Étiquette : Antonin Artaud

  • Avec le Momo

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (2)






    Artaud

    Image, G.AdC




    AVEC LE MOMO



         Car ce qui nous est donné par ce contact à distance n’est pas seulement image. Cette Image dont la fascination est passion égarée. Ineffaçable. Close. Qu’il serait vain de chercher dans une parole autre, laquelle d’aucune façon ne saurait éclore faute de ce lieu. Celui que les esprits positifs appellent la cause perdue. De cette échelle renversée, hors soumission, à jamais. Où le bruit ne s’éveille que par la « faute » des autres.

         Celui qui partout s’écroule, vous pouvez détourner le regard, murer son coin d’ombre : il est souverainement hors d’atteinte. Hors de cette « cage de La Balue » des heures.

         Fête consommée, drôle de fête, là où le sens des choses s’effondre dans leur image ; lumière neutre, où toute affirmation menace de surgir de l’œil qu’on ne voit pas, quand il n’y a plus de monde, quand il n’y a pas encore de monde…

         Moment vertigineux où, avec Antonin l’envoûté et comme lui disjoint, tu te dérobes enfin au décalque du spasme qui seul limite. À cette défaite qui, de tous côtés, traine ses bruits, ses chaînes, ses foules. À l’ancienne science, enfin de face regardée, puisque rien n’est perdu de qui s’éparpille, comme ces enfants s’approchant, silencieux et arqués, à l’heure des choix…

         Prière où la lumière ne varie pas, drôle de prière. Qu’on fasse de nous des hoquets du langage sans amarres. Des vecteurs non orientés. Que les rumeurs s’écartent. Qu’advienne l’heure. L’enlisée. La toujours future. La ralentie, d’où toute trahison fut bannie – car se dissimuler à elle, c’est se cacher en elle. En ce lieu où tout est « définitivement garé », en cette paresse enfin sans signes. Pour laquelle ne se déshabille que l’autre nuit. Celle qui n’accueille pas, plus inaccessible que ce château intact où toutes les issues sont gardées – car l’atteindre serait respirer le dehors, rester hors d’elle, à jamais s’oublier en elle…

         Automne des éclats. (Ses atours, fêlés, sous le regard des murailles). Envie de migrations avec, dedans, l’appel, ou la pénombre… Car elle n’est pas sûre, l’autre nuit. Et nous le savons. Elle, cette mort qu’on ne trouve pas, est sans vérité, et cependant ne ment pas. Vide, lèvres vides entre deux plis. Dans la lumière verte, dans le sel que silence parfait. Ni adultes, ni achevés, pourtant. Toujours sans fausses liesses. Jamais fertiles de sources. Car si la plus longue incandescence se retirait du bout des îles, si les éraflures se faisaient plus lentes encore, s’il n’y avait vraiment plus rien à renvoyer, il resterait ce pré à saisir, clos en tous, aux trames interdites, en plein éveil. « Cela a été une fois, jamais plus » n’a plus cours ; car ce qui dans le reversement clame, nous dit que cela n’a jamais eu lieu, là, une première fois, que cela à nouveau, et indéfiniment, recommence.

         Dans ce qui revient, que tu ne connais pas, que jamais ne connaîtras, mais que tu reconnais, tu t’effondres, comme il se doit ; mais ta dépouille est ce temps bien réel où la mort ne cesse d’arriver, comme si, approchant, elle rendrait lumineusement stérile la nudité et le froid des temps par lesquels, n’importe quand, elle pourrait arriver…

         On se referme alors, à l’abri des parcours, tenus par la promesse du sommeil, dans la fatigue de la respiration, purement, à la dérive. Là où se fait l’échange, où l’on pourra guérir de l’ancien dédoublement, avant de s’ouvrir, à l’écart de tous rites, à l’incessant minuit. Là où glissent, pressentis, étouffés, les fleuves, ces lents condors aveugles…

         Fini des silures l’intouchable. C’est sur une plage imprévue que tu tournais, muet jusqu’à la chute. Il n’est pas recueillement ton silence, Antonin, et c’est sans un regard de trop que l’on glisse dans le risque de ta solitude. Dans l’appel où la grande opaque t’attire, non pour te mettre à l’épreuve, mais afin qu’à jamais tu y joues ta chance. La nôtre. La vôtre, à l’heure où tous les cris s’entassent en elle.


         « Si incroyable que cela paraisse, les Indiens Tarahumaras vivent comme s’ils étaient morts […] Ils ne voient pas la réalité et tirent des forces magiques du mépris qu’ils ont pour la civilisation. Ils viennent quelquefois dans les villes, poussés par je ne sais quelle envie de bouger, voir, disent-ils, ‘comment sont les hommes qui se sont trompés’ ».




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier


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  • 18 juin 1933 | Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud

    Éphéméride culturelle à rebours



    Anais_et__antonin
    Image, G.AdC







    Lettre à Artaud (envoyée de Valescure-Saint-Raphaël) : 18 juin.


    Nanaqui, je voudrais revivre mille fois ce moment sur les quais, et toutes les heures de cette soirée. Je veux sentir encore cette violence et votre douceur, vos menaces, votre despotisme spirituel… toutes les craintes que vous m’inspirez, et les joies si aiguës. Craintes parce que vous attendez tant de moi… l’éternité, l’éternel… Dieu… ces mots… Toutes ces questions que vous m’avez posées. Je répondrai doucement à vos questions. Si j’ai semblé me dérober, c’est uniquement parce qu’il y avait trop à dire. Je sens la vie toujours en cercle, et je ne peux pas détacher un fragment parce qu’il me semble qu’un fragment n’a pas de sens. Mais tout semble se résoudre, se fondre dans l’étreinte, dans la confiance de l’instinct, dans la chaleur et la fusion des corps. Je crois entièrement à ce que nous sentons l’un en face de l’autre, je crois à ce moment où nous avons perdu toute notion de la réalité et de la séparation et de la division entre les êtres. Quand les livres sont tombés, j’ai senti un allègement. Après cela, tout est devenu simple… simple et grand et doux. Le toi qui fait presque mal, tellement il lie… le toi et tout ce que tu m’as dit, j’oublie les mots, j’entends la tendresse et je me souviens que tu as été heureux. Tout le reste ne sont que tortures de nos esprits, les fantômes que nous créons… parce que pour nous l’amour a des répercussions immenses. Il doit créer, il a un sens en profondeur, il contient et dirige tout. Pour nous il a cette importance, d’être mêlé, lié, avec tous les élans et les aspirations… Il a trop d’importance pour nous. Nous le confondons avec la religion, avec la magie.

    Pourquoi, avant de nous asseoir au café, as-tu cru que je m’éloignais de toi simplement parce que j’étais légère, joyeuse, souriante un instant ? N’accepterais-tu jamais ces mouvements, ces flottements d’algue ? Nanaqui, il faut que tu croies à l’axe de ma vie, parce que l’expansion de moi est immense, trompeuse, mais ce n’est que les contours… Je voudrais que tu lises mon journal d’enfant pour que tu voies combien j’ai été fidèle à certaines valeurs. Je crois reconnaître toujours les valeurs réelles… par exemple quand je t’ai distingué comme un être royal dans un domaine qui a hanté ma vie. Nanaqui, ce soir je ne veux pas remuer les idées, je voudrais ta présence. Est-ce qu’il t’arrive de choisir ainsi un moment précieux (notre étreinte sur les quais) et de t’y raccrocher, de fermer les yeux, de le revivre, fixement, comme dans une transe où je ne sens plus la vie présente, rien, rien que ce moment ? Et après, la nuit, la succession de tes gestes, et de tes mots, de la fièvre, de l’inquiétude, un besoin de te revoir, une grande impatience.


    Anaïs Nin, Journal inédit et non expurgé des années 1932-1934, Inceste, Éditions Stock, Collection Biblio, 2002, pp. 268-269.






    ■ Anaïs Nin
    sur Terres de femmes

    21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin
    27 novembre 1932 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    1er juin 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1977 | Mort d’Anaïs Nin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    4 septembre 1896 | Naissance d’Antonin Artaud (extrait de L’Ombilic des limbes)
    – (sur Terres de femmes)
    1er octobre 1932 | Artaud et Le Théâtre de la cruauté
    → (sur Dailymotion) un entretien d’Anaïs Nin avec Pierre Lhoste (France Culture, 1969) : un document d’archives exceptionnel ▼









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