Étiquette : Bastia


  • Constance Chlore | [L’été n’en finit plus]




    [L’ÉTÉ N’EN FINIT PLUS]






    Constance Chlore Bastia 29 juin 2017
    lecture poétique de Constance Chlore
    29 juin 2017, Citadelle de Bastia, piazza Santa Croce
    Ph. angelepaoli







    L’été n’en finit plus
    Silencieuses baies rouges, noires Pétales colorés
    Partout : tes pas.

    Longues tiges mauves qui m’atteignent aux genoux ; mouvants des lumières des chemins éclairent l’épreuve en sa faim perpétuelle. La vie sonne l’indéchiffrable au visage.

    J’entre avec précaution
    Dans une végétation sans air : je cherche un nu de lumière
    L’ombre pleine de jambes me frappe au visage
    Avancer, avancer à grands coups de respiration
    Brusquement ce fut la fièvre
    Des yeux étincelaient dans l’herbe haute
    Ondulante et mystérieuse
    Alors commença l’ascension sur un étroit sentier
    Les herbes s’étendaient en eaux sources, en eaux fleuves, en grandes
    eaux transporteuses de flux, remous assourdissants
    Glissades À toute vitesse Le sang fit le tour de tout mon corps
    Pour oublier ton nom au mien mêlé
    Pour endormir ma fièvre
    Je n’ai rien vu
    Non
    Je n’ai rien vu
    J’ai senti tant de mouvements
    Me creusant
    Me vidant
    Tant de plaisir.

    Écoute Écoute à l’Est Écoute
    Quelques lampes allument encore ce que la digue retient
    Seule devant les eaux
    Les ombres rapides du vent Scrutent ce que je ne peux plus voir :
    Tu cherches ma bouche avec ton œil profond.

    Voir est plus prudent que toucher
    Voir est déjà te toucher
    Dans la mâchoire et l’œil
    Le soleil couve, habillé de mains.




    Constance Chlore, « La diagonale de l’animal », II, L’Alphabet plutôt que rien, poèmes, Éditions Éoliennes, Bastia, 2017, pp. 25-26.






    Constance Chlore  L'Alphabet plutôt que rien




    CONSTANCE CHLORE




    ■ Constance Chlore
    sur Terres de femmes

    Pierre étincelante



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une notice bio-bibliographique consacrée à Constance Chlore
    → (sur le site des éditions éoliennes)
    la fiche de l’éditeur sur L’Alphabet plutôt que rien





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  • Luc Dietrich | [Le sapin]




    Sapin 2
    Triptyque photographique, G.AdC







    [LE SAPIN]



    Le sapin.
    J’appréciais vraiment toutes ces machines simples, ces détails de mon corps qui devenaient outils : je me servais beaucoup plus de mes dents pour couper, briser, fendre. Mes mains, mes pieds.
    J’emmagasinais beaucoup de nourriture dans la chambre haute. Des noix, des noisettes. C’était une joie de dormir au milieu de ces repas futurs.  J’envisageais les lendemains avec tranquillité. Je ne travaillerais pas demain. Je ferais un long texte sur la digitale. Ce n’était pas facile. J’usais l’un après l’autre les meilleurs adjectifs sur ces fleurs à tubes. Mes notes étaient rangées dans un petit sac de toile cirée à cause de la pluie. J’avais un petit encrier en bois et un porte-plume taillé dans un éclat de noyer.

    Un bon silence m’entourait. Je chantais à tue-tête sous les étoiles silencieuses. Un petit vent chatouillait les feuillages.



    Luc Dietrich, Sapin ou La Chambre haute, éditions Éoliennes, Bastia, 2014, page 22. Texte établi & présenté par Frédéric Richaud.







    Dietrich Sapin






    LUC DIETRICH


    Luc Dietrich
    Source



    ■ Luc Dietrich
    sur Terres de femmes

    Les derniers jours de l’automne



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Luc Dietrich
    → (sur le site des éditions éoliennes)
    une page sur Sapin ou La Chambre haute





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  • Sylvana Perigot, 3 balles perdues

    Sylvana Perigot, 3 balles perdues
    Éditions Éoliennes et À hélice | éolienne,
    Collection « sombre & noire »,
    20200 Bastia, 2012.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS L’ÉCHEVEAU DE LA FORÊT BLONDE




         L’on imagine d’abord ― et l’on se prend à y rêver ― une histoire sylvestre, une histoire de « huttiste » dans la lignée des amateurs de forêts et de grandes solitudes. On oublie que, dès la fin du premier chapitre, un cadavre gît sous les feuilles. L’esprit résiste. Il reste arrimé au ponton au bord du lac, au « collier interminable » des saisons au-dessus des bouleaux, aux fondus layette du ciel noyé dans l’eau, à la canne à pêche du narrateur et aux oiseaux-pêcheurs plus rapides que lui. On oublie un peu la femme à la winchester, surgie d’on ne sait où, qui tire dans le mille des miroirs d’acier glacé qu’elle a installés, un jour, à l’aplomb des grands arbres. On oublie même le titre : 3 balles perdues et le « giallo » dont la première de couverture du livre et le cahier de tête ouvrent pourtant les pistes. C’est que la « forêt blonde » exerce son emprise et tient son lecteur en otage.


         3 balles perdues est donc le titre de ce premier roman signé Sylvana Perigot, tout récemment publié dans la collection « sombre & noire » des éditions Éoliennes. Un roman à trois personnages (quatre si l’on inclut la forêt !), grave et cependant empli d’humour et d’une forme de légèreté qui n’en altère pas pour autant la profondeur. Un « giallo » pris dans le prisme déformant de la fantaisie et de la poésie (en exergue, Lautréamont), construit sur le reflet démultiplié des miroirs, un récit d’une couleur singulière qui brouille les genres, entre polar et récit onirique.


         On songe parfois, en suivant la pensée du narrateur, à L’Homme pressé. Mais c’est pour mieux s’en détourner. Dégagé de la frénésie et de la vacuité de la vie citadine, l’homme de la « forêt blonde » se laisse porter par l’esprit de huttiste qui l’habite ― on imagine le Walden de Thoreau ou le jeune Baron perché de Calvino ―, notamment dans la relation que le narrateur tisse avec le temps. Un temps qui s’écoule en prenant son temps, un temps généreux et simple qui pousse ses heures dans la lenteur de la « forêt blonde ». Parfois, quelques échappées-ravitaillement vers la station-service rouge et blanche aux allures de Playmobil, entraînent narrateur et lecteur hors des bois, du côté de l’espace Amérique. S’ouvre alors un autre temps, une brève parenthèse qui donne sur un univers factice sur fond de jeu vidéo et de gonzesse déjantée. La pensée s’esquive vers la forêt, s’en retourne vers son lac, son ponton, sa cabane… et son suspens.


         Les chapitres, brefs, comportent des titres. Brefs eux aussi. Et presque naïfs, enfantins presque. En voici quelques-uns cueillis au hasard : « il est tard / comète / dormir / l’abruti… ». Certains évoquent la nature, un détail du lieu qui abrite la vie du narrateur depuis neuf mois : « le ponton / la neige / le vent / dans la forêt blonde ». D’autres suscitent le personnage féminin. Soit explicitement : « linda (2 fois) / la photo de linda / calamity jane & little summer rain » ; soit implicitement : « winchester ». Écho aux trois balles perdues, les trois chapitres « sans titre » renvoient à la tireuse d’élite, à la blondeur de ses cheveux, à son talent de shooteuse, d’ensorceleuse et d’amoureuse. D’autres chapitres enfin portent en germe les personnages masculins. Le narrateur d’une part ― que Linda a pris dans ses rets ― qui livre progressivement sa part d’ombre et son histoire ; et le Moisi de l’autre, dont semble s’être provisoirement entichée Linda, et dont on suit l’évolution jusqu’à son statut final de cadavre. Mais de tout cela qui a pris forme au cours du récit, des relations qui réunissent les trois personnages dans le huis clos cruel de la forêt, que reste-t-il ? Sur quelles preuves prendre appui ? Il ne subsiste que « lambeaux d’images fugitives » et « une exquise impression d’irréel  ». La forêt, qui « serre le temps entre ses poings », participe elle aussi de ce mystère. « Tout se reforme dans le présent. » Linda n’a-t-elle été qu’un mirage ? Les miroirs d’acier pure invention de l’esprit ? La « forêt blonde » elle-même a-t-elle seulement existé ? Peu importe ! Quelque chose continue de vibrer, lumière du lac ou reflets du vent dans les arbres. Quelque chose de la polyphonie du texte.


         Le roman, lui, existe bel et bien, avec son style farfelu et inventif, son caractère tendre et émouvant. Un premier envoi très réussi pour l’auteure de 3 balles perdues et pour les éditions Éoliennes.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sylvana Perigot





    3 balles perdues. 4e de couverture




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Lionel-Édouard Martin)
    une recension sur 3 balles perdues
    le site des éditions Éoliennes





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  • Jeanne de Petriconi | « Pour inventaire » à la galerie Una Volta

    Jeanne de Petriconi  |  « Pour inventaire »

    galerie Una Volta de Bastia




        « Inventaire » et « travelling », mobilité du voyage et univers statique des objets, coexistent ici, rassemblés dans un même temps, dans un même espace. L’espace est celui de la galerie du Centre culturel Una Volta de Bastia. Lumineux, cet espace accueille jusqu’au 4 novembre 2011, la jeune artiste Jeanne de Petriconi et son exposition d’Art Visuel : « Pour Inventaire ».





    Jeanne de Petriconi, fusion de deux feuilles
    ©Jeanne de Petriconi






        Art Visuel ? La vue est en effet sollicitée d’emblée par la présence magistrale d’une chevelure. Vaste chevelure, qui ondoie ou se recroqueville en vagues serrées, immobiles, métissage de couleur châtain et de reflets mordorés. Le choc est violent. Le désir de toucher, de caresser également. Mais l’œuvre est fragile, en dépit de l’impression de force vitale qui s’en dégage. Puissance occulte, chamanique peut-être, à l’œuvre dans le secret des cheveux synthétiques. Lianes et fibres prennent dans l’épaisseur de leur agencement la fluidité d’une chevelure sauvage, domptée pourtant par les doigts experts de l’artiste. Inspirée par la nature, feuilles et lianes emmêlées, mais détachée de son univers d’origine, la forme est ici présence. « Furie » hypnotise le visiteur, le fige un instant sur le seuil, dans la crainte de la rencontre avec ses propres enchevêtrements et ses propres démons.

        Dans la première grande salle, la série des « Créatures » semble répondre au même souci de cerner par l’agencement des couleurs et des formes, la nature en gestation. Prises dans le mouvement de la métamorphose, ces aquarelles colorées et hybrides dérangent et inquiètent. Mais n’est-ce pas là le propre de toute œuvre d’art ?


        Cependant, dans une alvéole de l’autre rive, des formes légères miment l’envol. Envol de feuilles fauves. « Possibilités chorégraphiques ». Tel est le titre donné à cet ensemble de feuilles (de châtaigniers ?) d’acier et rouille, légères, élégantes, souples, posées en apesanteur dans leur espace ouvert. Leur répondent en écho les dessins ― pastel et crayon ― qui reprennent inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes contorsions, les mêmes dentelures. L’inventaire peut commencer, qui s’organise autour de la collecte et du « penser-classer ».


        Patiemment collectés, recueillis, classés, les objets de Jeanne de Petriconi sont objets familiers, livres, chaussures, torchons et bols, boîtes, carnets. Feuilles. Ou encore tuyaux, vis et clous, écrous et barres, serrures, cordes et grillages, culs-de-lampe, accessoires domestiques… Mais aussi traces d’objets, restes, formes déchues et passées, démantelées. Répertoriés dans leurs formes et leur état, couchés sur les menues pages des carnets ou sur des lattes de bois, les objets, tirés de l’oubli où ils étaient tombés, tracent les sillons d’un parcours intérieur.


        Itinéraire à travers le monde de l’artiste, « Paysage enroulé » déroule ses « matériaux divers » sur son parterre de papier peint. Là, sur ce lé qui ouvre un chemin à même le sol, se croisent et se rencontrent livres jaunis et parapluie, galoches éculées, taillées en deux ; cheminement, de trace en trace, jusqu’à l’enroulement final.


        Invitation au voyage, «&nbspTravelling » déroule les images récoltées par la mémoire. Le visiteur est séduit par la diversité et par la poésie qui se dégage de ce long assemblage-accordéon de tableautins peints recto-verso. Il jubile de suivre, carton après carton, le kaléidoscope immobile qui déplie, d’un mur à l’autre, son univers de couleurs et de formes. Le regard croise des personnages inattendus, ancrés pourtant dans l’imagerie collective de chacun ; il s’arrête sur des paysages et des architectures, isole scènes et objets que le déplacement met en présence. Le rythme s’accélère ou au contraire se ralentit. C’est selon.


        Le voyage se poursuit avec « Dust-drawings ». Les objets présentés sont les mêmes, isolés à nouveau à la manière d’inserts cinématographiques. Mais ils sont pris ici à travers le prisme de la poussière, suggéré par des myriades de pointillés. Sur le mur opposé à la fenêtre qui donne sur la rue, quatre compositions, assemblages « d’azulejos » réalisés au stylo bille bleu. Chaque carré présente un objet isolé de son monde, un détail détaché de son univers ordinaire. Parfois une fissure, une lézarde, une brisure vient troubler l’équilibre du monde de « Suerta », lieu familier et familial de résidence de l’artiste. Et si l’on n’y prend garde, l’œil ne retient de l’ensemble que la composition en bleu et blanc, une faïence lumineuse, pareille aux rêves oubliés de l’enfance !


        Avec « Landscape », les lettres de polystyrène, prises dans le vertige de la vitesse, échappent dans le même temps au carcan du mot et à celui de l’espace. Le « paysage » tremblé semble vouloir prendre la fuite et s’échapper par la fenêtre. Humour et sourire.


        Objets inanimés, les objets de Jeanne de Petriconi ont bien une âme. Ils sont habités autant qu’ils habitent l’espace. Ils invitent à la méditation. Ils inventent « la traversée des apparences ».



    Angèle Paoli

    D.R. Texte angèlepaoli




        Jeanne de Petriconi est actuellement en résidence d’artiste en Finlande. Elle rejoindra ensuite la Suisse pour une durée de six mois. Remarquée dès 2010 par l’Arte Laguna de l’Arsenal de Venise qui lui a attribué la mention de « Best Young Artist », Jeanne de Petriconi s’est vu octroyer un séjour de trois mois en résidence d’artiste à Québec. Elle a par ailleurs déjà participé à de nombreuses expositions de groupe dont une à la Biennale Internationale pour jeunes artistes de Moscou en 2010.





    ■ Voir aussi ▼

    le site du Centre culturel Una Volta
    le site de Jeanne de Petriconi
    → (sur YouTube)
    une vidéo sur Jeanne de Petriconi



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  • La critique est morte | Vive la critique




    Point de recontre 22 février 2011
    Source Ph.






    CECI N’EST PAS DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE



         Ceci n’est pas de la critique littéraire. Tout au plus une esquisse de compte rendu. Pas même exhaustif. Teinté de quelques fantaisies de mon cru.

         Le 22 février 2011 étaient conviés à la librairie « Le Point de Rencontre », à Bastia, Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina, Marc(u) Biancarelli, Marc Giannesini. Tous connus et reconnus, en Corse, tant comme écrivains que comme chroniqueurs et critiques écrivant sur l’île, dans l’île. Animé par Hélène Mamberti, le sujet du jour portait sur la critique littéraire.

        La critique littéraire existe-t-elle ? Quel est son objectif ? Est-elle indispensable ? Peut-elle contribuer à tirer de l’oubli des ouvrages qui y sont tombés ? Est-elle susceptible de lancer un auteur ? Dans quelle mesure la critique peut-elle faire revenir à la lecture ? Comment, dans un journal, se répartit-on les critiques ? Autant de questions soulevées au cours de la soirée par Hélène Mamberti et abordées par les auteurs, à tour de rôle.

        Journaliste à Libération, Marc Giannesini établit une distinction entre critique universitaire et critique journalistique. La critique universitaire ou para-universitaire, très particulière (est notamment cité le nom de Roland Barthes), se trouve d’emblée écartée. Reste l’autre critique, à caractère événementiel. En ce qui le concerne, Marc Giannesini se situe depuis toujours du côté de la critique journalistique. Qu’elle concerne la télévision, le cinéma ou les livres, cette critique obéit à une éthique qui est celle du journal pour lequel travaille le journaliste. L’éthique de Libé n’est pas celle du Monde des livres ni celle du Figaro littéraire. Par ailleurs chaque journal a sa propre pratique de la critique littéraire. Le Monde pratique le commentaire ; Libération cite le texte. « On est entré dans l’ère américaine », affirme Giannesini.

        Comment cela fonctionne-t-il ? Le journal sélectionne les livres qu’il croit bon de retenir. Un critique littéraire payé par ce journal est censé lire les 60 à 80 services de presse qu’il reçoit par semaine. Mais en réalité, ce qui est demandé au critique d’un journal, c’est de faire de la copie. La répartition des textes critiques se fait, quant à elle, par rubriques, en fonction des sensibilités. Poésie/philosophie/histoire…

        Pour Giannesini, la configuration du terrain de la critique a changé. Dans le passé, les ouvrages étaient moins nombreux et il y avait davantage de lecteurs. Il y avait aussi de grands écrivains et de grandes plumes. Au journal Libération, Le Clézio n’intéresse personne. Les papiers qui sont rédigés pour lui sont des papiers de convenance, conventionnels. Quant à Houellebecq, il est « l’œuvre » de Libération. Dans la bouche de Giannesini revient à plusieurs reprises le nom d’Albert Thibaudet dont l’auditeur saisit qu’il fut et qu’il demeure toujours pour le journaliste de Libé, LA référence. Bertrand Poirot-Delpech, inaugure, lui, la « critique copinage ». Les livres sélectionnés sont les livres des amis. Et Giannesini de conclure sur ce point : la critique littéraire est morte.

        À relire ces notes prises sur le vif, je me demande s’il y a un lien de cause à effet entre les deux affirmations précédentes. Seul le critique de Libération pourrait nous le confirmer ou infirmer.

        Romancier et poète de langue corse, Marc(u) Biancarelli dit avoir du mal à se définir comme critique littéraire. Il n’a aucune obligation d’écrire sur un sujet ou sur un autre. Il choisit ce dont il veut parler. Son projet est de donner envie de lire ce que lui-même a aimé. L’auteur de Vae victis et autres tirs collatéraux, ouvrage publié en 2010 par les éditions Materia Scritta, se sent davantage écrivain que critique littéraire. Mais il voit dans la critique un relais, sans asservissement ni inféodation à qui que ce soit. Même si la « vox populi » s’est emparée de ses livres, l’auteur regrette l’insuffisance des relais critiques mais reconnaît qu’avec internet les retours sont considérables. Quant à ceux qui reprochent à l’auteur sa violence, son goût du stupre et des mots orduriers, il faudrait leur opposer une critique de la critique.

        Marie-Jean Vinciguerra reprend l’idée, déjà mentionnée par Giannesini, de « l’esprit de la maison ». Un esprit que le critique doit se garder de trahir ! L’auteur de Chroniques littéraires (ouvrage publié par Alain Piazzola) privilégie lui aussi le « coup de cœur ». Il insiste également sur le plaisir d’écrire ― un plaisir solitaire ― et celui de donner à lire ― plaisir du partage. Plaisir de lire | plaisir d’écrire. Les deux vont de pair et se complètent. Marie-Jean Vinciguerra cite en exemple Jean-François Revel pour qui le nombre et l’importance de critiques écrites sur un auteur constituent parfois à elles seules une œuvre à la manière de Borges. Ainsi également de l’écrivain Angelo Rinaldi, référence littéraire corse de Marie-Jean Vinciguerra. Les critiques qui lui sont consacrées constituent une œuvre à part entière, presque aussi importante que l’œuvre en elle-même.

        Dans un second temps de réflexion, Marie-Jean Vinciguerra évoque le XIXe siècle. C’est l’époque par excellence de la critique littéraire. Le siècle de Sainte-Beuve. Au siècle suivant, Sartre reprendra à son compte dans Qu’est-ce que la littérature les grandes questions qui faisaient alors débat : Que fait la critique ? Pourquoi écrit-on ? À cette époque-là, le champ de la critique littéraire déborde largement les frontières de l’Hexagone. Le rayonnement de la critique française s’exerce sur le monde. Qu’en est-il de la Corse ? L’espace géographique est-il un espace suffisant ? Adapté ? Selon Marie-Jean Vinciguerra, il faut distinguer critique du continent et critique insulaire. La critique insulaire s’appuie sur des thématiques propres à la Corse : la langue, l’identité culturelle, les femmes… Les insulaires apportent sur ces questions un éclairage tout particulier. Pour ce qui est du style, Houellebecq est, aux yeux de MJV, l’exemple même de l’écrivain sans style. Rinaldi, au contraire, pour qui « le style n’est rien en somme que l’éternité », est un orfèvre en la matière.

        Le critique se doit d’examiner si le texte résiste au temps. Que reste-t-il des écrivains corses dont Jacques Fusina retrace les parcours ?


    ENTRACTE

        Une dame blonde, fort agitée, fait intrusion dans notre petite assemblée. Elle se précipite, sac en bandoulière entortillé dans sa chevelure défaite, sur un siège demeuré vide au premier rang. Le rang des auteurs. Tout le monde pense qu’il s’agit d’une retardataire, invitée surprise d’Hélène Mamberti. D’autant que la dame, sur un ton précipité, s’empare de la parole, s’excuse du retard, s’en prend au public, invective les auteurs, s’insurge, peste que ça piétine, qu’on s’ennuie… Pas du tout, rétorque le public. Qui êtes-vous ? Présentez-vous au moins. Elle bredouille « Association ! Pastel » !!! C’est ce que je comprends. Elle repart dans un mouvement d’humeur martiale qui nous fait éclater de rire. Qui était-elle ? « Qui ce sera ? » Personne ne le sait. Personne ne le saura. Nul ne la connaît. Pas même Hélène Mamberti qui n’avait pas prévu une telle entrée en scène intempestive !

    Retrouver le fil…

        Ayant relu Écrire en corse, dernier ouvrage de Jacques Fusina, Marie-Jean Vinciguerra rend compte de son admiration pour le souci de précision et d’exhaustivité qui a motivé l’auteur. Jacques Fusina met en effet en relief l’importance de la création littéraire insulaire.

        Ce que dit Marie-Jean Vinciguerra au sujet d’Écrire en corse est juste. Mais, si cet ouvrage d’érudit est remarquable en bien des points, il n’est pas à proprement parler un ouvrage de critique littéraire. Il s’agit, de mon point de vue, d’un ouvrage d’histoire littéraire davantage que de critique littéraire.

        Jacques Fusina revient sur la question des choix. Selon lui, le choix des ouvrages est d’abord celui du Journal. Mais aussi celui des éditeurs et celui de l’opinion. Les pressions, médiatique et mondaine, existent. Il faut savoir s’en détacher. C’est aussi au lecteur de se mettre lui-même en quête d’œuvres plus secrètes et plus originales. Pour Jacques Fusina, en ce qui concerne la Corse, il faut prendre en considération le fait que les longs articles rebutent les lecteurs. Tout l’art du critique consiste à présenter une œuvre de manière attrayante, sans en dévoiler tous les rouages. Il en est d’ailleurs de même pour toute forme de critique, qu’elle soit d’art ou de cinéma.

        Quant à la question de « l’éreintage » d’un auteur ou d’une œuvre, c’était pratique courante au XIXe siècle. Marie-Jean Vinciguerra, Jacques Fusina et Marc Giannesani sont bien d’accord sur ce point. Les haines d’auteurs y étaient effrayantes. Au XXe siècle, Rinaldi s’y entendait pour éreinter ses comparses. Cette pratique est aujourd’hui dépassée. Elle n’a plus cours. La critique corse, elle, est conciliante, sans doute parce que tout le monde se connaît. Mais cela lui est souvent reproché. Au cours du débat, d’ailleurs, une voix de femme, celle d’une comédienne, a exprimé cette critique. Le public corse, selon elle, est trop gentil et les acteurs se ressentent de ces critiques exclusivement positives. Pourtant, en soi, la critique est saine et constitue une mesure d’étalonnage à laquelle se référer. Sans regard critique, une troupe théâtrale ne peut progresser. Un acteur du « Teatrinu » de Bastia déplore à son tour l’absence totale de la critique dans la presse locale. Le théâtre mais également le cinéma souffrent de n’avoir aucun écho du travail qui est présenté au public. Mieux vaudrait être éreinté que d’avoir à supporter ce silence sans retour. Marie-Jean Vinciguerra met l’accent sur l’importance du débat, sur la confrontation des points de vue. Le critique engage sa responsabilité auprès du lecteur qu’il se doit de respecter.

        Marie-Jean Vinciguerra établit une différence entre style de rage et style de haine. Ainsi définit-il le style de Marcu Biancarelli dans Vae victis et autres tirs collatéraux comme un style de la rage. Un style de la fureur. Et d’ajouter que Vae victis, « ça vaut du Céline » !

        À ce tournant du débat, je ne suis pas loin de penser que Marie-Jean Vinciguerra ne peut s’empêcher de s’aventurer sur le terrain d’une certaine complaisance. J’en éprouve une forme de déception et de bouillonnement intérieur ! Parce que ce qui est reproché aux Corses s’affiche là en direct sous nos yeux ! Sans que personne dans l’assemblée n’ose répliquer ni intervenir. Pas même François-Xavier Renucci ! Qu’est-ce qui pousse Marie-Jean Vinciguerra à oser cette comparaison ? Marcu Biancarelli prend-il celle-ci réellement au sérieux ? Pour ma part, si je perçois la rage qui anime à jet continu la plume de Biancarelli, je perçois aussi sa haine. Notamment dans un texte comme « Altercolonialistes ». Et si Biancarelli a des accents céliniens, son style ne me paraît pas du tout comparable à celui de Céline. L’auteur de Murtoriu est-il dupe ? D’ailleurs les auteurs fétiches de Biancarelli, c’est dans la littérature américaine qu’il faut les chercher. La grande. Celle de Faulkner, de Cormac McCarthy, ou de John Fante…

        Hélène Mamberti attire l’attention des auteurs sur le fait que de nouveaux espaces critiques se sont ouverts, qui ont modifié l’approche de la critique littéraire. De la verticalité, on est passé à l’horizontalité. Avec la révolution internet, tout le monde s’improvise critique littéraire, dit-elle. De sorte que le métier de critique littéraire tend à disparaître alors même que se multiplient sur la toile les nouveaux critiques. Qui n’ont peut-être pas à leur disposition les outils nécessaires pour accéder à « la critique » stricto sensu.

        François-Xavier Renucci oppose à ce point de vue que tout le monde a le droit d’écrire, de dire, d’exprimer son opinion, de proposer son analyse, quelle qu’elle soit. À propos de Jérôme Ferrari et de son dernier roman, Où j’ai laissé mon âme, François-Xavier Renucci fait d’ailleurs remarquer que le débat a eu lieu ailleurs que dans la presse. Il a eu lieu sur la toile, par blogs interposés. Il ajoute que, dans son blog L’or des livres, Emmanuelle Caminade a consacré toute une analyse à la question du style dans le roman de Ferrari, analyse dans laquelle elle répond point par point à une critique assez virulente de Joël Jégouzo. Y a-t-il eu pour autant véritable débat ?

        Jacques Fusina, pour qui la revue Kyrn est la première revue à avoir ouvert ses pages aux textes en langue corse, à la critique et à la création, la critique est un acte militant. « La critique est morte », répond à nouveau Marc Giannesini en écho assourdi !


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




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