Étiquette : Ariane Dreyfus


  • Ariane Dreyfus | Épilogue



    Denis Chaussende.4
    Ph. Denis Chaussende
    Source






    ÉPILOGUE



    Seule.

    Fascinée, je fixe des yeux le pain qui reste.

    Cela a été.
    Passer à la boulangerie avant, les petites pièces, la gaîté,
    Car plus que quelques minutes.

    Et une baguette entière
    Pour la seule raison qu’entière.

    Comme si
    ne plus couper le temps.

    Tu es venu.
    Une part mangée, une part restée.

    Ce qui brûle le cœur c’est le morceau disparu.

    Mais je caresse les miettes qui écorchent la nappe
    Aujourd’hui.




    Ariane Dreyfus, « Épilogue », section I, Je ne le dirai plus, L’Inhabitable, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2006, page 37.






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’Inhabitable (note de lecture d’AP sur L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur le site du CipM)
    Ariane Dreyfus lisant un extrait de Quelques branches vivantes







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  • Ariane Dreyfus | En sens inverse


    EN SENS INVERSE





    Sous la chemise il n’y a pas de porte

    Mais l’autre côté s’y trouve

    Puisqu’il me propose la chaleur de ses poils, je me couche dans le conte jusqu’en haut. Le cou des confidences, savoir où elles vont.

    Si elles nous reviennent

    Seuls les yeux.

    Là se tient l’échancrure

    La direction nue

    L’amour s’enfonce jusqu’à montrer son dos.

    *

    Sous la robe il y a moi que je n’ai jamais vue

    Des seins qui éclairent

    À chacun la source de la moins d’angoisse possible

    Le sexe doit se promener lui aussi

    Pour ne pas se perdre

    *

    Il aime m’asseoir sur lui

    Assez fort et très paisible



    Ariane Dreyfus, « Qui unissait leurs racines », Les Compagnies silencieuses, suivi de La Saison froide, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2001, page 84.






    Ariane Dreyfus  Les Compagnies silencieuses




    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source






    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    Anatomie (poème extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (poème extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’Inhabitable (note de lecture d’AP sur L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    Un recoin dans un coin (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Ariane Dreyfus (par Gérard Noiret, 14 mars 2017)





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  • Ariane Dreyfus, Sophie ou la vie élastique

    par Angèle Paoli

    Ariane Dreyfus, Sophie ou la vie élastique,
    Le Castor Astral, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « C’EST DE VIVRE QUE JE PARLE »




    « Une histoire passera ici ». Tel est le titre d’un précédent recueil d’Ariane Dreyfus, édité en 1999 dans la collection Poésie/Flammarion. Ce titre pourrait aussi bien être celui de son dernier opus : Sophie ou la vie élastique. Ici, une histoire passe en effet : celle de Sophie de Réan, héroïne malheureuse de la comtesse de Ségur. Et c’est peut-être aussi un peu l’histoire d’Ariane Dreyfus qui se dit/se lit ici en filigrane.

    La poète au long cours aime à revisiter les histoires d’enfance, les histoires de l’enfance. Les westerns de John Ford (Une histoire passera ici), Les Malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur pour Sophie ou la vie élastique. Conter est pour elle de la plus haute importance. Il arrive ainsi qu’un personnage vienne « se heurter à nous, qui sommes déjà en morceaux », confie Ariane Dreyfus sur la quatrième de couverture de son dernier recueil, Sophie ou la vie élastique, que viennent de publier les éditions du Castor Astral. La vie, semble-t-il, n’épargne pas. N’épargne personne. Elle atteint toujours son but, la mort. Entre les deux extrêmes, elle s’étire, joue avec les uns les autres, écrivains et personnages, animaux aussi et « presque vivants », comme la poupée aimée et meurtrie de Sophie, malmenée par sa jeune maîtresse. La vie joue à l’élastique et Sophie joue avec elle. Le fil tantôt s’étire et lâche du lest, tantôt se rétracte et c’est alors la mort qui se profile. Les quarante-six poèmes du recueil ravivent la mémoire effacée de l’histoire de Sophie.

    Sous la plume ailée d’Ariane, des épisodes oubliés refont surface, comme autant de ramures tendues auxquelles s’arrimer ; refont aussi surface les personnages qui animent le monde de Sophie. Ses cousines, Camille et Madeleine ; son cousin Paul. « Ce sont des enfants qui font attention à la vie », écrit la poète dans « [n]on pas le dernier, mais le seul jour» ; Madame de Réan, fragile et aimante, désespérée ; et son autoritaire époux (pas vraiment sympathique !). Madame de Fleurville… et quelques protagonistes occasionnels. Le plus étonnant est de retrouver sous la version poétisée du roman de la comtesse de Ségur, l’enchantement que celui-ci avait déclenché quand nous lisions avec nos yeux d’enfant. Quand Sophie nous faisait passer du rire aux larmes. Et que pleuvaient les punitions.

    Est-ce à dire qu’Ariane Dreyfus, par la magie de ses mots, restitue cette part d’enfance qui gît encore en nous ? Rébellions, bêtises et impertinences. Pour ce qui me concerne, je pense bien que oui. Tel est aussi le talent de la poète. Raviver ce plaisir. Autant saisir au passage les branches qu’elle nous tend dans ce nouveau recueil. Car c’est de vivre qu’elle parle. Et que, comme l’écrit Eugène Guillevic cité en exergue :

    « On ne sait jamais

    Ce que fera la branche

    la prochaine fois. »

    C’est bien de vivre que la poète parle. Même si la mort est partout présente dans la vie de Sophie. C’est parfois la petite fille qui l’occasionne, par maladresse, par naïveté ou par inconscience. Par enfantine cruauté aussi. Il y a les morts ordinaires, la mort de la « poule déplumée » — qui ouvre le cortège animalier —, celle de l’écureuil, celle des poissons (un épisode savoureux !) ; celle, impressionnante, du cheval et celle des bébés hérissons. Il faut bien, pour que le récit progresse, que les uns vivent et que d’autres meurent en cours de chemin. Comme dans la vraie vie. Dans Sophie ou la vie élastique, un seul animal échappe à la mise à mort. Une araignée, suspendue à son fil, qui se balance par trois fois et laisse sa trace dans le tremblé de la page. Il y a les morts qui marquent plus profondément Sophie, celle de la poupée de cire martyrisée dépecée fondue noyée soumise à enterrements et à résurrections ; et celle, autrement tragique, de Madame de Réan – « La mère s’est perdue dans la mer » – qui frappe l’enfant de plein fouet dans ce qu’elle a de plus cher au monde :

    « Plus de berceuse pour se poser sur elle

    Maman est un mot qui a trop voyagé »

    (« L’autre voiture »).

    Et voilà Sophie orpheline confiée à une étrangère qu’elle devra désormais nommer du nom de « Maman ». La mort est pour l’enfant une expérience continue et multiple. Mystérieuse aussi et incompréhensible la disparition : « – Où l’emmenez-vous ? Demain, il sera vivant ? », interroge Sophie qui s’inquiète du devenir de « l’animal mort ».

    Mais Sophie connaît d’instinct l’art de rebondir dans la vie. Elle rebondit toujours sur les interrogations qui se posent sur son chemin, et c’est toujours à partir d’images simples et réconfortantes. En atteste cette nouvelle façon, un brin détournée, de moduler le carpe diem d’Horace :

    « Que nous reste-t-il aujourd’hui que nous n’aurons pas demain ? »

    La réponse, apaisante, est suggérée dans les deux vers suivants :

    « La vieille chatte dort sur elle-même

    La tête déjà posée sur l’herbe »

    (« Le cadeau »).

    Inventive, toujours prompte à se tirer d’affaires par une pirouette, sautant à cloche-pied par-dessus les obstacles et tirant la langue, Sophie brave les interdits. Elle collectionne bêtises et punitions. Soumise à la fessée, recluse au pain sec et à l’eau, elle s’enfuit de sa chambre et bat la campagne alentour. Sa vengeance ? Une frayeur terrible qui met Madame de Réan aux cents coups et lui arrache un « cri de bête ». Lequel sera suivi d’une profusion de baisers fous lorsque Sophie sera retrouvée saine et sauve. Frayeur extrême qui fait prendre conscience à la jeune maman qu’« il y a pire que partir ».

    Sophie a ses formules à elle qui sont paroles de poète.

    « La peur marche plus lentement que le plaisir ».

    Ou bien :

    « Possible suffira toujours ».

    Ou encore celle-ci, très caractéristique de l’écriture de la poète :

    « Une culbute éteint une flamme, le jeu est de faire le noir

    Une par une ».

    Ariane Dreyfus prête à Sophie de Réan sa philosophie de vie : « un pied dans le sol, un pied dans le vide ». Leçon que la poète tient de Jean Cocteau, à qui elle dédie son recueil. « À Jean Cocteau, qui m’a appris à marcher un pied dans le sol, un pied dans le vide ».

    Ainsi la vie de Sophie et celle de la poète s’accordent-elles dans une même claudication. On doit à l’héritage de la lointaine lutte biblique de Jacob avec l’Ange, une longue généalogie de boiteries. Des boiteries que l’on retrouve dans la conception toute personnelle qu’Ariane Dreyfus met en pratique dans sa poésie. Boiteries briseuses de rythmes et de rimes. Briseuses de formes convenues. D’où sans doute l’hésitation (consentie) entre prose et poésie. Entre récit (avec dialogues) et poème. Entre « le réel et l’imaginé » qui, dans l’interstice, ménagent « la place du mot ».

    Alternances discordantes aussi entre malheurs et plaisirs, sans cesse en déphasage dans la vie. Ce qui compte, c’est de faire que le plaisir l’emporte :

    « Les malheurs, les casser en petits morceaux

    En trois, en quatre, tout de suite en dix

    *

    Le plaisir de courir sur le chemin crissant ! ».

    Hésitations jusque dans la formulation. Ainsi du poème d’ouverture « Sans crier » où l’on peut lire :

    « J’hésite, je te regarde, chemin qui ouvre le parc

    Tu es si pâle,

    *

    En deux, qui écarte le parc

    J’hésite, je regarde »

    (« Sans crier »).

    C’est qu’Ariane Dreyfus s’y entend dans l’art de pratiquer la disjonction, comme dans ces vers exemplaires :

    « Le revoici encore solitaire

    Le temps de tendre vers la lune ses yeux gonflés

    Et de, hissé sur ses pattes ou ses mains, se laisser tomber

    Pour une brasse parfaite dans la mare du soir »

    (« Un dernier acte »).

    Ou dans l’art de pratiquer le déhanchement du vers en bousculant l’ordre usuel des mots. Cet écart qui, à la lecture, surprend et met cette dernière en suspens, qui suscite parfois la polysémie et l’interrogation :

    « une presque personne »

    […]

    « la toute fontaine joliment jaillissante »

    (« Le cadeau »).

    Ou encore :

    « Relevées, des presque mains griffues se touchent

    Inertes »

    (« Demain non plus »).

    Au détour d’une strophe, il arrive qu’on se laisse surprendre par un zeugma inattendu et savoureux :

    « Sophie, bouche ouverte, se penche en arrière

    Pour la suivre des yeux et le plaisir

    De se balancer sur sa chaise

    Fort et parfois moins fort »

    (« Les malles ouvertes »).

    Ou encore par cet autre :

    « Pendant qu’elle a mal

    Paul la dépasse au galop et en chemise blanche

    On le perd lui aussi »

    (« J’avais  faim»).

    La disjonction principale de Sophie ou la vie élastique me semble résider dans la présence inattendue d’un poème bien particulier, intitulé « En travers du lit ». Un poème qui se démarque de l’ensemble. Sans allusion aucune à Sophie. Une sorte d’écart d’écriture que ce poème identifiable par ses strophes. Des strophes inégales (3, 4 ou 5 vers), dans lesquelles reviennent à l’identique certains vers : « tel un jeune peuple d’une nature nouvelle » ; « la seule note de leur rouge ». Dès la seconde strophe, Ariane Dreyfus y multiplie les pas de côtés, bousculant inlassablement l’ordre des mots et des vers. Jouant avec les variations, les unes infimes, passant presque inaperçues, les autres plus franches. Un poème qui pourrait s’apparenter au pantoun malais. Un pantoun baroque, fondé sur des irrégularités. La poète y entrelace deux thèmes majeurs, celui d’un personnage masculin dont l’identité n’est pas donnée : « il y a devant lui de très nombreuses fleurs » et celui de « la nature nouvelle » assimilée à « un jeune peuple ». Le retour, d’un vers à l’autre, d’expressions quasi similaires, crée la surprise en même temps que cette sensation mystérieuse d’enroulement caractéristique de la vague qui roule sur elle-même, à la fois autre et pareille. Ce poème est introduit par une phrase en italiques : « Quand il arrive » et se clôt par cette autre : « C’est arrivé en dormant ». Est-ce rêve du lion de pierre entouré des « fleurs aux tiges serrées » ? Ces fleurs qui « jaillissent contre sa main de tout leur rouge », rendant vivant le morne animal. Peut-être. Mais c’est sans doute aussi un poème écrit en hommage au peintre Marc Feld à qui l’on doit le très beau dessin de couverture, Une pensée rouge, dédié au poète Thierry Metz.

    De même qu’Ariane Dreyfus a dans sa malle aux trésors nombre de poètes et d’artistes qu’elle tient à portée de plume — l’ami de Pasolini, Sandro Penna, qu’elle cite à de nombreuses reprises —, Colette, Cocteau, Guillevic, Dickens, Yora Buson, Denise Levertov, Thierry Metz, Marc Feld… et Christophe Honoré pour son film Les Malheurs de Sophie (2006) sans lequel, dit-elle, « ce livre n’existerait pas », Sophie tient à sa disposition, comme dans les contes, nombre d’objets fétiches dont elle se sert pour se livrer à ses multiples expériences. La poupée, bien sûr, qu’elle soumet à de bien rudes épreuves et ce « charmant couteau ». « Son cher et vrai couteau ». C’est grâce à cet attribut indispensable que Sophie peut mener jusqu’à son terme l’expérimentation de son pouvoir de magicienne. Et de son pouvoir sur les autres enfants :

    « Sorti de l’étagère, du blanc de Meudon

    Sophie frotte avec son couteau

    De quoi faire que l’eau soit crémeuse

    Et pose le couvercle sur le pot de crème

    Les morceaux de craie sont carrés

    Donc c’est déjà du sucre dans le sucrier

    […]

    « Vous n’avez plus qu’à boire c’est très bon »

    (« Les mots et les choses »).

    Les refus des cousins devant les exigences de Sophie engendrent sa colère. Et l’expérience s’achève en pugilat. Et engendre aussi un désarroi partagé face à ce qui résiste à être nommé.

    « Deux corps tombent

    Engloutis dans le tumulte de ce qu’ils ne peuvent

    Nommer »

    (« Les mots et les choses »).

    Le cher petit couteau, « cet objet qui fait tout », intervient par deux fois dans l’épisode des cerises. Près du cerisier, un lion de pierre. Le lion a bon dos. Mais il semble inerte. Comment le ramener à la vie ? Grâce aux cerises, si rondes si rouges si dodues. Sophie s’applique à en couper une en deux : « ça peut faire des yeux ! ». Aussitôt dit aussitôt fait :

    « Le lion soudain réveillé

    Ouvre des yeux vraiment humides »

    (« Un objet qui fait tout »).

    Un peu plus loin, variation sur le même thème, dans « Souvenir inversé » : en cinq vers, le lion devenu féroce, gueule ouverte, se voit affublé d’une cerise entière par œil ! Une manière de le dompter et de le soumettre en l’obligeant à « fermer ses yeux ».

    Sophie adoptée par Madame de Fleurville abandonnera finalement poupée et lion de pierre à leur vie immobile. « Tu sais je vais partir loin de toi », confie-t-elle au « lion gris et usé » (« Le dernier jour avant le premier »). Et à la poupée :

    « Je ne vais pas te prendre avec moi,

    Tu vas rester là pour

    toujours, pour toujours

    Je suis très légère, je ne suis pas morte comme toi, moi ! »

    (« Naguère »).

    L’optimisme réjouissant de Sophie l’emporte sur la mort.

    « Je sais ce que j’ai vécu

    et que je vivrai encore ».

    Tels sont les derniers mots de l’enfant, en écho à ceux du très beau poème de Denise Levertov qu’ouvrent ces deux premiers vers :

    « Me comprenez-vous bien ?

    C’est de vivre que je parle… ».

    L’air de rien, sous les dehors d’un simple récit de l’enfance, Ariane Dreyfus ouvre toutes grandes les portes de son monde intérieur. Un univers riche et complexe dont elle restitue par touches le substrat profond. Culturel, sensible, humain.

    Dans Sophie ou la vie élastique, Ariane Dreyfus déploie, avec cette belle simplicité qui fonde sa personne, l’éventail de son talent poétique. Un talent enjoué, coloré et dansant. Vivante, Ariane Dreyfus, tellement ! Et qui entraîne dans son sillage tous ceux et toutes celles qui, comme elle, ont une soif brûlante de vivre.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    Ariane Dreyfus  Sophie ou la vie élastique




    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source






    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    Le beau tapis (poème extrait de Sophie ou la vie élastique)
    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
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    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    Repaires, repères – une lecture de Sophie ou la vie élastique par Françoise Delorme (juillet 2020)
    → (sur le site de La Croix)
    Le château de Fleurville, par Ariane Dreyfus
    → (sur Atelier du passage)
    une lecture de Sophie ou la vie élastique par Frédérique Germanaud
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Ariane Dreyfus (par Gérard Noiret, 14 mars 2017)





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  • Ariane Dreyfus | Le beau tapis



    Bougies 3








    LE BEAU TAPIS




    La joue écrasée, un œil à demi,
    Paul décide de ne plus bouger, sauf le bras
    Il touche
    Un arbre, un oiseau sur une branche
    Couchés près de lui

    Une fleur presque sur l’écorce ? Brins de laine
    Le bec près de la cerise ? Brins de laine

    Sophie l’a griffé, il touche la patte de l’oiseau
    Il est si facile d’oublier
    Quand on a les yeux ouverts

    Il roule sur lui-même jusqu’à la fenêtre
    Les jambes prises dans le tapi enroulé
    Comme une sirène qui voudrait
    Avoir froid

    Le bras tendu
    Vers les vagues dorées qui dansent encore sur le mur
    Car le soleil a touché la mer

    De grandes bougies enflammées attendent au bout du couloir
    Les balles que les enfants vont lancer sur elles

    Une culbute éteint une flamme, le jeu est de faire le noir
    Une par une




    Ariane Dreyfus, Sophie ou la vie élastique, Le Castor Astral, 2020, pp. 45-46.





    Ariane Dreyfus  Sophie ou la vie élastique




    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source






    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


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    Anatomie (poème extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (poème extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’Inhabitable (note de lecture d’AP sur L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Un recoin dans un coin (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    Repaires, repères – une lecture de Sophie ou la vie élastique par Françoise Delorme (juillet 2020)
    → (sur le site de La Croix)
    Le château de Fleurville, par Ariane Dreyfus
    → (sur Atelier du passage)
    une lecture de Sophie ou la vie élastique par Frédérique Germanaud
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
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    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
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    → (sur le site de France Culture)
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    un entretien avec Ariane Dreyfus (par Gérard Noiret, 14 mars 2017)





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  • Frédérique de Carvalho, barque pierre

    par Angèle Paoli

    Frédérique de Carvalho, barque pierre,
    éditions Isabelle Sauvage, Collection pas de côté,
    29410 Plounéour-Ménez, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « LALANGUE– DE–CELA–QUI–NOUS
    ÉBLOUIT. » UNE ÉPIPHANIE





    Elle dit. Le lieu l’espace le temps elle. La mère l’enfance. Écrire. La « plaie » la barque la pierre. Elle, c’est la poète. Frédérique de Carvalho. Je la découvre ici dans ce recueil publié aux éditions Isabelle Sauvage. barque pierre.

    barque pierre. Je n’avais jamais rien lu de Frédérique de Carvalho. La collection pas de côté est une invite. Se laisser saisir. Se laisser guider. Suivre la poète en son territoire. Et me voici lectrice sous fascination sous émotion sous une forme inconnue qui-touche-au-plus-profond, je-ne-sais-où, et qui bouleverse. Et qui porte/déporte. Loin ailleurs. Et qui déborde. Là-bas. Dans la lande la langue les fougères. Barque pierre. La barque, enserrée ou jointoyée, entre « bercail » et « berceau ». Un lieu où vivre, protecteur, originel. Entre pierre et bruyère.

    barque pierre. Un très beau titre, énigmatique, elliptique qui condense en deux mots des univers en apparence antagoniques. Et les accouple dans le fusionnement de leurs syllabes. L’eau la pierre le bois la pierre le fluide le solide. La mer le roc.

    « cette fois la barque était

    de pierre ».

    Ou encore :

    « toute barque pierre pierre et terre ».

    Elle dit, elle écrit. Elle raconte. Le « dit » de « barque pierre ». Le récit se fait par tableaux. Des « scènes/des mémoires fragmentées souvent/défigurées… ».

    Les tableaux s’organisent à partir d’accroches anaphoriques décalées par rapport au poème lui-même. Didascalies. Ces didascalies permettent au regard de lier poème visuel et oralité. Et à la poète de se lancer sur « l’océan du langage ». Elle évoque les temps anciens, elle évoque les ères disparues et les espaces vierges. Elle rêve « les bêtes intactes » qui faisaient vibrer les parois de pierre du jadis, elle dit les bêtes sacrifiées d’aujourd’hui et la difficile mise en mots, mise en rimes. Avec « crime » ou « abattoir ». Le poème sur la page, un condensé de temps et de douleur :

    « elle dit    j’ai mal chaque fois »

    ou encore :

    « elle dit    je me noie chaque fois ».

    Des mots reviennent, qui donnent à la strophe sa musicalité : « pierre » « talus » « il pleut ». Des mots simples, des mots de tous les instants. Écrire est ce bégaiement de la langue. Un mot par vers dans la brièveté de strophes dépourvues de toute ponctuation. Et pourtant un rythme affleure, de page en page, un rythme tout en régularité, à la musicalité secrète, sous-jacente. Quelque chose de doux. Quelque chose de mélancolique. Quelque chose de voilé qui se dit dans une tonalité particulière. Toute en demi-teinte, qui touche et qui étreint. Qui porte et qui emporte. Dont je trouve une ébauche d’élucidation dans l’éblouissement de ces vers inattendus :

    « il y a un mouvement sur la page comme un élan de fébrilité de veille de Noël l’orange dans le sabot la paille fraîche et chaude la neige des grands arbres l’empreinte des surfaces le ciel couchant dehors une joie immédiate que seules les bêtes que seules les bêtes
    que seules les bêtes

    elle dit que seules les bêtes ».

    Elle dit les bêtes, le pays et le paysage, la lande les marais les talus. « C’est un pays/d’attache ». Sans limites et sans frontières.

    Parfois au cœur du paysage surgit un vers ancien, un peu transformé. Le phrasé d’une comptine oubliée : « chère âme ne vois-tu rien venir ».

    Elle mélange, inventive, les mots de la mémoire :

    « elle dit    ma sœur ma douleur songe à la douceur

    elle dit    la tour d’Aquitaine à jamais

    abolie ».

    Une lallation. Parfois elle se moque un peu, d’elle de la musique de la langue, sa « berceuse océanique » :

    « toute berceuse est une berceuse

    océanique

    tout chant la sirène et cætera ».

    Il arrive aussi qu’elle s’insurge contre les cruautés récurrentes du temps, leur résurgence inacceptable :

    « qu’est-ce qu’on peut faire avec l’irréparable qu’est-

    ce qu’on peut faire pour

    empêcher l’œil de la tombe à te clouer la nuque

    au mât d’une vieille histoire qu’est-ce qu’on peut

    rattraper qui n’est pas rattrapable au propre au

    figuré qu’est-ce… ».

    Elle dit la lande la langue, puits sans fond où descendre sans fin pour trouver les mots,

    « le geste vierge

    la main

    et les oiseaux »

    ce peu qu’il reste lorsque tout a été exhumé recousu rapiécé ; lorsque le temps a été décliné, que le futur antérieur a annihilé le passé, que s’est enfin effacé ce qui n’en finit pas de passer. Elle dit ce qui s’écrit, pierres alignées pierres dressées. Chênes et charmes. Un même « chuintement » des arbres. Le mot « lande » emporte au-delà de la lande, de ce qu’elle colporte de légende. Un excès de langue peut parfois remplacer la chose absente. La contenir. Soudain, au détour d’un vers, l’ailleurs dérape. Les mots dévient vers d’autres réalités. Des réalités qui font mal, qui écorchent l’à-vif. Ainsi la langue déporte-t-elle.

    « maintenant    on déporte à la

    dérobée ».

    Ce vers terrible revient sous différentes formes. Il surgit toujours à l’improviste, comme porté par un souffle qui meut les mots, les assemble sur la page en ménageant des blancs, peut-être pour reprendre haleine :

    « elle dit    elle dit que déporter c’est un

    verbe

    d’état

    elle dit la langue déporte

    le sujet

    elle se déprend ».

    Elle dit un désir antérieur à toutes les tragédies. La voix de la poète détourne les on-dit, pose sur les choses une autre vision. Elle joue/déjoue les ambiguïtés de la langue. Dit à peine, suggère plutôt. Voix voilée.

    « la voix déporte

    encore ».

    La langue de Frédérique de Carvalho est mystérieuse et belle. Sans recherche apparente, elle s’impose comme une évidence. Poésie première. Il arrive aussi que la poète bouscule la langue, que les phrases s’interrompent sur le vide d’une négation incomplète. La poète laisse en suspens ce qui ne peut être traduit en langage ordinaire… ou qui lui semble superflu. Elle laisse planer le sens. L’« épiphanie » des mots, leur éclat, irradie la page :

    « comme si la mort le

    miroir

    toutes les saisons dans

    toutes les saisons ».

    Conjuguant sa vie à tous les temps, la poète traverse le miroir avant / après/ au-delà / hier / maintenant / dedans / dehors. Il arrive que fusionnent temps et espace, qu’au détour d’une figure absente les enfances endeuillées remontent à la surface. Se retourner est pourtant synonyme de douleur. Il ne faudrait pas. Parce que déplier le passé, rechercher une Eurydice déjà morte, ne peut apporter que souffrance. Parce que la mère, présence-absence, amour-haine, est là. C’est autour d’elle et avec elle que se creuse le sillon des origines ; c’est du sillon originel que se répand la plaie :

    « ma mère ma douleur que jamais ô

    jamais ».

    La poète interroge la langue de l’indicible :

    « de quelle langue dire peut

    parler on l’a dit déjà Eurydice déjà morte

    la peur qui dévisage ».

    Il faudrait ne pas se retourner sur Eurydice. Il faudrait retenir Orphée. L’empêcher de faire remonter la mère. Et pourtant, elle/il le fait. Parce que dire la mère, c’est dire « d’où le désir » :

    « la mère est le sujet tous désirs confondus dans le mot

    possession

    le sujet n’est pas simple ».

    La mère est le cœur de ce que la poète est elle-même, de ce qu’elle vit. Elle est la matière même de son écriture. Elle en est le sujet unique, obsessionnel. Celui qui absorbe tout autre sujet. Et la poète, jouant sur les mots, d’écrire encore :

    « elle dit la mère démontée toute sa vie à

    démonter la

    mère

    et rien d’autre

    pouvoir

    faire ».

    Démonter découdre démembrer disperser pour « remonter la mère pièce à pièce ».

    Ainsi la poète n’a de cesse de dire « l’enfance rapiécée/de la langue ». Seul moyen de pouvoir « se désaffoler » et de reprendre vie sur le fil instable de l’horizon.

    Avec le retour constant de la mère se tisse l’écriture. L’écriture « béquille » du « dit » et de la mère. Écriture sans péril autre que la douleur intimement liée à la poète. Puisque la « mère ne verra rien ». L’écriture interroge, elle cherche sans cesse sa définition, son « respir ». La poète dit ce qu’elle en attend, ce qu’elle en exige :

    « je demande à l’écriture qu’elle répare ce qu’elle a mis au jour

    je demande à l’écriture qu’elle répare sur-le-champ

    je demande à l’écriture

    c’est pourquoi… ».

    Geste désir danse, l’écriture de Frédérique de Carvalho est écriture de l’implicite, de l’indéchiffrable, de l’équivoque. Elle est la vivante qui ré-explore avec talent le territoire infini de « lalangue – de – cela – qui – nous
    éblouit ». Une épiphanie.

    Et « c’est de la joie cela de

    l’ivresse qui

    vient. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Frederique de Carvalho  Barque pierre




    FRÉDÉRIQUE DE CARVALHO


    Frederique de Carvalho 2





    ■ Frédérique de Carvalho
    sur Terres de femmes


    [à part elle] (extrait de barque pierre)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur barque pierre
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Frédérique de Carvalho avec Roselyne Sibille
    le site de l’association terres d’encre





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  • Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants

    par Angèle Paoli

    Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants,
    Éditions Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno,
    2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « JE NE CESSERAI D’ÉCLORE QUE POUR CESSER DE VIVRE » (COLETTE)



    Qu’est-ce que vous racontez là ?

    — Un conte.

    — Ce n’est donc pas une histoire vraie.

    — Pourquoi ?

    — Ce n’est pas vraiment arrivé.

    — Mais si.

    — Alors Le Petit Chaperon rouge ?

    — C’est une histoire vraie.

    — Comment le savez-vous ?

    — C’était moi. J’ai eu très peur.

    Ce moment de dialogue aurait pu figurer sous la plume de Marguerite Duras. Ou dans le dernier ouvrage d’Ariane Dreyfus. Le Dernier Livre des enfants. On pourrait, par exemple, le retrouver dans la bouche de Victor et de Luna. Et pourtant non. Il est emprunté à Guillevic, cité par la poète dans son précédent opus anthologique, Moi aussi, paru en 2015 aux éditions LD (Les Découvreurs) mais aussi dans Une Lampe allumée si souvent dans l’ombre, publié en 2012 chez Corti. C’est dire s’il y a chez Ariane Dreyfus continuité d’inspiration d’un recueil à l’autre. Une continuité qui passe par une harmonie constante entre livres et enfants ; laquelle est portée par une voix reconnaissable entre toutes, une musique singulière qui puise au plus profond de notre terreau commun que façonnent les contes anciens et notre Histoire.

    Ariane Dreyfus aime les histoires. Elle aime aussi les enfants. Elle aime les chats. Les enfants et leurs aventures, les chats et leur présence solitaire. Elle aime l’amour. Elle aime raconter. Elle aime les mots. Elle aime les livres. Ceux qui ont marqué son enfance, ceux sur lesquels elle travaille, en classe, avec ses élèves. Ceux des autres. Ils peuplent et habitent les siens. Elle ne s’en cache pas. Au contraire, elle les cite, elle les invite à sa table d’écriture. Et elle est aussi une grande cinéphile. Tout cela, qui est présent dans l’ensemble de ses recueils, l’est aussi dans Le Dernier Livre des enfants, qui tisse avec les œuvres de référence un réseau serré d’allusions et de correspondances. Tout cela fait sens et constitue l’œuvre d’Ariane Dreyfus. De 1993 à aujourd’hui.

    La poète aime écrire.

    « Des éclats sauvés de moi sont jetés

    En écriture

    Chaque mot roule contre le corps d’un autre

    Le ciel, aussi, entre deux branches ouvertes… »

    Elle aime par-dessus tout la poésie qui est « action visant à nous rendre à nous-mêmes un peu plus habitables ».

    La particularité de son dernier recueil est qu’il s’ouvre sur un aphorisme : « J’écris parce que je vais disparaître ». Tout au long de l’ouvrage, la poète va décliner ce vers selon des variantes multiples venues de voix multiples, poète et enfants :

    « La nuit je pense à demain pour ne pas mourir. Rayane » […]

    « On se réveille tous les jours à tous les instants pour ne pas mourir. Patrick Dubost » […]

    « Toute phrase contient un verbe pour ne pas mourir. Je ne suis jamais loin de la personne que j’aime pour ne pas mourir, dit Loïc. » […]

    « Aujourd’hui est un jour parfait pour ne pas mourir. Patrick Dubost » […]

    « Poésie : un bracelet pour ne pas disparaître. Ian »

    D’autres voix encore émaillent le recueil : celles de Marie, de Hugo, de Maxime, de Laura, d’Hortense, de Marin, de Sonia. Ian et Sonia, à nouveau. Celles aussi d’autres poètes, cités en exergue. Colette, János Pilinsky, Frank Venaille. Voici d’ailleurs un extrait de la citation proposée par Ariane Dreyfus :

    « Les poèmes sont comme des frères orphelins qui appellent leur père dans la nuit… »

    Ces variations sont autant de cailloux semés à travers les poèmes pour affronter la solitude et traverser la mort à cloche-pied. Il suffit de les suivre d’une section à l’autre (il y en a cinq au total) pour trouver un chemin de lecture et qu’agisse le vertige d’une « émotion [qui] ne dit pas “je” » (Gilles Deleuze) :

    « Ce sont des lumières que je vous raconte, de simples lumières. »

    Ariane Dreyfus écrit. Afin que « la mort ne voie rien ». Elle écrit des poèmes qui racontent des histoires. Des histoires d’hier et d’aujourd’hui, inspirées par des films ou par des romans. Ainsi de l’épopée maritime d’Emily, pleine de périls et de rebondissements, qui se déroule en onze épisodes et en pleine mer. Avec elle, tous les enfants qui occupent les devants de la scène d’Un cyclone de la Jamaïque (un roman de Richard Hughes, 1929 ; adapté au cinéma par Alexander Mackendrick, 1965).

    « Chacun pousse un cri qui entre

    Dans le cri d’un autre et devient un royaume. »

    Et même si les pirates sont là

    « Assis pour recoudre les voiles », Emily, elle, continue de faire comme si de rien n’était :

    « Elle fait danser sa langue

    l’air de rien

    Pour faire jouer l’enfermée vivante

    Qui ferait toc toc toc… »

    Et Ariane de conclure, philosophe :

    « Même sans être engloutis par l’océan on sera engloutis. »

    Il y a aussi, inspirés par Danse avec les loups de Kevin Costner (1990), les poèmes-aventure d’une jeune Indienne sauvée par le « fils du chef » et cette conclusion énigmatique d’Ariane Dreyfus dans « L’un d’eux » :

    « Et moi, en écrivant, je ne quitte personne

    Par où je passe »

    Et plus loin, dans « 17 ans tous les deux », ce très beau vers qui relie entre eux temps, espace et méditation :

    « Chaque instant est un creux où il aime réfléchir. »

    D’autres personnages peuplent la poésie d’Ariane Dreyfus. Dans le poème « Sans regrets » — et son décasyllabe nervalien « avec des bords que le soleil rosit » —, ce sont les adolescents Victor et Luna du film d’Alix Delaporte, Le Dernier Coup de marteau (2014). Dans « La Campagne », poème inspiré par Pauline et François (Renaud Fély, 2010), le deuil de Pauline est introduit par ces vers d’ouverture à l’autre et d’apaisement :

    « Ouvre la maison, entre

    La lumière du jour

    Découvre qu’on ne pleure pas

    Sur la neige intérieure

    Les murs nus la laissent entrer

    Dedans, les choses ont cette façon de nous attendre

    De ne pas juger d’une douleur ».

    Il n’est nullement possible d’ajouter quoi que ce soit sans risquer d’abîmer ce qui est perfection.

    Le poème d’ouverture du recueil, tout en étant très différent par le sujet traité et par l’époque dans laquelle il s’inscrit, donne cependant le ton, qui est celui d’Ariane Dreyfus, à la fois sérieux et ludique. Sérieux et débordant d’une fraîcheur malicieuse d’enfant.

    Intitulé « Sans rien déranger du monde », ce poème a été écrit à partir d’une présentation faite par Ludovic Degroote au Musée des Beaux-Arts de Lille. Autour du Festin d’Hérode. L’œuvre présentée étant un bas-relief en marbre du sculpteur italien Donatello (XVe siècle). Ce long poème évoque Salomé dansant, mais il met aussi l’accent sur un enfant endormi au bas du grand escalier derrière lequel se déroule la scène. L’enfant, las de contempler la danseuse et ses ondulations ophidiennes et marines, s’est endormi :

    « Ses bras sont repliés, il y presse sa joue et son ventre

    Salomé danse encore, elle passe sous le grand escalier,

    mais l’enfant qui s’y est posé pour dormir

    Sur sa joue sans rien déranger du monde

    Fait un geste plus vrai… »

    Poursuivant son cheminement, la poète s’interroge sur le devenir de l’œuvre qui laisse entrevoir une fissure en haut de l’escalier, preuve que le bas-relief est en train de se détériorer. Mais la fente ainsi ménagée permet à un oiseau de passer. L’escalier prend soudain toute sa grandeur, toute sa force, toute sa luminosité. Et la poète de conclure, à la fois malicieuse et remplie d’une impatience enfantine :

    « Si j’étais là, toutes les marches

    Je les monterais pour aller voir

    Et même y poser mon menton

    Ce qu’il y a dans le beau trou d’oiseau

    Son écorchure

    L’air déjà refroidit mon visage

    Je veux regarder dehors ! »

    Le Dernier Livre des enfants se clôt sur une partie dite « Annexe » qui reprend « Un chantier de poème » déjà présenté dans Poezibao. « Un poème contre l’excision ». Un poème qui dit le combat mené par Ariane Dreyfus. « Le chantier » retrace les épisodes de création et de réflexion, les strates des brouillons et des différentes versions du poème. On assiste au travail de l’écriture et aux états successifs du poème. On retrouve le poème dans sa version définitive dans la seconde section du recueil. À partir d’une infime douleur passagère — « une brûlure me passe entre les cuisses » —, Ariane Dreyfus imagine ce que peut être la douleur infligée aux jeunes filles que l’on soumet à l’acte barbare et cruel qu’est l’excision. Intitulé « Un soir d’été », le poème, tout en contrastes, retrace en quelques vers une scène d’excision. La poète conclut son évocation par ces vers où s’expriment sa volonté et l’affirmation de son combat pour sauvegarder son intégrité de femme et pour préserver sa liberté :

    « J’ouvre encore l’armoire

    Pas pour regarder dedans

    Mais pour ne plus bouger

    Ou bouger

    Puisque c’est comme je veux,

    Même nue, c’est comme je veux ».

    Le Dernier Livre des enfants recèle bien d’autres surprises. Ainsi cet hommage au poète Pierre Garnier dans la section intitulée Poèmes pour que l’air passe.

    Par-delà tout ce que l’on peut vivre en lisant Le Dernier Livre des enfants, il y a la poésie d’Ariane Dreyfus, qui surgit comme une eau pure dans le labyrinthe des histoires. Le recueil regorge de pépites qui étonnent ; qui ravissent et sidèrent. Ainsi ces vers cueillis au hasard en feuilletant l’ouvrage :

    « On ne rentre pas dans la mort on y disparait »

    ou

    « Le ruban noir s’envole,

    il remue au-dessus du visage

    Ses courbes aiment le vide généreux du ciel »

    ou bien :

    « C’est beau un visage

    Quand la tristesse n’arrive pas à se poser »

    ou encore :

    « Suis-je consciente d’être un papillon quelque part ? »

    Papillon, mouette, chat enlové au creux des courbes, Ariane Dreyfus est tout cela à la fois. Mouvante émouvante, elle bouge avec les mots, elle fait bouger les mots pour nous, elle bouge avec ceux qu’elle aime. Elle aime la vie, elle aime l’autre qu’elle côtoie et qu’elle regarde avec tendresse.

    À Colette — sa passion pour Colette — (cf. « Le cri chanté » in La Lampe allumée si souvent dans l’ombre) qui écrit dans Le Blé en herbe :

    « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre »

    Ariane Dreyfus répond en un écho qui souligne la parfaite enharmonie avec la grande romancière :

    « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre ».

    Gageons qu’il y aura bien d’autres livres après Le Dernier Livre des enfants. Parce que l’écriture est une nécessité et qu’elle « peut faire de la vie quelque chose de vertigineux, l’air de rien », écrit Ariane Dreyfus dans La Lampe allumée si souvent dans l’ombre. Le vertige, ici, celui que suscite l’écriture de la poète, est de l’ordre de la beauté et de l’énigme. Non pas une beauté figée et hiératique, mais une beauté mouvante, qui respire et qui se meut, dans sa complexité, au-delà des apparences.

    « La beauté, je la laisse s’écarter

    Est beau ce qui respire. Est belle.

    À partir de l’évidence, c’est compliqué un reflet :

    Un surcroît d’existence, mais la même,

    Une solitude qui commence à la racine. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ariane Dreyfus.jpg 2






    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)






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  • Ariane Dreyfus | [J’écris parce que je vais disparaître]




    [J’ÉCRIS PARCE QUE JE VAIS DISPARAÎTRE]




    J’écris parce que je vais disparaître

    C’était là,
    Ma fille assise dans l’escalier, je la regarde entre les barreaux
    Ne bouge pas
    J’aime continuer

    L’importance de se regarder
    Sans doute
    Le visage en veut un autre

    Les tout petits, ne plus rien dire

    Ainsi la nuit si j’entends le chat manger enfin,
    Lui si maigre, je sais qu’il bouge son menton aux os fins
    Il a besoin de manger, nous oubliant
    Pendant que la nourriture craque entre ses dents

    Les craquements, si on voulait, on saurait où c’est
    Passer entre les barreaux, les frôler
    Sans se faire peur
    Surtout quand un animal tourne sa tête, hésite,
    Puis retourne à son bol où il reste de la solitude




    Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2016, page 9.






    Ariane Dreyfus.jpg 2






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)






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  • Ariane Dreyfus | Anatomie




    ANATOMIE




    Toi aussi tu peux cogner le secret avec ta tête

    je passe une épaule
    Donc je peux

    ou je plie une jambe
    Comme avant

    Tout cela pour sortir un sourire

    *

    Devant moi il a des yeux
    De biche masculine

    Je me mets sous le même arbre

    *

    Ne parlant pas plus qu’un feuillage
    Mais parlant pour rester
    Debout avec tout le désir

    Même si les mots
    Moins heureux que les yeux
    N’entrent vraiment
    Que sur le papier

    — Là où ils sont différents —
    Existe
    Le sperme incomparable de la voix
    Dans la tapisserie toujours recommencée

    Je m’enroule silencieuse, peu soucieuse des motifs

    *

    Je ne cherchais pas une biche
    Mais c’est ainsi que je l’appelle
    Complètement possible
    Marcher à l’ombre du soleil

    Il est là
    Phrase heureuse !

    *

    Parle. Tu peux entrer.



    Ariane Dreyfus, « Le premier verbe : sortir » [Les Compagnies silencieuses, Flammarion, 2001] in anthologie Moi aussi, éditions LD (Les Découvreurs), Collection Voix de passage, 2015, pp. 27-28.






    ARIANE






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’inhabitable (note de lecture d’AP sur le recueil L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)






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  • Ariane Dreyfus | « Je suis en train d’oublier son visage »



    Aucune divinité n’enfoncera ses doigts dans les blés Touchés pourtant, ils bougent de bonne grâce
    Ph., G.AdC






    « JE SUIS EN TRAIN D’OUBLIER SON VISAGE »



    Seul en plein champ,
    Le pommier lance son geste compliqué


    Elle rattache ses cheveux et n’avance plus
    Malgré les nuages mais ils sont beaux à voir
    Et puis c’est l’été


    Aucune divinité n’enfoncera ses doigts dans les blés
    Touchés pourtant, ils bougent de bonne grâce


    Plus haut l’herbe prend un chemin, le ciel
    Et la pente


    Disent « Viens ! » aussi fort l’un que l’autre




    Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, page 52.





    ____________________________________
    NOTE d’AP : cliquer ICI [fichier Word] pour accéder à d’autres extraits de Nous nous attendons.






    Nous nous attendons






        Ariane Dreyfus a notamment publié L’Amour 1, De, 1993 ; Un visage effacé, Tarabuste, 1995 ; Les Miettes de décembre, Le Dé Bleu, 1997 ; La Durée des plantes, Tarabuste, 1998 et 2007 (édition revue) ; Une histoire passera ici, Flammarion, 1999 ; Quelques branches vivantes et Les Compagnies silencieuses, Flammarion, 2001 ; La Belle Vitesse, Le Dé Bleu, 2002 ; La Bouche de quelqu’un, Tarabuste, 2003 ; L’Inhabitable, Flammarion, 2006 ; Iris, c’est votre bleu, Le Castor Astral, 2008 ; La terre voudrait recommencer, Flammarion, 2010 ; La Lampe si souvent allumée dans l’ombre, José Corti, 2013 ; Le Dernier Livre des enfants, Flammarion, 2016 ; Sophie ou la vie élastique, Le Castor Astral, 2020.






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’inhabitable (note de lecture d’AP sur le recueil L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
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    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)







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  • Ariane Dreyfus, La Lampe allumée

    par Matthieu Gosztola

    Ariane Dreyfus,
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre,
    José Corti, Collection « En lisant en écrivant »,
    janvier 2013.



    Note de lecture de Matthieu Gosztola



    Les citations sont lumière
    « Chaque auteur(e) évoqué(e) est une lampe. Et chaque citation
    cette façon qu’a la lumière d’être réalité sans contours […]
    sourdant de l’ampoule. »
    Ph., G.AdC







    DIRE L’AMOUR



    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre regroupe des textes écrits entre 1986 et 2011 non pas sur des créateurs (principalement des poètes) qu’aime Ariane Dreyfus et qui l’ont portée mais avec eux. Avec chacun d’eux, différemment. En leur prenant la main. En leur prenant la main de telle façon que c’est sa main à elle qu’elle tient, tant main agrippée et main attrapant deviennent indistinctes. Indistinctes au point qu’on ne sait plus qui fait avancer l’autre. Indistinctes comme si elles l’avaient toujours été, au point qu’il paraît de plus en plus absurde, au fur et à mesure de la lecture de La Lampe allumée si souvent dans l’ombre, de se poser la question de savoir qui a pris l’autre. Qui l’a prise pour en prendre soin. Tant elles avancent ensemble. « La poésie quand nous la faisons ». Nous ; toujours.





    Ariane Dreyfus, La lampe





    Si les créateurs aimés par l’auteure lui ont pris la main, ça a été à chaque fois grâce à un détail, ou à plusieurs détails, auxquels elle s’est arrimée. Pour vivre. Et ces détails continueront à l’aider à vivre, elle le sait. Pour toute la vie, comme disent les enfants. Il n’y a pas d’assèchement de leur présence.

    Une phrase amie, dans un livre aimé, c’est pour Ariane Dreyfus de la musique. Mais soyons plus précis. C’est de la musique telle qu’elle a été peinte par Edouard Vuillard dans Misia au piano (1899). Tout dans les coloris semble être le résultat du toucher des doigts sur le piano. C’est comme si la pièce dans son ensemble était, dans la façon qu’elle a de paraître à la vue, l’émanation de la musique jouée dans l’instant. C’est comme si elle se trouvait colorée par chaque arpège naissant du piano, de la moquette aux motifs du papier peint en passant par le plateau en argent posé sur le couvercle du piano. Et jusqu’aux flacons de verre qui le composent. Et même jusqu’aux liqueurs qui font luire le verre des flacons.

    C’est cela une phrase amie pour Ariane Dreyfus : une façon de transfigurer la vie, dans son quotidien le plus répétitif, dans ses structures les plus communes. Une façon de faire sourdre la beauté de nos décors les plus habituels. Une façon également d’être abritée, d’être abrité. Une seule phrase peut contenir une vie. Celle du cœur de celui ou celle qui l’a tissée. Et, dans le même temps, une seule phrase peut prendre dans ses bras une vie se situant très loin d’elle, et pourtant devenue proche, grâce à cette féerie qu’est la lecture. Une seule phrase peut prendre soin d’une vie. Oui. En prendre soin comme mains refermées sur un secret. Puisqu’une phrase peut être répétée et répétée encore (ce que fait l’auteure avec les phrases qu’elle aime). Murmurée. Ce murmure finissant par se confondre avec le murmure du cœur, au point de tempérer son élan.

    Ariane Dreyfus depuis son enfance s’aide de citations, comme de mains tendues. Elles avaient le pouvoir de « fées consolatrices », quand le ventre se nouait d’angoisse. Les phrases amies sont restées semblables à des « présences préférées », en ce sens qu’elles continuent à sauver. Et « être au monde » devient pour l’auteure « être sensible à la contiguïté flottante de ses présences préférées, et écrire mettre directement sur la page (et cela grâce une littéralité sans partage) leurs configurations clignotantes ». Voilà pourquoi cette récolte de citations, brins d’herbes cueillis sur les chemins de lecture, mais aussi fleurs sauvages, qu’Ariane Dreyfus fait depuis toute petite donc, et qui n’a jamais cessé, voilà pourquoi cette récolte est l’une des sèves qui nourrit chacun de ses recueils. Mais là, avec ce présent livre, revivifiant le genre de l’essai, Ariane Dreyfus peut donner toute la place à ses phrases amies. Au point que La Lampe allumée si souvent dans l’ombre est d’abord cela : une maison construite pour que toutes ces citations puissent continuer leur vie d’herbes folles, de lys, d’edelweiss. Une maison construite pour qu’elles puissent vivre ensemble. Toutes ensemble. Et Ariane Dreyfus, dans chacun des textes qui composent La Lampe allumée, lesquels tutoient et l’étude libre et le compte rendu engagé, s’arrange pour faire vivre chacune d’elles. En faisant en sorte de la restituer à son courant, et ce bien qu’elle soit loin de son point d’ancrage, de sa terre nourricière. En faisant en sorte de la redonner à son élan. Celui qui l’a vue naître. Qui l’a fait naître. À son flux. À sa nécessité.

    L’on n’est ainsi nullement face à un travail universitaire. Il ne s’agit pas pour l’auteure de se servir des citations comme d’arguments aidant la production logique d’un discours. Il ne s’agit pas non plus de les essorer, pour leur faire rendre leur jus. Leur suc. Chaque citation conserve sa part d’énigme. Tant il est vrai que la beauté est énigme. Et ne peut nous frapper, nous atteindre, que comme telle. La beauté, mais aussi l’évidence. Car très souvent les citations choisies ont pour nous ce visage. Aussi, prendre soin de l’énigme, cela demeure, à bien des égards, l’essentiel. Ariane Dreyfus le sait bien qui tisse une prose qui n’est nullement façon qu’aurait la citation, dans sa mise au jour, d’atteindre une explicitation par quoi elle nous livrerait son secret. L’auteure, en déployant une prose qui s’apparente également par certains aspects à un poème en prose, cherche précisément à ce que soit lisible l’éblouissement contenu en chacune des citations. Puisque c’est cet éblouissement qui l’a poussée à conserver chacune d’elles, et à faire qu’elles se trouvent sans discontinuer dans son herbier de lectrice, mais aussi de spectatrice de films, de spectacles de danse, ou de cirque…

    En somme de marcheuse sauvage sur les rives du monde, lorsqu’il met en lieu, par l’art, des êtres ensemble, dans le fait d’exister, de s’aimer. Des êtres ensemble, si l’on donne à ce mot toute l’éthique qui lui revient. « Nécessaires me sont les arts », écrit Ariane Dreyfus, « qui se fondent sur une géographie et une morale de la relation entre les êtres, et une projection de son propre corps dans ce qui est possible au monde : ces derniers temps le cirque, pour dire l’humanité fragile mais acharnée ; et depuis longtemps […] la danse et le cinéma qui rendent l’amour visible et nous font croire aux gestes d’amour, à l’importance de les faire, de les donner en chemin, petits cailloux sur la route, qui pas à pas nous sauvent ».

    Mais, parce que ces rives du monde, même si l’art est un havre de paix pour l’auteure, restent souvent balayées par le vent, l’herbier est avant tout un herbier de vie, pour les jours de pluie comme de soleil, tant il est vrai que l’ombre peut alors d’autant mieux venir nous toucher.

    Si l’auteure fait en sorte que la citation soit rendue à son énigme, c’est pour qu’elle nous atteigne au plus profond. Parce que l’écriture n’a de sens pour elle qu’en tant que rencontre avec le lecteur. Avec une lectrice, un lecteur. Rencontre par quoi l’auteure sans cesse se remet au monde. Par quoi sans cesse elle renverse la tristesse, aussi. « Heureusement la poésie me réveille en me forçant à m’adresser, qui est toujours aussi me dresser, tourner la tête et tendre les oreilles. Et, forcément, suggérer au lecteur de faire pareil. Poésie qui s’écrit pour faire place à l’autre et vice-versa ».

    Il s’agit d’être ensemble, toujours, on ne le dira jamais assez. La Lampe allumée, elle l’est pour le lecteur. Le livre est la maison. Chaque auteur(e) évoqué(e) est une lampe. Et chaque citation cette façon qu’a la lumière d’être réalité sans contours (puisque rendue à sa force de surgissement, rendue à son énigme) sourdant de l’ampoule.

    Et si les citations sont lumière, c’est bien parce qu’au travers d’elles il s’agit toujours, pour Ariane Dreyfus, de dire l’amour. Mais attention, l’amour n’est pas un thème. Non, les livres d’Ariane Dreyfus sont des livres aimants, des livres amoureux. De même que ce sont des livres heureux, faisant davantage que donner place au bonheur. Ariane Dreyfus parle ainsi de la langue qu’elle emploie comme d’une langue « plus souveraine que moi-même car elle est aussi celle d’autrui. Sans cesse rappeler au lecteur cette force-là pour que s’aimer dans la langue soit possible : le poème est ce lieu où ni lui ni moi ne sommes mais où nous sommes ensemble. Aussi l’amour n’est-il pas un thème poétique, c’est au contraire écrire un poème qui devient de l’amour. Quand James Sacré dit : « Le poème comme un geste intime qui pense à l’autre », quand Roland Barthes affirme : « L’écriture, c’est quand le texte désire le lecteur », quand Stéphane Bouquet souhaite « être dans la langue comme dans un amour », ils rappellent la règle majeure.

    En faisant advenir l’amour par le poème, et par la prose comme avec La Lampe allumée, Ariane Dreyfus dit cette façon qu’a l’éblouissement de prendre corps. Et de continuer. De durer doucement, sans jamais forcer le cours du murmure. Il est toujours question d’amour chez l’auteure. D’amour vivant, dans chaque texte. D’amour vécu comme partage. À jamais vif, à jamais recommencé. Le sexe (si présent) est en ce sens le prénom très précisément épelé de l’amour. Car être deux, être ensemble, ce n’est jamais une abstraction pour l’auteure. C’est quelque chose de très concret. « Il n’y a pas de plus grand cadeau que l’on puisse faire à quelqu’un que de l’accepter dans sa présence physique. L’existence est un don que l’on se fait les uns aux autres, et pas uniquement en donnant naissance à un enfant. Être née une fois ne suffit pas pour vivre. Il faut arriver à être là, rebondir vive par les contacts mais ce n’est pas tous les jours ». L’amour pour Ariane Dreyfus, c’est ce précisément par quoi le monde devient concret. Ce par quoi il nous rejoint. Au plus intime, au plus profond de nous. Et en nous rejoignant fait qu’on se rejoint soi. Tant il est vrai que pour s’atteindre soi il n’est que de faire un détour par l’autre, détour rendu ébloui par la douceur, la tendresse, mais aussi l’intensité du désir.

    Dire que La Lampe allumée est un livre aimant, faisant advenir l’amour (et non un livre sur l’amour) ne serait ainsi pas exagéré. Amour pour des auteures. Des auteurs. Qui l’ont aidée à vivre, comme Colette. Qui sont aussi des présences très proches, au quotidien, comme Eric Sautou, ou Stéphane Bouquet. Amour pour des livres, comme Lolita de Nabokov. Pour, dedans les livres, des phrases. Amour pour des spectacles. Amour pour des films. Pour des images. Amour pour des visages.

    Et, alors que paraît chez Corti ce livre couvrant plus de vingt ans d’écriture critique, faire reparaître aujourd’hui le premier recueil d’Ariane Dreyfus devient possibilité offerte au lecteur de découvrir à quel point son œuvre est unitaire dans son ensemble. D’une unité si forte qu’elle en devient musicale. Mais de quel livre parle-t-on au juste ? Il s’agit de L’Amour 1, paru en 1993 aux éditions De, grâce à Ludovic Degroote (1). Si ce court recueil a été republié dans sa transcription dans le livre que nous avons consacré à l’auteure (2) (voir Ariane Dreyfus, Éditions des Vanneaux, collection « Présence de la poésie », 2012, pp. 97-100), il paraît plus que jamais opportun de le donner à redécouvrir aujourd’hui dans sa belle graphie originelle qui, en poussant la lecture à survenir peu à peu, pas à pas, nous amène à boire toute l’eau contenue dans chaque image (sans qu’il nous soit possible de savoir, avant de l’avoir bue, quel goût elle a : sucré, salé).

    Déjà, dans ce premier livre, il y a en germes « tout » Ariane Dreyfus. Cette place – toute la place – donnée à l’amour. Cette façon qu’a la syntaxe d’être vacillement, pour, ce faisant, pousser le lecteur à déshabiller son regard de ses attentes préalables et faire qu’il soit surpris. Intensément surpris. Au point que l’image puisse l’emporter sur son frêle esquif. Au point que chaque image puisse être courant à chaque fois singulier l’emportant. Jusqu’au soleil ébloui de vivre. Jusqu’à la rencontre avec l’autre, peu à peu épelée. Par l’amour. Sur le lit qui est pour Ariane Dreyfus une page, à chaque fois une page que les corps rendent vivante. Les corps présents par les mots. Présents, vrais corps, car le langage, c’est nous qui le faisons ; et nous le faisons à chaque fois pour une autre, un autre. Et nous le faisons ensemble. « Les mots de la langue deviennent alors vraiment désirables, vraiment pour vivre, car dans cette langue le corps est là, il est même […] ce qui les réalise ».


    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes




    ______________________________________
    (1) Qu’il soit ici chaleureusement remercié d’avoir le premier donné à lire l’écriture d’Ariane Dreyfus ; et rappelons, par la même occasion, combien lui-même est un grand poète : son récent Monologue paru chez Champ Vallon est bouleversant, au-delà de tout ce que l’on peut en dire.
    (2) Avec de légères modifications voulues par l’auteure, ce qui rend très stimulant pour le lecteur de se reporter à ce volume de la collection « Présence de la poésie ».







    L’AMOUR 1
    (dans sa graphie originelle)






    Dreyfus0001








    Dreyfus0002 (1)



    SUITE ►►►






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
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    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’inhabitable (note de lecture d’AP sur le recueil L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions José Corti)
    une page sur La Lampe allumée si souvent dans l’ombre
    → (sur remue.net)
    L’éloge du commun, selon Ariane Dreyfus, par Pascal Gibourg (15 janvier 2013)
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)
    → (sur le site du CipM)
    Ariane Dreyfus lisant un extrait de Quelques branches vivantes
    le site de Matthieu Gosztola






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