Étiquette : Aurélie Loiseleur


  • Aurélie Foglia | [Gens ne s’appellent pas]




    Gens
    Image, G.AdC







    [GENS NE S’APPELLENT PAS]




    Gens ne s’appellent pas

    Gens ne naissent pas

    sont mis bas

    Gens va droit à l’abreuvoir de coups
    à l’abreuvoir de paroles pesamment
    Gens laboure tous les jours
    dansent la bourrée tous pesamment

    Gens berçant des demain des doucement Gens
    muets mutilés de mots

    élèvent dans leurs organes des crabes mangeurs
    d’hommes quand certains meurent de pains

    Gens puise dans la pâtenôtre mange noms
    du commun Gens ravalés

    n’ont pas de quoi



    Aurélie Foglia, « Les Dénommés », I, in Gens de peine, Éditions NOUS, Collection disparate, 2014, pp. 31-32.





    __________________________________
    NOTE d’AP : Aurélia Foglia a aussi publié Hommage à Poe et Entrées en matière sous le nom d’Aurélie Loiseleur.







    Foglia  Gens de peine





    AURÉLIE FOGLIA



    Foglia
    Source




    ■ Aurélie Foglia [Loiseleur]
    sur Terres de femmes


    Comment dépeindre (lecture d’AP)
    [décrire peindre écrire dépeindre désécrire] (extrait de Comment dépeindre)
    Gens de peine (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Entrées en éléments (extrait d’Entrées en matière)
    Entrées en matière (lecture de Tristan Hordé)
    [tic-tac de la pluie] (extrait de Grand-Monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions NOUS)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Gens de peine






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  • Aurélie Loiseleur | Entrées en éléments



    Enduit de pluie reluit sans diluer les contours militent pour durer en couleurs
    Ph., G.AdC







    ENTRÉES EN ÉLÉMENTS | EXTRAIT




                                    Espace
    que provoque la pluie : à demi.
    Attire jette dans l’abri de tomber se trouve fuir aussi.
    Percussion de la pluie aux pieds de feutrine
                           inscrit l’espace moins plein : en mille.
    Insectes se terrent criblés par ce gravier de vivre.
    Enduit de pluie reluit sans diluer les contours militent
                           pour durer en couleurs.
    Vol sous des cordes fend le rideau transparent
                          d’apparence :
    plumes reviennent au départ imperceptible sur place : mer
    verticale rend les terres labiles.
                           Branchies d’arbres respirent au rythme
    de chute un peu chacun ravive en soi le poète :
    semis de pluie délicatement entre cils du cœur
                           humecte.





    Aurélie Loiseleur, Entrées en éléments in Entrées en matière, Éditions Nous, 2010, page 20.




    __________________________________
    NOTE d’AP : Aurélia Loiseleur a aussi publié Gens de peine et Grand-Monde sous le patronyme d’Aurélie Foglia.






    Loiseleur matière





    AURÉLIE FOGLIA [LOISELEUR]


    Foglia
    Source




    ■ Aurélie Foglia [Loiseleur]
    sur Terres de femmes


    Comment dépeindre (lecture d’AP)
    [décrire peindre écrire dépeindre désécrire] (extrait de Comment dépeindre)
    Entrées en matière (lecture de Tristan Hordé)
    Gens de peine (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Gens ne s’appellent pas] (extrait de Gens de peine)
    [tic-tac de la pluie] (extrait de Grand-Monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions NOUS)
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  • Aurélie Loiseleur, Entrées en matière

    par Tristan Hordé

    Aurélie Loiseleur, Entrées en matière,
    éditions NOUS, 2010.



    Lecture de Tristan Hordé



    On ne peut isoler ces manipulations qu’en insistant sur le fait qu’elles sont intégrées dans un ensemble, et que c’est le tout qui fait sens
    Ph., G.AdC







    UN PEU À CÔTÉ DE LA LANGUE



    On peut suivre bien des voies pour aborder ce livre singulier et complexe d’Aurélie Loiseleur, en commençant par exemple par s’intéresser au titre qui résiste à la lecture. Qu’est-ce que « entrée en matière » ? L’exorde d’un discours : alors les sept parties — entrées en, successivement, éléments, corps, l’autre, poésie, animal, homme, mort — peuvent être prises pour des amorces de récit. Mais c’est aussi l’action d’aller à l’intérieur, donc de creuser dans cette matière diverse, d’en parcourir l’étendue, la mémoire. La possibilité de multiples lectures est ainsi annoncée par ce titre. Cependant, avant de commencer les « entrées », une dédicace : « À revivre », accompagnée en bas de page d’une glose ; contrairement au Livre de Sortir au jour des anciens Égyptiens, «&nbspLes Entrées en matière s’attachent aux incarnations d’avant la mort. De partout se lit le livre : n’a que des entrées ». Naissances, recommencements, répétés de diverses façons. Il faudrait commenter la lourde symbolique du partage en sept ; retenons que la fusion du je et du elle (dans « Entrées en animal ») aboutit à jelle et que l’on a son homologue jil — quaternité (féminine) et trinité (masculine) ; ou qu’une allusion à la création selon la Bible apparaît dans « Entrées en mort », « agglutinés piaillant autour de l’Arbre de Méconnaissance s’arrachent les fruits suris à l’instant ».

    Restons-en à ce que recouvre « poésie », notamment dans la partie centrale qui est précédée, et c’est la seule, d’un extrait en exergue. Une longue citation de William Carlos Williams met en scène « un homme de renom » qui examine les poèmes d’un ami, n’y trouve rien d’immédiatement compréhensible et le met en garde contre le risque d’une « parfaite préciosité ». Le poète constate l’étroitesse d’une imagination qui juge trop vite et « pense en lui-même : Et pourtant, de quoi d’autre la grandeur est-elle faite que du pouvoir d’anéantir des demi-vérités pour atteindre au millième d’une exacte compréhension ». Rien qui soit « lisible », à ânonner, dans la poésie d’Aurélie Loiseleur ; précisons : « poésie râpe », «&nbsparrache ce masque à voix cartonnée » ; la rhétorique du vers ? « assez de vers de vernissage », « assez le vers a exercé métier maudit moderne d’instruire fasciner cliquetis des mètres assez déclamé assez fiche », etc. Pas de prose qui se substituerait au vers, je transforme volontiers « secoue sa rose en peau » en « secoue sa prose en eau ».

    Si l’on ne fait que regarder le texte, il occupe la page en dessinant une forme toujours nouvelle de l’ouverture aux derniers mots, complexe dessin qui oblige la voix/la lecture silencieuse à des modulations, des arrêts, des lenteurs, des accélérations, des silences — « phrase s’étire dans toutes les dimensions ». Mais encore ?


    Ce que tente poémiser ?

    Un recommensemencement. [p. 89]


    Re-naître, en accordant la plus grande importance au signifiant ; cela se dit ici par un mot-valise, on en relèvera d’autres au fil de la lecture, toujours pertinents, comme psycuré, deshérotisé, despoétique, fenaître par exemple, exigeant que le lecteur s’attarde, ce qu’il fait avec les ambiguïtés phoniques (« Il prit. // Il prit ce dieu-dit pour père », les détournements d’expression par changement phonique (« faire fesse au danger ») ou de mot (« Toujours sur le qui-meure » ; « fils de flûte » suivi de « avec ta toque de poète impuissant de la p… blanche »), le passage d’un mot à l’autre (de « ciel cingle » à « cintre », « la secte des insectes »). Il faut entendre ce qu’affirme Aurélie Loiseleur par le biais d’une contrepèterie : « tout est offert par l’effort », et mettre sa lecture à l’épreuve.

    On repère des « anomalies » syntaxiques (« On pleut », « il prose »), l’ordre des mots peut être bouleversé : « Souvenirs grainent certains sans fleurir » ; dans « hommes embouchaient ses seins triomphants devenaient sonores », un groupe (« ses seins triomphants ») peut être à la fois complément d’un verbe (« embouchaient ») et complément d’objet d’un autre (« devenaient »), et « hommes » peut être lu sujet des deux verbes. On se souvient des grands discours tenus sur la poésie avec « grand rimage d’harmonie préétablie » quand Aurélie Loiseleur joue avec les voyelles (« Dehors triole un vieux rossignol [= le poète rimeur] que ses souvenirs rissolent », « ardue ardue ample âme assemblable ») ou avec consonnes et voyelles : « p » et les nasales (« peau est pont / passant dans son perméable idées s’interposent elle pense avec ses sens ») ; etc. On ne peut isoler ces manipulations qu’en insistant sur le fait qu’elles sont intégrées dans un ensemble, et que c’est le tout qui fait sens. Alors : « que tout reprenne / reparte du pied de la langue ».

    Cette poésie qui s’écrit « un peu à côté de la langue » est par l’emploi jubilatoire de la rhétorique du vers un art de la mémoire. Elle l’est encore par l’usage fait, ici et là, des genres littéraires, par les allusions à des œuvres. La forme dialoguée du conte pour enfant est explicitement empruntée, et détournée : « — Conte-moi le corps maman // — Il est une fois vif. Acéré. […] » Avec le jeu des questions on est vite à la fin : « il était une fois mort // — Pourquoi ? / Pour que la mémoire souffle dessus. // — Alors ? / Rien. La mort abîme. » Le lecteur lira une page écrite à la façon d’une comptine, reconnaîtra ailleurs une parodie d’un sonnet de Ronsard et se souviendra d’autres récits (« odyssées s’oxydent », « l’homme ras », etc.), parcours chaotique et vivifiant dans la littérature — « Théorie rassemble les doigts en poings. / Entre en matière (chanson de geste) ».

    La langue est sans cesse altérée, c’est-à-dire réinventée, dans tous ses états, et l’on se surprend à la lire si foisonnante, si neuve, d’autant plus que la maîtrise rhétorique n’aboutit pas du tout à de simples jeux mais à écrire « une Poésie néologue à partir du monde sans le / quitter ». Le réel, le réel le plus vif est là, sous ses aspects les plus variés, le corps labyrinthique, très présent, « seul paradis », vivant selon une « physique cantique ». Le réel, c’est la naissance et ses suites (« Par le goulet d’étranglement / de naissance / sitôt engagé est fait prisonnier »), la soumission à l’opinion (« Adhère à des idées sans vérifier la date de péremption »). Le je et le tu sont présents, mais sans le lyrisme aveugle facile 1 : « Tu : séduisant substitut du je pour / l’entrée dans l’afiction », sans les faux serments : ici le réel est rétabli (« Je te le jure je m’aimerai jusqu’à ta mort »). Comme le reste le lyrisme est toujours à construire, sinon le risque est d’écrire une poésie ornement, sans résistance à la lecture ; soyons clairs, « que d’autres s’accablent de bonheurs accessibles ». On se souvient de Musset, « Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », et Aurélie Loiseleur répond, avec « prouve » récrit en « pourvu », le lyrisme n’est pas dans l’exaltation du je :


                      Poésie poignante écrite avec le poing cœur dans le poing
                                                                                          à rompre
                      prouve qu’il y a quelqu’un              incorpore ce manteau de langue
    joue de l’ombre ta vie
                                                                                          brève longue longue

    pourvu qu’il y ait quelqu’un [p. 80]


    Ce n’est pas la première fois, certes, qu’un écrivain place le lecteur devant sa responsabilité : contrairement à ce que notre société suggère sans cesse, la lecture, active, n’a pas à être facile, les textes résistent, y « surgissent de réelles aspérités », les livres « sont à reprendre naissance // les lire les vivant comme les écrire ». C’est la seule manière de vivre la langue, de la faire renaître, de comprendre aussi quand est le réel dans un livre (de poésie). Les derniers mots appartiennent à Aurélie Loiseleur :


    Le Beau ne me dit rien.
    Le Vrai ne me touche pas.
    Le Juste ne me regarde pas.
    Dieu ne se mêle pas de moi.

    Mais la vie me parle et le monde me captive.
    [p. 97]




    Tristan Hordé
    D.R. Texte Tristan Hordé
    pour Terres de femmes




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    1. À propos du renouvellement du lyrisme dans Entrées en matière, on se reportera au compte rendu de Philippe Beck dans Sitaudis.fr.




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    NOTE d’AP : Aurélia Loiseleur a aussi publié Gens de peine et Grand-Monde sous le nom d’Aurélie Foglia.






    Loiseleur matière





    AURÉLIE FOGLIA [LOISELEUR]



    Foglia
    Source




    ■ Aurélie Foglia [Loiseleur]
    sur Terres de femmes


    Comment dépeindre (lecture d’AP)
    Entrées en éléments (extrait d’Entrées en matière)
    [décrire peindre écrire dépeindre désécrire] (extrait de Comment dépeindre)
    Gens de peine (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Gens ne s’appellent pas] (extrait de Gens de peine)
    [tic-tac de la pluie] (extrait de Grand-Monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions NOUS)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Entrées en matière



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