocativo (extrait) in Revue franco-italienne Vocativo, n°1, « Autour d’Andrea Zanzotto », Printemps 1986, éd. Arcane 17, Nantes, pp. 71-75. Traduction de Philippe Di Meo. *



    __________________
    * Note d’AP : le recueil Vocatif est disponible en traduction française depuis janvier 2017 (éditions Maurice Nadeau). Voir ma note de lecture.





    ANDREA ZANZOTTO

    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni) (poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans La Repubblica du 19 octobre 2011)
    Andrea Zanzotto, il poeta guerriero, par Antonio Tabucchi
    → (sur YouTube)
    Ritratti – Andrea Zanzotto (un film di Carlo Mazzacurati e Marco Paolini, regia di Carlo Mazzacurati, 2000)[49min 28′ => fiche du film]
    → (sur YouTube)
    Onstage Outstage (omaggio ad Andrea Zanzotto)
    → (sur Books.google)
    Jean Nimis, « Un processus de verbalisation du monde » : perspectives du sujet lyrique dans la poésie d’Andrea Zanzotto, Franco Italica, 2, Peter Lang, 2006
    → (sur remue.net)
    L’Opéra fabuleux d’Andrea Zanzotto, par Ronald Klapka





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  • 18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto

    Éphéméride culturelle à rebours

    « Poésie d’un jour
     »



        Le 18 octobre 2011 meurt à l’hôpital de Conegliano (province de Trévise, région de Vénétie), des suites de complications respiratoires, Andrea Zanzotto. Il venait de fêter ses 90 ans le 10 octobre 2011.






    Zanzotto.....
    Source






    AL MONDO



    Mondo, sii, e buono;
    esisti buonamente,
    fa’ che, cerca di, tendi a, dimmi tutto,
    ed ecco che io ribaltavo eludevo
    e ogni conclusione era fattiva
    non meno che ogni esclusione;
    su bravo, esisti,
    non accartocciarti in te stesso in me stesso

    Io pensavo che il mondo cosí concepito
    con questo super-cadere super-morire
    il mondo cosí fatturato
    fosse soltanto un io male sbozzolato
    fossi io indigesto male fantasticante
    male fantasticato mal pagato
    e non tu, bello, non tu « santo » e « santificato »
    un po’ piú in là, da lato, da lato

    Fa’ di (ex-de-ob- etc.)-sistere
    e oltre tutte le preposizioni note e ignote,
    abbi qualche chance,
    fa’ buonamente un po’;
    il congegno abbia gioco.
    Su, bello, su.

                           Su, münchhausen.




    Andrea Zanzotto, La Beltà, Mondadori, 1968, in Andrea Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, Collezione Oscar poesia del Novecento, 2011, pagina 267.







    AU MONDE



    Monde, sois, et sois bon ;
    existe bonnement,
    fais que, cherche à, tends à, dis-moi tout,
    et voici que je renversais, éludais
    et toute inclusion n’était pas moins
    efficace que toute exclusion ;
    allez, mon bon, existe,
    ne te recroqueville pas en toi-même, en moi-même

    Je pensais que le monde ainsi conçu
    dans ce super-choir, super-mourir,
    le monde ainsi adultéré,
    était seulement un moi mal décoconné,
    que j’étais indigeste, mal imaginant,
    mal imaginé, mal payé
    et non pas toi, mon beau, pas toi, « saint » et « sanctifié »,
    un peu plus loin, de côté, de côté

    Fais en sorte d’(ex-de-ob, etc.) ― sistere
    et au-delà de toutes les prépositions connues et inconnues,
    aie quelque chance,
    fais bonnement un peu ;
    que joue le mécanisme.
    Allez, mon beau, allez.

                                              Allez, münchhausen.




    Andrea Zanzotto, La Beauté | La Beltà, édition bilingue, Maurice Nadeau, 2000, pp. 80-81. Texte français de Philippe Di Meo, préface d’Eugenio Montale.






    Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, 2011




    _____________________________________
    * NOTE D’AP : est sorti en octobre 2011 en Italie le dernier titre d’Oscar Mondadori (collection Oscar poesia del Novecento) : Tutte le poesie d’Andrea Zanzotto (1 312 pages), qui rassemble l’intégralité de la production poétique de son auteur. Introduction de Stefano Dal Bianco.





    ANDREA ZANZOTTO


    Zanzotto
    Source




    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes


    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (notice bio-bibliographique + un poème extrait de Fosfeni)
    (Anticicloni, Inverni) (poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée
    Ticchettio (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])




    ■ Voir | écouter aussi ▼



    → (sur YouTube)
    Onstage Outstage (omaggio ad Andrea Zanzotto)
    → (sur YouTube)
    une interview d’Andrea Zanzotto à l’occasion de son 88e anniversaire (10 octobre 2009)
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    une recension de Bernard Simeone sur le recueil La Beauté d’Andrea Zanzotto : « La douceur subversive d’Andrea Zanzotto »
    → (sur le site de Vera Lúcia de Oliveira)
    une interview (1993) d’Andrea Zanzotto par Vera Lúcia de Oliveira
    → (sur Books.google)
    Jean Nimis, « Un processus de verbalisation du monde » : perspectives du sujet lyrique dans la poésie d’Andrea Zanzotto, Franco Italica, 2, Peter Lang, 2006
    → (sur remue.net)
    L’Opéra fabuleux d’Andrea Zanzotto, par Ronald Klapka





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  • 10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto

    Éphéméride culturelle à rebours

    « Poésie d’un jour
     »



        Le 10 octobre 1921 naît à Pieve-di-Soligo, dans la province de Trévise (Vénétie), Andrea Zanzotto.






    Serena Maffìa, Andrea Zanzotto
    Source






    [AMORI IMPOSSIBILI]



    Amori impossibili come
    sono effettivamente impossibili le colline
    Non è possibile che tanto amore
    in esse venga apertamente
    dato
    e al tempo stesso dissimulato, anzi
                 reso inaccessibile

                 Serie senza requie di inaccessibilità
                 che pur fa da accattivante
                 ingradante tappeto sulla
                 più grande breccia demenza desuetudine
                 Colline ricche di mille pericoli di morte
                         per                     quietamente
                         per                     avventato soccorrere
                                                                    tra cielitudini
                         per                     insufficienza di attenzione a sé ―
                         di sorte in sorte
                         «intralcerà»                              «si defilerà»




    Andrea Zanzotto, Fosfeni, Milano, Mondadori, Lo Specchio, 1983, in Andrea Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, Collezione Oscar poesia del Novecento, 2011, pagina 622.







    [AMOURS IMPOSSIBLES]



    Amours impossibles comme
    sont effectivement impossibles les collines
    Il n’est pas possible que tant d’amour
    soit en elles ouvertement
    donné
    et dans le même temps dissimulé, et d’ailleurs
                 rendu inaccessible

                 Incessante série d’inaccessibilités
                 qui joue cependant comme tapis
                 captivant, évoluant sur la
                 plus grande brèche démence désuétude
                 Collines riches de mille dangers de mort
                         pour                     en toute quiétude
                         pour                     hasardeux secourir
                                                             parmi des ciélitudes
                         pour                     insuffisance d’attention à soi ―
                         de fortune en fortune
                         « il entravera »                              « il se défilera »




    Andrea Zanzotto, Phosphènes, Éditions José Corti, 2010, pp. 26-27. Traduit de l’italien et du dialecte haut-trévisan (Vénétie) et présenté par Philippe Di Meo.







    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
    (rédigée par Yves Thomas, éditeur-webmestre de Terres de femmes)


        Andrea Zanzotto est une des voix les plus fortes et les plus singulières de la poésie italienne contemporaine. Né le 10 octobre 1921 à Pieve-di-Soligo (province de Trévise), il achève des études de lettres à l’université de Padoue avant de voyager en France, puis en Suisse. Il revient ensuite dans sa région natale, ciment et enracinement « ethnique » de toute son œuvre poétique ; c’est d’ailleurs à Pieve-di-Soligo qu’il a enseigné jusqu’à son départ à la retraite.

        Ses premiers recueils de poèmes — Vers, dans le paysage (Dietro il paesaggio, 1951; trad. fr., 1986) et Élégie et autres vers (Elegia ed altri versi, 1954) —, ont pour toile de fond le paysage de Vénétie. Mais un paysage nostalgique, qu’il sent de plus en plus sous la menace des « imparfaites perfections » d’une modernité envahissante. Dans ses poèmes, son amour/frayeur (« afrore/amore ») est mis en correspondance avec de multiples références à Pétrarque, Leopardi, Hölderlin ou Mallarmé, points cardinaux presque sacerdotaux, à la fois repères d’ordonnancement, poches de résistance, mais aussi alphabets métaphysiques.

        Vocatif (Vocativo, 1957) marque la fin de la première période de sa production poétique et une certaine distanciation par rapport à l’hermétisme et à ses modèles (Mario Luzi, Piero Bigongiari et, plus particulièrement, Giuseppe Ungaretti qui, le premier, avait remarqué l’originalité de son talent). Zanzotto entreprend dès lors une vaste recherche expérimentale portant sur le langage, et qui rende compte de l’authentique dévastation de la nouvelle réalité industrielle et de la névrose consumériste dont il fait de plus en plus le constat angoissé et traumatisant, tant sur le plan écologique que sur celui d’une « écologie de l’esprit ». Comme le souligne Zanzotto dans « Prospezioni e consuntivi, Entro Passato prossimo e presente moto », « j’utilise le mot dévastation, car on assiste à une prolifération-métastase de survies distordues, de synchronies et d’achronies vénéneuses, d’inversions de sens… une corruption qui s’est avérée dès la fin des années quatre-vingt ». Aussi ses vers se donnent-ils comme point de départ une réflexion sémantique sur la valeur du langage et du matériau poétique. Cet expérimentalisme se traduit sur le plan syntaxique et stylistique par le déploiement proliférant et ardent d’une gamme étendue – quasi spéculaire – de codes et de registres linguistiques, de la langue littéraire la plus soutenue au dialecte vénitien, en passant par toutes sortes d’expressions issues de langues étrangères ou de langues anciennes (latin ou provençal), d’idiomes (technolectes inspirés entre autres de l’astrophysique, de la psychologie, de la microbiologie ou des mass media), de néologismes, de lexiques composites ou de registres divers (du plus soutenu au plus familier ou du plus populaire au plus puéril, notamment le « petèl », le babil enfantin de la province de Trévise). Mais cette plongée pluridirectionnelle au cœur du langage se traduit aussi par une attention soutenue pour tous ses composants phonologiques (sons, rythme, timbres) et leurs possibles entrées en résonance.

        Les nombreux recueils qu’Andrea Zanzotto a publiés à partir des années soixante sont les suivants : IX Ecloghe (1962), La Beauté (La Beltà, 1968 ; trad. fr., 2000), Gli sguardi i fatti e senhal (1969), Les Pâques (Pasque, 1973 ; trad. fr., 1999 et 2004 [éditions NOUS]), La Veillée (Filò, Per il Casanova di Fellini, 1976), la mythologique trilogie le Galaté au bois (Il Galateo in bosco, 1978 ; trad. fr., 1986), Phosphènes (Fosfeni, 1983 ; trad. fr., 2010) et Idiome (Idioma, 1986; trad. fr., 2006), puis Météo (Meteo, 1996 ; trad. fr., 2000) et Surimpressions (Sovrimpressioni, 2001 ; trad. fr., 2016). On doit aussi à Zanzotto une production comprenant des récits et proses (Au-delà de la brûlante chaleur [Sull’altopiano ; trad. fr., 1997], 1964) et des essais critiques rassemblés dans deux recueils, Fantasie di avvicinamento. Le Letture di un poeta (1991) et Aure e disincanti nel Novecento letterario (1994).

        Andrea Zanzotto est mort à l’hôpital de Conegliano le 18 octobre 2011.






    Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, 2011




    ________________________________
    * NOTE D’AP : peu avant la mort d’Andrea Zanzoto est sorti dans la collection Oscar poesia del Novecento : Tutte le poesie d’Andrea Zanzotto (1 312 pages), qui rassemble l’intégralité de la production poétique de son auteur. Introduction de Stefano Dal Bianco.





    ANDREA ZANZOTTO


    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni)(poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Books.google)
    Jean Nimis, « Un processus de verbalisation du monde » : perspectives du sujet lyrique dans la poésie d’Andrea Zanzotto, Franco Italica, 2, Peter Lang, 2006
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    une recension de Bernard Simeone sur le recueil La Beauté d’Andrea Zanzotto : « La douceur subversive d’Andrea Zanzotto »
    → (sur remue.net)
    L’Opéra fabuleux d’Andrea Zanzotto, par Ronald Klapka
    → (sur YouTube)
    Ritratti – Andrea Zanzotto (un film di Carlo Mazzacurati e Marco Paolini, regia di Carlo Mazzacurati, 2000)[49min 28′ => fiche du film]
    → (sur YouTube)
    Onstage Outstage (omaggio ad Andrea Zanzotto)
    → (sur YouTube)
    une interview d’Andrea Zanzotto à l’occasion de son 88e anniversaire (10 octobre 2009)
    → (sur Rai.tv)
    Andrea Zanzotto – Oltre la speranza





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  • Andrea Zanzotto | (Anticicloni, Inverni)


    Vois tout qui ― violet et or et ressort ―
    Aquatinte numérique, G.AdC






    (ANTICICLONI, INVERNI)



    I


    Vedi tutto che ― viola e oro e molle ―
                                direi quasi rigurgita rigurgita
        non si trattiene è contento è maturo
        nel dar figure strappare figure                        altre figure
    in viola e ori               A spuntare ori considera, poni mano,
        affàcciati, prendi note, a cuore, a carico,
        sii una qualche violenza per tenere a cuore

                                Sii nel prossimo a-tu-per-tu col remoto del viola
                                sì, violenza in questa gola
        ascolto nuotando tutta questa violenza
        così prima e increata da essere innocente
                                ma non meno assassina ― nell’oro e nel viola
    C’è il vocìo o il tocco o lo fascio
        viola di no no no             lo scampanìo del predicente
                                Viola è il mio carpire interleggere
                                fa carico fa massa va in massa oro e viola
    tutta per te questa trasparente
    mania di destrutturazione    ma issi là sopra la tavola
    il sopravvissi

        e la macchia di sangue Gewalt
        mi allevava come letame viola
        mi torceva in sé, mi aveva perso in sé, letame.





    (ANTICYCLONES, HIVERS)



    I


    Vois tout qui ― violet et or et ressort ―
                                je dirais presque qu’il régurgite, régurgite,
        il ne se retient pas, il est content, il est mûr
        pour donner des figures, arracher des figures               d’autres figures
    en violet et ors               Songe à l’éclosion des ors, allonge la main,
        montre-toi, prends note, à cœur, en charge,
        sois quelque violence pour avoir à cœur

                                Sois dans le prochain tête-à-tête avec le suranné du violet,
                                oui, de la violence dans cette gorge,
        j’écoute en nageant toute cette violence,
        si première et si incrée qu’elle en devient innocente,
                                mais non moins assassine ― dans l’or et le violet
    Il y a le brouhaha, le toucher et la décrépitude,
        violet de non, non, non             le carillonnement du prédicateur
                                Violet est mon ravir interlire,
                                il fait charge, il fait masse, il va en masse, en or et violet,
    toute pour toi cette transparente
    manie de déstructuration    mais    tu hisses là-dessus la table,
    le tu survécus

        et la tache de sang Gewalt
        m’élevait comme fumier violet,
        me tordait, fumier, en elle, m’avait en elle perdu.



    Andrea Zanzotto, Phosphènes [Fosfeni, Milano, Mondadori, Lo Specchio, 1983], Éditions José Corti, 2010, pp. 118-119. Traduit de l’italien et du dialecte haut-trévisan (Vénétie) et présenté par Philippe Di Meo.





    ANDREA ZANZOTTO

    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    Vocatif, suivi de Surimpressions (lecture d’AP)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site du Centre national du livre)
    une note de lecture d’Alexandre Drier de Laforte sur Phosphènes d’Andrea Zanzotto
    → (sur YouTube)
    Ritratti – Andrea Zanzotto (un film di Carlo Mazzacurati e Marco Paolini, regia di Carlo Mazzacurati, 2000)[49min 28′ => fiche du film]
    → (sur YouTube)
    une interview d’Andrea Zanzotto à l’occasion de son 88e anniversaire (10 octobre 2009)

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  • 13 juin 1888 | Naissance de Fernando Pessoa

    Éphéméride culturelle à rebours






        Le 13 juin 1888 naît à Lisbonne Fernando António Nogueira Pessoa.







    Le_moi_divis_de_pessoa_daprs__birat
    Montage photographique, d’après Biratan Porto,
    G.AdC

    Source







    PESSOA/TABUCCHI/ZANZOTTO



        EXTRAIT d’un entretien d’Andrea Zanzotto sur Fernando Pessoa, entretien réalisé par Antonio Tabucchi pour les Quaderni portoghesi (1977) :


    Q.P. : Encore à propos du problème du dédoublement. Dans l’une de vos préfaces suggestives à la traduction italienne du Secret Sharer de Conrad, vous concluiez ainsi : « Le capitaine et son double, jamais véritablement superposables, jamais véritablement dissociables, en dépit d’une prise de congé apparente, tous deux en proie à des courants de dérive, marquent quelque chose qui connote le monde, humain et non humain. » Il s’agit d’un discours à peine effleuré, mais riche en suggestions, qui sous-tend peut-être tout un discours susceptible d’être reconduit à certaines des positions de Lacan et des philosophes de la structure. Pourriez-vous brièvement l’expliciter sur le « patient » Pessoa ? Que connote donc le quadruple du poète portugais ?

    A.Z. : Dans cette phrase de mon introduction au récit de Conrad, je me référais justement aux lignes de discontinuité (si cette expression possède bien un sens), traversant non seulement la psyché, mais également le « monde » au sens large, et le langage en particulier, en tant que « zone de l’explication » et également de l’invention. Pessoa a ressenti très intensément les fêlures, les « barres » partageant la réalité selon ses différents niveaux et ordres ; il a voulu s’abandonner en elles, il a voulu de nombreux moi, de nombreux noms plus ou moins appropriés, sinon précisément pour ces « différences », du moins pour en signaler nettement la présence. Nous savons que la quadruplication de Pessoa est plus provisoire qu’il n’y paraît ; comme le démon évangélique, il nous fait comprendre qu’il se sent « légion ». Dans l’énigme de Pessoa, nous voyons des personnes parfaitement hallucinatoires jaillir de son inconscient pour le parer de moisissures (ou de bourgeons) dès sa plus tendre enfance, mais nous voyons de nombreux personnages parallèles, relativement mineurs en regard des autres hétéronymes plus consacrés, montrer continuellement le bout du nez, se superposer aux premiers et leur emboîter le pas. Il s’agit d’une foule de potentialités qui tendraient à mimer la vie/réalité entendue comme un puzzle où tout fragment peut posséder un nom sans que puisse se constituer le nom du « tout », sinon de brefs instants durant, vagues dans la précarité d’un orthonyme « porteur », même si non privilégié. Le « tout » est égal à chacune de ses parties. Une réalité impossible à ordonner, ni réductible à l’unité, à « un nom du Père », est justement ce qu’on pourrait démoniaquement appeler « Légion », et Pessoa se change donc en légion de noms. Qu’on songe à l’obscure angoisse mais également à la subtile perfidie de ne vouloir, ni pouvoir, appeler ces signes pseudonymes. Car, de fait, il semble que tout vienne justement se jouer autour du nom, des noms. Chez Pessoa, un moi divisé, ne pouvant pas même soupçonner le pseudonyme, se promène bras dessus bras dessous avec le superlogique « fingidor »*. Et, par ailleurs, chez les innombrables auteurs qui s’attribuèrent des pseudonymes […], combien de fausse conscience y avait-il véritablement, dans l’acceptation de ce terme ? Et que dire des romanciers, des « créateurs de personnages » introduits, qu’importe si [c’est] par des premières ou des troisièmes personnes verbales ?
        Plus que tout autre, Pessoa nous fait sentir que tout se joue autour du nom, du paradoxe de la nomination, et que la réalité, psychique ou non, s’avère pour nous fragmentée par des noms tendant à n’être jamais « communs », mais toujours et définitivement des noms propres, enclos dans « leur » être comme tout objet qui dans le monde primitif devient un dieu en se dénotant par un nom propre (ou par plusieurs noms propres, point tous connus, point tous dicibles). Apparaît à ce stade le rôle décisif du rapport social, dans lequel le moi et le monde peuvent « éventuellement » se retrouver, par-delà des barres, et dans le mouvement nom-verbe. »


    Andrea Zanzotto, Essais critiques, Librairie José Corti, 2006, pp. 210-211-212-213. Traduits de l’italien et présentés par Philippe Di Meo.




    ___________________________
    * « Fingidor » (« le simulateur » en portugais), c’est, entre autres, à travers ce qualificatif que Fernando Pessoa aimait à rendre compte de sa dérive hétéronymique.






    FERNANDO PESSOA


    Pessoa Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Fernando Pessoa
    sur Terres de femmes


    [Ce soir l’orage a roulé] (extrait du Gardeur de troupeaux)
    Les Îles Fortunées
    [Hommes de barre !] (extrait d’Ode maritime)
    Sous un ciel bas et sombre
    Ulysse
    13 juin 1930
    14 septembre 1931
    29 janvier 1932
    11 juin 1932





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