Étiquette : approuvé.


  • Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé.,

    par Angèle Paoli

    Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé.,
    éditions Le Silence qui roule, Collection Poésie du silence,
    45190 Beaugency, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli




    UN « PETIT COFFRET DE MOTS »




    Quelle preuve nous reste-t-il de ce qui a été vécu ? Seuls, peut-être, quelques mots égrenés au cours d’un poème, qui rendent compte, de manière volatile, que les choses ont effectivement eu lieu. Une grille a été poussée, des pas ont conduit le poète vers son passé. Des ombres passent et le frôlent, une autre ombre l’habite qui se love en lui durablement. La lumière qui l’entoure n’est plus tout à fait celle d’autrefois. Le vécu subsiste à contre-jour, un amour a été partagé qui s’en est allé, laissant vide une place désormais vouée à la solitude. Vu, vécu, approuvé. Tout cela qui fait partie de l’univers familier du poète Jean-François Mathé a existé, a pris forme un temps et s’est effacé un jour. Pour laisser place au poème puis, de poème en poème, à un recueil.

    Vu, vécu, approuvé.

    Trois participes passés composent le titre. Trois verbes en [v] – le [v] de vie et de « vent » – dont le nombre de syllabes va crescendo. Trois verbes qui affirment leur existence incontestable.

    Le poème d’ouverture est quant à lui bref, « resserré » autour de quelques mots clés. Les deux verbes au sein de la première strophe insistent sur un présent itératif.

    « Je serre

    je resserre encore

    et encore, »…

    Un présent rapide, déterminé, qui va dans la pulpe du fruit. Comme pour réintégrer le noyau premier. Comme pour réduire à l’essentiel ce qui a été vécu. Serrer. Resserrer. Les mots, les images, les souvenirs, le passé. Dans ces quelques vers, une vie concentrée/condensée dans la très belle image du fruit et du noyau. Sous l’effet d’une semblable concentration, la vie/le fruit sont voués à revenir à leur origine invisible. L’image du fruit, une image que le poète reprend dans le poème ultime, mais dans une tonalité toute différente. Une image qui ouvre sur un ailleurs, une autre respiration, un nouveau souffle. Un espoir peut-être.

    « Feras-tu le premier pas sur le chemin élargi par le vent ? Iras-tu enfin ailleurs qu’en toi-même, pour choisir dans le plus lointain verger le fruit qui aura le goût nouveau d’une nouvelle vie ? »

    Oui, les poèmes qui composent le recueil sont bien sous l’égide/emprise de l’étreinte. Étreinte des retours sur les temps disparus. Quelque chose enserre, qui tient assujetti à la tristesse, nuages réduits à leur silence :

    « Un maigre nuage est arrêté seul en plein ciel

    comme ce qu’il reste d’un cri dans la gorge… ».

    Mais ce vers quoi se meut le poète, c’est encore une ombre. Tout ce que son regard effleure s’imprègne de tristesse. Est-ce lui qui cerne les objets qui l’entourent de leur aspect décoloré ? Ou bien est-ce le réel qui a perdu de sa couleur et qui infuse dans le secret du cœur ses teintes fanées ?

    « J’ai vu la maison plus haute qu’avant

    mais le soleil n’avait toujours pas

    glissé jusqu’aux vitres

    et je savais qu’à l’intérieur l’ombre

    serait comme autrefois

    la première et la seule à m’étreindre. »

    Soudain, au tournant d’une page, se lit la distanciation du poète à l’égard de lui-même. Le « je » s’efface pour laisser place au pronom « il », lequel appartient désormais au passé :

    « Il s’habitua à vivre sans rêves,

    presque sans sommeils

    dans le poing toujours serré sur lui de la

    lumière. »

    C’est au cours de l’été que s’estompe la femme aimée. « L’été violent ». Chagrin violent aussi qui souffre des éclats de lumière et cherche à s’abriter :

    « je vais aux fenêtres, les ouvre

    et ferme mon cœur

    avant les volets. »

    Le poète, malmené par sa tristesse, cherche les recoins, les interstices entre les pierres où se fondre « pour continuer à vivre ». Car trop de lumière l’effarouche et le trop d’espace le laisse désemparé :

    « J’avance dans les mots

    comme dans des herbes qui s’écartent

    et ouvrent un chemin vers trop d’espace

    où je ne sais m’appuyer à rien. »

    Pourtant les mots sont là. Qui disent l’éloignement, la solitude, le voyage à rebours. Et l’amour. Viennent, s’enviennent les poèmes qui disent la mort qui alentour rôde. La mort qui insiste, la mort qui se fraie un passage à travers la mémoire, et qui ramène les siens, vénérés dans le souvenir. La mort qui prend parfois comme atours un feu de bois, une feuille que le vent bascule. La mort qui guide le poète jusqu’au « consentement à mourir ».

    La mort | l’amour. L’un à l’autre liés.

    Le poète s’adresse à l’ombre de la femme aimée, comme au temps où elle était là à ses côtés. Les mots qu’il formule sont des mots de tous les jours, parfois empreints d’incrédulité :

    « Tu dors ? C’est un mensonge :

    ton sommeil n’est qu’un fard

    sur de la mort posé. »

    Des mots parfois aussi marqués d’images renouvelées, si naturelles qu’elles en paraissent presque enfantines :

    « As-tu bien refermé le vent

    avant d’ouvrir la maison… ».

    Ou encore, plus avant dans ce recueil à la femme aimée, ce tableau familier où les gestes partagés offrent un récit à deux personnages, réduit et allégé de tout ce qui pèse. Dans sa recherche constante de légèreté, le poète resserre sa toile autour de l’essentiel, à si peu de chose. Émouvant tableau, proche d’une offrande édénique. Beauté, pourtant, d’une singulière simplicité :

    « Tu étais cambrée et moi à genoux.

    Tu cueillais les fruits, je ramassais l’ombre

    du cerisier. Tout était net quand nous

    partîmes. L’échelle restée debout

    signe ce tableau que plus rien n’encombre.

    Laissons-le là, clair

    sous son vernis d’air. »

    Par-delà ce chemin de mélancolie, entre amour et mort, surgit un jour nouveau. Un jour ouvert sur l’amitié :

    « Je m’appuie à la barre du jour, j’y attends un autre passant qui nous ouvrira l’un à l’autre. Nous resterons ensemble le temps que notre amitié escalade son arbre jusqu’à la cime avec les feuilles de nos rires. »

    Vu, vécu approuvé. Un « petit coffret de mots » aux fragrances émouvantes et délicates. Blotties entre les pages.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jean-François Mathé  Vu  vécu  approuvé





    JEAN-FRANÇOIS MATHÉ




    Jean-François Mathé
    Ph. Robert Poudret
    Source





    ■ Jean-François Mathé
    sur Terres de femmes

    [J’ai demandé à l’horizon] (extrait de Vu, vécu, approuvé.)
    [Ce qui a le moins pesé] (autre extrait de La Vie atteinte)
    [Le paysage né de la dernière pluie] (autre extrait de La Vie atteinte)
    [J’aurais voulu dire | et je n’ai pas dit] (extrait de Prendre et perdre)
    Prendre et perdre (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    [Il aurait mieux valu] (extrait de Retenu par ce qui s’en va)
    Retenu par ce qui s’en va (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je me défais des songes] (extrait du Temps par moments)



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    → (sur Recours au poème)
    une lecture de Vu, vécu, approuvé., par Irène Dubœuf
    → (sur Recours au poème)
    une notice bio-bibliographique (+ un choix de poèmes)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean-François Mathé
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    une page sur Jean-François Mathé
    → (sur YouTube)
    un portrait vidéo de Jean-François Mathé
    le site des éditions Le Silence qui roule
    → (sur le site À la littérature)
    une lecture de Vu, vécu, approuvé. par Marie-Hélène Prouteau





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  • Jean-François Mathé | [J’ai demandé à l’horizon]




    [J’AI DEMANDÉ À L’HORIZON]



    J’ai demandé à l’horizon
    qu’il libère les chevaux
    qui étaient allés mourir au-delà de lui.

    Qu’ils reviennent où je les attends,
    avec ce galop de silence
    qui est désormais le leur
    et ne réveille pas les pierres.

    Il y a ici la nuit et l’herbe des rêves
    dans un pré où j’irai les caresser
    comme quand j’étais enfant,
    comme s’ils étaient vivants.

    Ils tourneront vers moi leurs yeux aveugles
    qui ne voient que les souvenirs.



    Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé., éditions Le Silence qui roule, Collection Poésie du silence, 45190 Beaugency, 2019, page 10.





    Jean-François Mathé  Vu  vécu  approuvé





    JEAN-FRANÇOIS MATHÉ



    JF-Mathe
    Source




    ■ Jean-François Mathé
    sur Terres de femmes

    Vu, vécu, approuvé. (lecture d’AP)
    [Ce qui a le moins pesé] (autre extrait de La Vie atteinte)
    [Le paysage né de la dernière pluie] (autre extrait de La Vie atteinte)
    [J’aurais voulu dire | et je n’ai pas dit] (extrait de Prendre et perdre)
    Prendre et perdre (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    [Il aurait mieux valu] (extrait de Retenu par ce qui s’en va)
    Retenu par ce qui s’en va (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je me défais des songes] (extrait du Temps par moments)



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