Étiquette : Anne Calas


  • Anne Calas | Val cosmique



    Calas +







    VAL COSMIQUE
    [15]





    Le vide absorbera la joie aux commissures
    Je prends le ciel à la gorge
    Je prends son cri et son silence
    Je prends ses giclées de béton
    Sa pluie d’encre féconde
    Ses semelles d’aube claire
    Je prends ses arrivées ses lignes
    Et son tourment et ses ombres
    Je prends
    [Tout]




    Anne Calas, « Val cosmique » in « III. Sans faille, la vie nouvelle », Déesses de corrida, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2019, page 117.





    Anne Calas  Déeesses de corrida
    feuilleter





    ANNE  CALAS

    Anne Calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site personnel d’Anne Calas)
    une lecture de Déesses de corrida par Jean-Paul Auxeméry [PDF]
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la page de l’éditeur sur Déesses de corrida





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  • Anne Calas | [Mon île fantastique et joyeuse]



    Calas +







    [MON ÎLE FANTASTIQUE ET JOYEUSE]




    Mon île fantastique et joyeuse tu viens noyer
    Ma transparence, les raisons de toutes
    Nos édifications intimes, colosses
    De pierres volcaniques sous des dehors
    De douce et lente euphorie
    Marcher là, courir, monter en selle
    Revêtir les habits de Molière je regarde
    Tes boucles brunes sur la photo
    Ta fossette, ingénue, prudente, innocente.
    Il est parfois des cépages comme
    Des espèces animales disparaissant
    Dans le courant de nos archéologies
    Intimes de
    Nos grottes de nos
    Mystères

    Il faut imaginer que nous soyons femmes-

    Oiseaux que nous soyons sommets de la falaise

    Sternes fuligineuses, archipels façonnant

    Le nombril du monde, ton galet orangé

    Magnétique, me berçant doucement




    Anne Calas, « Mireille, intime d’où je viens », in « II. Lignes d’aubes, terres », Déesses de corrida, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2019, page 71.





    Anne Calas  Déeesses de corrida





    ANNE  CALAS

    Anne Calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




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    une lecture de Déesses de corrida par Jean-Paul Auxeméry [PDF]
    → (sur le site des éditions Flammarion)
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  • Anne Calas, Honneur aux serrures

    par Angèle Paoli

    Anne Calas, Honneur aux serrures,
    Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait,
    29410 Plounéour-Ménez, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « JE DÉBORDE À LA MARGE »



    Honneur aux serrures. Quel titre ! L’association est inattendue. Et si le lecteur pense trouver ici tout l’attirail du parfait serrurier, il sera vite déconcerté. Association de malfaiteurs, alors ? Non, bien sûr. Car il s’agit de poésie. La maîtresse d’œuvre de ce recueil est Anne Calas, dont les précédents ouvrages m’ont déjà sensibilisée à l’originalité de l’écriture. Avec ce dernier opus qui met les serrures à l’honneur, la poète, qui est aussi comédienne chanteuse jardinière, mécanicienne à ses heures (garagiste ?) et surtout grande amoureuse, poursuit son entreprise d’ouverture d’« espaces poétiques ». Et pour permettre au champ des possibles d’avoir lieu, il faut faire sauter les serrures. Les serrures antérieures. Celles du passé de la langue du langage de l’écriture. Et du sexe. Il y faut un optimisme lumineux, une confiance exubérante dans l’amour qu’elle porte à celui à qui elle dédie son livre (à Yves). « J’écrirai toujours pour toi », écrit-elle. Rien n’arrête Anne Calas. Rien n’arrête son élan son bonheur à dire et à nommer. Son bonheur est plénitude.

    Le déverrouillage se fait en deux temps (au moins) :

    « en hiver, au printemps, honneur aux cylindres ! »

    « à l’été, honneur aux serrures ! »

    Huilées par le sperme de l’amant, les serrures sautent :

    « Le grand foutroir et dans ma bouche le mur absorbe le soleil d’hiver. Une éponge de miel, un liquide marié de meringue sur le pont aux serrures. Yeux noirs de l’enfant Océan chérubin-charbon. Il est midi. »

    ou encore, côté femme :

    « si je pouvais l’être enfoui et chaque jour

    cet éblouissement de framboise écrasée

    cette sidération adolescente à la bouche charnue

    tendre douce

    qui sait con      tente       [tout] »

    On le comprend aisément, cet Honneur aux serrures est un long chant d’amour. Qui offre toutes les palettes du sentiment amoureux et en renouvelle l’énergie : fantaisies, exigences, tendresses, jeux sont conviés sans réserve… Même si le chant d’amour se construit « au milieu d’un grand vide »

    « parce qu’un beau jour un amour

    arrive ».

    Le chant s’ouvre sur des retrouvailles après un temps d’absence et s’enfle d’aveu en aveu avec des poèmes qui montent en puissance au cours des trois sections. La dernière étant, à mon sens, la plus exaltante. Et l’on passe de l’indécence candide et comique d’une scène réjouissante :

    « […] tu ris

    de me regarder

    danser sur le lit       pisser debout

    devant toi

    dans la lumière du matin »

    à la douceur extrême de la caresse

    « […] extravagante perception

    de l’amour, main pleine

    d’un duvet de cygne »

    pour s’affirmer dans la revendication :

    « Je revendique le droit d’aimer. Sans défense à la grille. Sans fruits déjà noués. »

    L’amour se décline à chaque instant, jusque dans cet aveu bouleversant :

    « Ce n’est pas grave si le temps passe, ce n’est pas grave.

    Je t’aime dans mes ruines. »

    Ainsi Anne Calas ose. Elle dit, suggère parfois plus qu’elle ne dit, avec des images fruitées, colorées, savoureuses, les suavités du sexe rendu à sa jeunesse adolescente. Joueuse, aussi. Elle joue avec les associations inattendues d’objets d’idées d’actions. Parfois jusqu’à l’incongruité mystérieuse dont seule la poète détient les clés :

    « Sous la cloche de verre une râpe, scories de temps, anneau de Saturne comme pleurerait le papier. »

    Dans le même poème, on trouve aussi cette sidération devant sa propre création :

    « L’illusion et la vérité, splendeur des mots sur la page et leurs bouleversements stellaires. »

    Le territoire qu’explore Anne Calas est riche — rivière / fleuve / lacs / terre / maison / « rideaux fleuris » / allées plantées d’arbres / jardin avec fleurs / mer… — qui se découvre dans la plénitude des saisons et dans la variété des plaisirs qui s’y déclinent. Gourmandises et saveurs, « brassée de pêches blanches », mais aussi petits bonheurs du jour qui se vivent dans le partage et dans la simplicité de la présence. Jusque dans le suspens des gestes :

    « tu es là, dans la cuisine, assis depuis longtemps,

    tu m’attends ».

    Dans les différentes sections du recueil (trois en tout), on trouve de quoi danser et rire, de quoi jouer et de quoi ravir l’amant :

    « et je te vois :

    sidéré devant ce gris-gris revenu du néant

    un soutien-gorge suspendu au lustre de l’entrée

    un feu de plein été… »

    En dehors de l’amant, on croise tout ce qui constitue le territoire intérieur de la poète. Tout ce qui a modelé ses goûts son caractère sa personnalité. Chanteurs et chansons, Alain Bashung et Bob Dylan, spectacles de jongleries (Rosie Rose), auteurs affectionnés. Henry Miller ; Samuel Beckett — Cap au pire ; mais aussi des poètes comme Mathieu Bénézet et Dominique Fourcade… Et d’autres encore, dont la présence se manifeste par des citations en italiques. Ainsi de ces deux vers :

    « mâchouillement obscur entre les ventres des bateaux amarrés », empruntés à La Naissance du jour de Colette.

    La toute première section de la première partie du recueil — « ceci est » — offre à elle seule un échantillonnage intéressant de ces paysages, y compris dans la forme du poème. Ainsi de ce poème qui commence comme un inventaire et se poursuit sur des équivalences inattendues alliant nature et mécanique, marquées par le signe = :

    « trois étoiles orangées

    un coussin        moelleux

    deux étincelles

    dans le carburateur =

    une maison un chemin collimateur à douze tilleuls

    six marronniers détonateurs ».

    Deux pages plus loin, la poète poursuit son jeu des associations où s’unissent les contraires :

    « les pavés débordent

    de pollens

    = territoires en pointillés ».

    Il arrive que la poète utilise les crochets. Elle y range quelques mots. Sans doute pour ménager un ralentissement, ou même une pause dans le rythme effréné qui est le sien. Cela prend parfois la tonalité d’un aparté. D’une confidence qui vient adoucir le contexte. Qui met l’accent sur l’intime :

    «[…] je m’allonge

    dos vibrant comme

    un champ électrique

    ouvrant sur [ma petite chambre]

    je t’espère — anatomie

    pont suspendu     mon amour »

    ou au contraire une insistance : « [je veux dire ça] » qui vient appuyer une métaphore culottée.

    « la maison flotte dans un printemps que l’été serre de près marque

    à la culotte [je veux dire ça] ».

    Je ne peux m’empêcher de sourire à ce « ça » qui me renvoie inévitablement au « ça » de Nathalie Sarraute. Je ris de la transformation qu’Anne Calas lui fait subir. Je ris aussi de la volonté attendrissante et têtue que manifeste la poète pour donner à sa « culotte » une présence dans le poème sans l’ajuster pour autant à un contexte travaillé. J’aime cette liberté de ton si particulière et tout compte fait, assez peu courante, qu’a Anne Calas dans son écriture.

    Il y a beaucoup à dire encore, tant est riche la foisonnante inventivité de la poète. Jusqu’où cette énergie débordante ? Lorsque dans le poème 15 de « absolutely sweet Mary », la poète écrit :

    « J’apporte enfin une chaise pour m’asseoir. »

    le lecteur est tout étonné de cet aveu inhabituel sous la plume d’Anne Calas.

    Ainsi lire ce dernier ouvrage et les poèmes qui le composent, c’est se laisser prendre dans le tourbillon de la vitalité de la poète, dans son énergie vitale, dans sa soif inextinguible de l’amour. C’est partager un moment de vie qui entraîne dans sa verve créatrice. Car, outre cette vitalité insatiable, Anne Calas a un talent fou. Et cet Honneur aux serrures est une promesse de plaisir pour qui accepte de pousser la porte. Un plaisir qui va croissant au fur et à mesure que l’on progresse dans l’aventure qu’elle nous livre. Sans retenue, avec la prise de risque que cela comporte.

    Entrer dans les « paysages/intérieurs » d’Anne Calas, c’est faire le choix du multiple. Il y a bien sûr des lieux de prédilection parmi lesquels la maison au pied du Ventoux, ses « effarements d’ailes », ses « persiennes angéliques », ses « sauges bleues » et ses « accélérations verticales ». Mais il y aussi des écarts qui se vivent au-delà des cartes, hors lignes :

    « je déborde à la marge »

    écrit Anne Calas. Des écarts comme je les aime, ceux que je retrouve dans le tout petit poème suivant :

    « silence

    tout se défait

    il tiède encore immaculé

    presque personne ici ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Anne Calas, Honneur aux serrures







    ANNE CALAS


    Vignette anne calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Anne Calas





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  • Anne Calas | [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui]



    [NI PRINCESSE, NI D’HIER NI D’AUJOURD’HUI]





    Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui ni se
    sentir, mais dans le vent une petite fellation
    blowing blowing. Une mèche sur le front,
    rectifier ta cravate, aplatir ton col, pincer ta
    veste. Un brin de fil blanc scrute les petites
    oreilles compliquées, paupières, narines.
    Contre la fatigue, l’éclat souvent doux de tes
    prunelles bleues, plage dactylographiée en
    trois langues regardant sur toi comme un
    gardien de musée. Et si j’étais un palace,
    viendrais-tu me visiter ? Je n’entends rien, la
    nuit est nue.



    Anne Calas, “blowing, blowing”, 11, in Honneur aux serrures, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2016, page 122.






    Anne Calas, Honneur aux serrures







    ANNE CALAS


    Vignette anne calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Anne Calas
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Anne Calas





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  • Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre]



    Anne-Calas-NYC-drap-sér-1-2
    Ph. © Anne Calas | isabelle sauvage
    Source








    [PAR TRANSPARENCE D’UNE VITRE]



    par transparence
    d’une vitre

    à l’autre en travers
    de ses nuits

    (si le jour cède)

    : femme au miroir
    dans la baignoire

    noyée de pluie

    la jambe bue
    repliée sur

    le drap défait

    l’épaule au creux
    de l’oreiller

    le sein caché
    (puis découvert)

    le regard qui
    chavire de cette

    liesse intime

    (la nuit n’y
    est pour rien

    (un miroir)
    suspendu

    au mur
    (du fond)

    comme un sigle
    (une sangle)

    son dos pris
    (dans le cadre)

    : du reflet :

    un regard
    suffirait

    : un portrait

    sur la toile
    cirée dans l’angle

    un vase vide
    (à distance)

    : une carafe
    au bord

                 du lit



    Yves di Manno (texte) | Anne Calas (photographies), « la série monotype », in Une, traversée, Éditions Isabelle Sauvage, Collection Ligatures, 29410 Plounéour-Ménez, 2014, pp. 48-49-50.






    Une-traversée





    ■ Yves di Manno
    sur Terres de femmes


    après Privas… Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture » (article republié dans Terre ni ciel)
    féal (poème extrait de Champs)
    Objets d’Amérique (note de lecture d’AP)
    [pour rejoindre en lisière de la page] (extrait de Terre sienne)
    Terre ni ciel (note de lecture d’AP)




    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des Éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Une, traversée






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  • Anne Calas, Littoral 12

    par Angèle Paoli


    Anne Calas, Littoral 12,
    Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli



    A (1)
    Ph., G.AdC







    UNE ÉCRITURE DU DÉSIR




    Littoral 12. Quasi signalétique, portuaire, le titre informatif du recueil d’Anne Calas ouvre pourtant sur un voyage poétique au long cours. Partition maritime en douze chants, le recueil Littoral 12 se clôt sur une date : décembre 2012. Avec ce premier ouvrage de poésie, Anne Calas met ses pas dans les pas de Blaise Cendrars, emportant avec elle, comme cahier de voyage, les Feuilles de route du poète :


    « Je suis propre lavé frotté plus que le pont

    Heureux comme un roi

    Riche comme un milliardaire

    Libre comme un homme »


    Tel est l’exergue qui donne la tonalité du long poème Littoral 12. Rudesse d’une vie drossée par la mer ; richesse d’une richesse autre que matérielle ; bonheur de l’homme qui éprouve la liberté grande que lui confère la vie à bord d’un navire, confronté à l’immensité de la mer.

    « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » écrivait Charles Baudelaire dans Les Fleurs du Mal.

    Femme libre, Anne Calas chérit la mer et le grand large. De cet amour profondément lié à ses amours terriennes et à l’histoire de sa vie, la poète tire un chant homérique renouvelé. Elle fait entendre, lorsqu’elle se laisse prendre aux mailles d’un lyrisme enlevé très personnel, une voix de femme vibrante et passionnée. Une voix « inouïe », qui ose embrasser l’élan et les mouvements du cœur, balayant de la plainte l’univers poétique qui est le nôtre.







    B
    Ph., G.AdC







    En douze chants répartis selon quatre ensembles — 5/2/3/2 —, interrompus par trois « intermèdes insulaires », Anne Calas traverse le temps, traverse l’espace. Des rivages des Flandres — ZEEBRUGGE — où elle ancre le point de départ de son écriture, à New York où se noue l’épilogue de sa « traversée » à bord d’un « vessel rouge » (en passant par les rives de la Bretagne où elle a son port d’attache), Anne Calas revisite sa vie — enfance heureuse / amours / voyages / vacances / naissances / chagrins / déceptions / séparation / contradictions — au gré des flots qui la guident et dont elle épouse les houles écumeuses. Fille de la mer, déesse issue des noces de Thétys avec le dieu Océan, la poète-aventurière, éprise de vastes horizons et de constellations innombrables, se coule dans les grands mythes archaïques. Lumineuse. Solaire et lunaire à la fois. Lunaire parce que la Lune, divinité tutélaire tout en splendeur et en diadème, l’accompagne dans ses pérégrinations et dans ses vagabondages. Solaire parce que la poète se situe tout entière du côté de la sensualité et de l’éros, indissociables chez elle, de l’amour. Femme de chair et d’os, avide de « miel » et de « semence », elle va, pareille aux « nymphes joyeuses » qui frappent le sol qu’elles foulent, « jamais rassasiée », répétant et scandant :


    « J’ai faim » ; « j’ai soif » ; « je marche ».

    « Je m[Arche] », écrit-elle aussi , célébrant par ce jeu typographique l’ « Alliance du ciel & de la terre ». (p. 47)


    Les chants qui composent cette partition — longueur et formes extrêmement variées — alternent phrases isolées sur la page — parfois proches de l’aphorisme — et paragraphes denses, semis de mots et éclats, crochets et italiques, traces typographiques et photos (trois, en noir et blanc), poèmes et proses. Irrégulier, un sonnet sans rime déroule le décor d’un passé amoureux, la naissance de quatre enfants, la beauté de la jeunesse, son aveuglement, sa chute douloureuse d’une Olympe qui donnait l’illusion de l’éternité :


    « Malheur à nous de n’être pas des dieux. » (p. 53)







    C
    Ph., G.AdC







    Journal de bord poétique et énigmatique — marin « (fuseau 6/ 8-12-2012 [sa]medi), 40°00’ latitude N, 64°55’ longitude W »—, le chant XII, chant final, scelle dans une même étreinte l’amour fusionnel avec la mer et les « serments » du renouveau amoureux :


    « l’arrivée      le quai     les côtes enfin

    premier oiseau et cette étreinte que la fin

    toujours fait naître avant les grands commencements

    nos saturnales notre âge d’or et nos serments » (p. 249)


    Quant aux « intermèdes insulaires », ils se présentent comme des proses, sans majuscules ni ponctuation finale et font penser à des pauses intermédiaires, à la fois plages de répit entre deux chants et quais de départ vers une autre errance, un autre envol. Ou vers une plongée intérieure habitée par l’attente.


    « ton corps       littoral intérieur […] ton corps me manque » (p. 99)


    Dans chaque chant se lit le désir du départ et se dit le désir de rives autres où se partage l’amour :


    «[…] j’ai soif

    provision d’eau fraîche la moitié du ciel est

    à nous je te veux pour l’élan que [tu] désir

    incandescent que tu la beauté nue que tu



    nuits blanches     beiges     belles     belges » (p. 25)


    « rivages    rivages    rivages »


    Un appel. L’appel prend appui sur les balises du texte, glissements d’une page sur l’autre :


    N

    e

    m

    é

    g

    a

    r

    e

    p

    a

    s


    et, à la page suivante :


    g

    a

    r

    d

    e

    m

    o

    i


    — répétitions (souvent ternaires) de mots et de sons —allitérations en « p »— qui scandent le déroulement du poème sur la page :


    « une plongée


    pénombre dans les couloirs tapis rouge

    mes pas les nôtres


    portes battantes portes


    voix

    houle voiles

    une plongée » (p. 23)


    ou en « p » et « b », dans la suite mystérieuse du chant :


    « rassembleur de nues te voilà. vents bourrasques

    inouïs. milliers de bras poussent repoussent

    cette grâce une douceur on ne sait plus peau

    de lion pousse repousse peau de dragon duvet

    de cygne pelage de faon pousse repousse

    après que peut-on dire ? corps vibrants gorges cages

    tout ce qui contient [nous] l’étonnement de cet

    accord parfait murmures brûlures la part manquante

    l’autre moitié. Après que peut-on dire ? […] » (p. 25)


    Il fallait que le long poème chanté de Littoral 12, pour prendre son essor et rejoindre l’espace — terre, ciel, mer —, désiré avec ferveur, puise dans la contemplation. Ainsi s’ouvre le premier chant, sur un champ d’observations de « mes propriétés » (allusion explicite à Henri Michaux) / « mes priorités », chant qui s’effectue « par petites poussées successives ». Poussées rituelles sous forme de refrain qui (se réitèrent et) s’accompagnent visuellement de longs tirets interrompus par les chevilles du « ça » :


    « pour faire—————————ça—————————je pousse

    de petites poussées

    successives

    tu vois/comme ça » (p. 14)


    Sensitive, la poésie d’Anne Calas, favorisant d’emblée la vue — dans toutes les dimensions qu’elle offre —, ménage un temps pour le « recueillement / intérieur », « la piété inspirée ». Un rituel à trois temps accompagne les « longues poussées » :


    « ablution/libation/invocation ».


    De chant en chant, Littoral 12 déroule ses étapes, jalonnées, de loin en loin, de « et puis ». Ou de la variante « et encore ». Chacun de ces appuis narratifs introduisant un nouvel épisode, un nouveau paysage, une nouvelle effervescence. Un nouveau départ.


    « et puis/ le cri » ; « et puis/plan large » ; « et puis : Tout quitter. Époux. Palais. Enfants. » ; « et puis, /à droite à gauche vallons & plaines. » ; « et puis, /demain je pars. » ; « et puis : s’enfoncer dans la forêt humide… » ; « et puis, /rouler dans le matin. ».


    Il arrive que le poème se délite sur la page, lorsque départ et rupture coïncident et que la séparation se vit dans la violence :


    «  Dormir longtemps draps de fil blancs longtemps blancs immaculés.


    le jour

    nu



    lumière sous le volet

    corps pluie lit



    je me serre » (p. 55)


    D’autres fois, réduite à un chapelet de mots, l’écriture rend compte d’un profond désarroi.

    Certains poèmes, rejoignant en cela le titre de l’ouvrage, prennent la forme de bulletins marine. Les paragraphes, denses, visent à l’efficacité informative. L’écriture — succession de groupes nominaux séparés par des points — mime le style télégraphique.


    « port. Neuf heures du soir. Vent doux haubans & mâts pulsations métalliques chaleur presque — accablante. » (p. 31)


    L’annonce du départ se fait par une « nuit sans lune », aux abords du sommeil et du rêve. La magie poétique gagne. Les allitérations en « m » bercent le chant ; le mythe impose ses images de libations et de vins. L’aventurière annonce à la cantonade son départ :


    « fils d’Evanthès dieu d’Ismaros     boisson divine

    je pars

    Ulysse mon compagnon je pars ».


    Femme triomphante, inventive, décidée, la poète rivalise avec Ulysse et le dépasse. Dans Littoral 12 en effet, c’est l’homme qui reste à terre et qui regarde s’éloigner l’épouse ou l’amante. Au milieu du poème pourtant, évoquant le paysage des îles et le voyage, l’aventurière annonce :


    « [je pars avec toi] ». Cette annonce entre crochets semble être l’expression d’un désir irréalisable et évoquer le rêve. Au fil des poèmes d’autres mots entre crochets apparaissent, qui ponctuent les chants. Un dialogue s’instaure, ponctué d’acquiescement [« oui »] ou d’affirmations [« je sais »]. Tantôt c’est de la narratrice qu’il s’agit, « je » ; tantôt c’est de l’autre. « Et ta main [invisible] sur mon cœur. »


    Ou encore :


    « Je suis une amoureuse [dis-tu] ». (p. 71)


    Cet autre qui s’insinue peu à peu dans le cœur de l’amoureuse mais demeure encore dans l’ombre des crochets, qui est-il ? Est-ce une présence — prémonitoire — qu’elle ne connaît pas encore mais reconnaît déjà ? À laquelle celui qu’elle choisit et à qui elle se lie s’enroule désormais ?


    « Étalon noir ou olivier. Ce sera [toi]. Signe de tête/voilà. Tu me conduis. Voyage. Et je te suis. Je roule. Tu me conduis. Voilà. Belle guerrière. Belle ouvrière. » (p. 73)


    Est-ce lui, ce [toi], celui à qui est dédié Littoral 12 ? « à toi, Yves. »


    Chaque départ annonce la fin d’un monde partagé, d’une vie à deux qui s’estompe pour laisser la place à une histoire neuve. Un homme apparaît, qui n’est plus l’époux des amours de jadis (« T’avais rêvé un autre »). Chant où se dit le désir, le long chant IV brouille les décors, les époques, les embrassements/enlacements. Où se situent les frontières ? Les découpes entre rêve et réalité ? Entre onirisme et érotisme ? Présent et passé se mêlent ; s’enchevêtrent. Les souvenirs refont surface, nimbés d’une légère mélancolie.








    D
    Ph., G.AdC







    « Où êtes-vous jarres Brise au feuillage des frênes ?

    où êtes-vous nappes aux carreaux rouges et blancs,

    herbes tendres/ Où ? Enfance/ Où ? Je marche » (p. 46)


    On ne peut s’empêcher, lisant ces vers, de fredonner l’air de Maxime Le Forestier :

    « San Francisco, où êtes-vous

    Liza et Luc, Sylvia, attendez-moi »


    La nostalgie est de courte durée. Le présent réapparaît, sous forme d’une phrase complice :


    « Anyway [comme tu dis] ».


    Petite phrase conclusive qui revient dans la bouche de l’autre pour ponctuer le dialogue :


    « Il faudra secouer les sorts, anyway

    [comme tu dis] » (p. 80)


    Poète inventive de chair et de feu, Anne Calas nourrit Littoral 12 de ses chimères. Et s’en libère. Par l’écriture. Marquée à la fois du sceau des Anciens et par l’imprégnation des poètes contemporains, sa poésie est poésie du désir. Désir amoureux et désir du voyage, appel des déserts de la mer des forêts des oiseaux ; désir de renouer avec le « langage d’avant les mots ». Liée aux constellations qui voguent dans la voûte céleste, la poète l’est aussi à la lune. « Femme-déesse » à qui elle adresse une ode vibrante de « piété inspirée » :


    (—pied. Cercle blanc poussière de sable infiniment

    lumière de nuit lumière, virginale opaline

    silence—fente lente robe noire. Dos

    frottements glissements aube naissante aube

    je te regarde lune je te salue mon astre

    glaise inclinée je suis. émergée du chaos

    femme-déesse ou demi-dieu pénombre nue

    ton chant à la bordure traverse traversée

    supplique pietà la beauté de ton cri

    prière séminale des ténèbres à l’aurore

    épaule silencieuse nubile butineuse

    le sable lentement s’écoule de ta main—) (p. 75)


    Avec Littoral 12, Anne Calas offre une poésie régénérée. Prend le risque d’une écriture portée par les forces vives d’une personnalité riche. Ouvre devant elle un sillon de mots et d’émotions jusqu’alors tenus sous le boisseau, interdits de séjour sur la page du livre. Elle ose un lyrisme audacieux, incandescence et démesure dionysiaques.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Anne Calas







    ANNE CALAS


    Vignette anne calas




    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes

    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



    ■ Voir aussi ▼

    le site d’Anne Calas





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