Étiquette : Angèle Paoli


  • Carnets de marche. 5

       



    CARNET N5





    5.


         Vent frais ce matin. De fortes rafales ont balayé la pluie de la nuit. Elle marche vite, s’arrête pour extirper de son sac carnet et crayon. Elle note le vent dans les feuilles. Elle reçoit des gifles d’air par saccades. Elle pense au vent dans les voiles. Ici, plein visage. Le vent enveloppe l’espace. Elle note le mugissement sourd de la mer, celui plus proche du vent dans les feuillages. Moins dense. Des flots d’air froid montent à l’assaut des pentes. Puis dévalent en sens inverse, par masses imprévisibles, irrégulières. La mer, lisse hier soir, est hérissée de crêtes blanches. Là-bas, dans d’autres paysages, le miroir paisible de la Loire. Les peupliers blonds, immobiles, face au temps qui passe. Un vautour plane, il imite le vent. Le petit coquelicot est toujours là. Frémissant. Pétales retroussés en arrière, sous les harcèlements de l’air. Des tranches de rocaille dénudées opposent leur immobilité rigide aux grands mouvements d’air qui circulent par brassées. Les talus labourés par la battue d’hier. Le sang des sangliers. Les sangliers, marqués jusque dans la chair de leur nom par le goût du massacre. Une famille de cochons croisés traverse la route, tranquille. Elle suit la frange de lumière qui se déroule en contrebas.


         Bardadrac. Elle lit le Bardadrac de Gérard Genette. Bardadrac. Ça roule rond à son oreille. Un croisé entre le Bardamu de Céline et le Patatras de la B.D. de son enfance. Patatras, l’acolyte de Poum. Lequel précède l’autre dans la chute ? Lequel porte en lui l’annonce de désastres ?


         La solitude de sa mère. Elle résiste à la nécessaire interrogation : de quoi est faite cette solitude ? Elle ne cherche pas à le savoir. Elle dit. Elle prétend ne pas être concernée. Elle voudrait s’en convaincre.


         Les hameaux du versant opposé surgissent sous des masses de lumière. Odeur de bois brûlé. Les rifiuti de la battue d’hier, accrochés aux abords des talus. Elle rebrousse chemin. Elle monte jusqu’à l’enclos à chèvres, plante son nez dans un massif d’euphorbes. Une odeur particulière emplit ses narines. Mais laquelle ? L’enclos est vide. La route, déserte. De forts relents d’urine la guident, mélangés aux feuilles de chêne et à la boue. Des crottes rondes et régulières, pareilles à des noyaux d’olives, jalonnent la bourbe du chemin. Elle pénètre dans l’enclos couvert. Il fait noir. Il fait chaud. Les chevreaux sont là, serrés les uns contre les autres. Une bonne quinzaine. Toute une classe d’âge. Ils se massent contre le mur du fond. Puis, se ravisant, grimpent d’un seul tenant à l’assaut de la barrière de bois. Ils se hissent, chacun empiète sur le dos de son jumeau. Ils s’agrippent à sa manche, la broutent, dégringolent, piétinent. Trois minuscules têtes la lèchent, tètent la toile de sa vareuse de marin. Blanc et noir, blanc et beige. Noir tacheté de brun. Ils s’agglutinent tous ensemble puis d’un mouvement inverse et dans un même élan grimpent jusqu’à elle. Certains sautent en hauteur. Craintifs et curieux. Ils bondissent sur les dés de leurs sabots. Elle caresse leurs fronts. Les petites cornes de lait percent sous le dru de la toison. Ils la reniflent, éternuent, se grattent, se bousculent. Ils sont agités de toute une petite frénésie mystérieuse. Insaisissable. Une vie fébrile de chevreaux dérangés de l’ennui de leur incarcération. Ils la tirent par la manche. Elle sourit. Ils grignotent hardiment la toile. Coups de museaux plus forts et plus tenaces. Obstinés. Le bout humide de leur nez, pareil au sien planté dans l’euphorbe. Leurs yeux larmoyants. La tendresse l’étreint. Elle quitte l’enclos. Elle reviendra demain.


         Variations sur le même. Couleurs, odeurs, formes. Variations, oui, mais chaque jour émerge un élément nouveau. L’enclos à chevreaux : un espace temps alvéolaire de sa marche d’aujourd’hui.


         Elle accélère le pas en direction de la Tour d’Amour. L’écrin sombre de la marine assiégé par les vagues. Leur roulement régulier. Le vrombissement croissant décroissant d’un avion absorbé par les nuages. La Tour d’Amour est là, en partie masquée par d’énormes châtaigniers. La Dame a déserté sa haute fenêtre. Le chevalier inexistant est mort dans des combats inextricables. Les nuages aujourd’hui courent en sens inverse. Il lui faut rebrousser chemin, tourner le dos au soleil. Elle remet les pas dans ses pas. À rebours. L’agitation sauvage des geais, toujours à la même hauteur. Elle accélère le rythme de sa marche. Elle rapporte avec elle un nid de mousse, un rameau d’arbouses, un plein sac de rondins de bois abandonnés tout au long de la route.


         Elle pense aux bois flottés qui, peut-être, l’attendent à l’autre bout du ciel.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 4

       



    CARNET N.4





    4.


         Elle va à sa rencontre. Trouver sur la route un trou d’ondes vives où la rejoindre. Elle roule. Aura-t-elle eu le temps de lui répondre ? La route est belle, mais peu ensoleillée de ce côté-ci de la montagne. Elle ne l’avait jamais remarqué jusqu’alors. L’adret, l’ubac, où est-ce ? Elle ne sait jamais. Tant de choses lui échappent, dont elle a croisé l’existence, mais dont elle n’a toujours pas les clés. Le vallon du Mulinu di Pendente plonge dans un bain de lumière. Miracle que cette beauté du matin.


         Trop de chasseurs cachés dans les fourrés. Elle décide de rejoindre le coquillage de verdure de Cunchigliu. Elle commence à prendre ses aises, à s’octroyer quelques libertés, à descendre un peu plus bas. Un peu plus loin. La pancarte tordue du « Théâtre de verdure », au milieu d’un champ de cigales. Elle se gare sur la placette, au pied de l’église baroque, et remonte l’allée des tombeaux. Paisible, majestueuse, romaine. À découvert sur son promontoire de rocailles, elle ne risque rien. Vue d’ici, la Tour d’Amour semble être fendue en deux par la moitié. Elle guette d’invisibles assaillants, depuis longtemps anéantis par la marche des jours. Tout est serein et immobile, hors les nuages qui filent par-dessus la crête.


         De loin en loin, le calme dominical est interrompu par les cris de la battue. Aboiements des chiens. Coups de feu qui se répercutent d’un versant à l’autre. Son œil s’arrête sur la volute torsadée qui orne l’entrée d’un tombeau. Élégante, raffinée, la volute tourne et oblique sur elle-même. Elle ferait mieux de regarder où elle pose les pieds. Ne pas oublier qu’elle marche sur un sentier de chèvres. Elle sautille, en route vers son rendez-vous solitaire, secret, silencieux. Son cœur bat comme au temps du premier rendez-vous. Le roulement régulier de la vague, la caresse douce du soleil sur son visage. Le bien-être se dilue dans ses veines de lézard avide de chaleur. Elle goutte la plénitude de ce moment, qui lui appartient. Qu’elle lui offre. Odeurs têtues de menthe poivrée, de thym et de myrte.


         La voix maternelle s’estompe, abandonnée à sa litanie du matin. Elle laisse derrière elle les questions obsédantes du jour. Elle tire la porte sur le discours monolithique de la vieille dame. Les coups de feu accompagnés d’aboiements obsédants se répercutent en écho d’un versant de la conque à l’autre. Elle pense à ce fameux trou qui la tire, elle, de son sommeil et la fait s’asseoir hébétée au milieu de son lit. Cette sensation de béance sans visage, sans représentation aucune. Cette angoisse qui l’envahit à l’étouffer et la maintient suspendue au bord de l’abîme. La question du trou et de son double, la question récurrente du cri. Sol lui a dit qu’elle est clouée, qu’elle ne parvient pas à mettre en mots cette sensation vide de contours.


         Le scintillement des 4/4 sur la route, au-dessus d’elle. Le téton du Cucaru dresse sa pointe argentée dans les contours d’un nuage bleu. La température a fraîchi. Elle laisse les images venir à elle, la traverser sans ordre ni prétention. Elle pense à toutes ces morts qui jalonnent sa vie, certaines minuscules, lointaines, affadies, d’autres au contraire plus vives. Encore une mosaïque de taches sombres ou plus claires à explorer. Des visages surgissent puis s’effacent dans un même instantané. Un archipel de visages trace des pointillés dans sa mémoire. Qu’y a-t-il de commun entre le hameau de la marine, tapi dans la tiédeur du jour, provisoirement clos sur les souvenirs de l’été, et d’autres lieux qu’elle a jusqu’alors habités, investis, aimés ? Qu’y a-t-il de commun entre le clocher du village qui égrène inlassablement les heures, et les rues affairées du Vieux-Lille qu’elle aime à sillonner. Elle déroule le ruban des souvenirs, les déambulations le long des vitrines, ses rencontres, ses étonnements. Les « icônes » de l’enfance, de Claude Louis-Combet, découvertes à travers leurs lectures communes, leurs longues discussions sur les textes de la cruauté. Et sur la poésie d’aujourd’hui. Sujet de litiges, souvent.


         Elle réveille en marchant une couleuvre enroulée sur ses anneaux. L’élégante fuit furtive dans un buisson de ciste, derrière elle. Le tombeau le plus ancien découpe sa silhouette parfaite dans un pan de ciel bleu. Une odeur entêtante de cyprès enveloppe l’allée tout entière, relayée sur la gauche par celle des pins parasols. L’odeur rousse de la résine. Ces odeurs qui sont aussi celles de l’enfance. Plus aucune image ne remonte de ce temps lointain. Peut-être, à force de s’en repaître, les a-t-elle définitivement épuisées ? Elle se promet d’y réfléchir, un jour ou l’autre. Elle cueille un bouquet du maquis. Pour elle ? Peut-être parviendront-elles toutes deux à se parler ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 3

       



    CARNET N3





    3.


         Attente de la pluie qui uniformise le temps et les jours. Tout un nuancier de gris vogue au-dessus de l’horizon. Elle laisse vagabonder son esprit au fil des nuages au fil du vent. La pluie, cinq gouttes à peine, libère la terre de ses parfums. Comment dire l’odeur du sous-bois, mélange de champignons et de feuilles de chêne ? Comment traduire en mots la flamboyance chromatique de l’arbousier ? Une odeur de coquelicot la surprend au détour de la route. Elle l’accompagne dans sa marche, la sauve momentanément de la déréliction.


         Quand tu dis : « odeur de coquelicot », qu’as-tu dit au juste ?


         Cette sensation de fragrance froissée que tu reconnais pourtant entre mille échappe à toute tentative de définition. Un coquelicot minuscule surgit, timide et frêle, sur le talus. Il dore sa corolle dans le soleil. Une forte odeur de bouse chasse soudain l’odeur à peine poivrée de la fleur. Un cercle de lumière se déplace sur la Punta di Minerviu, qui irradie le diamant de la Mugliarese. Elle bascule dans l’odeur du figuier. Où se situe le seuil d’une odeur à l’autre ? Où se fait le passage ? Par quelles failles et par quels interstices ? Peut-être dans le jacassement des geais. Le figuier maigrelet, défeuillé, jauni, est perdu au milieu des ronciers. Pourtant son parfum rugueux, tenace, envahit l’espace.


         Ils sont là, cachés parmi les chênes, camouflés dans leurs treillis de maquisards. Hirsutes, ils surgissent des taillis où ils sont embusqués depuis l’aube. Des paquets de cigarettes et des cercles de feu de bois jalonnent les talus. Elle n’y avait pas prêté attention jusqu’alors. La « Roche Tarpéienne » déploie son squelette, inquiétant et nu, au-dessus de la route. La Tour de Linaghje, mystérieuse écorchée, émerge un peu plus loin. Elle cherche des yeux, dans l’embrasure de la fenêtre à ciel ouvert, la Haute Dame en mal d’amour. Le pot de basilic qui renferme le crâne de l’amant a disparu depuis longtemps. Et la tour n’offre plus qu’une carcasse esseulée. Les hululements des chasseurs la tirent de son univers de rêverie. Les cloches de l’église de Cunchigliu sonnent à toute volée. Quel jour est-on ? Samedi ? Dimanche ? C’est la fin de la battue. C’est la fin de sa promenade. Elle rapporte dans son sac une provision de petit bois. Une fleur. Son carnet. Quelques mots. Elle sait qu’elle va les lui envoyer. Elle sait qu’elle a trouvé. Que peut-être avec eux va se renouer le chemin de leur échange.


         Elles parlent. Elles parlent de la jalousie. Chacune la leur. Jalousies tues, passées sous silence. Et les autres, celles qu’elles évoquent, à peine, et qui en cachent tant d’autres ! Et s’il ne restait plus, un jour, que la jalousie nue, la cruelle jalousie, la dure et mortelle jalousie ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 2

       



    CARNET N2(2)





    2.


         L’autre nuit, nuit de brûlure et d’impatience, nuit de torture sans sommeil, une autre a surgi. Agile. Empressée de te prendre au creux des reins. Son sexe impubère riait de ton étonnement. Et ses yeux enjôleurs de divine faunesque grimaçaient entre plaisir et douleur. Elle t’emporte au-delà des couloirs d’Anvers. Elle ouvre des cages de bois dans lesquelles elle se glisse, t’entraînant dans un inévitable corps à corps. D’autres cages plus étroites refusent de vous accueillir. Qu’importe. L’une à l’autre s’enlace. Dans la griserie de l’ivresse partagée, un doigt glisse qui force la chaleur sombre de la chair. Un cri monte vers le ciel qui l’accueille.


         Tu écoutes la chevauchée du vent dans les chênes, doux éclats de lumière entre la trouée des feuilles. Tu écoutes le renflement des vagues et des houles qui se gonflent puis s’apaisent. Chevauchée semblable dans son mouvement de flux et de reflux à la douleur qui sommeille assoupie au cœur des ténèbres. Puis s’enfle et bondit au débotté. Dans l’abri-chêne, ton refuge, tu te laisses bercer par le feulement des branches. Station Anvers ― qui n’a jamais été la sienne ― elle te quitte. Ou plutôt, elle te congédie. D’un geste désinvolte, elle te désigne une silhouette. « Ma mère Ginger Ale. Je ne sais ce qu’elle fait ici. Mais je dois la rejoindre à tout prix. Avant qu’elle ne s’aperçoive de ma présence. Et de la tienne à mes côtés ! »


         Congédiée ! Tu l’es bel et bien ! Renvoyée à ton rocher perdu en pleine mer ! Et te voilà clouée sans dérive au Merchione insensible. Condamnée à attendre. Attendre d’être délivrée ― par quel dieu attentif ? Ou plutôt dévorée ― par quelque aigle des cimes !


         Le vent bruit dans les branches et te prend dans son souffle. De ce bruissement inégal qui enfle puis s’efface, qui se gonfle et coule sur les pentes, le vent soulève la mer en lames infertiles puis son râle t’emporte, vibrante et chaude, vers le soleil.


         « Toute relation est une énigme consentie à l’erreur ». J’ai noté cette phrase mais j’ai omis de noter quel en est l’auteur. Méprisant les lieux que j’aime, je comprends qu’elle me méprise. Quelle présomption de croire que l’autre entrera de plain-pied dans cet ailleurs dont il ne perçoit pas le moindre signe. Ni bruissement ni odeur. Ni passé ni présent !


         Ma solitude m’appartient, amère et douce à la fois. Plus jamais je ne l’offrirai en partage à quiconque. Le vent balaie ciel et mer par rafales. Les nuages effilochent leurs filaments sur les crêtes. Le soleil brûle ma joue. En d’autres temps caresse bienfaisante. Sans doute ai-je rêvé, sans doute n’était-ce qu’illusion ? Il me semble avoir vécu pendant des mois dans le mensonge. Je me suis laissé croire que nous survivrions à mon éloignement. Il me faut ne plus y songer, fermer la parenthèse du passé, de ce passé-là ; déposer là, dans ce creux de roche, les promesses et les fictions, abandonner aux amas de pierres et d’infortunes les gestes de la tendresse et la complicité, faire un tas de tous ces oripeaux ― horribles peaux d’orpailleurs ! ― et les laisser aller au vent.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 1



    CARNETS DE MARCHE
    Ph./Image, G.AdC





    1.


         Cinq ans bientôt. Et c’est déjà la fin. Un étau de douleur la tenaille. L’étreint. Elle s’accroche à ses pentes, elle s’accroche à ses cimes ― qui ne lui sont rien. Elle a pensé ― à tort ― qu’elle la bercerait du chant de ses rivages. Un chant qu’elle rejette avec mépris. Rejeté au mépris de la douleur qu’elle lui inflige. Dès lors, la quitter sans bruit. Sans fureur. S’éloigner doucement de celle qui fut, au long de ces années, amie et confidente. Aimée. Tendresse et ruptures. Ne plus penser à elle. Ne plus l’attendre. Ne plus attendre d’écho à sa voix. Ni à son silence.


         Tu comprends maintenant. Cette rencontre de jadis fut une erreur, une voie empruntée pour te détourner de l’autre. L’autre à qui tu as infligé des souffrances pareilles à celles qu’aujourd’hui tu endures. Panser les cicatrices. Recoudre les blessures qui s’ouvrent. Qui suintent de l’écorchement vif où tu les tiens. Construire déconstruire reconstruire. Ne plus rien espérer derrière les silences. Ni parole ni sens. Faire fi de ce qui a jalonné de vie ta propre vie. Fleurs séchées entre les pages. Photos blêmies abandonnées au fil des jours. Coquillages et cailloux. À jamais perdus dans l’oubli. L’oubli qui prend forme dans la douleur. Il n’est plus temps. Il faut chercher ailleurs cette voix qui s’absente. Qui t’abandonne au deuil. Pauvre Ariane laissée sur les seuils de ta rive. Rivée à ton désespoir.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






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  • Camaïeux



    CAMAIEUX
    Photos, G.AdC







    CAMAÏEUX


    Camaïeux
    de verts de bleus de mauves et de gris
    de vagues hérissées de cristes-marines
    pommelé or des genêts camaïeux de câprier des îles
    centaurées de Salonique et du solstice
    de silènes à fleurs roses saponaires et scabieuses
    camaïeux de jusquiame blanche
    et de filaires lancéolées haut perchées
    sur leurs ergots de tiges sombres


    Camaïeux de fauvettes et de carouges à tête jaune
    d’hirondelles Astarté d’alouettes des champs
    de passerins Ciris et de pluviers des sables
    camaïeux de cailles blés d’Ortygie et faisans de Colchide
    d’aigrettes des récifs de butors étoilés
    camaïeux de caméléons crocodiles et caïmans
    alligators miniatures et geckos des murailles
    lézards Mürr filant au gré des lauzes
    immortelles dressées odorantes du temps
    ivresses du sentier nuages en miroir sur la roche


    Camaïeux de vert de turquoise de noir
    tiédeur des roches douces ivresses de sel
    bouquets de mandragores gorgées de soleil
    et du miel de dragons languissants
    écharpes de lumière phylactères de brumes sombres
    les serpents d’écailles étirent leurs ondes
    encerclent les roches vagues bleues crêtes
    et voiles d’écume blanche
    camaïeux du roulis régulier de la vague
    crépitements crêpelés de lumière ambre rousse
    grenailles de cailloux de criques aux bruyères
    incendiées de folioles
    clairs de terre en camaïeux
    de chants de cuivre
    de cymbales et crotales
    de feu




    Angèle Paoli, Le Scriptorium, Portrait de groupe en poésie (anthologie poétique), BoD, 2010, pp. 56-57.
    D.R.Texte angèlepaoli




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  • Cheval blanc au miroir



    Visage absent
    Ph., G.AdC





    CHEVAL BLANC AU MIROIR


    Dans l’encadrement de la porte
    le cheval blanc veille
    fixe sur toi le bleu de ses yeux
    derrière lui devant au-delà
    le labyrinthe mille coudes sans lumière
    déplie ses couloirs tu te retires
    sur la pointe des pas à reculons du corps
    tu empruntes un corridor un autre un autre encore
    angles droits privés d’échos       Noir       humides les murs
    longues travées obscures les gravillons crissent sous
    ton poids j’avance tu rebrousses chemin sans broussailles
    lequel est le vrai qui guide vers la vie
    lequel est le vrai qui conduit à la mort

    odeurs stagnantes des marais
    eaux sans tain
    visage absent

    miroir sans ivresse
    la ténèbre de son regard
    ne t’approche plus


    Angèle Paoli, Le Scriptorium, Portrait de groupe en poésie (anthologie poétique), BoD, 2010, pp. 55-56.




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  • La caisse claire

    Journal



    Tout_son_arsenal_de_sduction
    Ph., G.AdC






    LA CAISSE CLAIRE


        Maussade, temps maussade, mi-figue, mi-raisin. Du vent ― par à-coups ―, des menaces de pluie, peut-être pour demain. Rien de précis, rien de net. Ni vraiment beau ni franchement mauvais. Ni l’un. Ni l’autre. Un temps indécis qui anéantit en moi les décisions prises la veille, réduit à peu de choses les projets du jour. Je tourne, sans parvenir à me décider. Les promesses d’hier, lumière tendre dans la chaleur du petit port, se sont dissoutes. Noyées dans la ouate de cette journée hésitante. Il ne me reste plus qu’une échappée sous la maison, dans les piani aux asphodèles. J’emporte avec moi mes « Juliau », quatre volumes-six recueils, quatre beaux livres qui vont bientôt fleurer la terre sèche et les feuilles de chêne. La Face nord de Juliau (celle-là exclusivement !) me cherche, me provoque, me harcèle. Variations sur le même, exaspérantes, insaisissables, la colline, ses motifs, ses verts et ses jaunes, ses courbes féminines disséminées sous le nom viril et un peu clown de Juliau. L’écriture, les phrases-cercles qui se resserrent, d’un recueil à l’autre, de plus en plus. De sorte que Juliau 6 se réduit, se condense, si stringe sur lui-même, se dissout jusqu’à disparition. Prévisible. Progressive. Extinction. Histoire d’un petit pan de montagne jaune (Juliau, en Ardèche) et de « son » écriture. De sa réécriture dans l’espace et dans la page. Difficulté d’écrire. Impossibilité à dire cette montagne-là, impossibilité de s’en défaire; difficulté, pour celui qui s’accroche à l’écriture de Pesquès, à dire la poésie de Pesquès. Ses cercles concentriques enserrent le lecteur. L’étau jaune de Juliau.

         Lupinu s’élance droit devant moi. Je lis dans ses yeux toute la fierté qu’il a à m’accompagner dans mon escapade. Il exulte, déborde de frénésie et d’enthousiasme. Il veut m’éblouir, déploie pour moi tout son arsenal de séduction ! Il me montre tout ce qu’il sait faire, courir un cent dix mètres haies, prendre les virages au cordeau, sauter à l’assaut d’un papillon, grimper à toute vitesse dans les arbres, faire déguerpir d’un coup de patte un lézard qui file sous la lauze, en dénicher un autre sous la pierre. Il me rapporte ses trophées, joue un moment avec le minuscule reptile qu’il a coupé en deux. Il ne reste de lui qu’un ventre qui palpite sous ses griffes et un bout de queue qui se tortille dans les herbes. Lupinu le considère déjà d’un œil distrait. Il flaire bien d’autres plaisirs qui vibrent sous la mousse. Oreilles aux aguets, il hume l’air tiède et se gratte aux herbes folles. Un obstacle soudain l’arrête, médusé. Une masse informe lui barre la route. Un tronc d’arbre ? Une outre abandonnée, avec cornes et sabots ? Un cadavre ! Un énorme cadavre d’animal ! Une vache ? Non, une chèvre, plutôt. Un bouc !

        Allongée sur la terre, la grande carcasse gît. Crâne émacié, tourné vers le soleil couchant. Le monocle vide de l’œil absorbe la lumière. Contorsions immobiles. Pattes disjointes et ongles désossés, énucléés de leur muscle. Plus une once de chair. Quelques touffes de poils durs s’accrochent encore aux canons de la jambe, au chanfrein de son mufle. Le chat, prudent, se risque sous le crâne, renifle, grimpe sur l’outre borgne de la panse, flaire le coup fourré, se détourne, laisse l’outre blanche à sa dessiccation.

        Le bruit de caisse claire de la carcasse creuse.


    Canari, le 1er octobre 2008

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



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  • Lalla ou le chant des sables







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    Lalla ou le chant des sables
    aux éditions Terres de femmes


    récit-poème



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    tirage de tête limité à 80 ex. numérotés sur rives tradition vélin
    photo originale de Guidu Antonietti di Cinarca



    avant-propos de Cécile Oumhani





        Qui est cette jeune femme qui a traversé les heures étourdie de couleurs et de voix ? La glycine, les tomettes rouges, les azulejos si familiers ont-ils fini par émousser la conscience que Lalla a d’elle-même ? Elle se met en route, quittant le cocon de l’habitude et ces présences quotidiennes où elle risquerait si facilement de se perdre. Rompre, partir et aller droit devant soi, sans fléchir…. Lalla le fait aussi résolument qu’elle laisse son nom au seuil de ce qui fut sa maison, répondant au désert qui l’appelle, à l’immensité où elle espère rejoindre ce qu’elle est et qu’elle ne connaît pas encore. Elle devient la parente des martinets, ivres du ciel, éprise du froissement des ailes des pipistrelles, attentive au vide, aux ténèbres comme à la lumière. Elle poursuit sa quête dans la steppe, interrogeant les étoiles si loin dans leurs hauteurs glacées. Lorsque vient la rencontre avec un jeune pâtre, il n’est plus besoin du langage des mots pour se comprendre et partager les nourritures de la terre. Car elle ne fuit pas les humains, même si elle s’abandonne à la solitude d’une marche sans fin. N’est-ce pas eux qu’elle retrouve à travers d’étranges constructions sommeillant dans le sable comme autant de traces des chemins disparus qu’elle foule à son tour ? Elle explore la steppe en même temps que le passé, éprouvant le silence jusqu’à rejoindre ces sonorités subtiles où bruisse le minéral. Défaite peu à peu du leurre des apparences, il lui est donné d’entendre ce qui s’élève comme un chant cosmique, le « maqâm des sables » où Lalla accède à un autre mode d’être.

        Avec Lalla ou le chant des sables, Angèle Paoli invite ses lecteurs vers des sols à la fois nouveaux et anciens où la conscience de soi se fond dans l’universel. Car à travers ce monde aux demeures de pisé, elle nous laisse entrevoir l’essence de l’être, au-delà des limites qui inscriraient un commencement ou une fin. L’expérience de Lalla touche si profondément par une clarté donnée à nos sens, l’extase d’un ravissement, la certitude d’une voie possible.






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    ISBN : 978-2-953261-90-5
    Dépôt légal : juillet 2008
    © Terres de femmes, 2008
    20217 Canari (Haute-Corse)




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  • Livre d’artiste de Véronique Agostini
    sur un poème d’Angèle Paoli (juin 2008)




    A_laplomb_du_mur_blanc_veronique__2
    Véronique Agostini,
    linogravure sur un suminagashi
    (encres flottantes)
    Boîtier cartonné
    (première de couverture)






    À L’APLOMB DU MUR BLANC



    Pas un crayon ici pas une lime pas
    une lame seulement des
    mots sans rime            en attente
    de déraison — attente
    veillée entrecoupée de
    sommeil sans rêve ombres au bord
    des voix diffuses dans le feu
    attente — de réveil — enroulée je dessine
    les cercles du matin dans la lumière blonde
    funambule des deux rives du temps
    couchée à même le sol
    onglet du mètre — en attente de —
    sa hauteur 34 fois 6
    2 fois 17
    éclairages sur rampe






    Vronique_franghju_3_2
    Première et dernière de couverture
    ont été réalisées en encres flottantes






    l’araignée du soir
    divague à l’aplomb
    du mur blanc






    Vronique_franghju_1_2






    porte étroite fermée
    sur sa transparence (même)
    rumeur sombre mugissement des vagues
    encre minérale ciel — Ô — noire
    toute chose dérobée invisible
    vaste vaisseau de nuit              en attente d’étoiles
    éclats diffractés dans la flamme
    le froid me prend au rebours du réveil
    bris de mots avalés par le feu



    Au matin les derniers brûlages de l’hiver
    montent dans l’air enneigé du
    printemps.





    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Impression sur Ingres d’Arches MBM
    (12 exemplaires numérotés et signés par les auteures)





    À L’APLOMB DU MUR BLANC


    Véronique Agostini


    Pour toute commande, se rendre sur le
    site des éditions Les Aresquiers, ou sur le site de la Galerie Michelle Champetier (52, Avenue Saint-Jean – 06400 Cannes).


    Voir aussi :

    – le site de
    Véronique Agostini



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