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Étiquette : anthologie bilingue
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Milo De Angelis | “T.S.”, II
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Terres de femmes | Terre di donne : 12 poètes corses
par Alain NouvelTerres de femmes | Terre di donne
12 poètes corses,
anthologie bilingue (français-corse)
coordonnée par Angèle Paoli,
Éditions des Lisières, Collection Hêtraie
(voix poétiques féminines bilingues), 2017.
Linogravure de Maud Leroy.
Lecture d’Alain NouvelCOULEURS DE FÉMININ(S) ?
« rien ce soirrien au couchantrien à l’auberien »
Marianne Costa,« Solstice d’hiver »
« La femme, ce continent noir », soupirait Freud, et Lacan poursuivait en affirmant : « La femme n’existe pas ». Or, Terres de femmes | Terre di donne nous donne à lire 12 « poètes » au féminin, et non pas 12 « poétesses ». C’est que le féminin n’est pas dans les images stéréotypées de « LA » femme, ou de ce que devrait être une prétendue « poésie féminine ».
Ce que j’ai entendu, en lisant ces voix de femmes (et l’objet-livre donne à entendre-voir ces « noms de femmes », appelés l’un après l’autre, avant chaque corps de texte), c’est la couleur du féminin, et, pour tout dire, les multiples couleurs des féminins.
Le titre du recueil, déjà, renseigne. Le pluriel est de mise. Même si ces femmes sont toutes corses (ou apparentées corses), leur île est multiple. D’ailleurs chacune est « isolée » chaque fois des autres par une page blanche, comme par une étendue marine. Avec chaque poète, nous touchons un nouveau rivage, une terre nouvelle, autre.
« Nul ne sait que je suis étrangère », dit Catherine Getten Medori, mais nul n’ignore que nous le sommes tous, et Danièle Maoudj, dans son poème dédié à Angèle, semble répondre en évoquant les Antilles : « J’atteins la prunelle du volcan » ou encore : « La nuit des mots épice l’insomnie des archipels » […] C’est que « [m]aronne le sens de la vie », et la poésie pourrait bien m’inviter « à traverser l’épreuve de l’étrangère »…
Que savons-nous de nos prétendues « identités », de nos genres ? Ne sommes-nous pas obscurs à nous-mêmes ? Comme le dit Anne Marguerite Milleliri : « L’enfance tremble jusqu’aux os | dans le corps d’une femme » et si « [t]remble l’absence », alors, il ne reste plus que « le risque du chemin », « ce risque d’amour qu’est l’amour », et Lucia Santucci semble lui faire écho en faisant chanter « le marin qui s’improvise sage-femme » et qui accueille dans ses bras le nouveau-né de « l’africaine, la migrante ».
Mais c’est Hélène Sanguinetti qui apporte à cette question la réponse la plus radicale et la plus forte :
« Le mal ? vouloir tout […] Ici, je sais qui je suis : personne. »
C’est sur une plage que la révélation peut avoir lieu, au moment où se confondent la mer et la nuit, au moment où « deux surfaces se sont éprises, battent ensemble ». Et l’on peut également penser à ce « Personne » que fut Ulysse.
Nous sommes nos contradictions, nous en vivons, elles nous bâtissent. « Une mère pleure », dit Marianghjula Antonetti-Orsoni déplorant la guerre qui « anéantit les couleurs de l’humanité », et Angèle Paoli évoque, elle, « l’ultime conciliabule » entre une mère et sa fille, ce passage terrible de la vie au trépas de « mamma », ce moment où « ELLE EST » tandis qu’elle n’est plus, où « elle » passe d’ici en ailleurs, où elle devient autre, où elle devient tout.
Peut-être que l’un des traits les plus caractéristiques du « féminin » serait cette aptitude à la métamorphose, ce « oui » dit au passage, à l’accueil de l’autre, en soi ou avec soi. D’ailleurs, nous lecteurs, glissons sans cesse de la langue corse au français, du français au corse comme pour mieux entendre ce qui se dit entre les mots, ce qui s’élabore à travers eux et leur échappe. La poésie est dans cet écart, dans ce mouvement de l’une à l’autre langue : « mer masculine en notre langue, mer-femme en d’autres langues », dit Lucia Santucci. Et Marie-Ange Sebasti continue en inventant en corse le mot Migrazione, qui n’existe pas encore mais qu’elle fait exister dans son poème. Elle parle de « villes grouillantes » dans la version française de son texte, ce qui est traduit en corse par cità bufunime (mot à mot, « villes bourdonnantes »)… Nous avons besoin des deux, du grouillant et du bourdonnant, pour entendre et voir ces villes.
Après vous avoir lues, poètes, j’ose vous dire :
« Je me sens femme comme vous, poète et corse, comme vous. »
Alain Nouvel
D.R. Texte Alain Nouvel
pour Terres de femmes
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NOTE : Les auteures :
Marianghjula Antonetti-Orsoni, Marianne Costa, Patrizia Gattaceca, Annette Luciani, Danièle Maoudj, Catherine Medori, Anne Marguerite Milleliri, Angèle Paoli, Isabelle Pellegrini-Alentour, Hélène Sanguinetti, Lucia Santucci, Marie-Ange Sebasti.
ALAIN NOUVEL
Ph. D.R.
■ Alain Nouvel
sur Terres de femmes ▼
→ une lecture d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Angèle Paoli
■ Voir aussi ▼
→ le site des éditions des Lisières
→ (sur le site des éditions des Lisières) la fiche de l’éditeur sur Terres de femmes | Terre di donne, 12 poètes corses
→ (sur Terres de femmes) Kallistè, la Corse, ma terre de mémoire
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» Retour Incipit de Terres de femmes -
Helga M. Novak| en automne
Source
IM HERBST
Wehmut treibt mich
den verlausten Mähnen
der Pferde zu folgen
über gemähtes Tun
über versengte Heide
über mooskahlen Stein
die Fohlensprünge
das tolle Scharren
der Hufe verklungen
in Geisternebeln
harren sie stumm
lauschend dem Wind
die Köpfe gesenkt
die kurze Brücke
der Sonnenkugel
verlockt sie nicht
zu wilden Spielen
Wehmut treibt mich
den verlausten Mähnen
der Pferde zu folgen
im Herbst
EN AUTOMNE
une langueur me pousse
à suivre les pouilleuses crinières
des chevaux
dans l’œuvre des faux
dans les landes calcinées
dans la roche chauve de mousse
les cabrioles des poulains
le piétinement fougueux
des sabots évanoui
dans les brumes spectrales
ils attendent muets
à l’affût du vent
têtes baissées
la courte passerelle
de la balle solaire
ne les incite pas
aux jeux sauvages
une langueur me pousse
à suivre les pouilleuses crinières
des chevaux
en automne
Helga M. Novak, Chaque pierre orpheline, Éditions Hochroth, Paris, 2013, pp. 22-23. Anthologie bilingue conçue par Dagmara Kraus. Traduction de l’allemand par Élisabeth Willenz avec une illustration de Ladislaja de Layre. Ouvrage publié avec le concours du Goethe-Institut Paris.
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NOTE d’AP : à la fin de sa vie, Helga M. Novak a résidé alternativement entre Legbąd (Pologne), Francfort-sur-le-Main et Berlin (Rüdersdorf) où elle est décédée le 24 décembre 2013 (elle est donc décédée dans le pays brandebourgeois de son enfance). Le fonds d’archives de Helga M. Novak a été légué en mars 2013 aux Archives littéraires allemandes (Deutschen Literaturarchiv) de Marbach am Neckar (district de Ludwigsburg). Ce fonds comprend ses textes et manuscrits, mais aussi sa correspondance (notamment sa correspondance avec Günter Grass et Wolf Biermann). Le troisième volume de son autobiographie (Im Schwanenhals, « Dans le col de cygne ») a été publié chez Schöffling & Co. (Francfort-sur-le-Main) en septembre 2013.
HELGA M. NOVAK
© PICTURE-ALLIANCE / DPA
Source
■ Helga M. Novak
sur Terres de femmes ▼
→ Lettre à Médée (poème extrait du recueil C’est là que je suis)
→ (dans la galerie Visages de femmes) un autre poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline
■ Voir aussi ▼
→ (sur Les Carnets d’Eucharis) une autre poème extrait du même recueil (+ une notice biographique)
→ (sur le site des éditions Hochroth) la page de l’éditeur sur Chaque pierre orpheline
→ (sur Recours au poème) Helga M. Novak par Pascale Trück
→ (sur Terre à ciel) Helga M. Novak : c’est là qu’elle est, par Sophie g. Lucas
→ (sur le site de Blandine Longre) un autre poème extrait de Chaque pierre orpheline
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» Retour Incipit de Terres de femmes -
Katerina Anghelàki-Rooke | L’autre PénélopeΗ ΑΛΛΗ ΠΗΝΕΛΟΠΗ
Μέσ’ απ’ τις ελιές έρχεται η Πηνελόπη
με τα μαλλάκια της όπως όπως μαζεμένα
κι ένα φουστάνι απ’ τη Λαϊκή,
μπλε μαρέν με άσπρα λουλουδάκια.
Μας εξηγεί πως δεν ήταν από προσήλωση
στην ιδέα «Οδυσσέας»
που άφηνε τους μνηστήρες χρόνια
να περιμένουν στο προαύλιο
των μυστικών συνηθειών του κορμιού της.
Εκεί στο παλάτι του νησιού
με τους φτιαχτούς ορίζοντες
μιας γλυκερής αγάπης
και το πουλί απ’ το παράθυρο
να συλλαμβάνει μόνον αυτό, το άπειρο
είχε ζωγραφίσει εκείνη με τα χρώματα της φύσης
την προσωπογραφία του έρωτα.
Καθιστός, το ένα πόδι πάνω στ’ άλλο
βαστώντας μια κούπα καφέ
πρωινός, λίγο μουτρωμένος, λίγο χαμογελαστός
να βγαίνει ζεστός απ’ τα πούπουλα του ύπνου.
Η σκιά του στον τοίχο
σημάδι από έπιπλο που μόλις το σήκωσαν
αίμα από αρχαίο φόνο
μοναχική παράσταση του Καραγκιόζη
στο πανί, πίσω του πάντα ο πόνος.
Αχώριστοι ο έρωτας κι ο πόνος
όπως το κουβαδάκι κι ο μικρός στην αμμουδιά
το αχ! κι ένα κρύσταλλο που γλίστρησε απ’ τα χέρια
η πράσινη μύγα και το σκοτωμένο ζώο
το χώμα και το φτυάρι
το γυμνό σώμα και το σεντόνι τον Ιούλιο.
Κι η Πηνελόπη που ακούει τώρα
την υποβλητική μουσική του φόβου
τα κρουστά της παραίτησης
το γλυκό άσμα μιας ήσυχης μέρας
χωρίς απότομες αλλαγές καιρού και τόνου
τις περίπλοκες συγχορδίες
μιας άπειρης ευγνωμοσύνης
για ό,τι δεν έγινε, δεν ειπώθηκε, δε λέγεται
νεύει όχι, όχι, όχι άλλο έρωτα
όχι άλλο μιλιές και ψιθυρίσματα
αγγίγματα και δαγκώματα
φωνούλες στα σκοτάδια
μυρωδιά από σάρκα που καίγεται στο φως.
Ο πόνος ήταν ο μνηστήρας ο πιο εκλεκτός
και του ’κλείσε την πόρτα.
L’AUTRE PÉNÉLOPE
À travers les oliviers vient Pénélope
avec ses cheveux attachés à la va-vite
et une robe achetée au marché
bleu marine avec des petites fleurs blanches.
Elle nous explique que ce n’était pas par dévouement
à l’idée « Ulysse »
qu’elle laissait les prétendants pendant des années
attendre sur le parvis
des habitudes secrètes de son corps.
Là-bas dans le palais de l’île
avec les horizons factices
d’un amour doucereux
et l’oiseau qui par la fenêtre
ne conçoit que ça, l’infini
elle avait dessiné elle-même avec les couleurs de la nature
le portrait de l’amour.
Assis, une jambe croisée sur l’autre
tenant sa tasse de café
matinal, un peu boudeur, un peu souriant
sortant tout chaud des plumes du sommeil.
Son ombre sur le mur
marque d’un meuble qu’on vient juste d’enlever
sang d’un meurtre ancien
unique représentation de théâtre d’ombre
sur la toile, derrière lui toujours le chagrin
comme le petit seau et le gamin sur le sable
le ah ! et un cristal qui nous a glissé des mains
la mouche verte et l’animal tué
la terre et la bêche
le corps nu et le drap de juillet.
Et Pénélope qui écoute maintenant
l’impressionnante musique de la peur
les percussions de la démission
le doux chant d’une journée tranquille
sans changements brutaux de temps et de ton
les accords compliqués
d’une immense reconnaissance
pour ce qui n’a pas été, n’a pas été dit, ne se dit pas
secoue la tête non, non, non, pas d’autre amour
plus de paroles et de chuchotements
de frôlements et de morsures
de petits cris dans l’obscurité
d’odeur de chair qui brûle à la lumière.
Le chagrin était le prétendant le plus exquis
et elle lui a fermé sa porte.
Katerina Anghelàki-Rooke, Beau désert, la chair [Ωραία έρημος η σάρκα] in Poèmes 1986-1996, Éditions Kastaniotis, Athènes, 1996. In Ce que signifient les Ithaques, 20 poètes grecs contemporains, anthologie bilingue, Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne | Diffusion Le Temps des Cerises, 2013, pp. 42-43. Choix et traduction Marie-Laure Coulmin Koutsaftis.
ΑΓΓΕΛΑΚΗ-ΡΟΥΚ ΚΑΤΕΡΙΝΑ (1939-2020)
Source
■ Katerina Anghelàki-Rooke
sur Terres de femmes ▼
→ L’anorexie de l’existence
→ 18e jour ou l’ordre nouveau des choses (extrait de Nature vide) [+ une notice bio-bibliographique]
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur YouTube) Katerina Anghelàki-Rooke lit un poème extrait de son dernier recueil
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